b) La transformation du rôle des sociétés de reconversion
La multiplication des défaillances industrielles a mué la reconversion industrielle en marché . Les sociétés de conversion des grands groupes, telles que Sodie, Sofirem, Geris, Sofred, entrent en concurrence entre elles ou avec d'autres sociétés privées pour réaliser des prestations commerciales , proposant leurs services aux entreprises et aux collectivités. Par exemple, l'accompagnement au reclassement d'un licenciement de 200 personnes représente un contrat de 300.000 euros, tandis que la délégation d'une équipe de deux personnes pendant trois ans sur un site génère un chiffre d'affaires d'un million d'euros.
Ainsi, les sociétés de conversion poursuivent un but privé qui est antinomique de celui de conseil désintéressé de la puissance publique . L'Etat n'étant plus la tutelle mais un client, le fournisseur tire un avantage de l'asymétrie des informations, laquelle ne permet pas à l'Etat de mesurer le potentiel de réindustrialisation, d'évaluer le coût de revient des prestations proposées, de contrôler la fiabilité des informations sur le nombre d'emplois créés ou sauvés. On peut ainsi relever qu'à l'occasion de son contrôle de la Sodie, la Cour des Comptes avait souligné qu'aucun détail n'avait été fourni sur le calcul des sommes issues du remboursement des prêts aux entreprises réalisés les années antérieures avec les crédits d'Etat.
La remise en cause du dispositif des sociétés de reconversion est aujourd'hui le fait d'acteurs locaux qualifiés dont les territoires sont soit très touchés par des pertes d'emplois industriels, soit concernés par les crises sectorielles du textile ou de la mécanique, soit encore visés par des démarches de délocalisation à l'intérieur du territoire national. Les propos suivants ont été exprimés en 2004 dans Inter-Régions , le mensuel de la Fédération des agences de développement :
« On constate aujourd'hui une forte évolution en matière d'outils professionnels de la reconversion des territoires. Le système reposait sur des sociétés de conversion qui géraient des fonds publics leur permettant un accès direct au marché, avec des pratiques pas toujours efficaces ni forcément les plus partenariales. Avec, par contre, une légitimité venant en fait de leurs crédits d'Etat. Les sociétés de conversion promettaient aux entreprises des prêts à des taux plus ou moins intéressants. Elles finissaient par gérer un stock d'entreprises sur lesquelles travaillait ensuite l'agence de développement, affichant ensuite vis-à-vis des élus des résultats en terme d'emplois quelque peu usurpés » . Jean-Philippe Hanff, directeur de l'agence de développement Midi-Pyrénées.
« Certaines opérations sont parfois "parachutées" avec des effets d'annonce et cela fait du mal à long terme. Quand le CIALA annonce des sommes énormes, des emplois en quantité, et que le ministre concerné accompagné par la société de conversion vient l'expliquer dans des réunions devant trois cents personnes, il est difficile ensuite de rester crédible. Il est regrettable que les spécialistes régionaux, départementaux ou locaux ne soient pas réunis au préalable en comité restreint. Par ailleurs, certaines missions sont financées par des budgets qui passent par des procédures de contrôle européennes très dissuasives. Nous nous retrouvons face à des contrôleurs qui ne connaissent ni les agences, ni leur métier, et qui sont surpris de constater que nous ne sommes pas équipés pour effectuer ces contrôles. Les agences de développement ne sont pas chargées de mettre en place des procédures administratives. Enfin, nous butons sur la longueur des procédures. Actuellement, il faut cinq ans pour faire une zone industrielle. On ne peut pas dire qu'un tel fonctionnement réponde à une nécessité de reconversion » . Gérard Morange, directeur de l'agence de l'Aisne Cap Développement.
« Il y a actuellement quatre ou cinq sociétés de reconversion sur le département, en train de proposer des emplois aux mêmes sociétés du département. Cela montre une incohérence et un certain désordre. En fait, ces sociétés restent six mois, elles tranquillisent l'entreprise, elles ont été bien payées et au bout du compte, elles s'en vont, ce que les syndicats apprécient peu » . Jean-Luc Ansel, directeur du CODEL, agence de développement de l'Eure-et-Loir.