3. Des difficultés inhérentes aux différentes catégories d'objectifs
Les trois catégories d'indicateurs de performance, telles qu'elles sont envisagées par le guide de la performance 64 ( * ) , comportent des risques plus ou moins faciles à maîtriser.
a) L'efficacité socio-économique : le risque d'effets d'aubaine et d'effets pervers
La mesure de l' efficacité socio-économique (ou de l'intérêt général) n'est pas aisée, une évolution de l'indicateur pouvant trouver sa source dans un contexte plus général, voire traduire essentiellement des effets d'aubaine .
(1) Le cas des allègements de charges
Ainsi en est-il pour les allègements de charges, représentant une « dépense fiscale » de plus de 17 milliards d'euros , pour lesquels la recherche d'indicateurs pertinents et incontestables reste une opération difficile : les allègements de charges permettent-ils toujours la création (ou la sauvegarde) d'emplois ? Dans un nombre (difficile à évaluer) de cas, ces avantages ne sont-ils pas « encaissés » par leurs bénéficiaires indépendamment de toute préoccupation d'emploi, selon la définition de l' « effet d'aubaine », au sens où l'entend notamment la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale ? Quelle mesure objective et incontestable trouver, sur un sujet aussi crucial et aussi politiquement sensible ?
Au sein de la mission « Travail », la spécificité du programme « Développement de l'emploi » est d'être, pour l'essentiel, un véritable « programme guichet » (comprenant notamment la compensation des allègements généraux de charges sociales) dont l'objectif global est, au fond, inhérent aux prestations fournies : diminuer le coût du travail peu qualifié.
Dès lors, mesurer la performance au regard de cet objectif global revient à aborder un sujet particulièrement difficile et disputé, qui est celui de l'optimalité du coût du travail peu qualifié en France, au regard de deux exigences : demeurer économiquement concurrentiel tout en soutenant l'emploi des travailleurs les moins qualifiés, et préserver les équilibres budgétaires tout en maintenant un niveau satisfaisant de rémunération et de protection sociale.
Ainsi, la limpidité de l'énoncé de l'objectif n° 2 (« Favoriser l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des travailleurs les moins qualifiés ») ne doit tromper personne quant aux difficultés immenses qu'il sous-tend s'agissant de la mesure de sa réalisation.
L'élaboration des indicateurs butte naturellement sur l'influence majeure du contexte économique : idéalement, il s'agirait de mesurer l'évolution des taux d'emploi et de chômage en faisant abstraction des fluctuations conjoncturelles, de la même manière qu'ont été élaborées des méthodes de calcul des soldes budgétaires conjoncturel et structurel. Dès lors, les indicateurs se rapportant, en particulier aux exonérations de charges, posent avec une acuité redoublée le problème du calcul exact de l'efficience.
En rentrant plus avant dans le détail, il semble que l'indicateur n° 1 de l'objectif n° 1 ( indice de satisfaction sur la perception et l'utilisation des mesures d'allégements de cotisations sociales par les employeurs ) est inutile car il ne peut guère refléter que le niveau des moyens alloués, voire les attentes des salariés ou de leurs représentants.
Un problème majeur, non résolu à ce stade d'élaboration des objectifs et indicateurs annexés au projet de loi de finances pour 2005, est évidemment présenté par l'indicateur n° 3 de l'objectif n° 2 ( distribution des salariés concernés par les mesures d'allégements de cotisations selon leur niveau de rémunérations ).
Il s'agit, tout au plus, d'une statistique intéressante . En effet, il apparaît que cet indicateur ne mesure pas davantage le dynamisme des créations d'emplois peu qualifiés que « l'effet de trappe à bas salaire ». Il pourrait être plus éclairant de décliner cet indicateur, en retenant non la proportion de salariés bénéficiant de ces allégements, mais la proportion de créations d'emplois concernés par ces allégements ; malheureusement, il semblerait qu'une telle construction se heurte à des difficultés sérieuses concernant l'obtention des données, d'une manière à la fois objective et incontestable .
D'une façon générale, comme ont pu le confirmer la Cour des comptes et la direction de la réforme budgétaire du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, il y a lieu de dresser le constat d'une certaine impuissance à élaborer un indicateur susceptible de mesurer l'efficacité réelle des allègements de charges sur les bas salaires en matière d'emplois peu qualifiés, car les effets d'aubaine ne sont jamais mesurables de façon certaine. Du reste, les résultats des études existantes sur les créations d'emploi entraînées par les politiques d'exonération sont souvent divergents, et toujours contestés .
Quelle qu'en soit la complexité, il est cependant impératif de relancer un débat sur ce sujet, car ce sont plus de 17 milliards d'euros de compensation d'exonération auprès des organismes de sécurité sociale qui sont en jeu.
Ces dispositifs induisent, in fine , une progressivité des prélèvements sociaux. Or, cette progressivité est financée par l'Etat, et il est a priori difficile d'en déterminer le niveau optimal : comment connaître la réaction des entreprises à une modification, dans un sens ou dans l'autre, du niveau des exonérations ? Et quelles leçons pourrait-on en tirer pour l'avenir si ces données pouvaient être établies ?
Deux hypothèses pourraient être examinées .
On pourrait peut-être imaginer de compléter la mesure de la performance par la mise en place d'un « observatoire » disposant d'une certaine indépendance, susceptible de livrer annuellement un message d'orientation sur le niveau souhaitable des exonérations en fonction de leur utilité marginale sur l'emploi, rapportée à leur coût. Tout aussi bien, dans la même perspective, il pourrait être envisagé de solliciter la DARES (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale) dont la qualité des travaux est reconnue, et la disponibilité immédiate.
La première solution présenterait l'inconvénient de créer une institution supplémentaire, tandis que la seconde formule pourrait être assimilée au renvoi vers un organisme relevant du gouvernement (et ne présentant apparemment pas toutes les garanties d'indépendance pouvant être exigées).
A défaut de créer une institution supplémentaire, il resterait la possibilité de confier l'expertise à la DARES, après avoir fait évoluer son statut, pour lui garantir une indépendance incontestable .
Votre commission des finances ne présente donc pas une « solution miracle » qui, sans doute, n'existe pas.
Dans ce domaine, le choix est par essence celui d'une politique et, en démocratie, le jugement suprême de la performance des choix politiques appartient au corps électoral.
Néanmoins, votre commission des finances tient à approuver l'indicateur effectuant un ratio entre le montant des impôts payés par les entreprises aidées, au bout de 5 ans, et celui des aides qu'elles ont perçues. Il s'agit de l'indicateur n° 1 de l'objectif n° 1 du programme « Développement des entreprises » de la mission « Développement et régulation économique ».
* 64 Voir ci-dessus, partie I-A-2 : efficacité socio-économique ou intérêt général ; efficience ; qualité de service.