B. DES EFFETS ASYMÉTRIQUES
Le principal objectif économique de la réglementation française de la publicité est de préserver un partage des ressources publicitaires favorable à la viabilité des médias concurrents .
L'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le projet d'ouverture aux secteurs interdits avait d'ailleurs alerté sur ses effets sur l'équilibre concurrentiel entre les différentes chaînes de télévision 16 ( * ) . Ainsi, les conditions restrictives de l'ouverture ont été présentées comme de nature à la rendre supportable pour les médias auxquels était jusqu'à présent réservé le monopole de la publicité des secteurs concernés.
Au terme de l'évaluation effectuée dans le cadre du présent rapport, on peut estimer que ces préoccupations sont fondées mais n'ont pas encore trouvé de prolongements dans des mesures d'accompagnement qui semblent plus que jamais à définir.
1. Un manque à gagner pour les autres médias
Sur la base d'une hypothèse moyenne, il est possible de préciser les impacts de la mesure sur les autres médias.
PERTES DE RECETTES PUBLICITAIRES POUR LES AUTRES
MÉDIAS
ASSOCIÉES AUX TAUX DE TRANSFERT DE L'HYPOTHÈSE
MÉDIANE
(en millions d'euros)
Presse quotidienne régionale (PQR) |
- 13 |
Presse quotidienne nationale (PQN) |
- 1 |
Magazine |
-11 |
Sous-total PRESSE |
- 25 |
Radio |
- 21 |
Publicité extérieure |
- 23 |
TOTAL |
- 69 |
Les pertes de recettes subies par les autres médias seraient globalement limitées . Cependant, la mesure se traduit par une érosion du chiffre d'affaires relativement importante pour la radio (- 1,6 %) et la publicité extérieure (- 2,2 %).
Les positions de la PQR sont affectées : les recettes de publicité sont réduites de 1,8 %. Mais, le recul, en termes de chiffre d'affaires, est plus limité (- 0,5 %), perspective qui explique la satisfaction exprimée par les professionnels devant le compromis atteint.
2. Un défi de plus pour la presse quotidienne, en particulier pour la presse quotidienne régionale...
Il reste que ce manque à gagner pour la presse , qui pourrait être plus important que dans l'estimation du BIPE, intervient dans un contexte de difficultés économiques , et pourrait encore l'aggraver.
La perspective de pertes de recettes publicitaires supérieures ne peut être écartée, en particulier pour la presse quotidienne régionale.
Sur les 700 millions d'euros de recettes publicitaires (hors petites annonces) de la PQR, le tiers est constitué de publicités dites « extra-locales » dont l'essor a été rendu possible par les efforts de syndication réalisés dans le cadre de PQR 66 (régie publicitaire nationale qui regroupait à l'origine 66 quotidiens régionaux). Les 13 millions d'euros de pertes de recettes pour la PQR mentionnés dans l'estimation peuvent être comparées avec les 34 millions d'euros de recettes publicitaires extra-locales (qui proviennent de la grande distribution) et avec les 190 millions d'euros de recettes publicitaires totales qu'elle engendre.
Un léger déport est donc parfaitement envisageable . Il viendrait encore augmenter les moins-values de recettes d'un secteur en difficulté économique et dont les stratégies alternatives sont risquées.
LA PRESSE QUOTIDIENNE :
UN SECTEUR
GLOBALEMENT EN DIFFICULTÉ
_______
La France se caractérise par la faible part (44 %) des ressources publicitaires des quotidiens, alors que la majeure partie des ressources des quotidiens provient de la publicité dans les autres pays industrialisés .
PART DES VENTES ET DE LA PUBLICITÉ
EN
POURCENTAGE DES RECETTES TOTALES DE LA PRESSE D'INFORMATION
POLITIQUE ET
GÉNÉRALE (2000-2001)
Vente |
Publicité |
|
France |
56 |
44 |
Allemagne |
36 |
64 |
Royaume-Uni |
35 |
65 |
Italie |
42 |
58 |
Espagne |
41 |
59 |
États-Unis |
14 |
86 |
Japon |
59 |
41 |
Source : Association mondiale des journaux
Depuis 1990 , les recettes publicitaires ont très peu augmenté en valeur (+ 8 % pour les quotidiens nationaux et régionaux cumulés ; + 6,1 % pour l'ensemble hors gratuits et hebdomadaires régionaux) si bien qu'en monnaie constante leur recul doit être constaté.
Le dernier cycle d'augmentation des recettes publicitaires a tout juste permis de compenser la chute observée au début des années 90.
ÉVOLUTION DES RECETTES DE PUBLICITÉ PAR CATÉGORIE DE PRESSE (1990-2002)
(en millions d'euros)
(a)
|
(b)
|
(c)
|
(d)
|
(e)
|
(f)
|
Total
|
Total
|
|
1990 |
569 |
860 |
1355 |
775 |
784 |
nc |
1429 |
3559 |
1991 |
473 |
787 |
1274 |
721 |
761 |
nc |
1260 |
3255 |
1992 |
386 |
742 |
1263 |
680 |
723 |
nc |
1128 |
3071 |
1993 |
335 |
704 |
1086 |
573 |
720 |
nc |
1039 |
2698 |
1994 |
245 |
745 |
1151 |
564 |
757 |
nc |
990 |
2705 |
1995 |
356 |
770 |
1191 |
566 |
772 |
nc |
1126 |
2883 |
1996 |
359 |
791 |
1231 |
583 |
790 |
nc |
1150 |
2964 |
1997 |
389 |
787 |
1301 |
602 |
798 |
nc |
1176 |
3079 |
1998 |
460 |
825 |
1393 |
638 |
830 |
100 |
1285 |
3316 |
1999 |
577 |
945 |
1502 |
693 |
899 |
105 |
1522 |
3717 |
2000 |
672 |
1008 |
1689 |
748 |
861 |
116 |
1680 |
4117 |
2001 |
531 |
1005 |
1655 |
702 |
886 |
119 |
1536 |
3893 |
2002 |
455 |
1008 |
1613 |
620 |
892 |
120 |
1463 |
3696 |
Source : association mondiale des journaux
Encore faut-il distinguer selon les types de presse. Pour les quotidiens nationaux (PQN), le marasme est installé.
La résistance des quotidiens régionaux (PQR) apparaît plus forte mais la reprise observée depuis 1998 semble se tasser.
ÉVOLUTION DES RECETTES DE PUBLICITÉ DE LA PRESSE QUOTIDIENNE (1990-2002)
Source : Institut de recherches et d'études publicitaires
Ces évolutions, du moins pour la période couverte par les données, ne semblent pas fondamentalement influencées par la progression de la diffusion des « gratuits ». Ces derniers enregistrent une progression plus dynamique de leurs recettes publicitaires (+ 13,8 % en glissement entre 1990 et 2002). Mais limitée au total, la part du marché publicitaire des « gratuits » dans le total PQN+PQR+ « gratuits » ne passe que de 35,4 à 36,6 % entre 1990 et 2002, malgré une très forte augmentation de la diffusion.
Pour la seule PQR, les données économiques suivantes relatives au début des années 2000 laissent entrevoir les enjeux.
RECETTES DE LA PQR ET RÉSULTAT NET CONSOLIDÉ DES ENTREPRISES (en millions d'euros)
Source : SPQR
Avec un taux de lecture plus faible qu'en Europe du Nord, la France est en outre le pays européen dans lequel la Presse Quotidienne a la 2 e plus faible part de marché publicitaire. Elle accumule donc des fragilités.
Source : World press trends 2002 / Zenith Optimedia
Ces pertes éventuelles , qui pourraient être plus importantes pour les motifs expliqués plus haut, équivalent d'abord une fraction non négligeable des crédits budgétaires de soutien direct à la presse 17 ( * ) elle-même (hors abonnements de l'État à l'Agence France-Presse 18 ( * ) ) qui s'élèvent dans les dotations pour 2005 à 114 millions d'euros.
En outre, même si le résultat net avant impôt (qui est en moyenne de 1,5 % pour une entreprise de PQR) est positif, les 36 M€ que son volume consolidé atteint pour l'ensemble du média montrent que l'ouverture effectuée par le décret pourrait gommer la profitabilité des entreprises si la totalité de la publicité « extra-locale » devait être redirigée vers les télévisions nationales. Encore faut-il considérer qu'il s'agit là de valeurs moyennes ce qui implique qu'une part important des journaux de PQR passerait en négatif.
* 16 Son impact sur les autres médias (hors la radio) n'est pas évoqué dans cet avis. Mais, cela est conforme à la spécialité du CSA qui n'est compétent que sur l'audiovisuel. Bel exemple de cloisonnement administratif malgré tout.
* 17 Les dépenses fiscales (les soutiens indirects) ne sont pas comptabilisées ici. Elles sont évaluées à 390 millions d'euros.
* 18 Dotés de 105,7 millions d'euros pour 2005.