TRAVAUX DE LA COMMISSION :

AUDITION CONJOINTE DE M. LE MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE ET DE LA COUR DES COMPTES
DU 29 JUIN 2004

Présidence de M. Jean Arthuis, président

Séance du 29 juin 2004

Ordre du jour

Audition de M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche, et de M. Jean-François COLLINET , président de la 3 ème chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux personnels de recherche.

_______________

La séance est ouverte à 17 h 15.

M. Jean ARTHUIS, président - Mes chers collègues, je voudrais rendre un hommage particulier à M. François Logerot, premier président de la Cour des comptes, qui s'apprête à prendre congé de celle-ci dans deux semaines, et voudrais lui témoigner notre reconnaissance.

En effet, nous allons suivre une audition du ministre délégué à la recherche sur la base de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 sur les lois de finances. Or, c'est le président Logerot qui a rendu possible la mise en oeuvre de l'article 58-2 et même du 58-1, puisque notre collègue Yann Gaillard prend appui sur l'assistance d'un haut magistrat pour réaliser ses investigations auprès de l'Institut national d'archéologique préventive.

Le président Logerot a été pour nous un interlocuteur très disponible. Je tiens à dire combien le président et les membres de la commission des finances, ainsi que le rapporteur général, ont été heureux de la collaboration entre la commission des finances et la Cour des comptes.

J'accueille à présent François d'Aubert et je le remercie de sa présence.

L'audition conjointe à laquelle nous allons procéder aujourd'hui est la huitième de ce genre résultant de l'application de l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui prévoit la réalisation par la Cour des comptes « de toute enquête demandée par les commissions de l'Assemblée Nationale et du Sénat chargées des finances sur la gestion des services ou organismes qu'elles contrôlent ».

A ce titre, la Cour des comptes a transmis à notre commission, en novembre 2003, une « communication » relative à la gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technologique, portant sur les exercices 1996 à 2003. Cette communication a également été adressée par voie de référé, au ministre délégué à la recherche.

Il m'a semblé, conformément à la procédure déjà suivie, qu'il serait particulièrement intéressant, dans le contexte actuel de crise de la recherche, d'auditionner M. Jean-François Collinet, président de la troisième chambre, dont émane le rapport qui nous a été communiqué, en présence du ministre délégué à la recherche M. François d'Aubert.

M. Collinet est accompagné de M. Jacques Sallois, président de section, de M. Jacques Ténier, conseiller maître, et de M. Jacques Choisnard, rapporteur, qui ont participé à l'élaboration de ce document.

Nous avons convié, ce qui est une première, à cette audition, des membres des commissions des affaires culturelles et économiques qui participent à un groupe de réflexion informel sur l'avenir de la recherche, créé à l'initiative du Président Jacques Valade.

La recherche contribue au progrès des connaissances et, d'une façon de plus en plus importante, à la croissance économique, à travers l'innovation, ainsi qu'à la satisfaction de besoins essentiels de la société, notamment en matière de santé et d'environnement.

Les activités de recherche requièrent des moyens matériels de plus en plus coûteux, qu'il s'agisse de locaux ou surtout d'équipements, particulièrement en ce qui concerne l'information, pour les calculs et les réseaux d'échanges de données.

Pourtant, comme l'a très justement souligné la Cour des comptes dans la communication qu'elle nous a adressée, comme dans ses précédents travaux, les ressources humaines sont déterminantes dans ce domaine. C'est leur qualité qu'il faut absolument préserver, sinon améliorer, et utiliser au mieux. « Il n'est de richesse que d'hommes », disait Jean Bodin. Il nous faut, non seulement, former d'excellents chercheurs, mais savoir les retenir dans notre pays et attirer en France certains de leurs meilleurs collègues étrangers.

Cela suppose, comme l'a montré la Cour des comptes, de mieux exploiter et renouveler notre potentiel de matière grise.

Dans ses rapports publics de 1999 à 2001, la Cour avait dénoncé de nombreuses insuffisances à cet égard concernant le vieillissement des équipes, la faible mobilité et les déficiences de l'évaluation des chercheurs ou l'insuffisante attention apportée au recrutement de jeunes scientifiques.

Elle évoque, dans sa communication de 2003, les lacunes de la gestion des ressources humaines des établissements publics scientifiques et techniques dans leur ensemble et se pose, notamment, le problème crucial du statut des chercheurs et du rôle dans la recherche des post doctorants et des contractuels.

M. Jean-François Collinet, président de la troisième chambre, présentera dans un premier temps le contenu du rapport communiqué à notre commission sur la gestion des personnels des EPST, puis le ministre délégué à la recherche pourra, s'il le souhaite, intervenir à ce sujet. Nous savons qu'il n'était pas en fonction pendant la période considérée et qu'il est engagé, actuellement, dans de délicates négociations avec la communauté des chercheurs pour préparer la future loi d'orientation et de programmation. Enfin, je vous inviterai, mes chers collègues, à intervenir si vous le souhaitez.

Conformément à l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, il nous appartiendra à la fin de cette audition de statuer sur la publication du rapport transmis et qui, sur le plan juridique, est une « communication » de la Cour des comptes.

M. le président Collinet, vous avez la parole.

M. Jean-François Collinet, président de la 3ème chambre de la Cour des comptes - Merci. Mon propos liminaire sera bref. Je laisserai à Jacques Sallois le soin de présenter les observations de la Cour.

La stratégie de contrôle de la Cour est passée depuis deux ans d'une stratégie qui reposait sur un contrôle des institutions et des acteurs à une stratégie qui repose sur un examen des programmes et des résultats.

Sur les trois dernières années, nous avons publié trois communications sur les problèmes de la recherche, l'une consacrée à gestion des EPST et aux liens avec leur tutelle, l'autre à la gestion du CNRS et la dernière au pilotage de la recherche dans notre pays.

Pour l'avenir, nous avons décidé d'examiner le secteur de la recherche par grandes thématiques.

Nous sommes engagés dans une première série de contrôle qui a porté sur la recherche en matière d'agronomie et de développement, et donnera lieu à communication qui vous sera adressée, Monsieur le Ministre, et qui sera également adressée aux assemblées parlementaires.

Durant l'année 2004, une seconde enquête thématique a été lancée sur le thème de la recherche en matière de sciences et techniques de l'information et de la communication (STIC).

Enfin, nous allons engager début 2005 une enquête sur la recherche en ce qui concerne les sciences de la vie.

Parallèlement, nous avons engagé depuis début 2003 une enquête lourde sur universités et recherche qui devrait aboutir à un document de synthèse au printemps 2005 et, à la demande du Parlement, nous sommes en train de conduire une étude sur le financement des investissements de la recherche dans le secteur des universités, document qui sera vraisemblablement à la disposition du Sénat vers la mi novembre.

Dans une récente émission télévisée à laquelle participaient MM. Barre et Delors, M. Barre a indiqué qu'à son avis, avant d'introduire de nouvelles ressources budgétaires dans le secteur de la recherche, il était absolument indispensable de revoir l'ensemble de l'organisation de la recherche dans notre pays.

Les conclusions auxquelles parvient la Cour ne sont pas si éloignées de ce point de vue.

Je ferai cinq constats.

Le premier est que le secteur de la recherche est géré par des structures institutionnelles vieillies et complexes, qui sont depuis trois ou quatre ans entrées dans des processus de réforme interne, menés dans des conditions difficiles, de façon dispersée et sans véritable recherche de synergie.

Nous l'avons constaté dans les travaux que nous venons d'achever sur la recherche en matière d'agronomie et de développement.

Le second constat que nous sommes amenés à faire consiste à relever que la multiplicité des acteurs qui interviennent dans le secteur de la recherche ont des rôles insuffisamment définis, ce qui aboutit à une grande dispersion des efforts de recherche et permet rarement la formation de pôles d'excellence de valeur internationale.

Le troisième constat portera sur la faible capacité de pilotage du monde de la recherche, et ceci pour trois raisons. Tout d'abord -Monsieur le Ministre me pardonnera ce constat- son ministère n'est pas doté de moyens très considérables et subit une relativement grande instabilité structurelle depuis une dizaine d'années.

Il y a une tradition d'indépendance très forte du côté des chercheurs et toutes les conséquences ne sont pas tirées des procédures d'évaluation, aussi bien au niveau des laboratoires que des chercheurs, de sorte que les situations ont tendance à se pérenniser et que les renouvellements en matière de recherche ne se font qu'à la marge.

Quatrième constat : les financements, particulièrement ceux concernant les EPST, sont fortement inspirés d'une logique budgétaire et très peu d'une logique de performance.

L'insuffisante attention portée par les EPST à la valorisation et le manque d'ouverture à l'international expliquent la très faible part de l'autofinancement dans le fonctionnement. Même le CIRAD, établissement industriel et commercial, fonctionne essentiellement à partir des ressources budgétaires de l'Etat, et les autres, bien au-delà de 90 %.

Enfin, la gestion des chercheurs souffre de lourdeurs et de contraintes qui la rendent particulièrement rigide.

S'agissant de ce thème particulier, si la LOLF est destinée, au-delà d'une nouvelle présentation budgétaire, à orienter très fortement la réforme de l'Etat, elle n'y parvient pas si, simultanément, n'est pas menée en profondeur une réforme profonde de la gestion des personnels de l'Etat.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Avant de donner la parole au président Sallois, je voudrais faire une observation.

Nous avions, dans la phase de concertation -et chacun sait que la maquette des missions et des programmes est une coproduction du Gouvernement, des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat et de la Cour- estimé souhaitable de scinder les crédits consacrés à l'enseignement universitaire et ceux dévolus à la recherche universitaire.

Les arbitrages ne nous ont pas été favorables ; néanmoins, tout ce qui pourra être fait pour discerner à l'intérieur de ce programme l'enseignement universitaire et la recherche devra être encouragé et appuyé avec beaucoup d'obstination de notre part, et de la vôtre sans doute.

M. le Ministre, MM. les Sénateurs, le président Collinet vient de vous présenter la stratégie de contrôle conduite par la Cour en matière de recherche.

La parole est au président Sallois.

M. Jacques SALLOIS, président de section - Je m'en tiendrai pour ma part strictement au sujet de la communication qui vous a été adressée en novembre dernier, pour vous parler de l'emploi scientifique.

Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, parler de l'emploi scientifique, c'est parler du coeur de l'application de la recherche.

Avant d'en venir à ce coeur, je voudrais formuler trois remarques liminaires.

Premièrement, la synthèse de 32 pages qui vous a été communiquée mi novembre était l'aboutissement d'une longue enquête conduite en 2002, qui avait donné lieu à un rapport de 180 pages, contracté au cours de l'année 2003 non sans difficultés ce qui explique que l'envoi de cette communication ait tardé jusqu'en novembre.

M. Jean ARTHUIS, président - Sans altérer son contenu ?

M. Jacques SALLOIS - Sans altérer son contenu, bien évidemment.

Seconde remarque : les choses ont évidemment pas mal évolué depuis sept mois. La Cour s'est tenue informée des débats qu'elle appelait de ses voeux et qui se sont développés au-delà de ce qu'elle imaginait.

Bien évidemment, dans le cours de ce débat, certaines de nos propositions ont eu tendance à se banaliser tant elles étaient reprises ; d'autres ont gagné en sensibilité.

Troisième observation : la Cour a continué de travailler. Le président Collinet le disait, nous avons travaillé sur le secteur des établissements de l'agro développement, qui constitue quasiment un programme de notre mission interministérielle.

Je dois vous dire que les observations que nous y faisons en matière de gestion de personnels infléchissent peu les conclusions qui figurent dans notre communication de novembre. Elles ont plutôt tendance à les conforter et à les renforcer.

Troisième observation : notre communication de novembre dernier ne traite que du personnel des EPST. Elle laisse donc à l'écart un vaste champ de l'emploi scientifique, comme l'emploi scientifique des universitaires et des enseignants chercheurs, difficile à évaluer car chacun sait que la part de ce qui va à l'enseignement et la part de ce qui va à la recherche est objet de débats et conditionne même l'arbitrage que vous évoquiez, Monsieur le Président, sur la mission elle même et sa répartition.

C'est uniquement des EPST que nous traitons aujourd'hui et je voudrais le faire autour de trois thèmes, le premier traitant du pilotage de la politique de l'emploi scientifique, en liaison avec ce que la Cour vient de dire sur le pilotage de la politique de la recherche plus généralement.

Je voudrais ensuite traiter brièvement de la gestion de l'emploi scientifique par les EPST et enfin terminer sur un sujet essentiel, celui de l'évaluation des chercheurs et des sanctions de cette évaluation mais, dans les deux cas, nous voudrions relier ces deux thèmes aux constatations que nous faisons dans la communication que nous allons adresser au cours des prochaines semaines à M. le ministre sur le secteur de l'agronomie et du développement.

S'agissant du pilotage de l'emploi scientifique, je dois dire que les constatations de la Cour se situent dans la perspective des constatations qu'elle a formulées dans son dernier rapport public annuel sur le pilotage de la recherche. Le président vient de les citer à l'instant : faiblesse des moyens et instabilité structurelle. Nous en voyons le résultat dans le domaine du pilotage de la recherche scientifique.

La Cour rappelle qu'entre 1997 et 2000, personne ne se souciait de l'emploi scientifique au sein de la direction de la recherche.

Il a fallu attendre 2002 pour qu'un embryon de cellule administrative s'y constitue, et 2003 pour qu'un bureau de l'emploi scientifique y soit créé.

Deuxième observation qui rejoint les observations générales de la Cour : le nombre des directions qui interviennent dans ce domaine directions de la recherche, de la technologie, des PMA, des PES, etc. Ce nombre est excessif, le ministre le reconnaît dans sa réponse.

Le ministre des finances insiste sur la faiblesse et l'incohérence de la structure du ministère de la recherche et appelle à sa clarification dans le cadre de la perspective de la LOLF. La Cour partage bien évidemment ce diagnostic et cette préconisation.

Mais au-delà du pilotage, l'essentiel sur lequel la Cour a fait porter son effort, c'est l'analyse de la politique mise en oeuvre. Je passe sur l'insuffisance du ministère dans son appel à la coordination des politiques des EPST, notamment en matière de systèmes d'information en général et de système d'information sur les personnels en particulier, confirmés par notre dernière enquête, sur l'insuffisance des indicateurs de pilotage en matière de personnel -la LOLF devrait y mettre bon ordre- pour insister sur l'essentiel qui est le caractère tardif et hésitant de la gestion prévisionnelle de l'emploi dans ce domaine.

Le diagnostic est établi depuis longtemps. En matière démographique, il est facile de l'établir. La Cour y a contribué avec ces dernières publications et chacun pouvait prévoir que nous nous orienterons vers un état de la recherche où nous avons la moyenne d'âge la plus élevée du monde, qui se situe aujourd'hui à 47 ans.

La nécessité d'une gestion prévisionnelle avait été établie dès le comité interministériel d'octobre 1998, réaffirmée par le comité interministériel de la réforme de l'Etat de 2000 et il a fallu attendre octobre 2001 pour que le plan décennal soit mis en oeuvre.

Il a fallu attendre, mais c'est le premier plan décennal ministériel. La Cour souligne au passage que ce plan ne tient aucun compte de la réduction du temps de travail mis en oeuvre simultanément dans ce domaine.

Nous savons que ce plan décennal a été abandonné par les LFI de 2003 et de 2004 qui mettaient l'accent sur le recrutement de jeunes chercheurs contractuels et post docs ; la Cour prenant acte de ces orientations de manière plutôt positive appelait à ce qu'elles soient situées dans une politique d'ensemble de l'emploi scientifique permettant d'assurer un meilleur équilibre des différents statuts, notamment au cours de la carrière.

Nous savons le débat qui est ouvert aujourd'hui et, à l'occasion d'échanges récents avec la Cour, le ministre nous a répondu que les problèmes de personnels devraient trouver leur solution dans le cadre de la révision de la loi d'orientation et de programmation de la recherche.

Nous ne nous satisfaisons pas complètement de cette réponse, Monsieur le Ministre, mais ce n'est pas à votre charge, car les contrôles que nous avons menés au cours de la dernière période nous montrent que, selon les établissements, les politiques menées dans ce domaine sont très différenciées, qu'elles vont au-delà des différences statutaires et d'organisation et qu'elles reposent donc assez largement sur l'imagination, la résolution et le courage politique des gestionnaires de ces établissements.

C'est en ce sens que j'aborderai le second point de notre propos.

La gestion des personnels scientifiques par les établissements a été abordée depuis six ans par toutes les publications de la Cour. Les conclusions générales sont de deux ordres : la fonction des ressources humaines est très décentralisée dans les établissements dans le cadre des statuts généraux et particuliers, mais force est de constater que cette politique est souvent défaillante. Les plans stratégiques en dressent le diagnostic mais vont rarement au-delà.

La Cour note également que les systèmes de pilotage sont défaillants : pas de contrôle de gestion en général, pas plus en matière de personnels, pas de tableau de bord en général, pas plus dans le domaine du personnel.

Au-delà, je vous propose d'aborder successivement les trois catégories de personnels au coeur de la politique menée : les chercheurs pour l'essentiel, les ingénieurs et techniciens et, brièvement, les dirigeants des établissements.

Je traiterai des chercheurs autour des cinq thèmes développés par la Cour : les statuts, le recrutement, les post docs, les personnels sous contrat et enfin la mobilité.

S'agissant du statut, la Cour s'interroge sur les conséquences pour les chercheurs du statut de fonctionnaire qui leur a été conféré en 1983 et formule à cet égard deux conclusions.

En premier lieu, il n'est pas établi que les chercheurs recrutés pour 40 ans doivent tous exercer la même fonction jusqu'à la retraite.

On peut en convenir, d'autant que la Cour constate dans toutes ses investigations la diversification croissante des fonctions au-delà de la seule recherche valorisation, gestion, information qui, la plupart du temps, sont très mal assumées.

Elle considère ensuite que le fort renouvellement du potentiel scientifique doit permettre d'envisager une plus grande diversité des formes d'emploi -statutaires, contractuels, post docs- et estimait souhaitable, en novembre dernier, que le Parlement et la communauté scientifique débattent d'une gestion équilibrée des différentes formes d'emploi qui rendraient l'appareil public de recherche capable notamment d'accueillir un plus grand nombre de jeunes chercheurs. Le débat est ouvert au-delà de ces espérances.

Second point : les concours de recrutement sont théoriquement ouverts -et beaucoup plus que dans le reste de la fonction publique- aux candidats internes et externes ainsi que, depuis 1983, aux étrangers. En réalité, les jurys de concours restent souvent très étroits et n'excluent pas les risques de cooptations et les modes de prise en compte des expériences, notamment privées, ne permettent pas d'appeler suffisamment aux expériences des non fonctionnaires.

Je rappelle que les expériences privées sont prises en compte pour la moitié du temps et que ceci est tout à fait dommageable, notamment dans les secteurs de la recherche finalisée.

Troisième observation centrale pour la Cour : les post docs. Ils ont déjà fait l'objet de très nombreuses constatations dans nos rapports précédents, notamment dès 2001, dans celui que nous consacrions à la recherche dans le domaine biomédical.

La Cour constate que leur nombre est dérisoire ; elle constate aussi, avec le président Laffitte, que 28 % d'entre eux traversent l'Atlantique.

Leur nombre officiel est extrêmement réduit- quelques dizaines au CNRS- mais beaucoup sont rémunérés sur des bourses et des allocations externes qui restent cependant insuffisantes.

Le problème a été sous estimé depuis longtemps par le ministère de la recherche, qui a préféré les bourses de thèses, de crainte de voir se constituer un stock de chercheurs hors statut.

Le changement annoncé en 2003 visait à prendre en compte le problème.

Quatrième observation : le nombre de personnels sur contrats de recherche. Il reste extrêmement faible -moins de 2.000- et extrêmement différent selon les établissements. De surcroît, le cadre réglementaire en limite fortement l'attractivité. On sait que 18 mois maximum s'imposent, que le cadre est calqué sur celui des ingénieurs et techniciens et que la limitation est imposée à un seul contrat, même si la Cour constate quelquefois que ces limites sont un peu oubliées.

Dernière observation, enfin, sur les mobilités. Il faut distinguer les mobilités statutaires, institutionnelles d'établissement à établissement, du public au privé, les mobilités entre universités et EPST, et les mobilités géographiques.

Cette mobilité a augmenté au cours des dernières années. Elle se situe à peu près à la moyenne européenne. Nos dernières constatations nous invitent à la prudence dans l'optimisme car, quand nous regardons ce qui se passe dans les établissements que nous venons de contrôler, nous nous apercevons que le bilan n'est pas satisfaisant à l'INRA, sept détachements sur 1.800 chercheurs.

Quand elle regarde le CIRAD, la Cour s'inquiète de la baisse du taux des cadres affectés hors métropole, ce qui est pourtant leur vocation, passé de 38 % en 1990 à 20 % en 2002.

Même chose pour l'IRD, dont c'est la vocation de travailler outremer et où l'on a un taux d'expatriation qui ne cesse de régresser, de 42 % en 1993 à 33 % en 2002. C'est dire que l'effort reste nécessaire.

Deuxième catégorie sur laquelle je voudrais rappeler les conclusions de la Cour : les ingénieurs et techniciens, qui suscitent essentiellement deux observations.

La première, c'est la faiblesse du rapport entre ingénieurs, techniciens et chercheurs. Chacun le déplore. Il est actuellement de 1,5. La LFI 2003 reconnaissait son insuffisance et gageait les créations de postes sur les emplois de chercheurs. L'effort devra être poursuivi.

Deuxième observation : les concours de recrutement. L'évolution va dans le sens de la disparition des corps administratifs. A certains égards, ceci est positif et simplifie la gestion du secteur mais conduit en même temps à recruter au niveau du doctorat les responsables administratifs des EPST, ce qui, a priori, ne garantit absolument pas l'adéquation qualitative aux besoins, alors même que la Cour, rapport après rapport, déplore les carences de gestion administrative de ces établissements.

Le problème est d'ailleurs accru par la nature des épreuves, essentiellement scientifiques, et les modalités du concours une audition d'une demi heure.

La Cour souligne que bien peu d'établissement se résoudrait à une telle formule pour recruter les gestionnaires de leurs affaires.

J'ajoute un regret : dans notre rapport, nous n'avons probablement pas suffisamment souligné la nécessité d'une action de formation plus résolue, les personnels en cause étant recrutés.

Troisième catégorie : les dirigeants. Nous savons qu'un décret est en préparation depuis longtemps ; la Cour ne pousse pas à l'élaboration d'un statut contraignant, compte tenu de l'extrême diversité des établissements, de leur importance et de leur rôle.

En revanche, elle estimerait souhaitable que quelques grands principes généraux permettant des modes de rémunération conformes aux responsabilités, sans violation des règles dont elle est la gardienne, soient néanmoins tracés, ce qui lui éviterait, comme elle va devoir le faire, de redresser quelques situations.

Troisième point sur lequel nous souhaitons insister : l'évaluation et ses sanctions.

Les modalités d'évaluation de la recherche sont en général défaillantes. Je n'insiste pas, la cause est largement entendue. Celles des chercheurs, même si elles sont plus anciennes et plus systématiques que dans le reste de la fonction publique, présentent également des carences manifestes.

Elles sont souvent formelles. Certains établissements, lorsqu'ils nous répondent, parlent du rituel du rapport rendu tous les deux ans. Elles sont cogérées avec les personnels dans des proportions variables, mais toujours importantes, qui varient de deux tiers au CNRS à un tiers pour le petit CEMAGREF, mais qui s'établissent en règle générale à la moitié, sans ouverture suffisante des instances d'évaluation et ne prennent pas en compte, ce que souligne également la Cour, la diversité des tâches qui incombent aujourd'hui aux chercheurs.

Surtout, les effets de cette évaluation sont limités. Ils le sont sur le déroulement de la carrière, et ne pèsent pas sur le franchissement de grade ; l'avancement d'échelon se fait à l'ancienneté sans que l'évaluation soit prise en compte. Ils le sont aussi sur la rémunération, sur les primes et indemnités.

La prime de recherche, au demeurant dérisoire, n'est en pratique jamais modulée dans les établissements que nous avons contrôlés. Nous avons même vu des établissements ou la modulation est inverse et vise à compenser les écarts de rémunération principaux.

Je veux insister sur un exemple qui montre que le statut n'est pas la réponse à tout. Nous venons de contrôler le CIRAD, qui est un EPIC. Son visiting committee, il y a maintenant quatre ans, avait recommandé la mise en place d'un dispositif d'évaluation. Son conseil d'administration, unanime, avait fait la même recommandation. Or, nous constatons, quatre ans plus tard, que les négociations engagées en 2001 n'ont toujours pas abouti, ce qui veut dire que le statut n'est pas la panacée et que l'engagement et le courage des responsables d'établissement sont essentiels.

Voilà brièvement schématisées les quelques conclusions et recommandations de la Cour.

Pour tenter de tirer toutes les conséquences possibles de nos travaux, nous nous sommes efforcés de recenser un peu plus systématiquement les observations les plus critiques ainsi que les recommandations qui prennent aujourd'hui un relief quelquefois plus sensible qu'elles ne l'étaient en novembre, et nous vous transmettons une liste de 14 points de critiques et de recommandations, que nous aurions dû incontestablement, comme c'est l'usage à la Cour, annexer à notre rapport.

Nous serons évidemment attentifs aux suites qui seront données à ces recommandations et à ces critiques ; nous le serons peut être au début de l'année prochaine, dans notre prochain rapport public. Nous le serons sans doute au début de 2006, dès lors que le recul aura été suffisant.

Nous aurons l'occasion de poursuivre le dialogue de manière générale sur la recherche, et de manière particulière sur l'emploi scientifique, dans le cadre de la communication que nous allons adresser à M. le ministre dans quelques semaines sur le secteur de l'agronomie et du développement, où une part importante est consacrée à la gestion des personnels, et bien évidemment dans le cadre de l'enquête sur la recherche universitaire, dont nous souhaitons qu'elle soit publiée suffisamment tôt pour prendre pied dans le débat actuel.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Vous êtes allé d'emblée à l'essentiel. J'ai compris que ce rapport avait fait l'objet d'une compression entre sa première version et la communication définitive telle qu'elle nous a été adressée en octobre 2003.

A cet égard, je remercie la Cour pour les efforts qu'elle accomplit pour synthétiser ces communications.

Pour l'efficacité de nos relations, nous sommes attachés à des rapports aussi factuels et synthétiques que possible. N'hésitez pas à exprimer vos observations avec la rugosité qu'elles doivent avoir.

C'est un rapport que l'on pourrait qualifier d'accablant : pas de pilote, absence d'évaluations autres que rituelles où, finalement, le corporatisme interne digère tout. Ce rapport pourrait être accablant pour un ministre qui serait là depuis un certain temps, mais comme François d'Aubert a pris en charge ce dossier depuis trois mois, vous décrivez au contraire des marges de progression extraordinaire. C'est une chance pour un nouveau ministre délégué à la recherche !

Monsieur le Ministre, voulez-vous vous exprimer ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - J'ai écouté avec attention les conclusions et les propositions du rapport de la Cour et je voudrais vous féliciter pour cette initiative qui n'est pas nouvelle, mais qui montre le travail excellent fait de concert entre la Cour et le Parlement, et particulièrement avec le Sénat.

Il est vrai qu'il y a eu des rapports fort intéressants de la Cour des comptes ; le rapport annuel, depuis trois ou quatre ans, comprend des passages importants sur notre système de recherche, sur le CNRS, sur le pilotage, etc., dont j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt.

Comme vous l'avez dit, les diagnostics sont connus, les remèdes quelquefois esquissés. Je ne parle pas de ce que dit la Cour, mais il est vrai qu'il y a un diagnostic plutôt négatif quand on regarde l'administration de la recherche, alors que des propositions variées sont faites.

On est dans une période où une loi d'orientation et de programmation devrait être prête à la fin de l'année, à l'issue des états généraux et des travaux du CIP. De grands changements sont donc mis en oeuvre.

Une première chose en introduction : il est essentiel que nous ayons un système de recherche et d'innovation compétitif.

Aujourd'hui, dans notre économie mondialisée, nos systèmes de recherche et d'innovation sont « benmarkées », comparés et mis en concurrence. Or, notre système a pris du retard, non parce qu'il n'a pas évolué mais parce que les autres ont évolué plus vite, qu'il s'agisse des systèmes anglo saxons ou extrême orientaux.

La Chine, par exemple, a un système de recherche très compétitif, à la fois fondé sur le poids des universités, d'établissements publics nouveaux, avec un nombre de chercheurs de très grande qualité actuellement à peu près équivalent à celui que nous avons en France, avec des systèmes de joint venture entre l'Etat chinois ou des villes ou des communautés publiques et des centres de recherche et des entreprises privées.

Il existe 400 joint-ventures de recherche développement en Chine. Ce sont des centres mixtes entre des communautés publiques et les grands groupes internationaux. Pour prendre une comparaison imagée, on peut dire que l'on assiste à une sorte de mouvement tectonique où on a une plaque européenne qui est en train de descendre lentement, une plaque américaine qui commence à être mise en cause par les chercheurs américains eux-mêmes, qui estiment qu'elle n'est pas assez compétitive, et une sorte de plaque extrême orientale en pleine montée qui tendrait, à moyen terme, à écraser les autres.

C'est peut être un raccourci, mais on peut dire aujourd'hui que la Chine est l'atelier du monde. Il n'est pas impossible que, dans dix ans, elle soit devenue, avec l'Inde, le laboratoire du monde, ce qui voudrait dire que la localisation de la valeur ajoutée, la création de richesses, la technologie, la recherche s'éloigneraient de plus en plus d'Europe. On peut dès lors se poser la question de savoir ce que deviendront l'Europe et la France.

Vous abordez la question essentielle qui est celle de l'emploi scientifique, c'est-à-dire en même temps celle de la compétitivité de nos laboratoires et de notre système de recherche et d'innovation. Celle-ci est fondamentale et je dois reconnaître que je souscris pour partie aux conclusions de la Cour des Comptes.

M. Jean ARTHUIS, président - Votre ministère est-il vraiment un ministère qui ne pilote rien, qui donne l'apparence d'une conduite gouvernementale, mais sans contenu réel ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je poserai autrement la question : globalement, la recherche est bien conduite, scientifiquement parlant. Mais sait-on vraiment distinguer entre la fonction scientifique et la culture managériale dans la recherche ?

Très franchement, on n'a pas cette impression. Que l'on soit dans les EPST objets de l'étude, dans les EPIC ou à l'université, il n'y a pas de séparation entre le domaine de la gestion et le domaine scientifique proprement dit, alors que des sommes importantes sont mises en oeuvre.

M. Jean ARTHUIS, président - En fait, il n'y a pas de gestion du tout !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Il ne faut pas en conclure qu'il n'y a ni gestion ni science, mais la gestion des ressources humaines est certainement ce qui il y a de plus défaillant. Il y a aussi de nombreuses défaillances dans la gestion de la ressource financière et budgétaire. Regardez où nous en sommes sur les retards de CP par rapport aux AP et le nombre d'épisodes budgétaires d'annulations de crédits dont le système de recherche publique est le théâtre depuis des décennies !

Nous sommes vraiment dans un système sous-administré, que ce soit dans sa branche publique ou dans sa branche universitaire.

Une remarque de méthode : les EPST représente un gros tiers de notre recherche en termes de moyens et de personnel, mais ce n'est pas un tiers séparé du reste puisque de nombreux laboratoires sont des unités mixtes de recherche. On arrive à des situations intéressantes sur le plan scientifique. Pour avoir un laboratoire qui fonctionne dans des conditions normales, il n'est pas inhabituel d'avoir un ou deux chercheurs du CNRS, un ou deux du CEA, un universitaire, un directeur de recherche, etc., le tout dans le même laboratoire, rattaché on ne sait trop pourquoi qui au CNRS, qui à l'université, qui au CEA, avec des personnels qui restent gérés par leur maison mère, avec des systèmes statutaires et des progressions qui ne sont pas les mêmes alors que ce sont des personnes qui travaillent dans le même laboratoire, souvent sur un même sujet et dans la même optique.

L'entrecroisement entre les sous secteurs de la recherche n'arrange rien non plus pour avoir une appréciation claire de la situation.

En matière d'emploi scientifique, notre pays a un triple défi à relever. Le premier est celui la compétition internationale.

On assiste dans le monde à une sorte de mercato permanent pour les meilleurs chercheurs. La Corée vient d'embaucher dans un de ses laboratoires un Prix Nobel américain avec une prime à la signature d'un million de dollars. De jeunes chercheurs de grandes écoles parisiennes, du CNRS ou de L'INSERM, se voient proposer par les laboratoires américains de grandes universités des salaires qui sont souvent le triple de ce qui leur est proposé ici, tout en ayant des moyens considérables et avec une visibilité sur 3 ou 5 ans, ce qui peut apparaître comme un paradis par rapport à la lisibilité budgétaire proposée dans les organismes de recherche français.

On leur propose également des possibilités d'être très rapidement en contrats à durée indéterminée, qui sont en fait des sortes de contrats à vie. Ce sont sans doute des contrats de statut privé, mais cela ne change pas grand-chose par rapport à un professeur d'université ou par rapport à un directeur de recherche du CNRS.

Le premier défi est donc d'avoir les meilleurs, qu'ils soient de chez nous ou qu'ils viennent de l'extérieur, mais il faut faire en sorte que ceux qui partent ce qui n'est pas illégitime dans le monde de la recherche pour aller faire une recherche dans une université américaine ou ailleurs aient envie de revenir -ce qui est de moins en moins le cas- et que ceux qui sont revenus n'aient pas envie de repartir immédiatement. C'est également un cas de figure qui existe, sans compter qu'il n'est pas illégitime que nous puissions accueillir nous mêmes des chercheurs chinois ou indiens, ce qui se pratique couramment dans d'autres pays.

Le second défi à relever, c'est celui du renouvellement des générations. La Cour note que la moyenne d'âge des chercheurs en France est très élevée. En cinq ans, la moyenne a dû augmenter d'un an et demi à deux ans en fonction des organismes.

Il faut donc renouveler les générations qui partent à la retraite. Les départs totaux des chercheurs des EPST estimés d'ici 2012 s'élèvent à 7.400 personnes pour 17.000, soit environ 43 %. Le chiffre est de 23.000 enseignants chercheurs à peu près pour une population de près de 50.000 personnes, soit 46 %.

Il y a donc un mouvement de fond de départ en retraite qui correspond à des pyramides des âges qui sont quelquefois un peu différentes d'une université à l'autre par rapport aux EPST, mais qui ont quand même le même aspect.

On peut s'interroger sur l'ampleur de ce mouvement qui est à la fois un risque et une chance.

C'est un risque, car les compétences en matière de recherche doivent être préservées et transmises aux générations nouvelles. S'il n'y a pas de renouvellement, il existe un risque d'appauvrissement de nos recherches en termes de compétences, que cela touche la recherche appliquée ou la recherche fondamentale. Il ne faut pas prendre le risque de rompre certaines continuités.

C'est une chance aussi, car ceci offre une possibilité assez inédite de redéploiement des effectifs du dispositif de recherche français vers les besoins de l'avenir. La reproduction à l'identique -c'est une remarque de simple sagesse- doit être écartée.

Ce qui est vrai pour les EPST l'est aussi pour les universités. Or, aujourd'hui, c'est une des caractéristiques de notre système universitaire : les recrutements d'enseignants chercheurs restent déterminés par les populations d'étudiants.

Par exemple, vous n'êtes pas sans méconnaître l'attrait des étudiants pour les STAPS.

Personne n'a rien contre les STAPS, à ceci près qu'un tel afflux d'étudiants oblige à recruter statutairement des enseignants chercheurs au sujet desquels certains s'interrogent sur la volonté de faire la recherche.

On ne fait donc qu'accentuer un phénomène qui est bien réel, qui est le fait que tous les enseignants chercheurs ne font pas de la recherche.

La cartographie des compétences détermine le potentiel scientifique. Définir les priorités scientifiques sans les traduire dans la politique de recrutement réduit à la marge la portée de l'action publique.

C'est pourquoi nous sommes favorables à une gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique sur les dix ans qui viennent. Je souhaite qu'elle s'accompagne d'objectifs de redéploiements clairs en fonction des priorités définies d'ici au vote de la loi d'orientation et de programmation.

Je souhaite également qu'elle prévoie un accroissement significatif de l'emploi scientifique, privé et public, en intégrant -cela va dans le sens des propositions de la Cour- toutes les catégories d'emplois, statutaires mais aussi contractuels, en s'interrogeant sur la destination de ces emplois.

Cette gestion prévisionnelle devra également réaliser l'équilibre entre chercheurs et ingénieurs techniciens pour ne pas réitérer certaines erreurs du passé.

Comme le souligne la Cour, dans tous les EPST, la priorité de 1996 à 2001 a été donnée à l'emploi strictement scientifique, privilégiant les créations de postes budgétaires de chercheurs au détriment des postes d'ingénieurs, de techniciens ou de personnels administratifs.

A ce propos, je voudrais faire deux remarques. La première concerne les personnels administratifs. Nous sommes dans un système sous-administré, mais en même temps très bureaucratisé. Il y a une lourdeur des procédures qui est ressentie jusque dans les laboratoires, où chaque appel à projet, chaque modification prend des semaines.

Rien qu'à L'INSERM, il y a, au centre de Tolbiac, 600 personnes qui ne font que de l'administratif. Je crois qu'il faut s'interroger -et nous le faisons très sérieusement- sur l'organisation administrative à proprement parler des EPST et, en particulier, à l'INSERM comme au CNRS, sur le poids des administrations centrales. Ce n'est pas un problème propre à la recherche ; on le retrouve dans beaucoup d'autres domaines de l'organisation de l'Etat, mais c'est un point important.

Quand on parle d'ITA -ingénieurs, techniciens, administratifs- il faut sans doute traiter le « A » de façon différente du « I » et du « T ». Je ne suis pas convaincu que le besoin en administratifs soit le même que le besoin en ingénieurs ou en techniciens.

Au CNRS, pendant la période 1996 2000, les effectifs budgétaires de chercheurs ont crû de 3,4 % tandis que le nombre d'ITA a diminué de 1,2 %. Il est probable que le balancier est allé trop loin dans ce domaine.

En 2001, le rapport ITA chercheurs était en moyenne de 1,5 dans les EPST. Ce taux paraît donc trop faible pour permettre une dotation suffisante en personnels techniques ou d'ingénieurs dans de nombreux laboratoires au regard des effectifs de chercheurs.

Je voudrais également dire quelques mots des contrats.

M. Jean ARTHUIS, président - J'ai compris que la Cour mettait aussi en cause la qualification de « A ». On recrute des administratifs qui n'ont pas la capacité pour administrer ni pour gérer.

M. Jacques SALLOIS - On ne recrute effectivement pas des administratifs, mais des ingénieurs et des techniciens sur des dossiers scientifiques, donc sans que la compétence administrative soit prise en compte a priori. C'est la raison pour laquelle je disais que l'on avait un regret, celui de n'avoir pas insisté sur la nécessité d'une formation de ces personnels une fois recrutés.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Il y a un peu d'hybride dans l'administration de la recherche. C'est pourquoi il faut faire attention quand on parle de mobilité des chercheurs vers l'administration de la recherche : un mauvais scientifique ne devient pas forcément un bon administratif. Là aussi, il y a de véritables reconversions à organiser. Cela fait aussi partie de nos projets.

Une remarque sur les contrats : l'année dernière a été proposée la création d'un certain nombre de contrats à la place d'emplois statutaires. Le principal problème a été le profil de ces contrats.

Proposer d'entrer dans le système de la recherche à environ 1.500 euros nets par mois est tout sauf séduisant. Quand il n'y a en outre aucune visibilité en termes de moyens ou de recrutement pour constituer une équipe, comme cela se passe couramment aux Etats-Unis, il ne faut pas s'étonner que ces contrats n'aient pas été très bien accueillis.

Il faut des contrats d'accueil, qui permettent une véritable souplesse -il y en en déjà 7 % au CNRS et l'un des objectifs de la direction est d'augmenter assez fortement leur nombre- mais si l'on veut qu'ils servent à quelque chose, il faut qu'ils correspondent à un « package », ce qui n'est pas du tout le cas actuellement.

J'en reviens à un autre point, le troisième défi que nous avons à relever, qui est la promotion des carrières scientifiques auprès des jeunes. Cela fait aussi partie du « package ».

Si nous sommes favorables à une gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, c'est aussi pour envoyer un signal fort aux jeunes en formation.

L'Académie des Sciences estime que l'incertitude du recrutement est une des raisons majeures de la désaffection et propose même de revenir à des prérecrutements.

La gestion prévisionnelle doit aussi être mise à profit pour envoyer un signal fort aux jeunes diplômés qui partent. Ce signal passe par une revalorisation du métier de chercheur, notamment en début de carrière.

Dès lors que l'on s'interroge sur l'attractivité de notre appareil de recherche pour les jeunes, de nombreuses questions viennent à l'esprit. L'âge d'entrée dans la carrière est-il trop tardif ? Le niveau de rémunération initial est-il adapté ? Je souhaiterais débattre avec vous des orientations qui nous paraissent nécessaires, discutées notamment à l'occasion de la préparation de la loi.

Le rajeunissement de notre potentiel de recherche, l'amélioration des conditions matérielles d'entrée dans l'appareil public de recherche sont des questions très importantes.

Un mot sur le déroulement de carrière. Votre rapport le souligne très bien : il y a encore des progrès à faire, d'abord parce que le statut de chercheur à vie est source de lourdeur et de rigidité, ce que reconnaissent beaucoup de chercheurs eux mêmes.

Dès lors, si l'on admet que la recherche n'est pas une activité à vie -en tout cas pas pour tous- de nouvelles perspectives de carrière doivent être ouvertes aux chercheurs durant leur vie active.

Il est quasiment impossible, et je n'y suis pas favorable, de changer du tout au tout le statut de 1983, qui bénéficie d'un attachement très fort. Même dans les pays les plus libéraux, comme les Etats-Unis où les pays anglo-saxons, il existe quasiment partout un système où les chercheurs sont des quasi fonctionnaires, voire des fonctionnaires.

D'ailleurs, avant 1983, des articles de presse expliquaient que le chercheur était déjà un peu fonctionnarisé parce que, tout privé qu'il était, le statut de l'époque était un statut qui sécurisait la carrière du chercheur -ce qui d'ailleurs peut être parfaitement justifié dès lors que le chercheur a besoin d'une certaine quiétude, d'une certaine sérénité, d'une certaine sécurité intellectuelle pour mener à bien ses travaux.

M. Jean ARTHUIS, président - Pouvez-vous vous en tenir aux observations faites par la Cour ? Nous reviendrons plus tard sur la loi d'orientation.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - La Cour a fait observer que, dans une carrière de chercheur, il fallait avoir des moments et des possibilités d'aiguillage vers d'autres carrières pour favoriser la mobilité. Je mets de côté la grande question de la mobilité entre universités et EPST, qui est difficile à résoudre, et sur laquelle un certain nombre de solutions techniques commencent à se dessiner.

Je mets également de côté la question de la mobilité vers d'autres secteurs, en particulier vers les entreprises. C'est une vraie question. On pourrait, c'est vrai, assouplir les conditions mises par les établissements publics et placer les chercheurs dans les entreprises. Je crois que c'est également indispensable.

Une évolution est possible vers l'enseignement, l'administration de la recherche, vers la valorisation. La valorisation fonctionne aujourd'hui mieux qu'il y a quelques années. Je crois que la loi sur l'innovation a été une bonne chose. On l'avait préparée avant.

Il y a eu un déclic culturel dans le monde des chercheurs et la valorisation est maintenant considérée comme faisant partie de l'activité des chercheurs, même s'ils sont très loin de faire tous de la valorisation, de déposer des brevets ou de créer des entreprises. En ce moment, nous avons à peu près 500 chercheurs qui créent chaque année une entreprise.

Il y a donc un besoin de mobilité et d'aiguillage. Cela veut dire qu'en même temps, on ait un système d'évaluation qui fonctionne bien. Il faut qu'à un certain moment, l'évaluation puisse exprimer l'idée que le chercheur sort de la voie toute tracée de la recherche à vie.

L'évaluation est, il est vrai, la question clef. La Cour l'aborde. Elle doit être améliorée par l'ouverture à des personnalités extérieures, notamment à des experts scientifiques étrangers et il faut pour tous de véritables instances d'évaluation. C'est un des points faibles.

Elle doit aussi être modernisée en enrichissant les critères sur lesquels les personnels sont évalués. Aujourd'hui, un chercheur qui fait de la valorisation n'est pas spécialement favorisé dans sa carrière de chercheur -c'est parfois même l'inverse.

D'autre part -et c'est un sujet difficile à aborder- nous aurons un système d'évaluation véritablement crédible lorsque la recherche universitaire entrera également dans le champ d'une évaluation complète et quelque peu normée. Il y a une évaluation à l'université, mais elle n'est pas tout à fait la même que dans les EPST.

Restera à résoudre la question de la sanction d'une mauvaise évaluation, qui est une des choses sur lesquelles nous attendons des propositions -mais je pense qu'il y en aura dans la prochaine loi d'orientation et dans les réformes.

Voilà quelques pistes qui me semblent intéressantes pour aller dans le sens des propositions de la Cour, qui sont très intéressantes et qui permettent de regarder le système de la recherche d'un autre oeil. Il est vrai que quand on demande une évaluation par les scientifiques de leur propre système, même si en ce moment il y a une très forte volonté de réforme, l'acuité n'est pas la même.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Avez-vous eu connaissance des 14 propositions de la Cour ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Non, mais on les devine un peu.

M. Jean ARTHUIS, président - Il faudrait nous faire connaître votre position par rapport à chacune d'entre elles. Il faut que ces rapports de la Cour soient suivis d'effets. Sinon, on sait à quoi s'en tenir.

La parole est au rapporteur spécial, René Trégouët.

M. René TREGOUET, rapporteur spécial - La Cour a estimé que les effectifs de jeunes dans le domaine de la recherche sont trop peu fournis et que la moyenne d'âge, en 2002, était déjà fort élevée. Il faut reconnaître qu'à 48-ans, on n'a pas la même capacité d'innovation et de recherche qu'à 30 ou 35 ans.

Vous dites très clairement que les post docs constituent le vivier de la recherche et font fonctionner les laboratoires, mais que le manque de débouchés qui leur sont offerts fait qu'ils sont très souvent attirés par d'autres cieux. Notre groupe de travail étudie des propositions pour inverser les choses. Qu'est-ce qui pourrait faire que ces post docs restent en France, Monsieur le Ministre ?

Le Premier ministre a par ailleurs évoqué ce matin la création d'une Agence nationale de la recherche. Aurait-elle des moyens dans le domaine de la gestion de l'emploi ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Le but est de rassembler dans cette agence des moyens extra budgétaires pour financer des projets et des programmes de recherche. C'est un signal pour bien exprimer la volonté du Gouvernement d'accentuer l'effort en faveur de la recherche. Cette agence multisources pourrait accueillir des financements venant par exemple des privatisations.

Il a également été question des ventes d'or et des intérêts sur le produit des ventes d'or.

L'idée est d'avoir des moyens extra budgétaires permettant, non un pilotage par projet, mais de financer plus facilement des projets ou des programmes et leur donner une visibilité qu'ils n'ont pas aujourd'hui lorsqu'ils apparaissent au travers du Fond national de la recherche.

M. Jean ARTHUIS, président - C'est une agence destinée à collecter des ressources extra budgétaires ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - En effet. Elle pourrait également, en liaison avec un comité d'orientation de la recherche, éventuellement placé auprès du Premier ministre ou du Président de République, donner des coups de pouce dans certaines directions, mais ne serait pas chargée de la gestion des personnels.

M. Jean ARTHUIS, président - Un petit coup d'aide de la Caisse des dépôts et consignations par exemple ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Eventuellement.

M. Jean ARTHUIS, président - On a trouvé d'ailleurs récemment des débudgétisations qui nous paraissaient suspectes -contraires à l'esprit de la LOLF en tout cas.

Peut-être parlera-t-on ultérieurement de cette agence.

La parole est au président Sallois.

M. Jacques SALLOIS - Je me garderai de répondre sur le dernier point que vous avez évoqué. Je ne crois pas qu'il faille empêcher les post docs d'aller à l'étranger ; le problème est de les amener à revenir.

Dans un récent échange, le ministre nous a répondu sur ce point et je crois qu'il a pris un certain nombre de décisions dans la foulée du séminaire gouvernemental de décembre dernier sur l'attractivité de la France puisque, dans certains cas, des primes d'installation ont été prévues et des modulations de contrats ont été également envisagées.

S'agissant de la nécessité de recruter des jeunes, je mettrai d'abord un bémol car, selon les disciplines scientifiques, chacun sait que le profil de carrière peut être très différent. Il paraît que l'on arrive au maximum de sa créativité à 30 ans pour les mathématiciens mais qu'en revanche, dans d'autres disciplines, on peut poursuivre jusqu'à des âges fort avancés. L'exigence du recrutement de jeunes peut donc être modulée.

Deuxièmement, nous avons effectivement dit qu'il y a peu de post docs parce que, depuis plusieurs années, le Gouvernement a préféré mettre l'accent sur les bourses de thèse. Il semble qu'un mouvement se soit déjà amorcé. En effet, la plupart des post docs actuellement en place n'est pas rémunérée sur des bourses officielles, mais sur des bourses externes.

Ce que nous souhaiterions, c'est que l'on fasse l'analyse de cette situation et que, dans la mesure du possible, on soutienne soit ce développement de bourses externes, soit qu'on le relaie par des contributions publiques.

M. Jean ARTHUIS, président - La parole est à M. Henri Revol, membre de la commission des affaires économiques.

M. Henri REVOL, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Je voudrais vous remercier de m'avoir invité.

Le ministre a balayé largement tout le champ de la recherche et la Cour a examiné particulièrement le domaine des EPST et de l'emploi à l'intérieur de ceux ci.

Je vous livrerai quelques constats que j'ai faits récemment, m'étant astreint à une immersion de deux journées dans des unités mixtes de recherche. En discutant avec ces équipes, la plupart des constats recoupent tout ce qui nous a été révélé jusqu'à présent.

J'en retiens particulièrement la situation matérielle très précaire des gens qui, à BAC + 10 ou BAC + 12, entrent dans une équipe de recherche et perçoivent un peu moins de 2.000 € par mois. Imaginons l'attrait que peuvent avoir à l'heure actuelle pour des jeunes gens ces postes de recherche dans notre pays !

Tous les gens avec qui j'ai été en contact ont mis en avant le fait qu'ils consacrent une partie très importante de leur temps à des tâches de gestion administrative et financière pour lesquelles ils ne sont pas préparés.

Ils ont par exemple des problèmes de respect de la loi sur les marchés publics lorsqu'ils veulent acheter un instrument. C'est très complexe pour eux. Quand ils reçoivent des crédits de l'Etat, ils doivent acquitter la TVA en cas d'achat de matériel. Cela représente 20 % en moins et on leur donne en général un contingent qui ne varie pas depuis un très grand nombre d'années. Ils ne sont pas à niveau constant, puisqu'ils payent la TVA depuis 2 ou 3 ans !

Quant à l'évaluation, elle existe, mais la sanction n'existe pas, sauf dans certains organismes comme l'INSERM, qui a commencé à mettre en place des systèmes de primes.

Enfin, le système de l'annualité budgétaire de l'Etat ne confère aucune visibilité aux laboratoires pour conduire leurs travaux, et ceux-ci s'en plaignent -à moyen terme au moins.

M. Jean ARTHUIS, président - Pourquoi n'arrivent-ils pas à se rassembler pour avoir de vrais gestionnaires qui s'occupent des marchés publics ? Comment se fait-il que l'on reste dans cette atomisation complète où chacun essaye de faire des choses qui ne sont pas dans leur vocation ?

M. Henri REVOL - Il leur manque effectivement des spécialistes.

M. Jean ARTHUIS, président - Avez-vous évoqué avec eux cette possibilité ?

M. Henri REVOL - C'est complexe parce qu'ils ont différents statuts.

M. Jean ARTHUIS, président - Ce n'est pas possible ! Vous ferez le même rapport dans cinq ans !

M. Henri REVOL - C'est un peu du bricolage.

M. Jean ARTHUIS, président - Certains affirment qu'on ne prend pas de brevets en France parce que cela coûte cher et qu'on préfère recruter du personnel ! C'est une situation aberrante !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Le problème est le coût de l'extension et de protection des brevets. Pour que ce soit intéressant dans tous ces domaines, il faut une sorte de dépôt mondial, qui coûte beaucoup plus cher. Il faut probablement développer des systèmes d'aide aux dépôts de brevets.

En ce qui concerne la gestion des laboratoires, deux ou trois choses pourraient être mises en place. Il y a un contrôle financier a priori très lourd dans les laboratoires.

M. Jean ARTHUIS, président - La LOLF va changer cela. Le contrôle a priori va disparaître -du moins je l'espère !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - En ce qui concerne le problème des marchés publics, le laboratoire n'est pas l'unité de fonctionnement dans la recherche : c'est l'équipe. Or, les équipes ne sont pas toutes forcément dans le même lieu. Ce qui est important, c'est d'avoir un mandataire administratif et budgétaire unique et, d'autre part, d'avoir, au CNRS, une gestion concomitante des AP et des CP.

M. Jean ARTHUIS, président - La parole est aux commissaires.

M. Aymeri de MONTESQUIOU, membre de la commission des finances - Je voudrais remercier le président Sallois de ce réquisitoire feutré. Je crois qu'il ne tient qu'à nous d'en faire ressortir les aspérités pour lui donner plus de rugosité.

Je suis atterré par ce que j'ai entendu ! Ne pourrait-on confier les établissements à des organismes extérieurs pour avoir un diagnostic à partir duquel on pourrait bâtir quelque chose ? On a l'impression qu'il y a une stratégie et que l'on ne peut pas parler de recherche française.

La LOLF doit être une façon de remédier au terme abominable de « rituel de l'évaluation ». C'est le meilleur antidote contre cette attitude et un des rares moyens pour obtenir des résultats. La recherche sans résultat est une recherche totalement stérile.

Même les sénateurs, en France, ne sont plus sénateurs à vie ! Il n'y a pas de raison que les chercheurs deviennent des fonctionnaires à vie !

Le ministre dit que la recherche est sous administrée ; j'ai la certitude qu'elle est sous gérée !

Un axe majeur à privilégier, c'est une coopération étroite entre les universités et les entreprises. Peut-être cela apporterait il un début de solution aux chercheurs. On comprend qu'ils veuillent être rassurés sur leur avenir, mais après ? A partir du moment où ils ont démontré leur efficacité et leur savoir faire, ils seront repérés par les entreprises qui feront partie du conseil de surveillance ou du conseil d'administration.

De même pour les brevets : s'il y a des entreprises dans le conseil d'administration de l'université, celles-ci pourront trouver tout à fait profitable de breveter une recherche et de l'exploiter.

N'y a-t-il pas là un début de solution ?

M. Yves FREVILLE, membre de la commission des finances - Le constat est accablant d'autant qu'il est exactement le même que celui que l'on pouvait formuler il y a 25 ans A l'époque, j'étais directeur de laboratoire et je siégeais au conseil d'administration du CNRS. La situation s'est plutôt aggravée.

Le problème n'est pas que des Français aillent à l'étranger mais que nous soyons incapables d'attirer des étrangers.

On a un statut qui donne des traitements moyens qui ne permettent pas de conserver du personnel d'excellence. Peut-on le faire dans le cadre du statut de la fonction publique ? Je ne le pense pas et les propositions faites en son temps par le président de l'INSERM me paraissent aller dans le bon sens.

La deuxième remarque concerne l'existence même d'un statut de chercheur. Le problème n'est pas d'avoir des chercheurs à vie mais à plein temps. A l'étranger, tout se règle entre 30 et 40 ans. A 30 ans, on a sa thèse ; en France on considère qu'à partir de là on peut recruter un chercheur. C'est faux : il n'a pas encore fait de recherche. A 40 ans, dans tous les pays étrangers, on est quasiment assuré à vie de sa situation.

Tout le problème est entre 30 et 40 ans, dans la période post doc, qui n'existe pas en France, puisque nous avons pris le parti de recruter à 30 ans des chercheurs à plein temps. Or, cela ne se passe pas du tout comme cela à l'étranger.

Nous n'avons pas voulu de post docs. Pourquoi ? Quand on a eu, dans les années 75, beaucoup de recrutements de post docs, on a créé des hors statuts qui ont été payés pendant 3 mois sur l'enveloppe de la recherche. C'est pourquoi il y a maintenant un départ énorme.

Tant que l'on ne réglera pas la question du statut entre 30 et 40 ans, on n'arrivera à rien.

Troisième remarque : on ne peut avoir un statut intermédiaire entre 30 et 40 ans que s'il y a des pistes de sortie. Or, les pistes de sortie, en France, n'existent pas dans le secteur privé parce que nous avons une autre culture, de grandes écoles, des recrutements d'ingénieurs. Aux Etats-Unis, cela fonctionne bien. Ce débouché n'existe pas en France. Nous avons donc un problème d'organisation de ce débouché.

Deuxième problème : nous sommes dans la situation de l'académie des sciences de l'URSS. Le CNRS existant avant que les universités n'aient été créées, nous n'avons pas su organiser un statut d'enseignants chercheurs qui puissent faire de la recherche. En effet, si vous faites votre nombre d'heures statutaires de professeur d'université, vous ne pouvez faire de la recherche.

Les universités comme Orsay ont pu se créer parce que les professeurs, n'ayant pas un nombre suffisant d'étudiants, ne pouvaient faire qu'un tiers de leur service d'enseignement et pouvaient donc faire de la recherche.

C'est le problème du statut du professeur d'université qui est en cause.

Je termine en disant qu'en matière d'évaluation, tous nos systèmes sont du bricolage. J'ai été président du Comité national des universités pour les sciences économiques avec 30 de mes collègues qui se réunissaient 3 jours par an pour évaluer 2.000 personnes ! Un énorme problème d'évaluation se pose et on ne pourra le résoudre dans le cadre du CNRS !

M. Maurice BLIN, membre de la commission des finances - Pourquoi la France souffre-t-elle davantage que ses voisins de ces graves défauts que vous venez de décrire avec autant de pertinence ?

Peut-être la grande tradition française veut-elle que la recherche soit une matière noble, qu'elle n'ait pas de comptes à rendre à d'autres qu'à elle même, qu'elle soit étrangère au profit et quelle ne poursuive pas de but intéressé, dans la grande tradition que nous connaissions bien, qui veut que l'intérêt général ne fraye pas avec l'intérêt particulier.

Cela me semble être une des explications de cette résistance, de cette réserve, de cet éloignement que la recherche prend à l'égard du monde profane.

Ma deuxième observation porte sur la relation entre la recherche appliquée et la recherche fondamentale. J'ai lu nombre d'articles depuis six mois disant qu'on allait assassiner l'intelligence et condamner à jamais la recherche fondamentale.

L'Amérique domine à peu près tous les secteurs de la recherche appliquée, mais aussi de la recherche fondamentale. C'est également une société organisée autour du profit et du résultat.

Pour me consoler de ce divorce auquel je n'arrive pas à me résigner, je pense à Pasteur, franc-comtois obstiné qui a découvert le microbe, mais qui a commencé par soigner la maladie du vin ou de la bière. En bon fils de tanneur, lié au sol, à la terre et aux vignes, il a commencé par répondre à des questions très concrètes que lui posaient ses collègues d'Arbois.

C'est en cherchant les solutions à des problèmes extraordinairement modestes qu'il a débouché tardivement sur la découverte du microbe.

Je me pose donc une question : vous avez parlé des chercheurs ; vous avez parlé de leur âge. Vous avez raison, mais la recherche c'est d'abord une vocation, une passion. Cela ne peut être un métier ! Or, tout ce que j'ai entendu m'a conduit à penser que « chercheur à vie » devient un vrai métier. S'il est un métier, il n'est plus rien ! Il faut qu'il soit davantage que cela.

Je donnerai un dernier exemple : en 1945, 1950, 1955, 1960, c'était l'Etat qui avait pris, sous l'égide du général de Gaulle, la recherche en mains -mais elle répondait vraiment à une sorte d'impératif physique et politique puissant. Il fallait que la France accède à un niveau de compétences internationales qui rejoignent celles des Etats-Unis. Il fallait ensuite, quand on s'est lancé dans la recherche nucléaire, que nous échappions à la dépendance vis-à-vis du pétrole.

Il y avait dans ces recherches sous la tutelle d'Etat un impératif puissant qui passionnait et l'opinion et la recherche. La biologie sera demain, aux Etats-Unis, une source formidable de profits qui leur permettra de tenir les marchés et de dominer la planète. Si cet impératif n'est pas ressenti par l'élite et par le peuple, il n'y n'aura qu'une recherche moribonde, de façade, qui remplira les articles des journaux, qui donnera beaucoup de soucis à M. le ministre et qui vaudra à la Cour des comptes de remarquables travaux, mais je ne vois de réveil que dans un changement de culture.

Actuellement, en dehors de quelques recherches menées en Aquitaine sur les problèmes posés par les reproductions en laboratoire des essais nucléaires autrefois à l'air libre, de recherches très lointaines mais vertigineuses concernant la fusion de l'atome avec ITER, pourquoi chercher et que chercher, surtout si on est indifférent au profit ?

Il est évident qu'une société privée ne fera de profits qu'avec des résultats vendables. Or, apparemment, elles ne se précipitent pas et les esprits n'y sont pas préparés parce qu'ils servent un autre ciel qui est celui de la recherche fondamentale. Y a-t-il une recherche fondamentale qui ne commence par être appliquée ?

M. Pierre LAFFITTE, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Je voudrais donner une note moins pessimiste sur les possibilités et l'état de la recherche française. Je suis d'accord avec les réformes et les évaluations indispensables et complexes, notamment sur la difficulté d'un statut de fonctionnaires chercheurs.

Je prendrai l'exemple de l'EPIC que constitue le CEA. C'est quand même grâce au CEA que la France est devenue numéro un mondial dans un domaine énergétique considérable et moderne nécessitant des quantités de recherches fondamentales !

Indépendamment de ce domaine d'excellence français émanant du CEA dans le secteur énergétique, je veux citer un autre domaine d'excellence qui est celui des NTIC.

Le LETI a réussi, dans la région de Grenoble, à monter un système qui fait que nous sommes dans le peloton de pointe, y compris pour les recherches pointues dans le domaine non seulement des microtechnologies, mais aussi des nanotechnologies. Par conséquent, les choses ne sont pas impossibles avec l'arsenal que nous avons.

Indépendamment des EPIC, on a d'autres possibilités. La Cour connaît l'association ARMINE, que j'ai créée il y a 40 ans, qui rémunère des personnels sous statut privé et recourt à des contrats de recherche avec des industriels. Dans cette association, nous pouvons faire venir les meilleurs américains lorsqu'on nous en avons besoin, mais nous les rémunérons au niveau qu'il convient.

Ce système qui combine structures publiques et privées est de plus en plus à la mode et, grâce notamment aux fondations, permettrait de résoudre certains problèmes graves. Quand on veut rattraper un retard, je ne connais pas d'autres méthodes que de faire venir quelques Américains, quelques Chinois ou quelques Japonais à la pointe de la recherche mondiale. La France est suffisamment attrayante par ailleurs pour que nous n'ayons pas l'obligation de leur donner des salaires américains, qui sont parfois de 400.000 dollars pour un grand scientifique.

A Sophia Antipolis, un certain nombre de nos meilleurs chercheurs viennent du MIT, puis sont ensuite passés chez Microsoft ou ailleurs, mais il y a aussi des possibilités de retour puisque nous avons plusieurs milliers de savants étrangers qui viennent travailler à Sophia Antipolis.

Ceci est impensable dans les structures universitaires ou de type EPST actuelles.

N'est-il pas possible d'obtenir un certain nombre de contractuels fléchés pour les gens de haut niveau ? Ce n'est pas dans les moeurs, mais cela pourrait y entrer dans la mesure où on arrive à développer une culture de l'excellence pour un certain nombre de pôles. Sans cette volonté, on est dépassé face à des développements rapides comme ceux de la Chine et c'est d'autant plus grave que c'est par l'innovation que l'on peut arriver à relancer l'économie !

M. Jean ARTHUIS, président - Monsieur le Ministre, une ou deux questions avant de conclure.

Depuis que vous êtes dans ce ministère qu'avez-vous fait pour donner de la consistance au pilotage des ressources humaines, pour suivre la mobilité par exemple, pour faire bouger les instruments d'évaluation ?

Quel est votre projet ministériel pour donner de la consistance à une véritable gestion des ressources humaines, en veillant à ce que ces différents établissements publics scientifiques et technologiques se dotent des instruments indispensables ?

Deuxième question : ne craignez-vous pas, si l'on reste sur des considérations assez générales, qu'à un moment donné puissent se coaguler des revendications dont on ne sort qu'en annonçant l'ouverture de crédits supplémentaires et des créations de postes ?

La seule façon de déjouer cette coagulation n'est-elle pas de développer des moyens de gestion dans chacune de ces unités pour qu'elles aient les moyens d'y voir clair et qu'elles rendent des comptes, autrement dit d'appliquer les principes généraux de la LOLF ?

Lorsqu'on évoque globalement ces questions, à chaque fois, la médiatisation aidant, on termine dans le mur. Rien ne change et le corporatisme marque quelques points supplémentaires au détriment de l'intérêt général.

La seule façon d'en sortir est vraiment de demander des comptes à chacune de ces unités ; or, l'impression que l'on a de l'extérieur est que chacun bricole dans son coin, totalement isolé.

Quelle est votre stratégie pour sortir de cette logique de revendication globale qui, finalement, isole un peu plus la recherche et l'enferme dans ses archaïsmes ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je crois qu'il est indispensable qu'il y ait dans la recherche une culture de résultats. Cela ne veut pas dire forcément une culture de résultats financiers et économiques, car il y a des domaines de la recherche qui ne se prêtent pas vraiment à une évaluation économique.

Dans le secteur des sciences humaines, par exemple, il est très difficile d'avoir des obligations de résultats. Il n'empêche qu'il peut y avoir en même temps des évaluations et il n'y a aucune raison que les sciences humaines ne connaissent pas également la possibilité d'être évaluées !

Cette culture de résultats existe intrinsèquement. Chaque chercheur a envie de trouver. C'est la passion qui l'anime et le but est d'obtenir un résultat, on ne peut le nier.

Le problème est que cette culture de résultats est insuffisante au niveau du laboratoire, de l'établissement ou des directions en ce qui concerne le CNRS.

Résultat veut dire en même temps performance. Dans la recherche, elle se mesure traditionnellement par les publications et par la bibliométrie. Il faut sans doute aller plus loin et avoir des critères supplémentaires qui viennent s'y ajouter. La LOLF est pour cela une excellente chose puisqu'on va mettre en place des objectifs et des indicateurs dans chaque établissement, qui vont être conçus pour donner un contenu à cette culture de résultats si nécessaire.

En ce qui concerne la gestion humaine, il faut donner davantage de responsabilités aux établissements car, même si nous avons un bureau qui s'occupe des emplois, celui ci ne voit pas énormément de choses quant à la politique du personnel menée par chaque établissement. Les EPST, par exemple, représentent à peu près 40.000 personnes, dont deux ou trois très grosses unités, comme le CNRS.

Nous essayons cependant de faire une analyse établissement par établissement, domaine scientifique par domaine scientifique, en tentant de trouver des solutions différenciées. En effet, l'uniformité n'est pas adaptée à la gestion de la recherche et c'est sans doute parce qu'il y a eu trop de règles uniformes en matière de gestion qu'il y a eu des détournements de procédures.

Le fait qu'existent des solutions intelligentes et astucieuses comme ARMINE montre que le système global est très opprimant, ne permet pas vraiment de liberté et que le seul moyen est de le contourner avec de telles opérations ou des associations qui, par ailleurs, pèchent par manque de statut, comme la Cour l'a souvent noté -peut être avec une peu de sévérité. Certes, quelques libertés sont prises par rapport à la comptabilité publique, mais ce sont des systèmes efficaces. Je pense qu'il faudra donc donner également un statut à toutes ces excroissances.

L'analyse précise, établissement par établissement, doit se faire au besoin par des audits menés sur les politiques de personnels, avec l'appui de la Cour. Tout cela se double d'approches particulières, établissement par établissement.

Nous voudrions un système plus souple qu'aujourd'hui. La souplesse est difficile à imposer. Il faut un consensus sur quelques points particuliers. Nous pensons qu'une meilleure gestion viendrait d'une gestion par site d'un certain nombre de questions. Il y a en France des sites d'excellence, mais qui n'ont pas de concrétisation juridique, budgétaire, évaluative, ni de valorisation.

Sophia-Antipolis, Grenoble, le plateau de Saclay sont des sites d'excellence. Il est miraculeux que cela marche, mais il est probable que cela pourrait mieux marcher et devenir un lieu de référence et d'excellence avec une gestion de site qui implique des modifications profondes dans les relations entre l'établissement central et les laboratoires. Avec une véritable décentralisation et une gestion autonome du site, je pense que nous aurions de bien meilleurs résultats, avec plus de rigueur et une plus grande efficacité.

Maurice Blin a demandé quels étaient les buts d'une politique recherche. Ils évoluent avec les années. Le premier, c'est la connaissance, qui justifie la nécessité de la recherche fondamentale. Celle ci ne débouche pas forcément sur de la recherche appliquée ou sur des applications. Elle a sa valeur intrinsèque.

Le deuxième objectif est un objectif de souveraineté, qui a correspondu à la mise en place de pans entiers de notre politique scientifique, où nous sommes excellents. Domaine nucléaire, aéronautique, espace : le niveau de la recherche française est excellent.

Aujourd'hui, cela correspond moins qu'avant à de grands programmes, mais il reste l'idée d'avoir des technologies de souveraineté dont nous avons besoin si nous voulons, même en tant qu'Européens, avoir aussi la maîtrise de certains secteurs dans l'économie.

On voit bien que technologie et puissance industrielle ou de services vont de pair. Dans l'informatique, en ce moment, le retard européen est terrible par rapport aux Etats-Unis, que ce soit dans le software ou dans le hardware, très largement parce que nous n'avons pas d'entreprises supports qui permettent une recherche.

Il y a de la recherche fondamentale sur le hardware CNA, INRIA mais il y a un problème de débouchés industriels qui pourraient utiliser cette recherche.

C'est un problème crucial pour notre avenir industriel, technologique et la localisation en Europe d'un certain nombre d'activités.

Le troisième objectif d'une politique de recherche est la valorisation de la recherche, sa diffusion et les retombées économiques. Un des grands changements est la demande sociale de recherche. Il y a relativement peu de demande sociale dans le domaine du nucléaire -encore que l'on a arrive à déboucher sur l'énergie propre- mais la demande sociale dans la santé est énorme et justifie une politique de recherche active avec, comme point de départ, une politique de recherche fondamentale, dont il est difficile d'imaginer qu'elle ne soit pas financée sur fonds publics.

Cela peut en choquer certains mais, à peu près dans tous les pays du monde, y compris aux Etats-Unis, l'essentiel de la recherche fondamentale se fait sur fonds publics. On le voit bien dans la pharmacie : vous n'aurez jamais de recherche fondamentale portant sur les maladies orphelines financée en direct par l'industrie pharmaceutique.

Cette valorisation sociale et économique de la recherche est en même temps un but pour une politique de la recherche.

Le quatrième élément est celui du rayonnement de la France. La France est un grand pays de recherche. Or, il y a comme un système d'attribut pour un grand pays de recherche et notamment celui de couvrir l'ensemble du spectre de la recherche, en particulier les sciences sociales, humaines, mais aussi les domaines plus proches du militaire et des domaines encore plus actuels que sont les sciences du vivant.

Ces quatre objectifs dessinent les objectifs généraux d'une politique de recherche.

Evidemment, la France a des faiblesses, mais nous avons aussi des résultats.

Le niveau de la recherche française est très bon dans certains domaines, mais il en est d'autres où on a pris du retard. Un bon indice, ce sont les projets financés par les PCRD européens, où les taux de retour dans le domaine du spatial ou de l'aéraulique sont autour de 40 %.

Inversement, dans les sciences de la vie, on a des taux de retour à 7 ou 8 %. Dans le cancer, on a à peu près ce niveau-là, ce qui montre bien une certaine infériorité.

Je ne suis pas sûr que ce soit celui du niveau de notre recherche, mais c'est en tout cas celui de l'organisation même de notre système.

Quant au lien avec les entreprises, toute la recherche ne peut être tournée vers l'entreprise, mais il est vrai que les entreprises qui obtiennent de meilleurs résultats sont aussi celles qui font le plus de recherche. Il y a un lien, entre croissance, dépenses de recherche et dépenses de recherche développement.

C'est pourquoi le chiffre annoncé de 3 % du PIB européen en matière de recherche est une nécessité. C'est sans doute un objectif à 2010 et on verra ce qui se passera, mais il n'est pas mauvais d'avoir une perspective. Augmenter le niveau de la recherche développement dans un pays a fatalement des retombées technologiques et des retombées en termes de localisation des entreprises.

Si on veut garder des entreprises à haut niveau de technologie en France, il faut que les centres de recherche aient les moyens et qu'ils aient une certaine attractivité. Le niveau de la recherche est en soi un atout, mais il faut y ajouter des atouts financiers.

La Cour renvoie très justement aux 35 heures dans la recherche. C'est une affaire assez peu connue. Elles touchent sans doute peu les chercheurs, qui sont des gens qui ne comptent pas leurs heures, mais pour tout le personnel qui est autour, en particulier les ingénieurs, cela a de vraies conséquences. Les 35 heures sont vraiment appliquées au CEA, au CNRS ou dans d'autres établissements, et ce n'est pas sans conséquences sur l'efficacité de notre recherche.

Concernant les liens avec l'entreprise, beaucoup de choses sont possibles : certaines existent déjà, comme ces 25 laboratoires mixtes ce qui est terriblement faible pour notre pays, il est vrai. Il y a aussi la question, qui rejoint celle des post docs, de la place des docteurs dans la hiérarchie universitaire. Dans le système des diplômes français, le docteur n'est pas reconnu comme il l'est dans à peu près tous les pays.

Est-ce une affaire de reconnaissance dans les conventions collectives comme le disent certains ? Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement celà. Il y a aussi une question d'habitude à travailler dans l'entreprise.

Mais, pour qu'il y ait recherche, il faut aussi que les entreprises fassent un effort et aient envie de le faire. Il faut donc qu'elles acceptent de prendre un risque avec un taux de retour sur investissement qui n'est pas forcément immédiat.

Or, en France, on est dans une incompréhension par rapport à ce problème qui est terrible. On le voit sur les start-up en matière d'amorçage. Dans le tour de table sur les start-up, nous sommes en retrait par rapport aux Etats Unis. En France, on demande à une start-up en biotechnologie 15 % de taux de retour au bout de 2 à 3 ans ; aux Etats Unis, le numéro 3 de la biotechnologie est une entreprise qui a fait, en 2003, un chiffre d'affaires de 800 millions de dollars et qui a, par ailleurs, dépensé en recherche développement 1,5 milliard de dollars !

Elle a trouvé des financeurs qui n'étaient pas issus de la bourse ; ils ont accepté de porter le projet de cette entreprise et l'acceptent depuis plusieurs années. En France, on n'en est pas là. C'est donc aussi une question de culture d'entreprise et de culture du risque.

Il y a, d'autre part, des secteurs qui ont malheureusement régressé et sur lesquels il faut que l'on reprenne la main. En 1996, par exemple, les dépenses de recherche de France Télécom représentaient 4 % de son chiffre d'affaires ; aujourd'hui, elles représentent moins de 2 %.

On sait la place du secteur des télécommunications dans la recherche privée, alors que par ailleurs les nouvelles entreprises de télécommunication, comme les opérateurs de mobiles n'investissent presque rien en matière de recherche ! Pourtant, ils profitent d'une recherche qui a été faite il y a quelques années !

C'est d'autant plus grave que la nouvelle génération va arriver et qu'il y a de la recherche à faire sur les utilisations. Si elle n'est pas faite chez nous, elle sera faite au Japon ou par Nokia, en Chine. Dès lors, on sera de nouveau dans un état d'infériorité par rapport à des opérateurs essentiels dans un domaine qui est promis à une expansion fantastique.

M. Jean ARTHUIS, président - France Télécom le fera peut-être même en Chine !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Hélas ! De même, Alcatel a quasiment complètement transféré sa technologie du téléphone en Chine. On assiste actuellement à des délocalisations de pans entiers de la recherche au niveau européen. Les multinationales le font couramment parce que l'achat sur étagère est en vogue. Il y a aussi l'externalisation. On regarde où c'est moins cher !

Il existe par exemple, dans le domaine de l'informatique, une délocalisation courante en Inde.

Tous les domaines sont atteints et à des niveaux très élevés de technologie, en particulier pour les sciences du vivant, domaine dans lequel, en Chine, les progrès sont remarquables, y compris en recherche fondamentale. Il faut donc que l'on se réveille. L'action publique est nécessaire, parce que le marché n'incitera pas les grands secteurs mondialisés à investir chez nous dans la recherche s'il n'y a pas de réaction française et européenne.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci, Monsieur le Ministre.

Je suis tenté de vous poser une ultime question : qu'est-ce qui différencie un chercheur et un ingénieur dans un laboratoire ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - L'ingénieur est une sorte d'adjoint technique, bien que quelques-uns soient sortis des grandes écoles. Ce sont deux statuts différents.

M. Jean ARTHUIS, président - Le souhait de la commission est de veiller à ce que ces rapports aient une valeur ajoutée et que l'on n'empile pas les rapports les uns après les autres.

J'ai été frappé par les propos d'Yves Fréville, qui disait qu'il avait lu à peu près le même rapport il y a 25 ans. Cette espèce de fatalité dans la non gestion, l'absence de visibilité réservent peut être du suspense dans les laboratoires où on ne sait pas ce qu'on va trouver, mais les moyens publics nous sont comptés dans les arbitrages.

D'accord pour 3 % du PIB, à condition qu'il y ait un pilotage par le ministre délégué à la recherche ou alors, c'est le ministère qui est en cause ! Y a-t-il besoin d'un ministère de la recherche ? Quel est le rôle du ministère et quelle est sa valeur ajoutée ? Nous faisons confiance à François d'Aubert pour en faire la démonstration.

Merci aux magistrats de la Cour.

Après ce que l'on vient d'entendre, je crois que vous serez unanimes à souhaiter que cette communication soit publiée. Elle sera complétée par les 14 recommandations arrivées tardivement.

Peut-on dire que le ministre en aura pris connaissance et qu'il nous indiquera les suites qu'il y réserve ? Ce serait plus intéressant pour la publication.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je suis à votre disposition.

M. Jean ARTHUIS, président - Sous huitaine, donc !

La séance est levée à 19 h 20.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page