RISQUES POUR LA PRESSE
L'un des opposants déclarés à l'ouverture a été Axel Ganz, le PDG de Prisma Presse, filiale française de Gruner+Jahr (groupe Bertelsmann). Il a résumé son point de vue dans un interview de 2003 : « Il faut privilégier la création de bons produits rédactionnels plutôt que les investissements promotionnels de court terme qui favorisent temporairement les ventes ».
Dirigeant pendant un temps la filiale de Gruner+Jahr au Royaume-Uni, il a pu voir les conséquences de l'offensive publicitaire défensive déclenchée par l'arrivée de Prisma dans le pays. Le groupe britannique IPC, leader du marché, a immédiatement investi des sommes considérables, en particulier en TV, pour doper la diffusion de ses propres titres et contre-attaquer l'arrivée de Prisma ; Prisma mais aussi tous les autres acteurs de la presse magazine ont dû suivre.
Selon Prisma, les conséquences finales sont les suivantes :
• Un jeu à somme nulle : tout le monde a dépensé de fortes sommes en communication, les PDM se neutralisent et le marché global n'augmente pas.
• La presse se banalise, et devient un produit de consommation comme les autres. On perd la relation de confiance et de connivence propre au produit culturel.
Les clients deviennent plus infidèles, habitués à « zapper » d'un magazine à l'autre en fonction des couverture et des promotions appuyées par les campagnes télévisées. Cela est d'autant plus inutile qu'il est plus coûteux de recruter un nouveau client que de fidéliser les clients existants.
En l'occurrence, Prisma a été finalement obligé de se retirer du marché. Cette histoire montre que l'argument de la DG Concurrence de la Commission européenne (la publicité télévisée permet à un nouvel entrant de pénétrer plus facilement, augmente donc la contestabilité du marché et maintient des prix bas) est partiellement réversible : « l'arme nucléaire » de la publicité télévisée peut être utilisée par les acteurs installés pour « tuer » les challengers.
Pour les opposants à l'ouverture, la publicité TV, pour être rentable, doit s'accompagner d'un marketing opérationnel « dur » qui rompt avec les traditions de la presse telle qu'on la connaît en France. Si au RU on est plutôt dans les promotions ponctuelles, en Italie la publicité TV est systématiquement associée à des gadgets sous blister (rouge à lèvre, maillot de bain....). Cela est lié à la guerre des prix, et c'est dommageable, car on ne peut plus ouvrir et feuilleter le magazine. Or, la presse est le produit que l'on peut consommer avant de l'acheter (en le feuilletant) ; et c'est la philosophie de la majorité des éditeurs français que de convaincre par la qualité du produit plutôt que par l'inflation des moyens marketing. L'hypermarketing à l'italienne détruit de la valeur.
Autre conséquence prévisible de l'ouverture presse et de la relance marketing qu'elle permet, les acteurs de la télévision vont s'intéresser plus encore au marché de la presse . La déclinaison des émissions populaires en magazines par les chaînes, phénomène qui n'est pas nouveau, va devenir plus fréquent maintenant que ces chaînes auront la possibilité de promouvoir les lancements dans leurs écrans publicitaires. Déjà co-éditeur de Star Ac Mag ou Série n°1, TF1 a lancé « Ushuaïa magazine » (en attendant une chaîne thématique Ushuaïa TV courant 2004) et de « Téléfoot Magazine ». M6, qui réalise déjà la moitié de chiffre d'affaires en activités de « diversifications » dont l'édition (Fan 2, Hit Machine), poursuit la même stratégie. Au delà de la déclinaison des émissions de Télé-Réalité en presse ado, au delà de la déclinaison des principales marques éditoriales (qui n'est d'ailleurs pas toujours couronnée de succès), TF1 et M6 ont de nombreux projet de produits de presse, magazines et quotidiens, notamment gratuits. Encore une fois l'ouverture de la publicité pour la presse à la télévision n'est pas la seule cause de cette tendance industrielle, mais elle la facilite, et déclenche ainsi des opérations qui auraient mis beaucoup plus de temps à éclore.