CHAPITRE
II
ÉLÉMENTS POUR L'ÉVALUATION
DES IMPACTS DE
L'OUVERTURE AUX SECTEURS INTERDITS SUR L'ÉCONOMIE DES MÉDIAS
Le décret du 7 octobre 2003 d'ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits est une étape de plus dans un processus continu de libéralisation de la publicité télévisée. Mais, à l'image de ce processus, la déréglementation que le décret entreprend est, sinon hésitante, du moins prudente. Ces caractéristiques prolongent un contexte réglementaire qui fait de la France un des pays européens où la publicité télévisée semble tout particulièrement encadrée, à l'exception notable toutefois du statut de la publicité sur les chaînes publiques plus libéralement admise qu'en Allemagne et au Royaume-Uni. Partielle, l'ouverture aux secteurs interdits devrait entraîner une augmentation des recettes publicitaires de la télévision qui, pour être de moindre ampleur que si la déréglementation avait été totale, s'élèverait à un montant estimé entre 130 et 190 millions d'euros. Selon toute vraisemblance, c'est plutôt le haut de la fourchette qui devrait être atteint à moyen terme. Ces gains se dirigeront vers la télévision mais il faut insister sur les effets asymétriques de l'ouverture : asymétrie entre les médias, au détriment surtout de la radio et de la presse quotidienne régionale pour laquelle le « manque à gagner » approche le bénéfice net annuel du secteur ; asymétrie également entre les chaînes de télévision, puisque à l'horizon 2007 lorsque la publicité pour la distribution sera autorisée sur les chaînes nationales, les chaînes commerciales devraient remporter plus des trois-quarts des recettes nouvelles. |
La réglementation de la publicité télévisée a connu des évolutions constantes. Les présents développements s'attachent à évaluer l' impact de la dernière d'entre elles : l'ouverture à la publicité télévisée de quatre secteurs jusqu'alors interdits : la distribution, le livre, la presse et le cinéma.
Cette ouverture, partiellement engagée par le décret du 7 octobre 2003, ne manquera pas d'avoir des effets sur la distribution des ressources publicitaires entre les différents supports publicitaires : les différents médias et le « hors média » .
Les modalités d'ouverture privilégiées par le décret sont caractérisées par une certaine prudence résultant de la volonté de ne pas perturber les équilibres existants, pour les médias, mais aussi pour les secteurs annonceurs.
Cette approche « prudentielle » est contestée par certains acteurs, si bien que des évolutions nouvelles sont envisageables.
Cependant, d'ores et déjà, l'impact de l'ouverture des secteurs interdits, même si elle reste partielle peut être jugé important, en termes d'équilibre économique des différents « médias ».
I. UN PAS SUPPLÉMENTAIRE DANS LA LIBÉRALISATION DE LA PUBLICITÉ TÉLÉVISÉE
La libéralisation intervenue à l'automne 2003 représente une étape supplémentaire dans un processus constant d'ouverture de la télévision à la publicité.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que cette libéralisation a désormais une « histoire » d'où émerge une caractéristique essentielle ; les évolutions de la réglementation semblent davantage obéir à des contraintes subies qu'à des choix stratégiques.
Le décret d'octobre 2003 prolonge cette tradition, qui s'explique principalement par le choix d'assurer, par la réglementation, une allocation des ressources qui ne soit pas trop déséquilibrée entre les différents médias.
A. UN PROCESSUS CONSTANT DE LIBÉRALISATION MAIS SOUS CONTRAINTE
La libéralisation de la publicité télévisée par le décret d'octobre 2003 s'inscrit dans un processus historique qui, à quelques rares exceptions près, a été jalonné par des ouvertures successives de la télévision à la publicité .
La diversification du paysage audiovisuel , avec la création de chaînes privées , a été le principal moteur de ce processus , qui, par ailleurs, a été déterminé, par la prise en compte des contraintes financières propres aux différents médias (chaînes publiques, presse...).
Dans un contexte juridique européen où la publicité télévisée est encadrée, mais « a minima », la réglementation française se ressent d'un parcours marqué par une dialectique constante entre contingentement de la publicité télévisée et force des nécessités pratiques , ces dernières l'emportant graduellement, mais au terme de compromis renouvelés.
Nos grands voisins, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont effectué des choix plus nets. Ils ont opté pour un modèle nettement séparé entre secteur public et secteur privé, alors que la réglementation française de la publicité télévisée ne comporte que des nuances entre ces deux secteurs. Fortement contingentée sur les chaînes du secteur public, la publicité est, chez eux, peu réglementée sur les chaînes privées.
En France, la publicité est plus encadrée sur les chaînes privées, mais elle est aussi une composante à part entière du modèle économique de nos chaînes de secteur public, et ce, en dépit des restrictions intervenues en 2000.
1. Sur longue période, un processus continu, mais pas à pas, d'ouverture du champ de la publicité télévisée...
L'encadré ci-dessous, qui récapitule les principales étapes de la réglementation de la publicité télévisée, témoigne du déroulement progressif d'un processus d'ouverture de la télévision à la publicité .
Le texte de référence, qui figure en annexe du présent rapport, est le décret 92-280 du 27 mars 1992 pris en application de la loi du 30 septembre 1986.
L'apparition de nouvelles chaînes, en particulier des chaînes privées, a été le moteur principal de l'ouverture du champ de la publicité télévisée. Dans les premiers temps, il s'est agi d'une ouverture « ad hoc », réalisée à mesure qu'apparaissaient de nouvelles chaînes. Mais, par contagion, la libéralisation publicitaire s'est rapidement appliquée à l'ensemble des opérateurs (y compris ceux relevant du secteur public).
En 1970 , le « petit écran » ne pouvait ouvrir, en tout et pour tout, que 10 minutes quotidiennes à la publicité . Trente ans plus tard , les écrans publicitaires peuvent atteindre, du moins théoriquement, jusqu'à 12 minutes par heure d'horloge sur les chaînes privées qui, inexistantes alors, ont foisonné depuis. Ainsi, la capacité élargie d'offre publicitaire a été amplifiée par l'extension de la capacité d'offre télévisuelle.
Ce processus n'a connu que deux inflexions , l'une dictée par des considérations de santé publique , l'autre, sur laquelle on revient dans la suite du rapport, motivée par le souci de mieux garantir la spécificité du secteur public .
1968 : autorisation de la publicité TV sur la première chaîne. 2 mn/ jour, puis 6 mn/jour (1969) et 10 mn/jour (1970) ; 1971 : autorisation de la publicité sur la deuxième chaîne ; 1983 : autorisation de la publicité sur FR3 (créée en 73) ; 1985 : autorisation de la publicité sur les programmes en clair de C+ (créé en 1984) ; 1986 : lancement de La Cinq et M6, avec publicité ; 1987 : privatisation de TF1 ; 1988 : autorisation du secteur de l'édition musicale (investissements publicitaires + 117 % en 1988, et + 300 % en 1989 1 ) ; 1989 : autorisation du secteur pour l'édition vidéo en 1989 (+ 103 % d'investissement en 1989) ; 1991 : Loi Evin - interdiction de la publicité pour l'alcool (>1,2°) et le tabac ; 1992 : Coupure publicitaire autorisée pour les films sur les chaînes privées ; 1992 : décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. 2000 : loi du 1 er août 2000 qui resserre les différents contingents (par heure et par écran) publicitaires que doivent respecter les chaînes publiques. 2003 : décret du 7 octobre 2003 ouvrant partiellement la publicité télévisée aux « secteurs interdits ». 1 Source : CNC/Carat TVM1. |