Rapport d'information n° 374 (2003-2004) de M. Francis GRIGNON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 23 juin 2004

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N° 374

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par le groupe de travail (2) sur la délocalisation des industries de main-d'oeuvre ,

Par M. Francis GRIGNON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Bernard Piras, Mme Odette Terrade, M. Francis Grignon, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Gérard Cornu, Jean-Marc Pastor, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, MmeMarie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard Claudel, Marcel-Pierre Cléach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Détraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Jacques Moulinier, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

(2) Ce groupe de travail est composé de : M. Christian Gaudin, président ; MM. Jean-Pierre Bel, Gérard Cornu, vice-présidents ; MM. Yves Coquelle, Bernard Joly, secrétaires ; M. Francis Grignon, rapporteur ; André Ferrand, Hilaire Flandre, Jean-René Lecerf, Philippe Leroy, Max Marest, Jacques Moulinier, Bernard Piras, Daniel Raoul, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel.

Emploi.

PRÉFACE

Rien n'est permanent, sauf le changement

Héraclite d'Ephèse

Délocalisations, désindustrialisation, mondialisation, moindre attractivité du territoire, déclin de la France, décollage économique de la Chine et de l'Inde... Le débat public se nourrit depuis plusieurs mois de ces thèmes, dans un climat anxiogène. Controverses d'experts, inquiétudes syndicales, souffrances populaires et appels aux pouvoirs politiques locaux et nationaux se renouvellent à chaque annonce de plan social et de mesures de restructurations. Doctes ouvrages et pamphlets passionnés, épais dossiers journalistiques, points de vue d'économistes, d'industriels, de représentants syndicaux et d'élus de tous bords se succèdent pour analyser la profonde mutation que connaît depuis quelques années l'économie-monde.

Face à ce maelström d'informations, à cette avalanche de statistiques, à ces cris d'alarme auxquels répondent comme en écho des propos rassurants, il est difficile de faire la part des choses et de se forger une opinion. Les sénateurs que nous sommes, représentants constitutionnels des territoires, souvent investis en outre de mandats locaux, se trouvent trop fréquemment confrontés aux difficultés économiques et aux drames humains résultant de la fermeture d'une usine. Nous en connaissons le prix collectif, le coût social et économique : désarroi des familles frappées par le chômage, effets immédiats sur le tissu local du commerce et de l'artisanat, voire des sous-traitants industriels lorsqu'il s'agit d'un établissement d'une certaine importance, dangereux déséquilibres auxquels se trouve soudain exposée la collectivité tout entière. Souvent, nos concitoyens nous interpellent pour exprimer leur incompréhension et leur colère, nous recherchant comme ultimes recours pour tenter de s'opposer à des événements qui les écrasent.

Mais comment agir, si l'on ne connaît les forces qui déterminent les mouvements de l'économie ? Quelles réponses apporter pour apaiser les angoisses sociales si l'on ne comprend les mécanismes qui forgent les décisions des entrepreneurs ? Quels outils de politique économique privilégier dans ce cadre historique doublement nouveau, constitué à la fois par le processus d'intégration européenne et par l'émergence de formidables puissances économiques, si l'on n'analyse les enjeux et les raisons qui conditionnent ces mouvements ?

Elu d'un bassin d'emplois, le Choletais, dont les entreprises traditionnelles de la chaussure et du textile sont cruellement touchées depuis plusieurs décennies par la désindustrialisation et les délocalisations, il m'a semblé nécessaire de prendre le temps de la réflexion et d'inviter le Sénat à contribuer au débat. C'est dans cette perspective que la commission des affaires économiques, grâce à l'intérêt que le Président Gérard Larcher a bien voulu alors accorder à ma démarche, a créé en décembre 2003 le groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre, dont j'ai eu l'honneur de présider les travaux pendant six mois et dont mon collègue et ami Francis Grignon a été désigné rapporteur.

Une inquiétude prégnante en France ...

Je l'ai dit, notre propos s'inscrit dans un très vaste champ de questionnements témoignant de l'ampleur des craintes que suscitent dans les pays développés les mutations économiques actuelles.

En France, la problématique des délocalisations a déjà été analysée, il y a quelque dix ans, par notre collègue Jean Arthuis. Dans un rapport d'information qui a fait date (1 ( * )), il sonnait l'alerte sur les conséquences auxquelles les différences de coûts salariaux exposaient l'économie française, industrie et services confondus. La place grandissante des Etats du Maghreb et de la Turquie dans les secteurs de l'habillement, du cuir et du textile, la chute du Mur de Berlin et l'ouverture des pays de l'Est à l'économie de marché, ou encore le devenir industriel et technique des colosses en puissance qu'étaient déjà l'Inde ou la Chine, constituaient selon lui autant de signes annonciateurs d'un dramatique affaiblissement de notre tissu économique. Au-delà de la prise de conscience de ces dangers, il préconisait une réaction des pouvoirs publics afin de donner aux entrepreneurs les moyens de lutter contre cette concurrence nouvelle.

Force est hélas de constater que bien peu d'actes ont suivi cette alarme. Pas plus en France qu'au niveau européen n'ont été engagée une politique industrielle, définies des priorités sectorielles et forgés des outils structurels permettant d'anticiper et de réagir, à moyen terme, aux évolutions qu'il annonçait. Bercées par une croissance mondiale d'une incontestable vigueur et tout occupées par la création de la monnaie unique, les autorités nationales et communautaires ont négligé, dans les dernières années du siècle, de s'interroger sur la redistribution mondiale des facteurs de production qui avait cours. Bien pire, pour des raisons parfois doctrinaires, les unes ont diminué le temps de travail et alourdi les charges de nos entreprises tandis que les autres faisaient de la concurrence, entendue dans son acception anglo-saxonne résolument libérale, l' alpha et l' oméga de l'intégration européenne et la clef de voûte de l'édification du marché intérieur.

Aussi n'est-il pas surprenant qu'avec le retournement de cycle advenu en 2002, les questions de la désindustrialisation, des délocalisations et de l'attractivité du territoire français soient brutalement revenues sur le devant de la scène. La multiplication des réflexions menées sur ces thèmes, et dont ne témoigne que partiellement la bibliographie figurant en annexe à ce rapport, en apporte la preuve. Qu'il me suffise ici de citer les travaux entrepris par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'aménagement et le développement durable du territoire (DADDTAN) sur la désindustrialisation du territoire (2 ( * )), l'étude prospective menée par la DATAR sur la compétitivité du territoire (3 ( * )) ou encore le cycle de conférences organisé par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales sur les délocalisations (4 ( * )).

Tout naturellement, ces interrogations se sont également exprimées au niveau politique. Le thème des délocalisations a bien souvent été placé par les différents candidats au coeur des campagnes pour les élections régionales et européennes. Le 19 février dernier, le Président de la République a réuni à l'Elysée une table ronde d'économistes, de chefs d'entreprises et de syndicalistes pour réfléchir aux moyens de défendre les emplois industriels. Le 2 mars suivant, l'Assemblée nationale a examiné une proposition de loi de M. Maxime Gremetz et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains tendant à instaurer des mesures d'urgence pour lutter contre les délocalisations. Une proposition de loi identique a été déposée au Sénat par notre collègue Yves Coquelle et les membres du groupe Communiste républicain et citoyen (5 ( * )), tandis que notre collègue Claude Biwer et les membres du groupe de l'Union centriste déposaient, le 30 avril, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le rôle des centrales d'achat dans la fixation des prix à la consommation et les délocalisations d'entreprises (6 ( * )).

Enfin, le 4 mai, lors de sa première conférence de presse en tant que ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Nicolas Sarkozy est longuement intervenu sur ce sujet, indiquant notamment qu'il envisageait de conditionner l'attribution des aides d'Etat à l'engagement des chefs d'entreprise de ne pas délocaliser leurs activités. De son côté, M. Bernard Accoyer suggérait le 10 mai, lors de sa première interview économique en tant que nouveau président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, un traitement différencié des charges sociales selon les secteurs afin de les alléger dans les branches où les risques de délocalisation de la main d'oeuvre sont importants (7 ( * )).

C'est dire si, en France, la crainte et la condamnation des délocalisations sont unanimes.

... qui n'est pas partagée par tous les pays industrialisés

Apparemment, rien de surprenant à ce que notre pays, ayant fondé sa prospérité depuis 150 ans sur un développement industriel constant, s'inquiète de l'irruption dans le commerce mondial de nouveaux acteurs. Si les géants économiques que sont l'Inde et la Chine sont les plus visibles, et font de ce fait l'objet d'une extrême attention de la part des médias, d'autres puissances émergentes sont aussi en passe de s'imposer prochainement comme des concurrentes redoutables : demain, le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Indonésie, un peu plus tard sans doute, la Russie. A ces nations s'ajoutent, à nos frontières immédiates, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) qui, bien que d'une taille non comparable aux précédents, présentent cependant des caractéristiques de développement économique permettant de craindre leur concurrence pendant de nombreuses années.

Dans ce contexte, la France n'est pas seule à s'inquiéter des délocalisations. Chacun sait qu'aux Etats-Unis, confrontés depuis plusieurs mois à de vastes mouvements de transferts en Inde et en Chine, qui affectent désormais bien davantage le secteur des services que celui de l'industrie, le candidat démocrate, John Kerry, en a fait l'un des axes majeurs de sa campagne électorale. Plusieurs Etats élaborent des législations protectrices et le Congrès lui-même serait sur le point d'adopter des dispositions visant, notamment, à interdire l'attribution de fonds fédéraux à des entreprises ayant délocalisé. Il en est de même en Allemagne où, tout en engageant une polémique avec le patronat à propos de son manque supposé de « patriotisme social », le Chancelier Gerhard Schröder envisage une augmentation de la durée hebdomadaire du travail pour renforcer la compétitivité de l'économie.

Pourtant, tous les pays industrialisés ne réagissent pas aussi violemment à cette problématique. Si, en Italie ou en Grande-Bretagne, le mouvement syndical s'en est aussi emparé récemment pour demander un engagement des pouvoirs publics nationaux et locaux dans la lutte contre les délocalisations, il n'a pas été pour le moment en mesure de susciter un débat public. En effet, sans nécessairement adopter le flegme tout britannique du Premier ministre Tony Blair qui, commentant devant la Chambre des communes, en octobre 2003, l'annonce par le groupe bancaire HSBC de la délocalisation en Inde, en Chine et en Malaisie de quelque 4.000 emplois en moins de deux ans, déclarait simplement que le gouvernement ne pouvait pas empêcher les sociétés privées de transférer leurs emplois hors du pays, nombre d'experts et de gouvernements relativisent les difficultés posées par les délocalisations.

A titre d'exemple, communiqué par la direction des relations économiques extérieures (DREE), on relèvera que la Belgique, dont les caractéristiques industrielles sont, toutes proportions gardées, similaires aux nôtres, ne connaît pas de débat politique national d'envergure sur cette question. Si l'élargissement de l'Union européenne a bien suscité un questionnement tout légitime, le gouvernement belge, s'appuyant sur une étude universitaire commandée pour l'occasion, a estimé infondée la crainte d'une délocalisation massive d'entreprises, s'inquiétant bien davantage de la « dépendance étrangère » dont serait victime le royaume en raison de l'internationalisation accélérée de son économie depuis dix ans. Quant au Japon, ses délocalisations dans l'ensemble de la zone asiatique relèvent même d'une stratégie organisée de manière concertée entre les entreprises et les autorités nippones, ces dernière veillant essentiellement à protéger la propriété intellectuelle afin de ne pas perdre leur leadership technologique au profit de la Chine.

Une inquiétude justifiée ?

Ces différences d'attitude assez significatives des vieilles nations industrielles laissent perplexe. Elles invitent aussi à s'interroger sur la nature même des questionnements portant sur les délocalisations. Ainsi, la nouvelle donne économique internationale justifie-t-elle, en elle-même, les inquiétudes relatives aux délocalisations et, plus largement, à la désindustrialisation ? En d'autres termes, les délocalisations sont-elles un phénomène de grande ampleur statistiquement avéré ? Sont-elles aussi un phénomène réellement nouveau ?

Par ailleurs, nos mandats de sénateurs et d'élus locaux font de nous des observateurs privilégiés de nos territoires, ayant une connaissance intime des difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Mais cette proximité attentive permet-elle de garantir que notre appréhension des mouvements généraux de l'économie est pertinente ? D'assurer que le transfert que nous opérons spontanément du niveau local au niveau global est légitime ? D'affirmer que les délocalisations sont objectivement perverses et condamnables ? D'être certains qu'il faut absolument lutter contre les délocalisations ?

Toutes ces questions ont surgi dès les premières auditions du groupe de travail, en janvier 2004, remettant immédiatement en cause nos plus fortes certitudes. Car les analyses des experts et des industriels, voire des syndicalistes, sont apparues bien moins monolithiques que ne le laissent supposer les manchettes des journaux ou les discours politiques. En outre, de nombreuses questions connexes ont vite émergé, démontrant que l'analyse de l'emploi industriel devait assurément prendre en compte les profonds bouleversements intervenant dans les modes d'organisation des entreprises : l'externalisation de certaines fonctions (aussi appelée « outsourcing » ), le recours croissant à l'intérim, la segmentation des processus de production. Enfin, il est apparu qu'au-delà du secteur industriel, la nouvelle division internationale du travail était également susceptible d'affecter, en aval, des pans entiers du secteur des services aux entreprises, tels la comptabilité, le marketing, le service après-vente, les services financiers, etc., ainsi que, en amont, des activités comme la recherche et le développement.

Une méthode

Face à ce constat, nous avons décidé, avec Francis Grignon et nos collègues membres du groupe de travail, de structurer notre réflexion autour d'un « fil rouge » : l'emploi, point névralgique des inquiétudes soulevées par les délocalisations dans les industries de main d'oeuvre.

Cela signifie que le périmètre de nos travaux a été circonscrit afin de ne pas empiéter sur d'autres études menées concomitamment à la nôtre. Nous avons en effet voulu éviter, autant que possible, toute redondance avec les rapports mentionnés ci-dessus de la DADDTAN sur la désindustrialisation ou de la DATAR sur l'attractivité du territoire, comme avec les conclusions que devraient prochainement adopter nos collègues de la commission des finances du Sénat réunis dans un groupe de travail sur les substituts à la taxe professionnelle, ou avec celles du groupe de travail sur l'avenir de la recherche, commun aux trois commissions des affaires économiques, des affaires culturelles et des finances du Sénat.

Ainsi nous sommes-nous délibérément inscrits aux confins d'autres problématiques plus larges, qui constituent en elles-mêmes des sujets autonomes (la désindustrialisation, les restructurations, l'attractivité de la France, l'élargissement de l'Union européenne), en empruntant à celles-ci ce qui nous paraissait juste nécessaire pour étayer notre propos. Aussi est-il possible que le lecteur ne trouve pas, en toute occasion, les développements que certaines questions soulevées permettraient, en d'autres circonstances, de susciter. Je souhaite qu'il conserve à l'esprit que nous avons simplement souhaité apporter une contribution au débat - laquelle, au reste, ne saurait nullement être définitive - et participer à la réflexion générale portant sur la puissance économique de la France sous un angle particulier et circonscrit.

Mais la modestie de cette démarche conceptuelle ne nous a pas empêchés de réaliser un travail très approfondi et de longue haleine - au surplus réellement collectif, ce dont je me réjouis vivement. Entre la mi-janvier et le début juin 2004, nous avons ainsi procédé à une cinquantaine d'auditions au Sénat, qui nous ont permis de recueillir les analyses très pertinentes de près de quatre-vingt personnalités : ministres, économistes, entrepreneurs, représentants de fédérations industrielles, représentants syndicaux, fonctionnaires de l'Etat et autres experts (8 ( * )).

Ces contributions ont été enrichies par trois déplacements en province destinés à en apprécier, sur le terrain et avec les acteurs locaux, la pertinence. Nous nous sommes rendus dans le Maine-et-Loire, département dont j'ai l'honneur d'être l'élu, dans le Bas-Rhin, à l'invitation de Francis Grignon, et dans la Drôme, à celle de notre collègue Bernard Piras. Nous y avons rencontré plus de quatre-vingt entrepreneurs, élus locaux, fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, responsables consulaires et partenaires sociaux qui oeuvrent quotidiennement, non sans difficultés mais non sans passion ni constance, pour assurer le développement économique de nos territoires (9 ( * )).

Nous avons également fait, naturellement, le voyage de Bruxelles afin d'appréhender les enjeux européens du problème, bénéficiant à cette occasion des contributions éclairées de MM. Jacques Barrot et Pascal Lamy, Commissaires européens, de MM. Jean-Paul Mingasson et Robert Verrue, Directeurs généraux, et de M. Pierre Sellal, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, ainsi que d'une dizaine de leurs collaborateurs (10 ( * )).

Ce programme de travail, très fructueux, a été complété par trois initiatives nous ayant semblé indispensables à la formation de notre opinion.

D'une part, nous avons confié une étude territoriale au cabinet de conseil Formules économiques locales , spécialisé dans l'accompagnement des collectivités locales et des entreprises en butte à des situations de restructurations industrielles. Il nous paraissait opportun, en effet, de confronter les analyses macro-économiques entendues à Paris ou à Bruxelles aux réalités micro-économiques vécues dans les divers bassins d'emplois. Il était également utile de connaître de manière synthétique, au-delà des exemples recueillis lors de nos déplacements en province, les stratégies mises en oeuvre au plan local pour accompagner le phénomène des délocalisations et favoriser la reconversion des bassins concernés. C'est la matière de cette étude qu'a travaillée Francis Grignon pour rédiger la deuxième partie de son rapport.

D'autre part, pour conforter cette analyse territoriale, nous avons sollicité les vingt-deux régions métropolitaines, acteurs essentiels du développement économique local, au travers d'un questionnaire leur ayant été adressé au début du mois de février (11 ( * )). Cependant, malgré une relance réalisée après les élections régionales, peu d'entre elles ont été en mesure d'y répondre à temps, sans doute en raison même de ces élections.

Enfin, il nous a paru intéressant d'obtenir de notre réseau d'expansion économique à l'étranger des analyses sur le phénomène des délocalisations et sa perception politique tant dans les Etats industriels comparables à la France que dans les pays d'accueil des investissements concernés (12 ( * )).

C'est donc d'un ensemble très volumineux d'informations, émanant de sources multiples et diverses et complété par une épaisse bibliographie (13 ( * )), que nous avons pu disposer pour mener nos travaux.

A l'issue de cette réflexion collective de cinq mois, quelles conclusions principales tirer ? La plupart d'entre nous sont aujourd'hui convaincus de deux certitudes nouvelles, radicalement différentes de celles qui fondaient notre démarche originelle, et qui ne manqueront pas de surprendre, sinon de choquer.

Un constat démythificateur

Première certitude : contrairement aux affirmations les plus courantes, il n'existe pas de mouvement de délocalisations massives de nos industries de main d'oeuvre, même si une tendance récente accentue probablement un flux séculaire.

Il est vrai que de nombreux secteurs industriels ont perdu des emplois, parfois en quantités impressionnantes. Certains, tels le textile ou le cuir, connaissent même cette évolution depuis plusieurs décennies. D'autres y sont confrontés depuis moins longtemps, mais de manière apparemment plus prégnante ces dernières années. Toutefois, une part essentielle de cette réalité résulte de l'amélioration de la productivité, de la substitution capital-travail et des modifications intervenues dans les modes d'organisation des entreprises qui, avec l' outsourcing et le recours au travail temporaire, affectent de manière artificielle la répartition statistique des emplois entre les services et l'industrie. En outre, l'atonie de la croissance française a naturellement renforcé les difficultés ces trois dernières années. Or, toutes ces évolutions auraient également pu survenir dans une économie fermée et donner des résultats relativement similaires en termes de pertes d'emplois industriels.

Certes, au-delà de cette réalité, il existe à l'évidence des délocalisations d'entreprises et d'activités. Mais ni leur nombre, ni la place qu'elles semblent occuper dans la réalité des mutations industrielles ne correspondent à l'image qu'on s'en fait. Comment expliquer alors l'emballement médiatique dénonçant l'hydre des délocalisations ?

D'abord, sans aucun doute, à l'absence de définition consensuelle et clairement établie du phénomène. Dans son acception la plus stricte, la délocalisation est le transfert de capacités de production d'un site national vers un site étranger afin d'importer, pour satisfaire la consommation nationale, des biens et services jusqu'alors produits localement. Tous les observateurs compétents, économistes, industriels, experts publics, s'accordent sur le fait que ce type de délocalisation est, au regard de l'ensemble de l'économie, extrêmement résiduel. Il ne concerne de manière significative qu'un nombre limité de secteurs et, pour beaucoup, ne touche même que certains segments du processus de production. L'autre définition, plus large, qualifie de délocalisations les investissements directs à l'étranger (IDE) ou les accords de sous-traitance conduisant à produire à l'extérieur des biens et services qui, dans d'autres circonstances, auraient pu l'être localement pour être exportés. Ce modèle est, lui, plus important en termes de flux financiers. S'agit-il pour autant de « délocalisations », dès lors qu'il n'induit pas de pertes locales d'emplois ? L'exemple de notre industrie automobile permet d'en douter. On ne peut cependant pas totalement exclure ce processus du champ de l'analyse si l'on estime qu'à terme, la production délocalisée ne sera pas seulement consommée sur place mais viendra aussi concurrencer, sur le marché intérieur, la production nationale.

Le deuxième biais tient à l'absence d'outils statistiques fiables permettant de distinguer précisément les délocalisations. Des évaluations sont tirées du croisement des indicateurs de l'emploi et de la production industriels, du commerce extérieur et des flux d'IDE, mais chacun s'accorde à reconnaître qu'elles ne sont pas totalement satisfaisantes. Dès lors, nul étonnement qu'elles prêtent à controverses, d'aucuns considérant qu'elles conduisent à sous-estimer la réalité du phénomène. Le groupe de travail ne disposait naturellement pas des moyens de trancher la question : tout au plus relève-t-il que si la plupart des économistes estiment à 4 ou 5 % des IDE les investissements porteurs de délocalisations, le mouvement ne saurait être qualifié de « massif » quand bien même il serait en réalité quelque deux à trois fois supérieur.

La dernière raison, qui découle en partie des deux précédentes, résulte de l'amalgame régulièrement fait entre délocalisations et restructurations industrielles, accroissement des échanges internationaux et développement économique de nouvelles puissances industrielles. On ne peut nier qu'il existe aujourd'hui une certaine coquetterie médiatique à ajouter le terme « délocalisation » dès que sont évoquées des difficultés industrielles liées au jeu traditionnel de la concurrence. Personne ne songeait à le faire lorsque, jusqu'il y a peu de temps, les effets de la concurrence restaient confinés au territoire national ou se limitaient aux seules nations industrialisées. Mais dès lors que le site « gagnant » est localisé dans un PECO ou un pays d'Asie, le « perdant » est immédiatement qualifié de victime des délocalisations.

Il n'est donc pas inutile, ce que s'efforce de faire le rapport de Francis Grignon, de ramener le phénomène à ses justes proportions et de le démythifier.

Démythifier ne signifie toutefois pas nier. Notre rapporteur démontre qu'il existe en effet des problèmes et en analyse les causes, comme les conséquences. Il détaille les déterminants des délocalisations, au premier rangs desquels figurent les coûts, les qualifications et la flexibilité de la main d'oeuvre, qui expliquent à la fois l'attrait que présente pour les industriels occidentaux des pays comme la Chine, l'Inde ou les PECO, et les mouvements concurrentiels nouveaux apparaissant dans le secteur des services, dans les industries technologiques et dans la recherche-développement. A cet égard, il souligne que la compétition ne porte plus seulement sur les produits ou segments productifs à faible valeur ajoutée, mais sur des activités pour lesquelles les pays développés estimaient pouvoir conserver une avance permanente.

Si elle contrarie l'affirmation catastrophiste élevée au rang de credo , mais erronée dans sa généralité, cette analyse plus subtile a pour vertu d'autoriser des suggestions plus pertinentes pour contribuer à définir une politique économique permettant réellement à la France de relever les nouveaux défis de l'économie-monde.

Une problématique sectorielle et territoriale

Seconde certitude, tout aussi iconoclaste : les délocalisations ne sont pas nécessairement, en tant que telles, une calamité économique. Au contraire, elle peuvent pour beaucoup témoigner d'un dynamisme qu'on ne saurait décourager.

En effet, les transformations de la division internationale du travail ne sont que la conséquence inéluctable, normale et positive, de l'intégration croissante de l'économie mondiale et de l'ouverture des Etats au commerce international. Si l'on admet que l'échange est une condition de la croissance et que la concurrence favorise l'enrichissement général, il est indispensable que l'ensemble des partenaires soient en mesure de participer au jeu du marché. Dès lors, la mise en oeuvre pratique de la théorie des avantages comparatifs conduit nécessairement à des spécialisations ayant pour conséquences l'abandon d'activités par certains systèmes productifs. Cette réalité ne devient un problème que si un tel abandon n'est pas compensé par la création d'activités nouvelles susceptibles de générer de la richesse.

Là encore, les témoignages recueillis par le groupe de travail sont très consensuels. Il paraît vain de s'évertuer à conserver sur le territoire national la production de biens industriels ou la fourniture de services dont la maturité conduit à limiter la concurrence à une simple question de coûts. Mieux vaut porter l'effort sur des secteurs où l'innovation et l'intensité en valeur ajoutée justifient l'intérêt de produire localement. La substitution des uns aux autres est à la fois un gage et une condition d'une croissance équilibrée et partagée entre les différents partenaires.

Depuis trente ans, la France est résolument entrée dans ce vaste mouvement d'échanges mondiaux. Elle en a tiré un indiscutable profit : elle est un des principaux Etats exportateurs, ses entreprises investissent sur toute la planète, elle compte nombre de « champions » industriels, qui occupent des places de leaders sur leurs marchés. Cette ouverture a également eu pour conséquence d'enrichir ses consommateurs, qui ont pu disposer de biens et de services obtenus à des coûts moins onéreux que s'ils avaient été produits sur le territoire. La délocalisation d'un certain nombre d'activités apparaît, dans ce contexte, comme la conséquence et le facteur d'un mouvement qui ne saurait être remis en cause.

Mais s'il ne condamne pas le phénomène des délocalisations dans son principe ni dans son ensemble, le groupe de travail ne méconnaît pas, pour autant, trois difficultés essentielles qu'il lui semble indispensable de résoudre.

Il est tout d'abord nécessaire que la mise en oeuvre pratique de la théorie de la spécialisation productive s'exerce dans des conditions respectueuses d'un certain nombre de règles. C'est pourquoi le groupe de travail juge-t-il essentiel de favoriser l'émergence, au plan international, de comportements garantissant le jeu normal de la concurrence, interdisant notamment les barrières tarifaires et non tarifaires, les mesures de dumping fiscal ou social et les entraves injustifiées au commerce international. La France, comme les autres pays occidentaux, doit ainsi contribuer à définir des normes minimales en matière de droit du travail, de propriété intellectuelle, de fiscalité, de protection de l'environnement, etc., et parvenir à garantir leur respect afin d'éviter que des secteurs économiques ne soient pénalisés de manière indue par une insuffisante loyauté des relations commerciales internationales.

Deuxième difficulté : la capacité pour l'économie française de se positionner correctement sur les créneaux lui conférant un avantage comparatif et porteurs de croissance. Dans ce domaine, il apparaît que le bât blesse. La France n'a pas su, au contraire de l'Allemagne et du Japon, spécialiser son outil industriel dans des secteurs lui permettant notamment d'accompagner à l'exportation la formidable croissance des économies asiatiques. Ses efforts en recherche et développement sont bien insuffisants et elle ne cesse de perdre en dynamisme face, en particulier, aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne. A l'exception de quelques niches comme le nucléaire ou l'espace, elle figure en queue du peloton des pays industrialisés dans les secteurs innovants, ce qui augure mal de ses perspectives de croissance à moyen terme. Voilà certes de quoi alimenter de sérieuses inquiétudes, bien plus légitimes que celles posées par la délocalisation de certains segments industriels arrivés à maturité.

Il est enfin certain que la transformation de la structure économique, toute nécessaire et positive qu'elle soit au plan global, n'est pas exempte de « frottements » délicats à gérer au plan sectoriel et au niveau territorial. On ne passe pas du jour au lendemain d'un développement assis sur des industries traditionnelles, telles le textile ou la chaussure, à une croissance fondée sur des technologies nouvelles, comme les TIC ou les nanotechnologies : les compétences requises sont totalement différentes, tout comme les investissements et leurs localisations géographiques. Pour l'essentiel, le drame des délocalisations résulte de ce que les ouvriers des usines qui ferment ne peuvent, hic et nunc , être immédiatement réemployés : les qualifications exigées sont tout autres que les leurs et les bassins d'emplois porteurs se trouvent en général situés ailleurs dans l'Hexagone. Ainsi, pour n'être pas toujours un problème économique, les délocalisations sont cependant à l'évidence un problème territorial qui, en dernière analyse, impose aux pouvoirs publics de s'interroger sur l'employabilité de la main d'oeuvre.

Des préconisations volontaristes

Il n'est pas évident de présenter des conclusions remettant aussi radicalement en cause un postulat de départ jusqu'alors largement partagé, et qui vont être dès lors très certainement critiquées. Mais il me semble que ce n'est pas le moindre intérêt du rapport de Francis Grignon que d'avoir su donner à la problématique des délocalisation une nouvelle dimension : non, les délocalisations ne sont pas nécessairement, pour l'économie française, un problème ; oui, elles posent des difficultés tant sociales que territoriales et révèlent des faiblesses que le pouvoir politique doit s'efforcer de combattre, en donnant notamment à l'industrie les moyens de s'insérer efficacement dans la nouvelle division internationale du travail.

Dès lors, quels types de réponses apporter ? C'est ce qu'aborde la dernière partie de ce rapport en appelant à un « néo-colbertisme européen ». La formule détonne et mérite quelques explications. Le groupe de travail récuse bien évidemment toute idée de protectionnisme comme tout retour à un dirigisme économique où l'Etat interviendrait directement dans le champ des affaires. Toutefois, il est manifeste que la doctrine ultra-libérale exclusivement fondée sur la notion de concurrence, l'ouverture totale des marchés sans avoir au préalable obtenu de tous les acteurs la définition et le respect de règles commerciales saines et équilibrées, ainsi que la financiarisation des relations économiques, conduisent à des impasses. Il est désormais nécessaire que les pouvoirs publics réinvestissent le champ économique avec volonté pour, en liaison étroite avec les entrepreneurs, tracer une voie et définir des priorités stratégiques de développement. En d'autres mots, il s'agit de reconnaître l'importance d'élaborer une politique industrielle et de lui donner un contenu. Voilà pour le « néo-colbertisme ». Quant à l'adjectif « européen », il s'impose dans la mesure où une telle perspective ne saurait être aujourd'hui tracée au plan strictement national, l'édification de l'Union européenne devant bien être le vecteur de cette nouvelle démarche. C'est au demeurant ce que préconisent et réclament depuis quelques mois les principaux dirigeants européens, au premier rang desquels le Président de la République et le Chancelier allemand, qui l'ont conjointement rappelé à l'occasion du Conseil des ministres franco-allemand du 13 mai dernier.

Le groupe de travail s'inscrit donc pleinement dans ce mouvement volontariste, qui doit se décliner de plusieurs manières précisément détaillée par notre collègue Francis Grignon. Sans les présenter, je crois essentiel d'insister ici sur les trois directions qui, outre la mise en oeuvre d'une nouvelle politique industrielle au plan européen favorisant l'intégration de la France et de l'Union européenne dans la nouvelle division internationale du travail, semblent prioritaires au groupe de travail.

En premier lieu, il lui paraît indispensable d'agir au plan international et européen pour le respect d'un socle minimal de règles sociales, environnementales et fiscales. Il est en effet incohérent d'imposer aux biens et services produits sur notre territoire des contraintes drastiques dont les entreprises peuvent s'affranchir en allant produire ailleurs. Toutefois, il est exclu d'abandonner notre modèle de développement fondé sur un haut niveau de protection sociale et environnementale, qui nécessite un financement élevé. Aussi ne peut-on préconiser une politique de nivellement par le bas et, au contraire, faut-il encourager les évolutions conduisant à la diffusion généralisée de ces normes. Naturellement, il ne saurait être question d'imposer notre modèle de manière uniforme et immédiate : il convient de promouvoir une élévation des normes qui puisse être acceptée et intégrée progressivement par tous les systèmes économiques. Mais, pour être crédible, cet objectif de long terme doit être accompagné de mécanismes permettant de sanctionner les Etats qui y dérogent et d'encourager les consommateurs à privilégier les produits qui s'y conforment. A cet égard, la définition de normes européennes, et la création de labels avertissant les consommateurs de leur respect, seraient particulièrement opportunes.

En deuxième lieu, il serait illusoire de tenter de contrarier par des mesures sociales et fiscales sectorielles l'extraordinaire différence de coûts de production entre les nations industrielles et les pays émergents, qui ne pourra s'atténuer que très lentement - sauf sans doute en ce qui concerne les nouveaux Etats membres de l'Union européenne. Sauf, précisément, à rejeter le modèle social qui est le nôtre, ce qui ne peut être qu'une hypothèse d'école, il est manifeste que les marges de manoeuvre sont bien trop limitées. Surtout, il apparaît que la différenciation ne s'opérerait pas tant entre la France et les pays émergents qu'entre celle-ci et les autre pays industrialisés. Le renforcement constant de l'attractivité du territoire français constitue certes un objectif légitime de politique économique et, comme le lecteur le constatera, le groupe de travail fait siennes les nombreuses propositions récemment suggérées en la matière par diverses instances et personnalités, telles que la DATAR ou notre collègue député Christian Blanc (14 ( * )).

Mais cette problématique de l'attractivité du territoire dépasse largement, chacun en est conscient, le cadre restreint du champ d'analyse du groupe de travail. Elle concerne bien davantage l'ensemble de l'économie française, ses centres de décision, sa recherche-développement, ses réseaux d'infrastructures, son système normatif, etc., dans une optique de division internationale du travail où le poids des pays émergents reste encore assez faible comparé à l'intensité des relations qu'entretient la France avec les autres pays industrialisés.

En revanche, s'agissant plus spécifiquement de l'avenir des industries de main d'oeuvre, le groupe de travail soutient qu'une transformation radicale de nos modes de prélèvements sociaux permettrait de dégager de bien utiles marges de manoeuvre. Notre protection sociale est actuellement financée par le travail, conformément à un modèle qui, lors de sa création, il y a cinquante ans, alliait logique de principe (les risques à couvrir concernent pour beaucoup l'activité professionnelle : accidents du travail, chômage, retraite), souci de paritarisme et nécessité pratique, le facteur travail étant le plus abondant. Aujourd'hui, tout indique que ce système a atteint ses limites. Les déficits abyssaux de la branche maladie et de l'UNEDIC comme les besoins annoncés des régimes de retraite ont déjà conduit à porter un coin dans la logique d'assurance en y introduisant, par l'impôt, un principe de solidarité. Dans le même temps, la prise en compte de la nécessaire compétitivité des entreprises a favorisé la multiplication des régimes dérogatoires permettant d'exempter, en tout ou partie, les charges sociales pesant sur les bas salaires. Certains trouvent cependant que ces charges sont encore trop lourdes et qu'elles expliquent en partie les délocalisations.

Pour le groupe de travail, il est difficile pourtant d'aller encore plus loin de manière efficace, sauf à basculer une partie de nos prélèvements sociaux sur un nouveau dispositif dont l'assiette ne serait pas constituée par les revenus du travail mais par la richesse consommée.

Ce mécanisme, qui peut être qualifié de « TVA compétitive », présenterait le triple avantage de garantir à nos régimes sociaux la pérennité de ressources que n'assure pas le mode de prélèvements actuel, d'alléger le coût de la production nationale, ce qui ne manquerait pas d'être favorable à sa partie destinée à l'exportation, et de renchérir le coût des importations, ce qui permettrait de rétablir partiellement le jeu de la concurrence au profit de la production nationale consommée sur le territoire. Nul ne conteste qu'un tel bouleversement présente de réelles difficultés techniques de mise en oeuvre : pourtant, il semble bien constituer la seule mesure structurelle de nature, tout à la fois, à permettre de résoudre des problèmes cruciaux posés à la société française en matière de financement de son modèle social et à tempérer partiellement le mouvement des délocalisations.

En troisième et dernier lieu, le groupe de travail a bien évidemment été convaincu de la nécessité de développer bien davantage qu'aujourd'hui les mesures de soutien à l'innovation, à la recherche-développement, à l'intelligence économique et aux activités technologiques de haut de gamme riches en valeur ajoutée. Un triple effort de productivité, de compétitivité et de production de richesses est absolument nécessaire pour que la France rattrape ses concurrents directs traditionnels et évite d'être dépassée par les nouvelles puissances économiques montantes qui, en ce domaine, n'ont déjà plus rien à envier aux vieilles nations industrielles. Le consensus des économistes, des industriels et des experts publics et privés est unanime sur ce point et Francis Grignon recense, dans son rapport, les diverses voies qu'ils préconisent.

Cet objectif, pourtant, paraît insuffisant pour résoudre les problèmes d'emplois posés par les délocalisations et l'incessant accroissement de l'intensité capitalistique des modes de production s'il n'est complété par une réflexion portant spécifiquement sur la main d'oeuvre. L'emploi, je le rappelle, constituait le fil rouge de notre problématique. Or, il n'est pas douteux que le nombre des emplois de chercheurs, d'ingénieurs, de commerciaux de l'industrie technologique en devenir n'équilibrera pas le nombre d'emplois ouvriers que l'industrie traditionnelle perd chaque jour. Il est certes indispensable de se préoccuper des fonctions à hautes valeur ajoutée et productivité placées de plain pied dans la compétition internationale, mais il est tout autant nécessaire d'accorder de l'importance aux activités susceptibles d'être développées dans les secteurs protégés de cette concurrence, et par nature non délocalisables. Paradoxalement, cette dimension semble négligée par la plupart des économistes (15 ( * )) et des décideurs, quand elle n'est pas critiquée, comme en témoignent les commentaires du modèle de croissance espagnol. Pour le groupe de travail, au contraire, les deux démarches, loin d'être concurrentes, sont bien complémentaires pour assurer l'équilibre du marché du travail. Du fait de ses caractéristiques, la France dispose d'un très important potentiel de croissance dans des domaines aussi divers que, par exemple, le tourisme, le bâtiment et les services à la personne, tous secteurs qui présentent la triple caractéristique d'avoir un fort contenu en emplois, de n'être pas délocalisables et de bénéficier d'une réelle demande potentielle immédiate et à moyen terme. En outre, la répartition géographique de ces activités paraît pouvoir être bien équilibrée sur l'ensemble du territoire, ce qui ajoute à l'intérêt de leur développement. Aussi le groupe de travail estime-t-il indispensable de soutenir les mesures qui le favoriseraient, comme réponse aux problèmes posés par les délocalisations et les restructurations industrielles dans les bassins d'emplois.

*

* *

Le 23 avril dernier, la fermeture de la mine de La Houvre à Creutzwald, en Moselle, a signé la fin de l'exploitation du charbon en France. Un secteur longtemps placé au coeur de la puissance industrielle de la France, qui a employé jusqu'à 300.000 mineurs, a ainsi disparu définitivement, conséquence concrète et témoignage symbolique des mutations permanentes que connaissent les économies. Ces mutations, loin d'être perverses et critiquables, sont au contraire nécessaires et bénéfiques : elles favorisent l'innovation, l'imagination, le développement, la croissance. L'exemple de l'énergie est là pour en témoigner : plutôt que de s'efforcer de conserver coûte que coûte une industrie charbonnière condamnée à terme, la France a heureusement choisi, très tôt, de développer une industrie pétrolière de tout premier rang et surtout à faire le pari de l'innovation technologique en étant parmi les premiers Etats industriels à créer une filière nucléaire. Ce faisant, elle n'a fait qu'appliquer, en les combinant, le principe de destruction-créatrice mis en évidence par l'économiste américain Joseph Schumpeter il y a plus de cinquante ans, la théorie des avantages comparatifs appliquée au commerce international et le simple jeu de la concurrence.

Le changement est ainsi consubstantiel au progrès et en conditionne la pérennité. Il n'existe pas de système économique qui, surtout dans un monde ouvert, pourrait continuer à fonctionner et à créer de la richesse sans remises en cause, qui se manifestent notamment par le remplacement de certains processus productifs, métiers, produits, voire secteurs, par d'autres, plus productivistes, technologiques et riches en valeur ajoutée. Mais si ces mutations ne sont pas anticipées et accompagnées, elles génèrent des traumatismes humains et sociaux ainsi que des déséquilibres territoriaux dont il est alors légitime d'incriminer le pouvoir politique.

Mutatis mutandis , voici résumée toute la problématique des délocalisations. Le groupe de travail est convaincu qu'en tant que telles, celles-ci ne révèlent aucun affaiblissement de l'outil industriel national, ni paupérisation de l'économie française. Encore faut-il, naturellement, cesser de craindre le principe du changement et d'espérer que tout puisse être permanent. Encore faut-il aussi créer volontairement les conditions permettant à de nouvelles activités d'être substituées à celles qu'il est plus rationnel de créer ailleurs qu'en France ou en Europe. Encore faut-il enfin s'assurer que cette rationalité n'est pas conditionnée par des facteurs pénalisants qui priveraient la France d'un développement auquel elle peut, voire doit, prétendre. A cet égard, des choix stratégiques devront à l'évidence être assumés tant par le pouvoir politique que par les responsables économiques car les soutiens nécessaires, limités par des contraintes budgétaires, ne sauraient être saupoudrés sans risquer d'être inefficaces.

Dans cette perspective, je forme le voeu que le rapport de Francis Grignon, adopté par la majorité du groupe de travail et de la commission des affaires économiques du Sénat, contribue à cette prise de conscience et apporte aux décideurs un utile éclairage pour forger l'industrie européenne de demain, facteur d'enrichissement de nos concitoyens et de nos territoires.

Christian Gaudin

Président du groupe de travail

INTRODUCTION

Il n'est d'industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité

Auguste Detoeuf (1883-1947)

Industriel et essayiste français

Mesdames, Messieurs,

« Le Péril jaune qui menace l'Europe peut donc se définir de la manière suivante : rupture violente de l'équilibre économique international sur lequel le régime social des grandes nations industrielles de l'Europe est actuellement établi, rupture provoquée par la brusque concurrence, anormale et illimitée, d'un immense pays nouveau. »

Qui est l'auteur de cette définition lapidaire résumant parfaitement, à l'exception de son racisme à peine voilé, l'effroi qu'inspire en Occident le formidable développement économique chinois ? L'un des multiples journalistes qui, consacrant jour après jour articles et dossiers au nouveau géant du monde, nous informent de ses performances vertigineuses et toujours dépassées ? Un chef d'entreprise écrasé par la concurrence de produits dont le prix de vente est inférieur de moitié à ses propres coûts de revient ? Le responsable syndical d'une usine venant de fermer ses portes, jetant au chômage ses camarades d'atelier ? L'élu local d'un territoire rendu exsangue par la multiplication des plans sociaux ? Un parlementaire exprimant à la tribune d'une assemblée ses inquiétudes quant à l'avenir industriel du pays ?

Non, l'auteur qui formalise de manière synthétique cette crainte si actuelle et si partagée par nos concitoyens est un économiste français, Edmond Théry, qui concluait de ces mots un de ses ouvrages paru en... 1901 (16 ( * )) !

La même année, de l'autre côté de l'Atlantique, le Southern Manufacturers Club de Charlotte, en Caroline du Nord, organisait un colloque sur la menace des importations de textiles en provenance d'Asie.

Ainsi, il y a cent ans, au plus fort de la révolution industrielle, au tournant d'un siècle où les puissances occidentales avaient assuré leur domination du monde par le moyen de l'industrie et du commerce autant que par la force militaire et le colonialisme, les opinions publiques européennes et américaine étaient alertées avec la même vigueur qu'aujourd'hui des risques de la mondialisation.

Plus que de vigueur, c'est de violence qu'il s'agissait même à l'époque : qu'on se rapporte, par exemple, aux écrits (17 ( * )) et aux discours (18 ( * )) de M. d'Estournelles de Constant, député de la Sarthe et infatigable pourfendeur du péril chinois, convaincu qu'en favorisant le développement économique de l'Empire du Milieu pour des profits immédiats, les industriels occidentaux tressaient la corde qui allait bientôt les pendre : « Sans doute, au début, [la Chine] achètera ses machines à l'étranger pour se mettre en train ; mais, aussitôt outillée - et cela va vite -, elle s'empressera de fabriquer à son tour des produits européens ; elle retournera contre nous nos propres machines. (...) Seulement, ses avantages seront tels que nous ne pourrons pas soutenir la concurrence. (...) Enfin, et surtout, elle utilisera la plus incomparable et la plus avantageuse des mains-d'oeuvre ; elle emploiera l'ouvrier chinois ; elle le payera cinq sous, tandis que nous payons les nôtres, en Europe et en Amérique, jusqu'à cinq francs et davantage. Mais elle ne se contentera pas d'écarter nos produits. Elle nous vendra les siens. De la défensive, elle passera promptement à l'offensive et c'est nous qui organiserons son attaque. Nous l'avons déjà commencé ! » .

Les accents martiaux de la conclusion de cette philippique n'étaient pas qu'une figure de style puisque, comme « conséquence dernière de la mise en valeur de la Chine » , c'est rien moins que l'anarchie et la guerre que dessinait pour avenir à l'Occident et au monde M. d'Estournelles de Constant.

Un siècle donc a passé depuis ces alarmes, avec sa cohorte d'anarchie et de guerres dont, pour l'essentiel, le monde riche et industrialisé porte seul l'écrasante responsabilité. Ces drames renouvelés n'ont en effet pas eu pour origine l'exacerbation d'une concurrence économique entre l'Occident et l'Orient. Bien au contraire, si des conflits d'intérêts économiques ont pu être la cause, explicite ou cachée, de nombre d'entre eux, ils opposaient les uns aux autres des Etats modernes, développés et puissants.

Ce faisant, ces Etats ont brutalement cassé un mouvement né au mitan du XIX ème siècle : la mondialisation , phénomène dont la résurgence au milieu des années 1980 n'est finalement qu'une continuation, après une très longue parenthèse. Entre 1870 et 1914, l'économie s'est en effet internationalisée de manière extraordinaire, grâce à une succession d'innovations technologiques ayant considérablement abaissé les coûts de la production industrielle, des transports et des communications. La financiarisation du capitalisme a permis, au travers d'un système bancaire rénové et dynamique, à une épargne abondante d'être investie sur toute la surface du globe. Toutes les études des historiens de l'économie démontrent qu'à la veille de la Première guerre mondiale, l'économie-monde était ainsi plus intégrée qu'elle ne l'était il y a à peine trente ans . La France, par exemple, exportait quelque 17 % de son PIB et en importait près de 20 % ; représentant environ 3,5 % du revenu national en volume net, les investissements français à l'étranger prospéraient en Russie, au Moyen-Orient, en Amérique latine ; la richesse nationale était constituée à près de 40 % de valeurs mobilières, dont entre le tiers et la moitié de titres étrangers ; les prix des matières premières et des produits manufacturés avaient fortement convergé, tout comme les salaires dans les pays industrialisés, et résultaient davantage des cours mondiaux que de déterminants domestiques (19 ( * )).

Ce degré d'intégration mondiale de l'économie n'a été retrouvé que dans le courant des années 1980 . C'est à ce moment seulement que la concurrence internationale, le commerce mondial, les flux d'investissements directs à l'étranger, les délocalisations industrielles, ont atteint des seuils comparables à ceux de 1913, pour ensuite les dépasser. La mondialisation que nous vivons aujourd'hui , qui suscite tant d'interrogations et d'inquiétudes dont témoigne une littérature abondante, n'est ainsi pas nouvelle : tout en présentant des caractéristiques sans doute désormais différentes, elle s'inscrit dans un processus historique de long terme duquel la période 1914-1984 s'est écartée.

Malice de l'Histoire, c'est un autre élu de l'ancienne province royale du Maine qui, à un siècle de distance, a fait renaître dans notre pays le débat public sur les difficultés auxquelles expose une concurrence internationale débridée et, singulièrement, l'ouverture des marchés à de nouvelles puissances industrielles. Dans un rapport parlementaire présenté en 1993 ( 20 ( * ) ), M. Jean Arthuis, sénateur de la Mayenne et alors rapporteur général du Sénat, dénonçait en effet l'absence de régulation mondiale et les faiblesses de l'économie française qui, conjointement, risquaient d'accélérer les délocalisations d'entreprises françaises à l'étranger , en particulier dans les pays émergents aux normes sociales et environnementales inexistantes, et de détruire ainsi notre outil industriel .

Quelques années plus tard, le Sénat créait une mission commune d'information chargée d'étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises (21 ( * )). Après avoir dressé un inventaire des handicaps affaiblissant l'attractivité et la compétitivité de la France et démontré que notre pays avait tendance à gâcher ses atouts par des attitudes et des choix à contre-courant, ses président et rapporteur, nos collègues Denis Badré et André Ferrand, considéraient que l'Etat devait se moderniser profondément et mieux tirer avantage de la mondialisation. Mais ils proposaient surtout une stratégie offensive visant à doter l'entreprise « France » d'un cadre fiscal et social plus attractif, à dynamiser la recherche et l'innovation et à favoriser le rayonnement de tous les talents, enfin, à développer une politique globale, volontaire et cohérente de l'ouverture à l'international.

La décision de votre commission des affaires économiques de créer un groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre s'inscrit donc dans un contexte d'intérêt traditionnel du Sénat à l'égard des conséquences de la mondialisation et des réformes à entreprendre pour permettre à la France d'en tirer le meilleur parti .

Le présent rapport, toutefois, aborde ce sujet général, au demeurant largement débattu ces dernières années au sein de la société française, sous un aspect particulier . Il entend en effet limiter l'analyse aux défis posés par la nouvelle donne économique internationale à notre industrie de main d'oeuvre qui, dans l'opinion commune, semble avoir particulièrement souffert du phénomène des délocalisations. Si le profond et passionnant programme d'auditions mené pendant cinq mois par le groupe de travail l'a conduit à une appréciation plus nuancée de la réalité de la situation , chacun de ses membres reste convaincu des risques qui pèsent sur notre industrie et, plus généralement, sur notre économie et notre modèle de développement, si rien n'est entrepris pour réguler la mondialisation ni lutter contre les handicaps qui freinent la croissance française .

Ce rapport poursuit ainsi deux buts essentiels : d'une part, définir et évaluer aussi précisément que possible la nature et l'étendue des délocalisations industrielles afin d'éviter qu'un conformisme, « politiquement correct » mais réducteur, ne conduise à se méprendre sur les dispositions de politique économique à promouvoir ; d'autre part, proposer des pistes de réforme et de soutien public afin de renforcer notre outil industriel pour lui permettre de s'insérer efficacement dans la nouvelle division internationale du travail tout en assurant un développement équilibré des territoires et de la société tout entière .

La première partie du rapport est consacrée à l'analyse des délocalisations industrielles sous l'angle théorique et macro-économique . Après une définition du phénomène à la lumière des enseignements de la théorie économique, et le constat que sa mesure statistique est extrêmement difficile et aléatoire , est dressé le tableau de l'industrie française , dans une perspective historique présentant ses facteurs d'évolution et démontrant tant l' ancienneté des mouvements de délocalisations qui l'affectent que leur sectorisation et leur géographie . Une deuxième étape, étayée notamment par les informations recueillies auprès de deux responsables parisiens du cabinet de conseil ATKearney auditionnés par le groupe de travail, s'attache à expliquer les déterminants micro-économiques des décisions de délocalisation comme à recenser les obstacles avérés et potentiels de nature à les limiter. Enfin, au regard de ces différentes données, sont examinées les diverses causes conjoncturelles et structurelles , propres à la France ou qu'elle partage avec les autres Etats industriels , qui peuvent laisser craindre la poursuite , voire l'aggravation , de certains mouvements de délocalisations - lesquels, au demeurant, ne devraient pas se limiter au secteur industriel mais concerner tout autant, sinon davantage, le secteur des services .

La deuxième partie du présent rapport tente tout à la fois d'esquisser une synthèse territoriale et sectorielle des délocalisations , d'en examiner les conséquences locales et de recenser les outils forgés par les pouvoirs publics nationaux et locaux pour s'adapter au phénomène et favoriser la reconversion des bassins d'emplois touchés. Elle s'appuie pour l'essentiel sur une étude réalisée par le cabinet de conseil Formules économiques locales , complétée tant par les réponses apportées par une demi-douzaine de conseils régionaux à un questionnaire leur ayant été spécialement adressé que par les enseignements tirés des trois déplacements en province effectués par le groupe de travail en avril et mai 2004.

La troisième partie consiste en une discussion des choix théoriques qu'il convient d'assumer au regard de la problématique, selon le groupe de travail . Celui-ci justifie ainsi sa préférence pour l'accompagnement économique, social et territorial des délocalisations plutôt que pour une tentative d'opposition frontale , qu'il estime inefficace voire dangereuse, et souligne la nécessité d'élaborer une nouvelle politique industrielle volontariste , qui contraindra à des choix stratégiques . Il affirme par ailleurs l'importance de maintenir un haut niveau de normes de développement et examine les conditions à respecter pour y parvenir sans pénaliser la croissance. Il définit enfin le champ dans lequel la réflexion collective doit nécessairement s'inscrire pour promouvoir des mécanismes susceptibles d'agir efficacement et durablement en faveur du développement économique et de l'emploi. A cet égard, il préconise naturellement l' approfondissement de la coopération européenne , par delà les difficultés immédiates résultant de l'accueil de dix nouveaux Etats membres par l'Union européenne.

A la lumière de ces positions de principe, la quatrième partie du rapport propose un ensemble de stratégies publiques propres, tout à la fois, à favoriser la transformation de la structure économique de la France et de l'Europe pour les placer en position de force dans la compétition internationale , et à développer l'emploi .

Tout d'abord, de manière à promouvoir un processus productif à haute valeur ajoutée au niveau national , votre commission des affaires économiques suggère de supprimer certains facteurs encourageant objectivement les délocalisations, notamment en transférant une partie des charges sociales sur une TVA de compétitivité , de renforcer les avantages comparatifs de la France pour améliorer l'attractivité du territoire et la compétitivité, et d'organiser et d'appuyer les filières dans une logique d'innovation.

Afin ensuite de soutenir les territoires et de lutter contre le chômage induit par les mutations économiques , elle préconise d'affermir le rôle des collectivités territoriales en matière de développement économique, d'améliorer l'employabilité de la main d'oeuvre et, convaincu que des gisements existent et qu'une telle politique est indissociable de la précédente pour permettre un développement équilibré des territoires ainsi qu'un accroissement de la richesse nationale, d' anticiper les besoins de demain en emplois non-délocalisables .

Favorable enfin à la promotion d'une politique industrielle européenne volontarist e, elle appelle à un développement équilibré de l'Union européenne fondé sur l'harmonisation de la fiscalité des entreprises, la neutralité des aides publiques entres les « Quinze » et les « Dix » et l'émergence d'une politique sociale intégrée. En outre, elle affirme la nécessité du renforcement de la puissance industrielle communautaire passant par la prise en compte des intérêts industriels dans la stratégie économique de l'Union , l'harmonisation et le développement des outils de normalisation, et l'engagement international en faveur d'un équilibre des échanges avec le reste du monde.

La commission est en effet convaincue, dans sa majorité, que seule l'affirmation au niveau européen d'une volonté politique , qu'elle a qualifiée de « néo-colbertisme européen » pour en souligner tant l'aspect industriel que le cadre communautaire , permettra à l'économie française de tirer un durable profit de la mondialisation . Ce n'est qu'à cette condition que , plus encore qu'il y a un siècle , le développement économique de la Chine - comme celui de l'Inde, du Brésil, des PECO, etc. -, loin d'être un péril , constituera un facteur d'enrichissement et de croissance pour la France et pour l'Europe .

PREMIÈRE PARTIE - L'APPRÉCIATION NATIONALE DU PHÉNOMÈNE : UNE OPPORTUNITÉ ÉCONOMIQUE À PLACER SOUS SURVEILLANCE

Au plan strictement économique, la délocalisation des industries de main d'oeuvre apparaît comme un mouvement qui, ancien et continu, doit pourtant être précisément défini. Toutes les mutations et restructurations industrielles ne sont en effet pas, ou ne se traduisent pas, par des délocalisations . Toutes les décisions des entreprises de s'implanter à l'étranger n'en sont pas nécessairement non plus . Un cadrage analytique préalable, éclairé par la théorie économique, est donc indispensable avant d'examiner les déterminants des délocalisations, puis les caractéristiques, propres à la France ou communes à l'ensemble des pays industrialisés, qui rendent aujourd'hui le phénomène plus visible.

I. QU'ENTEND-ON PAR DÉLOCALISATION DES INDUSTRIES DE MAIN D'OEUVRE ?

Votre groupe de travail a mené de nombreux entretiens avec des économistes se consacrant depuis longtemps au thème de la mondialisation afin d'en comprendre les mécanismes et d'en analyser ses conséquences sur l'économie nationale. Il a également entendu plusieurs chefs d'entreprise, représentants de fédérations professionnelles et responsables syndicaux qui lui ont fait part de leur opinion sur la situation de leur branche professionnelle au regard de l'approfondissement de la globalisation et du développement du commerce international. Ces très riches auditions ont ainsi permis au groupe de mieux appréhender la notion même de délocalisation, qui s'avère en définitive plutôt réduite , et de constater qu' elle s'inscrit, au côté d'autres réalités, dans un mouvement général et permanent de mutation de l'industrie française .

A. DÉFINIR LES DÉLOCALISATIONS MALGRÉ LES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

La compréhension du développement économique, de la création de richesses, de l'utilité et de l'intérêt de l'échange, est à l'origine de la « science » économique - pour autant que l'on puisse qualifier ainsi ce champ de la pensée, ce que contestent certains économistes, tels M. Bernard Maris, professeur à l'Université Paris VIII Vincennes - Saint Denis, qui en a d'ailleurs présenté les raisons devant votre commission et votre groupe de travail (22 ( * )). Reste que de multiples explications sont apportées depuis trois siècles aux mécanismes de la production et du commerce, dont certains sont précisément de nature à comprendre en quoi, dans un monde ouvert, les délocalisations sont l'expression pratique de ces mécanismes théoriques . Mais ce rapide éclairage théorique devra être complété par un effort de définition du terme « délocalisation », qui démontrera que son usage commun est souvent abusif au regard des réalités si diverses qu'il prétend recouvrir .

1. L'éclairage de la théorie macroéconomique

Quelques rappels théoriques peuvent d'abord utilement contribuer à dessiner le cadre dans lequel s'inscrit le phénomène des délocalisations. Celles-ci doivent en effet se lire, à la fois, comme la conséquence du principe de libre concurrence et la résultante de la spécialisation internationale conforme à la théorie ricardienne des avantages comparatifs . Mais elle est aussi et surtout placée au coeur de la dynamique de « destruction créatrice » de l'économie décrite par Joseph Schumpeter.

a) Le principe de concurrence dans une économie de marché ouverte

Pour l'essentiel, l'économie mondiale contemporaine est régie par le principe de concurrence. Pour être compétitives et maintenir ou augmenter leurs parts de marché, les entreprises doivent notamment optimiser leur organisation productive afin de réduire leurs coûts (d'acquisition foncière, de production, de transport, d'accès au marché, etc.). L'un des vecteurs de cette constante recherche est la localisation adéquate des facteurs de production au regard des conditions dans lesquelles s'accomplit le processus productif et l'accès au marché.

Traditionnellement, la concurrence entre entités économiques au sein d'un espace national est encadrée par des règles, fixées par l'Etat et destinées à en assurer le jeu loyal pour le rendre acceptable par les acteurs eux-mêmes. Mais la nouvelle donne du principe de concurrence dans le monde contemporain est plus difficile à appréhender puisque plusieurs niveaux de concurrence coexistent désormais : le terrain où se joue une partie toujours croissante de la concurrence entre les firmes est devenu mondial et non plus seulement national . En étendant ainsi le champ des possibles, l'ouverture des économies a profondément modifié les conditions d'exercice de la concurrence.

Tout d'abord, le nombre des acteurs participant à son « jeu » a considérablement augmenté , dès les années 1970 avec l'entrée du Japon puis de plusieurs autres Etats asiatiques, mais surtout depuis les bouleversements géopolitiques du début des années 1990 tels que l'effondrement du bloc soviétique et l'abandon progressif du dirigisme économique dans de nombreux autres pays, dont les plus exemplaires sont l'Inde et la Chine. Cet élargissement du champ concurrentiel a certes offert aux entreprises occidentales de nouveaux débouchés et d'incontestables opportunités de croissance ; mais il les a aussi exposées à la concurrence, parfois agressive et difficilement supportable, que ces économies dynamiques leur imposent. Car la concurrence est un principe de perpétuel mouvement qui oblige à une lutte de tous les instants .

La mondialisation des relations économiques a alors rendu nécessaire la création d'autorités de régulation susceptibles de se substituer aux Etats pour garantir la loyauté des relations commerciales internationales . Celles-ci peuvent accompagner un projet politique de plus grande ampleur , comme le font les institutions européennes chargées, notamment, de contribuer juridiquement à l'édification du marché intérieur (Conseil des ministres, Parlement européen, Commission européenne), d'assurer le respect des règles ainsi édictées (Cour de justice des Communautés européennes) et d'organiser les relations économiques et commerciales de l'Union européenne avec d'autres ensembles régionaux (Commission). Plus modestement, ces institutions peuvent simplement avoir pour objet de fixer des règles de libre-échange propres aux pays appartenant à un espace géographique limité et régional et ayant décidé d'organiser leurs rapports commerciaux : tels sont par exemple l'ASEAN en Asie du Sud-Est, le Mercosur en Amérique du Sud et l'ALENA en Amérique du Nord (23 ( * )). Il a enfin paru indispensable, compte tenu du développement de la globalisation, d'instituer l' Organisation mondiale du commerce (OMC), structure collective chargée depuis janvier 1995, en application de l'accord international signé à Marrakech le 14 avril 1994, de définir et de faire approuver par les Etats des règles commerciales assurant une concurrence loyale , et de sanctionner , par un organe de règlement des différends, leur violation.

Dans ce cadre régulé sur plusieurs niveaux, les entreprises les plus importantes, mais aussi, et de plus en plus, les petites et moyennes entreprises, doivent ainsi appréhender leur organisation, notamment productive, dans l'espace mondial pour s'adapter avec profit à la concurrence. Or, lorsque le mode de production n'est pas intimement lié au territoire, les Etats sont moins considérés comme des arbitres du jeu concurrentiel que comme des terrains de localisation possible des activités des entreprises. Ainsi, les Etats eux-mêmes sont devenus aujourd'hui les acteurs de ce jeu, cherchant tout à la fois à éviter que leurs entreprises nationales pâtissent de la concurrence internationale et à attirer sur leur territoire le plus d'activités possible.

Les délocalisations, telles qu'elles sont entendues communément (24 ( * )), apparaissent alors, sous cet angle, comme une expression manifeste de la mise en oeuvre du principe de la concurrence au niveau mondial .

b) La théorie ricardienne des échanges et ses prolongements

Comment la théorie économique envisage-t-elle la répartition géographique des activités et justifie-t-elle l'intérêt de l'échange commercial ? Les raisonnements des économistes libéraux du XIX ème siècle sont fondés sur l'hypothèse que la localisation des industries entre les nations dépend de leurs dotations en facteurs de production et donc du coût de ces derniers .

Ainsi, un pays se spécialise dans les productions pour lesquelles il bénéficie d'un avantage en termes de coût : avantage absolu , aux yeux d'Adam Smith qui estimait, à la fin du XVIII ème siècle, qu'un pays pouvait participer à l'échange mondial s'il produisait un bien moins cher que tous les autres pays ; avantage comparatif , selon David Ricardo, qui affina l'analyse quelques décennies plus tard en soulignant que deux pays ont intérêt à échanger en se spécialisant dans la production d'un bien pour lequel leur avantage comparatif en termes de coût est le plus marqué (25 ( * )). Ainsi, la répartition des industries entre les nations dépendrait de leurs dotations en ressources naturelles nécessaires à la production : l'existence de mines, par exemple, ou la capacité de production agricole.

L'apport théorique de Eli Hecksher et Bertil Ohlin au début du XX ème siècle, enrichi peu après par Paul Samuelson (modèle « HOS »), a permis d'identifier les différences de dotations en facteurs de production comme sources des avantages comparatifs : un pays a intérêt à se spécialiser dans la production du bien qui utilise intensément le facteur dont il est relativement plus doté que son partenaire commercial . En effet, la localisation des entreprises n'était plus, à cette époque, aussi étroitement liée qu'au siècle précédent à la proximité des matières premières. Selon le modèle HOS, le commerce international ne s'organise plus essentiellement selon le principe de complémentarité imaginé originellement par Ricardo (les pays riches en mines de charbon et de fer, par exemple, produisant de l'acier), mais en fonction de la concurrence qui s'exerce en matière de coûts du travail et du capital pour toute production librement localisable . Ainsi, la spécialisation des pays à bas salaires, c'est-à-dire bénéficiant d'une abondance du facteur travail relativement aux pays industrialisés, se fera mécaniquement dans la production de produits banalisés, laquelle mobilise essentiellement une main d'oeuvre peu qualifiée et/ou des investissements légers, contrairement à la production de biens hautement intensifs en capital, ou de produits innovants obtenus grâce à une technologie nécessitant du travail qualifié.

Le consommateur, dont l'intérêt est d'acheter au plus bas prix un produit à qualité donnée, est en dernière analyse le moteur de la concurrence. En écartant délibérément un certain nombre de facteurs pour simplifier le raisonnement, on peut affirmer que de son comportement dépend ainsi en partie le rythme de l'activité économique et, de ce fait, le niveau d'emploi. Toutefois, dans un cadre d'échanges mondialisé, cet impact n'est pas direct. Comme le relevait M. Claude Vimont (26 ( * )), l'avantage que le consommateur retire en termes de pouvoir d'achat pour avoir acquis un bien à moindre coût peut aussi bien être utilisé à acquérir des biens et services étrangers supplémentaires qu'à acquérir de nouveaux biens ou services nationaux.

L'augmentation des importations de biens à faible coût fait, en application du principe de la concurrence, disparaître les entreprises locales (ou les incite à délocaliser leur outil industriel pour, elles-mêmes, importer leur production sur la marché domestique) et, en conséquence, diminuer le nombre des emplois locaux à faible qualification. Pour parvenir à un équilibre commercial, il convient de compenser ce surplus d'importations par un accroissement des exportations de produits à haute valeur ajoutée, obtenus grâce à la qualification élevée de la main d'oeuvre nationale. La perte d'emplois peu qualifiés est donc contrebalancée, afin d'équilibrer la balance courante, par la création d'emplois très productifs et mieux rémunérés. Cependant, et c'est là que le bât blesse, ces emplois sont structurellement moins nombreux : ainsi, affirme M. Claude Vimont, dans les conditions actuelles d'exercice de la loi de Ricardo, la spécialisation par avantage comparatif se traduit inéluctablement par une baisse du niveau de l'emploi lié au commerce extérieur dans les pays les plus industrialisés.

L'analyse présentée lors de son audition devant le groupe de travail par M. Pierre-Noël Giraud, directeur du Centre de recherche en économie industrielle (CERNA) de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris, se situe dans le prolongement de ce raisonnement : la destruction inéluctable de l'emploi dans les secteurs exposés à la concurrence internationale et caractérisés par des désavantages comparatifs a pour conséquence d'accroître le nombre de chômeurs, sauf à parvenir à créer suffisamment de nouveaux emplois à haute valeur ajoutée dans les secteurs compétitifs, qui exportent en raison de leur avantage comparatif favorable, ou à augmenter le nombre des emplois dans les secteurs abrités de la concurrence internationale, en soutenant la demande domestique de biens et services protégés de celle-ci.

c) Le principe shumpeterien de destruction créatrice

L'économiste Joseph Schumpeter, en centrant ses travaux sur la notion de déséquilibre créateur, a considérablement enrichi l'analyse économique traditionnelle consacrée aux structures de marché et à la formation des prix dans une économie de circuit. Ce faisant, il a apporté un éclairage très novateur à l'étude du commerce international.

Le déséquilibre créateur identifié par Schumpeter est l'innovation : c'est l'innovation qui vient rompre l'économie de circuit, dans laquelle le profit tend à s'annuler . En effet, en théorie, le profit attire d'autres entrepreneurs, ce qui entraîne une augmentation de l'offre accompagnée, en application du principe de la concurrence, d'une baisse des prix les rapprochant tendanciellement des coûts de revient et amenuisant donc le profit jusqu'à le faire disparaître. Si dans aucune économie de marché ce phénomène ne se poursuit jusqu'à son terme, c'est grâce à l'innovation. Pour Schumpeter, celle-ci peut prendre cinq formes : la fabrication de biens nouveaux, l'application de nouvelles méthodes de production, l'ouverture de nouveaux débouchés, l'utilisation de nouvelles matières premières et la mise en oeuvre d'une nouvelle organisation du travail.

Ces innovations, survenant en « grappes », c'est-à-dire à termes irréguliers et de manière en général groupée, sont à l'origine du processus de croissance mais portent également en elles les conditions de la dépression : selon Schumpeter, « la seule cause de la dépression, c'est l'essor » . En effet, en créant de nouveaux produits, techniques et marchés, l'innovation détruit les produits, techniques et marchés en place en les rendant obsolètes . Le mouvement est alors continu : les anticipations de profits élevés dans les branches novatrices y stimulent les investissements, mais l'accroissement de la production dans ces branches entraîne bientôt une baisse du profit et l'épuisement de la croissance, qui ne reprend qu'avec la grappe suivante d'innovations.

Cette théorie économique présente une double vertu : explicative et optimiste . Elle justifie en effet les restructurations de l'économie par la rupture introduite par l'innovation ; elle présente en outre ces ruptures comme salutaires puisque, sans elle, la croissance s'essoufflerait . Les crises économiques se trouvent ainsi réhabilitées parce qu'elles sont nécessaires : c'est en elles que l'essor prend racine. La destruction est créatrice .

C'est ce qu'a démontré dans le milieu des années soixante, en appliquant ce principe aux échanges économiques internationaux, l'économiste américain Raymond Vernon. Sa théorie du « cycle productif » explique ainsi, pour les produits dits « matures » ou encore « banalisés » (production de masse, coûts de production bas, faible valeur ajoutée), le transfert du processus de production des pays industriels, créateurs d'innovations, vers les pays à bas salaires .

A la lecture de la théorie schumpeterienne et de ses développements dans le cadre mondial, les délocalisations, manifestations de crises sectorielles et symptômes de l'abandon de segments de production devenus obsolètes, apparaissent ainsi au plan économique comme un phénomène naturel et intrinsèque à toute économie dynamique .

Leur impact sur l'emploi n'est toutefois pas nécessairement négatif. Comme le fait observer M. Pierre-Noël Giraud, la destruction inévitable d'emplois exposés provoquée par l'accroissement des échanges, même équilibrés, entre pays riches et pays à bas salaires, n'implique pas mécaniquement une hausse du chômage : « En dynamique, tout dépend des rythmes relatifs de destruction d'emplois exposés et de création d'emplois compétitifs » (27 ( * )). Cette vision dynamique de destruction/création d'emplois permet de considérer différemment les délocalisations, en les ramenant à un maillon d'un processus de long terme dont l'issue n'est pas écrite d'avance.

2. Actualité pratique des théories de l'échange

Sans pour autant perdre en pertinence, le cadre théorique tracé ci-dessus se trouve aujourd'hui bousculé par l'émergence de caractéristiques nouvelles de l'échange concurrentiel international : les unes tiennent aux acteurs, à leur taille et à leurs compétences, les autres aux secteurs sur lesquels s'exerce la compétition.

a) Des géants concurrentiels

Bien que la globalisation des échanges économiques internationaux ne soit pas, pour les pays industrialisés, une donnée nouvelle, ses conséquences sur les économies nationales ont toutefois pris une autre dimension que par le passé en raison de l'ouverture et de la participation croissante des pays en développement (PED) aux échanges internationaux depuis les années 1980 . Ainsi, la part des produits manufacturés dans les exportations des PED est passée de 20 % en 1980 à 80 % en 2000, et même à 90 % pour l'Asie de l'Est selon Mme Frédérique Sachwald, responsable des études économiques de l'Institut français des relations internationales (IFRI), entendue par votre groupe de travail. Nombre de ces pays sont donc désormais devenus de grands exportateurs de produits manufacturés, venant ainsi concurrencer directement les pays industrialisés sur leur pré carré traditionnel .

Mais longtemps restreinte à un petit nombre de pays à bas salaires généralement peu peuplés, désignés comme les « nouveaux pays industrialisés » (NPI), tels les « dragons » d'Asie du Sud-Est (Corée, Taïwan, Singapour), la compétition s'élargit maintenant aux Etats que M. Pierre-Noël Giraud (28 ( * )) a le premier qualifié de pays à bas salaires et à capacités technologiques (PBSCT) : la Chine, l'Inde, le Brésil, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Or, certain d'entre eux - désignés parfois par l'acronyme « BRIC » (Brésil, Russie, Inde, Chine) - sont considérablement plus peuplés que les premiers NPI et dotés de plus grandes capacités technologiques, héritées de leur passé industriel -souvent socialiste - ou transférées par les firmes multinationales.

Cette double caractéristique présente une redoutable particularité pour l'économie du monde, et singulièrement pour les systèmes productifs occidentaux. D'une part, les niveaux de salaires dans les secteurs exportateurs de ces PBSCT resteront durablement bas , bien que significativement supérieurs à ceux de la grande majorité de leur population, en raison de l'énorme poids des masses rurales et du secteur informel à très faible productivité qui pèsent sur leurs marchés internes du travail. D'autre part, les capacités technologiques de ces pays sont aujourd'hui similaires, sinon identiques, à celles des pays industrialisés : la conjonction de cette compétence, d'une main d'oeuvre très qualifiée et en nombre important - celui-ci étant relatif à leur population totale -, ainsi que de niveaux de salaires durablement faibles, confère aux PBSCT un avantage concurrentiel significatif . Et cette nouvelle compétition ne fait que commencer car leur ouverture récente à l'économie mondiale va s'amplifier.

Si l'intérêt du libre-échange entre zones de niveau de développement comparable n'est qu'exceptionnellement contestée, les conséquences des échanges croissants entre pays industrialisés et pays à bas salaires en industrialisation rapide suscitent quant à elles une inquiétude unanimement partagée . Même les économistes les plus libéraux, convaincus que les deux types de pays gagnent en moyenne au libre-échange, conviennent que des pertes peuvent, sur une période de transition relativement longue, être enregistrées dans les pays riches. Certains, comme le prix Nobel Maurice Allais (29 ( * )), en sont même conduits à prôner un retour à des mesures protectionnistes à l'égard de ces pays, que d'autres accusent par ailleurs de « dumping » social ou environnemental.

La question ainsi posée aux Etats industriels, qui dépasse au demeurant largement le cadre des seules délocalisations, est finalement de déterminer, dans ce contexte nouveau que M. Dominique Roux qualifie d'hyper-concurrence mondiale (30 ( * )), quel est le degré de concurrence acceptable - politiquement plutôt qu'économiquement - entre pays riches et pays à bas salaires . Cette question avait été très précisément identifiée par notre collègue M. Jean Arthuis, dont le rapport d'information (31 ( * )) avait pour exergue les mots suivants : « Quand les prix défient toute concurrence, il n'y a plus de concurrence » .

b) La segmentation du marché mondial

Tout comme le principe de concurrence, la problématique ricardienne a elle aussi évolué . Ainsi que le faisait remarquer Mme Frédérique Sachwald lors de son audition, la caractéristique de l'économie contemporaine réside dans la fragmentation des processus de production . D'une spécialisation par produit selon les pays, on est passé à une spécialisation par stade du processus de production au sein d'une même industrie. Mme Sachwald relevait que cette fragmentation s'était approfondie depuis les années 1980, les pays émergents étant parvenus à accroître progressivement leur capacité à se positionner sur des stades toujours plus sophistiqués, y compris le design ou certains travaux de développement. Ainsi, en forçant un peu le trait, il est par exemple possible pour une entreprise multinationale de maintenir les activités de conception, de création et de commercialisation en Europe ou aux Etats-Unis, de délocaliser la production dans un pays à bas coût de main d'oeuvre, comme la Chine, et de réaliser le traitement des données relatives à la clientèle en Inde. Le fonctionnement de l'entreprise Dell illustre d'ailleurs parfaitement cette nouvelle forme d'organisation économique.

La division internationale du travail peut ainsi prendre la forme d'une spécialisation « verticale » par pays sur chaque stade du processus productif , spécialisation qui se traduit soit par l'émergence d'entreprises positionnées sur un stade particulier de production, soit par la répartition au sein d'une firme mondiale des différents stades de production entre divers pays.

Ce sont les firmes transnationales qui, pour l'essentiel, font jouer cette concurrence sur chaque stade du processus productif : à la faveur de l'accélération de la transnationalisation à partir des années 1980, elles sont désormais au centre de la dynamique concurrentielle et remettent dès lors en cause les fondements de l'échange international. Comme le souligne Mme Michèle Rioux (32 ( * )), les firmes transnationales sont aujourd'hui responsables des deux tiers du commerce mondial, dont un tiers prend la forme de commerce intra-firme . Le commerce international, analyse-t-elle, est ainsi devenu un commerce transnational : s'il traverse les frontières nationales, c'est de plus en plus au sein même des entreprises et, en cela, il est moins d'abord régi par le marché que par les décisions et les stratégies des firmes . Outre les impératifs liés à la spécialisation des territoires selon leurs avantages comparatifs, la nature de la demande finale dans chacun des pays, ou encore la possibilité de réaliser des gains de productivité par la recherche d'économies d'échelles, peuvent également jouer un rôle structurant dans la localisation des centres de production au sein d'un même groupe.

Une illustration de ce type d'arbitrage intra-firme a été fournie par M. Yan Lepape, économiste régional auprès de la direction des relations économiques extérieures (DREE), lors de son audition devant le groupe de travail : il a évoqué le cas d'un grand fabricant de lave-linge, qui produisait deux modèles, l'un avec ouverture par le haut et l'autre avec ouverture frontale, dans deux usines européennes, l'une située en France, l'autre dans un PECO. La taille critique d'une usine se situant autour d'un million d'unités produites par an, l'ensemble de la production de la ligne « ouverture par le haut » a été transféré en France tandis que l'autre l'était intégralement dans la seconde usine. Une telle réorganisation « horizontale » des processus productifs a permis d'améliorer la profitabilité de la firme. Ainsi, une multinationale pourra décider de ne plus produire tous ses produits dans tous les pays où elle est implantée, mais de spécialiser chacune de ses usines dans un produit et d'importer/exporter les autres afin de maximiser les économies d'échelle et de minimiser les coûts de transaction (notamment, les coûts d'accès au marché et les coûts de transport).

La preuve est ici apportée que la théorie ricardienne de spécialisation selon les avantages comparatifs est devenue d'une lecture plus subtile, les avantages comparatifs s'entendant désormais sur des segments du cycle de production , et la structure de la demande pouvant peser au même titre que l'organisation de l'offre sur la localisation des centres de production.

c) L'importance significative des mouvements de l'économie

La théorie de la destruction créatrice mérite elle aussi d'être réactualisée dans le nouveau contexte de globalisation, à la lumière des possibilités d'observation statistique étendues dont disposent aujourd'hui les économistes. Comme l'a analysé Schumpeter, la dynamique naturelle de l'économie conduit à une transformation continuelle du processus de production , qui s'exprime notamment sur le marché du travail : chaque jour, des emplois sont détruits et d'autres créés, dans un relatif équilibre d'ensemble . Lors de son audition devant le groupe de travail, M. Pierre Cahuc, professeur à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne et chercheur au Centre de recherche en économie et statistiques (CREST), a ainsi indiqué qu' en France, environ 10.000 emplois étaient détruits quotidiennement, et à peu près autant étaient créés (soit quelque 2,4 millions d'emplois par an, ce qui représente 15 % de la population du secteur marchand non-agricole). Seul le solde de cette balance, qui n'en représente que moins de 0,5 %, constitue en fin d'année l'apparence visible de la création ou de la destruction nette d'emploi. Dans son récent ouvrage réalisé avec M. André Zylberberg (33 ( * )), M. Pierre Cahuc ajoute que, sur les 30.000 départs quotidiens, volontaires ou non, de salariés de leur emploi (34 ( * )), seuls 600, soit 2 %, résultent d'un licenciement économique, et 150 « seulement » sont concernés par une procédure collective. On observera à cet égard qu'à l'évidence, les effets des délocalisations sur le niveau global de l'emploi ne constituent qu'une toute petite partie de ce mouvement économique général.

Ainsi, la création et la destruction d'emplois est un phénomène de long terme qui s'exprime par une incessante et massive recomposition du travail et joue un rôle fondamental dans la croissance : cette réallocation de la main d'oeuvre serait en effet à la source de 85 % des gains de productivité.

Mais cette transformation continuelle du processus de production s'exerce de plus en plus à l'échelle internationale, à mesure que les flux de capitaux et de biens deviennent aisés et augmentent en conséquence. Les mouvements de capitaux se sont en effet développés entre pays riches, mais s'étendent de manière croissante au reste du monde. De même, la diminution tendancielle des coûts de transport concourt à la mobilité croissante des marchandises. Enfin, la réduction accélérée du coût de transmission des données numérisées transforme totalement les conditions d'élaboration des processus de production, l'effacement des distances auquel contribue la diffusion de l'Internet participant alors à la création d'un « village mondial » au sein duquel les entreprises font leurs arbitrages. Seul le facteur travail connaît une « visquosité » à la mobilité, les mouvements migratoires des populations étant considérablement moins importants que ceux des capitaux, des biens et des services. Ainsi, la main d'oeuvre apparaît comme une variable d'ajustement des mouvements économiques transfrontaliers.

Or, si la destruction est, conformément à la théorie schumpeterienne, créatrice à l'échelle internationale, il n'est pas avéré qu'elle le soit à l'intérieur d'un sous-ensemble national du « grand tout » mondial . La « destruction », qui se manifeste à l'échelle nationale, au pire, par des fermetures d'entreprises victimes de la concurrence internationale, au mieux, par des restructurations ou des délocalisations pour permettre la survie de l'entreprise, se traduit par des pertes d'emplois. Mais rien ne permet d'affirmer in abstracto que cette « destruction » est compensée par la « création », au sens de Schumpeter, sur le même territoire . C'est pourquoi, au plan conjonctuel , les délocalisations posent tant de difficultés sociales, pour les travailleurs qui en sont victimes, et territoriales, pour les espaces géographiques qui les affectent .

d) Quel rôle pour l'Etat ?

L'appel à la théorie économique incline donc à considérer les délocalisations, au même titre que d'autres symptômes de la destruction créatrice, comme un phénomène non seulement inéluctable, mais positif pour l'ensemble de l'économie, car nécessaire à sa croissance. Cependant, ses conséquences pratiques pour un territoire, notamment en terme d'emploi, ne sont pas toujours immédiatement favorables .

La rationalité du point de vue de l'entreprise, qui choisit logiquement de localiser ses activités dans les endroits où sa rentabilité est optimale, n'a ainsi rien de commun avec la logique étatique, qui tend à maximiser le bien-être social sur un territoire donné : la raison d'entreprise n'est pas la raison de l'Etat . Aussi celui-ci doit-il en permanence, non seulement adapter le cadre général dans lequel s'inscrit l'activité économique afin de la favoriser au regard de l'environnement international, mais aussi veiller à ce que les bénéfices de la croissance soient équitablement répartis entre les territoires et les individus. A l'échelle d'un pays, il s'agit en effet de mettre en balance le gain que le consommateur obtient du libre-échange et le préjudice que subit le citoyen/producteur en raison de l'éventuel affaiblissement de la vitalité de son territoire, lorsque ce dernier perd des emplois . Ce constant soutien aux adaptations territoriales et sociales nécessaires doit, à cet égard, être assuré en étroite liaison avec les collectivités locales.

3. Les délocalisations : l'imprécision de la notion est liée à celle de ses indicateurs

Définir les délocalisations soulève de grandes difficultés tant cette notion est polymorphe . A une notion relativement circonscrite s'est substituée aujourd'hui, dans le débat public, une acception beaucoup plus étendue qui en dénature parfois la compréhension. Or, la recherche de solutions efficaces aux difficultés sociales et territoriales qu'elle soulève rend nécessaire que le diagnostic soit fondé sur une analyse claire, exempte d'approximations.

a) La définition des économistes

Au sens le plus strict , la délocalisation consiste à changer de lieu une unité de production : on désigne alors par ce substantif l'ouverture d'une unité productive à l'étranger, concomitante (35 ( * )) à la fermeture d'une unité locale, sans que soit affectée la destination des biens produits : marché domestique, ce qui implique alors un flux nouveau d'importations, ou marchés étrangers, ce qui diminue les flux d'exportation.

Ainsi que l'a rappelé à votre groupe de travail, en réponse à son questionnaire, M. Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire, la délocalisation en Asie et au Maroc de 98 % de la production du groupe Salmon Arc en Ciel , fabricant de cadeaux de naissance, ou encore les délocalisations successives en 2001 et 2002 vers la Slovaquie de l'entreprise Molex Switch , fabricant de claviers et de membranes pour portables, s'inscrivent dans cette logique. De même, Mme Ségolène Royal, présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes, a indiqué qu'en 1999, l'entreprise de sanitaires Porcher avait délocalisé sa production vers la Bulgarie, conduisant à la fermeture d'une usine de 10.000 m² et de 160 emplois à Angoulême. Tel est aussi, semble-t-il, le cas de l'entreprise Ronal de Saint-Avold (Moselle), appartenant à des capitaux allemands, dont la production de jantes en aluminium pour le marché intérieur et pour l'export a été suspendue le 7 mai 2004. Depuis le mois de septembre 2003, l'usine de 170 salariés fonctionnait à 75 % de ses capacités (une semaine de chômage technique par mois en moyenne), après qu'une quarantaine de moules ait été transférée dans les deux établissements du groupe récemment construits en Pologne. Ces dernier emploient plus de 1.000 salariés, fonctionnent à plein régime et destinent une large part de leur production à l'exportation.

Dans une deuxième acception, dérivée de la première, la délocalisation désigne le recours à la sous-traitance proposée par une société étrangère afin de fournir des biens auparavant produits localement . Dans ce cas encore, que l'anglais désigne sous le terme d' « outsourcing » ou de « sourcing » (36 ( * )), les biens produits à l'étranger sont réimportés sur le marché d'origine où ils ont vocation à être commercialisés, comme substitution aux biens auparavant produits localement.

Lors de son audition par votre groupe de travail, M. Jacques Russeil, président de la Confédération des industries céramiques, a ainsi indiqué que les six groupes de l'industrie des céramiques sanitaires qui structurent ce segment disposent d'usines en Hongrie, Pologne, Bulgarie, Roumanie et Maroc, dont les productions importées en France représentent 50 % du marché français.

Enfin, certains qualifient aussi de délocalisation la création d'une nouvelle unité de production à l'étranger plutôt que sur le territoire national, sans réduction de l'activité domestique . La situation est dans ce cas plus complexe, selon qu'on considère que l' augmentation des capacités de production aurait pu être assurée localement ou non , pour différentes raisons tenant à la situation géographique des marchés concernés, aux coûts de transports, aux droits de douane ou à diverses contraintes non tarifaires. Dans le premier cas, en effet, l'extension sémantique est encore envisageable puisqu'on peut admettre que la décision d'investissement résulte bien d'une analyse d'opportunité entre territoires, national et étranger, et que le choix de la seconde branche de l'alternative « prive » l'économie domestique d'une capacité productive supplémentaire.

La DRIRE et le SGARE d'Alsace ont par exemple indiqué à votre groupe de travail, à l'occasion de son déplacement dans le Bas-Rhin, que l'entreprise DMC Tissus avait annulé des investissements et gelé des recrutements locaux pour les réaliser à l'étranger, conduisant ainsi, sans nécessairement procéder à des licenciements, à une décroissance progressive du site alsacien jusqu'à sa fermeture.

Dans le second cas, en revanche, on ne saurait légitimement parler de délocalisation dès lors qu' en tout état de cause, le site national n'aurait pas été retenu , la pénétration du marché étranger devant obligatoirement passer par une installation du site de production dans le pays ou la zone visés.

C'est ainsi que l'entreprise de plasturgie IMTEC a investi à l'étranger pour répondre à la nécessité de se trouver au plus près de ses donneurs d'ordre. Elle compte aujourd'hui 700 salariés dans le monde. Toutefois, elle vient aussi de créer 80 emplois nouveaux à Chasseneuil, dans le département de la Vienne.

Trois significations du mot « délocalisation » désignent donc une forme de substitution de la force productive étrangère à celle nationale , qui ont pour caractéristique commune d'avoir théoriquement une incidence négative directe sur l'emploi national. En effet, l'entreprise arrête de produire dans un pays donné, ou s'abstient d'y augmenter ses capacités de production, afin de fabriquer ou de faire fabriquer dans un autre pays sous forme d'investissement direct ou de sous-traitance. Toutefois, le lien entre délocalisation et niveau de l'emploi n'est pas strictement mécanique . L'emploi peut en effet bénéficier en définitive de la délocalisation d'une partie du processus productif dès lors qu'elle permet à l'entreprise de maintenir ou d'accroître sa rentabilité et, ainsi :

- soit d'éviter l'affaiblissement de sa position concurrentielle et son éventuelle liquidation, qui se traduiraient par une perte d'emplois supérieure à celle qui résulte effectivement de la délocalisation ;

- soit d'accroître ses parts de marché et sa production, accroissement susceptible de la conduire à recruter de nouveaux salariés, le cas échéant sur des métiers différents pour accompagner l'innovation et la montée en gamme.

A titre d'exemple, la Chambre française de l'horlogerie et des microtechniques a ainsi indiqué au groupe de travail que certaines entreprises de la filière ayant délocalisé une partie de leur activité comptent aujourd'hui plus de salariés sur l'ensemble de leurs sites qu'en 1982 . Dans le même esprit, la société Salmon Arc en Ciel , précédemment évoquée et visitée par votre groupe de travail lors de son déplacement dans le Maine-et-Loire, n'a perdu au total que dix emplois en France malgré la délocalisation de la quasi-intégralité de ses lignes de production à l'étranger, tandis que nombre de ses concurrents qui n'ont pas délocalisé ont aujourd'hui disparu.

b) Une extension sémantique prêtant à confusion

Mais dans le débat sur les incidences des délocalisations sur notre économie, le sens du terme « délocalisations » s'est subrepticement étendu, allant jusqu'à viser toute fermeture d'entité productive, toute cessation d'activité, sans qu'elle résulte explicitement d'une volonté de réallocation des facteurs de production dans un souci d'optimisation de la localisation de la production à l'échelle mondiale. Or, toute fermeture d'usine n'est évidemment pas la contrepartie d'une délocalisation .

Outre que la réallocation des moyens de production est parfois strictement locale (37 ( * )), une telle fermeture peut d'abord n'être que le résultat d'une amélioration de la productivité du facteur travail qui, précisément, conduit à créer la même quantité de biens avec un nombre inférieur de salariés. La rationalisation du processus productif est d'ailleurs , tous les économistes entendus par votre groupe de travail l'ont confirmé, la raison essentielle des mouvements d'emploi en France .

Par ailleurs, l'interruption d'un processus productif est aussi souvent la conséquence de l'application du principe de concurrence, lorsqu'il est entendu comme un jeu à somme nulle : dans un marché constant, si des entreprises gagnent des parts de marché, cela signifie obligatoirement que d'autres en perdent, jusqu'à éventuellement être contraintes de déposer leur bilan. Lorsque la concurrence se joue sur le terrain planétaire, le fait que le « gagnant » soit localisé ailleurs que le « perdant » est alors à tort interprété comme une délocalisation, nom nouveau donné à la perception locale du processus de concurrence internationale .

Pour votre groupe de travail, cette extension sémantique est erronée car elle confond décision assumée de l'entreprise - quand bien même elle serait effectuée sous contrainte - d'une situation subie par celle-ci : or, on ne saurait tirer de la similitude des effets apparents, i.e. la fermeture d'une unité de production, la conclusion qu'ils ont tous la même cause .

Il apparaît ainsi que, dans le débat public, le terme « délocalisations » exprime plus souvent un sentiment d'arrachement local plutôt qu'une réalité économique unanimement circonscrite. Le manque de rigueur de sa définition n'est d'ailleurs peut-être pas sans rapport avec la fortune qu'il connaît depuis quelques temps. En ne recouvrant pas exactement les concepts usuels auxquels recourent traditionnellement les économistes, il est alors, étymologiquement parlant, une notion proprement politique , c'est-à-dire relative à la polis , la cité.

Mais, tout en comprenant ce que traduit cette large acception de la notion de délocalisation, votre groupe de travail a estimé ne pas pouvoir y adhérer sans risque de fausser sa perception du phénomène et, partant, son analyse de ses causes ainsi que les solutions susceptibles d'être proposées pour le limiter . Aussi, comme les économistes, n'a-t-il qualifié de délocalisations que les mouvements d'entreprises conduisant à la substitution délibérée d'une production nationale par une production étrangère . Il a donc seulement retenu, sous ce concept, les transferts d'un site domestique à un site étranger, l'« extériorisation » à l'étranger, ainsi que les investissements de capacité à l'étranger qui auraient sans doute pu être effectués sur le territoire national si un certain nombre de conditions attractives y avaient été réunies.

c) Quels indicateurs pour appréhender le phénomène ?

Le consensus trouvé sur le sens économique du terme « délocalisation » n'empêche cependant pas un autre débat sur la manière dont le phénomène peut être appréhendé en pratique et suivi par les outils statistiques dont disposent les économistes . Le phénomène des délocalisations ne saurait en effet être strictement assimilé à des notions pourtant bien cernées par les économistes et qui lui sont apparentées : les investissements directs à l'étranger, la structure du commerce extérieur et la transformation de l'outil productif industriel.

(1) Les investissements directs à l'étranger

Flux de capitaux en provenance de France et à destination de l'étranger, les investissements directs à l'étranger (IDE) recouvrent tant les prises de participations dans le capital de sociétés étrangères par des investisseurs français ou les échanges financiers entre structures appartenant à un même groupe (prêts, avances, augmentations de capital), que les investissement dits « greenfields » , c'est-à-dire contribuant, directement ou par association avec d'autres investisseurs, par joint-venture, etc., à la création de capacités productives nouvelles à l'étranger (création d'une entreprise ou extension des capacités de production d'une entité déjà existante).

Cet indicateur, qui est très précisément observé par les économistes à partir de séries établies, au plan national, par la Banque de France et par l'Agence française des investissements internationaux (AFII) (38 ( * )), n'est cependant pas totalement pertinent pour déterminer l'ampleur des délocalisations . En effet, la prise de participation peut tout d'abord n'avoir qu'un objectif financier , qui ne se traduit pas immédiatement dans l'économie « réelle » : ainsi, les fusions-acquisitions représentent près de 80 % des IDE entrants en France. De plus, nombre de décisions d'investissement à l'étranger ne répondent qu'à une nécessité d'accès direct au marché étranger , sans influence aucune sur l'outil productif domestique. Enfin, et à l'inverse, les IDE ne révèlent pas le recours à la sous-traitance étrangère , qui est pourtant une forme de délocalisation quand elle conduit à une substitution entre les mains d'oeuvre nationale et étrangère.

(2) La structure et le solde de la balance commerciale

Le deuxième indice permettant d'évaluer l'importance des délocalisations est la dégradation de la balance commerciale industrielle ou, à tout le moins, la modification de sa structure . Au plan global, la détérioration du solde des échanges extérieurs dans un secteur industriel considéré témoigne normalement soit de l' affaiblissement des capacités exportatrices du pays (diminution des exportations), soit de l' incapacité de l'outil de production national à satisfaire l'augmentation de la demande domestique (augmentation des importations), soit naturellement des deux mouvements cumulés.

Cet indicateur de la compétitivité de l'économie peut être révélateur des délocalisations lorsqu'on se livre à une analyse combinée , par poste et par zone , de l' évolution des échanges sur une certaine période : la diminution des exportations d'un certain nombre de produits et l'augmentation concomitante des importations de ces mêmes produits, en provenance notamment des pays émergents, en est un signe important, surtout s'il accompagne une diminution des emplois dans les secteurs productifs concernés.

L'exemple le plus probant peut en être donné de manière synthétique par les indications statistiques fournies à votre groupe de travail lors de leur audition par MM. Michel Fouquin, directeur-adjoint du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), et Pascal Morand, directeur général de l'Institut de la mode. Relevant que le textile était une priorité pour beaucoup de pays en développement car il constitue historiquement le socle d'essor d'un processus d'industrialisation, ils ont indiqué que, sur la période 1967-2001, la part des pays émergents dans le commerce mondial du textile était passée de 8 à 40 % ( i.e. les importations des pays industrialisés ont augmenté), tandis que celle des pays développés avait régressé de 78 à 30 % ( i.e. leurs exportations ont globalement diminué).

On relèvera toutefois qu'à l'instar des IDE, l' indicateur du commerce extérieur n'est toutefois pas totalement probant : la dégradation du solde commercial peut simplement traduire une perte de compétitivité indépendante de tout mouvement de délocalisation, ou encore résulter d'effets de change, notamment entre l'euro et le dollar, masquant pendant un moment les mouvements de l'économie réelle.

(3) La transformation de l'outil productif industriel

Les mutations du secteur industriel sont improprement qualifiées de « désindustrialisation » (39 ( * )), terme souvent associé aux délocalisations dans le débat public et qui désigne communément la conjugaison de trois phénomènes.

Le premier est la diminution de la part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB). Cette diminution peut être absolue , comme certains secteurs de l'industrie britannique l'ont connue : elle traduit dans ce cas un mouvement de désindustrialisation stricto sensu . Mais elle est en réalité le plus souvent relative .

Cette relativité s'apprécie alors soit à l'aune de la répartition des secteurs (40 ( * )) au sein d'un même ensemble national, soit à celle de la répartition de la production industrielle au plan mondial. Dans l'un comme l'autre de ces deux cas cependant, la diminution de la part de l'industrie peut apparaître malgré une hausse continue de la production industrielle . Dans la première hypothèse, elle s'explique par une croissance du PIB supérieure à celle du secteur industriel, qui est pour l'essentiel due, dans les pays de l'OCDE, au dynamisme plus fort du secteur des services et aux effets-prix (41 ( * )). Dans la seconde hypothèse, elle résulte d'une hausse de la production industrielle mondiale plus importante que celle de la production industrielle domestique : par exemple, la part de l'industrie des Etats développés diminue relativement dès lors que l'entrée sur les marchés de nouveaux Etats producteurs suffit à absorber le surplus de la demande mondiale.

Le deuxième est l' évolution de la balance des échanges extérieurs et la transformation de sa structure. Au plan relatif, la diminution de la part de l'industrie au profit de celle des services souligne effectivement la mutation de notre économie vers le secteur informel. Au plan absolu, la diminution des résultats nets des échanges industriels témoigne d'un affaiblissement de l'outil industriel dans la compétition internationale. Mais là encore, les analyses doivent s'affiner : ainsi, d'un point de vue strictement économique, on ne peut pas invoquer la « désindustrialisation » lorsque la dégradation du solde commercial résulte d'une croissance des importations dont le taux est inférieur ou égal à celui de la demande domestique en biens industriels, puisque le complément nécessaire à la satisfaction de cette demande est bien assuré par un accroissement de la production industrielle nationale.

Le troisième phénomène consiste en la perte d'emplois industriels : l'emploi industriel a ainsi reculé de 20 % en dix ans dans la zone euro, selon les estimations avancées, lors de leur audition devant le groupe de travail, par MM. Lionel Fontagné, directeur CEPII, et Sébastien Jean, économiste senior au CEPII. Cette perte d'emploi est, elle, liée pour l'essentiel aux gains de productivité du secteur industriel, qui sont historiquement et tendanciellement très importants, de l'ordre de 5 % par an. Ainsi, l'emploi industriel peut diminuer quand bien même la production industrielle augmente (42 ( * )).

Quelles que soient les réserves méthodologiques que suscite chacun des trois indicateurs pris individuellement, force est de constater que le cumul d'un moindre poids dans la production nationale, d'un déficit extérieur et d'une perte d'emplois concerne essentiellement quelques secteurs industriels , bien connus par ailleurs pour avoir été depuis une trentaine d'années au coeur des processus de délocalisation : cuir, chaussures, habillement, textile, équipement du foyer, construction navale...

C'est que, sans être totalement identiques, les deux phénomènes s'entretiennent mutuellement . On peut ainsi résumer, de manière simplifiée, le mouvement qui a affecté les secteurs cités ci-dessus : en raison de leurs faibles coûts de production, les pays émergents gagnent des parts du marché industriel et dégagent une rentabilité élevée, ce qui a pour conséquence d'y attirer des investissements (délocalisation) ; du fait de la lenteur de la réduction de la capacité de production dans les pays de l'OCDE, la capacité mondiale devient excessive et provoque une baisse des prix, qui amoindrit la rentabilité de l'industrie dans l'OCDE (« désindustrialisation »). Comme l'atteste ce raisonnement, exposé par Mme Frédérique Sachwald, les notions de délocalisation et de désindustrialisation sont donc distinctes et ne peuvent être confondues, mais sont cependant étroitement liées.

(4) La délocalisation des activités de service

On ne peut enfin assimiler ces deux notions l'une à l'autre en raison du fait que la délocalisation ne touche plus désormais que la seule industrie . En effet, de nombreuses activités de services (43 ( * )) sont aujourd'hui affectées par des mouvements de délocalisation pure : centres d'appel, services financiers et commerciaux, ainsi que les activités de recherche-développement et, au sein de celles-ci, non plus seulement la conception assistée par ordinateur (CAO), mais aussi l'écriture des spécifications ou la simulation industrielle.

Ainsi, par exemple, depuis une quinzaine d'années déjà (44 ( * )), les grandes entreprises diversifient les implantations géographiques de leurs activités de recherche-développement. Dans ce domaine « immatériel » existe donc aujourd'hui une division internationale du travail qui met en compétition les sites nationaux tout autant qu'en matière de production industrielle stricto sensu . L'internationalisation de la recherche-développement a acquis « une dynamique autonome, l'accès aux compétences les plus pointues et aux environnements les plus propices à l'innovation jouant un rôle moteur » (45 ( * )). L'exemple d'Alcatel est à cet égard révélateur : ainsi que l'ont indiqué à votre groupe de travail MM. Olivier Calemard, directeur général d'Alcatel-CIT, et Jean-François Pradillon, directeur des exportations et des douanes, le groupe a entrepris d'implanter des unités de recherche-développement en Chine, d'abord en raison du potentiel de croissance considérable du marché chinois des télécommunications, mais aussi pour bénéficier du moindre coût des ingénieurs. Cette dernière motivation relève sans conteste d'une délocalisation, au sens premier du terme, même si ce type de décision n'interdit pas aussi le maintien d'un potentiel de R&D dans les pays occidentaux, et notamment en France.

Dès lors, si les indicateurs, bien que multiples, ne sont pas toujours adéquats, comment la délocalisation peut-elle être mesurée ?

4. Les « délocalisations » sont-elles mesurables ?

Quand bien même l'analyse du groupe de travail serait précisément circonscrite grâce au travail de définition mené plus haut, le phénomène de délocalisation apparaît difficile à mesurer : quand y a-t-il réellement transfert d'implantation d'une activité de production vers l'étranger ? Comment avoir la certitude que la production à l'étranger est un substitut à la production intérieure ? Dans quels cas peut-on établir un lien de causalité direct entre l'investissement direct à l'étranger et l'emploi ? Au-delà des effets directs, comment, à l'échelle mondiale, évaluer les effets indirects dérivant du fait que, par exemple, la valeur ajoutée d'un bien électronique vendu par une firme américaine et importé par la France a été réalisée en grande partie en Asie ?

Seul un suivi précis combinant observations macro-économiques des grands agrégats (IDE, balance commerciale, production et emploi industriels) et analyses micro-économiques des motivations et des effets des investissements français à l'étranger permettrait d'apprécier, sur une période donnée, l'amplitude réelle des délocalisations. Or, comme cela a été indiqué à votre groupe de travail, aucune étude statistique probante n'existe aujourd'hui en France , pas davantage d'ailleurs que dans la plupart des autres Etats de l'OCDE, selon la synthèse des réponses apportées par les missions économiques françaises à l'étranger au questionnaire élaboré par votre groupe de travail.

Aussi pour quantifier le phénomène et mesurer les pertes d'emplois induites dans les pays riches par l'échange avec les pays à bas salaires, les économistes avancent avec prudence en s'appuyant sur l'analyse des grands agrégats. Ils ont cependant tous indiqué à votre groupe de travail que, quels que soient les critères retenus, les délocalisations n'étaient pour l'instant pas un phénomène statistique important, et que leurs effets sur la capacité industrielle du pays comme sur l'emploi étaient extrêmement limités .

a) Un mouvement réel mais limité

M. Jean-Pierre Aubert, chef de la Mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a présenté, lors de son audition devant le groupe de travail, les estimations établies par la Direction des relations économiques extérieures (DREE) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Selon la DREE, les délocalisations auraient représenté en 1999-2000 moins de 5 % des investissements sur les pays proches (PECO et Maghreb) et moins de 1 % sur les marchés lointains. Par une autre méthode, la DREE aboutit à une estimation haute de 4 % du total des IDE , soit 19 milliards d'euros sur la période 1997-2001.

De son côté, M. Yann Lepape a indiqué au groupe de travail que des estimations internationales considéraient qu'en 2002, 20 à 25 % des IDE vers les PECO correspondraient à des délocalisations. Ce taux serait toutefois moindre dans le cas français dans la mesure où environ 75 % des IDE français dans les PECO sont dirigés vers le secteur des services, contre 50 à 55 % en moyenne générale. D'ailleurs, des évaluations menées en 2002 par les douze missions économiques de la DREE dans les PECO ont recensé environ 400 opérations d'investissement assimilables à des délocalisations, ne représentant que 10 % de l'ensemble des opérations françaises vers ces pays, soit 2 milliards d'euros.

En tout état de cause, ces sommes sont à relativiser face au montant global de la formation brute de capital fixe (FBCF), c'est-à-dire l'investissement, lequel s'est élevé, pour la France, à près de 300 milliards d'euros en 2002, ou encore face tant aux 54 milliards d'euros d'IDE entrants que la France a reçus cette année-là qu'aux 66,5 milliards d'euros sortants, en repli de 36 % par rapport à 2001.

Au reste, c'est ce pourcentage de 10 % que M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, a présenté lors de son audition comme étant probablement le taux maximum, au niveau global, des investissements français à l'étranger correspondant à ce qu'on peut qualifier de délocalisations .

Par ailleurs, indépendamment du niveau exact de la proportion des IDE sortants constituant des délocalisations, l'impact de ces IDE sur l'emploi reste sujet à discussion , en particulier s'agissant des investissements « greenfields » . Nul n'est en mesure aujourd'hui d'établir quantitativement la part des délocalisations dans les évolutions de l'emploi industriel français . Plusieurs signes indiquent toutefois qu'il ne saurait s'agir, globalement, d'un mouvement de grande ampleur .

Les quelques rares études portant précisément sur ce sujet réalisées à l'étranger sont toutes convergentes :

- ainsi, les statistiques du ministère du travail américain évaluent à seulement 2 % du total le nombre des licenciements de plus de 50 personnes dus à des délocalisations ou à une compétition étrangère entre 1998 et 2003 (46 ( * )) ;

- au Japon, pays qui a pourtant fait de la délocalisation dans sa zone d'influence un axe de politique économique clairement assumé, une étude du RIETI évalue à 62.000 le nombre des emplois directs perdus en 2001 consécutivement aux IDE nippons en Asie (47 ( * )) ;

- enfin, une toute récente enquête menée Outre-Rhin sur les conséquences des investissements allemands et autrichiens dans les PECO entre 1990 et 2001 indique que le nombre total des emplois détruits en Allemagne s'élève sur la période à environ 90.000 (48 ( * )).

Encore doit-on observer que tous ces calculs ne prennent pas en compte les créations d'emplois induits dans d'autres secteurs ni, naturellement, les pertes d'emplois qui auraient pu résulter d'une absence de délocalisation. La France étant probablement encore moins sujette aux délocalisations que les trois Etats ci-dessus, il est probable que les proportions seraient similaires et donc, d'un strict point de vue macro-économique, relativement négligeables au regard des 10.000 destructions quotidiennes d'emploi rappelées par MM. Cahuc et Zylberberg dans leur récent ouvrage (49 ( * )).

Par ailleurs, les investissements à l'étranger des entreprises optant pour une stratégie d'internationalisation et de conquête de nouveaux débouchés sont globalement source d'emplois et constituent un soutien à l'équilibre de la balance commerciale. Selon la DREE, les dix secteurs industriels qui ont le plus investi à l'étranger (pour un montant d'environ 37 milliards d'euros, soit 60 % des flux cumulés) entre 1997 et 2000 ont créé, à l'exception de la chimie et du raffinage, près de 100.000 emplois domestiques nouveaux .

De leur côté, MM. Lionel Fontagné et Sébastien Jean ont indiqué au groupe de travail que la production dans des filiales étrangères ne pouvait être systématiquement assimilée à une substitution à la production française, c'est-à-dire à ce qui caractérise les « délocalisations ». A cet égard, ils ont présenté les résultats d'une étude du CEPII portant sur l'industrie qui conclut qu'investir à l'étranger aboutit généralement à une amélioration, in fine , de la balance commerciale du pays investisseur . Selon les estimations du CEPII, 1 euro investi à l'étranger génère 0,59 euro d'exportations et 0,24 euro d'importations, soit un excédent commercial de 0,35 euro dont on peut penser qu'il est positif en terme d'emploi. En outre, les économistes du CEPII observent que les IDE peuvent accélérer la hausse de la demande relative de main d'oeuvre qualifiée , notamment parce qu'ils créent des besoins en tâches de supervision et de liaison. De ce point de vue, les IDE, et donc, en partie, les délocalisations, sont bénéfiques à l'économie car elles renforcent sa capacité exportatrice.

L'observation empirique tendrait donc à rejoindre la théorie économique : au plan macro-économique, les délocalisations auraient un impact faible, voire discutable, en ce qui concerne tant la dynamique économique que l'évolution du marché de l'emploi.

b) Une réalité territoriale qui risque de se poursuivre

Cependant, quelles que soient les mesures quantitatives du phénomène, les délocalisations existent bel et bien : elles sont durement ressenties localement. Quand un bassin industriel perd massivement des emplois du fait de la globalisation de l'économie, ce sont des centaines voire des milliers d'hommes et de femmes, et donc de familles, qui vivent une forme d'exclusion de la compétition mondiale, exclusion que d'aucuns peuvent d'ailleurs ressentir comme vexatoire . C'est finalement la vie entière de ce bassin qui est menacée et c'est ce traumatisme-là qui justifie l'écho donné aux délocalisations, plutôt que la quantité objective d'emplois concernés .

Un décalage évident apparaît entre l'entreprise, à qui la délocalisation apporte une solution, et le territoire où elle est implantée, qui vit cette délocalisation comme un problème. A cet égard, la délocalisation est bien davantage un enjeu territorial plutôt qu'économique .

En outre, si sa mesure laisse penser aujourd'hui qu'il est de faible ampleur, le mouvement des délocalisations est une tendance lourde dont certains estiment qu'il est appelé à une accélération forte dans les années qui viennent . Ainsi, lors de leur audition, MM. Laurent Petizon, vice-président du cabinet de conseil ATKearney, et Olivier Delrieu, directeur, ont fait observer au groupe de travail que la masse salariale américaine délocalisée, qui était estimée à 4 milliards de dollars en 2000, serait de 24 milliards en 2005 et pourrait être de 65 milliards en 2010. Ils considéraient en outre que l'Europe avait environ trois ans de retard sur les Etats-Unis, évoquant notamment, à titre illustratif, le fait que 20 % des budgets informatiques américains étaient délocalisés en 2003 contre seulement 5 % en Europe.

Les délocalisations méritent donc bien d'être placées sous surveillance.

B. LES INDUSTRIES DE MAIN D'oeUVRE

Dès la première révolution industrielle, les industries de main-d'oeuvre ont constitué la colonne vertébrale du développement économique de la France . Alors que les gains de productivité dans le secteur agricole, en vertu de la loi des rendements décroissants, occasionnaient un trop plein de main d'oeuvre agricole, le secteur industriel connaissait un développement suffisamment dynamique pour accueillir cette main d'oeuvre, contrainte de quitter les campagnes pour trouver un emploi et prête à accepter de faibles salaires et des conditions de travail éprouvantes.

Cette vive expansion de l'industrie a été rendue possible par les mutations profondes du processus productif, dont certaines n'ont toutefois pas été sans entraîner d'importantes perturbations sociales . La révolte des canuts lyonnais et les grandes grèves ayant touché le secteur du tissage quand ont été mis en place les premiers métiers à tisser automatiques constituent l'un des exemples les plus célèbres des réactions de rejet que peut susciter le progrès technologique. Cependant, l'augmentation des besoins et l'élévation du niveau de vie de la population française assuraient une base de croissance suffisante à l'industrie pour lui permettre de créer des emplois en grand nombre, ses performances étant de plus améliorées par des grappes d'innovation récurrentes.

C'est après la deuxième guerre mondiale que l'industrie française a connu son « âge d'or » . Confrontée aux nécessités de la reconstruction du pays, l'économie française a alors organisé son rattrapage économique autour du secteur industriel, notamment grâce aux filières du bâtiment et des travaux publics, de l'automobile, de l'énergie, puis de la chimie et de l'aéronautique. Il en a résulté une période de très forte croissance, unique dans l'histoire française, au cours de laquelle l'industrie a pris un poids prépondérant dans l'activité économique. Cette période, baptisée les « Trente glorieuses » par l'économiste Jean Fourastié (50 ( * )), s'est étendue jusqu'en 1974 , année où la part de l'industrie dans la formation du PIB a atteint son maximum historique , le secteur employant plus de 38 % de la population active . Le premier choc pétrolier intervint alors comme élément déclencheur d'une première rupture économique, marquant le début de difficultés touchant le secteur industriel qui se manifestèrent par la restructuration en profondeur de pans entiers de l'outil industriel du pays (la sidérurgie en ayant sans doute été l'un des plus symptomatiques).

Pour autant, les nouveaux défis structurels et économiques - apparus à cette époque et amplifiés depuis - auxquels sont aujourd'hui confrontées les industries de main-d'oeuvre ne sauraient être interprétés comme un déclin du secteur industriel . Bien au contraire, force est de constater qu'au-delà des nombreux cas de fermetures d'usines, de délocalisations et de restructurations industrielles, la compétitivité du secteur industriel est restée robuste , comme en témoignent en particulier une croissance toujours soutenue en volume et une évolution positive de la productivité du travail . Reste que l'industrie doit désormais faire face à des problématiques nouvelles résultant de l'approfondissement de la mondialisation , au nombre desquelles figurent les délocalisations.

1. Les mutations du secteur industriel

La structure de l'industrie française n'a aujourd'hui plus grand-chose de commun avec celle qui la caractérisait il y a encore quelques décennies. Le secteur a connu nombre de restructurations pour s'adapter à la constante évolution de la concurrence internationale. Ce faisant, il a suivi un mouvement similaire à celui observé dans les autres pays développés.

a) Une vieille nation industrielle confrontée aux mutations économiques

Alors que l'industrie constituait le moteur principal de la croissance économique et de la création d'emplois de 1945 à 1974 - même si ce constat ne doit pas pour autant conduire à minorer la contribution des services à cette expansion -, les difficultés affectant l'industrie française à la suite du premier choc pétrolier ont conduit un certain nombre d'observateurs à en annoncer le déclin.

Cette analyse a connu un regain d'actualité récent, qui doit être replacé dans le cadre de la conjoncture morose que connaissent les économies européennes depuis 2001, avec les annonces récurrentes dans les médias de délocalisations d'entreprises industrielles vers des pays émergents, à l'instar des nouveaux entrants dans l'Union européenne, des pays du pourtour méditerranéen, de l'Inde et surtout de la Chine. Désormais, le spectre d'une France sans usines est fréquemment brandi et, de manière concomitante, la capacité de l'économie française à créer des emplois est régulièrement remise en question .

Face à ce constat pessimiste, votre groupe de travail a eu à coeur de procéder à une analyse fondée sur des faits afin de pouvoir déterminer si l'industrie française est, ou non, véritablement vouée à s'étioler.

Il ressort de ses travaux , fondés, entre autres, sur les auditions d'un nombre important de représentants de l'industrie et d'économistes, que les défis qui se posent à une grande part des secteurs industriels ne sont pas le signe d'un phénomène massif de désindustrialisation . Cette observation est au demeurant conforme tant aux indications récemment avancées par la DATAR (51 ( * )) qu'aux conclusions du remarquable travail d'investigation sur la désindustrialisation du territoire mené ces derniers mois par la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale (52 ( * )).

Globalement, la part de l'industrie en volume dans le PIB français est en effet restée stable au cours des vingt dernières années, avec 19,5 % en 2002 contre 20,1 % en 1978 , ce qui signifie que l'économie française n'a rien perdu de sa capacité productive industrielle . D'une part, la production en volume augmente tous les ans (environ 2,5 % par an en moyenne depuis 1980). D'autre part, la progression des investissements industriels a été remarquable car ces derniers ont crû à un rythme annuel moyen de 5 % en volume depuis 1978, contre 2,3 % pour l'ensemble de l'économie.

Ainsi, la France conserve encore un tissu industriel dense . En 2001, l'industrie employait ainsi près de 18,4 % des effectifs salariés, soit 4 millions de personnes , dont plus de la moitié était située dans les six régions suivantes : Île-de-France, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Centre et Alsace.En termes sectoriels, l'industrie qui occupe le plus d'effectifs est celle des biens intermédiaires, avec 41 % du total de l'emploi industriel. Viennent ensuite l'industrie des biens d'équipement (21 %), des biens de consommation (17 %), de l'agroalimentaire (12 %) et de l'automobile (8 %). Les industries du textile et de l'habillement représentent également un secteur économique significatif (5 %), bien que soumis à des difficultés importantes. Ce tissu industriel, composé essentiellement de PME-PMI (au nombre de 9.650 en 2001), regroupait alors environ 196.000 emplois.

Mais une telle observation statistique ne doit cependant pas conduire à minimiser les effets des restructurations industrielles sur l'emploi et, notamment, leurs conséquences très déstabilisantes pour un grand nombre de territoires où l'industrie est traditionnellement très présente .

b) Globalement en baisse, l'emploi industriel est soumis à des mouvements contraires

Malgré ce constat positif, l'analyse des statistiques sur la période 1978-2002 démontre une forte perte nette d'emplois industriels , de l'ordre de 1,5 million . Par secteur, les principales industries concernées ont été le textile (- 15 %), l'habillement (- 55 %) et la chaussure (- 38 %, ce secteur n'employant plus que 20.000 salariés aujourd'hui). Les emplois dans le secteur de l'automobile ont connu une baisse moins élevée, mais les équipementiers ont été fragilisés par la nouvelle concurrence des pays d'Europe de l'Est. Par ailleurs, la période la plus récente a vu un certain nombre de segments des industries des nouvelles technologies affectés par la concurrence de pays asiatiques, de l'Inde et de la Chine.

Toutefois, toutes les évolutions de l'emploi industriel n'ont pas été négatives et plusieurs secteurs industriels ont connu une forte croissance de leur main d'oeuvre depuis dix ans. Ainsi, il existe un groupe d'industries pour lesquels l'emploi a été orienté à la hausse entre 1989 et 2001 : industries agricoles et alimentaires, pharmacie et parfumerie, composants électriques et électroniques, production d'énergie. Ensemble, ces secteurs regroupaient près de 1,08 million de salariés en 1989 et environ 1,14 million en 2001, soit une progression de près de 60.000 emplois sur la période (+ 5,3 %), pendant que l'ensemble de l'emploi industriel enregistrait une diminution de 1,1 %.

Toutefois, il est vrai que la destruction d'emplois à l'oeuvre dans les secteurs industriels traditionnels a connu une accélération récente et que même certains secteurs plus « dynamiques » ont également été affectés . L'atonie de la croissance depuis 2001 a rendu l'année 2003 particulièrement difficile pour l'industrie, notamment pour les filières de la métallurgie et du textile, puisque près de 33.000 emplois industriels ont été détruits au cours du troisième trimestre 2003. Par ailleurs, cette tendance semble s'être poursuivie, voire amplifiée, au cours du premier semestre 2004, et l'on estime à près de 27.000 le solde négatif des mouvements d'emplois industriels attendu fin juin (53 ( * )).

Si ces derniers mois ont donc été globalement inquiétants sur le front de l'emploi industriel, certaines régions apparaissent particulièrement touchées . Ainsi, les dernières statistiques globales disponibles indiquent qu'en 2002, les régions Centre (- 4,3 %), Alsace (- 3,5 %), Picardie (- 3,3 %) ou encore Île-de-France (-3,1 %) ont connu une évolution très négative de leur emploi industriel, qui n'a en outre souvent pas été compensée par une croissance supérieure de l'emploi tertiaire. De plus, la moitié des autres régions métropolitaines ont enregistré une diminution de leur emploi industriel comprise entre 2,0 et 2,9 %, comme en témoigne le tableau figurant page suivante.

c) Une diminution similaire dans les autres pays développés

A l'instar de la France, dont l'emploi industriel est passé de 3,38 millions à 3,24 millions entre 1994 et 2002, soit une baisse de 4,4 %, tous les grands pays industriels de l'Union européenne ont connu un net recul de leur emploi manufacturier au cours de la dernière décennie , dans des proportions au demeurant plus importantes parfois qu'en France.

Ainsi, le Royaume-Uni perdait 1,4 million d'emplois (- 27 %) entre 1990 et 2002, l'Italie 325.000 emplois (- 13,5 %) entre 1994 et 2001, l'Allemagne 925.000 emplois (- 10,6 %) entre 1994 et 2002. Seules l'Espagne et l'Irlande ont fait exception à cette tendance , avec des hausses respectives de l'emploi industriel de 1,5 % entre 1993 et 2001 et de 67 % entre 1990 et 2000. Les États-Unis n'échappent pas non plus à cette évolution qui touche les grands pays industrialisés puisque l'emploi industriel se situait à un niveau de 22,2 millions en 1990 et de 19,5 millions en 2002, soit un recul de plus de 12 %, l'ajustement le plus important ayant eu lieu en 2001 avec une réduction de 6,7 % des effectifs industriels.

Les évolutions de l'emploi industriel en France doivent donc être relativisées au regard des celles qui touchent ses principaux partenaires .

RÉPARTITION ET ÉVOLUTION DE L'EMPLOI TOTAL ET INDUSTRIEL PAR RÉGIONS

Effectifs au 31-12-2002

Emploi industriel

Emploi total

Région

Nombre

? %

Poids (1)

Nombre

? %

Poids (2)

Alsace

159.846

-3,5 %

30,5 %

523.704

-0,5 %

3,3 %

Aquitaine

147.835

-1,5 %

21,5 %

686.458

+2,0 %

4,3 %

Auvergne

94.760

-1,6 %

32,0 %

296.186

+0,8 %

1,9 %

Basse-Normandie

93.128

-1,9 %

27,7 %

336.679

+0,7 %

2,1 %

Bourgogne

120.126

-2,9 %

31,1 %

386.005

+0,6 %

2,4 %

Bretagne

174.481

-1,8 %

25,4 %

686.826

+1,3 %

4,3 %

Centre

186.323

-4,3 %

30,1 %

618.493

-0,1 %

3,9 %

Champagne-Ardenne

103.523

-2,8 %

32,3 %

320.875

-0,2 %

2,0 %

Corse

4.267

+0,4 %

8,4 %

51.028

+3,9 %

0,3 %

Franche-Comté

114.089

-2,6 %

39,3 %

290.137

+0,6 %

1,8 %

Haute-Normandie

145.436

-0,9 %

31,2 %

465.894

+0,4 %

2,9 %

Île-de-France

598.368

-3,1 %

15,1 %

3.970.032

-0,3 %

25,0 %

Languedoc-Roussillon

67.220

-1,1 %

14,5 %

462.617

+2,8 %

2,9 %

Limousin

42.785

-2,3 %

28,1 %

152.361

+1,2 %

1,0 %

Lorraine

161.407

-2,8 %

30,2 %

534.625

-0,7 %

3,4 %

Midi-Pyrénées

138.932

-2,7 %

22,5 %

616.759

+2,7 %

3,9 %

Nord-Pas-de-Calais

263.069

-2,4 %

26,9 %

977.938

+1,2 %

6,2 %

Pays de la Loire

273.596

-2,0 %

30,5 %

897.639

+1,7 %

5,7 %

Picardie

143.609

-3,3 %

34,3 %

418.348

+0,2 %

2,6 %

Poitou-Charentes

100.156

-1,3 %

27,2 %

368.184

+1,1 %

2,3 %

Provence Côte d'Azur

155.528

-1,4 %

14,0 %

1.114.015

+2,1 %

7,0 %

Rhône-Alpes

478.356

-2,6 %

28,3 %

1.687.369

+0,4 %

10,6 %

Ensemble

3.766.840

-2,5 %

23,7 %

15.862.172

+0,7 %

100,0 %

(1) Poids de l'industrie dans l'emploi régional (2) Poids de la région dans l'emploi national Source : ASSEDIC

2. Les facteurs de transformation de l'industrie et des emplois industriels

Quoiqu'il en soit, les évolutions du nombre et de la structure des emplois industriels français s'inscrivent dans un processus constant de mutations qui ont profondément modifié le secteur industriel. A cet égard, la quantité d'emplois industriels n'étant pas nécessairement corrélée positivement à la santé économique du secteur, et pouvant en outre dépendre de facteurs qui ne sont pas liés à celle-ci, le critère de l'emploi ne saurait être retenu comme indicateur du dynamisme industriel .

a) Un secteur en restructuration dans un contexte d'internationalisation

Pour parvenir à comprendre les mécanismes sous-jacents à ces évolutions économiques, il est indispensable de mettre en exergue des facteurs puissants de transformation des structures industrielles et de l'emploi.

(1) La poursuite des tendances structurelles

Tout d'abord, ce qui pourrait être hâtivement analysé comme le déclin de l'industrie est le résultat des transformations de la structure économique française en raison du processus continu de destructions/créations d'emplois . Ainsi que l'a rappelé lors de son audition M. Nicolas Jacquet, Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la structure de l'économie française s'est profondément modifiée en une génération : entre 1978 et 2002, le poids de l'agriculture a été divisé par plus de deux et celui des services a augmenté de 50 % .

Ces mutations ont également été rappelées par M. Pierre Ralle, directeur du Centre d'études de l'emploi, qui a en outre souligné devant votre groupe de travail que, depuis plus de vingt ans, la baisse tendancielle de l'emploi industriel n'avait connu que deux exceptions : l'une est sectorielle, et concerne l'industrie agro-alimentaire, dont le taux d'emploi a progressé sur la période, l'autre étant conjoncturelle, l'emploi industriel s'étant en effet stabilisé entre 1997 et 2001 en raison d'un taux de croissance global de l'économie plus élevé. La décroissance de l'emploi industriel doit donc être interprétée comme la poursuite des évolutions qui ont structuré l'économie française depuis la fin de la Révolution industrielle . Alors que la part des emplois agricoles dans l'économie continuait sa décrue, alimentant ainsi un mouvement de « déversoir » vers le secteur industriel, celui-ci, à son tour, a perdu des emplois au profit du secteur tertiaire depuis le milieu des années 1970, du fait de gains de productivité importants .

Cette évolution ne serait guère problématique si les créations dans le secteur tertiaire compensaient strictement, voire dépassaient, les pertes d'emplois industriels . Toutefois, il arrive que les gains enregistrés dans un secteur ne soient pas, à l'échelle d'une année, suffisants pour compenser les pertes d'emplois dans un autre. Si un tel phénomène venait à être structurel et non seulement conjoncturel, la capacité de l'économie française à créer des emplois ferait alors débat . Cependant, comme l'ont indiqué à votre groupe de travail Mme Claudine Peretti, directrice de la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) au ministère de l'éducation nationale, et M. Claude Seibel, président du Groupe de prospective des métiers et qualifications du Commissariat général du Plan, les perspectives en matière d'emploi dans le secteur des services semblent permettre d'écarter cette hypothèse, même en l'absence de reprise d'une croissance plus forte. Au remplacement nécessaire des départs à la retraite attendus d'ici 2015 , en particulier dans la fonction publique, devrait en effet s'ajouter un accroissement de la demande potentielle de services , notamment dans la santé, propre à générer d'importants besoins de main d'oeuvre.

(2) Un secteur sensible à la conjoncture

A l'image des autres secteurs de l'économie, les cycles conjoncturels jouent un rôle déterminant dans les mouvements affectant l'industrie. Le ralentissement conjoncturel intervenu depuis l'année 2001 , principalement lié à l'effondrement boursier, à la crise des nouvelles technologies et à l'accroissement des incertitudes géopolitiques, a eu un effet négatif très direct sur la capacité des économies des pays développés à créer des emplois , en particulier des pays comptant des secteurs industriels développés. La nouveauté de l'actuel cycle économique est que la crise touche désormais des branches relativement épargnées jusqu'à présent (électronique, biotechnologies), ainsi que l'illustrent les difficultés que connaissent des entreprises comme Philips ou STMicroelectronics.

Un autre facteur susceptible d'affecter la compétitivité de l'industrie est la parité des taux de change . Cette altération est du reste d'autant plus pénalisante qu'elle apparaît artificielle, résultant davantage de décisions de politique économique parfois suspectes que reflétant réellement la parité des pouvoirs d'achat. Ainsi, lorsque, comme aujourd'hui, les évolutions de change entre le dollar et l'euro sont, pour la plupart des économistes, différentes d'au moins 15 % de l'équilibre auquel devrait permettre d'aboutir la comparaison des économies des Etats-Unis et de la zone euro, ou que le yuan chinois, lié au dollar pour des raisons politiques, est notoirement sous-évalué, l'industrie européenne en est gravement et durablement pénalisée.

Cette sensibilité du secteur industriel aux cycles conjoncturels et à la parité des changes est au reste accrue par l'internationalisation des entreprises . Celles-ci, notamment les plus importantes, sont souvent en mesure de restructurer et relocaliser des pans entiers, voire la totalité, de leur processus productif afin d'optimiser les différentes opportunités de croissance dans les grandes zones géographiques. C'est alors l'emploi domestique qui devient la variable d'ajustement de ces évolutions .

b) L'emploi industriel en crise ?

L' observation quantitative de l'emploi industriel est bouleversée par plusieurs évolutions qui, résultant de cette recherche permanente de la rentabilité des entreprises, en affectent tant la structure que la qualité , sans pour autant les détériorer nécessairement. Ces mouvements rendent ainsi plus délicates les comparaisons historiques comme l'analyse de ce qui est communément qualifié de crise de l'emploi industriel.

(1) L'augmentation continue de la productivité du travail dans l'industrie

La baisse de la productivité apparente du travail depuis le début des années 1980 est l'une des caractéristiques principales des économies européennes . Comme l'ensemble des pays riches, l'économie française a été marquée par un tel ralentissement, la productivité passant d'un taux annuel de 4 % dans les années précédant le premier choc pétrolier à 1,3 % à la fin des années 1990 (ce taux était de 1,8 % au Royaume-Uni et aux États-Unis).

Cette tendance de fond est toutefois essentiellement due à la tertiarisation de l'économie . En effet, le secteur industriel a, pour sa part, toujours enregistré, sur moyenne période, des gains de productivité importants , s'élevant à plus de 4 % en moyenne annuelle depuis 1980 , grâce au progrès technologique . L'automatisation croissante et les innovations techniques ont ainsi, à quantité produite égale, diminué les besoins de l'industrie en main d'oeuvre . Cette baisse des effectifs industriels, contrepartie naturelle de cette évolution, se répercute positivement sur l'ensemble de l'économie au travers de la baisse relative des prix industriels. En outre, la baisse des prix des biens d'équipements offre au secteur des services la diffusion du progrès technologique, ce qui alimente la productivité globale des facteurs. Enfin, cette baisse des prix a permis aux industriels de défendre leurs parts de marché à l'international.

Toutefois, même si à court terme, une baisse de la productivité du travail peut avoir un effet positif sur l'emploi, il convient de rappeler que, à long terme , la croissance économique dépend directement de la capacité d'innovation d'une économie et donc d'une évolution positive du progrès technique .

Tel était d'ailleurs tout l'enjeu des débats intervenus en 2000 sur la nouvelle économie et le regain de croissance de la productivité du travail américaine, source de créations d'emplois qui auraient été, selon l'avis de certains économistes, liées à la diffusion des TIC dans l'ensemble des branches de l'économie. Dans la mesure où le taux de croissance d'une économie à long terme est déterminé par un ensemble de facteurs mais plus particulièrement par la croissance de la démographie et l'évolution de la productivité, il est donc impératif que les économies européennes renouent avec la croissance de la productivité du travail pour relancer la « machine à créer des emplois ».

(2) Le travail temporaire

Le recours massif des entreprises industrielles au travail intérimaire permet d'expliquer une partie des mouvements de l'emploi industriel car les emplois intérimaires, dont beaucoup concernent des postes de travail industriels, sont statistiquement recensés dans le secteur des services (l'employeur du travailleur intérimaire étant une société de services). Or, ces emplois sont passés, au cours des années 1990, d'un effectif de 150.000 à plus de 300.000 . La réintégration d'une partie d'entre eux dans les statistiques industrielles permettrait , de ce fait, de diminuer mécaniquement l'importance apparente des pertes d'emplois dans le secteur manufacturier .

En effet, le recours à l'intérim permet aux entreprises de disposer d'une main d'oeuvre flexible en externalisant vers une société de services la gestion des rigidités du marché du travail , notamment celles induites par les législations nationales du travail. Ainsi, l'emploi d'intérim a supporté l'essentiel de l'ajustement des effectifs lors de la rupture de croissance de 2001-2002, ce qui a permis de limiter la baisse de la productivité par salarié à 0,3 %, intérim compris, contre 1 % sans prendre en compte ces effectifs.

(3) L'extériorisation des tâches

Les entreprises industrielles, pour améliorer leur rentabilité ou se consacrer à leur coeur de métier , ont progressivement confié un certain nombre de leurs tâches de gestion (entretien, comptabilité, maintenance, marketing, services après-vente, parfois ressources humaines, etc.) à des sociétés de services , qui les assurent pour leur compte : c'est ce qu'on appelle l'« extériorisation ». L'extériorisation des services hors du secteur industriel, dans son acception comptable, a ainsi conduit à une baisse mécanique du nombre d'emplois industriels , puisque ceux-ci sont comptabilisés à raison du secteur d'activité de l'employeur et non en fonction du poste de travail occupé .

Le secteur des services aux entreprises connaît partout en Europe une croissance liée à cette « tertiarisation » ou dématérialisation de l'activité industrielle. La France n'échappe pas à cette tendance, avec un taux d'extériorisation des services industriels de l'ordre de 50 % et une augmentation de l'emploi du secteur des services aux entreprises de plus de 1,2 million de postes de travail depuis 1990 . Dès lors, si l'industrie manufacturière stricto sensu ne représente plus que 17 % du PIB, les services industriels qu'elle a extériorisés restent liés à son existence et doublent pratiquement cette proportion .

En réalité, l' imbrication de l'industrie et des services aux entreprises est aujourd'hui si importante qu'elle rend la frontière entre les deux secteurs de plus en plus floue . Ainsi que l'a souligné lors de son audition M. Jean-Pierre Falque-Pierrotin, directeur général de l'industrie, des techniques de l'information et des postes (DIGITIP), les technologies de l'information conduisent à la constitution d'entreprises étendues, étroitement liées à leurs clients et à leurs fournisseurs. A cet égard, les mesures statistiques issues des années 1950, peu modifiées depuis, saisissent difficilement les réalités nouvelles d'un tissu constitué d'activités de services, disposant des caractéristiques d'une industrie . Cette imbrication croissante conduit d'ailleurs les Anglo-saxons à avoir une acception plus large que les Français du terme « industrie », qui regroupe, dans leur terminologie, les activités productives non seulement matérielles, mais aussi immatérielles. C'est dans cette optique que M. Jean-Louis Levet, chef du service des entreprises et du développement des activités économiques au Commissariat général du Plan, a affirmé, lors de son audition par votre groupe de travail, que la société post-industrielle était un mythe car, dans les pays où les services se développent fortement, l'industrie croît . Si cette observation est globalement vérifiée, elle doit pourtant être nuancée par l'analyse des évolutions affectant certaines économies comme celle du Royaume-Uni par exemple.

(4) Crise des emplois non qualifiés ou des emplois compétitifs ?

On ne saurait enfin examiner la crise des emplois industriels sans se référer à la distinction à opérer entre emplois non qualifiés et emplois compétitifs . Ainsi, les transformations de la structure productive mondiale et la diffusion du progrès technique à l'échelle internationale se traduiraient, dans les économies les plus développées, par un biais en défaveur du travail non qualifié , selon un mécanisme historique ternaire :

- destruction des emplois les moins qualifiés à mesure de l'émergence des pays dotés d'une main d'oeuvre abondante et peu chère, qui offrent des perspectives de rentabilité plus importantes ;

- diminution supplémentaire du nombre des ouvriers non qualifiés par substitution accélérée des facteurs de production ( i.e. remplacement du travail par du capital) en raison de la diffusion des automatismes industriels ;

- hausse croissante des besoins de main d'oeuvre qualifiée, y compris dans les secteurs où l'emploi baisse globalement, en raison du développement des fonctions commerciales, d'études, de recherche, de conception, de marketing, etc.

A titre d'exemple, dans l'ensemble du secteur français de la métallurgie, le nombre d'ouvriers est passé de 1,5 million à 986.000 entre 1981 et 2001, celui des employés, techniciens et agents de maîtrise a régressé de 733.000 à 503.600, tandis qu'à l'inverse, le nombre de cadres et d'ingénieurs a progressé de plus de 50 % sur la même période, passant de 199.800 à 312.500.

Cette théorie doit néanmoins être nuancée au regard des analyses développées devant votre groupe de travail par M. Pierre-Noël Giraud, pour qui la distinction entre les emplois du secteur abrité de la concurrence internationale et du secteur exposé est aujourd'hui plus pertinente . Proposant d'examiner la part de l'économie nationale qui s'inscrit dans le secteur exposé, il observe que l'emploi d'un travailleur non qualifié n'est pas nécessairement menacé s'il se situe dans le secteur abrité (construction, tourisme ou restauration, par exemples). De même, les emplois qualifiés soumis à la concurrence internationale sont désormais autant menacés que les emplois non qualifiés , puisque les pays émergents les plus importants, Brésil, Russie, Inde et Chine (BRIC), disposent d'un très important nombre de « cols-blancs » parfaitement formés. Le défi des économies européennes serait alors de restructurer et de renforcer les secteurs exposés à la concurrence internationale tout en développant, dans le même temps, le nombre d'emplois situés dans le secteur abrité.

Ainsi, la capacité industrielle française est confrontée à des mutations multiformes et à la nécessité de s'adapter pour ne pas disparaître . Comme l'on relevé lors de leur audition Mme Marie-Suzie Pungier, Secrétaire confédérale à Force ouvrière (FO), M. Hervé Perrier, responsable de la fédération FO de la métallurgie, et M. Francis Van de Rosieren, Secrétaire général de la fédération FO des textiles, il convient en effet de se garder de laisser se constituer progressivement « une industrie sans savoir et sans main d'oeuvre » .

Car l'industrie exerce un effet d'entraînement fondamental sur le reste de l'économie , bien plus élevé que celui des activités de services. Selon les calculs de la DATAR, il ressort ainsi que, pour un euro de production, l'industrie consomme près de 0,70 euro de produits intermédiaires contre 0,40 euro pour les services . En outre, plus de la moitié des commandes passées à l'ensemble de l'économie française émanent du secteur industriel. En particulier, celui-ci constitue un client essentiel du secteur des services, lesquels arrivent dans certaines entreprises ou branches au premier rang des consommations intermédiaires. On trouve ainsi, parmi les services les plus consommés par l'industrie, le conseil et l'assistance, les services opérationnels et les transports. A titre d'exemple, le conseil et les services opérationnels, avec un total de 5,2 milliards d'euros en 2001, occupent les troisième et quatrième rangs des consommations des industries du secteur de la viande et du lait. De même, les services opérationnels constituent la plus importante dépense de l'industrie chimique en produits intermédiaires, avec un total de 4 milliards d'euros en 2001.

Il est donc indispensable de trouver les voies et moyens pour que la France maintienne et développe sa puissance industrielle afin de renforcer sa croissance économique. Mais ce défi est d'autant plus difficile à relever que le pays est confronté à la concurrence directe de nouvelles zones géographiques dotées de forts avantages comparatifs .

3. La concurrence de nouvelles zones géographiques dotées de forts avantages comparatifs

En France, la problématique des délocalisations est pour l'essentiel née de la concurrence nouvelle d'un petit groupe de pays émergents au très puissant pouvoir attractif . Sans mésestimer les transferts d'entreprises vers des pays tels que Madagascar, l'Île Maurice, le Brésil, le Viêt-Nam, etc., les délocalisations sont principalement orientées vers quatre zones dotées de forts avantages comparatifs : les PECO, les pays méditerranéens, l'Inde et la Chine.

a) Le défi de l'Union européenne à 25

L'Union européenne doit relever le défi de l'entrée dans le marché intérieur de dix nouveaux pays, dont huit sont issus de l'ancien bloc communiste. Divers éléments font, en effet, de ces pays, depuis une dizaine d'années déjà, un pôle d'attraction important pour l'implantation d'activités économiques à capitaux étrangers : faibles coûts du travail, qualification et productivité de la main d'oeuvre intéressantes, proximité du marché européen, etc.

L'attractivité des coûts unitaires du travail dans les PECO est incontestable. D'après les données de l'Organisation internationale du travail (OIT), les coûts salariaux dans le secteur manufacturier de ces pays, alors candidats, représentaient à la fin des années 1990 en moyenne moins de 10 % des coûts salariaux allemands, les plus élevés de l'Union européenne. Certes, les salaires réels (tous secteurs confondus) ont augmenté plus rapidement qu'à l'Ouest, au rythme moyen de 3,9 % par an entre 1995 et 2000, et ce rattrapage se poursuit actuellement. Toutefois, plusieurs de ces pays, en particulier la Pologne, disposent de réservoirs de main-d'oeuvre importants qui modèrent le rythme de la convergence salariale. En effet, le chômage demeure élevé dans nombre des nouveaux Etats membres, tels les pays Baltes, la Pologne et la Slovaquie, ce qui pèse naturellement sur les salaires. En outre, et en tout état de cause, l'écart des coûts salariaux entre les PECO et les autres Etats membres ne devait se combler que très progressivement : on rappellera à cet égard que, malgré plus de vingt ans d'intégration étroite, il subsiste toujours des écarts importants entre les Quinze (54 ( * )).

La productivité du travail est également un critère favorable aux PECO, qui poursuivent depuis plus de dix ans un processus de rattrapage dans lequel les investissements étrangers jouent un rôle catalyseur important par le transfert de nouvelles technologies, de techniques de production et de savoir-faire managérial. Ainsi, en 2002, la productivité avait augmenté d'environ 40 % par rapport à 1995 , ce qui implique une croissance bien plus importante encore dans le secteur manufacturier . Cette rapidité est rendue possible par le niveau élevé d'instruction de la main-d'oeuvre dans les PECO (mesuré par le nombre moyen d'années de scolarité), même par comparaison avec les Quinze.

De plus, l'élargissement de l'Union européenne est un facteur favorable au développement de cette nouvelle zone d'investissement en raison de l'intégration de l'acquis communautaire , qui crée un environnement juridique et financier plus stable que celui des pays du Maghreb ou de la Chine.

Dernier atout : la proximité des marchés ouest-européens , qui réduit notamment les coûts de transports et permet de conserver une souplesse et une capacité de réactivité à la demande des consommateurs .

Toutes ces raisons conjuguées expliquent que les nouveaux Etats membres de l'Union, et en particulier les PECO, aient déjà été, depuis les années 1990, une destination privilégiée des investissements ouest-européens . Mais leur intégration va-t-elle accélérer ce mouvement et contribuer à affaiblir l'industrie des Quinze ? Deux éléments permettent de relativiser une telle crainte.

Le premier a déjà été évoqué ci-dessus : le rythme actuel des délocalisations vers les PECO est déjà limité et les menaces d'une amplification de ce phénomène ne doivent pas être surestimées puisque, au contraire, la nécessité pour ces Etats de se soumettre aux contraintes réglementaires de l'Union européenne en matière normative, sociale, environnementale, etc., conjuguée à l'élévation progressive du niveau de vie résultant de l'élargissement, vont évidemment diminuer l'importance de leurs avantages comparatifs. D'autre part, le potentiel de croissance de ces pays est significatif et constitue autant d'opportunités à l'exportation pour notre industrie nationale : leurs besoins en infrastructures sont considérables et la consommation des ménages en biens à haute valeur ajoutée, actuellement très faible, devrait rapidement s'accroître.

Dès lors, si l'intégration des Dix devrait avoir des effets contrastés sur l'industrie des Quinze, la géographie économique de l'Europe ne semble pas devoir être bouleversée par son élargissement à l'Est. Les conséquences économiques de celui-ci sont au demeurant essentiellement perçues comme une opportunité pour les entreprises françaises et européennes , tant par les responsables politiques (55 ( * )) que par les décideurs économiques.

b) Les atouts des pays du Maghreb et d'Afrique

Les pays du pourtour méditerranéen ont également émergé comme une zone géographique dotée d'atouts économiques indiscutables. Les liens que ces pays ont tissés avec les pays européens sont néanmoins limités et ne concernent que quelques pays de l'Union européenne : les pays voisins comme l'Espagne et le Portugal, et surtout la France en raison de l'influence historique de notre pays dans cette zone.

Pour autant, c'est déjà depuis quelques dizaines d'années que les industries textiles et d'habillement ont commencé à se délocaliser vers cette zone , en raison de facteurs se conjuguant pour réduire les coûts de production : proximité de ces pays par rapport aux marchés européens, ce qui limite les coûts de transports, faible coût de la main d'oeuvre et flexibilité du travail. A titre d'exemple, un employé marocain travaille jusqu'à 44 heures par semaine, le dimanche compris, et le coût horaire de son emploi s'établit à 1,89 dollar contre 15,9 en France.

Ainsi, l'entreprise de sous-vêtements Lejaby a récemment fermé quatre usines situées en Rhône-Alpes pour les installer en Tunisie, occasionnant la suppression de 350 emplois. De même, la société Beaudoin, spécialisée dans le vêtement marin, a licencié ses ouvrières de production à Hennebont, dans le Morbihan, pour ouvrir un site nouveau également en Tunisie.

Mais les délocalisations ne concernent pas que la filière textile-habillement. Par exemple, à l'image de l'Inde, pays anglophone qui développe petit à petit ses activités de service off-shore pour des grandes entreprises de services anglo-saxonnes, des pays comme le Maroc et la Tunisie, pays francophones, ont accueilli nombre d'implantations de centres d'appels français ou d'autres activités de services aux particuliers ou aux entreprises (ainsi par exemple de la société d'ingénierie AssystemBrime , sous-traitante dans le secteur aéronautique, installée au Maroc depuis 2001, qui a pu conserver comme client Snecma Moteurs et en gagner de nouveaux grâce à ses coûts compétitifs).

c) L'émergence de superpuissances économiques

Si les PECO et les pays du pourtour méditerranéen accueillent déjà depuis plusieurs années des délocalisations d'entreprises françaises, deux nouvelles zones de localisation sont brutalement apparues au tournant du siècle , avec des perspectives de développement à la mesure de la taille de leur territoire et de l'importance de leur population : la Chine et l'Inde .

(1) La Chine : usine du monde ?

Le plus redoutable des concurrents émergents des pays de l'OCDE est sans conteste la Chine. Doté d'un marché intérieur de 1,3 milliard de consommateurs, dont 300 millions auraient d'ores et déjà atteint le niveau de vie moyen des Européens , ce pays dispose d'un énorme potentiel de rattrapage , induisant une croissance du taux d'équipement des ménages et des besoins considérables dans le secteur de la construction et des travaux publics.

Le développement économique chinois a affiché ces dix dernières années des taux de croissance particulièrement élevés puisqu'ils atteignaient 8 % en moyenne annuelle . Depuis 1980, les échanges extérieurs ont été multipliés par seize et leur rythme de croissance, 14 % en moyenne annuelle , est nettement plus rapide que celui du commerce mondial. La Chine est ainsi devenue le premier producteur mondial d'acier, de textile-habillement, de chaussures, de produits électroniques et de jouets. Cette croissance des exportations a été rendue possible par une montée en puissance des industries locales, mais également par l'implantation en Chine de très nombreuses sociétés étrangères. Ce pays absorbe par ailleurs 4,5 % des importations mondiales. A taux de change constant, il est ainsi devenu la sixième puissance économique mondiale , avec 3,8 % du PIB mondial.

En 2003, la croissance chinoise s'est élevée à 9,1 % , contribuant ainsi pour un tiers à la croissance mondiale , selon le rapport Cyclope 2004, réalisé sous la conduite de M. Philippe Chalmain, professeur associé à Paris IX Dauphine (56 ( * )). Les investissements ont progressé de 43 % (90 % dans le secteur de l'acier) et le produit intérieur brut par tête est passé de 950 dollars à 1.090 dollars.

De plus, ces données relatives à la croissance doivent être corrigées au regard de la répartition géographique de la force de travail , comme le souligne M. Patrick Artus, Directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignation (57 ( * )). En effet, considérant que 60 % des habitants résident dans des zones rurales, et que leur contribution à la croissance chinoise est en conséquence de plus faible ampleur, on peut en déduire que 40 % de l'économie chinoise croît en fait à plus de 18 % par an .

L'ouverture de l'économie chinoise aux investissements internationaux explique en très grande partie ce développement qui ne connaît pas de précédent dans l'histoire économique des pays développés. La Chine est devenue une terre d'accueil privilégiée des investissements directs à l'étranger (IDE) en comptabilisant 53 milliards de dollars d'IDE entrants en 2002, ce qui la place désormais au sixième rang mondial des destinations d'investissements.

Cet afflux de capitaux est lié à de nombreux atouts, au premier rang desquels l'existence d'une main d'oeuvre bon marché . Le coût horaire de la main d'oeuvre s'établit ainsi à 0,41 dollar (0,7 pour la Chine côtière), contre 15,9 dollars en France ou 22,8 dollars au Japon. Les charges sociales y sont également très faibles , les profits très peu taxés et l'organisation du travail jouit d'une flexibilité importante . La Chine attire, de ce fait, de nombreux projets de délocalisation . Une étude américaine a ainsi montré qu'entre octobre 2000 et avril 2001, 80 délocalisations des Etats-Unis vers la Chine se sont produites, conduisant à la destruction de 34.900 emplois américains dans des secteurs comme l'équipement électrique et électronique ou la chimie.

Dans ce contexte d'âpre compétition, il est possible d'évaluer l'intensité de la concurrence que se livrent les économies française et chinoise en croisant la structure géographique et sectorielle des exportations de chaque pays.

Ainsi, en 2001, la Chine représentait 2,7 % de la concurrence totale subie par la France sur les marchés tiers (hors marchés domestiques chinois et français). Si cette concurrence semble modérée, elle tend toutefois à croître sous l'effet du rapide développement de la capacité exportatrice chinoise. On rappellera en effet que le poids de la Chine dans la concurrence globale subie par la France était de seulement 0,8 % en 1990, et encore de 1,6 % en 1995.

Par ailleurs, l'analyse par secteur révèle que la concurrence chinoise est clairement plus importante sur les domaines intensifs en main d'oeuvre , tels que le cuir, les jouets, les articles de sport, tandis qu'elle s'avère encore un peu moins intense dans les secteurs à plus fort contenu technologique, comme l'automobile ou la pharmacie. Cependant, cette dernière affirmation doit être nuancée en raison de l'impressionnant rattrapage technologique que la Chine a récemment entrepris.

En effet, cette attractivité et cette force exportatrice chinoises n'auraient pu justifier la pérennisation de l'avance concurrentielle que la Chine semble s'être appropriée sur les autres nations si elles avaient été exclusivement fondées sur le faible coût du facteur travail. Le renforcement de l'attractivité et des exportations résulte de la volonté déployée par la Chine pour constituer des pôles d'excellence , qui concentrent un ensemble d'entreprises ayant acquis des positions de leaders sur les marchés mondiaux . A titre d'exemple, la région du Delta des Perles a attiré des entreprises réalisant désormais un tiers de la production mondiale de lecteurs de CD, 60 % des têtes laser pour DVD et 70 % des photocopieurs. Par exemple, la société Galanz fabrique dans ses usines situées dans cette région 50 % des fours à micro-ondes vendus dans le monde.

Corrélativement, ces usines ont réussi leur saut technologique et ont atteint des niveaux de productivité élevés grâce à un effort intense d' investissement dans la recherche et le développement , la Chine réalisant des efforts soutenus pour devenir un leader dans les secteurs à haute valeur ajoutée. Le pays dénombre ainsi 740.000 chercheurs et investit chaque année près de 60 milliards de dollars dans la R&D. Ce souci d'excellence est également promu au sein des universités chinoises, qui forment 465.000 ingénieurs par an. Symbole de la nouvelle puissance économique et technologique chinoise, le premier vol spatial chinois habité, réalisé en novembre 2003, restera à cet égard un moment marquant de l'émergence de la Chine dans l'économie technologique.

Cette progression spectaculaire de la création de richesses semble s'inscrire dans la durée puisqu'à l'horizon 2050, les économistes du cabinet Goldman Sachs anticipent un PIB chinois de 45.000 milliards de dollars (1.400 milliards de dollars à ce jour), contre 30.000 milliards pour les Etats-Unis et 25.000 milliards pour l'Inde.

Pourtant, l'ensemble de ces indicateurs d'excellence, qui semble révéler une attractivité chinoise imbattable en matière d'investissements et une progression sans faille, doit être abordé de manière nuancée. Selon une étude menée par les économistes de la banque d'affaires JP Morgan, la Chine n'aurait en fait capté que 3 % des 136 milliards de dollars investis à l'étranger par les entreprises américaines en 2003 . En outre, sur 900 milliards de dollars d'IDE prévus entre 1990 et 2003, seulement la moitié de ces investissements aurait effectivement été réalisée (484 milliards). Ce constat signifie qu'il existe un décalage entre les projets d'IDE et leurs réalisations que l'on peut, en partie, attribuer aux points faibles qui grèvent ce tableau presque parfait d'une Chine au potentiel sans limite livrant une concurrence sans parade aux économies de l'OCDE.

En effet, comme M. Pierre Cailleteau, directeur des risques pays au Crédit Agricole Indosuez, l'a indiqué à votre groupe de travail lors de son audition, l'économie chinoise, tout en ayant d'incontestables avantages comparatifs, connaît également des faiblesses qui en atténuent l'attractivité et constituent autant d' interrogations sur son devenir à moyen terme .

En premier lieu, elle présente, dans le domaine commercial et des marchés , d'importants obstacles qui peuvent contrarier la volonté d'implantation d'une entreprise étrangère. A titre d'illustration, la Chine soutient son développement économique à l'aide d'une stratégie protectionniste , conjuguant barrières tarifaires et non tarifaires . L'instauration d'une TVA à un taux de 17 % sur les microprocesseurs étrangers, contre 3 % pour les productions chinoises, a ainsi récemment donné lieu à la première plainte des Etats-Unis contre la Chine devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. En outre, le marché chinois est un des marchés où se sont développées de manière considérable les activités de contrefaçon , qu'il s'agisse de produits textiles, électroniques ou de supports culturels, au mépris du respect des droits de propriété intellectuelle . Selon la mission économique de l'ambassade de France en Chine, la contrefaçon représenterait 5 % à 8 % du PIB , et quatre à dix millions d'emplois.

En second lieu et en termes macro-économiques , on observe plusieurs éléments dont la pérennisation pourrait remettre en cause la compétitivité de l'économie chinoise. Tout d'abord, il apparaît que celle-ci est à la limite de la surchauffe , ce qui a pour corollaire l'apparition d'un taux d'inflation important. La sous-évaluation actuelle de sa monnaie (le yuan) ne saurait compenser le handicap d'une hausse des prix à terme puisque cette sous-évaluation doit se réduire naturellement avec la croissance économique du pays. En outre, des phénomènes de surinvestissement tendent à se produire dans les secteurs de l'acier ou du bâtiment, ce qui a conduit récemment le Premier ministre chinois à évoquer une « augmentation excessive de l'investissement » . Enfin, le système financier chinois n'est pas exactement calqué sur les normes des systèmes internationaux. La distribution du crédit en est une parfaite illustration puisqu'elle constitue encore un monopole des banques d'Etat. Quant au taux de créances douteuses , indicateur de la sécurité des transactions, celui-ci demeure élevé.

En troisième lieu, la structure sociale et démographique chinoise apparaît être indirectement à bien des égards un facteur de déstabilisation et de fragilisation de l'économie chinoise. En effet, le décalage économique entre les zones rurales et urbaines (la Chine côtière notamment) révèle une inégalité régionale patente qui conduit à ce que seule une minorité de Chinois bénéficie de l'expansion économique. Selon certaines estimations, les plus pauvres des habitants, qui représentent un cinquième de la population, reçoivent seulement 6 % de la richesse nationale. Par ailleurs, le système économique doit également être apprécié à l'aune du vieillissement progressif de la population , lié à la politique de l'enfant unique. Ce vieillissement pourrait se révéler être un facteur aggravant de l'éventuelle déstabilisation sociale car la population ne bénéficie pas de système de retraite . La Chine ne saurait donc poursuivre son développement économique sans résoudre la question des moyens de subsistance de la population âgée.

En dernier lieu, le productivisme et l'industrialisation accélérés ont totalement négligé la préoccupation environnementale , dans des conditions telles que, même dans ce régime politique encore totalitaire, la société civile se rebiffe et commence à demander des comptes. Plusieurs exemples récents en témoignent (58 ( * )), qui devraient probablement, s'ils se multipliaient grâce à l'émergence d'une opinion publique, conduire les autorités chinoises à modifier les conditions de la croissance de l'économie.

Toutes ces menacent potentielles et faiblesses intrinsèques conduisent d'ailleurs certains économistes à remettre en cause l'idée d'un « miracle chinois », qui ne pourrait durablement prospérer dans les conditions et au rythme actuels (59 ( * )).

(2) L'Inde : bureau du monde ?

L'ouverture de l'économie indienne aux échanges internationaux est elle aussi récente . En effet, l'optimisation de la croissance n'a longtemps pas constitué une priorité pour le pouvoir politique. Au contraire, les autorités prônaient le développement autarcique , l'autosuffisance et le protectionnisme, et évitaient, autant que faire se peut, de recourir à l'endettement extérieur. Une politique de licences très stricte et des droits de douane prohibitifs dissuadaient, par ailleurs, les investissements étrangers.

Cette autarcie a cessée à partir de 1991 , date à laquelle le pays s'est ouvert sur l'extérieur . L'économie s'est alors libéralisée et la législation a été assouplie. Afin de donner toute son efficacité à cette nouvelle orientation de développement économique, ces mesures ont été notamment accompagnées d'une diminution des droits de douane . Les marchés parallèles ont alors perdu de l'ampleur et l'économie indienne a connu, dès le début des années 1990, une croissance annuelle par habitant de 3,5 %.

Un deuxième palier dans l'évolution de la croissance a été constaté à compter de 1996, lorsque l'Inde a connu une formidable accélération de son développement économique. Affichant un taux de croissance annuel moyen de 7,5 %, ce saut a permis de faire émerger une classe moyenne dotée d'un pouvoir d'achat suffisant pour favoriser un nouvel essor de la consommation . Tout comme la Chine, l'Inde est alors entrée dans une phase de forts investissements dans le secteur des infrastructures, notamment des routes. Témoignage de ce dynamisme maintenu, la croissance de l'économie indienne a dépassé 8 % entre le dernier trimestre 2003 et le dernier trimestre 2002.

A l'instar d'un grand nombre de pays émergents, l'Inde dispose de nombreux atouts décisifs de nature à séduire les investisseurs internationaux, et en particulier une main d'oeuvre abondante, flexible et économiquement compétitive . Toutefois, l'Inde se distingue des autres pays en développement par le haut niveau général de qualification de cette main d'oeuvre : non seulement celle-ci est abondante, mais elle constitue aussi un vivier de salariés qualifiés dans de nombreux domaines . Dotée d'un milliard d'habitants, l'Inde compte en effet 650.000 ingénieurs, tous anglophones, et environ 29 millions d'étudiants. Ce flux de « matière grise » ne cesse en outre de s'accroître puisque, chaque année, près de 165.000 jeunes sortent diplômés d'écoles d'ingénieurs de haut niveau.

Disposant d'une main d'oeuvre très qualifiée, de coûts des facteurs de production globalement très compétitifs mis en oeuvre dans le cadre d'un système financier performant, l'Inde a fait son apparition sur la scène internationale des délocalisations notamment dans le secteur des nouvelles technologies et des services , qu'ils soient peu qualifiés ou plus sophistiqués. A titre d'illustration, une récente étude, intitulée « Where to locate ? » et réalisée par le cabinet ATKearney (60 ( * )), a placé l'Inde en tête des pays dans lesquels il était rentable de s'implanter pour y exploiter des activités de prestations de service . Les salaires y sont en effet particulièrement compétitifs puisqu'un ingénieur est rémunéré environ 6.000 euros en moyenne par an, soit cinq à six fois moins qu'en France. Ces atouts n'ont, bien entendu, pas échappé aux multinationales, qui ont ouvert de nombreuses filiales en Inde dans le secteur des services. Cette attractivité indienne dans le domaine des services s'est également accompagnée d'un fort développement de la capacité exportatrice indienne : le pays a ainsi exporté, pour l'année 2003, 12 milliards de dollars de services informatiques, contre seulement 1,5 milliard pour la Chine.

Mais l'Inde ne se contente pas de se spécialiser dans le domaine des services informatiques et des centres d'appels téléphoniques anglophones. Ainsi que l'a indiqué à votre groupe de travail, lors de son audition, M. Michel Testard, consultant en management du cabinet Trinity Partnership et spécialiste de l'« outsourcing offshore » vers le continent indien, le développement d'une industrie high-tech constitue une priorité du gouvernement indien depuis 1998, date de l'adoption d'un plan national à l'initiative du Premier ministre, M. Shri Atal Behari Vajpayee. Le pays a ainsi massivement investi les secteurs des technologies de pointe comme le nucléaire, l'aérospatiale ou encore le secteur pharmaceutique, spécialisé dans le domaine des produits génériques.

En conséquence, forte de ces atouts de compétitivité et d'attractivité, l'Inde pourrait, à terme, renforcer sa position, voire surpasser celle de la Chine en matière d'attraction des investissements directs étrangers. En effet, elle n'occupe encore en 2002 qu'une position relativement modeste, le 28 ème rang mondial, en termes de flux entrant d'IDE, qui était quinze fois inférieur à celui de la Chine.

Toutefois, ici encore, un investisseur étranger ne saurait faire abstraction des fragilités propres à tout pays en développement doté à la fois d'un système économique en pleine expansion et d'une structure sociale très inégalitaire . En l'occurrence, en dépit d'un essor certain des régions agricoles (les salaires agricoles ont crû de 2,5 % par an dans les années 1990), les inégalités ont augmenté depuis 1990 : une étude de MM. Thomas Piketty et Abhijit Banerjee, économistes (61 ( * )), démontre ainsi que la part des 0,01 % personnes les plus riches dans le revenu national indien a été multipliée par 40 depuis 1981. Les régions les plus prospères (le sud et l'ouest) ont crû plus vite alors que les plus pauvres (nord et nord-est) stagnaient. Les inégalités se sont également accrues entre zones rurales et urbaines ainsi qu'à l'intérieur de chaque région, et ce plus rapidement en outre dans celles qui ont été principalement concernées par la libéralisation.

Le retard enregistré dans la résorption des inégalités, en dépit d'une forte croissance, s'explique en partie par le fait que l'amélioration du niveau de vie et le développement des services publics, dont celui de la santé, ne constituent pas une priorité pour l'Inde, qui n'y consacre que 0,9 % de son PIB. Comme le souligne Mme Esther Duflo, économiste et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) (62 ( * )), l'Inde ne pourra durablement ignorer la question de la redistribution des gains de la croissance ni celle de l'organisation d'un service public de qualité sans risquer de fragiliser à terme la construction de son tissu économique . A cet égard, la récente défaite du parti au pouvoir aux élections générales indiennes et le retour du Parti du Congrès constitue un avertissement sérieux témoignant de la régression de l'adhésion populaire aux conditions sociales dans lesquelles s'effectue la croissance indienne.

Outre ces difficultés politiques et sociales, il existe aussi des obstacles strictement économiques à une implantation commerciale en Inde, au nombre desquels figure le maintien d'un certain protectionnisme . Par exemple, les exportateurs éprouvent encore des difficultés à accéder au marché indien car les droits de douane, en dépit d'une diminution notable, se situent toujours à un niveau moyen de 30 %, contre 10 % en Chine. De même, comme celle-ci, l'économie indienne est menacée de surchauffe : la production industrielle augmente de 20 % par an et la consommation de matières premières de 30 %, dans un contexte environnemental particulièrement dégradé (réseaux d'énergie vétustes et sous-dimensionnés, pollution de l'eau et de l'air, etc.). Enfin, le déficit public dépasse les 10 % du PIB, la dette publique elle-même est égale à ce PIB, et les services publics indiens se caractérisent par une productivité et une efficacité très faibles.

4. Les délocalisations, stratégie éprouvée et permanente, en voie d'accélération et de diversification

La plupart des experts, économistes et industriels auditionnés par votre groupe de travail ont fait part de leur étonnement quant à la vigueur de l'actuel débat français sur l'avenir des industries de main-d'oeuvre. Ainsi, pour M. Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil d'analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre, la question des délocalisations ne saurait se poser dans les mêmes termes qu'il y a une trentaine d'année puisque l'essentiel des restructurations industrielles françaises a déjà eu lieu entre 1974 et 1984 . Outre que les mouvements de délocalisation sont finalement assez limités, malgré l'accélération visible des mutations industrielles depuis 2001, en particulier au regard de leurs effets sur l'emploi, l'interrogation devrait davantage porter désormais, selon lui, sur le secteur des services et les activités intellectuelles à haute valeur ajoutée, comme la R&D, la conception, les quartiers généraux des entreprises, etc.

Ainsi, les délocalisations constituent un phénomène ancien , massif et localisé à l'origine dans certaines branches du secteur industriel, mais plus diffus et généralisé de nos jours. Il s'agit en effet d' une des diverses stratégies mises en oeuvre par les entreprises pour s'adapter à la conjoncture économique et sauvegarder ou augmenter leurs parts de marché , qui touche donc, de manière certes différenciée, tous les secteurs de l'activité économique.

a) Une stratégie à l'oeuvre depuis longtemps dans l'industrie

L'indispensable adaptation aux contraintes économiques se traduisant par la mise en oeuvre de stratégie défensive de marché a été à l'origine d'une première vague de délocalisations , vers l'Asie du Sud-Est, entre 1965 et 1980. Comme l'a souligné M. Jean-Louis Levet, cette vague a coïncidé avec le début d'une période de forte augmentation de la part des échanges dans le PIB mondial . Les entreprises recherchaient alors essentiellement à réduire leurs coûts de production, et notamment leurs charges salariales, tout en profitant de la flexibilité de la main-d'oeuvre. A titre d'illustration, MM. Patrice Chastagner, président-directeur général de ST Microelectronics France, et Alain Dutheil, vice-président corporate de ST Microelectronics, chargé de la planification stratégique et des ressources humaines, ont indiqué à votre groupe lors de leur audition que l'entreprise avait localisé dès les années soixante à Singapour, en Malaisie et au Maroc des usine d'assemblage et de tests, activités ne nécessitant que peu de savoir-faire et d'investissements.

Une deuxième vague de délocalisations , plus complexe à appréhender, est intervenue à compter de la fin des années quatre-vingt. D'une part, les zones d'investissements ont évolué, certains pays à bas coût de main-d'oeuvre ayant perdu de leur attrait car les salaires y progressaient tandis que d'autres pays émergents apparaissaient. En outre et surtout, les délocalisations se sont intensifiées entre les grands blocs économiques que sont les Etats-Unis, le Japon et l'Union européenne (les pôles de la Triade), et des zones de proximité constituant tout à la fois leur « atelier » et de nouveaux débouchés à l'exportation . Ainsi, les firmes japonaises ont délocalisé massivement vers l'Asie orientale : elles y réalisaient, en 2002, 25 % de leurs ventes. Les entreprises américaines ont également délocalisé une partie de leur appareil de production au Mexique, en particulier dans des secteurs comme le textile (dès les années soixante-dix), l'automobile ou l'électronique. Ces usines, appelées « maquiladoras » et appartenant à des firmes américaines, produisent dans des conditions fiscales avantageuses des biens dont la matière première est importée des Etats-Unis, et qui sont exportés à 90 % sur le marché nord-américain. Les Etats de l'Union européenne, quant à eux, ont investi dans les PECO après la chute du Mur de Berlin, la France et ses voisins du bassin méditerranéen ayant en outre un tropisme historique orienté vers les pays du Maghreb.

Enfin, la progressive mise à niveau technologique de certains de ces pays et l' irruption des géants économiques ont offert, au cours d'une troisième vague de délocalisations , qui est celle que nous connaissons aujourd'hui, de nouvelles opportunités de délocaliser ou re-localiser non seulement des activités manufacturières dans des gammes de produits plus élevées , mais aussi d' investir le champ des services . Toutefois, dans le domaine industriel , la caractéristique essentielle du mouvement actuel est l'importance que les investisseurs attachent à conquérir des parts des marchés en devenir dans les zones émergentes : en cela, l'analyse des flux d'IDE vers ces zones devient beaucoup plus complexe puisqu'elle doit distinguer ce qui peut effectivement être qualifié de délocalisations de ce qui n'est qu'une stratégie offensive de pénétration d'un marché pour satisfaire à la demande domestique .

On observera que ces mouvements, quelle que soit leur ampleur, n'ont pas toujours eu les conséquences annoncées sur le dynamisme et l'avenir de l'outil industriel domestique . Lors de son audition, M. Patrick Devedjian a ainsi relevé que, bien qu'ayant été l'un des premiers secteurs industriels à adopter une stratégie de délocalisations, l'industrie textile européenne est encore aujourd'hui le premier exportateur mondial du secteur . De même, M. El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'université de Paris XIII, a rappelé que l'apparition de la concurrence japonaise et les premières délocalisations européennes dans l'automobile avaient conduit, il y a vingt ans, a pronostiquer l'affaiblissement des firmes européennes : or, en France, le secteur contribue encore fortement à la création d'emplois et investit massivement, notamment dans certaines régions comme le Nord-Pas-de-Calais.

Ce constat conduit à la nécessité d'entreprendre une analyse dynamique du phénomène des délocalisations industrielles . A cet égard, la Mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) a établi une typologie des secteurs industriels, que M. Jean-Pierre Aubert a présentée à votre groupe de travail. L'enjeu est non seulement d' identifier les secteurs exposés aux délocalisations , mais aussi de tenter d' anticiper leurs difficultés . Fondée sur deux indicateurs - la valeur ajoutée , qui mesure l'apport économique de la branche, et la part des frais de personnels dans la valeur ajoutée - cette typologie distingue quatre catégories de secteurs pour lesquels le risque de délocalisation s'avère plus ou moins élevé.

Comme l'indique le schéma ci-dessous, les secteurs les plus sensibles aux délocalisations comme à la pénétration des produits étrangers sur le marché national sont ceux où la valeur ajoutée est très inférieure à la moyenne de l'industrie et où la part des frais de personnel dans la valeur ajoutée est forte , comme l' industrie textile , la fonderie ou la construction navale . A l'opposé, les secteurs où la valeur ajoutée est élevée et où la part des frais de personnels dans la valeur ajoutée est plus faible que la moyenne, tels que les industries pharmaceutiques, la parfumerie ou l'aéronautique, sont moins susceptibles d'être touchés par des mouvements de délocalisation.

Source : MIME

Deux autres caractéristiques méritent également d'être soulignées afin d'affiner l'analyse précédente. D'une part, les grandes productions standardisées sont, par nature, plus susceptibles d'être délocalisées . D'autre part, un changement notable dans la division internationale du travail a eu lieu, comme l'a souligné Mme Frédérique Sachwald lors de son audition : la spécialisation internationale se réalise aujourd'hui moins en fonction des types de productions qu'en fonction des stades du processus de production .

Reste que, globalement, la permanence des mouvements de délocalisation, leur caractère évolutif et leur nature complexe permettent de distinguer trois types de secteurs d'activité de l'économie française selon l'ampleur de ces mouvements, leur ancienneté et leurs perspectives d'évolution : ceux concernés depuis longtemps, ceux affectés plus récemment et ceux qui étaient jusqu'à présent relativement épargnés.

b) Les secteurs concernés depuis longtemps par les délocalisations

Très intensifs en main d'oeuvre, les secteurs manufacturiers traditionnels (textile, chaussure, verre, jouet, bois, métallurgie) ont perdu entre 1989 et 2001 500.000 emplois. Si une part essentielle de cette diminution tient à l'amélioration de la productivité , quelques dizaines de milliers d'emplois ont à l'évidence disparu à la suite de stratégies de délocalisation engagées, pour certaines de ces filières, dès les années soixante.

Une des premières industries à délocaliser pour avoir subi dès le début des années soixante la concurrence des pays à bas salaire est le secteur du textile, de l'habillement et du cuir (« hacuitex »). La délocalisation de lignes de production, principalement vers le Maroc et la Tunisie, a été lourde de conséquences économiques et sociales , ces industries étant implantées soit dans les régions traditionnellement industrielles, soit dans des bassins d'emploi plus ruraux mais principalement consacré à ces activités. Ainsi, aujourd'hui encore, le Nord-Pas-de-Calais et la région Rhône-Alpes emploient 43 % des effectifs des industries textile, présentes aussi en Champagne-Ardenne, en Alsace, en Lorraine, en Picardie et en Midi-Pyrénées. L'habillement est quant à lui surtout implanté dans les régions Île-de-France, Pays de la Loire, Rhône-Alpes, Nord-Pas-de-Calais et Centre, ces cinq régions employant 59 % des effectifs.

Le secteur textile-habillement français comptait près d'un million de salariés dans les années soixante : ils ne sont plus que 200 000 aujourd'hui. Ces pertes d'emplois n'ont fait que s'amplifier ces six dernières années. Le textile employait 130 000 salariés en 1996 et seulement 107 000 en 2002 selon l'Unedic. Dans l'habillement, sur la même période, leur nombre est passé de 126 000 à 77 000. Tissage, filature ou tricotage, il n'est de secteur épargné par une mutation qui réduit l'emploi de plus de 15 000 salariés en moyenne par an. La chute des effectifs est beaucoup plus marquée dans l'habillement (- 38 %), car la confection est avant tout une activité de main d'oeuvre, que dans le textile (- 18 %), activité un peu plus capitalistique.

Cette diminution de l'emploi correspond à une modification du tissu industriel puisque, sur la période, le nombre d'entreprises de plus de 20 personnes a chuté de 1.695 à 1.000 environ. En effet, ce secteur connaît un grand nombre de défaillances d'entreprises en raison de la concurrence des zones à bas salaire comme le Maghreb, spécialisé notamment dans la découpe et l'assemblage de tissu, la Corée et le Vietnam, très présents dans le vêtement de travail, et de plus en plus la Chine. Dans ce dernier pays, les investissements dans le textile constituent une nécessité économique à deux égards : absorber tous les ans 15 millions de jeunes sur le marché du travail et faire rentrer des devises étrangères.

Plusieurs régions françaises ont été particulièrement affectées par la crise en cours. Ainsi, la région Rhône-Alpes, et notamment les départements de l'Ardèche et de la Drôme, souffrent de la crise que traversent actuellement les industries textiles situées en amont du secteur (moulinage, texturation, peignage, filature). Les industries traditionnelles de la filière coton dans les Vosges et de la filière laine en Midi-Pyrénées ont été également touchées par la conjoncture et la concurrence internationale.

La région des Pays de Loire, qui comporte un nombre important d'entreprises de confection, a été également affectée par le transfert d'activités industrielles dans les pays à bas coût de main-d'oeuvre. Les dépôts de bilan sont nombreux : après Vestra , ou Saint-Liévin , le groupe VEV , héritier des empires Boussac et Prouvost , vient d'être placé en redressement judiciaire et a vendu aux enchères ses métiers à tisser et ses palettes de fils. Cette crise ne semble pas se stabiliser puisque la fédération CGT-THC dénombre encore une quarantaine de sociétés en cours de restructuration ou de liquidation.

Dans ce contexte, les délocalisations sont apparues à des sociétés comme Petit Bateau ou Devanlay par exemple, comme l'unique moyen de sauver des entreprises du dépôt de bilan et de conserver une partie de l'emploi domestique en permettant de réduire les coûts de production et de maintenir leur compétitivité. En 2002, 20 % des sociétés de confection avaient transféré à l'étranger tout ou partie de leur production afin de sauvegarder leur activité, dans la mesure où elles ne pouvaient se tourner vers le segment des produits de luxe. Ainsi, Rouleau-Guichard , société toulousaine, dernière à fabriquer en France des sous-vêtements pour la grande distribution, a fermé ses usines de Haute-Garonne en février 2003 afin de délocaliser sa production.

Il est à craindre que la suppression définitive, en 2005, des quotas à l'importation appliqués depuis quarante ans dans le secteur en application des accords multi-fibres (AMF) conduise à renforcer encore davantage les difficultés actuelles du secteur.

Si la réorganisation du secteur de l'habillement et du textile a provoqué des échos médiatiques retentissants, les opérations de restructuration et de délocalisation dans le secteur de la chaussure et du cuir se sont en revanche déroulées sans de manière plus discrète. Ainsi, en vingt ans, près de deux tiers des entreprises de chaussure françaises, principalement implantées dans le Choletais, la Drôme et l'Aquitaine, ont disparu, et les effectifs ont été divisés par trois, cette industrie ne comptant plus aujourd'hui que 17.500 salariés. Elle est à bien des égards exemplaire des mutations que connaissent les industries de main d'oeuvre quant à la permanence et la logique des décisions de nouvelles localisations. En effet, ainsi que l'a décrit M. Franck Aggeri, professeur au centre de gestion scientifique de l'Ecole des mines de Paris (63 ( * )), les diverses étapes de la production ont été délocalisées massivement dans les différentes régions du monde en fonction de la spécialisation de chaque pays.

Ces délocalisations présentent tout d'abord la particularité d'avoir concerné tous les secteurs, allant du bas de gamme jusqu'au haut de gamme puisque des chausseurs de prestige tels que Stéphane Kélian ou Charles Jourdan , dont votre groupe de travail a pu visiter les usines à Romans (Drôme), ne fabriquent plus l'intégralité de leur production sur place. En second lieu, ces délocalisations sont multi-géographiques, ayant pour destination l'Asie pour les produits bas de gamme, et l'Espagne, la Tunisie ou l'Europe de l'Est pour les chaussures de moyenne gamme.

Comme a pu l'observer le groupe de travail lors de son déplacement dans le Choletais, site traditionnel de la production de la chaussure depuis les années trente, les difficultés se sont accentuées depuis 1999 en dépit d'une certaine résistance grâce à des entreprises comme Eram . De grosses entreprises telles que SAC , GEP-La Fourmi ou Polygone ont déposé leur bilan, ce qui a conduit à la suppression d'un quart des emplois du bassin.

L' industrie de la verrerie peut également témoigner du phénomène des délocalisations, qui concerne aussi bien les grands groupes que les petites entreprises en raison de la particulière attractivité des coûts horaires pratiqués dans certains pays. M. Jean-Louis Beffa, président directeur général de la Compagnie Saint-Gobain, a ainsi indiqué à votre groupe de travail que le groupe menait des réflexions concernant la délocalisation de certains segments de production, tant pour des raisons de rentabilité que, par ailleurs, pour se rapprocher de la clientèle ayant elle-même délocalisé, ainsi que pour se positionner sur les marchés émergents, en particulier asiatiques.

Outre la Turquie, l'Indonésie, le Mexique et le Brésil, la concurrente principale de la verrerie est l'industrie chinoise dont la production emploie une main d'oeuvre dix fois moins coûteuse que celle utilisée en France. Les délocalisations devraient se poursuivre car cette industrie est d'autant plus fragilisée que la Chine constitue un champ de prospection très prometteur, les Chinois étant peu équipés en verre jusqu'à présent, alors que le marché européen arrive à saturation.

Aussi, à titre d'illustration, les salariés de la verrerie d'Arc International , anciennement dénommée Cristal d'Arques , dans le département du Pas-de-Calais, craignent la prochaine concurrence de la part de la nouvelle usine chinoise du groupe, inaugurée en avril 2004, à Nanjing dans le Nord de Shanghai pour la fabrication de produits « bas de gamme ». Après seulement quelques mois d'exploitation, le rendement de ce site de production a déjà atteint le niveau de celui de l'usine d'Arques. Ce récent investissement en Chine, même s'il n'a pas entraîné à ce jour la fermeture du site français, met en lumière toute la complexité des mouvements de localisation des moyens de production face aux contraintes de coûts et de marché. Ces différentes stratégies ont été également relevées par M. Beffa, qui a souligné que le choix stratégique de Saint-Gobain de se concentrer uniquement sur les activités où la Compagnie était le leader mondial conduisait à créer de nouvelles unités de production dans les pays émergents tout en n'investissant dans les usines européennes qu'à conditions qu'elles ne soient pas trop vétustes.

Le secteur du jouet , fortement concerné par des opérations de délocalisation, présente la particularité d'avoir opté pour un « tout Asie » : la Thaïlande, l'Indonésie et surtout la Chine, qui emploierait 1,2 million de salariés dans quelques 6.000 usines de fabrication de jouets.

Ces chiffres doivent être appréciés à l'aune de l'évolution de l'emploi dans l'industrie française du jouet, qui employait 60.000 personnes en 1980 et n'en compte plus que 20.000 aujourd'hui. Si la conception demeure localisée en France, la fabrication se situe donc désormais pour l'essentiel en Asie. L'industrie du jouet offre cette particularité que la taille des commandes est généralement très importante, ce qui favorise les économies d'échelle résultant de la mise en production de lignes de production à grandes capacités et fortement intensives en main d'oeuvre.

Certaines entreprises comme Smoby , Berchet ou Solido , bien qu'ayant investi en Asie, ont néanmoins maintenu des unités de production en France, généralement dans l'Ain et le Jura, berceaux de l'industrie du jouet. D'autres ont en revanche fermé leur production nationale : Majorette , la première à avoir délocalisé sa production, a définitivement fermé son site lyonnais en 2001 ; elle possède désormais une unité de production de 600 emplois sur le site de Navanakorn, la principale zone industrielle de la banlieue de Bangkok, et sous-traite en Chine, dans la région de Schenzen. L'entreprise Corolle a également arrêté la production de ses deux dernières usines françaises de Langeais (Indre-et-Loire) et des Trois Moutiers (Vienne).

Quant au secteur de la métallurgie , il a enregistré entre 2001 et 2003 des pertes moyennes annuelles de 14.900 emplois, qu'il convient de comparer aux observations faites entre 1989 et 2001, qui établissaient la moyenne à 5.100. Cette amplification déjà sensible pourrait cependant s'aggraver, ainsi que l'a indiqué à votre groupe de travail M. Daniel Dewavrin, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), président du Groupe des fédérations industrielles (GFI) : selon lui, les pertes d'emploi constatées en général dans l'industrie française, en particulier dans la métallurgie, sont inférieures à celles observées dans les autres pays industriels, ce qui pourrait signifier qu'un certain nombre de restructurations, n'ayant pas été réalisées dans le passé, le seront dans un avenir proche.

En effet, le secteur métallurgique, industrie d'aval, est particulièrement soumis à la nécessité de devoir se rapprocher de ses clients, ce qui le fragilise en terme de tentation d'implantation à l'étranger . C'est pourquoi, faisant référence à la réorganisation au niveau mondial du système de production menée par les entreprises multinationales, M. Dewavrin a exposé ses craintes quant à l'accélération du mouvement des délocalisations. Cette analyse est partagée par M. Guy Dollé, président de la direction générale d'Arcelor, président de la Fédération française de l'acier, qui a souligné lors de son audition par votre groupe de travail que les menaces de délocalisations de la filière sidérurgique résultaient du déplacement géographique des sites de production de ses clients : ainsi, par exemple, de la construction automobile en Europe de l'Est.

c) Des secteurs plus récemment exposés aux délocalisations

Au secteurs industriels traditionnels, dont quelques exemples ont été développés ci-dessus, se sont ajoutées plus récemment d'autres activités, également affectées par des mouvements de délocalisation. Il est possible de citer, à titre d'exemples, les équipements électriques et électroniques, les composants électroniques, ou encore les équipements mécaniques et automobiles.

Dans le secteur des équipements électriques et électroniques , les pertes d'emplois étaient de 1.100 en moyenne annuelle entre 1989 et 2001, et ont été évaluées au total à 10.000 de 2001 à 2003. Alors que l'électronique grand public n'a jamais été aussi présente qu'aujourd'hui dans les foyers, notamment grâce aux téléviseurs, écrans plats et autres enregistreurs de musique, ce secteur a été fortement touché par les délocalisations, comme en témoignent plusieurs exemples.

Ainsi, Dawoo a transféré son usine de téléviseurs de Fameck (Moselle) vers la Pologne, où elle a été ouverte en janvier 2003. De son côté, le groupe électronique néerlandais Philips a également affiché sa volonté de délocaliser une partie de sa production afin d'atteindre une certaine « rationalisation de l'outil industriel entamée en 2001 » , selon les propos de M. Dominique Noguet, directeur de la communication de Philips France (64 ( * )). La stratégie de désengagement de Philips en France a eu pour effet de supprimer 2.000 emplois dans ses usines françaises, qui ne comptent aujourd'hui plus que 8.000 salariés contre 20.000 il y a dix ans. Ainsi à Dreux, Philips ne fabriquera plus de tubes cathodiques dont la production a été transférée en Hongrie. En dépit d'une poursuite de l'activité de l'usine de Dreux dans la production de téléviseurs à cristaux liquides et écrans plats, on ne saurait ignorer l'irrésistible attraction que la Chine et autres pays émergents exercent sur cette activité. Ainsi, Thomson , fleuron de l'électronique française, illustre ce propos avec la récente signature d'une joint-venture avec le groupe chinois TCL , afin de devenir le plus grand fabricant de téléviseurs du monde.

Toutefois, si la logique de réduction des coûts, conjuguée avec celle de recherche de nouveaux débouchés, exerce une pression importante sur les entreprises, la résistance à ces incitations à délocaliser peut résider dans le développement de l'innovation. Ainsi, le fabricant français Netgem , acteur majeur des décodeurs de nouvelle génération, notamment sur le marché britannique où la télévision terrestre numérique (TNT) est déjà en service, produit la totalité de ses décodeurs en France, alors que son concurrent américain, Liberate , vient d'ouvrir deux usines en Asie.

Le secteur des composants électroniques (telles que les puces) est une autre industrie récemment affectée depuis quelques années par les délocalisations. Représentant plus de 120 000 emplois, un millier d'entreprises et un chiffre d'affaires en France de 21,5 milliards d'euros, il constitue une bonne illustration du caractère évolutif des mouvements de délocalisation.

Si, comme l'on exposé à votre groupe de travail deux dirigeants de ST Microelectronics , les usines d'assemblage et de tests ont été délocalisées dès les années soixante, la délocalisation de la fabrication des puces est une tendance nouvelle et plus complexe dans sa mise en oeuvre en raison de la réalisation de lourds investissements (de l'ordre de trois milliards de dollars pour les puces de la nouvelle génération) et du recours à une main d'oeuvre qualifiée. Le mouvement de délocalisation semble néanmoins s'accélérer : le nombre d'emplois a été divisé par deux en dix ans dans cette filière hautement stratégique, puisque ses ventes représentent plus d'un sixième de l'activité industrielle française, et 5.000 emplois ont été supprimés en deux ans. Ainsi Gemplus , leader mondial de la carte à puces, a récemment délocalisé une partie de sa production en Pologne, provoquant la suppression de 400 emplois nationaux.

Ces délocalisations s'expliquent en partie par le renversement de la conjoncture en 2001 sur le marché des semi-conducteurs. Après une année 2000 assez exceptionnelle en raison de la forte croissance de la téléphonie mobile, les industriels du semi-conducteur ont enregistré un recul brutal de leur chiffre d'affaires en 2001, avec une baisse du marché mondial de l'ordre de 30 % dont l'effet négatif s'est également conjugué à celui des surcapacités de production liées aux investissements importants réalisés depuis 1999.

Au-delà de ces raisons conjoncturelles, des réalités inhérentes au marché des semi-conducteurs rendent vraisemblable la poursuite du mouvement des délocalisations : la pression sur les prix en raison de la maturité de certaines technologies, l'accélération de l'innovation technologique des nouveaux entrants sur le marché, et surtout le déplacement du centre de gravité de l'activité économique mondiale vers l'Asie . Industrie d'amont, la filière des semi-conducteurs ( Solectron , Flextronics ou ACT Manufacturing ) se voit elle aussi contrainte de suivre ses clients . Ainsi, par exemple, la Chine occupe en ce domaine une place sans cesse plus importante, ayant déjà conquis 15% du marché mondial en cinq années et comptant depuis 2002 le plus d'abonnés au téléphone mobile.

Les équipements mécaniques n'échappent pas non plus à la récente généralisation des délocalisations aux secteurs de pointe. A titre indicatif et sans corrélation parfaite avec les mouvements de délocalisation, les pertes annuelles d'emplois sont passées de 1.400 entre 1989 et 2001 à 8.900 entre 2001 et 2003. Dans le secteur des équipementiers automobiles , on relèvera la nécessaire localisation près de leurs clients des fournisseurs dits « juste à temps », par exemple de sièges ou de dispositifs d'échappement, qui, ainsi que cela a été exposé à votre groupe de travail par M. Jean-Martin Folz, président-directeur général de PSA Peugeot, se voient imposer par les constructeurs des délais de livraison extrêmement courts, de l'ordre de deux heures.

d) La délocalisation dans de nouveaux secteurs jusqu'ici épargnés

Si tous les secteurs économiques sont soumis à des contraintes de rentabilité, la recherche de coûts de main d'oeuvre plus faibles était jusqu'il y a peu, dans de nombreuses filières, contrariée par la nécessité de disposer d'un niveau minimal de qualification pour garantir la qualité du processus de production . La nouveauté de la troisième vague de délocalisations, à l'origine du débat actuel, réside précisément dans le fait que les nouvelles zones d'accueil des localisations peuvent mettre à la disposition des industriels des salariés à la fois moins payés que dans les pays de l'OCDE et suffisamment bien formés pour répondre à des exigences de qualité . C'est pourquoi tant des industries de main d'oeuvre, telles la plasturgie, des filières pour lesquelles la main d'oeuvre ne constitue pas le poste opérationnel le plus important dans leur bilan, comme la chimie, et surtout désormais le secteur des services, connaissent aujourd'hui également des mouvements de délocalisations.

A titre d'illustration des industries de main d'oeuvre jusqu'à présent relativement épargnées, la plasturgie , qui désigne l'ensemble de la transformation des matières plastiques en produits finis ou semi-finis et compte près de 4.000 entreprises employant plus de 160.000 salariés.

Ce secteur était jusqu'à présent très dynamique en raison de la diversité de ses marchés : fabrication d'emballages, de caoutchouc, d'éléments pour la construction automobile et pour le secteur médico-chirurgical. Or, les entreprises de ce secteur qui ne se sont pas portées sur des marchés spécialisés traversent une période délicate. Après plusieurs années de forte croissance, la profession a en effet enregistré en 2002 une stagnation de son chiffre d'affaires global par rapport à 2001 (25,6 milliards d'euros). Les effectifs ont baissé de 1,2% en 2002 et n'ont pas progressé depuis. Malgré une nette amélioration en 2003 et un redressement à court terme des perspectives des industriels, les inquiétudes ne sauraient être entièrement dissipées en raison de facteurs conjoncturels et structurels qui favorisent des décisions de délocalisations.

Au plan conjoncturel, la plasturgie constitue une filière sur laquelle la hausse du prix du pétrole a un fort impact en tant que matière première. Si la parité entre l'euro et le dollar venait à retrouver un équilibre plus conforme à la rationalité économique tandis que les prix de l'or noir demeuraient aussi élevé qu'aujourd'hui, la nécessité de réduire drastiquement les coûts de production s'imposerait.

Sous un angle structurel, on observe que cette industrie est particulièrement dépendante des donneurs d'ordre , qui raisonnent avec les fournisseurs français en se référant aux prix asiatiques. En effet, les plasturgistes français se trouvent en concurrence avec des fabricants des pays de l'Est ou d'Asie sur le marché des produits de consommation divers à faible valeur ajoutée. Ainsi, la filière a subi le contrecoup des choix faits dans l'automobile. Cette concurrence provoque un désarroi chez les sous-traitants français pour lesquels une véritable mutation de l'industrie est en marche. Deux positions sont généralement avancées : certains défendent l'innovation afin d'augmenter leur marge alors que d'autres prônent la délocalisation. La tentation de la délocalisation concernerait ainsi plus de la moitié des PME de cette industrie, selon une étude de KPMG menée en 2003 auprès de deux cents dirigeants de PME françaises dont le chiffre d'affaires oscille entre 7 et 75 millions d'euros (65 ( * )).

Cependant, dans ce secteur comme dans les autres, les délocalisations ne sont pas nécessairement négatives et signes d'un déclin, ainsi que le prouve la stratégie du groupe Plastivaloire : en dépit de la délocalisation en Chine de la fabrication de certains moules, celui-ci non seulement maintient neuf sites en France, notamment pour les opérations de mise au point définitive, mais il a également décidé de réaliser une opération immobilière d'envergure pour accueillir la direction générale afin de pérenniser les deux usines de Langeais et de Chinon.

Les délocalisations concernent aussi désormais de manière plus diffuse des filières plus capitalistiques telles que le secteur de la chimie . Certes, la situation française est à cet égard moins menacée que dans d'autres pays européens, en particulier l'Allemagne dont la chimie, fleuron industriel, a perdu 105.000 emplois entre 1994 et 2002.

L'industrie chimique française occupe la cinquième place sur le marché mondial après les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne et la Chine, et la deuxième position sur le marché européen, qui représente 34 % du marché mondial contre 28,7 % pour l'Asie et 26,3 % pour les Etats-Unis. Toutefois, son taux de croissance sur les dix dernières années est légèrement inférieur à la moyenne de l'Union européenne. Lors de son audition, M. Bernard Rivière, président de l'Union des industries chimiques, a indiqué à votre gropue de travail qu'une étude prospective sur l'évolution des industries chimiques menée par le CEFIC ( European Chemical Industry Council ) confirmait cette tendance dans des projections faites à l'horizon 2015, hors pharmacie, secteur qui demeure très dynamique.

Une des raisons de ce repli réside dans la diminution régulière de l'investissement ces trois dernières années . Si la part des investissements sécuritaires a crû en raison des contraintes pesant sur l'environnement, celle relative aux capacités est beaucoup plus faible. Or, la diminution des investissements pose la question de l'obsolescence des usines et donc, à terme, celle de la re-localisation de ces investissements ailleurs que sur le territoire national . Cette perspective est renforcée par la tentation d'échapper à des contraintes environnementales croissantes et, par ailleurs -de manière plus classique -, de réduire les coûts de production dans les pays émergents.

Enfin, même si cette activité ne constitue pas le domaine d'investigation de votre groupe de travail, celui-ci ne saurait omettre de faire référence pour mémoire au secteur des services . La plupart de ses interlocuteurs lui ont en effet fait observer qu'à l'avenir, l'essentiel des délocalisations devrait le concerner, à l'instar du mouvement déjà solidement installé aux Etats-Unis, dont les entreprises recourent volontiers à l'extériorisation « off-shore », en particulier vers l'Inde, pour un nombre croissant d'activités.

Si la France n'est encore pas très exposée à cette tendance, elle connaît pourtant déjà des délocalisations de ce type, dans le domaine des centres d'appel (Maghreb), de la comptabilité (Maurice ou Madagascar) ou encore de l'informatique. On citera ainsi à titre d'exemple l'entreprise indienne Atos Origin, située à Bombay et employant 450 salariés, qui réalise des prestations de service pour des entreprises comme Alstom , Axa , BNP Paribas ou le Crédit lyonnais .

A l'instar de M. Michel Testard, entendu par votre groupe de travail, tous les experts estiment que le mouvement pourrait s'accélérer. Ainsi, 15.000 à 20.000 emplois pourraient être créés à l'étranger par des entreprises françaises dans des call-centers . Selon M. Paul Hermelin, directeur général de Cap Gemini Ernst&Young , les sociétés de services informatiques devraient connaître une vague de délocalisations comparable à celle qui a frappé l'industrie textile (66 ( * )). Comme le souligne le cabinet ATKearney, des activités de plus en plus sophistiquées, à fort contenu intellectuel, sont traitées sur le sous-continent indien depuis deux à trois ans. Ce mouvement concerne, outre les services déjà sous-traités depuis une quinzaine d'années comme la saisie de données ou la programmation informatique de base, la recherche-développement, l'analyse financière ou les études de marché. Ainsi, Ineum Consulting estime que 730.000 emplois du secteur financier européen pourraient être détruits d'ici 2008 en raison de l'offre développée par les pays en développement (67 ( * )).

A l'issue de cette présentation générale du phénomène des délocalisations dans les industries de main d'oeuvre, votre groupe de travail retient trois enseignements majeurs :

- les délocalisations sont un phénomène économique relativement ancien qui ne constitue qu' un des aspects des incessantes restructurations de l'outil industriel dans un système globalisé , au demeurant nécessaires pour entretenir le mécanisme de l'innovation et permettre aux zones émergentes de s'intégrer positivement dans la division internationale du travail ;

- leur appréciation statistique est délicate et sans doute insuffisante dans notre pays, mais les estimations convergentes des experts ne permettent pas de penser que la France connaît récemment un mouvement massif qui priverait son industrie de ses ressorts dans la compétition internationale, pour autant que les industriels soient capables de s'adapter en recherchant l'excellence sur les segments productifs riches en valeur ajoutée ;

- à cet égard, l'irruption de nouveaux pays, disposant d'une main d'oeuvre abondante et de hautes capacités technologiques , rend la compétition plus rude , explique sans aucun doute une relative accélération des délocalisations et leur diffusion à de nouveaux secteurs ou segments productifs , et rend nécessaire un réelle vigilance à leur égard . Toutefois, cette émergence de nouveaux acteurs, dont les besoins immédiats et à venir sont considérables, est aussi bien davantage la cause d'une redistribution des moyens de production à l'échelle planétaire qui, répondant à des objectifs de conquête de marchés , ne saurait être qualifiée de délocalisations.

II. LES DÉLOCALISATIONS : OBJECTIFS ET COÛTS CACHÉS

Le phénomène des délocalisations d'entreprises est ainsi un processus participant par essence à l' internationalisation de l'économie : il en est à la fois un symptôme et un facteur . Il paraît à cet égard utile de se pencher sur les avantages que recherche un entrepreneur en délocalisant tout ou partie de son activité, mais aussi sur les risques susceptibles de le conduire à s'abstenir d'une telle décision, voire à « relocaliser » quelques années après avoir « délocalisé ».

S'agissant de ce que votre groupe de travail a qualifié de délocalisations « pures », le recours à une main d'oeuvre meilleur marché est, sans conteste, le gain essentiel que les entreprises attendent le plus souvent de leur décision. On sait que les rapports de coût en la matière atteignent des niveaux considérables dans certains domaines : ainsi, par exemple, le taux de salaire horaire dans le textile est 45 fois moins élevé au Pakistan qu'en France, selon les observations de l'Union des industries textiles (UIT) présentées lors de leur audition par MM. Jean-Pierre Grillon, vice-président de l'UIT, et Thierry Noblot, délégué général. Au vu d'une telle différence, comment ne pas s'étonner qu'il reste encore des usines textiles dans notre pays ? Finalement, et paradoxalement, l'analyse des délocalisations pourrait alors moins conduire à s'interroger sur la raison de leur survenue qu'à se demander pourquoi elles ne sont pas plus nombreuses...

En effet, si le différentiel des coûts de la main d'oeuvre entre pays industrialisés et pays en développement était le seul critère présidant aux mouvements de délocalisations, on ne saurait expliquer :

- que ces mouvements ne connaissent pas une bien plus grande ampleur que celle constatée ou estimée aujourd'hui et qu'ils n'affectent pas la plupart des emplois, qualifiés et non qualifiés, des secteurs productifs soumis à la concurrence internationale ;

- qu'un bien plus grand nombre de pays en voie de développement n'en bénéficient pas et que seuls certains Etats ou zones géographiques les accueillent ;

- que, dans divers secteurs (automobile, électronique) et activités (recherche et développement, finances), ils suivent autant, voire davantage, des flux Nord/Nord que des flux Nord/Sud.

A l'évidence, beaucoup d'autres paramètres que le seul coût du facteur travail sont pris en compte dans une stratégie de localisation industrielle , certains d'entre eux pouvant d'ailleurs conduire à ne pas retenir le choix d'une installation dans un pays en développement .

A. LES DÉTERMINANTS DES DÉLOCALISATIONS

La recherche de coûts réduits de production constitue, la plupart du temps, la motivation essentielle d'une délocalisation. Mais d'autres facteurs sont également à prendre en compte, qui pèsent parfois autant, voire davantage, dans la décision. Le schéma suivant, réalisé par le cabinet ATKearney et aimablement fourni à votre groupe de travail par MM. Laurent Petizon et Olivier Delrieu lors de leur audition, tout comme les autres documents qui illustreront les propos à venir, indique, à titre d'exemple, le poids respectif des différentes motivations à la délocalisation dans le secteur de l'industrie automobile.

Source : entretiens ATKearney réalisés en 2003 auprès d'acteurs de l'industrie automobile

1. La réduction des coûts

S'agissant des coûts, on observera tout d'abord que ce critère ne devient réellement déterminant que pour des produits à faible valeur ajoutée, dits « matures ». On examinera ensuite la principale ligne de coût des industries de main d'oeuvre, c'est-à-dire précisément le coût du facteur travail, avant d'analyser les autres types de charges susceptibles d'être moins élevées à l'étranger, qu'il s'agisse de la fiscalité, du coût du foncier ou de celui de l'énergie.

a) La maturité des produits

La notion de « maturité » du produit est essentielle pour comprendre les délocalisations dans la mesure où l'écrasante majorité des biens et services dont la production est délocalisée, au sens strict du terme, des pays industriels vers des pays en développement, sont des produits dits « matures » . La maturité exprime le fait qu' aucune innovation , technologie ou autre caractéristique discriminante intégrée au produit ne peut plus permettre à celui-ci, en le distinguant d'un produit similaire, d'échapper à la concurrence par les prix . Qu'il s'agisse par exemple, depuis longtemps déjà, des T-shirts ou des chaussures bas de gamme, ou, aujourd'hui, de certains composants électroniques ou de pièces détachées de l'industrie automobile, ces éléments n'ont plus une valeur ajoutée intrinsèque justifiant un prix de vente plus élevé que celui du marché. Celui-ci s'aligne donc sur les coûts de production les plus bas qui, s'agissant des produits des industries de main d'oeuvre, dépendent largement du coût du travail.

On observera à cet égard, comme en ont témoigné de nombreux industriels entendus par votre groupe de travail, que cette réalité explique en grande partie la segmentation géographique des processus de production et la très importante augmentation du commerce international intragroupe (68 ( * )) : un bien assemblé en Europe est en effet désormais très souvent constitué de nombreuses fournitures provenant de zones de production à bas coûts. Selon une enquête du cabinet Mercer Management Consulting parue en janvier 2004, les grandes entreprises européennes devraient ainsi doubler leur approvisionnement dans ces zones d'ici 2005, plus de 40 % d'entre elles (contre 15 % aujourd'hui) y réalisant plus de 10 % de leurs achats. Ce que, à titre d'exemple, confirmait en avril dernier le PDG de l'équipementier automobile français Valeo, qui a pour objectif de faire passer ses approvisionnements dans les pays à bas coûts de 25 à 70 % d'ici 2010.

Les cas de délocalisations d'unités de production de produits matures abondent et on ne saurait évidemment tous les citer. On retiendra cependant celui de la fermeture de l'usine STMicroelectronics de Rennes, qui faisait l'objet d'un puissant intérêt médiatique quand elle a été évoquée devant le groupe de travail par deux responsables de l'entreprise : pendant trente ans, les technologies de semi-conducteurs produites à Rennes et arrivant à leur maturité ont toutes été successivement délocalisées vers le site de Singapour, tout en étant remplacées par des lignes de nouveaux produits. Aujourd'hui, la direction de STMicroelectronics estime que cette politique ne peut plus être poursuivie sans investissements jugés trop coûteux, qu'elle a choisi d'effectuer sur deux autres sites européens (Crolles en France, pour 3 milliards d'euros d'ici 2007, et Catane en Italie) pour y développer notamment sa nouvelle gamme de plaques de 12 pouces : dès lors, le transfert de la production de technologie 6 pouces, arrivée à maturité, de Rennes vers l'Asie, conduit à la fermeture du site français et au risque du chômage pour 465 salariés.

Cette notion de maturité est également essentielle a contrario : elle souligne l'importance de l'innovation comme facteur permettant de s'imposer face à la concurrence internationale et témoigne qu'aucune industrie n'est, en tant que telle, nécessairement promise à la délocalisation . On en prendra pour preuve le contrat remporté début mai 2004 par le fabriquant de jouets Lansay , dont le secteur d'activité est soumis à la féroce concurrence des pays asiatiques depuis de très longues années déjà : il a emporté une commande du géant américain de la distribution Wall-Mart , pourtant connu pour sa stratégie essentiellement axée sur la recherche de prix d'achat extrêmement bas, de cinq millions d'exemplaires de sa mini-console de jeux TiviPad Pac Man . De la même manière, c'est grâce à une politique de montée en gamme que Beideacod , entreprise familiale de compteurs industriels installée dans le Bas-Rhin, a pu résister aux pressions à la délocalisation engagées par son principal client pour diminuer les coûts : selon M. Jean-Claude Audet, directeur général, entendu lors du déplacement du groupe de travail en Alsace, le remplacement de produits matures par une technologie plus innovante, associé à une réorganisation des sites de production, a permis non seulement d'échapper à la concurrence par les prix, mais aussi d'ouvrir à l'entreprise de nouveaux marchés.

b) Coûts et productivité de la main d'oeuvre

Dans les industries de main d'oeuvre, le coût du travail, qu'il s'exprime de manière directe (salaires et charges sociales) ou indirecte (productivité des salariés), est évidemment un élément déterminant du choix d'implantation des unités de production. Mais autant le coût direct joue systématiquement à l'encontre des pays industriels , autant le coût indirect est l'objet d'appréciations plus contrastées .

(1) Coût de la main d'oeuvre

On ne s'attardera pas sur les différences de salaires entre les pays développés et les autres, tant ils sont connus et systématiquement rappelés. Le tableau de la page suivante permet simplement de relever que, s'agissant de la France, le rapport d'écart est de un à quarante avec la Chine ou l'Inde et de un à quatre ou cinq avec les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ou le Brésil : bien évidemment, de telles proportions ne sauraient être sensiblement diminuées avant longtemps.

COÛT HORAIRE DE LA MAIN-D'OEUVRE DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE

1990

1995

2000

2001

Etats-Unis

14,9

17,2

19,7

20,3

Europe à 15

17,2

21,8

18,5

18,4

France

15,5

19,4

15,7

15,9

Allemagne

-

30,3

23,0

22,9

Royaume-Uni

12,7

13,8

16,4

16,1

Italie

17,5

16,2

14,0

13,8

Espagne

11,4

12,8

10,8

10,9

Pologne

-

2,8

4,1

-

Hongrie

-

2,6

3,4

-

République tchèque

-

2,2

3,0

-

Japon

12,8

23,8

22,0

19,6

Corée

3,7

7,3

8,5

8,1

Hong Kong

3,2

4,9

5,6

6,0

Taiwan

3,9

5,9

5,9

5,7

Chine

-

-

0,5

0,4

Inde

-

-

0,3

0,3

Brésil

-

-

3,6

3,0

Mexique

1,6

1,7

2,1

2,3

En $ par heure Source : US Department of Labour, BLS, Septembre 2002

Ces différences salariales s'entendent charges sociales incluses : que l'on retienne les régimes d'avantages sociaux obligatoires ou ceux facultatifs, la protection sociale des pays occidentaux est extrêmement développée même si la répartition entre les deux types de régime peut être fort différente (par exemple, les régimes obligatoires et facultatifs représentent respectivement 8 % et 44 % de la masse salariale en Grande-Bretagne, et 23 % et 26 % en Allemagne). Globalement, cette protection sociale représente ainsi entre 30 et 60 % de la masse salariale dans les pays industriels tandis qu'elle est quasi inexistante dans les pays émergents du Sud. Les PECO se placent dans une situation intermédiaire puisque si les prélèvements sociaux y représentent une proportion de la masse salariale comparable à celle des pays occidentaux, la charge brute en valeur demeure cependant faible puisque le niveau des salaires, qui constituent l'assiette de ces charges, est bien moins élevé.

(2) Productivité de la main d'oeuvre

En ce qui concerne la productivité , la situation est plus complexe. Pour des raisons qui tiennent à la formation, à la tradition culturelle, au capital et à la technologie affectés à la production, à l'organisation du processus productif, aux méthodes de management de la main d'oeuvre, voire à la productivité physique inhérente des travailleurs, la productivité des salariés occidentaux est en général plus forte, et parfois très nettement, que celle de leurs homologues des pays émergents. La prise en compte de la productivité peut donc venir amoindrir l'intérêt d'une délocalisation, même lorsque les différentiels de coûts de la main d'oeuvre sont très importants .

PRODUCTIVITÉ DE LA MAIN-D'OEUVRE PAR PERSONNE OCCUPÉE

1995

1998

2000

2003

Europe à 15

100,0

100,0

100,0

100,0

France

114,4

115,7

114,7

115,0

Allemagne

98,9

97,4

95,9

95,3

Royaume-Uni

89,3

91,0

92,3

97,0

Italie

114,0

113,8

112,2

104,9

Espagne

95,9

93,4

93,8

95,6

Irlande

105,6

111,1

114,5

119,1

Belgique

120,4

116,9

118,2

119,8

Grèce

78,2

78,1

81,8

91,1

Autriche

97,3

97,7

100,3

98,1

Pologne

42,4

42,5

47,6

50,3

Hongrie

53,7

56,2

57,6

62,7

République tchèque

-

-

52,8

61,1

Slovaquie

42,9

47,4

51,7

56,3

Estonie

31,2

37,6

42,2

48,0

Bulgarie

-

26,8

29,8

31,7

Turquie

33,4

37,0

37,6

38,1

Source : Eurostat

Cependant, si un certain nombre d'investissements matériels et immatériels sont consentis par l'entreprise pour permettre aux facteurs de production locaux d'atteindre rapidement les standards occidentaux, les niveaux de productivité peuvent rapidement s'élever : dans cette hypothèse, loin d'être un frein à la délocalisation, la productivité vient au contraire s'ajouter aux faibles coûts salariaux pour en renforcer l'intérêt . En outre, elle peut être fortement augmentée, toutes choses égales par ailleurs, par la flexibilité de la main d'oeuvre : la faiblesse, quand ce n'est pas l'absence, de législation sociale protectrice offre ainsi, dans les pays d'accueil, un cadre d'emploi déréglementé des salariés qui favorise l'utilisation optimale du capital, et accroît de ce fait la productivité globale des facteurs.

Enfin, la différence de standards en matière sociale permet aussi de compenser une faible productivité relative par une durée du travail très supérieure à celle connue dans les pays développés. Sans même évoquer les infractions beaucoup trop nombreuses aux droits fondamentaux des travailleurs définis par l'Organisation internationale du travail (OIT), qu'a rappelées lors de son audition, pour les dénoncer, M. Jean-Daniel Leroy, directeur du bureau de correspondance en France du Bureau international du travail, le simple respect de ces droits minimaux permet encore une différence moyenne de durée du travail pouvant dépasser le rapport de 1 à 2 . Car tout rentre en compte, en effet, dans ce calcul : durée quotidienne du travail, nombre hebdomadaire de jours travaillés, nombre annuel de jours chômés (fêtes légales, conflits du travail) et périodes de congé. Le cumul, puisqu'en général tous les facteurs se conjuguent, rend ainsi l'emploi d'un travailleur du Nord beaucoup moins rentable que celui de son homologue du Sud.

c) Les autres éléments de coûts

Bien entendu, d' autres critères financiers s'ajoutent régulièrement à celui du coût de la main d'oeuvre pour justifier un projet de délocalisation.

Le premier d'entre eux est le niveau des impositions . Aux impôts directs pesant sur l'entreprise (impôt sur le bénéfice), s'ajoutent les impôts locaux (impôts fonciers, taxe professionnelle) et les taxes sur les transactions. Une analyse précise de la situation est indispensable avant toute décision de délocaliser puisque ces taxations sont extrêmement diverses d'un pays à l'autre , non seulement quant à leur existence et à leurs taux , mais aussi à leur assiette comme aux éventuelles exemptions pouvant leur être associées de manière temporaire ou permanente, voire à raison de la branche d'activité concernée. Dans ce domaine, les comparaisons sont donc délicates à effectuer et les indications de portée générale ne sont pas toujours pertinentes : ainsi, le taux d'un impôt sur le bénéfice peut être inférieur de moitié à un autre sans que leurs produits effectifs soient significativement différents si les assiettes et les charges déductibles ne sont pas les mêmes. Cette complexité justifierait à elle seule l'existence des nombreux cabinets de conseils proposant aux entreprises leurs services pour évaluer les avantages et les risques d'un projet de délocalisation.

Reste que, globalement, il n'est pas contestable que la recherche de moindres coûts fiscaux constitue souvent une motivation supplémentaire à la délocalisation, certains Etats en faisant même un puissant outil d'attractivité quand ils instituent des zones franches exemptes de toute imposition .

Viennent ensuite les charges d'installation . Dans cette catégorie figurent le coût d'acquisition du terrain industriel et ceux de la construction de l'unité de production , ou les coûts de location . Là encore, les différences peuvent être sensibles d'un pays à l'autre, d'autant que des politiques publiques d' aide à l'installation , sous forme de subventions ou de réductions des prix du foncier , sont aussi de nature à modifier les coûts apparents .

En outre, l'industriel devra évidemment prendre en compte les divers autres coûts de production, tels le coût de l'énergie ou celui des transports , pour forger sa décision. En effet, comme on le verra ultérieurement, ces postes ne jouent pas souvent en faveur des pays émergents et viennent, à quelques exceptions près comme, par exemple, la Russie s'agissant du gaz naturel, minorer les allègements de charges attendus d'une délocalisation plutôt que les accroître.

Enfin, les circonstances actuelles, où le dollar est sous-évalué de 15 à 20 % face à l'euro en raison notamment d'une politique délibérée de l'administration américaine, conduisent à ne pas négliger l'importance des taux de change . Ce critère est a priori trop volatile pour être retenu dans une stratégie cohérente d'implantation à l'étranger : toutefois, lorsque l'affaiblissement du dollar semble durable, le handicap de compétitivité des produits fabriqués dans la zone euro peut nécessiter une délocalisation pour réduire les coûts de production. Certes, l'appréciation de l'euro amortit la hausse des inputs négociés en dollars, au premier rang desquels figure l'énergie (par exemple le pétrole, dont le prix avoisine les 40 dollars le baril au moment de la rédaction de ce rapport) : mais la balance entre inputs et outputs demeure toutefois déséquilibrée, obligeant les exportateurs européens soit à réduire leurs marges pour conserver leurs parts de marché, soit, le cas échéant, à délocaliser tout ou partie de leur production dans des pays de la zone dollar ou d'une monnaie qui lui est liée (69 ( * )). Des entreprises de toutes tailles sont confrontées à cette alternative : ainsi, par exemple, tant M. Philippe Camus, président exécutif du géant aéronautique et spatial européen EADS , que M. Jean-François Allier, PDG de la PME toulousaine Humirel , leader international des capteurs d'humidité dont la plupart des concurrents sont installés dans la zone dollar, n'excluaient pas, en janvier 2004, de délocaliser leurs investissements futurs dans ladite zone uniquement pour retrouver des marges concurrentielles .

d) Une discrimination Nord-Nord tout aussi importante

Votre groupe de travail souhaite ici indiquer que si la problématique des délocalisations dans les industries de main d'oeuvre conduit à privilégier une analyse comparant les avantages respectifs des pays industrialisés et des pays émergents au regard de ces critères de coûts, la réalité actuelle de la mondialisation est toujours très largement, et pour longtemps encore, dominée par les mouvements de capitaux réalisés entre les pays du Nord . On rappellera ainsi, à titre d'exemples, que sur la période 2001-2003, les investissements directs (IDE) aux Etats-Unis ont, à eux seuls, représenté trois fois les IDE en Chine et qu'en 2002, ce dernier pays et le nôtre ont bénéficié du même montant d'IDE entrants (56 milliards d'euros contre 54,7).

Dans ce contexte, si l'on raisonne de manière globale, le coût du travail, la productivité, les charges fiscales, les frais d'installation et les coûts de production ont aussi une importance considérable dans les choix de localisation entre différents Etats industriels . Ceux-ci, d'ailleurs, définissent chacun des stratégies publiques visant à favoriser l'accueil des IDE, au même titre que les pays émergents. Au-delà des mesures fiscales, sociales ou destinées à améliorer les infrastructures territoriales décidées au plan national ou local, ils confient à des structures ad hoc le soin de réaliser un véritable marketing territorial pour « vendre » aux investisseurs étrangers le site national : tel est en France, par exemple, le rôle de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). La politique d'attractivité du territoire engagée par le Gouvernement est donc essentielle : si nulle augmentation de la durée globale du travail ou diminution des charges sociales ne serait à l'évidence suffisante pour rendre comparables les niveaux français et chinois dans ces domaines, de telles inflexions s'avèrent en revanche indispensables dans le cadre de la concurrence territoriale s'exerçant entre notre pays et les autres nations développées .

Cette importance de l'attractivité différentielle entre les pays développés est au reste démontrée par une étude comparative publiée le 10 mars 2004 par le cabinet KPMG (70 ( * )). Etablie à partir de 27 éléments de coûts sensibles à l'emplacement pour 17 secteurs d'activité et types d'entreprises dans 121 villes couvrant 11 pays industrialisés, ce qui représente plus de 30.000 points de données comparés sur une période de dix ans, cette analyse établit un classement des nations observées en termes d'attractivité.

En tête de celui-ci figurent le Canada et l'Australie, qui ont des coûts globaux des entreprises inférieurs respectivement de 9 % et de 8,5 % à ceux des Etats-Unis, lesquels constituent l'étalon de référence. Viennent ensuite la Grande-Bretagne (- 2,4 %), puis un groupe formé par l'Italie (- 1,3 %), la France et le Luxembourg (- 0,9 %). Alors que l'Islande et les Pays-Bas ont des structures de coûts un peu supérieures à celle des Etats-Unis (respectivement + 3,3 % et + 4,0 %), l'Allemagne (+ 13,9 %) et surtout le Japon (+ 23,8 %) se caractérisent par un différentiel de compétitivité très important.

Ce classement synthétique est complété par des analyses sectorielles très détaillées constituant la matière de l'étude de KPMG, qui observe que, parmi les pays de la zone euro, la France a enregistré la meilleure amélioration en termes de compétitivité des coûts, en raison principalement d'une modération des coûts de la main d'oeuvre et des avantages sociaux.

2. L'accès aux marchés

Au-delà des considérations de coûts, un second facteur intervient de façon substantielle pour décider d'une délocalisation : l' accès aux marchés . Si cette préoccupation résulte, en dernière analyse, d'une logique concurrentielle , on peut néanmoins distinguer à cet égard la politique offensive , exprimant un choix délibéré , de la politique défensive , déterminée par un certain nombre de contraintes .

a) La politique offensive

Une dynamique offensive est à l'oeuvre dans un grand nombre de délocalisations : il s'agit pour l'essentiel de s'ouvrir de nouveaux marchés porteurs en accédant à une clientèle étrangère, qui reste à conquérir . La plupart du temps, cela a été relevé précédemment, cette politique ne s'accompagne pas de la fermeture de sites historiques de production dans le pays d'origine : il ne s'agit donc pas à proprement parler de délocalisations, sauf à considérer que les investissements envisagés auraient pu être effectués localement pour développer une production essentiellement destinée aux exportations. Mais, outre le fait que la plupart des pays émergents peuvent, dans le respect des règles de l'OMC, instaurer des droits de douane prohibitifs ou édicter des législations en matière de normes qui limitent la pénétration commerciale, chacun sait que, d'une manière générale, la qualité des relations avec les clients impose autant que possible une réelle proximité . Ces deux raisons cumulées expliquent pour beaucoup l'attrait actuel de pays comme la Chine et l'Inde, dont les marchés intérieurs ouvrent des perspectives de croissance auxquelles nul industriel ne saurait être indifférent.

C'est dans cette optique que se place, par exemple, un patron comme M. Edouard Michelin, qui déclarait récemment (71 ( * )) que les opportunités de croissance de son groupe étaient partout identiques, entre marchés matures et marchés émergents : « Notre objectif n'est donc pas de délocaliser, mais "de muscler l'Ouest et de faire grandir l'Est" » . C'est également l'explication qu'en a donnée à votre groupe de travail, lors de son audition, M. Martin Folz, PDG de Peugeot SA, qui a souligné que les nouveaux investissements du groupe en Europe centrale résultaient de considérations logistiques, et qu'ils ne s'opposaient pas au maintien d'un haut niveau d'activité en Europe occidentale. Il a ainsi pris pour exemple la politique de recrutement en France de PSA (depuis cinq ans, 43.000 recrutements de salariés en contrats à durée indéterminée, dont 11.000 créations nettes d'emplois) et d'investissements (2 milliards d'euros depuis 2000, notamment à Mulhouse et Valenciennes), combinée à son développement récent en République tchèque (création en 2002, avec Toyota , d'une plate-forme commune à Kolin, d'une capacité de 300.000 véhicules, qui fonctionnera à partir de 2005) et en Slovaquie (construction à Trnava, depuis 2003, d'une usine de montage dont le début de production est programmé en 2006), pour alimenter le marché des PECO en petits véhicules d'entrée de gamme à un prix avoisinant les 8.000 euros.

On relèvera toutefois que cette logique peut aussi conduire à la fermeture de sites de production locaux ou à la réduction de leur activité , lorsque tout ou partie de celle-ci était précisément destinée à l'exportation. Tel a par exemple été le cas de l'entreprise francilienne Sediver , qui produisait jusqu'en février dernier des isolateurs électriques, en partie pour le marché chinois. La construction en 2003 d'une unité de production en Chine a naturellement conduit à l'arrêt de l'exportation annuelle de 600 appareils vers ce pays. On observera que cette décision menace l'activité du transporteur sous-traitant, le groupe Reviron , lui-même contraint de trouver rapidement un autre client capable de compenser la perte de 25 % de chiffre d'affaires induite par cette délocalisation.

Il arrive par ailleurs que l'investissement direct à l'étranger ait pour objet de faciliter non pas la relation avec le client, mais avec les fournisseurs , de même que l' accès aux matières premières ou à l'énergie . Ainsi, par exemple, M. Guy Dollé a indiqué au groupe de travail lors que la localisation des usines sidérurgiques du groupe Arcelor devait autant au déplacement des zones de profit qu'à l' enchérissement du coût de transport des matières premières (minerai et ferraille), qui condamnait à terme les installations placées au coeur de l'Europe continentale. On pourra citer également, à titre anecdotique puisqu'il s'agit, ce n'est pas encore courant, d'un investissement chinois en France, la création actuellement en cours dans le Lot d'une unité de recyclage de 40.000 tonnes de plastiques industriels et agricoles dont la totalité de la production sera exportée vers la Chine, qui souffre structurellement d'une pénurie de matière plastique (72 ( * )).

La politique offensive s'exprime enfin dans le cadre de la rationalisation des processus de production des entreprises déjà mondialisées : les mouvements, dans ces circonstances, sont extrêmement divers et les sens des flux sont indifféremment Nord/Sud, Nord/Nord, Sud/Nord, voire Sud/Sud, selon les objectifs poursuivis . Ainsi, à quelques semaines d'intervalle, le groupe français Gemplus , numéro un mondial de la carte à puce, a-t-il annoncé :

- début avril, le prochain arrêt de la production en France de cartes téléphoniques (au nombre de 5 millions par mois fin 2003) et sa délocalisation vers les sites polonais et mexicain de l'entreprise : ce mouvement est la délocalisation Nord/Sud classique d'un produit arrivé à maturité , laquelle n'est pas envisagée pour la production de cartes bancaires et de cartes GSM, plus sophistiquées et personnalisées ;

- mi-mai, la fermeture du site allemand de Herne, dont l'ensemble des activités PVC sera transféré vers celui d'Havant, en Grande-Bretagne, à l'exception des « activités locales » comme la personnalisation des cartes de santé et des cartes bancaires pour le marché d'Outre-Rhin, quant à elle désormais réalisée sur le site allemand de Filderstadt : ces deux types de délocalisation Nord/Nord s'inscrivent dans un plan de restructuration classique pour lequel se combinent des considérations de coûts , de synergies industrielles et de proximité du marché .

Aux côtés de ces deux exemples traditionnels, qui structurent actuellement l'immense majorité des délocalisations , commencent à apparaître des mouvements nouveaux, probablement appelés à s'accroître dans l'avenir. Il en est ainsi des mouvements Sud/Nord se justifiant par une montée en gamme ou la recherche de valeur ajoutée . Le groupe indien de télécommunications Bharti Tele-Ventures a ainsi confié à IBM, fin mars 2004, un très important contrat de sous-traitance informatique, d'un montant de plus de 250 millions de dollars et portant sur cinq ans, qui conduira à la délocalisation d'Inde vers les Etats-Unis de tous les services de l'entreprise indienne liés à la relation client et au stockage de données. Quant aux délocalisations Sud/Sud , elle sont déjà nombreuses dans certains secteurs comme le textile ou la chaussure , les pays producteurs du pourtour de la Méditerranée (Maghreb, Turquie, Roumanie), tout comme l'Inde ou le Pakistan, craignant à cet égard que la concurrence chinoise s'aggrave en 2005 avec la fin des accords multifibres, et donc que ce mouvement s'accélère.

b) La politique défensive

On peut qualifier de politique défensive la décision de délocaliser pour s'adapter sous contraintes à une concurrence essentiellement déterminée par les coûts de production . Ce type de délocalisations est celui qui alimente le plus justement les craintes de l'opinion publique puisqu'il place effectivement les entrepreneurs face à l'alternative : « délocaliser ou disparaître ».

Un grand nombre des responsables économiques entendus par votre groupe de travail, à Paris ou lors de ses déplacements en province, ont apporté le témoignage concret de ces mouvements. Les citer tous n'apporterait au lecteur guère d'informations supplémentaires à celles qu'il peut trouver très régulièrement dans les journaux économiques : l'insertion dans un marché mondial expose en effet nombre d'entreprises à ce dilemme. Dans ce cadre, on observe que les pays à bas coût tendent à se spécialiser par activité (pièces automobiles en Chine, software informatique en Inde, électronique en Malaisie), ce qui leur permet, note le cabinet ATKearney, une certaine concentration de moyens et une plus grande clarté dans leur démarchage parfois agressif des entreprises occidentales et japonaises .

Tout au plus est-il intéressant de relever que l'essentiel des structures affectées par ces délocalisations contraintes sont des PME , lesquelles disposent plus difficilement que les grandes entreprises des moyens financiers et logistiques leur permettant d'engager une stratégie de maintien local de l'activité : changement de positionnement du produit, restructuration lourde des processus de production, formation des personnels, modification de l'organisation, etc. Cette réalité souligne l'importance qu'il convient d'accorder, comme ce rapport le fera ultérieurement, aux suggestions récemment formulées par la DATAR (73 ( * )) ou notre collègue député M. Christian Blanc (74 ( * )) pour renforcer la coopération des PME au sein de systèmes productifs locaux, de vallées d'entreprises, de pôles de compétitivité, de cluster s, etc.

De nombreux exemples témoignent des possibilités de résistance à la concurrence internationale et aux délocalisations qu'offrent ces stratégies, de l'industrie verrière de la vallée de la Bresle, dont la soixantaine de PME a créé plus de 1.200 emplois en dix ans, jusqu'au pôle automobile Alsace Franche-Comté, conforté et développé depuis 1998 par l'association interrégionale Astrid (Agence de soutien des technologies, de la recherche industrielle et du développement), en passant par le pôle papetier des Vosges, premier département producteur (1,5 millions de tonnes), employant près de 10.000 salariés et produisant deux fois plus qu'il y a dix ans. Au total, la DATAR évalue à une centaine le nombre de SPL français, qui totaliseraient quelque 18.000 entreprises et 525.000 emplois.

S'agissant de la typologie de ces délocalisations, on retiendra qu'elles sont aussi très souvent conditionnées non seulement par la pression sur les prix qu'exerce le client, mais parfois par la délocalisation préalable de celui-ci . Là encore, les PME sont concernées au premier chef en tant que sous-traitantes d'entreprises plus importantes (75 ( * )), qui peuvent les contraindre dans leurs choix de localisation. On citera à titre d'exemple la politique de Schneider Electric , révélée par le quotidien Libération qui a publié (76 ( * )) une lettre-type adressée aux sous-traitants de l'entreprise pour les inciter, sous la menace d'être exclus de son référencement, à délocaliser afin de réduire les prix de leurs production. Mais des témoignages directs de ces pratiques ont aussi été recueillis par votre groupe de travail lors de ses déplacements en province, notamment lors de la table ronde organisée en Alsace où siégeaient côte-à-côte le patron d'une PME soumise à cette pression, et qui cherchait à s'en dégager, et celui d'une autre qui, lui, reconnaissait agir ainsi à l'égard de ses sous-traitants tout en justifiant son attitude par ses propres contraintes de marché.

Par ailleurs, les exemples d'entreprises accompagnant leur client dans un mouvement de délocalisation ne manquent pas : c'est ainsi qu'une partie significative de la délocalisation de l'industrie textile a été induite non pas tant par la compétitivité-prix que par la délocalisation préalable de l'industrie de l'habillement, les producteurs de fil et de tissus ayant un intérêt commercial à être proches des façonniers, leurs clients. Mais on pourrait aussi citer les fournisseurs des entreprises de la grande distribution, qui les suivent à l'étranger pour pouvoir continuer à les approvisionner en produits dits « MDD », c'est-à-dire vendus sous la propre marque du distributeur, ou encore les sous-traitants automobiles des grands constructeurs européens s'installant dans les PECO, etc.

Reste que toutes ces opérations de délocalisation constituent bien, pour les entreprises concernées, une réelle alternative à la disparition : la plupart du temps, une telle décision leur permet de conserver une activité locale, voire de l'accroître, en reconvertissant leurs salariés vers des fonctions plus riches en valeur ajoutée . C'est ce qu'ont ainsi avancé plusieurs des responsables économiques rencontrés dans le Choletais, tels M. Christian Cunaud, PDG du groupe Salmon Arc-en-Cie l, dont l'entreprise de confection a développé un marketing dynamique pour faire référencer sa production dans les linéaires de la grande distribution, ou M. Xavier Biotteau, PDG de la société Eram , qui s'est résolument porté vers la distribution en multipliant l'implantation de magasins Eram, et en augmentant même finalement le nombre de ses salariés employés en France. Mais on pourrait également citer le fabriquant alsacien de montres Pierre Lannier , qui a délocalisé sa production à Madagascar afin de sauver son activité et de conserver l'intégralité de son personnel français, lequel a été reconverti vers des tâches administratives, conceptuelles et commerciales, ou encore les entreprises ( C2S , J-C Confection et Europex ) que préside M. Claude Tétard, président de l'Union française des industries de l'habillement (UFIH), lequel a indiqué à votre groupe de travail lors de son audition que sa stratégie de délocalisation et d' outsourcing avait permis à son groupe de conserver un effectif de 440 salariés et de générer un chiffre d'affaires de plus de 15 millions d'euros.

Pour votre groupe de travail, l'analyse du phénomène des délocalisations est conditionnée à cette réalité économique, quelle que soit au demeurant la difficulté matérielle à la quantifier : la délocalisation, qui se traduit par la disparition immédiate d'un certain nombre d'emplois, apparaît souvent comme le bon moyen d'éviter de supprimer à terme l'ensemble des emplois, voire d'en créer ultérieurement de nouveaux. A elle seule, cette évidence interdit de condamner d'un bloc les délocalisations et de récuser leur existence.

On relèvera enfin un dernier type de délocalisation, la délocalisation « d'imitation » , mentionnée par plusieurs des personnes auditionnées par votre groupe de travail : la décision est prise par le chef d'entreprise parce que ses concurrents l'ont déjà prise . Ce que les industriels qualifient d'anticipation de marché, offensive lorsque la délocalisation des concurrents semble être le témoignage de perspectives nouvelles de croissance sur des nouveaux marchés, défensive lorsqu'elle est analysée comme l'annonce d'un futur déséquilibre des coûts de production locaux qu'il s'agit de prévenir, est plutôt considérée par les spécialistes du cabinet de consultant ATKearney comme un souvent dangereux effet de mode. Car les délocalisations ont aussi des coûts , qui diffèrent selon de nombreux critères propres à chaque entreprise, et qu'il convient précisément d'analyser pour s'assurer qu'ils ne viendront pas diminuer les avantages attendus du transfert jusqu'à le rendre inopportun.

B. LES LIMITES AUX DÉLOCALISATIONS

Au-delà d'une comparaison simple - voire simpliste - des coûts de production respectifs, la décision de délocaliser une activité n'est en effet arrêtée par une entreprise qu'au regard d'autres nombreux critères, dont certains viennent contrebalancer sérieusement les avantages attendus d'une délocalisation. Il est à cet égard utile d'approfondir l'analyse de ces facteurs susceptibles de contrarier l'intérêt des délocalisations , notamment parce que leur lecture offre, a contrario , des raisons valables de penser que la France garde de très sérieux atouts en termes d'attractivité .

1. Des critères qui peuvent en contrarier l'intérêt

Deux catégories de facteurs réduisent nécessairement l'intérêt apparent d'un transfert d'entreprise à l'étranger et rendent indispensable une étude préalable de type coûts/avantages : des facteurs macroéconomiques, qui tiennent à l'environnement de l'entreprise, et des coûts microéconomiques, qui lui sont propres . Autant d'inconnues - ou d'inattendues - pesant sur les gains espérés de la délocalisation, mis au jour par le cabinet de conseil ATKearney qui accompagne les entreprises dans leurs choix de localisation à l'étranger. Cette constellation de risques est représentée ci-dessous par un schéma en forme d'étoile fourni par MM. Laurent Petizon et Olivier Delrieu lors de leur audition par le groupe de travail :

Source : ATKearney

a) L'environnement de l'entreprise

Au plan macroéconomique , la décision de délocaliser dans un pays à bas coûts peut être fragilisée par la prise en considération de facteurs structurels tels :

- l' instabilité politique et sociale du pays d'accueil , susceptible notamment de rendre très onéreux les moyens propres à assurer la sécurité physique de l'entité délocalisée, de même que la politique de l'Etat à l'égard des investissements étrangers qui, autant que possible, ne doit pas être fluctuante ;

- le fonctionnement des services publics , la fiabilité de l'administration (notamment son degré de corruption éventuelle), ainsi que l' étendue de la réglementation et son respect , en particulier en ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle permettant de protéger l'entreprise des risques de contrefaçon ;

- la qualité des réseaux de transport et de la logistique , absolument indispensable pour minimiser les coûts d'approvisionnement en énergie et sécuriser les flux d' inputs et d' outputs du processus productif ;

- la capacité de disposer d'un tissu de fournisseurs locaux présentant de réelles garanties de fiabilité en matière de délais de fourniture, de respect des contrats commerciaux, de qualité des prestations et biens produits, etc.

On relèvera que, globalement, tous ces facteurs confèrent un avantage comparatif essentiel aux pays membres de l'OCDE , avantage qui n'est pas prêt de disparaître à court terme.

b) Les coûts propres à l'entreprise

Par ailleurs, un certain nombre de coûts cachés ne sont souvent pas bien pris en compte au niveau microéconomique lors des projections initiales.

Par exemple, l'attractivité salariale d'une délocalisation doit être pondérée avec soin . Tout d'abord, l'insuffisante qualification de la main d'oeuvre et sa plus faible productivité nécessitent souvent un effort de formation significatif qui, en soi, impose déjà un coût supplémentaire. Mais celui-ci peut s'avérer récurrent, et donc fort lourd à supporter en définitive, en raison de la très importante rotation de cette main d'oeuvre , extrêmement sensible aux variations salariales même les plus faibles : ainsi, M. Laurent Petizon a indiqué au groupe de travail que, dans les pays émergents, les employés pouvaient quitter l'entreprise pour être embauchés par un concurrent si celui-ci proposait une augmentation de leur salaire horaire d'une dizaine de cents seulement. Cette versatilité est un important facteur de charge , qu'augmentent encore non seulement la perte de qualification, mais aussi le risque de transfert à la concurrence d'informations sur les méthodes de production .

En outre, les gains réalisés sur des profils techniques ou d'encadrement (rapport pouvant aller de 1 à 10 entre un pays à bas coût et un pays européen) doivent être relativisés en partie du fait de la pénurie des profils managériaux locaux , qui peuvent alors être rémunérés sur une base comparable à celle des pays européens. Le facteur productivité joue aussi un rôle important puisqu' un employé local doit être parfois remplacé par plusieurs employés de pays à bas coûts , ce qui limite encore l'impact brut de la délocalisation au point de vue salarial (surtout s'il s'agit d'ingénieurs ou de personnels d'encadrement).

En ce qui concerne par ailleurs la transition vers l'organisation productive recherchée , les coûts de supervision de l'installation et de gestion de projet par des cadres expatriés , fortement rémunérés, doivent être correctement prévus. Ils sont d'ailleurs d'autant plus importants que le délai d'adaptation s'avère long. D'autres coûts sont liés à la mise en place de contrats internes à l'entreprise afin de préciser le contour de ses relations et des obligations auxquelles sa filiale délocalisée et elle-même s'engagent mutuellement, ou afin de fixer précisément son cahier des charges au sous-traitant situé à l'étranger.

En tout état de cause, l'éloignement des sites accroît la nécessité des déplacements et augmente par conséquent les frais afférents aux voyages . De même, la segmentation du processus de production conduit à étendre les réseaux de communications existants à l'intérieur de l'entreprise , ainsi qu'à renforcer l'équipe de management , afin de recréer virtuellement l'unité géographique rompue entre les différentes entités la composant.

Non seulement ces nombreux coûts doivent être pris en considération, mais les gains attendus de la délocalisation recèlent eux-mêmes des coûts méconnus, qu'il convient d'examiner avec soin.

Il en est ainsi des coûts liés au maintien de la qualité de la relation nouée avec le client . ATKearney souligne que la gestion client n'étant pas délocalisable, elle devient plus lourde et donc plus chère pour un service délocalisé. Afin de conserver un bon niveau de qualité malgré la délocalisation, il est souvent nécessaire de créer des postes d'agents de liaison entre centres et de formaliser davantage les procédures et outils relationnels, ce qui prolonge le temps de transition et alourdit les investissements. Enfin, le cabinet de conseil relève qu'une une fois informés de la délocalisation de leur fournisseur, certains clients demandent parfois à bénéficier de l'avantage coût ainsi créé, ce qui peut alors fortement réduire l'intérêt de l'opération pour le fournisseur concerné .

Le cabinet ATKearney estime dès lors que les coûts cachés et autres risques liés à la délocalisation peuvent représenter , selon les cas, de 15 % à 60 % du total des gains apparents attendus de la décision . Il relève que l' impact d'une délocalisation est souvent surestimé , avec des cibles affichées par les entreprises de 50 % à 70 % de réduction de coûts dans un délai de six mois à un an. Or, de façon plus réaliste, une délocalisation réussie permet de réaliser des gains de 20 % à 40 %, avec un temps de transition pouvant aller jusqu'à trois ans selon la complexité des tâches traitées.

Le schéma suivant, qui identifie notamment les trois grandes catégories de surcoûts (voyages, télécommunications et réseaux, et autres coûts) à prendre en considération pour toute délocalisation, synthétise cet ensemble d'interactions, dont la résultante est l' économie nette engendrée par l'opération envisagée :

Source : ATKearney

Finalement, le cabinet ATKearney observe que l'attractivité relative des pays à bas coûts peut être mesurée selon trois types de critères, à pondérer selon les priorités de l'entreprise délocalisatrice : facteurs humains de savoir-faire (formation, disponibilité, flexibilité, etc...), facteurs structurels d'environnement (infrastructures, qualité du service public, stabilité de l'Etat...), facteurs financiers (coût de la main d'oeuvre, frais d'immobilisation, fiscalité...).

Comme en témoigne le document figurant page suivante, certains pays développés , tels que le Canada ou l'Irlande, se positionnent très favorablement dans le classement des pays d'accueil établit par ATKearney (respectivement 2 ème et 7 ème ), grâce à une infrastructure forte, à une population bien formée, et à une politique volontariste et claire d'accueil (spécialisation, démarchage proactif des entreprises...), et ce malgré leur indice financier élevé . Ceci prouve qu'il est possible de jouer sur d'autres tableaux que le coût de la main d'oeuvre pour retenir les entreprises sur le territoire national . Il est d'ailleurs à noter que, dans tous les cas, le marché potentiel représenté par le pays récepteur est un facteur majeur pour la stabilité des investissements qui y sont réalisés .

Il est instructif d'observer, à cet égard, qu'il existe même des phénomènes de re-localisation, apportant la preuve d'une mauvaise anticipation, par l'entreprise, des gains nets que la délocalisation est en mesure d'apporter effectivement . Ainsi, la compagnie parisienne Les Taxis Bleus a renoncé à ses centres d'appels marocains au bout de trois mois après avoir constaté une dégradation de la qualité de l'accueil téléphonique (77 ( * )) ; aux Etats-Unis, c'est le fabriquant d'ordinateurs Dell qui a dû rapatrier une partie des services délocalisés en Inde en raison des trop nombreuses plaintes de ses clients. En effet, les entreprises ne sont pas toujours satisfaites des choix qu'elles ont effectués, comme en témoigne le document suivant :

Source : ATKearney

Ainsi, toutes les délocalisations ne se traduisent pas nécessairement par des réussites . A cet égard, la Fédération française de la tannerie mégisserie a indiqué que les quelques tentatives menées depuis trente ans par les entreprises du secteur pour lutter contrer la concurrence du Brésil et de l'Argentine d'abord, de l'Inde ensuite, puis de la Chine et de la Corée aujourd'hui, s'étaient soldées par des échecs, les entreprises n'ayant pas réussi à obtenir des résultats satisfaisants en terme de qualité et de rentabilité.

2. Des difficultés potentielles

Outre les coûts et risques inhérents à toute délocalisation, les difficultés potentielles qui en découleraient concourent à limiter spontanément le recours des entreprises aux délocalisations . En effet, l'éloignement entre l'unité délocalisée et la maison-mère génère, en elle-même, une complexité qui peut être difficile à gérer pour l'entreprise.

Tout d'abord, un tel éloignement brise le lien entre la conception et la production , au moins dans le cas d'une délocalisation « classique » portant sur la chaîne de production ou un de ses segments. La rupture de ce lien peut conduire l'entreprise à perdre la maîtrise décisionnelle . C'est la raison pour laquelle de nombreux industriels ont choisi de ne pas tout délocaliser : l'exemple de Saint-Gobain est, à cet égard, éclairant.

Son président, M. Jean-Louis Beffa, a ainsi indiqué à votre groupe de travail qu'à l'exception de quelques établissements allemands, trop vétustes, toutes les usines européennes du groupe seraient modernisées et agrandies, tandis que, dans le même temps, 60 à 70 % de la recherche-développement serait maintenue en France (notamment sur le site de Cavaillon, avec un laboratoire commun avec le CNRS). Cette double décision stratégique vise, a-t-il souligné, à maintenir localement les centres de décision politique de la Compagnie.

Cet objectif est en effet une des raisons expliquant que la recherche-développement soit longtemps restée à l'écart des délocalisations . Comme le relève Mme Frédérique Sachwald (78 ( * )), la localisation des centres de R&D a durablement été considérée comme l'un des critères décisifs de la « nationalité » de l'entreprise, à la fois parce que l'innovation est au coeur de la compétitivité et parce qu'il paraissait impossible d'éloigner la recherche des fonctions centrales de la maison-mère. Celle-ci préférait centraliser cette activité dans le pays d'origine en raison des interactions nécessaires entre la recherche, les services stratégiques ou de marketing et les unités de développement de produits et de procédés de fabrication . L'existence d'économies d'échelle dans les activités de recherche-développement pouvait également plaider en ce sens. Il faut toutefois reconnaître que l'importance croissante de l'adaptation aux marchés locaux, la nécessité d'assurer une veille technologique à l'étranger, ou le gain susceptible d'être retiré des compétences locales spécifiques, souvent moins coûteuses, conduisent désormais à une plus grande dispersion de la recherche-développement .

Ensuite, la distance entre l'unité délocalisée et sa maison-mère peut représenter un facteur de rigidité . Les investissements, tant financiers qu'humains, consentis dans la durée pour « réussir » la délocalisation constituent un frein à un éventuel retour en arrière et diminuent, en conséquence, la capacité de l'entreprise à réagir à un choc économique : retournement éventuel du marché, turbulence sur les taux de change...

Cet éloignement est également dangereux dans certains secteurs soumis aux contraintes du « juste à temps » ou d'une demande en constante et toujours rapide évolution. La réactivité aux fluctuations de la demande des consommateurs est une des raisons avancées par de nombreux chefs d'entreprises auditionnés par votre groupe de travail comme motif d'autolimitation des délocalisations . C'est d'ailleurs aussi un motif de re-localisation , comme en témoigne la décision prise en 2002 par l'entreprise de bijoux Biche-de-Bere de rapatrier ses ateliers de montage du Maghreb et d'Asie à Lyon, afin d'être en mesure de réduire les séries et de répondre rapidement aux demandes de la clientèle (79 ( * )).

Enfin, la décision de recourir à la délocalisation peut avoir des incidences de long terme sur le lieu d'implantation originelle de l'entreprise délocalisatrice . En effet, délocaliser une activité est susceptible d'affaiblir durablement un bassin d'emploi , ce qui porte directement atteinte à la vitalité d'un territoire, mais ce qui peut également se retourner contre l'entreprise elle-même. Ses établissements demeurant sur le territoire peuvent indirectement pâtir de la paupérisation de ce dernier, par exemple en matière de qualité des infrastructures, d'attractivité de la main d'oeuvre jeune et qualifiée, de réseau de fournisseurs, de débouchés, etc.

Au-delà d'une stricte analyse économique , il convient aussi d'évoquer la dimension « affective » , ce lien qui unit l'entreprise et son équipe dirigeante au territoire. Comme l'a notamment indiqué lors de son audition M. Yvon Jacob, président du conseil de surveillance du groupe Legris-Industrie , président de la Fédération des industries mécaniques, cette réalité psychologique n'est jamais totalement absente des stratégies d'un nombre significatif d'entrepreneurs. Beaucoup d'entre eux, en effet, s'efforcent de rechercher des alternatives à la délocalisation pour maintenir leur compétitivité, plutôt que d'envisager d'abord cette solution. Dès lors, même si l'on ne saurait exiger des entreprises, soumises au principe de concurrence, qu'elles soient responsables du territoire qui les accueille en leur imposant des contraintes en matière d'aménagement du territoire qui s'apparenteraient à des obligations de service public non compensées par les pouvoirs publics, il reste en tout cas possible de considérer l'attachement au territoire comme un frein potentiel aux délocalisations .

3. Des arbitrages permanents

Il apparaît ainsi qu'à l'occasion de leurs décisions d'investissements, les entreprises doivent précisément analyser les coûts et les avantages offerts par chacun des différents sites géographiques envisageables , et examiner quels objectifs sont susceptibles de leur faire choisir une alternative à la délocalisation. A cet égard, le transfert physique d'activités vers les pays à bas coûts n'apparaît que comme un des leviers possibles d'amélioration de la productivité . Une étude de cas économique de délocalisation correctement réalisée se devra donc de poser la question de l' objectif réel (délocalisation et/ou productivité), d'isoler l'impact de chacun des leviers envisagés, et de comparer des scénarios assez éloignés pour sélectionner celui qui répondra au mieux aux besoins long terme de l'entreprise et à son profil de risque.

A cet égard, une opération de délocalisation réussie résulte toujours d'une combinaison de facteurs opérationnels : transfert et embauches, certes, mais aussi mise en place de processus de travail innovants, contrôles qualité les plus récents, outils informatiques, etc. Sans ces leviers complémentaires, l'objectif poursuivi de 20 % à 40 % d'économies n'est en général pas atteint.

Ainsi, les représentants du cabinet ATKearney entendus par votre groupe de travail lui ont indiqué, en s'appuyant sur leur expérience pratique de consultants, que jusque 60 % des économies possibles dans un scénario de délocalisation pouvaient être atteintes sans délocaliser . En faisant localement l'effort de restructurer en profondeur le site de production , de former les personnels , de changer l'organisation (souvent une co-localisation de plusieurs centres anciens), de mettre en place de nouveaux processus et outils , voire de monter la production en gamme , l'entreprise peut obtenir des résultats jugés suffisamment satisfaisants pour justifier le maintien local de l'activité . Si, dans cette hypothèse, l'implication managériale nécessaire est importante pour lever les résistances sociales ou politiques, affronter les lourdeurs administratives et convaincre les actionnaires, les risques liés au transfert d'activité vers les pays à bas coûts sont absents.

Lors de son déplacement dans la Drôme, le groupe de travail a ainsi pu constater combien de telles stratégies de niche et de recherche de haute valeur ajoutée pouvaient être payantes : M. Jean-Claude Ricomard, PDG des Tanneries Roux , lui a indiqué que le traitement de peaux de veaux françaises et l'excellence du processus industriel permettaient à l'entreprise de fournir les plus grandes marques de la maroquinerie, telles Hermès ; par ailleurs, M. Michel de Tapol, président de Charles Jourdan , a conservé dans le bassin de Romans la fabrication de ses chaussures de luxe grâce à un souci constant de qualité et d'innovation, la rapidité des processus tout au long de la chaîne de production, et la réactivité à l'égard du marché.

III. LES CARACTÉRISTIQUES DU CAS FRANÇAIS

En matière de localisation territoriale des entreprises, la France connaît une situation contrastée . Elle jouit en effet d' atouts très importants tenant à la qualité de son système socio-économique , de sa structure industrielle , de son mode d'organisation , tout comme à la richesse de son marché et à son insertion dans un ensemble régional attractif . Mais elle est aussi soumise à un certain nombre de contraintes qui, pour certaines, lui sont propres , tandis que d'autres concernent l'ensemble des pays industriels lui étant comparables . Or, ces diverses contraintes , que la présente section va s'attacher à décrire, sont autant de facteurs de nature à favoriser les délocalisations .

A. LES PARTICULARISMES DE LA SITUATION FRANÇAISE

Notre pays souffre tout d'abord de faiblesses structurelles particulières qui, bien qu'ayant été depuis déjà longtemps relevées, sont toujours présentes, voire se sont aggravées depuis quelques temps. Ces faiblesses, inquiétantes en tant que telles, expliquent par ailleurs que, ces trois dernières années, l'économie française ait, davantage que la plupart de ses concurrentes, été affectée par les variations de la conjoncture mondiale . Ainsi, elle n'a pas été en mesure de profiter du dynamisme de la croissance de certaines zones et elle a été particulièrement pénalisée par les effets de change euro/dollar. C'est d'ailleurs cet ensemble de facteurs objectifs qui a sans doute donné tant d'acuité à la problématique des délocalisations.

1. Le débat sur l'attractivité structurelle du « site France »

Le débat sur l'attractivité du « site France » est au coeur des préoccupations économiques depuis un grand nombre d'années, ce qui avait d'ailleurs amené le Sénat à créer une mission commune d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises (80 ( * )).

a) Un bilan difficile à réaliser

Comme le soulignaient alors nos collègues MM. Denis Badré et André Ferrand, l'attractivité d'un territoire est un phénomène complexe qui, mêlant avantages naturels et volonté politique, ne peut se résumer à la seule aune de la politique fiscale ou du coût du travail. A cet égard, de nombreuses études récentes montrent que la France dispose d'atouts non négligeables et reste un pays économiquement très attractif . La Banque de France évoque même un consensus selon lequel la France serait l'une des économies les plus attractives du monde (81 ( * )).

En effet, sa situation géographique est très favorable, la taille de son marché est importante, elle dispose d'un excellent réseau d'infrastructures de transport et de communications et son système financier offre des possibilités de financement intéressantes. Certes, la place financière française ne peut être qualifiée de « place généraliste » car sa position relative est modeste sur certains segments (marchés de change ou des produits dérivés). Toutefois, elle occupe des positions fortes sur d'autres segments comme la gestion collective ou les actions et les dérivés sur actions, qui permettent de créer un « effet de place ». Cet atout repose sur des marchés liquides mais aussi sur la localisation de centres de décision, notamment des groupes bancaires et d'assurance.

D'autres études sont régulièrement réalisées par des cabinets privés de conseil pour évaluer le potentiel d'attractivité de la France. Même si ces données doivent être accueillies avec prudence (82 ( * )), elles donnent néanmoins une idée de l'opinion que peuvent se faire les chefs d'entreprise sur les atouts et les inconvénients du « site France ». L'étude réalisée par le cabinet KPMG (83 ( * )) donne une image plutôt positive de la France, qui apparaît bien placée , en terme de compétitivité, sur les critères qualifiants du point de vue des dirigeants : localisation par rapport aux marchés, qualité des infrastructures, compétence et formation des ressources humaines, qualité de vie , etc. L'enquête menée par le cabinet Ernst&Young en 2003 indique quant à elle que 59 % des chefs d'entreprise jugent la France attractive à la lumière du critère concernant « la clarté et la stabilité de l'environnement administratif et législatif de l'activité de l'entreprise » , contre 52 % l'année précédente (84 ( * )).

L'ensemble de ces facteurs explique que notre pays reste une terre d'accueil privilégiée pour les investissements directs étrangers . Les implantations nouvelles (investissements dits « greenfields » ) donnent, à ce titre, des éléments d'information sur l'attractivité du territoire. Or, en 2001, la France était le deuxième pays d'accueil de ce type d'investissements en Europe, après le Royaume-Uni . Par ailleurs, selon les statistiques de la balance des paiements, les investissements directs à l'étranger entrant en France auraient atteint 52,4 milliards d'euros en 2002.

Toutefois, toutes les appréciations relatives au « site France » ne sont évidemment pas positives . Ainsi, la fiscalité et l'insuffisante flexibilité du droit du travail français apparaissent comme des handicaps importants . A cet égard, l'enquête du cabinet Ernst&Young mentionnée ci-dessus indique par exemple que seules 3 % des entreprises interrogées jugent le régime français des charges fiscales « attractif », contre 33 % pour le régime anglais. Sont également souvent cités par les chefs d'entreprises comme des obstacles à une implantation en France la lourdeur de ses règlements , ainsi que, en corollaire, le poids de l'administration , au même titre que la médiocre qualité des relations sociales ou encore la fréquence des grèves dans le secteur public .

En outre, les avantages comparatifs que lui procurent certains des facteurs positifs évoqués précédemment sont appelés à diminuer à l'avenir . Par exemple, les fonds structurels européens permettent progressivement aux derniers pays entrants de l'Union européenne de développer des réseaux de communication d'une qualité équivalente à la nôtre. D'autre part, l'accroissement du rôle des technologies de l'information et de la communication (TIC) rend moins sensibles les facteurs de localisation des activités à la situation géographique et aux infrastructures de transports.

La question de l'attractivité du territoire reste intimement liée à celle des investissements étrangers en France . A cet égard, les transformations de la structure économique ont amené notre pays à réviser son jugement sur la nature et les effets des IDE. Ces derniers ont longtemps, et parfois encore aujourd'hui, été présentés comme un phénomène négatif entraînant une perte d'indépendance nationale avec la mise d'entreprises nationales sous la coupe de capitaux étrangers. Ils sont désormais plus souvent perçus comme une source de création de richesses et d'emplois .

L'exemple le plus révélateur de cette évolution réside, afin de favoriser l'accueil et l'implantation d'investisseurs étrangers en France , dans la création, par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Acteur public national, l'AFII a en effet pour mission de promouvoir, prospecter et accueillir les investissements étrangers en France. Elle est censée coordonner l'action d'une multitude d'acteurs publics et privés français, et son ambition est d'accompagner le projet d'un investisseur étranger, de

son approche du marché jusqu'à son implantation. Selon le dernier bilan qu'elle a rendu public le 26 avril 2004, les IDE en France auraient ainsi conduit à la création de 26.000 emplois supplémentaires en 2003 .

Ce jugement doit néanmoins être nuancé à plusieurs titres . D'une part, comme le rappelle au demeurant fort opportunément la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale dans sont rapport d'information (85 ( * )), les IDE recouvrent une réalité contrastée car ils sont bien davantage composés d' investissements strictement financiers , réalisés à titre de placement (comme l'achat d'immobilier), que d' investissements productifs créateurs de richesse industrielle , et donc d'emplois. D'autre part, la plus forte influence des capitaux étrangers dans les entreprises françaises peut aussi avoir des effets néfastes, lorsqu'elle ne résulte que d'opportunités boursières. En effet, les niveaux élevés de rentabilité du capital parfois exigés par les investisseurs conduisent à des décisions bien éloignées des nécessités stratégiques de développement à long terme des entreprises, et donc des intérêts de leurs salariés.

L'attractivité du territoire français apparaît ainsi comme la résultante d'un réseau complexe de forces en perpétuel mouvement : non seulement l'attractivité des autres pays change en permanence, mais notre propre bouquet de prestations évolue aussi. La synthèse de tous ces éléments est, à l'évidence, un exercice délicat, et dépend beaucoup de la pondération qu'on affecte aux différents facteurs distingués. Au reste, beaucoup de voix s'élèvent, et non des moindres (86 ( * )) pour contester la pertinence et l'intérêt de ces enquêtes internationales régulièrement citées à l'appui ou à l'encontre de l'attractivité de tel ou tel territoire.

Quelle que soit l'appréciation que l'on porte à celles-ci, force est de constater que l'image de la France a été fortement affectée ces dernières années par une série de décisions qui n'ont pas manqué d'avoir de réels effets négatifs sur son attractivité . Il en va ainsi, par exemple, de la législation sur les 35 heures et du retard de la France en matière d'investissements dans les TIC, qui ont renforcé l'image d'un pays malthusien et rétif à l'innovation.

Aussi convient-il de recenser les facteurs propres à la France qui, dans une optique de comparaison des avantages entre différents sites possibles de production, pénalisent son site géographique et constituent autant d'incitations objectives aux délocalisations comme, le cas échéant, à la non localisation des investissements sur son territoire. En effet, le renforcement de la compétitivité française nécessite, outre la toujours possible amélioration des atouts nationaux déjà bien établis , d' agir prioritairement sur les points considérés pour notre pays comme des faiblesses reconnues , telles l'instabilité et la complexité de la réglementation, notamment sur le travail, le niveau de la fiscalité, certaines contraintes environnementales, la concentration de son réseau de distribution et enfin la faiblesse et la mauvaise répartition des investissements en R&D.

b) Une main d'oeuvre chère et peu flexible

La France se distingue de ses partenaires européens non pas tant à raison du coût salarial brut que de celui des charges sociales , souvent supérieur à ceux que connaissent les autres pays de l'OCDE. Si une politique volontariste de baisse des charges sur les bas salaires, engagée en 1995 sous l'impulsion du gouvernement d'Alain Juppé et poursuivie depuis, s'est traduite par des effets extrêmement positifs sur l'emploi des salariés les moins qualifiés, le niveau des charges sociales pesant sur les travailleurs plus qualifiés est toujours très élevé. En outre, de manière globale, les coûts unitaires du travail peu qualifié restent aussi supérieurs à ceux de nombreux autres pays industriels, ce qui est évidemment pénalisant dans les secteurs davantage intensifs en travail (87 ( * )), depuis la mise en oeuvre de la législation sur les 35 heures et la nécessité consécutive d'augmenter le SMIC horaire de 11 % .

(1) La durée du travail

Le passage de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures a donné lieu à un récent rapport d'information de nos collègues députés MM. Patrick Ollier et Hervé Novelli (88 ( * )), qui notent que la nouvelle législation a eu des effets ambivalents sur les investisseurs étrangers. Elle a ainsi été très négativement perçue en tant que symbole même si elle a permis une modération salariale effective en rendant possible une certaine maîtrise des coûts de production et des gains de compétitivité . Elle a certes introduit un élément de flexibilité dans l'organisation du travail en accélérant le mouvement d'annualisation du temps de travail , mais cet apport doit être nuancé dans la mesure où sa mise en oeuvre pratique se heurte à un certain nombre de complexités matérielles au sein des entreprises (modalités d'application de la modulation notamment).

Mais l'un des constats les plus éclairants de ce rapport d'information est que les entreprises ne sont pas égales pour appliquer cette législation et en assumer les conséquences , et donc un tirer d'hypothétiques bénéfices. Le rapport rappelle ainsi que le Conseil économique et social, dans un avis de juillet 2002 (89 ( * )), avait qualifié ce dispositif de « mécanique illisible », tant pour les salariés que pour les entreprises, confrontées à des difficultés de gestion considérables. Cette législation a en effet particulièrement compliqué le fonctionnement des petites et moyennes entreprises, notamment des très petites entreprises . Par ailleurs, son application est source d' inégalités entre salariés , le nombre d'entre eux concernés par les accords sur la réduction du temps de travail de 1997 à 2003 s'élevant en effet à environ 10 millions, soit seulement les deux tiers des salariés du secteur marchand .

Enfin, cette évolution s'est réalisée à contre-courant des grandes évolutions économiques ayant marqué les pays de l'OCDE . Certes, comme le rappelle le rapport, la durée du travail a baissé en tendance dans la plupart de ces pays depuis les années 1970. Cependant, alors que ce phénomène s'est ralenti dans la plupart d'entre eux du milieu des années 1980 jusqu'à aujourd'hui, il s'est poursuivi au-delà en France. Il en résulte qu'hormis l'Allemagne, la Norvège et les Pays-Bas, la France est le pays de l'OCDE où le nombre d'heures travaillées par personne employée est le plus faible , inférieur de 15 % à la moyenne des pays de l'OCDE et de 7 % à celle des pays de l'Union européenne.

A plus court terme, cette évolution est même inquiétante car, sur la période 1980-2000, le nombre total d'heures travaillées rapporté à la population en âge de travailler a baissé de 16 % en France , ce qui lui donne la performance la plus mauvaise avec l'Allemagne.

(2) La complexité et la rigidité du droit du travail

L'analyse de la complexité et de la rigidité du droit du travail a fait l'objet d'une étude confiée à une commission d'experts, dirigée par M. Michel de Virville, secrétaire général du groupe Renault, qui a rendu son rapport au ministre des affaires sociales et du travail le 15 janvier 2004. Comme le soulignent les auteurs de ce rapport, si toutes les branches du droit se voient reprocher leur complexité et leur instabilité, le droit du travail est, sans conteste, avec le droit fiscal, celui qui fait l'objet des critiques les plus vives. En effet, la complexité des lois, mais aussi celle des accords collectifs et du droit communautaire - particulièrement dense en matière de règles relatives à l'hygiène et à la sécurité - se conjugue à l'instabilité de la jurisprudence. L'empilement de ces différentes strates réglementaires rend au final le droit du travail peu lisible et source de contentieux à rallonge .

Par ailleurs, la faible place laissée en France à la négociation collective ne permet pas de mettre en valeur, selon les secteurs économiques et les catégories d'entreprises, les règles essentielles.

Le législateur est alors tenté de régler par des principes généraux une grande diversité de situations concrètes , ce qui se traduit par une extension et une complexité accrue du code du travail . Il en résulte une mauvaise application de ce droit, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Cette évolution tend d'ailleurs à accroître la différence de traitement entre les salariés , selon la taille de leur entreprise, et à alimenter une insécurité juridique en mobilisant l'appareil judiciaire autour de l'objectif de renforcement de la protection des salariés. Comme le note le rapport : « l'obscurité de la règle est vécue différemment par l'employeur et par le représentant des salariés. Pour l'employeur, c'est une source majeure de désorganisation, pour le représentant des salariés, c'est une incitation à la judiciarisation aux dépens du dialogue social et de la recherche amiable de solution efficace ».

Cette judiciarisation des relations économiques est très particulière à la France . Elle place les entrepreneurs dans un état d'incertitude préjudiciable à leur activité, et surtout leur fait courir un risque important de retarder la mise en oeuvre des décisions économiques utiles à la pérennité de l'entreprise. A cet égard, comme l'a indiqué Mme Clara Gaymard, présidente de l'AFII, devant votre groupe de travail et votre commission, elle produit un réel effet repoussoir sur les investisseurs étrangers .

c) La fiscalité

Les comparaisons fiscales sont, cela a été relevé précédemment, toujours délicates à réaliser tant la réalité des différences dépend de bien d'autres paramètres que les seuls taux apparents . Votre groupe de travail n'a donc pas estimé nécessaire d'entreprendre une vaste étude comparative car elle n'aurait sans doute pas apporté, globalement, d'éléments absolument déterminants quant à l'attractivité du territoire. Cependant, deux facteurs fiscaux apparaissent tout de même pénalisants au regard de la localisation des entreprises , dans la mesure où ils font figure d' exceptions propres à la France : la taxe professionnelle et l'impôt de solidarité sur la fortune .

La taxe professionnelle a été unanimement dénoncée par l'ensemble des industriels entendus par votre groupe de travail comme un obstacle à la croissance et à l'emploi . A titre d'exemple, M. Jean-Martin Folz a ainsi indiqué que, dans l'industrie automobile où le taux de marge net est, en raison de la forte concurrence internationale, d'environ 1,5 à 2 %, la taxe professionnelle représentait 1 % du coût moyen des véhicules produits. Il a ainsi estimé, tous comme les autres chefs d'entreprises et représentants de fédérations industrielles, que l'existence de cet impôt, quels que soient son intérêt et son importance pour les collectivités locales, était un puissant facteur, sinon de délocalisation, à tout le moins de non-localisation sur le territoire français . Les responsables économiques auditionnés se sont ainsi félicités de la récente décision du Président de la République de supprimer la taxe professionnelle, tout en attirant l'attention du groupe de travail sur la nécessité de veiller, dans la réflexion menée sur les substituts à lui trouver pour maintenir le financement des collectivités territoriales (90 ( * )), à éviter toute nouvelle taxation de l'investissement imposant à l'outil de production une charge fixe avant même qu'il ait commencé à générer un produit .

S'agissant de l' impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il présente la particularité de peser fortement sur les capitaux investis dans l'économie malgré la distinction, dès l'origine, faite aux « biens professionnels ». En effet, les critères parfois discutables de ce régime , les limites strictes posées par la notion de « dirigeant d'entreprise » comme l' absence de reconnaissance du rôle économique en faveur de la stabilité du capital de l'entreprise joué tant par l' actionnariat minoritaire , organisé sous la forme de pactes d'actionnaires, que par l' actionnariat salarié , dans le cas notamment d'opérations de reprise d'activités, conduit à des délocalisations de patrimoine qui nuisent aussi à la compétitivité de l'économie française . Selon la commission des finances du Sénat, ces délocalisations strictement liées à l'ISF représenteraient chaque année plus de 1,2 milliard d'euros.

En outre, la part des droits sociaux dans le patrimoine taxable des tranches supérieures du barème impose une rémunération du capital susceptible de conduire à des décisions contraires à l'intérêt économique de l'entreprise . En effet, ces tranches subissant un taux d'imposition marginal pouvant aller jusqu'à 1,8 %, les actionnaires doivent obtenir une rémunération de leur capital supérieure à ce pourcentage, c'est-à-dire, quelles que soient les circonstances économiques et la santé de l'entreprise, des dividendes représentant au minimum 1,8 % du capital investi . Ce taux est très élevé par rapport à la politique de distribution des entreprises, notamment dans l'industrie. Les actionnaires minoritaires exerçant un contrôle de l'entreprise sont donc conduits, pour des raisons strictement fiscales, à demander la distribution de dividendes dans des proportions pouvant être sans relation directe avec la performance de l'entreprise et au détriment d'une politique, plus profitable sur le plan de la compétitivité, de réinvestissement des bénéfices.

Faute d'une distribution suffisante de dividendes, les actionnaires peuvent décider de vendre leurs parts pour acquitter l'impôt : ces cessions sont quant à elles susceptibles de provoquer des pertes de contrôle des entreprises et la venue dans le capital de ces entreprises familiales de prédateurs éventuels qui, moins ancrés dans le territoire, moins investis dans l'histoire d'entreprises parfois anciennes, peuvent prendre des décisions de gestion (délocalisation d'activités, cession d'actifs ou arrêt de certains investissements) lourdes de conséquence sur le plan de l'emploi et de l'aménagement du territoire.

Ainsi, la taxation à l'ISF des participations minoritaires soit détourne une partie du profit de l'entreprise de l'amélioration de sa productivité, soit décourage les partenaires familiaux de conserver leurs titres. Plus généralement, le régime des biens professionnels, s'il est adapté à la situation d'un créateur d'entreprise, ne prend nullement en considération le développement de l'entreprise et sa transmission , pourtant essentiels au dynamisme industriel de la France et à l'équilibre de ses territoires. Si les améliorations apportées à ce régime par la loi n° 2003-721 du 1 er août 2003 pour l'initiative économique ont sans doute résolu un petit nombre de difficultés, le maintien de l'ISF dans son économie actuelle constitue toujours, de ce point de vue, un facteur de risque de délocalisations .

d) La réglementation environnementale

L'augmentation des coûts liés aux impératifs de sécurité et de protection de l'environnement peut également être un facteur de délocalisation, notamment pour les industries les plus dangereuses .

A la suite de l'accident intervenu dans l'usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001, le Parlement a été saisi d'un projet de loi visant à mieux protéger les riverains des risques d'accidents, promulgué le 31 juillet 2003 (91 ( * )). Ce projet comportait notamment des dispositions permettant de « reconquérir » les zones les plus proches des établissements classés « SEVESO seuil haut » et visant à assurer une meilleure information des riverains tout comme une plus grande transparence dans la gestion de ces usines.

Un tel projet était nécessaire et utile. Toutefois, votre commission, par la voix de son rapporteur, notre collègue M. Yves Detraigne (92 ( * )), a souligné que la légitime protection des personnes habitant à proximité des installations les plus dangereuses ne devait pas se faire de manière à décourager tout nouveau projet d'implantation industrielle, au détriment de l'attractivité de l'économie française. Or, comme le Sénat l'a rappelé tout au long de la discussion parlementaire de ce projet, certains dispositifs de cette loi s'inscrivaient à contre-courant de ces nécessités économiques.

Il en va ainsi de l'article 21 de la loi obligeant les industries « Seveso seuil haut » à évaluer la probabilité d'occurrence des accidents industriels et le coût des dommages matériels potentiels qui en résulteraient. Le Sénat, à l'initiative de votre commission, s'était opposé à cette disposition car il la jugeait inapplicable et estimait qu'une telle obligation constituerait une nouvelle entrave à l'attractivité du territoire en complexifiant un peu plus la réglementation des installations classées. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ne l'ont toutefois pas suivi dans cette analyse.

Pourtant, la complexité croissante du droit environnemental et la moindre attractivité de la France, voire de l'Union européenne, qui pourrait en résulter sont susceptibles de déstabiliser des régions spécialisées dans les industries à risque. On relève à cet égard que l'Alsace compte une centaine de sites industriels « sensibles » et notamment 43 sites « Seveso ». De même, la Seine-Maritime compte une cinquantaine d'établissements à risque (« Seveso seuil haut »). L'impact d'une fermeture progressive de ces sites industriels sous l'influence du renforcement de la législation environnementale pourrait avoir des conséquences extrêmement graves pour le développement économique local et l'emploi .

Au nombre de ces contraintes spécifiques à la France, votre groupe de travail souhaite également évoquer le projet de loi constitutionnel relatif à la Charte de l'environnement . Actuellement en discussion au Parlement, ce texte a pour objectif d'intégrer dans le corpus de règles constitutionnelles une Charte de l'environnement afin de consacrer plusieurs principes environnementaux, au nombre desquels le principe de précaution (93 ( * )).

Tout en lui conférant une valeur constitutionnelle , l'article 5 du projet de loi resserre les conditions de sa mise en oeuvre en en faisant un principe d'action dont la responsabilité reviendrait aux autorités publiques : celles-ci, par application du principe de précaution, devraient désormais veiller à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage .

Chez les industriels, la crainte est grande, à l'occasion de la constitutionnalisation de ce principe, de voir prévaloir la recherche illusoire du « risque zéro » et la tentation de tout arrêter pour y parvenir . Il importe donc que soit réaffirmée l'obligation d'agir par des mesures adaptées et de poursuivre les évaluations. Il est également nécessaire qu'une loi précise ultérieurement les contours du principe de précaution et ses modalités pratiques de mise en oeuvre. A défaut, le risque de freiner la recherche scientifique et l'innovation des entreprises ne serait pas négligeable.

Certes, en ce qui concerne tant la législation sur les risques industriels que celle relative aux grands principes environnementaux, votre commission ne saurait cautionner un développement économique qui ne se soucierait pas des considérations liées à la protection des citoyens et de leur cadre de vie. L'environnement étant un bien collectif et pouvant être affecté de manière irréversible par les activités humaines, il revient aux autorités publiques de le protéger . Toutefois, favorable à une législation mesurée en la matière, elle estime indispensable de trouver un juste équilibre entre la création d'un cadre juridique favorisant et accompagnant la prise de risque et l'innovation, essentielles au dynamisme économique, et la légitime protection de l'environnement et des personnes . Appliqués de manière excessive, ces derniers principes pourraient en effet constituer autant de nouveaux facteurs de délocalisations et de pertes de richesse économique.

e) La concentration des circuits de distribution

L' organisation de la distribution commerciale en France constitue elle aussi une spécificité susceptible d'amplifier les délocalisations . Si notre pays peut s'enorgueillir d'avoir inventé un système de distribution ayant donné la preuve de ses avantages, notamment en ce qu'il favorise la consommation et la lutte contre l'inflation, et démontré ses capacités à être exportable, il a aussi créé les bases d'un mécanisme non dénué de toute perversité .

En effet, bien plus qu'ailleurs, le dispositif s'appuie sur un nombre très restreint de centrales d'achat (94 ( * )) qui, face à des producteurs atomisés, confère un avantage aux distributeurs conduisant au déséquilibre des relations commerciales . La pression mise sur les industriels pour baisser leurs prix en toute circonstance est ainsi constante, et ne s'embarrasse pas de considérations relatives au soutien économique du territoire. Aussi, lorsque les gains de productivité ne sont plus possibles, la tentation de la délocalisation reste la dernière alternative possible pour les fournisseurs . C'est ce que dénonce notre collègue M. Jean Arthuis lorsqu'il évoque « l'impérialisme de la distribution (...) paré des vertus de la baisse des prix, habillé par une communication habile flattant le consommateur, organisé autour de quelques pôles de distribution, de quelques marques de combat en position dominante dans un jeu inégal » (95 ( * )).

Lors de son audition par votre groupe de travail, M. Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), a tenu à apporter un certain nombre d'éléments conduisant, selon lui, à exonérer la grande distribution de toute responsabilité en matière de délocalisations. Il a tout d'abord considéré que la politique des prix des grandes enseignes répondait à une vive demande des consommateurs, et qu'elle était dès lors « neutre » au regard des enjeux macroéconomiques, se contentant de « refléter les évolutions du commerce international » . Il a également indiqué que la présence des produits industriels dans les linéaires était assurée à 56 % par des grands groupes internationaux (dont 37 % de « nationalité » étrangère et 19 % française, tels l'Oréal ou Danone), qui vivent la mondialisation depuis longtemps, et à 44 % par des PME (dont 25 % pour leurs propres marques et 19 % pour les « marques de distributeurs » [MDD], c'est-à-dire les produits fabriqués par des PME françaises directement pour le compte des enseignes). Enfin, observant que la grande distribution commercialisait globalement environ 18 % des biens de consommation hors alimentation et vente de véhicules automobiles, il a estimé que son influence dans la formation de leurs prix était trop limitée pour qu'une responsabilité puisse lui être objectivement imputée au niveau global .

Reste que plusieurs des représentants des industries les plus exposées au risque de délocalisation (habillement, chaussure, jouet, électronique) ont évoqué, lors de leur audition par votre groupe de travail, le rôle des centrales d'achats dans les difficultés qu'ils rencontrent . Ils ont regretté que la recherche des prix les plus bas conduisent ces dernières à se fournir de plus en plus souvent à l'étranger, plaçant les producteurs nationaux face à l'alternative de délocaliser ou disparaître. Ces affirmations sont au demeurant corroborées par les stratégies sans équivoque et assumées de certaines enseignes, qui impriment un mouvement général auquel ni leurs concurrents, ni leurs fournisseurs, ne peuvent échapper.

Ainsi, par exemple, présentant ses performances commerciales 2003 au début du mois de mars dernier, M. Michel Edouard Leclerc, président du groupement éponyme de distributeurs, a fait état de ses objectifs pour 2004 : diminuer de 5 % les prix de sa MDD afin d'obtenir un écart moyen de 25 % par rapport aux marques nationales, parvenir à être moins cher que les « hard discounters » sur les produits dits « premier prix », et augmenter de 35 % le nombre de ces derniers. Pour y parvenir, il a indiqué procéder à des importations parallèles en effectuant ses achats par le biais soit de grossistes européens, soit de distributeurs de la zone euro avec lesquels il a noué des partenariats bilatéraux.

Bien entendu, la concurrence sur les prix entre enseignes n'est pas une caractéristique propre à la France. En revanche, la concentration des circuits de distribution y étant beaucoup plus forte que dans les autres pays de l'OCDE, cette concurrence est dès lors beaucoup plus vive et, surtout, pèse essentiellement sur les industriels, qui se trouvent en négociations avec un nombre limité d'acheteurs.

Ces négociations peuvent parfois prendre en compte des intérêts communs pour l'approvisionnement des linéaires , tels le critère de l'origine territoriale . Selon M. Jérôme Bédier, les adhérents de la FCD s'efforcent de promouvoir davantage les produits des PME locales. Mais outre que cette politique trouve sans doute davantage matière à s'appliquer pour les produits alimentaires que pour les autres, elle ne peut avoir que des effets limités dès lors que 20 % des fournisseurs en « sourcing » direct constituent 80 % des approvisionnements de la grande distribution. En outre, elle ne semble pas avoir la force que l'on rencontre ailleurs : ainsi, par exemple, en Allemagne, des accords tacites entre distributeurs et fabricants du secteur textile limiteraient à 30 % les produits mis en vente originaires de pays étrangers, a indiqué M. El Mouhoub Mouhoud lors de son audition par votre groupe de travail.

En tout état de cause, il ne paraît pas contestable à votre groupe de travail que la grande distribution est parvenue, depuis quarante ans, à façonner le comportement des consommateurs en les conduisant à privilégier de manière sans doute excessive la recherche du prix le plus bas , indépendamment de la qualité du produit . Or, argumenter essentiellement sur les coûts et imposer jusqu'à l'extrême des contraintes en la matière aux industriels conduit inévitablement à favoriser les productions importées de zones géographiques à bas coûts , notamment salariaux, et à contraindre le cas échéant les industriels nationaux à décider de délocaliser pour conserver leurs référencements dans la grande distribution .

f) La faiblesse et la mauvaise répartition des investissements en R&D

Les difficultés françaises en matière de recherche et développement ont connu une actualité nouvelle avec la récente mobilisation des chercheurs et la menace de démission des directeurs de laboratoires publics. Or, tout indique que les activités économiques puissantes et capables de résister à la concurrence internationale s'appuient sur une R&D importante, suffisamment financée et correctement répartie .

Or, la France, qui se caractérise pourtant par une tradition et une réputation d'excellence en matière de recherche, connaît un déclin relatif de son influence en la matière, avec un affaiblissement du nombre de dépôts de brevets et des publications scientifiques . Ce déclin serait, selon l'hypothèse la plus partagée, liée à une insuffisance des dépenses de R&D . Les statistiques démontrent pourtant que notre pays est loin d'avoir sacrifié sa recherche. En effet, la France consacre chaque année environ 2,2 % de son PIB aux dépenses de R&D, soit un montant équivalent à celui de l'Allemagne et même supérieur à celui du Royaume-Uni. Pourtant, ces deux pays ont de meilleurs indices d'impact et de productivité. Au surplus, la France est le pays européen qui consacre le plus de moyens à la recherche fondamentale et qui entretient le plus grand nombre de scientifiques dans le secteur public. D'où vient alors ce décalage croissant ? Plusieurs raisons expliquent cet état de fait.

Tout d'abord, en termes de dépenses absolues, la France dépensait 31 milliards de dollars dans sa R&D en 2000 , loin derrière ses principaux concurrents comme l'Allemagne (52 milliards), le Japon (98 milliards) et les Etats-Unis (265 milliards). En outre, la part privée de ces dépenses est faible : 54 %, contre 66 % en Allemagne, 68 % aux Etats-Unis et 72 % au Japon. Au surplus, l'analyse même de la nature des dépenses publiques françaises de R&D démontre que certaines d'entre elles n'ont pas les effets d'entraînement sur l'économie les plus conséquents. Il en va ainsi par exemple des dépenses de rémunération des professeurs du supérieur, qui sont comptabilisées, pour moitié, dans les statistiques de R&D publique, comme l'a souligné M. Elie Cohen lors de son audition par votre groupe de travail. Il ne s'agit évidemment pas de prôner une réduction des traitements des professeurs du supérieur, dont la rémunération est d'ailleurs bien inférieure à ce qu'elle est dans d'autres pays où la recherche est mieux valorisée, mais d'indiquer que les statistiques publiques de recherche sont marquées par un biais qui ne permet pas de les comparer de manière objective avec celles des autres pays industrialisés .

Par ailleurs, si la France dépense beaucoup pour la recherche publique, elle investit très peu pour les PME et la recherche appliquée industrielle ; si elle finance de nombreux instituts publics prestigieux mais très cloisonnés, elle délaisse son réseau d'universités , ce qu'a en particulier vivement regretté M. Christian Blanc lors de son audition conjointe par votre commission et votre groupe de travail ; si elle soutient le développement de grands programmes, notamment dans les secteurs nucléaire et aéronautique, elle n'engage pas de moyens suffisant dans les activités stratégiques du futur comme les biotechnologies, les nano et microtechnologies (96 ( * )) ou encore l'informatique. Ainsi, quelques grands secteurs et grandes institutions absorbent l'essentiel des dépenses , le reste étant réparti entre les autres filières de recherche, ce qui ne permet pas de les soutenir avec suffisamment d'efficacité.

Cette mauvaise répartition sectorielle se double d'une inégalité entre les régions , qui se renforce au demeurant : les principales activités de recherche, notamment celles créatrices d'emplois, se concentrent dans un petit nombre d'entre elles, comme l'Île-de-France ou la région Rhône-Alpes. Cette observation peut d'ailleurs être également faite au niveau européen : près 75 % des dépenses de R&D sont réalisés par quatre Etats-membres (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Italie), et 20 % d'entre elles sont répartis entre l'Île-de-France, trois régions allemandes et une région italienne. Et cette concentration ne cesse de s'aggraver : à l'intérieur du territoire français, quatre régions représentaient plus des deux-tiers des dépenses totales de R&D en 1999 , contre seulement 60 % en 1995. L'Île-de-France accueille notamment plus de la moitié des chercheurs et le quart des sièges sociaux des entreprises. Ainsi, les régions les plus avancées confortent leur avance, tandis que celles dont la spécialisation repose majoritairement sur des activités industrielles en déclin ou mal positionnées face à la concurrence internationale, tendent à décrocher . Ces divergences régionales recoupent, en outre, les inégalités territoriales dans la localisation des activités d'innovation.

g) Une absence de spécialisation dans les secteurs porteurs

La France possède un tissu d'activités très diversifié et poursuit une spécialisation du type intra-branche sur des biens de qualité et de moyenne et haute technologie , qui va de pair avec des performances extérieures reposant de plus en plus sur des avantages de type hors coût . L'analyse des points forts et des points faibles du commerce français révèle un resserrement des exportations autour des biens mécaniques, électriques et chimiques qui représentent près des deux tiers du total. La progression de ces secteurs au cours des dernières décennies s'est effectuée au détriment de secteurs plus traditionnels ou de biens primaires, l'agriculture, la sidérurgie et le textile, dont la part a baissé . Ainsi, l'intensité de la spécialisation est repartie à la hausse de manière très rapide de 1995 à 2000, prolongeant une tendance entamée vers le milieu des années 1980. Cette tendance est néanmoins similaire dans l'ensemble de l'Union européenne si bien qu' en termes relatifs , l'intensité de la spécialisation commerciale reste relativement stable et tend même à décroître légèrement .

Comme le souligne un rapport du Conseil d'analyse économique sur la compétitivité (97 ( * )), les analyses récentes utilisant des données sectorielles donnent une image peu favorable de la position française dans les échanges de produits à fort contenu en technologie . Or, la concurrence porte désormais davantage sur le potentiel d'innovation et la qualité des produits que sur la compétitivité prix. Les classifications réalisées par l'OCDE démontrent ainsi que la France, mais également l'Allemagne, sont des pays de moyenne-haute technologie, car seulement 24 % des exportations manufacturières françaises appartiennent aux secteurs de haute technologie.

A court terme, cette mauvaise spécialisation a, paradoxalement, joué en faveur de la France, notamment au début du XXI ème siècle dans la mesure où elle a moins souffert que d'autres de la chute de la demande mondiale pour ces biens, tandis que ses principaux secteurs d'exportation ont mieux résisté. Toutefois, à long terme, il paraît urgent de combler cette lacune, qui s'explique pour l'essentiel par la faiblesse de la R&D : les pays consacrant plus de dépenses de recherche et développement dans l'industrie sont aussi ceux dont l'industrie exporte le plus de produits appartenant aux secteurs technologiques. A cet égard, il apparaît que les exportations européennes de produits de haute technologie vers le reste du monde sont principalement le fait d'entreprises américaines ou japonaises installées en Europe .

2. Un environnement conjoncturel défavorable

Les caractéristiques de la structure productive française expliquent qu'au plan conjoncturel, notre pays ait plus fortement subi que certains de ses concurrents directs les modifications de l'environnement international intervenues ces trois dernières années . Il n'a ainsi pas su tirer parti du fort dynamisme économique de certaines zones géographiques et il s'est trouvé fortement pénalisé par l'appréciation de l'euro face au dollar.

a) Une incapacité à tirer parti du dynamisme de la demande mondiale

L'un des principaux atouts industriels de la France réside dans sa forte capacité d'exportation . La compétitivité française dans le secteur des produits manufacturés a fortement progressé en dix ans par rapport à celle des principaux pays de l'OCDE pour atteindre des niveaux historiquement élevés . Entre 1993 et la mi-2003, la compétitivité-prix et la compétitivité-coût à l'exportation se sont respectivement améliorées de 7,8 % et de 22,1 %. Cette évolution de la compétitivité-coût reflète la très bonne tenue des coûts salariaux unitaires au cours de cette période, qui a permis aux producteurs nationaux d'accroître la profitabilité de leurs ventes à l'étranger tout en améliorant leur compétitivité-prix.

L'année 2003 peut toutefois être qualifiée « d'année noire » pour le commerce extérieur français , dont l'excédent de la balance commerciale a enregistré un très net recul par rapport à 2002. Certes, la solidité des parts de marché conquises par les entreprises françaises sur la période 1993-2003 a malgré tout permis de dégager un excédent positif de 4 milliards d'euros. Toutefois, la France a perdu sa place de quatrième exportateur mondial au profit de la Chine, qui a vu ses exportations progresser de 35 % en 2002.

Cette évolution est paradoxale car la reprise de la demande mondiale a été sensible en 2003 . En effet, en accélération continue au cours des trois derniers trimestres, l'économie américaine est apparue, de nouveau, comme la plus dynamique des grands pays industrialisés avec une croissance de 3,1 %, qui s'explique par une hausse de la consommation des ménages et de l'investissement. Après s'être contractée de près d'un demi-point en 2002, la croissance de l'économie japonaise a enregistré une progression notable, évaluée à 2,2 % : ce rebond est lié à la bonne tenue des exportations japonaises et à la hausse des investissements en équipements des entreprises, notamment dans les secteurs exportateurs. En outre, l'Amérique latine est sortie de sa période de récession et l'Asie, tirée par la croissance chinoise, a affiché un taux de croissance de 6,8 %, tandis que les PECO ont également connu une croissance conséquente, de l'ordre de 11 %.

Ces taux de croissance élevés ont permis une progression sensible des importations de ces pays, dont la France n'a pourtant que peu bénéficié . Cette incapacité de la France à profiter de la reprise mondiale est en grande partie liée à la structure géographique de son commerce extérieur . En effet, les deux tiers des exportations françaises (63 %) restent destinés aux pays de l'Union européenne - dont 51 % vers la zone euro - qui ont connu, au contraire des autres grandes régions mondiales, une phase de stagnation l'an dernier (+ 0,7 % pour l'Union européenne et + 0,4 % pour la zone euro) et une faible croissance de leurs importations (de l'ordre de 3 %).

L'économie française n'a ainsi que faiblement tiré parti de la reprise dans les zones à forte croissance et, en tous cas, moins bien que certains de ses partenaires commerciaux comme l'Allemagne . Les exportations françaises vers l'Union européenne ont enregistré une nette décroissance (- 2,2 % en moyenne avec des baisses pouvant atteindre 7 % pour le Royaume-Uni notamment) et surtout vers les Etats-Unis (- 15,7 %), en raison de la baisse des livraisons aéronautiques et du recul des exportations pharmaceutiques. Dans le cadre de cette conjoncture ralentie, seule l'industrie automobile a enregistré une hausse de 2 % de ses ventes à l'étranger. Si le secteur agro-alimentaire a bien résisté, les exportations de l'ensemble des autres produits manufacturés ont été en repli plus ou moins accentué, le recul le plus fort ayant été enregistré par les biens d'équipement (- 7,3 %).

Pourquoi l'Allemagne a-t-elle plus profité de la reprise économique mondiale ?

Selon l'analyse du ministère délégué au commerce extérieur, le meilleur positionnement, notamment au plan géographique, de l'Allemagne, a permis à ses exportateurs de profiter pleinement du rebond enregistré au deuxième semestre 2003. L'économie allemande a ainsi commencé plus tôt que d'autres à diversifier ses débouchés au profit de marchés en forte croissance comme les Etats-Unis dans les années 1990, mais aussi les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) et la Chine.

A titre d'illustration, entre 1991 et 2001, la réorientation des exportations a été bien plus accélérée en Allemagne qu'en France. Dès 2001, l'Union européenne ne représentait plus que 55,2 % des exportations allemandes contre 61,2 % pour la France. En outre, durant la même période, la part des PECO dans les exportations allemandes a triplé pour s'établir à 8,5 % (contre 3,5 % dans les ventes françaises), de même que celle de la Chine.

Enfin, les exportateurs allemands ont profité à plein de la forte croissance américaine des années 1990. La part des Etats-Unis dans les exportations allemandes a presque doublé en dix ans, passant de 6,3 % en 1991 à 10,7 % en 2001, alors qu'elles ne progressaient que de deux points en France (de 6,4 à 8,8 %). Comme le soulignait M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, si la France était dotée de la même répartition géographique des exportations que l'Allemagne, elle pourrait bénéficier de 6 % d'exportations supplémentaires.

Source : le MOCI n° 1641, 11 mars 2004

A l'inverse, les entreprises françaises exportatrices sont peu présentes dans les grandes régions en croissance comme la Chine . Plus dispersées et partant de niveau généralement bas, les exportations françaises en Chine progressent certes dans tous les secteurs à un rythme inégalé. Elles sont ainsi dominées par les biens d'équipement et intermédiaires. Mais, même si le bilan de l'année 2003 est plutôt positif dans la mesure où la hausse des exportations françaises vers ce pays a été de 32,3 % , le retard est encore conséquent car la part de marché française dans les importations chinoises n'est que de 1,4  % . Ainsi, une intensification des relations commerciales avec ce pays doit nécessairement passer par une hausse des investissements des entreprises françaises en Chine, les IDE français n'y atteignant que 1,8 milliard d'euros, soit à peine 0,4  % du stock total des investissements français à l'étranger . La demande mondiale adressée à la France bénéficie donc moins, dans ces conditions, du dynamisme des importations asiatiques du fait d'une moindre présence française sur ces marchés.

Enfin, la reprise mondiale ayant été principalement tirée par la consommation des ménages , son faible contenu en investissement en 2003 n'a pas favorisé la croissance des ventes de biens intermédiaires et de biens d'équipement, qui représentent plus de la moitié des exportations françaises.

b) Les conséquences de l'appréciation de l'euro

Malgré l'amélioration de la compétitivité française au cours des années 1990, la récente appréciation de l'euro l'a ramenée au niveau de 1993, effaçant la quasi-totalité des gains réalisés en une décennie . Comme ses partenaires commerciaux de la zone euro, la France a ressenti pleinement les effets de cette appréciation vis à vis du dollar et des monnaies des principales zones importatrices. Ainsi, la compétitivité-prix des produits français par rapport à ses principaux partenaires de l'OCDE s'est érodée de 5,1 % en 2003 et se rapprochait, à la fin de l'année, de sa moyenne des vingt dernières années. La compétitivité coût a également diminué de 5 % par rapport aux autres pays de l'OCDE, effaçant la quasi-totalité des gains obtenus à la fin des années 1990.

Selon la DREE, le taux de change effectif nominal de la France par rapport à ses 42 partenaires s'est apprécié de 6,4 % en 2003 (après une hausse de 2,5 % en 2002). Les exportateurs de produits manufacturés se sont généralement adaptés en faisant des efforts sur leurs marges , comme en témoigne l'exemple des Airbus vendus 10 % moins chers en moyenne aux Etats-Unis. Au delà de cette adaptation conjoncturelle, il n'est cependant pas évident que les exportateurs puissent durablement consentir des efforts aussi importants .

Certes, M. Pascal Lamy, commissaire européen chargé du commerce, que votre groupe de travail a rencontré lors de son déplacement à Bruxelles, soulignait que les variations du taux de change entre le dollar et l'euro n'avaient pas vocation à modifier les orientations structurelles de la politique commerciale de l'Union européenne . Cette position se justifie en ce qu'il s'agit de maintenir les choix de base réalisés par l'Union en matière de politique commerciale. Toutefois, de telles variations du change peuvent, sur certains secteurs bien identifiés comme l'aéronautique, avoir des conséquences durables.

Ainsi, M. Philippe Camus, président exécutif d'EADS, soulignait (98 ( * )) que l'appréciation de 30 % du dollar face à l'euro avait coûté potentiellement 3 milliards d'euros à l'entreprise. Il ajoutait que, malgré les instruments de couverture contre les risques de change souscrits par l'entreprise, en cas de prolongation d'une telle parité, les effets du change remettraient profondément en cause les équilibres de l'entreprise et pourraient conduire à des délocalisations , même si le groupe prévoit en tout état de cause, pour des raisons stratégiques, de développer sa base industrielle dans des « zones dollar » indépendamment de toute considération liée au change.

Compte tenu des conséquences économiques importantes d'un éventuel maintien d'une parité euro/dollar élevée, en particulier en termes de risques de délocalisations, votre commission juge qu'il serait préjudiciable de persister dans une stratégie de « laisser-faire » .

B. DES CONTRAINTES COMMUNES AUX AUTRES PAYS DÉVELOPPÉS

Au-delà de ses particularismes, exposés ci-dessus, la France partage par ailleurs avec les autres pays industriels , en particulier européens, un certain nombre de contraintes qui sont autant de facteurs favorisant objectivement les délocalisations « pures » , c'est-à-dire exemptes d'objectifs d'ouverture à de nouveaux marchés. Au-delà des considérations traditionnelles liées aux coûts de production, doivent ainsi être citées les modifications structurelles de l'économie mondiale qui renforcent sa « financiarisation », de même que la relative incapacité des Etats, que l'on peut espérer temporaire, à créer les outils fiables et adaptés de sa régulation . En outre, au plan strictement européen, deux défis, d'ailleurs en partie liés, sont posés aux quinze Etats membres les plus anciens : l' intégration des dix nouveaux venus et la prise en compte équilibrée de différents intérêts politiques contradictoires .

1. La « financiarisation » de l'économie et « l'internationalisation » des structures décisionnelles

Le phénomène des délocalisations résulte en partie, d'une manière que l'on pourrait qualifier d'endogène, de la transformation du capitalisme mondial . Celle-ci se caractérise par deux mouvements dont l'un commande parfois l'autre : la « financiarisation » de l'économie et « l'internationalisation » des structures décisionnelles.

a) La « financiarisation » de l'économie

Le monde industriel est de plus en plus gouverné par des objectifs de rentabilité dictés par des groupes financiers et les marchés boursiers . Il s'agit d'un constat qui ne porterait pas à conséquence si les rythmes de l'industrie et de la finance étaient synchrones. Or, précisément, ils ne le sont pas : alors que le processus productif s'inscrit dans la durée et nécessite des investissements de long terme dont la rentabilité ne peut être immédiate , le monde financier, qui s'appuie sur un dispositif dont le libéralisme absolu autorise d'incessants mouvements transfrontaliers de capitaux, obéit à des règles de rentabilité où la perception des gains doit être rapide. En outre, on assiste à un dévoiement certain du système lorsque les normes de rentabilité sont définies ex ante par les investisseurs et, qui plus est, non pas tant en fonction de la situation du marché sur lequel évolue l'entreprise qu'à raison du différentiel de gains qu'ils auraient pu espérer réaliser s'ils avaient investis dans un autre secteur.

Cette situation a pour effet de fragiliser les assises capitalistiques de l'industrie puisque la valorisation financière d'une entreprise cotée en bourse peut être durablement affectée par des mouvements indépendants de sa santé objective, quand il ne s'agit pas parfois de simple spéculation. Plus fondamentalement, elle peut conduire à certaines décisions qui, n'ayant pour objet que de maximiser les résultats immédiats de l'entreprise afin de rendre « présentable » son bilan, s'écartent délibérément d'une stratégie de développement industriel .

Une telle logique est notamment poursuivie par les investisseurs que sont les fonds de pension anglo-saxons , dont l'exigence de rentabilité à court terme se double d'objectifs de taux que l'industrie ne peut en général pas offrir en situation normale dans les pays occidentaux : le management se voit ainsi imposer des ratios de profitabilité identiques à ceux dégagés dans les zones émergentes, au mépris de toute logique industrielle de long terme. Pour y parvenir, la répartition de la valeur ajoutée n'obéit plus alors à l'équilibre du capitalisme rhénan, qu'à titre personnel votre rapporteur a toujours préconisé, entre le revenu des salariés, la rémunération des actionnaires, l'acquittement de l'impôt citoyen et l'accroissement des capacités futures de l'entreprise. L'objectif prioritaire de rémunération des investisseurs réduit au contraire ce dernier poste à la portion congrue , au risque d' obérer le développement futur de l'entreprise faute d'investissements suffisants en recherche-développement , en matière de modernisation de l'outil industriel ou d' augmentation de ses capacités , en efforts marketing pour gagner de nouveaux marchés, etc.

On comprendra, de ce fait, que le critère des IDE entrants ne puisse pas nécessairement constituer un élément probant de la santé d'une économie : si nombre de ces investissements ont une réelle valeur industrielle, qui soutiennent le développement de la production et la création d'emplois, d' autres ne constituent en revanche que des investissements d'opportunité financière qui n'agissent pas de façon positive sur la sphère réelle de l'économie .

Enfin, on ne saurait manquer d'évoquer, même s'ils ne restent heureusement que marginaux, certains comportements « prédateurs » d'actionnaires volatiles . Après avoir mis la main sur une entreprise florissante ou profité d'avantages consentis temporairement par les pouvoirs publics nationaux ou locaux pour favoriser le redémarrage d'un bassin d'emploi, ils réalisent leurs gains dans un très court laps de temps puis disparaissent en fermant l'entreprise, laissant des salariés au chômage et les collectivités publiques désemparées . Telle est par exemple la situation de la fonderie de Saint-Dizier appartenant au groupe Valfond, lui-même filiale à 100 % du pôle investissement de l'Union des banques suisses (UBS), qui a déposé son bilan en février 2004 malgré la signature, deux ans plus tôt, d'un protocole d'accord avec l'Etat (étalement de la dette sociale) et la région Champagne-Ardenne (subventions et avances remboursables) pour la création d'emplois, la pérennisation de l'activité et la mise aux normes écologiques.

b) « L'internationalisation » des structures décisionnelles

« L'internationalisation » des structures décisionnelles apparaît souvent comme la conséquence de la « financiarisation » de l'économie , tant cette dernière est organisée par des capitaux étrangers. Il n'y a rien que de très logique à cela et, en soi, l'ouverture des organes de direction à des managers étrangers n'est pas néfaste : elle est même appréciable car les différences culturelles sont, votre rapporteur en est intimement convaincu, de nature à enrichir les relations de travail, les méthodes d'organisation et le management de la collectivité de travail, comme à ouvrir l'entreprise sur le monde.

Mais cette position de principe ne saurait empêcher de reconnaître que lorsqu'une entreprise va mal, ou qu'elle est soumise à des choix importants qui peuvent notamment concerner une éventuelle délocalisation, une telle situation est aussi susceptible de fragiliser . Nombre de décisions, en effet, sont conditionnées par un critère territorial ou national qu'il serait vain de nier : l'engagement personnel du chef d'entreprise, de ses actionnaires et de son équipe de direction, pour défendre coûte que coûte la pérennité de l'entreprise ou d'un site de production, est souvent d'autant plus fort qu'ils sont eux-mêmes affectivement liés à son territoire d'implantation . Sans aucune xénophobie, votre rapporteur est ainsi convaincu, par exemple, que les efforts récemment déployés par M. Marc Schiff, responsable de l'usine General Motors de Strasbourg, pour emporter de la direction mondiale du groupe la décision d'investir en France plutôt qu'en Hongrie pour créer une nouvelle ligne de production de boîtes automatiques et de convertisseurs (avec 765 emplois sauvegardés à la clef), n'auraient pas été les mêmes si le manager avait été étranger. Nul reproche dans ce constat qui ne fait que prendre en compte les ressorts intimes de la nature humaine.

Naturellement, il ne s'agit pas d'une loi systématique et bien des exemples pourraient sans doute venir contredire cette affirmation. Il n'empêche que plusieurs des industriels rencontrés ou entendus par votre groupe de travail en ont souligné l'évidence, insistant sur le fait que leurs décisions stratégiques pour sauvegarder le plus possible d'emplois nationaux devaient pour beaucoup à leur « amour du pays » et à leur sentiment de responsabilité sociale à l'égard de leurs salariés, du territoire et de sa population . C'est ainsi, par exemple, que M. Daniel Pasquier, président du Comité de liaison des industries de main d'oeuvre, a souligné les différences de gestion des PME selon qu'elles sont les filiales de grands groupes, notamment internationaux, ou qu'elles relèvent d'un capitalisme familial, les « patrons traditionnels » ayant, selon lui, une fibre sociale plus affirmée et un réel attachement au territoire.

Au-delà du constat, quelles conclusions tirer de cette « financiarisation » croissante de l'économie et de « l'internationalisation » de l'actionnariat ou du management qui en est souvent le corollaire ? S'il convient qu'il s'agit d'un mouvement qui ne saurait être interrompu, votre groupe de travail estime cependant nécessaire d'élaborer des outils propres à en orienter les flux . A cet égard, s'il faut continuer à encourager, comme le fait notamment l'AFII, les entreprises étrangères à investir sur le territoire national pour y créer des activités nouvelles, on doit s'interroger sur les raisons qui conduisent le capital de nombreuses PME importantes françaises à passer dans le giron d'investisseurs étrangers . Pour la majorité de votre groupe de travail, l'existence de l'impôt de solidarité sur la fortune comme l'inadaptation de la fiscalité pesant sur la transmission des entreprises sont évidemment largement responsables de cette situation. Elles sont notamment susceptibles d'expliquer pourquoi, en matière d'IDE entrants, la France se distingue si nettement de la plupart des autres pays industrialisés qui lui sont comparables, notamment le Japon, l'Italie ou encore la Grande-Bretagne : en 2002, ces pays ont respectivement accueilli, selon le rapports 2003 de la CNUCED, 9, 15 et 25 milliards de dollars, quand la France en recevait 52, soit davantage que les trois réunis.

2. L'organisation encore trop peu équilibrée des échanges mondiaux

L'industrie française, tout comme celle d'un certain nombre de pays occidentaux, est ensuite fragilisée par l'organisation encore trop peu équilibrée des échanges mondiaux .

La poursuite de la libéralisation du commerce mondial est aujourd'hui freinée par l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations commerciales menées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lancées à Doha il y a deux ans et demi. Il n'entre pas dans l'objet du présent rapport de s'attarder dans le détail sur ces difficultés : le lecteur qui s'y intéresse pourra utilement se reporter à l'analyse que nos excellents collègues MM. Jean Bizet, Michel Bécot et Daniel Soulage ont publiée après la Conférence ministérielle de Cancùn, tenue du 10 au 14 septembre 2003 (99 ( * )). Votre groupe de travail souhaite cependant insister sur deux aspects de ces négociations qui paraissent particulièrement importants au regard de la question des échanges industriels et des délocalisations.

Le premier a trait au blocage des discussions sur les sujets concernant la régulation des échanges économiques internationaux , auxquels l'Union européenne accorde une importance capitale. Appelés « sujets de Singapour » par référence à la Conférence ministérielle de l'OMC s'étant déroulée dans cet Etat en décembre 1996, qui a décidé d'engager l'OMC sur la voie de nouveaux sujets relatifs à l'échange international, ils concernent les investissements , la concurrence , la transparence des marchés publics et la facilitation des échanges . A ces sujets ont notamment été ajouté, lors de la Conférence ministérielle de Doha, ceux de l' environnement et de la propriété intellectuelle .

Ces thèmes n'ont pu être abordés à Cancùn en raison de l'opposition des pays en développement à leur discussion, même partielle ( i.e. uniquement la facilitation des échanges et la transparence des marchés publics, comme y avait consenti l'Union européenne), non pas tant du fait de la nature même de ces sujets que de l'absence d'accord sur d'autres points de l'ordre du jour de la Conférence, et en particulier la question agricole. Or, ce blocage sur les « sujets de Singapour » est très préjudiciable aux intérêts économiques des pays industrialisés, leur accès aux marchés émergents étant freiné par des barrières que la discussion de ces sujets devait précisément permettre de lever au moins partiellement . La négociation sur la facilitation des échanges visait ainsi à accélérer le mouvement, la main levée et le dédouanement des marchandises aux frontières, y compris des marchandises entrantes. De même, la transparence, la prévisibilité et la sécurité de l'environnement juridique sur les marchés étrangers devaient être accrues au bénéfice des opérateurs économiques grâce aux négociations sur la transparence et la non-discrimination en matière de marchés publics, d'investissements et de concurrence.

Ainsi, bien souvent, les entreprises occidentales n'ont aujourd'hui, pour contourner ces barrières, d' autre alternative que d'aller s'implanter dans les pays en développement, soit en leur nom propre, soit par des opérations de joint-venture, soit par l'acquisition d'entreprises locales , afin d'y commercer. On comprend dès lors l'importance qu'il y aurait pour les nations industrielles à faire avancer les « sujets de Singapour » : des accords dans ces domaines permettraient sans doute d'interrompre une partie des délocalisations actuelles grâce à la sécurisation des relations commerciales internationales à l'exportation, qui pourraient permettre de conserver, voire de développer, des activités industrielles domestiques .

Le second intérêt d'un tel déblocage serait de rééquilibrer les relations économiques et commerciales entre l'Union européenne et, globalement, le reste du monde . Autant les marchés des pays émergents restent aujourd'hui, avec une certaine légitimité, protégés en partie par des barrières protectrices et d'importants droits de douane, autant l'espace économique de l'UE est l'un des plus ouverts aux marchandises et aux capitaux internationaux . A cet égard, l'Union peut apparaître comme le meilleur élève du libéralisme mondial , jusqu'à en être victime face à des concurrents moins scrupuleux n'hésitant pas à sacrifier sur l'autel du réalisme l'essence même de leur profession de foi libérale : il n'est qu'à voir les pics tarifaires appliqués par les Etats-Unis ou le Japon, ou encore la brutale barrière tarifaire érigée sur leurs importations d'acier par les Etats-Unis en mars 2002, pour protéger leur industrie sidérurgique, comme l'a rappelé lors de son audition M. Michel Lamy, secrétaire national à l'économie de la Confédération française de l'encadrement CGC.

On donnera comme exemple de déséquilibre patent la fin programmée des accords multifibres en 2005, qui ouvrira totalement l'Union européenne aux produits textiles des pays émergents alors même que la Chine, l'Inde et le Pakistan, principaux producteurs mondiaux, pourront maintenir des droits de douane rendant presque impossible l'exportation vers leurs marchés d'articles textiles haut de gamme produits en Europe (100 ( * )). C'est pourquoi l'accès aux marchés des produits non agricoles revêt une importance également fondamentale, car son amélioration générale serait de nature à établir une plus grande réciprocité entre, d'une part, l'Union européenne, où les droits de douane sont déjà faibles, et, d'autre part, diverses autres nations industrialisées qui savent imposer, lorsqu'elles l'estiment nécessaires, des mesures protectionnistes, ainsi que les pays émergents, dont certains représentent des marchés colossaux.

3. La construction de l'Union européenne

L'étape actuelle de l'édification européenne constitue le dernier défi que rencontrent aujourd'hui les industries de main d'oeuvre de la « vieille Europe ». Elles sont d'abord confrontées à l'affirmation d' objectifs politiques qui négligent le soutien auquel elles devraient pouvoir prétendre . Elles sont ensuite menacées par un risque de déséquilibre géographique lié à l'élargissement , risque qui, pour être potentiel et temporaire, n'en est pas moins grand.

a) Le déséquilibre des politiques européennes

L'édification du marché intérieur est un objectif politique partagé au sein de l'Union européenne depuis le début des années 1990. S'il n'est en soi pas contestable, votre groupe de travail souhaite cependant observer brièvement que cette démarche a entraîné un certain nombre de choix ayant relégué de manière excessive la préoccupation industrielle au second plan . Trois exemples suffiront à le démontrer : le rôle de la Banque centrale européenne, la primauté de politique de la concurrence, la prégnance des préoccupations environnementales.

(1) Le rôle de la Banque centrale européenne

Au-delà de sa signification politique indiscutablement fédératrice, la création de l'euro a répondu à un objectif économique primordial. Les sacrifices consentis par les différents Etats de l'Union pour répondre aux critères de Maastricht ont en grande partie été payés en retour. Toutefois, les instruments adoptés à cette occasion enserrent aujourd'hui l'industrie européenne dans un étau dont il lui est difficile de s'extraire .

Ainsi, la Banque centrale européenne (BCE) n'a pas été conçue comme un outil susceptible d'être mis au service du développement économique . Exclusivement préoccupée par le taux de l'inflation et le respect des termes du Pacte de stabilité, sans considération pour paramètres macroéconomiques affectant la conjoncture, la BCE semble s'interdire d'agir de manière contracyclique. De ce fait, elle ne constitue pas un outil pouvant aider le système productif à supporter les aléas conjoncturels.

On peut notamment s'interroger sur les effets secondaires que la politique de l'euro fort engendre pour les entreprises européennes. Si la maîtrise de l'inflation apporte à l'industrie une visibilité précieuse en sécurisant ses anticipations financières, elle a également conduit à un net renchérissement de l'euro à l'égard du dollar. Après avoir atteint un plus bas à 0,83 dollar en octobre 2000, peu de temps après son lancement, l'euro a en effet connu une appréciation très forte, dont le sommet se situe en février 2004, l'euro valant alors 1,29 dollar (il dépasse encore aujourd'hui 1,20 dollar). Ce taux de change élevé de la monnaie européenne renchérit mécaniquement le prix des exportations industrielles et amoindrit ainsi la compétitivité de notre industrie. Selon une étude du CEPII (101 ( * )), les secteurs à l'exportation les plus sensibles aux variations de change sont les machines et l'aéronautique.

La rigueur de la politique menée par la Banque centrale européenne est ordonnée au service de l'économie de l'Union européenne. Pourtant, une telle fermeté, en conduisant à une appréciation excessive de la valeur de l'euro, semble paradoxalement porter atteinte à la compétitivité de l'industrie européenne, soumise à de fortes pressions concurrentielles que la Banque centrale européenne semble ignorer .

(2) La primauté de la politique de la concurrence

Autre critique susceptible d'être portée à l'encontre du modèle structurel de l'édification européenne : la primauté conférée à la politique de la concurrence . Depuis une dizaine d'années, celle-ci est apparue comme la pierre angulaire du processus d'édification du marché intérieur, à laquelle toute autre préoccupation devait être sacrifiée.

En recherchant légitimement à contrôler les aides d'Etat afin de garantir, au sein de l'Union européenne, une concurrence loyale entre les entreprises, la Commission européenne a bâti un corpus de règles conduisant finalement à restreindre, sans doute de manière excessive, la faculté des Etats membres à soutenir, dans l'intérêt public, un certain nombre de secteurs productifs . Le récent sauvetage d'Alstom, auquel est néanmoins parvenu le Gouvernement pendant qu'était rédigé le présent rapport, témoigne de la difficulté à faire prévaloir des intérêts industriels au sein de l'Union. L'appel des plus hautes autorités de l'Etat, tant en France qu'en Allemagne, au soutien à la constitution de « champions industriels européens » démontre l'acuité du problème, et la nécessité d'y trouver rapidement une solution. Là encore, la définition d'une politique industrielle, d'une vision stratégique en la matière, paraît devoir être un objectif à mettre en oeuvre rapidement.

Il convient toutefois de reconnaître que de récentes initiatives ont été engagées en faveur de plusieurs secteurs industriels particulièrement éprouvés par les mutations en cours . Il est en effet apparu que des compléments « verticaux » aux politiques communautaires « horizontales » s'imposaient en raison de la diversité de ces secteurs :

- ainsi, en matière pharmaceutique , l'environnement réglementaire joue un rôle décisif pour permettre l'innovation ; la Commission a donc proposé de travailler à améliorer la réglementation pour trouver un équilibre entre les préoccupations liées à la santé et au nécessaire encouragement de l'innovation ;

- de même, s'agissant de la construction navale , un facteur de compétitivité apparaît déterminant, la dimension internationale, ce qui exige d'établir des règles du jeu loyales au niveau mondial mais aussi de protéger les droits de propriété intellectuelle.

D'autres initiatives sont en cours : dans le secteur des biotechnologies mais aussi dans le secteur du textile et de l'habillement , dont les enjeux clef (innovation, recherche, formation, coopération industrielle avec la Chine) viennent d'être analysés par la Commission, qui prépare des recommandations aux responsables politiques de l'Union pour juillet prochain. La Commission prévoit également de se mobiliser en direction du secteur de l'industrie automobile européenne, comme l'a confirmé le 27 mai dernier M. Erkki Liikanen, commissaire européen aux entreprises : une attention particulière sera accordée à l'impact du cumul des réglementations sur la compétitivité de ce secteur. Enfin, la Commission se penchera sur le secteur des éco-industries , sur celui des métaux non-ferreux et sur les technologies de l'information .

Malgré ces initiatives sectorielles, persiste en France, à l'égard de la politique de la concurrence menée à Bruxelles, une « incompréhensible incompréhension » pour reprendre l'expression utilisée par M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, lors de son audition devant le groupe de travail (102 ( * )) le 8 juin 2004. Si la France est, selon M. Monti, le pays européen qui a le plus bénéficié de l'existence d'une politique de la concurrence, notre pays nourrit une certaine amertume à l'égard de cette politique communautaire. Notamment, il peine à comprendre la réticence de la Commission à l'égard des « champions industriels », suspectés, à Bruxelles, de prospérer aux dépens des consommateurs, de la compétitivité de l'industrie et de l'efficience des marchés . Cette divergence de vues persiste à donner à la France le sentiment d'être entravée dans la prise en compte des intérêts stratégiques de son industrie .

(3) La prégnance des préoccupations environnementales

La réglementation environnementale , cela a déjà été évoqué ci-dessus, peut également conduire un certain nombre d'industries à envisager, sinon de délocaliser, au moins de réaliser leurs investissements futurs hors de l'Union européenne. Or, nombre de contraintes environnementales , pouvant constituer des entraves à la compétitivité, résultent d'initiatives européennes , à l'image du projet de règlement REACH sur les substances chimiques .

Ce document extrêmement complexe, long de 1.200 pages, sera prochainement discuté au Parlement européen. Il propose d'enregistrer, et le cas échéant d'évaluer et de soumettre à autorisation, quelques 30.000 substances chimiques produites en Europe à plus d'une tonne par an.

Le calendrier envisagé apparaît beaucoup trop rapproché pour les industriels concernés, qui estiment ne pas disposer des moyens financiers et humains pour satisfaire aux futures exigences communautaires. Dès lors, ce projet pourrait se traduire par l'abandon de la production d'un certain nombre de produits, au premier rang desquels les spécialités chimiques françaises fabriquées en petite quantité pour des secteurs comme le textile, le traitement de surface ou l'électronique. Celles-ci pourraient le cas échéant être délocalisées dans des zones de production moins protectrices. Comme l'a souligné lors de son audition M. Bernard Rivière, président de l'Union des industries chimiques

(UIC), la réglementation, de plus en plus contraignante sous la pression de l'opinion publique, conduit ces industriels à s'interroger sur leur avenir en Europe, alors que ce secteur emploie encore entre 1,5 et 2 millions de salariés.

Mais, dans l'optique des délocalisations, une telle perspective n'est pas uniquement préjudiciable à l'industrie chimique. En effet, les clients de la chimie française ne pouvant plus se fournir en Europe seraient eux aussi incités à se délocaliser vers des pays non soumis à cette réglementation afin d'accéder plus facilement aux produits dont ils ont besoin.

Tous les industriels de la chimie redoutent donc des conséquences graves pour l'Union européenne en termes économiques. Outre les coûts des tests, chiffrés à 2,3 milliards d'euros par la Commission européenne, différentes études estiment que 20 à 40 % des substances chimiques commercialisées pourraient être retirées du marché. De tels retraits pourraient conduire à une perte annuelle de chiffre d'affaires pour la chimie européenne de l'ordre de 10 % sur plus de 600 milliards d'euros. Au-delà de ces questions financières essentielles, qui se traduiraient nécessairement par des pertes substantielles d'emplois, l'ensemble des industriels dénonce une perte de compétitivité à terme face à l'Asie et aux Etats-Unis. Enfin, un tel projet pourrait également nuire à l'attractivité des économies européennes. En effet, les industriels de la chimie des autres continents redoutent les effets de cette réglementation qui leur imposerait des coûts supplémentaires et des difficultés logistiques, une charge administrative trop lourde, des substitutions technologiquement injustifiées, et qui leur fermerait la porte du marché européen. Selon les informations obtenues par votre groupe de travail, les autorités américaines de la concurrence seraient déjà en train d'étudier d'éventuelles pratiques anti-concurrentielles liées à ce projet.

Au surplus, un tel projet jette un soupçon sur une profession qui a réalisé des progrès importants en matière de sécurité, même si des lacunes peuvent encore subsister. Ainsi, la grande majorité des industriels français de la chimie consacrent environ 11 % de leurs investissements annuels à la sécurité et à l'environnement, sans compter la loi du 31 juillet 2003 déjà évoquée, qui a renforcé considérablement les exigences en matière de sécurité pesant sur les industries classées « Seveso ».

De la même manière, la réglementation sur la limitation des émissions des gaz à effet de serre , nécessité écologique, pourrait poser des problèmes d'application. Ainsi, M. Guy Dollé, président directeur général d'Arcelor, soulignait devant votre groupe de travail que la directive européenne faisait porter les efforts sur l'industrie , alors que les secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) et des transports contribuent également, dans une proportion équivalente (environ 25 %), à l'émission de gaz à effet de serre. De surcroît, un nouvel effort est demandé à l'industrie sidérurgique qui a pourtant déjà diminué ses émissions et qui ne représente que 6 % du total des émissions de l'industrie.

Ces exemples ne sont pas cités pour récuser la préoccupation environnementale . Ils visent simplement à souligner qu'un arbitrage cohérent entre divers intérêts divergents, mais également légitimes, devrait à l'évidence présider aux décisions adoptées au niveau européen . La recherche de cet équilibre conduirait alors à mieux prendre en compte les contraintes de l'industrie. Elle pourrait en outre permettre de favoriser des solutions moins sujettes à caution, réellement protectrices de l'intérêt des consommateurs et satisfaisant à une certaine logique. Par exemple, si le projet REACH impose aux importateurs de fournir un dossier complet pour les substances chimiques entrant en Europe, il ne prévoit aucune obligation pour les produits finis, quelle que soit la façon dont ils ont été fabriqués . Ou encore, s'agissant de la directive CO², les obligations imposées à la production d'acier instituent une distorsion de concurrence puisque ni l'industrie de l'aluminium, ni celle du plastique, ne sont soumises aux exigences de la diminution d'émission de gaz à effet de serre.

b) Les difficultés potentielles résultant de l'élargissement

L'accueil au sein de l'Union européenne, le 1 er mai dernier, de dix nouveaux Etats membres issus pour la plupart de l'ex-Bloc de Varsovie, soumet le tissu industriel des « 15 » à une nouvelle pression concurrentielle qui, pour avoir été déjà présente depuis une dizaine d'années (103 ( * )), n'en est pas moins accrue.

L' élargissement constitue certes un indéniable moteur de croissance , comme l'a souligné M. François Loos, le ministre délégué au commerce extérieur : un marché unique élargi de 450 millions d'habitants dynamisé par le potentiel de croissance des nouveaux venus, estimé à 5 % en moyenne annuelle, un rattrapage de consommation accompagné d'une sophistication de la demande des ménages , des besoins en infrastructures modernes et en biens intermédiaires , sont de nature à offrir de nouveaux débouchés aux produits industriels des Quinze. A cet égard, les exportations françaises, qui ont déjà été multipliées par plus de cinq entre 1991 et 2003 et qui génèrent un excédent commercial annuel supérieur à 2 milliards d'euros, devraient encore progresser dans les prochaines années pour occuper environ 10 % des parts de marché des Dix.

Mais les nouveaux venus offrent aussi des opportunités que soulignent beaucoup des indicateurs habituellement retenus pour l'analyse coûts/avantages des délocalisations : niveaux des salaires horaires, taux d'imposition des entreprises, qualification de la main d'oeuvre, etc. C'est en particulier le cas des PECO, comme en témoigne le tableau ci-dessous :

Coût horaire de la MO

Productivité de la MO

Durée hebdo. du travail

Impôt sur
les sociétés

UE - 15

22,21 €

100,0

40,0 h

France

21,70 €

115,0

37,4 h

33 ? % (1)

UE - 25

19,09 €

93,0

40,7 h

Estonie

3,03 €

48,0

40,6 h

0 ou 26 % (2)

Hongrie

3,83 €

62,7

40,6 h

19 ? % (3)

Lettonie

2,42 €

38,7

43,9 h

15 %

Lituanie

2,71 €

46,9

40,3 h

15 %

Pologne

4,48 €

50,3

42,5 h

19 %

République tchèque

3,90 €

61,1

40,5 h

28 %

Slovaquie

3,06 €

56,3

41,1 h

19 %

Slovénie

8,98 €

70,7

41,1 h

25 %

Source : Eurostat et ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

(1) Auquel s'ajoute, le cas échéant, une contribution additionnelle de 3  % et une contribution sociale de 3,3  %.

(2) Le taux de 0  % est applicable aux bénéfices réinvestis, le taux de 26  % l'est aux bénéfices distribués.

(3) Dont 3 ? de taxes locales.

Deux questions essentielles se posent à cet égard : l'élargissement va-t-il accélérer le mouvement des délocalisations vers les PECO et, dans l'affirmative, combien de temps le rattrapage économique des Quinze par ces pays mettra-t-il pour faire disparaître les avantages comparatifs de ces derniers ?

Il a déjà été indiqué précédemment que les délocalisations déjà intervenues vers les PECO étaient estimées, selon les indicateurs retenus, dans une fourchette allant de 5 à 20 % des IDE, ce qui ne permettait sans doute pas de les qualifier de « massives ». Quant à l'avenir, le rattrapage que devrait faciliter l'élargissement va naturellement atténuer les avantages comparatifs dont bénéficient actuellement les Dix . On estime généralement que, sous l'effet notamment d'une démographie déclinante , le rattrapage salarial devrait avoir lieu plus rapidement que celui qui a été constaté, en leur temps, en Espagne et au Portugal . En outre, l'intégration européenne ne saurait manquer d'avoir pour conséquences une élévation spontanée des normes sociales , qui va elle aussi renchérir le facteur travail , ainsi qu'un ajustement des normes techniques et environnementales, rendu obligatoire par la législation « marché intérieur » de l'Union et conduisant, quant à lui, à augmenter les autres coûts de production . Ainsi, par exemple, les récentes estimations d'Eurostat sur l' évolution des prix à la production industrielle ont enregistré les plus fortes hausses (entre avril 2003 et avril 2004) en Lettonie (+ 6,9 %), en Slovénie (+ 4,1 %) et en République tchèque (+ 3,7 %), c'est-à-dire précisément dans trois des nouveaux Etats membres les plus attractifs (la moyenne européenne s'établissant à + 1,7 %). Il en est de même en ce qui concerne le coût horaire de la main d'oeuvre , qui a augmenté sur la période de 2,6  % dans la zone euro mais de 3,1 % dans l'UE25 , l'Autriche ayant connu la plus faible hausse (+ 0,2 %) et, une fois encore, la Lettonie , la plus forte ( + 10,7  % ) .

Seule la politique fiscale , qui reste l'apanage des Etats membres, demeurera une variable de discrimination susceptible de rendre durablement intéressant, toutes choses égales par ailleurs, un projet de délocalisation. C'est pourquoi votre groupe de travail préconisera, dans la dernière partie de ce rapport, des initiatives de nature à faciliter l'harmonisation fiscale à l'intérieur de l'Union.

Quant au temps nécessaire pour réaliser cette transition, il n'est évidemment pas facile de le déterminer par anticipation. La plupart des spécialistes estiment toutefois qu'il devrait être de l'ordre d'une dizaine d'années . A l'issue de cette période, les mouvements d'IDE entre les différents Etats de l'Union ne devraient donc plus résulter que de réorganisations traditionnelles des processus de production à l'intérieur des groupes industriels , en fonction des avantages comparatifs et des spécialisations des différents sites, ainsi que de préoccupations d'accès aux marchés . La problématique des délocalisations se déplacera alors vraisemblablement plus à l'Est, vers l'Ukraine, la Russie, etc.

DEUXIÈME PARTIE - LES PROBLÉMATIQUES LOCALES : DES TERRITOIRES FRAGILISÉS, LES EMPLOIS NON QUALIFIÉS MENACÉS

Depuis trente ans, les mutations du tissu industriel présentent trois visages : celui des pertes d'emplois résultant de l'automatisation, celui de restructurations tardives issues d'erreurs de gestion et celui des faillites d'entreprises industrielles dues soit aux plus grandes capacités d'innovation de leurs concurrentes, soit à des flux d'importations à meilleur marché.

Les pertes d'emplois industriels soulèvent diverses problématiques locales : le marché local de l'emploi est bouleversé en raison d'une augmentation de l'offre de travail souvent non qualifié ; en se repliant, l'industrie laisse des stigmates visibles en matière d'urbanisme, d'immobilier, de logement et de transports, qu'elle avait façonnés au fil des décennies ; la diminution des salaires et des consommations intermédiaires dans l'économie locale provoque une déstabilisation en chaîne des revenus, de l'épargne, de la consommation, de l'investissement, de la fiscalité des collectivités territoriales et de la démographie ; les fiertés individuelle et collective sont atteintes tandis que les conflits sociaux engendrés par des fermetures de sites industriels et leur médiatisation ne sont pas sans conséquences sur leurs acteurs ni sur les territoires.

Dès la fin des années soixante-dix, l'Etat a mis en place une politique volontariste de reconversion dont le besoin s'est manifesté pour de grands secteurs en crise, concentrés géographiquement. Les chocs locaux ont été amortis et la réindustrialisation a souvent été le fruit de l'effort collectif : implantation de projets manufacturiers mobiles, attractivité de mesures fiscales ou sociales décidées au plan national, aides compétitives des sociétés de conversion. Les collectivités locales, avec la décentralisation, ont ensuite pris le relais en menant des actions concrètes utiles à la pérennité du tissu industriel et à sa mutation.

Même si elles résultent de paramètres particuliers, les délocalisations n'ont pas, au plan local, de conséquences significativement différentes de celles entraînées par les difficultés économiques rencontrées par les entreprises . Certes, les cas de délocalisation de lignes de production au sein ou en dehors de l'Union européenne par des entreprises profitables marquent davantage les esprits, puisque les licenciements qui en sont la conséquence apparaissent à bien des égards comme injustifiés, voire injustes. Reste que, tout comme les autres mutations industrielles, elle posent les questions de leurs conséquences pour l'emploi dans les bassins concernés et de la nécessaire adaptation de la main d'oeuvre à la transformation de la structure économique du pays.

Si, de ce point de vue, les délocalisations ne peuvent donc être traitées au plan territorial de manière différente des autres difficultés économiques , la période actuelle se distingue des décennies précédentes par une caractéristique très particulière. Aujourd'hui, la transformation de l'industrie prend un nouveau visage : il ne s'agit plus de quelques tremblements de terre dans un nombre limité de bassins affectés par la fermeture de grandes usines, mais bien de milliers de secousses atteignant des sites de production de plus petites tailles, disséminés dans plusieurs centaines de bassins d'emplois et relevant d'un nombre croissant de secteurs manufacturiers . Or, cette réalité nouvelle n'est pas sans incidences sur les réponses susceptibles d'être apportées par les pouvoirs publics.

En effet, les mesures conçues dans les années quatre-vingt pour la réindustrialisation des grands bassins industriels s'avèrent inopérantes pour beaucoup des territoires. En outre, les projets mobiles sont rares alors même que la multiplication des sites touchés accroît la concurrence, et les aides à la revitalisation sont banalisées. De plus, l'interventionnisme économique des collectivités locales, lorsqu'il est efficient, atteint ses limites pour susciter des activités nouvelles proposant des emplois non qualifiés, les potentialités offertes par la tertiarisation de l'économie n'étant pas toujours adaptées aux caractéristiques des sites. Enfin, les mesures nationales, en cette période de tension budgétaire, sont parfois insuffisantes pour permettre le redémarrage d'un cycle vertueux.

C'est dire combien, dans ce contexte, les délocalisations d'entreprises peuvent fragiliser encore davantage les territoires et mettre en danger l'emploi , en particulier non qualifié. C'est dire aussi combien il est important de parvenir à susciter la convergence des politiques nationale et locales de revitalisation économique du territoire , en s'attachant de manière attentive à la situation des bassins d'emplois les moins bien armés structurellement pour rebondir .

I. UN DISPOSITIF DE SOUTIEN PUBLIC HÉRITÉ DU PASSÉ

Les restructurations industrielles dans les pays développés ont plusieurs causes principales : l'automatisation, le succès de produits importés, parfois la stagnation de la demande. Quand la concurrence internationale marque des points, l'économie nationale s'ajuste par la recherche de nouvelles activités industrielles et tertiaires à plus forte valeur ajoutée, mais aussi par les évolutions des salaires réels, de la valeur de la monnaie, du niveau de l'investissement productif et de la recherche, des dispositions fiscales ou douanières. L'économie locale tire avantage des restructurations industrielles quand émergent sur son territoire des entreprises plus compétitives ou nouvelles. A défaut, elle connaît le déclin car elle ne dispose pas de possibilités d'ajustement macro-économiques, à l'exception d'une certaine modération salariale, de prix inférieur du foncier et de l'immobilier, ainsi que de mesures d'exception, notamment locales (exemptions fiscales par exemple), qui peuvent lui être consenties pour sa reconversion.

S'agissant de ces dernières, les outils de l'intervention publique mis en place dans le passé ont connu une réelle efficacité. Toutefois, ils semblent être devenus aujourd'hui inadaptés à bien des égards.

A. DANS LES ANNÉES 80, LES MESURES DE RECONVERSION ONT PERMIS LA RÉINDUSTRIALISATION DE BASSINS D'EMPLOIS EN CRISE

Les dernières décennies ont vu la fin des grandes usines. Les robots ont remplacé l'emploi parcellisé. En 1974, une vingtaine d'usines employaient plus de 5 000 personnes : le service des études et des statistiques industrielles (SESSI) du ministère de l'industrie en dénombre quatre aujourd'hui. Tous les pays développés ont vu des villes industrielles confrontées à la fermeture d'usines textiles, sidérurgiques, métallurgiques, automobiles.

La reconversion des industries lourdes dans ces sites connaissant fermetures ou restructurations a représenté un défi de grande ampleur . A titre d'illustration, les restructurations massives en Lorraine ces trente dernières années ont conduit à la suppression de 160 000 emplois dans la sidérurgie, l'extraction charbonnière, les mines de fer et le textile, ainsi que l'a souligné notre collègue M. Jean-Pierre Masseret, Président du Conseil régional de la Lorraine, dans sa réponse au questionnaire adressé aux régions par votre groupe de travail. Sacilor a réduit ses effectifs de 80.000 personnes entre 1985 et 1995, les pertes étant concentrées dans des bassins de vie de taille petite ou moyenne, souvent éloignés des grands axes de communication et vivant en autarcie. L'aciérie de Pompey comptait ainsi avant sa fermeture plus de 5.000 emplois, dans une agglomération d'à peine 30.000 habitants.

Si, avec M. Jean-Pierre Masseret, on peut aujourd'hui considérer que les restructurations en Lorraine sont en voie d'achèvement et que la reconversion de cette région est en grande partie achevée, la création de nouvelles activités dans les grands sites industriels a nécessité la réalisation d'un important travail préalable, la situation sociale et urbaine d'un bassin de vie dont la principale activité est démantelée ne permettant pas un redéploiement sans transition .

En effet :

- les salariés habitués à un travail posté, conditionnés à l'emploi à vie à l'usine la plus proche, ont besoin d'une période de transition les préparant par un appui individualisé à réussir une reconversion professionnelle ;

- la mobilité géographique et l'aide au retour au pays des travailleurs étrangers, très présents dans les grandes usines et les mines, réduisent le besoin de création de nouveaux emplois, mais le départ de populations laisse vide un habitat collectif obsolète qu'il faut démolir ou reconvertir ;

- le bâti industriel délaissé se caractérise par de très grands volumes inadaptés aux besoins des PME ou des services, notamment en centre ville, et il est impossible de laisser à l'abandon ces friches construites qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers de mètres carrés ;

- toutefois, le réemploi des emprises foncières libérées par les usines nécessite un investissement de dépollution, de reverdissement et de remplacement des réseaux, sans compter que des offres foncières et immobilières rénovées sont à créer de toute pièce avant d'accueillir de nouvelles entreprises ;

- en outre, pour rendre accueillants les centres villes et l'habitat, un processus long et coûteux de réhabilitation urbaine doit être engagé ;

- le fossé culturel, politique ou social séparant les villes industrielles des agglomérations tertiaires proches doit être comblé au nom d'un intérêt général régional ; à cet égard, l'adhésion progressive des élites locales à un processus de transformation est une des conditions de la réussite.

Pour faire face à ces crises industrielles de grande ampleur, de nombreux outils, budgétairement coûteux, ont été institués par l'Etat , avec des résultats généralement considérés comme satisfaisants.

1. Le traitement des grandes crises industrielles a mobilisé l'Etat

Le dispositif mis en place dans les années quatre-vingt mobilisait des acteurs aux niveaux central (la DATAR, le ministère de l'économie) et déconcentré (préfectures de région et de département, services des ministères de l'équipement, de l'industrie, du travail, etc.), des entités locales (établissements fonciers, sociétés d'économie mixte) et des sociétés de conversion relevant des entreprises publiques concernées. Des outils spécifiques ont pu en outre être créés localement.

Ainsi, en Lorraine, la nomination de M. Jacques Chérèque, responsable syndical national de la CFDT et issu de la sidérurgie régionale, dans une fonction ad hoc de Préfet délégué au redéploiement industriel de la Lorraine, a illustré le recours par l'Etat à l'administration de mission. Par son autorité, le Préfet délégué a assuré, sur chaque bassin touché et à l'échelle de la région, la réussite des processus de reconversion des hommes, des entreprises et des territoires. De plus, un instrument financier dédié, le Fonds d'industrialisation de la Lorraine, a été créé en 1984 pour coordonner la politique de soutien budgétaire nationale.

Ce dispositif global était adapté aux crises sectorielles (défense, sidérurgie, mines) touchant de très grands établissements publics dans des bassins industriels semblables.

a) Des outils de reconversion nombreux et spécifiques

La mise en oeuvre des reconversions locales s'est appuyée sur des structures locales de l'Etat et des entreprises publiques en restructuration. Le soutien public s'est organisé au moyen de cinq types d'outils chargés chacun de répondre à une problématique particulière soulevée par les restructurations industrielles .

Les outils d'aménagement avaient pour objet le traitement des friches, la requalification des sites et le pré-aménagement de nouvelles zones d'activités. Par exemple, l'établissement public de la Métropole Lorraine a pu acquérir les sites industriels délaissés que des communes isolées n'auraient été en mesure ni d'acheter, ni de dépolluer, ni de réaménager.

Les outils immobiliers que sont les sociétés d'économie mixte régionales ou d'habitat social avaient pour fonction la transformation de l'habitat et la création de locaux d'activité.

Les cellules de reclassement des personnels étaient chargées de solliciter les employeurs locaux et d'aider les projets d'essaimage, avec l'aide des cadres des entreprises en restructuration.

L' appui financier aux projets endogènes et exogènes était assuré par les sociétés de conversion . Celles-ci ont joué un rôle décisif, à la fois par leur capacité à engager, en complément ou à la place du secteur bancaire, des financements dans les entreprises en création, en extension ou en difficulté, et par l'implantation, dans chaque bassin touché, de chargés d'affaires. L'offre de fonds propres sans prise de garantie à des taux faibles s'est avérée être un facteur de localisation de projets pour des entreprises de toutes tailles. Le fonctionnement souple de ces sociétés de conversion a permis de soutenir des projets en amont de la création d'entreprises et présentant des risques élevés (matériaux composites, parcs de loisirs...), contreparties de la recherche de résultats rapides et importants.

Enfin, l'ensemble de ce dispositif était complété par les comités de bassin d'emplois , outils de concertation et de promotion économique intercommunale dont le démarrage était soutenu par l'Etat. Ces comités avaient pour objet d'associer les acteurs économiques locaux aux actions de reconversion et, par l'intermédiaire d'associations locales de développement, d'assurer des services de proximité comme l'accueil de créateurs d'entreprise, la gestion de pépinières et l'évaluation de projets.

b) Des mesures diversifiées adaptées aux enjeux

Ces outils ont été activés au travers de nombreuses mesures pratiques de soutien , destinées à accompagner les salariés, à améliorer l'urbanisme, à revivifier l'économie locale et à mobilier les acteurs locaux.

S'agissant de la main d'oeuvre , l'action publique a dégagé des moyens favorisant à la fois le traitement social , par des dispositifs de pré-retraite et de retour au pays des travailleurs étrangers, et le traitement économique , par la mise en place de nouvelles formations et l'institution de diverses aides à la reprise de l'emploi.

Mesures sociales

Cibles

Description

Mise en pré-retraite

Personnels des entreprises en restructurations

Dans la sidérurgie : à partir de 50 ans pour les ouvriers et agents de maîtrise, de 55 ans pour les cadres

Retour au pays

Personnels de nationalité étrangère (10 à 20 % du total)

Prime

Mesures pour l'emploi

Cibles

Description

Aide à la reprise d'emploi

Personnels des entreprises en restructurations

24 mois de salaires permettant la recherche d'un nouvel emploi

Création de cellule de reclassement

Création d'un lieu dédié aux formations et à la recherche d'emploi

Mise en place de nouvelles formations

Ensemble des actifs du bassin d'emplois

Création d'offres de formation

En ce qui concerne l' urbanisme , les mesures ont été très diversifiées pour répondre à l'ensemble des problématiques posées par les fermetures des sites industriels et leur revitalisation.

Mesures pour l'urbanisme

Cibles

Description

Acquisitions foncières

Emprises de l'usine

Achat en l'état et portage financier

Démolition ou réhabilitation de friches d'activités ou d'habitat

Emprises de l'usine

Financement

Dépollution de sites industriels

Emprises de l'usine

Financement, recherche de fonds européens

Construction de bâtiments relais

Entreprises locales ayant des projets d'extension

Maîtrise d'ouvrage publique

Rénovation des centres villes

Villes industrielles

Financement et maîtrise d'ouvrage ou maîtrise d'oeuvre pour la collectivité locale

La dynamique locale et la concertation des acteurs ont été soutenus pour garantir l'adhésion de l'ensemble des forces vives locales aux objectifs de revitalisation.

Mesures de mobilisation locale

Cibles

Description

Comité de bassin

Elus locaux, syndicalistes, commerçants

Réunions thématiques

Implantation de chargés de mission

Entreprises, commerçants

Un ou plusieurs chargés de mission sont présents localement en permanence

Coordination intercommunale

Elus locaux

Incitation aux actions intercommunales par la réalisation de manifestations, de documents, de projets aidés

Enfin, les mesures de soutien à l'économie locale ont visé à favoriser l'emploi en permettant la reconversion locale des acteurs par l'activation de leurs projets, en attirant de nouvelles activités sur les sites laissés vacants par la disparition des grands groupes, et en transférant de la région parisienne des administrations et services publics.

Mesures pour l'économie locale

Cibles

Description

Aide à l'essaimage

Personnels de l'entreprise

Conseil et prêts facilitant l'achat de fonds de commerce et l'installation

Aide à l'externalisation de services à l'industrie

Cadres de services externalisables (informatique, transport, maintenance, ...)

Cession avantageuse de matériels, contrats de services, conseil et prêts

Aide à la création d'entreprises

Tous actifs du bassin

Conseil, prêts sans garantie à faible taux (moins de 4 %) d'environ 8000 euros par emploi, et prises de participation

Ouverture de pépinière et d'atelier relais en location

Aide à la reprise d'entreprises

Tous actifs du bassin

Conseil et prêts, prises de participation

Aide à la diversification des sous-traitants

Sous-traitants

Conseil en diversification de produits et services, financement de recherche et de développement

Aide à l'implantation d'entreprise exogène

Projets internationaux, nationaux et locaux

Prospection, puis ingénierie visant à cumuler les différentes aides publiques

Délocalisation d'administrations et de services publics

Services situés en région parisienne

Aménagement du site d'accueil et participation au financement

c) Des dotations budgétaires globales importantes

Le bilan financier par bassin ou par secteur est difficile à établir par manque de consolidation entre les sources de financements : entreprises publiques, crédits déconcentrés de l'Etat, crédits nationaux de l'Etat, organismes sociaux, collectivités locales, fonds structurels européens... M. Francis Mer, alors président de Sacilor, évaluait en 1995 le coût de la restructuration de la sidérurgie française à 15 milliards d'euros.

Les principaux postes de dépenses inhérents aux reconversions industrielles sont les mises en pré-retraite, les primes de départ ou d'incitation au reclassement, le manque à gagner fiscal ou des remboursements de charges sociales, les travaux d'infrastructures, les aides et prêts aux entreprises et les délocalisations d'emplois publics.

Le cabinet Formules Economiques Locales , auquel a été confié par votre commission une étude sur les problématiques locales des délocalisations d'industries manufacturières, estime ainsi le coût des mesures-types sur un bassin affecté par la perte de 1.000 emplois. Le salaire moyen retenu est de 20.000 euros par an, le nombre des pré-retraités de 200, celui des personnes reclassées de 500 et celui des emplois nouveaux exonérés de charges sociales de 300 :

Mesures

Coût unitaire en K €

Coût total en M €

Mise en pré-retraite de 200 salariés de 55 ans

100

20,0

Prime au reclassement plafonné à 24 mois de 500 salariés

40

20,0

Exonération de charges sociales patronales de 300 emplois nouveaux pendant trois ans

6

1,8

Total

41,8

Il est aussi possible d'esquisser le budget type d'une opération de reconversion menée sur trois ans et visant à recréer 1.000 emplois sur 50 hectares avec une aide remboursable de 8.000 euros par emploi et une aide de 20 % à l'investissement privé :

Volets du plan de reconversion

Budget en M €

Coût public en M €

Acquisition, démolition, dépollution, reverdissement, aménagement d'une zone de 50 hectares

20

20

20 % d'aides à l'immobilier sur 100.000 m²

100

20

20 % d'aides à l'investissement

100

20

Prêts sans garantie (8.000 euros par emploi)

8

8

Coût de gestion sur trois ans

3

3

Total

231

71

Ce budget type ne comprend toutefois pas les coûts d'aménagements routiers, de logements et de réhabilitation urbaine, qui sont spécifiques à chaque bassin. De même ne fait-il pas apparaître les mesures fiscales ou sociales exceptionnelles qui ont été parfois mises en oeuvre pour éviter une dépression économique localisée à l'occasion de très importantes opérations de restructurations industrielles :

Mesures

Sites

Description

Pôles de conversion - 1984

Bassins sidérurgiques et miniers du Nord et de la Lorraine

Remboursement d'un tiers des charges patronales sur trois ans

Zones d'entreprises - 1988

Chantiers navals de La Seyne, de La Ciotat et de Dunkerque

Exonération d'impôt sur les sociétés pendant dix ans.

Par ailleurs, la DATAR s'est efforcée d'orienter les projets internationaux à la recherche d'une implantation européenne vers les bassins prioritaires touchés, notamment par l'attribution aux entreprises qui s'installaient d'une prime d'aménagement du territoire (PAT) pouvant atteindre jusqu'à 37,5 % de l'investissement.

L'ensemble de ces mesures fait bien apparaître la lourdeur des moyens logistiques mis en oeuvre à l'occasion des grandes restructurations industrielles, ainsi que l' importance des apports budgétaires consentis par l'Etat .

2. Les actions de reconversion ont été temporairement efficaces

L'analyse de l'évolution des différents bassins d'emploi touchés par des restructurations industrielles ayant suscité dans les années quatre-vingt un soutien public conduit à considérer que celui-ci a été efficace, au moins temporairement.

a) Une revitalisation réussie

Plusieurs exemples d'opérations structurantes importantes, soutenues par des financements publics directs (Etat et collectivités territoriales) ou indirects (les entreprises publiques elles-mêmes), peuvent témoigner de la bonne adéquation des outils mis en oeuvre aux difficultés qu'ils devaient contribuer à résoudre , et de leurs effets positifs à moyen terme .

Ainsi, Charbonnages de France (CdF) a créé dès 1967 Sofirem, société de reconversion chargée de conduire la réindustrialisation des bassins miniers. Mais c'est en 1984 qu'a été mis en place le Fonds d'industrialisation des bassins miniers (FIBM), géré par CdF et chargé de financer, sur fonds publics, les actions collectives permettant d'améliorer l'environnement des entreprises : aménagement des offres foncières et immobilières, formation, soutien à la création d'entreprises, etc. Sofirem revendique depuis sa création la mobilisation de 980 millions d'euros d'aides directes aux entreprises pour la création de 114.000 emplois dans les bassins miniers, complétés par 429 millions d'euros d'aides financières (183 dans le Nord-Pas-de-Calais, 96 en Lorraine et 150 dans le Centre-Midi). En outre, Finorpa, société de reconversion également créée par CdF spécifiquement pour le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, indique avoir engagé depuis 1984, date de sa création, 604 millions d'euros dans 2.840 projets ayant permis la création de 83.751 emplois.

De son côté, la société Sodie revendique la création d'environ 16.000 emplois dans les bassins sidérurgiques durant la décennie 1990. Le montant des aides accordées aux entreprises serait supérieur à 250 millions d'euros, selon l'enquête réalisée en 2001 par la Cour des Comptes, à la demande du Sénat, sur les actions de développement, de reconversion et de restructuration industrielle du secrétariat d'Etat à l'industrie depuis 1995.

Enfin, dernier exemple, les 6.000 emplois perdus dans les Chantiers Navals de La Seyne et de la Ciotat ont tous été finalement compensés par des créations. La base de taxe professionnelle des communes a retrouvé son niveau antérieur après quatre ans. Toutefois, le dispositif d'exonération d'impôt sur les sociétés a eu un effet temporeaire: si la création de locaux immobiliers est passée de 4.700 m² en 1986 à 108.000 m² en 1989, elle est ensuite retombée à 5.000 m² en 1995. Cette évolution démontre que l'offre fiscale n'est durablement attractive que pour autant qu'elle s'accompagne d'une dynamique industrielle locale.

b) Des conséquences socio-économiques structurelles

Un exemple peut servir de révélateur des mutations socio-économiques résultant d'une transformation du tissu industriel à l'issue de crises importantes affectant de grosses structures : la ré-industrialisation de la Lorraine. La région est passée d'une économie dominée par les industries sidérurgique et minière à capitaux publics à une industrie privée et diversifiée.

La part des emplois industriels dans la région a diminué de quatre points mais demeure supérieure de quatre points à la moyenne nationale, tandis que le taux de chômage régional est resté dans la moyenne nationale. Les secteurs des équipements et de la construction automobiles ont été renforcés, tout comme ceux de la plasturgie et de l'électronique.

Selon la note des services de M. Jean-Pierre Masseret, Président du Conseil régional de la Lorraine, la réorganisation industrielle issue de la restructuration passée fait toujours apparaître comme premier secteur industriel lorrain la filière des métaux (métallurgie et transformation : 32.700 salariés ; biens d'équipement mécaniques : 15.400 salariés), qui s'est recentrée sur son coeur de métier en dépit de fragilités persistantes sur l'axe Longwy. Quant à l'industrie automobile (17.800 salariés), second secteur d'investissement en Lorraine, le dynamisme des grands constructeurs ( PSA , Renault et MCC ) et des grands équipementiers de premier rang ( Delphi , Faurecia ou Michelin ) ne saurait masquer les risques pour la filière des sous-traitants de second rang. La reconversion de ce bassin s'est également orientée vers le renforcement d'activités à plus haute valeur ajoutée, telles la filière de la plasturgie (12.800 salariés) avec l'intégration de nouveaux matériaux, la filière bois (12.100 salariés) particulièrement innovante, et la filière électrique et électronique, spécialisée dans les domaines de l'armement et de l'aéronautique.

La reconversion industrielle de la Lorraine a ainsi donné naissance à un tissu recomposé plus diversifié, qui permet de constituer un socle de développement malgré sa sensibilité à la récession économique Outre-Rhin et à la situation internationale dégradée, et malgré aussi la moindre efficacité du travail transfrontalier à jouer son rôle d'amortisseur social des difficultés des bassins d'emplois tels que ceux de Longwy, des Vosges et de la Meuse. Dès lors, même si, au vu d'un bilan du Conseil régional établi sur les deux dernières années, 6.000 emplois ont été ou allaient être prochainement supprimés (sans lien, dans la majorité des cas, avec un projet de délocalisations), cette destruction d'emplois devrait, selon M. Jean-Pierre Masseret, compensée par la création de 8.905 emplois annoncée dans le cadre de projets de développement d'entreprises.

Les secteurs des équipements et de la construction automobiles ont été renforcés. La part des emplois industriels dans la région a diminué de quatre points mais demeure supérieure de quatre points à la moyenne nationale, tandis que le taux de chômage régional est resté dans la moyenne nationale.

Dans ces circonstances, des ajustements indirects « spontanés » s'ajoutent aux effets directs de la reconversion :

- les reprises d'emplois à l'extérieur du bassin étant inévitables, il en résulte un développement des migrations alternantes ; ainsi, le travail transfrontalier s'est développé entre la Lorraine et le Luxembourg ;

- dans la perspective d'une baisse des recettes fiscales, les collectivités locales sont plus attentives à l'efficience de l'action publique locale ; ainsi, l'agglomération de Longwy a préparé l'intercommunalité fiscale dès 1992 ;

- la baisse du pouvoir d'achat produit une mutation du commerce au profit des distributeurs hard discount et au détriment des grands magasins et supermarchés ;

- l'immobilier des bassins touchés connaissant une baisse des prix résultant du départ de populations et des incertitudes économiques, les zones situées à proximité de grandes agglomérations deviennent accessibles pour des résidences principales ou secondaires ; ainsi, les villages ruraux proches de Longwy ont attiré des Luxembourgeois et des Belges ;

- de même, la disponibilité de terrains et de locaux professionnels à faible prix rendant économiquement rentable l'installation d'activités à faible valeur ajoutée et consommatrices d'espaces, des entreprises spécialisées dans la chimie, le recyclage, le stockage, etc. sont attirées par des offres foncières et immobilières peu coûteuses et à l'écart des grands axes ; c'est aussi le cas de certains grands équipements publics, tels le traitement des déchets ou les maisons d'arrêts, qui recherchent des implantations foncières isolées mais cependant situées en périphérie d'agglomération.

A moyen terme, chaque bassin touché retrouve un équilibre grâce à la combinaison de trois facteurs :

Impact local des mesures de reconversion

Exemples

Implantations exogènes

Parc de loisirs à Hagondange, INRS à Neuves-Maisons, Daewoo, International Paper et Clarion à Pompey, Allied Signals à Longwy

Intégration métropolitaine

Longwy-Luxembourg, Pompey-Nancy, Thionville-Metz

Développement endogène

Commerces, services publics et privés

c) Le rôle des investissements internationaux

Dans les années quatre-vingt, la contribution des investissements internationaux, suscitée en particulier par la DATAR, a été décisive pour réindustrialiser. Des usines nouvelles conçues à l'échelle du marché européen par des groupes internationaux, notamment dans les filières des produits de consommation (hygiène) ou des biens intermédiaires (composants électroniques), ont cherché à se localiser au mieux en occupant les sites des établissements nationaux devenus obsolètes. L'Union européenne bénéficiait d'une vague de projets asiatiques comme ceux de Daewoo ou de Clarion dans des secteurs connaissant des limitations aux importations, mais l'attrait des politiques incitatives d'accueil engagées, la qualité des réseaux d'infrastructures et la mise à disposition d'emprises foncières importantes, ont également forcé la décision de groupes européens. Enfin, les départements frontaliers comme le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle ont pu attirer des projets allemands en valorisant les caractéristiques de leur main d'oeuvre : efficacité professionnelle, modération salariale, proximité et bilinguisme.

Ainsi, comme le rappelle à titre d'exemple le tableau suivant, l'implantation de grandes entreprises internationales a amorcé et crédibilisé la reconversion des bassins concernés, qui se trouvaient en compétition avec d'autres sites d'Irlande, du Mezzogiorno italien et d'Espagne pour d'importants projets d'investissements internationaux mobiles :

Bassins en reconversion

Principale entreprise industrielle

Longwy

Allied Signals

Pompey

Clarion

Neuves-Maisons

Adidas

La Ciotat

Gemplus

La Seyne

Coca-Cola

Briey

Sovab Renault

Fameck

Thyssen Krupp

On relèvera, s'agissant de ce dernier projet, que l'implantation de l'équipementier automobile Thyssen Krupp dans les anciens bâtiments de Daewoo a, selon notre collègue M. Jean-Pierre Masseret, non seulement réduit le risque de délocalisation du site dans la partie orientale de l'Allemagne, mais aussi permis la création de 350 emplois supplémentaires (sur les 1.008 emplois nouveaux créés dans la région grâce aux investissements étrangers, principalement dans la logistique et dans la sous-traitance automobile).

D'une manière générale, le poids des investissements et des effectifs d'entreprises à capitaux étrangers s'est accru depuis 1987 en France . Tandis que l'emploi industriel total dans les entreprises de plus de 20 salariés diminuait de 724.000 entre 1987 et 2000, l'effectif employé dans les entreprises à capitaux étrangers s'accroissait de 100.000, passant de 713.000 à 813.000. Quand à la proportion des effectifs de ces entreprises dans l'emploi total, il progressait sur la période de près de 10 points, témoignant ainsi de la contribution des investissements étrangers à l'animation du marché du travail.

Cette politique d'accueil de ces investissements a été bénéfique pour la plupart des régions françaises , à l'exception de l'Ile-de-France et de la Corse, ainsi que, dans une moindre mesure, de l'Auvergne, de PACA et de la Franche-Comté, comme en témoigne le tableau de la page suivante (la première série concerne les effectifs des entreprises à capitaux étrangers et leur variation en nombre absolu et en pourcentage , la seconde série indique la proportion de l'emploi total régional constituée par les salariés des entreprises à capitaux étrangers et leur évolution en points de pourcentage sur la période ).

La région Alsace a particulièrement bénéficié des investissements directs étrangers et son modèle de développement exogène, fondé sur leur attraction, a très bien fonctionné jusqu'à présent. Plus petite région de France en superficie et ne représentant que 2,9 % de la population nationale, elle occupe le deuxième rang, après l'Île-de-France, quant à la valeur du ratio PIB/emploi. Son économie ouverte sur l'international, grâce à sa proximité de l'Allemagne et de la Suisse, l'a propulsée au rang des principales plate-formes d'accès aux marchés européens. D'après les renseignements fournis à votre groupe de travail par le Conseil régional, les plus importants investisseurs étrangers en Alsace sont

Evolution des effectifs dans les entreprises à capitaux étrangers par région

Région

1987

2000

?

? %

1987

2000

?

Alsace

50.000

58.000

+8.000

+13,8 %

36,9 %

46,9 %

+10 pts

Aquitaine

19.000

28.000

+9.000

+47,4 %

18,7 %

32,7 %

+14 pts

Auvergne

15.000

13.100

-1.900

-12,7 %

18,8 %

19,0 %

+0,2 pt

Basse-Normandie

9.000

19.100

+9.100

+101,1 %

11,9 %

29,2 %

+17,3 pts

Bourgogne

26.000

31.200

+5.200

+20,0 %

23,6 %

33,8 %

+10,2 pts

Bretagne

8.000

20.500

+11.500

+143,8 %

9,8 %

22,1 %

+12,3 pts

Centre

49.000

54.600

+5.600

+11,4 %

29,3 %

38,2 %

+8,9 pts

Champagne-Ardenne

25.000

28.300

+3.800

+15,2 %

25,3 %

35,4 %

+10,1 pts

Corse

< 1.000

< 1.000

NS

NS

9,0 %

8,2 %

-0,8 pt

Franche-Comté

17.000

17.400

+400

+2,4 %

15,0 %

18,8 %

+3,8 pts

Haute-Normandie

35.000

36.700

+1.700

+4,9 %

25,0 %

34,0 %

+9,0 pts

Île-de-France

172.000

119.400

-52.600

-30,6 %

23,4 %

29,0 %

+5,6 pts

Languedoc-Roussillon

7.000

8.800

+1.800

+25,7 %

15,7 %

28,0 %

+12,3 pts

Limousin

5.000

7.000

+2.000

+40,0 %

13,4 %

23,9 %

+10,5 pts

Lorraine

43.000

45.200

+2.200

+5,1 %

27,1 %

36,3 %

+9,2 pts

Midi-Pyrénées

13.000

30.300

+17.300

+133,1 %

13,2 %

34,8 %

+21,6 pts

Nord-Pas-de-Calais

43.000

53.500

+10.500

+24,4 %

15,7 %

27,1 %

+11,4 pts

Pays de la Loire

27.000

50.800

+3.800

+14,1 %

13,9 %

27,8 %

+13,9 pts

Picardie

42.000

45.500

+3.500

+8,3 %

31,4 %

40,2 %

+8,8 pts

Poitou-Charentes

11.000

18.900

+7.900

+71,8 %

14,8 %

27,7 %

+12,9 pts

Provence Côte d'Azur

28.000

27.000

-1.000

-3,6 %

25,7 %

33,0 %

+7,3 pts

Rhône-Alpes

74.000

99.900

+25.900

+35,0 %

18,7 %

29,0 %

+10,3 pts

Ensemble

718.000

813.300

+93.300

+13,0 %

21,4 %

31,0 %

+9,6 pts

NS : non significatif Source : SESSI

l'Allemagne (52 %), la Suisse (17 %), les États-Unis et le Canada (8 %). Dans sa réponse au questionnaire adressé aux régions, M. Adrien Zeller, Président du Conseil régional d'Alsace, estime que cette politique porte ses fruits : 51 % des responsables de PME et 28 % des dirigeants de grandes entreprises étrangères souhaiteraient maintenir et développer leurs investissements en Alsace, à l'instar des laboratoires américains Lilly qui devraient procéder prochainement à 100 recrutements à Fegersheil pour le lancement de nouvelles molécules. A l'inverse, seulement 8 % des dirigeants d'entreprises étrangères de moins de 150 salariés et 15 % des patrons de sociétés plus importantes envisageraient une réduction de leur présence en Alsace, au profit de l'Europe de l'Est et de l'Asie du Sud-Est. Ces informations corroborent celles d'une récente enquête réalisée par la Direction régionale de la Banque de France, qui conclut à un faible risque de délocalisations massives dans cette région dans les prochaines années.

B. PLUSIEURS FACTEURS REMETTENT AUJOURD'HUI EN CAUSE L'EFFICACITÉ DE CES DISPOSITIFS CONÇUS POUR FAIRE FACE AUX EFFETS LOCAUX DES GRANDES RESTRUCTURATIONS INDUSTRIELLES

Si les outils publics ont utilement accompagné les restructurations passées, les caractéristiques nouvelles des mutations industrielles les rendent aujourd'hui moins efficaces. Ils paraissent inadaptés à la multiplication des crises locales affectant de nombreux bassins d'emplois, plus réduits et n'offrant guère de perspectives endogènes de développement. De plus, leur institutionnalisation et leur banalisation ne sont pas sans créer quelques effets pervers.

1. Des problématiques nouvelles

La dissémination des crises en de nombreux points du territoire, la multiplicité des entreprises et des secteurs concernés, et la répétition des difficultés affectent la pertinence des politiques publiques mises en oeuvre.

a) La multiplication des bassins d'emplois « isolés » touchés

Dans les bassins d'emplois ruraux et isolés de régions peu industrielles, les coûts fonciers et salariaux bas, qui constituaient jusqu'à présent autant d'avantages permettant aux entreprises de conserver une compétitivité face à la concurrence internationale, ne suffisent plus à retenir les industries. L'isolement se transforme en handicap par rapport à la localisation en « grappes d'entreprises » . Si les difficultés industrielles ne touchent guère d'emplois - les pertes dépassent rarement 500 personnes -, les possibilités de reclassement endogène et de développement exogène sont cependant limitées, voire nulles : aucune structure locale n'est en mesure d'absorber le choc des reclassements, et les investisseurs extérieurs considèrent ne pas disposer d'un socle local d'activités suffisamment performant pour s'installer. Multiples et diffuses , ces mutations ne sont d'ailleurs guère visibles hors l'environnement immédiat , à l'exception des plus grandes, telles que, par exemples, les difficultés rencontrées par les entreprises Myris ou Hello .

La fermeture du site Myris de Limoux en 2000 aura supprimé 500 emplois sur moins de 7.000 emplois industriels du bassin de Carcassonne. 95 emplois auraient été localisés sur le site en 2002. Le plan social se caractérisait par une prime de 13.720 euros et vingt mois de congé conversion accordés aux 240 salariés restant. Toutefois, en 2002, seule une dizaine de personnes inscrites à la cellule de reclassement gérée par la Sodie avait trouvé un emploi à durée indéterminée. Sur l'unité urbaine de Limoux de 10.219 habitants, 46 entreprises seulement comptent plus de 10 salariés.

Le site Hello , ex- Bata , à Moussey, en Moselle, qui employait 800 personnes avant 2001, est à nouveau en difficulté en 2004, alors que l'entreprise compte aujourd'hui moins de 300 salariés. Lors de la fermeture de l'usine Bata fin 2001, 526 ouvriers avaient été licenciés. Le cabinet Altedia était chargé de reclasser 435 salariés ne bénéficiant pas de mesures d'âge. Sur ce nombre, 349 ont été pris en charge par la cellule de reclassement. Moins d'une centaine avaient un emploi à contrat à durée indéterminée en août 2003. L'agence de développement de la Moselle s'efforce depuis 2001 de placer la partie libre du site, qui totalise 60.000 m².

Ce type de bassins, ne disposant pas d'un tissu industriel dense et homogène et n'abritant que quelques entreprises isolées, ne peut ainsi être traité comme des agglomérations industrielles. La mise en oeuvre d'une logistique de soutien public efficace nécessite en effet des investissements de plate-forme de reconversion que l'Etat ne peut engager à si petite échelle .

b) Le car actère successif des pertes d'emplois dans les mêmes bassins

Les petits bassins industriels manufacturiers présentant un tissu industriel très exposé dans les secteurs du textile, de la chaudronnerie, de l'équipement automobile, de la fonderie, ou des matériels électriques et électroniques, connaissent souvent une succession de fermetures d'usines dans des secteurs différents.

Par exemple, après la fermeture de Michelin-Wolber à Soissons en 2000, le bassin a subi les deux années suivantes la restructuration d'une cartonnerie et d'une chaudronnerie. Belfort a cumulé sur trois ans les restructurations d' Alstom et d'entreprises textiles. Arnes connaît en 2004 la fermeture du site Esso puis d'un équipementier automobile.

Le plus souvent, les mesures d'aides visent uniquement à compenser le sinistre enregistré. Or, les diagnostics réalisés révèlent la fragilité des autres entreprises, comme l'ont révélé les analyses faites par exemple à Soisson et à Belfort. Les mesures ponctuelles s'avèrent alors incomplètes si elles ne s'intègrent pas dans une stratégie de bassin , car les déchirures du tissu industriel local s'étendent plus vite que les reprises.

2. La moindre efficacité des politiques de soutien public

Ces évolutions réduisent ainsi l'efficacité des outils et leur bonne adaptation aux problématiques locales. Mais la concurrence des territoires et des organismes de soutien affecte aussi la pertinence des solutions proposées, de même que l'impossibilité de s'adosser aux grandes entreprises publiques.

a) La banalisation et le manque de pertinence des offres de conversion

Compte tenu de la multiplication des bassins industriels en crise et de leur caractère diffus, l'Etat ne crée plus de dispositifs fiscaux ou sociaux d'exception. Dès lors, la concurrence entre les sociétés de conversion d'une part, et entre les collectivités locales d'autre part, rend difficile la distinction des bassins d'emplois prioritaires . La différenciation entre les territoires en reconversion et les territoires de droit commun se réduit. L'effort de solidarité nationale au profit d'un territoire disparaît, avec pour effet une moindre attractivité des projets mobiles dans les territoires les plus en difficulté .

De plus, la multiplication des projets et leur mise en concurrence aboutit paradoxalement à une banalisation des prestations . En effet, bien des mesures proposées manquent de pertinence au regard des conditions objectives de développement du site. Ainsi, par exemple, l'appui à la réalisation de nouvelles zones logistiques ou industrielles apparaît systématiquement parmi les mesures de reconversion, au détriment d'une réflexion plus orientée vers de nouvelles activités, notamment tertiaires.

Les bassins industriels de Picardie et Champagne-Ardenne, comme Givet, Charleville-Mézières, Soissons, Laon, Troyes, Saint-Dizier, ont été récemment affectés par des pertes d'emploi et ne disposent pas de zones d'activités. Toutefois la programmation de plusieurs centaines d'hectares de nouvelles zones s'ajoutant à des projets locaux (Vatry, Amiens) déjà engagés et souvent mieux conçus, n'est pas fondée sur des prévisions d'une demande économique effective.

Dès lors, le risque existe d'une offre pléthorique de zones dont les coûts de réalisation auront absorbé une part essentielle de l'effort de reconversion, ce qui, à la fois, réduit les moyens permettant un repositionnement de ces bassins dans des activités à plus forte valeur ajoutée et empêche une saine différenciation des sites. Le directeur de CAP Développement, agence de développement du département de l'Aisne, souligne à cet égard que « les élus et les populations acceptent de financer des zones et la prospection aléatoire de projets industriels et logistiques mais ne sont pas prêts à entendre que la mutation vers les services serait plus porteuse » .

b) La transformation du rôle des sociétés de reconversion

La multiplication des défaillances industrielles a mué la reconversion industrielle en marché . Les sociétés de conversion des grands groupes, telles que Sodie, Sofirem, Geris, Sofred, entrent en concurrence entre elles ou avec d'autres sociétés privées pour réaliser des prestations commerciales , proposant leurs services aux entreprises et aux collectivités. Par exemple, l'accompagnement au reclassement d'un licenciement de 200 personnes représente un contrat de 300.000 euros, tandis que la délégation d'une équipe de deux personnes pendant trois ans sur un site génère un chiffre d'affaires d'un million d'euros.

Ainsi, les sociétés de conversion poursuivent un but privé qui est antinomique de celui de conseil désintéressé de la puissance publique . L'Etat n'étant plus la tutelle mais un client, le fournisseur tire un avantage de l'asymétrie des informations, laquelle ne permet pas à l'Etat de mesurer le potentiel de réindustrialisation, d'évaluer le coût de revient des prestations proposées, de contrôler la fiabilité des informations sur le nombre d'emplois créés ou sauvés. On peut ainsi relever qu'à l'occasion de son contrôle de la Sodie, la Cour des Comptes avait souligné qu'aucun détail n'avait été fourni sur le calcul des sommes issues du remboursement des prêts aux entreprises réalisés les années antérieures avec les crédits d'Etat.

La remise en cause du dispositif des sociétés de reconversion est aujourd'hui le fait d'acteurs locaux qualifiés dont les territoires sont soit très touchés par des pertes d'emplois industriels, soit concernés par les crises sectorielles du textile ou de la mécanique, soit encore visés par des démarches de délocalisation à l'intérieur du territoire national. Les propos suivants ont été exprimés en 2004 dans Inter-Régions , le mensuel de la Fédération des agences de développement :

« On constate aujourd'hui une forte évolution en matière d'outils professionnels de la reconversion des territoires. Le système reposait sur des sociétés de conversion qui géraient des fonds publics leur permettant un accès direct au marché, avec des pratiques pas toujours efficaces ni forcément les plus partenariales. Avec, par contre, une légitimité venant en fait de leurs crédits d'Etat. Les sociétés de conversion promettaient aux entreprises des prêts à des taux plus ou moins intéressants. Elles finissaient par gérer un stock d'entreprises sur lesquelles travaillait ensuite l'agence de développement, affichant ensuite vis-à-vis des élus des résultats en terme d'emplois quelque peu usurpés » . Jean-Philippe Hanff, directeur de l'agence de développement Midi-Pyrénées.

« Certaines opérations sont parfois "parachutées" avec des effets d'annonce et cela fait du mal à long terme. Quand le CIALA annonce des sommes énormes, des emplois en quantité, et que le ministre concerné accompagné par la société de conversion vient l'expliquer dans des réunions devant trois cents personnes, il est difficile ensuite de rester crédible. Il est regrettable que les spécialistes régionaux, départementaux ou locaux ne soient pas réunis au préalable en comité restreint. Par ailleurs, certaines missions sont financées par des budgets qui passent par des procédures de contrôle européennes très dissuasives. Nous nous retrouvons face à des contrôleurs qui ne connaissent ni les agences, ni leur métier, et qui sont surpris de constater que nous ne sommes pas équipés pour effectuer ces contrôles. Les agences de développement ne sont pas chargées de mettre en place des procédures administratives. Enfin, nous butons sur la longueur des procédures. Actuellement, il faut cinq ans pour faire une zone industrielle. On ne peut pas dire qu'un tel fonctionnement réponde à une nécessité de reconversion » . Gérard Morange, directeur de l'agence de l'Aisne Cap Développement.

« Il y a actuellement quatre ou cinq sociétés de reconversion sur le département, en train de proposer des emplois aux mêmes sociétés du département. Cela montre une incohérence et un certain désordre. En fait, ces sociétés restent six mois, elles tranquillisent l'entreprise, elles ont été bien payées et au bout du compte, elles s'en vont, ce que les syndicats apprécient peu » . Jean-Luc Ansel, directeur du CODEL, agence de développement de l'Eure-et-Loir.

c) La non coopération des entreprises privées

A l'exception de l'industrie de l'armement, les crises locales depuis une quinzaine d'années sont majoritairement le fait d'entreprises privées, telles Michelin , Perrier , Hoover , Seb , Moulinex , Danone , etc. La bonne volonté à agir en reconversion est dès lors plus rare que dans le passé. En outre, dans les cas de liquidations comme Métaleurop , Grunding ou Myris , ou bien de délocalisations brutales d'entreprises telles que Hoover , Flodor ou Flextronix , l'Etat et les collectivités territoriales sont privés du support des cadres de l'entreprise pour la bonne fin des actions de reclassement et de revitalisation du territoire. On observe en effet que l'implication des prestataires privés est très inférieure à celle dont font preuve les cadres de l'entreprise en restructuration, qui connaissent de longue date les personnels à reclasser et les entreprises locales.

Les symptômes cumulés d'une reconversion inopérante : le bassin d'emploi de Soissons

Pour le cabinet Formules Economiques Locales , auteur de l'étude qui suit (104 ( * )), la difficile reconversion du bassin de Soissons témoigne des carences du mode actuel d'appui public à la revitalisation territoriale.

Présentation générale

En 1999, la société Wolber , qui comptait 450 emplois, est mise en liquidation. L'entreprise, presque centenaire, produisait à Soissons des pneus et des chambres à air pour bicyclettes, mais était confrontée à un marché très concurrentiel puisqu'en 2000, 97 % des chambres à air utilisées en Europe étaient importées d'Extrême-Orient. Après un premier dépôt de bilan, Wolber avait été rachetée par le groupe Michelin quelques années auparavant. Un contrat exclusif assurait un débouché à toute la production locale mais limitait aussi à 1 % la marge de la société reprise. La liquidation de l'entreprise a achevé le processus de délocalisation totale de France de cette production.

Problématiques locales

Le soissonnais présente les caractéristiques d'un bassin industriel dont la capacité à surmonter par lui-même une mutation industrielle est faible. Selon le SESSI, les emplois dans l'industrie étaient au nombre de 7.919 en 1993 et de 5.836 en 2000. Le soissonnais a vécu jusqu'en 1999 dans une bulle industrielle anachronique. Alors que Chartres, Orléans, Compiègne, Dreux ou Rouen connaissaient des implantations d'activités tertiaires et de populations travaillant en Ile-de-France, le bassin de Soissons vivait sans mener les mutations économiques et urbaines des agglomérations comparables situées à une heure de Paris. Moins de 3 % des actifs travaillaient à l'extérieur du bassin, l'industrie demeurait manufacturière, le tertiaire se limitait aux commerces et aux services d'une sous-préfecture.

Les fermetures de sites industriels en ville et d'une caserne en centre ville rendaient pourtant nécessaire un nouveau schéma d'urbanisme et de localisation des activités économiques. Mais la réticence des élus ruraux, souvent agriculteurs, à affecter des terres agricoles à des zones d'accueil d'entreprises, et l'absence d'intérêt fiscal de Soissons à aménager des zones d'activités sur des communes voisines, expliquent l'absence de politique foncière. En outre, une rivalité entre communes du plateau et communes de la vallée de l'Aisne a rendu impossible un consensus sur la localisation d'un projet dans l'agglomération.

En 1999, Soissons détenait le record national des emplois industriels perdus dans un bassin. Entre 1999 et 2003, six entreprises industrielles représentant 1.083 salariés ont été liquidées. 18,5 % des emplois du bassin ont ainsi été supprimés, et plus de 20 % de la base de taxe professionnelle a disparu. Ces événements ont des causes structurelles :

- les usines sont toujours dans le tissu urbain et ne peuvent s'étendre ;

- les accès routiers et ferroviaires à l'Ile-de-France, ou vers Compiègne, sont médiocres ;

- les principales activités industrielles traditionnelles (pneumatiques, production de chips, cartonnerie, chaudronnerie, sucreries à partir de betteraves) appartiennent à des secteurs en situation de réduction du nombre de sites, à la faveur de fusions entre entreprises à l'échelle européenne ;

- le bassin manque totalement d'industries innovantes et d'activités tertiaires ;

- l'agriculture céréalière intensive domine le territoire ;

- l'intercommunalité est faible, de nombreuses communes rurales comptant moins de 100 habitants.

- en outre, au plan social, Soissons connaît des difficultés d'intégration dans un quartier.

Actions mises en oeuvre

La fermeture de Wolber par le groupe Michelin a provoqué une mobilisation locale et nationale des personnels et de leurs représentants syndicaux et des élus locaux. Anticipant ces difficultés, le Préfet de l'Aisne a orchestré, à partir de septembre 1999, l'élaboration d'un projet de reconversion du soissonnais dans le cadre du CODES (Comité de déploiement économique du soissonnais). Cette démarche partenariale réunissait plus d'une centaine d'acteurs locaux publics et privés autour de cinq thèmes clé : offre foncière et immobilière, reconversion et dynamisation économique, services aux entreprises, développement touristique, nouvelles technologies de l'information. L'objectif était de réaliser un diagnostic partagé des difficultés structurelles du soissonnais et de définir les axes de

diversification de l'économie locale. Le CODES a ainsi permis d'établir un consensus sur le besoin d'une offre foncière et immobilière (aménagement d'une zone d'activités, construction de bâtiments en blanc, valorisation des friches industrielles), la pertinence d'une diversification dans les activités tertiaires et le tourisme, la nécessité de conforter les entreprises locales, et l'opportunité d'attirer de nouveaux résidents sensibles à l'attractivité des prix du foncier, qui restent raisonnable à Soissons (l'élargissement à deux fois deux voies de la RN2 entre Roissy et Soissons est en cours de réalisation).

Ce travail a abouti en février 2000 à la définition d'un objectif de création de 2.000 emplois en quatre ans : 500 par l'action de reconversion de Michelin, 500 dans le domaine des services en centre ville, 500 sur les nouvelles ZAC, notamment logistiques et industrielles, 500 dans tous les autres secteurs géographiques du bassin. Le plan de redéploiement comportait 30 fiches-programmes, approuvées par les collectivités locales, transmises à la DATAR par la préfecture avec l'appui du commissaire à l'industrialisation de Picardie-Champagne-Ardennes. Ce plan représentait une mobilisation financière de 56,3 millions d'euros, dont 19 millions d'aides à la reconversion demandées à l'Etat.

En décembre 2000, le CIAT a arrêté un ensemble de mesures portant au total sur 84 millions d'euros d'engagements de l'Etat et de crédits européens :

- accueillir de nouvelles entreprises en mettant à leur disposition un offre foncière et immobilière suffisante, adaptée et de qualité : création du projet de la ZAC du Plateau ; aménagement d'un ensemble de zones d'activité destiné aux PME-PMI ; résorption et remise sur le marché de friches industrielles.

- diversifier les composantes de l'activité économique locale : création d'un pôle tertiaire sur le site de l'ex-caserne Gouraud ; mise en place d'une pépinière d'entreprises tertiaires et d'un centre de ressources sur les logiciels libres ; amplification des actions de prospection des entreprises et des aides aux PME.

- optimiser les formations de reclassement et les formations qualifiantes, en particulier par l'ouverture d'ici 2003 de plusieurs nouvelles sections de techniciens supérieurs et d'une plate-forme technologique à Soissons.

- valoriser les atouts du bassin par des actions de promotion menées par la DATAR pour renforcer sa présence sur le sud du département, et par l'amélioration des conditions de transport entre Soissons et le pôle tertiaire de Roissy.

Résultats obtenus

La DATAR tient confidentiel le contenu détaillé du CIAT 2000 et les données de suivi de sa mise en oeuvre. Par entretiens avec des acteurs locaux, il a été possible de constater les faits suivants :

En 2004, quatre ans après l'annonce de la fermeture de Michelin-Wolber , les outils de revitalisation territoriale et de réindustrialisation ne sont pas opérants et expliquent une absence de résultat :

- la nouvelle offre foncière et immobilière n'est toujours pas disponible : l'ouverture d'un bâtiment, pépinière-hôtel d'entreprises, de 3.000 m², est régulièrement repoussée depuis 2001, et la première tranche d'une nouvelle zone d'activités n'est toujours pas en état de recevoir une entreprise ;

- le Technopole de Soissons a été officiellement créée en 2003, après deux ans d'hésitations. Il est chargée de commercialiser des locaux indisponibles. Son budget de fonctionnement pour l'année 2004 n'est pas entièrement assuré. La thématique du logiciel libre a été disjointe du Technopole, qui se trouve dès lors démuni de contenu ;

- la prospection d'entreprises est assurée de façon épisodique et sans coordination entre les acteurs ;

- d'après l'un des cabinets chargés de revitalisation territoriale, sur les quatorze projets aidés avec un million d'euros, huit sont des extensions d'entreprises existantes et deux des reprises d'activités. Le nombre de projets exogènes implantés serait donc inférieur à quatre, et aucune implantation n'a créé un nombre d'emplois industriels significatifs attestant d'une revitalisation du territoire. Le CODES visait 2.000 emplois d'ici 2007 : moins de 250 auraient été créés jusqu'à présent.

Causes de l'échec des mesures de reconversion

Le manque de leadership de l'Etat : ni l'Etat, ni aucun acteur public n'a incarné une vision nouvelle de l'économie du bassin. La responsabilité de la mise en oeuvre des mesures du CIAT a été diluée entre les intercommunalités du soissonnais, l'agence départementale de développement, le conseil

général de l'Aisne, l'agence de développement CAP Développement et les services de l'Etat en Picardie. Pratiquement, en l'absence d'une autorité, les oppositions entre niveaux de collectivités locales et entre acteurs locaux ont conduit à la remise en cause des actions et au délitement de leur réalisation. L'absence d'une maîtrise d'ouvrage unique expérimenté explique en particulier le délai de quatre ans pour réaliser la nouvelle zone de 140 hectares d'activités par la communauté d'agglomération. Elle a nécessité le recours à des intervenants extérieurs (aménageur départemental, financeurs, bureaux d'études) par des procédures longues et contraignantes, qui se sont ajoutées aux procédures d'aménagement et de passation de marchés publics. De ce fait, les oppositions locales à la localisation de la zone ont pu prospérer.

Une opportunité gâchée

L'absence de leadership de l'Etat ne permet pas de saisir des opportunités telles que la reconversion du camp de Margival. Le ministère de la défense a confié à la MRAI, l'entité chargée de la cession de son patrimoine immobilier, la mission de transférer aux collectivités locales le camp de Margival, qui s'étend sur 150 hectares au nord de Soissons. Rénové en 1990 pour l'entraînement de commandos militaires, il fonctionnait avec 2.500 actifs. Doté de réseaux (électricité, gaz, téléphone) et d'une gare ferroviaire sur la ligne Gare du Nord-Laon, situé dans un espace boisé, le site présentait un potentiel d'hébergement de loisirs. La Communauté de communes de Val de l'Aisne portait ainsi un projet de réemploi du camp en un lieu d'accueil de groupes de jeunes d'Europe centrale et du Nord. La capacité d'hébergement de 500 à 1.000 personnes par jour pouvait renouveler l'image du soissonnais. Toutefois, les enjeux de sa réutilisation dépassaient les moyens financiers des petites communes et les capacités de pilotage de projet par le conseil général de l'Aisne. Mais le projet n'a pas été relayé par d'autres collectivités publiques et le camp, laissé à l'abandon, a été pillé, avant que sa propriété soit morcelée.

Le déséquilibre des efforts entrepris : les moyens engagés ont été inversement proportionnels à la capacité des actions à créer des emplois rapidement. Ainsi :

- la zone de 140 hectares, qui n'a toujours pas vu le jour, représente 40 % du plan de reconversion, soit 20 millions d'euros de préfinancement et un déficit prévisionnel final de la moitié à la charge des financeurs publics ; la commercialisation de cette grande zone reste hasardeuse ;

- la création d'une offre de bureaux, dans une ancienne caserne, est dans une impasse financière alors même qu'une demande se manifeste. D'une part, la communauté d'agglomérations ne dispose pas des moyens pour porter le financement de la réhabilitation, d'autre part, elle a ignoré le rôle des investissements privés institutionnels dans le financement d'un projet tertiaire dans le bassin parisien. La commande d'un concept architectural à l'architecte Wilmotte traduit l'inexpérience du maître d'ouvrage local : en effet, seule une équipe réunissant architecte-commercialisateur-investisseur pourrait soulager la collectivité du portage financier de l'opération. De plus, les sommes dépensées pour la réhabilitation d'un seul bâtiment aurait pu être apportées dans un partenariat public-privé sur l'ensemble du site (8 hectares) ;

- la promotion de Soissons comme pôle de logiciels libres était l'axe de renouvellement de l'image économique de l'agglomération et de diversification dans les services, mais elle n'aura mobilisé que 150.000 euros par an, par des cofinancements au demeurant précaires.

Conclusions sur la reconversion du soissonnais

Le cas du soissonnais conduit à plusieurs interrogations :

- les tâches ne peuvent-elles pas être moins parcellisées au sein de l'Etat : sous-préfecture, préfecture, secrétariat au affaires régionales, DATAR, commissariat à l'industrialisation Champagne-Ardenne ?

- la division des acteurs locaux et leur manque de capacités techniques fait partie des causes profondes des crises industrielles locales : l'Etat peut-il imposer une administration de mission ?

- comment mieux piloter les missions déléguées à des associations ou à des entreprises privées ? pourquoi l'Etat ne mène-t-il pas directement ces missions ? Ne contribue-t-il pas à l'inefficience en faisant intervenir les mêmes sociétés de conversion sur des bassins d'emploi concurrents ?

II. LES ENJEUX TERRITORIAUX ACTUELS DES MUTATIONS ÉCONOMIQUES

L'étude prospective réalisée par la DATAR (105 ( * )) classe les 348 zones d'emploi du territoire selon l'évolution des établissements et des effectifs industriels, démontrant la diversité des mutations locales entre 1993 et 2001 :

- 203 zones (soit 58 %) ont enregistré une augmentation de leurs effectifs industriels sur la période, et 145 une diminution (42 %) ;

- 294 zones (soit 85 %) ont connu une croissance du nombre des établissements industriels et 54 (15 %) une baisse.

La corrélation entre ces deux séries n'est pas absolue puisque seules 192 zones , soit 55 % du total, ont bénéficié à la fois d'une expansion de leur tissu industriel et d'un accroissement des effectifs employés sur la période . Parmi les 156 autres zones, 40 ont bénéficié d'une mesure de solidarité nationale entre 1999 et 2002, mais, selon la DATAR, un bassin d'emplois sur cinq (70) est aujourd'hui affecté par un affaiblissement significatif de son potentiel industriel .

A. L'IMPACT LOCAL DES CRISES SUR LES EMPLOIS MANUFACTURIERS

La poursuite, voire l'amplification, des mutations industrielles dans les secteurs exposés à la concurrence internationale devrait augmenter le nombre des bassins touchés. Si les difficultés concernent essentiellement l'emploi non qualifié, l'impact local des mutations industrielles est cependant différent selon les bassins. En effet, les territoires ne sont pas égaux face aux pertes d'emplois industriels. Leur capacité à absorber les chocs est variable selon plusieurs facteurs : la localisation, la taille, l'attractivité résidentielle, les valeurs industrielles, la diversité du tissu économique local et régional.

1. Les problématiques locales diffèrent selon les bassins d'emplois

Le déclin manufacturier annoncé par certains dans des régions exposées est indissociable de l'espace rural et de son devenir. Les problématiques locales ne sont pas identiques dans les 41 bassins résidentiels ayant une vocation industrielle et les 291 bassins industriels dans l'aire rurale recensés par l'INSEE. Cette constatation conduit à la mise en place d'une typologie selon les bassins d'emplois.

a) Les problématiques locales des bassins d'emplois

Outre la localisation, qui a conduit à la concentration d'activités sur un nombre limité de pôles spécialisés constituant le territoire industriel utile, composé de réseaux de communication entre zones d'activités et logistiques, et la taille territoriale, qui conditionne le développement tant endogène qu'exogène du territoire, il convient de mentionner les valeurs locales qui président aux décisions de développement. En effet, l' attitude sociale à l'égard du travail industriel est un facteur de résistance ou de rebond de l'industrie locale dans la compétition internationale.

Dans le Choletais, par exemple, le système social n'est pas caractérisé par les antagonismes sociaux, ce qui a permis de maintenir la pression salariale. Les personnels licenciés s'efforcent de retrouver un emploi au prix de migrations alternantes qui se sont développées jusqu'à Angers. En dépit des restructurations successives dans le textile et le cuir, le taux de chômage est dans le Maine-et-Loire inférieur à la moyenne nationale. Les responsables politiques, économiques et syndicaux locaux sont mobilisés à l'unisson, les conseils généraux de Maine-et-Loire et de Vendée menant une action vigoureuse de diversification ayant par notamment autorisé l'installation de nouveaux ateliers de maroquinerie de luxe. Les entreprises ont opté pour de véritables stratégies d'adaptation en investissant sur les marques et la distribution, et en mixant productions locales et délocalisations.

Il convient également de souligner tout particulièrement le rôle de la diversité du tissu local et régional . A titre d'illustration, une économie composée de services et de nouveaux secteurs industriels amortit mieux le déclin des activités industrielles. L'industrie manufacturière la plus menacée se situe dans des bassins de vie dont les secteurs productifs sont isolés et dont l'attractivité résidentielle n'a pas été une préoccupation locale en raison de la création volontaire ou non d'une étanchéité avec le monde extérieur.

Cette prise en compte de la vivacité du tissu industriel dans le développement et la flexibilité face aux périodes de mutations et de reconversion conduit à établir une typologie en fonction de la situation plus ou moins excentrée des bassins.

b) Une typologie des problématiques selon la taille et la situation des bassins

La mesure de la faculté d'adaptation des territoires échappe aux statistiques. En effet, l'appréciation des difficultés potentielles par bassin, en fonction des facteurs ci-dessus examinés, relève essentiellement d'une approche de terrain que les stratégies des entreprises peuvent néanmoins démentir localement.

Ainsi, on constate que, les bassins d'emplois les plus menacés ne sont pas nécessairement ceux ayant le plus d'emplois dans les secteurs les plus concurrencé s : au contraire, une entreprise isolée dans un territoire dominé par d'autres activités a moins de capacité de résistance qu'une grappe d'entreprises. En milieu rural enfin, la défaillance d'un employeur de taille moyenne aura plus d'importance que celle d'un gros employeur dans une unité urbaine diversifiée.

Il convient donc de prendre en compte la taille et la situation territoriale des zones d'emplois. Cette méthode permet à la fois d'évaluer le nombre de territoires concernés et les difficultés spécifiques locales. Il est possible de classer les zones d'emplois industriels exposées aux délocalisations en quatre catégories : les zones d'emploi de faible superficie et isolées, les zones d'emploi moyennes et excentrées, les zones d'emploi dans les petites et moyennes aires métropolitaines et enfin les zones d'emplois dans les grandes aires métropolitaines.

(1) Les petites zones d'emplois isolées

Les petites zones d'emplois isolées comptent moins de 100.000 habitants, moins de 15.000 emplois, et sont situées à l'écart des grands axes. L'emploi industriel dans ces zones est concentré dans une ou plusieurs entreprises. Confrontées au double handicap de la taille et de la localisation pour renouveler l'économie locale, ces zones peuvent être gravement touchées par la défaillance du ou des principaux employeurs. Les mécanismes d'ajustement les plus courants y sont les départs de populations actives, le développement touristique dans les régions qui s'y prêtent. Le défi principal de ces petites zones est la création d'emplois non qualifiés à vocation locale.

Le cabinet « Formules économiques locales » évalue à une quarantaine le nombre de ces zones pouvant rencontrer des difficultés de redéploiement économique du fait de leur taille et de leur isolement.

(2) Les moyennes zones d'emplois excentrées à vocation industrielle

Ces zones comptent plus de 15.000 emplois et se situent hors des grands axes routiers et ferroviaires. Dans des bassins ruraux et isolés, de régions peu industrielles, des entreprises bénéficient de coûts fonciers et salariaux bas. Ces avantages ayant permis de conserver une compétitivité face à la concurrence internationale ne sont aujourd'hui plus suffisants : l'isolement se transforme en handicap par rapport à la localisation en grappe d'entreprises. On constate parfois que la période de prospérité qui a pu justifier une politique d'immigration a engendré des quartiers mal intégrés. Le déclin manufacturier laisse des friches et rend parfois nécessaire une importante rénovation urbaine. Ces zones connaissent souvent une succession de fermetures d'usines dans des secteurs différents, les déchirures du tissu industriel local s'étendant plus vite que les reprises.

Certaines agglomérations de ces zones ne sont pas préparées à une reconversion rapide du tissu industriel. Elles sont souvent moins attractives que d'autres pour des raisons de localisation. Les services aux entreprises sont moins développés. En effet, la tertiairisation locale y est souvent insuffisante car ces zones sont rarement des chefs lieux de département. Elles n'ont pas un grand réservoir de services endogènes et sont affectées par les baisses de revenus, sauf dans les régions d'installation de retraités. Le principal défi est alors d'éviter une paupérisation des personnes en âge de travailler et peu mobiles. Le coût financier de réhabilitation de friches peut dépasser les capacités financières et techniques des collectivités locales. Les moyennes zones d'emplois à vocation industrielle et excentrées ont besoin d'un processus de reconversion pour faire face aux difficultés révélées par les pertes d'emplois.

Selon le cabinet « Formules économiques locales » , une soixantaine de ces zones d'emplois auraient besoin d'enclencher leur reconversion.

(3) Les zones d'emplois des agglomérations de taille moyenne

Ces zones d'emplois comptent plus de 15.000 emplois industriels. Les petites et moyennes agglomérations sont familières des mutations industrielles depuis trente ans. La capacité d'amortir une nouvelle vague de désindustrialisation dépend de son ampleur et du rythme de croissance des agglomérations, celles ayant des atouts de localisation et des spécialisations récentes étant plus à même d'absorber les chocs : il s'agit par exemple des agglomérations du Havre, de Dunkerque, de Chartres, de Tours, du Mans, de Valenciennes, de Grenoble...

La problématique des pertes d'emplois manufacturiers dans environ une cinquantaine de ces petites et moyennes aires métropolitaines tiendrait pour l'essentiel à la création d'emplois non qualifiés pour permettre aux personnels qualifiés de se reclasser dans leur agglomération.

(4) Les zones d'emplois très industrielles des grandes agglomérations

Comptent de 15.000 à 60.000 emplois industriels et une part importante d'emplois manufacturiers dans l'emploi total, les grandes agglomérations sont en capacité de localiser les nouvelles industries. Leurs personnels sont rarement issus des anciennes usines, mais la croissance des activités génère indirectement des emplois non qualifiés pour les ouvriers. Le marché de l'intérim permet de maintenir partiellement en activité les professionnels de niveau intermédiaire (dessinateur, chaudronnier,...) licenciés des entreprises disparues.

Si les grandes métropoles ont une capacité à absorber les pertes d'emplois, elles ont aussi à faire face à une diminution des industries récentes et à relever le défi de la croissance des emplois tertiaires, secteur dans lequel la compétition pour les emplois non qualifiés est généralement très forte. En effet, les travaux non qualifiés dans les services sont de plus en plus occupés par des personnes qualifiées. Ainsi, en Lorraine de 1990 à 1999, d'après une étude de l'Observatoire régional de l'emploi, de la formation et des qualifications, les travailleurs occupant un emploi non qualifié et ayant un bac ou un BEP représentent 37 % du total régional en 1999, au lieu de 30 % en 1990.

Cette typologie, combinée avec la prise en compte de la diversification ou non des activités industrielles, conduit à l'établissement du tableau suivant résumant les situations locales et leurs enjeux.

Nature des bassins

Situation excentrée, mono-industrie

Bonne situation, mono-industrie

Situation excentrée, industrie diversifiée

Bonne situation, industrie diversifiée

Exemples de bassins

Vallée de l'Aude, Romorantin, Gien, Dieppe, Morlaix, Saint-Dizier, Cambraisis, Joinville, Fumel

Le Havre, Oise, Nord, Mulhouse, Sélestat, Feyzin, Périgueux

Saint-Dizier, Cholet, Roanne, Charleville-Méz., Remiremont

Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Essonne

Risques principaux

Déclin démographique et paupérisation

Chômage et exclusion

Déclin démographique et paupérisation

Chômage et exclusion

Enjeux économiques

Risque de disparition de l'industrie

Enjeu de créations d'emplois de services

Enjeu de créations d'emplois de services non qualifiés

Améliorer l'attractivité du site

Handicap des transports pour la reprise d'emploi

Enjeux de créations d'emplois non qualifiés

Stratégie

Mesures fiscales ou sociales destinées au maintien des populations

Aides au départ

Appuyer les implantations

Faciliter la création d'emplois de services non qualifiés

Appuyer la pérennité de l'industrie

Faciliter la mobilité

Renforcer l'industrie

Faciliter la création d'emplois de services non qualifiés

Si, dans presque toutes les régions, le territoire semble perclus par le repli accéléré de son tissu industriel manufacturier, le cabinet « Formules économiques locales » estime, en dépit de l'existence de situations locales de déshérence, que, d'une part, les agglomérations bien situées résistent mieux en raison des offres de reconversion, et que, d'autre part, les zones d'emplois excentrées ont pour facteurs essentiels d'ajustement les migrations alternantes et les départs de population.

Cependant, l'accroissement des pertes d'emplois manufacturiers, y compris dans les agglomérations dynamiques, conduit à terme non seulement à un impact local dépressif, mais également à un affaiblissement national par l'addition des petites lésions générées au plan local.

2. Deux cas significatifs des difficultés locales

Pour caractériser les nouvelles formes de mutations industrielles affectant des bassins de taille petite ou moyenne, deux situations transversales, par zone et par secteur, peuvent être retenues pour exemples : celle d'une zone géographique accueillant des secteurs diversifiés (les régions Picardie et Champagne-Ardenne), et celle de sites caractérisés par la mono-activité (le secteur de l'habillement, du cuir et du textile).

a) Les bassins géographiques de Picardie et de Champagne-Ardenne

La remise en cause des activités dans les secteurs de la fonderie, de la mécanique, de la métallurgie, du textile, etc. touche fortement les bassins des régions Picardie et Champagne-Ardenne.

Bassins d'emplois

Evénements récents, nombre d'emplois supprimés

Soissons

1.500 emplois

Michelin, BSL, Cartonneries Saint Jacques

Laon

Cables Pirelli

Compiègne

Aventis, 635 salariés

Colgate, 150 sur 750

Vallourec, 117

Montataire

Arcelor, 432 sur 1200

Still, 60 sur 274

Rotatives Heidelberg

Beauvais

Bosch, 95 sur 447

Rhodia, menaces sur 1.888

Daucy, 136

Yoplait, 90

Ardennes

Vallée de la Meuse

13,5 % de chômage

1.000 emplois en 2003

Aube

74 emplois délocalisés au Maroc en bonneterie

10,3 % de chômage

Saint-Dizier

9,7 % dans la Haute-Marne et 8,6 % dans la Marne

Restructuration de Case, fermeture de Benetton

Les capacités de ces sites à rebondir face à la concurrence nouvelle, particulièrement celle des PECO (par exemple dans le travail des métaux, activité notamment tournée vers le secteur automobile et très présente en Picardie et en Champagne-Ardenne) sont limitées pour plusieurs raisons :

- à l'exception de Reims, d'Amiens et de Troyes, les villes moyennes qui composent les régions ne connaissent pas de dynamique tertiaire ;

- certaines d'entre elles, telles Saint-Dizier, Vitry-le-François ou Joinville, sont déjà affaiblies au plan industriel ;

- les activités porteuses de substitution sont quasiment absentes ;

- la densité de population est limitée ;

- les accès routiers et ferroviaires vers la majorité des bassins sont médiocres (autoroute A4 au sud de la zone, lignes ferroviaires non électrifiées, villes contournées par le TGV Est) ;

- préservées jusqu'à maintenant de grandes restructurations, ces régions ont accumulé moins d'expertises économiques et ne disposent guère d'outils de développement performants au plan régional, départemental ou local.

b) Les bassins sectoriels de l'habillement, du cuir et du textile

La localisation géographique du secteur HACUITEX illustre le risque d'augmentations sensibles du nombre de bassins industriels touchés par des pertes d'emplois. En 2001, selon le SESSI, le secteur comptait 101.119 emplois dans des entreprises de plus de 20 personnes, répartis dans 136 zones d'emplois. Cinq établissements occupaient plus de 500 personnes : Hermès à Saint-Pourçain, Petit-Bateau à Troyes, Les Ateliers Louis Vuitton à Pantin, Méphisto à Sarrebourg et Charles Jourdan à Romans. Par ailleurs, 37 établissements employant plus de 250 personnes totalisaient, dans 32 zones d'emplois, 13.137 emplois, et 257 établissements employaient plus de 100 personnes. Le secteur est donc caractérisé par une très forte prédominance des PME, notamment d'entreprises comptant moins de 100 salariés .

Les pertes d'emplois ont un fort impact local dans deux cas de figure : les zones d'emplois spécialisées et les zones rurales.

(1) Les zones d'emploi spécialisées

Ces zones comptent plusieurs établissements et le tissu industriel est peu diversifié. Leur nombre est réduit, mais elles constituent le coeur de l'activité du secteur en France. Les données suivantes, datant de 2001, illustrent la spécialisation textile, habillement et cuir de ces bassins :

Localisation

Emplois industriels

Secteur HACUITEX

Beaujolais Val de Saône

8.842

7,8 % (habillement)

Bourgoin - La Tour du Pin

12.588

19,2 % (filature, tissage)

Castres-Mazamet

7.433

18,6 % (filature, tissage)

Choletais

25.849

21,1 % (cuir et chaussure)

Deux-Sèvres nord

11.051

8,8 % (habillement)

Drôme-Ardèche-nord

6.395

10,1 % (cuir et chaussure)

Lavelanet

2.704

89,1 % (filature, tissage, cuir, chaussure)

Lille

30.972

8,5 % (filature, tissage)

Pont-Audemer

2.219

12,1 % (cuir, chaussure)

Remiremont-Gérardmer

10.003

24,4 % (filature, tissage)

Roanne

14.132

20,2 % (filature, tissage)

10,3 % (étoffe, maille)

7,2 % (habillement)

Romans

7.787

25,8 % (cuir et chaussure)

Roubaix-Tourcoing

25.208

30,2 % (filature, tissage, textile)

Sarrebourg

9.003

9,2 % (cuir, chaussure)

Troyes

18.521

13,1 % (étoffe, maille)

Vendée est

18.618

7,1 % (habillement)

Le bassin d'emploi de Lavelanet est exemplaire à plusieurs égards : avec un taux d'emplois industriels égal à 64 %, il est exceptionnellement manufacturier ; il est largement dominé par les entreprises de la filature et du tissage (85,3 %), qui sont pour beaucoup de petites entreprises (en 2002, seuls 100 des 1.211 établissements de la zone, tous secteurs confondus - industrie, construction, commerce et réparations et services - comptaient plus de 10 salariés) ; il est relativement excentré et, en cas de pertes d'emplois dans le secteur Hacuitex, les zones les plus proches offrent peu de possibilité de reclassement dans l'industrie : le bassin de Foix-Pamiers compte 27.000 emploi, celui de Limoux est déjà sous le coup de la fermeture de l'usine de chaussures Myris , et celui de Carcassonne, plus important (60.000 emplois), est déjà très éloigné (une heure de route environ).

(2) Les zones d'emploi en milieu rural

Dans ces zones, en cas de défaillance du principal employeur, les offres d'emplois industriels de substitution sont inexistantes et les possibilités de reprise d'emploi sont éloignées. Les fermetures d'unités de production à Moussey en Moselle ou à Limoux dans l'Aude illustrent cette situation et la difficulté d'une reprise d'emploi, notamment pour les personnels féminins, très concernés.

Le repérage des secteurs sujets aux pertes d'emplois manufacturiers dans deux régions, l'une fortement industrielle, l'autre beaucoup moins, met en évidence la fragilité de certains bassins : un sur trois en Alsace, un sur quatre en Aquitaine (hors Bordeaux).

Alsace

Secteurs exposés

Emplois exposés

Nombre d'emplois dans l'industrie (hors IAA)

Haguenau-Niederbraun

Equipement du foyer,

habillement

1.500

14.701

Molsheim-Schirmeck

Équipement du foyer

1.300

13.480

Sélestat

Equipement du foyer,

meubles

2.700

8.915

Mulhouse

Textile

1.320

23.572

Aquitaine

Secteurs exposés

Emplois exposés

Nombre d'emplois dans l'industrie (hors IAA)

Périgueux

Habillement

1.000

4.184

Pau

Habillement

770

8.566

Libourne

Habillement

700

5.496

Mont de Marsan-est

Equipement du foyer

meubles

1.586

5.464

La difficulté à redéployer ces bassins aujourd'hui en difficulté résulte de leur taille réduite : moins de 50.000 emplois, dont moins de 10.000 emplois industriels.

B. DES INITIATIVES LOCALES DIVERSIFIÉES MAIS QUI SE HEURTENT À DES LIMITES ENDOGÈNES ET EXOGÈNES

Face à ce type de difficultés, les collectivités territoriales sont appelées à intervenir en faveur des bassins et des secteurs concernés en activant les outils juridiques et financiers mis à leur disposition et en encourageant les initiatives locales. Si le mérite de l'adaptation des industries françaises revient évidemment en premier lieu aux entreprises elles-mêmes, bien des élus locaux ont aussi leur part au travers de leurs efforts de promotion des territoires et de soutien aux activités . Toutefois, les situations locales sont très inégales et les bassins industriels ne sont pas tous défendus à l'identique. En outre, les collectivités locales font beaucoup avec relativement peu de moyens, à l'instar de la majorité des PME, et sont aussi contraintes tant par les règles communautaires limitant les aides aux entreprises que par l'émiettement des compétences et des acteurs économiques.

1. L'implication des collectivités locales en faveur du développement économique de leurs territoires

Les lois de décentralisation de 1982 ont donné aux collectivités locales, pour maintenir le tissu industriel et pour développer de nouvelles activités locales, des compétences économiques dans un contexte de réhabilitation de l'entreprise, de restructurations industrielles, de préparation du grand marché européen de 1993 et de chômage structurel. Bien qu'occupant un espace réduit, défini par les textes, l'interventionnisme économique des collectivités a obtenu des résultats significatifs au travers d'outils diversifiés.

a) Les aides à l'immobilier

Le code général des collectivités locales autorise les collectivités à louer et à vendre des bâtiments. En 2002, les aides à l'immobilier des collectivités territoriales de métropole représentaient 132 millions d'euros, dont 59 % provenaient des communes. Ces aides jouent un rôle décisif dans les cas fréquents de carence des financements privés pour le rachat de bâtiments existants ou le financement de nouvelles installations . En 2002, seulement 5 % des 9 milliards d'investissements dans l'immobilier professionnel ont financé des locaux d'activité, soit moins de 450 millions d'euros. Les investisseurs préfèrent en effet financer les locaux commerciaux, les bureaux dans les centres villes et les entrepôts à la croisée d'autoroutes, qu'ils jugent plus faciles à relouer après la défaillance de l'occupant et qui offrent de meilleures perspective de plus-values. Aussi les collectivités locales sont-elles de plus en plus conduites à assurer le risque immobilier pour éviter que la carence de financement ne conduise à l'asphyxie des activités industrielles .

Cette intervention se révèle indispensable sur de nombreuses zones d'activités en périphérie d'agglomération et en milieu rural. Elle est également nécessaire en cas de difficultés de l'entreprise pour générer des liquidités par la vente des murs (exemple : reprise des locaux de la verrerie Daum par la communauté d'agglomération de Nancy). Les collectivités permettent de la sorte aux entreprises qui privilégient la location ou le crédit-bail de préserver leur capacité d'investissement ou, par le jeu de SCI, de devenir propriétaires. De la sorte, leur intervention ancre les PME dans le territoire .

Le régime des aides indirectes a autorisé les collectivités à procéder à des rabais sur les zones éligibles à la prime d'aménagement du territoire. L'offre, composée d'un portage par une collectivité locale pendant la durée du financement du bâtiment (crédit-bail, emprunt) et d'un rabais sur le loyer ou sur l'emprunt, s'est avérée attractive. Dans cette situation, l'entreprise peut contourner la carence ou les exigences des prêteurs privés. En outre, après le paiement du crédit, le chef d'entreprise est souvent devenu, par le biais de SCI, détenteur de l'immobilier, ce qui conduit à limiter le nomadisme des entreprises. En vingt ans, on peut estimer que les collectivités locales ont ainsi permis la modernisation de l'immobilier de plusieurs dizaines de milliers d'entreprises.

Les interventions du département de la Seine-Maritime

La Seine-Maritime a mené une politique exemplaire en la matière à partir de 1979, ayant permis de soutenir la construction de 250 bâtiments. Plusieurs éléments attestent du succès de cette politique :

La majorité des implantations d'atelier relais s'est effectuée en dehors des trois grandes agglomérations du département, autorisant ainsi l'industrialisation du milieu rural et le desserrement du tissu urbain.

Tous les secteurs économiques sont représentés, avec une prédominance des industries mécaniques et du travail des métaux. Les entreprises concernées ont un effectif moyen de 35 personnes.

A 80 %, les aides ont porté sur la construction de bâtiments neufs, le solde sur la rénovation. Le taux d'occupation n'est pas descendu sous 95 % depuis 1990. Le taux de rotation des occupants varie selon l'ancienneté des bâtiments mais reste faible avant le terme du remboursement des emprunts.

Les aides départementales ont aussi facilité l'implantation d'entreprises exogènes comme le fabricant de copieurs et de toners Toshiba sur 30.000 m² ou comme Exxon à Port-Jérôme.

Le risque des petites communes qui portent le financement de bâtiments est limité car la subvention du conseil général a réduit la part restant à garantir. Le montant garanti diminue chaque année du montant des remboursements payés par l'entreprise occupante.

Les collectivités locales ont appris à assortir l'octroi des aides immobilières d'une concrétisation des promesses de création d'emplois : en cas de non respect, le transfert de propriété du bâtiment peut ne pas être réalisé. Ainsi, plus de 10 % des emplois industriels du département sont localisés dans des ateliers relais ou des entreprises ayant perçu une aide départementale pour leur implantation.

Le succès de cette politique départementale doit beaucoup à une mise en oeuvre concertée. Le directeur du comité d'expansion a été avisé dans la sélection des projets, et capable de convaincre les élus communaux et les conseillers généraux de les soutenir.

b) Les politiques d'aménagement

La nécessité de sortir des centres villes les grandes entreprises en croissance avait justifié l' aménagement de zones d'activités à l'extérieur de la commune dès le début des années soixante. Depuis, les collectivités locales ont continué à adapter l'offre d'implantation aux attentes des entreprises industrielles. Tel a, par exemple, été l'accès au réseau haut débit, au titre de l'adaptation des infrastructures aux besoins industriels, initiative menée par le Conseil régional de Poitou-Charentes et citée dans la réponse au questionnaire de votre groupe de travail par M. Claude Moreau, vice-président. Ainsi, en 2002, les 114 millions d'euros d'aides à l'aménagement globalement alloués aux entreprises ont permis d'apporter des réponses efficaces à des demandes diversifiées. Le tableau suivant présente une typologie de ces attentes et des projets engagés pour les satisfaire.

Type d'entreprises

Attentes

Réponses

Projets mobiles

Normes internationales

Pré-aménagement de grandes emprises pour un seul utilisateur ou thématiques pour plusieurs (logistique, ...)

Entreprises internationales déjà présentes

Possibilités d'extension,

compétition internationale

Requalification de zones existantes

PME dans des secteurs innovants

Environnement attractif pour des personnels qualifiés, pro-ximité de services spécialisés

Parc d'affaires, technopoles

PME traditionnelles

Possibilité de se relocaliser à proximité

Aménagement de nouvelles zones avec des coûts maîtrisés, et de zones mixtes de commerces/activités

La réussite et la pérennité de ces politiques d'aménagement ont été conditionnées à des choix économiques et politiques clairs et assumés :

- l'ajustement de l'offre de zones à la demande a conduit les départements et les régions à concentrer leurs efforts sur un nombre limité de projets et de sites répondant à des critères impératifs (proximité immédiate d'autoroutes, routes hors gel, etc.) ; des normes ont été établies pour éviter le saupoudrage des moyens sur tous les cantons demandeurs de zones d'activités ;

- les rentes de gestion d'aménageurs locaux ont été asséchées par la production d'offres moins nombreuses, différenciées et commercialisées dans des délais rapides ;

- les collectivités locales ont distingué les activités en déclin des activités porteuses, misant le cas échéant sur les aménagements nécessaires au développement des nouvelles activités, au risque de négliger les zones accueillant l'essentiel des emplois industriels locaux.

Enfin, dans le meilleurs des cas, les actions en faveur de l'accueil d'entreprises ont constitué l'un des volets d'une stratégie économique globale de valorisation d'un avantage comparatif . C'est ce que se sont attachés à définir, dans le cadre d'un schéma directeur de zone d'activité, les départements suivants, avec des résultats probants.

Départements ayant réalisé un schéma directeur de zones d'activités

Cibles sectorielles

Vendée

Agro-alimentaire, mécanique métallurgie, industries de la mode, bois et ameublement

Loiret

Agro-alimentaire, imprimerie, arts graphiques, informatique, électronique, pharmacie, constructions mécaniques, matériaux composites, transport et logistique

Moselle

Automobile, chimie, parachimie, agro-alimentaire, bois

Maine-et-Loire

Santé, biotechnologies, textile enfants, électronique

Les cinq parcs d'activités réalisés à proximité d'accès autoroutiers par le département de la Vendée accueillent aujourd'hui 70 entreprises employant 3.000 personnes. L'emploi industriel en Vendée a bondi de 38 % entre 1993 et 2001. La Moselle a initié la réalisation d'une mégazone de plus de 100 hectares pour accueillir Smartville . Le Loiret a connu entre 1993 et 2001 une croissance de 7 % des effectifs industriels dans les entreprises de plus de 20 personnes, la moyenne au plan national étant de 2 %.

Les actions en faveur des zones d'activités comportent toutefois plus de risques que les aides à l'immobilier . Par défaut de conception, de nombreuses zones thématiques n'ont pas trouvé preneur.

c) La promotion des territoires

L'époque où il était possible de faire figurer sur une carte de France une dizaine d'icônes représentant l'industrie est révolue. Si la spécialisation des territoires s'est renforcée, la diversité des activités est telle qu'il conviendrait de faire figurer plus d'une centaine d'icônes sur plus d'une centaine de bassins, correspondant aux systèmes productifs locaux, c'est-à-dire les grappes d'entreprises ayant en commun un secteur d'activités, dénombrés par la DATAR. Aussi, dans cette perspective, les collectivités locales doivent s'efforcer de maintenir et de localiser en France les activités industrielles en contribuant à conserver ou à créer des avantages comparés.

Ainsi, les territoires les plus touchés par les restructurations industrielles ou dont les élus ont été sensibles à la redistribution internationale des productions se sont engagés dans des actions de promotion économique , qui se distinguent selon quatre catégories d'objectifs : le maintien des spécialisations existantes, la création de nouvelles spécialités territoriales, l'adaptation des activités existantes menacées et enfin l'appui aux créations ainsi qu'aux reprises d'entreprises.

(1) Le maintien des spécialisations existantes

Afin de concourir à la pérennité d'une filière, les actions des collectivités locales visent à renforcer les avantages comparés locaux en favorisant l'environnement nécessaire au bon fonctionnement de toutes les étapes du processus productif : formations, recherche, organisation de la sous-traitance, prospection internationale, etc. Il s'agit de produire le plus d'externalités positives possibles pour les entreprises locales . L'effet de levier est renforcé lorsque les secteurs peuvent se concentrer géographiquement et réduire le nombre de points de présence : c'est tout l'intérêt des grappes d'entreprises constituant des systèmes productifs locaux. Les collectivités territoriales s'efforcent de les favoriser en soutenant particulièrement un secteur et en s'appuyant sur des relais variés, adaptés aux caractéristiques locales du site.

Collectivités

Cibles

Points d'appui

Isère

Composants électroniques

Grands groupes

Lannion

Télécommunications

INT

Yssingeaux

Plasturgie

PME familiales

Essonne

Optique

Alcatel

Lorient, Dieppe

Pêche

Ports

Alsace

Santé

Universités

Alpes-Maritimes

Informatique-électronique

Parc Sophia Antipolis

Cette politique visant à la concentration géographique d'entreprises par le développement de systèmes productifs locaux est, à titre d'illustration, mise en oeuvre en Picardie, selon la réponse au questionnaire de votre groupe de travail apportée par le directeur général des services du Conseil régional. En l'espèce, la constitution du pôle hydraulique, mécanique et aéronautique du bassin d'Albert, et celle de la chaudronnerie-maintenance sur le bassin de Ham, ont été issues d'une démarche d'identification des principaux métiers et savoirs faire d'un bassin susceptibles d'être animés au sein d'une filière d'activité.

(2) La création de nouvelles spécialisations territoriales

Confrontées à la nécessité de renouveler un tissu défaillant, les collectivités locales cherchent à localiser de nouvelles activités . Ce volontarisme est nécessairement audacieux, et difficile à mettre en oeuvre. En effet, la compétition pour les nouvelles activités est internationale : ainsi, les pôles biotechnologiques, optiques, médicaux ou encore nano-technologiques français sont en compétition avec les pôles des pays développés, américains, britanniques et allemands notamment, mais aussi de plus en plus chinois voire indiens.

Plusieurs exemples témoignent cependant de l'efficacité de cette démarche lorsqu'elle est bien conçue, s'appuyant notamment sur une bonne analyse préalable des potentialités de la spécialisation envisagée et de son adaptation aux caractéristiques socio-économiques du territoire, et correctement accompagnée dans la durée : la Vienne avec les activités de téléenseignement et de loisirs, l'Aube dans les nanotechnologies, le Poitou-Charentes dans l'image, la ville de Clermont-Ferrand dans les productions utilisant le magnésium, celle d'Amiens avec les centres d'appels, ou l'Île-de-France qui, avec Paris Bioteam , offre une variété de ressources (recherche, compétences d'accès au marché américain, locaux, financements) aux entreprises de biotechnologies.

Le tableau suivant présente quelques exemples de ces initiatives en indiquant les vecteurs structurants sur lesquelles elles s'appuient.

Collectivités

Cibles

Points d'appui

Vienne

Tertiaire numérique

Futuroscope

Essonne

Valorisation de la recherche

Synchrotron

Bouches-du-Rhône

Micro-électronique

Baby-cards

Aube

Nano-technologies

IUT

Evry

Génomie

Génopole

Tours, Orléans

Centre d'appels

Etudiants

Midi-Pyrénées

Aéronautique

Airbus

(3) L'adaptation des activités existantes menacées

Les bassins dont l'un des secteurs manufacturiers paraît menacé poursuivent des stratégies défensives structurées en s'appuyant sur les dispositions légales permettant aux collectivités territoriales d'intervenir en faveur des entreprises en difficulté sur des bassins dont les populations manquent d'offres de services. Ainsi la région Nord-Pas-de-Calais soutient-elle le développement de « textiles intelligents », le Doubs accompagne-t-il son pôle automobile dans sa stratégie face à la compétition des PECO et de la Turquie, les Vosges anticipent-elles les défaillances des entreprises locales dans les secteurs traditionnels du textile, de l'imprimerie et du bois en recherchant des repreneurs, de même que les élus locaux de Vendée assurent la promotion extérieure des entrepreneurs textiles du département.

(4) L'appui aux créations et aux reprises d'entreprises

La plupart des territoires disposent de politiques d'accueil pour les créateurs d'entreprises ou pour les candidats à la reprise d'entreprises existantes . Les pépinières, les incubateurs, les plates-formes d'initiatives apportent hébergement, conseils et financements aux entrepreneurs pour réaliser leurs projets. Par exemple, en matière de services, l'aide aux offres touristiques, telle que les subventions aux chambres d'hôtes ou aux gîtes, aurait fait émerger une activité nouvelle sur plus de 20.000 sites à travers le pays.

d) Les outils locaux de promotion économique

Les services économiques des collectivités locales, les agences de développement, les outils locaux de financement d'entreprises et de nombreux acteurs publics tels les chambres consulaires ou les services de l'Etat mènent collectivement des actions pour accompagner la mutation des territoires . Environ 120 agences - régionales, départementales, intercommunales ou communales - emploient 1.200 personnes et disposent en moyenne d'un budget d'un million d'euros par an en provenance des collectivités.

L'établissement des comités d'expansion par un décret de 1954 avait pour objet la concertation entre collectivités locales et le gouvernement sur les politiques économiques. Ces comités d'expansion se sont progressivement mués en agences de développement qui accompagnent les opérations de développement initiées par les collectivités locales lorsque celles-ci ne sont pas directement mises en oeuvre par leurs services économiques.

Quelques exemples du rôle des agences de développement

Dans les Vosges, au CAPEV, deux chargés de mission sont chargés d'identifier les projets des entreprises que le département pourrait aider à réaliser, par des appuis financiers ou autres. Ils s'efforcent d'augmenter les possibilités de reprise des activités industrielles en difficulté pour éviter les liquidations d'entreprises.

Le CAPEMM de Meurthe-et-Moselle est à l'initiative de l'identification d'une grande zone logistique qui est à ce jour entièrement commercialisée.

Dans les Bouches-du-Rhône, l'action de prospection internationale dans le secteur de l'électronique initiée par Provence Promotion a permis d'identifier un projet industriel (Atmel). Le conseil général et l'agence ont permis son implantation à Rousset en remportant une compétition internationale. Par ailleurs, en 2003, l'agence a initié une démarche originale visant à aider à la création d'entreprises dans les Bouches-du-Rhône les français résidant dans la Silicon Valley.

Dans l'agglomération de Chartres, l'agence ADEL agit pour le compte des communes. Elle accueille les entreprises ayant des projets de création, d'extension ou exogène. Elle met en relation l'offre et la demande immobilière, qui constitue pour les petites surfaces un créneau inoccupé par les agences immobilières ou les commercialisateurs internationaux.

L'agence de développement du Mans, l'ADEMA, mène des actions de diversification de l'économie locale dans les secteurs de la santé (traitement de la carte Vitale) et des télécommunications.

Chargée de mettre en place une politique publique régionale, l'agence de développement du conseil régional se définit comme une entreprise de services. Midi-Pyrénées Expansion est certifiée ISO 9001 afin de garantir à ses clients, quels qu'ils soient, la qualité de ses prestations. Sa politique est déclinée selon trois axes : garantie du professionnalisme de l'agence, garantie de la qualité de l'information fournie et garantie d'un accueil de qualité et d'une bonne réactivité de l'équipe. L'agence a donc orienté en conséquence son organisation : mise en place de méthodes de travail et d'indicateurs assurant un meilleur suivi des dossiers et une meilleure écoute de la satisfaction de ses clients ; élaboration d'un référentiel de compétences nécessaires à ses différentes activités ; optimisation de ses efforts de formation interne ; création d'un centre de ressources régionales, plate-forme d'échanges permettant de répondre de manière rapide à tout besoin d'information économique de l'agence et de ses partenaires.

Dispositifs polymorphes, les agences peuvent en effet avoir plusieurs missions différentes. Une étude, réalisée en 2001 par le CNER, organisme fédérant les agences de développement, reflète les missions de suivi des entreprises déjà installées les plus fréquemment menées par les agences régionales.

Mode de suivi

Nombre d'agences

Conseil, médiation entreprises/institutions

7

Organisations de rencontres entre chefs d'entreprises

30

Offre de participations à des actions internationales

24

Suivi des entreprises bénéficiant d'aides

9

Visites périodiques de nouveaux créateurs

3

Actions dans des plates-formes d'initiative

5

Appui au recrutement

4

Appui aux familles nouvellement résidentes

7

Communication par mailing, lettres ou plaquettes

12

L'action de ces agences est importante dans la durée, car leur expérience renforce l'efficacité des interventions publiques au regard des nouvelles caractéristiques des mutations industrielles. L'exemple des initiatives de l'agence de développement de la Seine-Maritime en est un témoignage révélateur.

L'agence de développement de la Seine-Maritime et l'industrie verrière

L'action économique initiée par l'agence de développement de la Seine-Maritime depuis 35 ans pour accompagner la mutation du tissu industriel a facilité la conception d'une initiative récente visant à faire face aux risques de délocalisations dans l'industrie verrière.

Présentation générale

En 2001, le département comptait 492.800 emplois, dont 102.559 dans l'industrie, et dénombrait 4.453 établissements industriels, dont 861 de plus de 20 salariés.

L'agence de développement départementale a encouragé l'implantation d'entreprises en milieu rural en initiant trois actions complémentaires : l'aménagement de zones d'activités par les collectivités locales, l'offre d'immobilier pour les entreprises et la veille du tissu économique. Ce processus a d'abord été soutenu par les financements d'après-chantier de deux centrales nucléaires, puis par le conseil général.

Le bilan de l'accompagnement des PME industrielles est satisfaisant. L'agence revendique la réalisation de 250 usines relais et de 20 hôtels d'entreprises, ce qui est significatif au regard de la densité du tissu industriel. Le nombre annuel d'emplois nouveaux escomptés par les projets aboutissant à des financements du conseil général sous forme d'aides aux entreprises se situe entre 500 et 1.000 selon la conjoncture économique (321 en 2002). Les entreprises à l'étroit dans le tissu urbain, les entreprises en difficulté, les entreprises nouvelles, et plus récemment les activités créées par des demandeurs d'emploi, ont pu bénéficier d'un appui pour améliorer leurs conditions d'exercice.

Le travail d'un directeur d'agence et d'une petite équipe, partageant les valeurs de responsabilité des chefs d'entreprise, disposant de la confiance des conseillers généraux, et pouvant mobiliser des aides pertinentes (aides à l'immobilier principalement), a concouru à l'adaptation du tissu des PME dans les dernières décennies. Témoignage d'une adhésion à ses actions, l'agence comptait, avant l'émergence de l'intercommunalité, 600 collectivités locales adhérentes et cotisantes.

L'industrie verrière de la vallée de la Bresle

Cette expertise et l'expérience accumulée ont permis d'anticiper la menace d'un affaiblissement du pôle verrier du département. Présente depuis le Moyen-Âge dans la vallée de la Bresle, entre Normandie et Picardie, l'activité verrière s'est amplifiée dans les années soixante-dix avec l'essor deux grands verriers et d'une cinquantaine de PME. La Vallée de la Bresle réunit un système productif local composé d'une quarantaine d'entreprises de conception, de fonderie, de moulage, de

parachèvement, de production et de décorations de flacons majoritairement destinés à l'industrie du parfum. Le risque de délocalisation des entreprises verrières de la vallée est apparu avec l'intégration des pays d'Europe Centrale et avec le renforcement de réglementations protégeant l'environnement. Face à cette menace, l'agence a initié plusieurs actions dans deux domaines : la coopération interentreprises et la communication.

En matière de coopération, quatre directions ont été retenues pour faciliter les synergies collectives : l'amélioration des process, dont l'un devant éviter le rejet de produits polluants ; la diversification des activités ; la recherche de nouveaux marchés à l'exportation ; et enfin l'organisation de la sous-traitance par grappe d'entreprises.

S'agissant de la communication, un programme a permis la réalisation d'un logo commun, d'une plaquette pour dix-sept entreprises, d'un site Internet, d'un CD rom et d'un stand commun à onze entreprises sur un salon.

En outre, au-delà de ces deux types d'action structurantes, l'agence de développement a initié en 2004 un groupement d'achats, la recherche d'un nouveau matériau et la mise en place d'un circuit touristique, et aidé à la création de 8 nouvelles entreprises.

La croissance du nombre d'emplois depuis dix ans, passé de 5.000 à 6.000, est un signe encourageant de l'ancrage territorial et de la pertinence de l'initiative de mise en réseau des entreprises du pôle verrier. L'amplification des actions collectives dans la Vallée de la Bresle permettra à la France de conserver plus de 75 % du marché mondial du flaconnage de parfum, soit environ 1,5 milliard de flacons.

Les résultats encourageants obtenus grâce à la mise en place d'agences de développement inspirent d'autres régions. Ainsi que l'a indiqué dans sa réponse au questionnaire du groupe de travail, M. Jacques Auxiette, Président du Conseil régional des Pays de la Loire, la région Pays de la Loire envisage de créer une telle agence, dans le souci de faire évoluer sa stratégie régionale de développement économique afin de préserver et promouvoir l'emploi industriel. Cette Agence régionale de développement économique serait chargée d'élaborer un schéma régional de développement. Son action s'inscrirait dans la volonté du Conseil régional de développer l'emploi industriel en s'appuyant non seulement sur une veille stratégique, mais également en renforçant les pôles de développement et en intégrant une logique de filières économiques. La région des Pays de la Loire espère ainsi pouvoir prévenir les délocalisations qui concernent des secteurs aussi divers que celui du textile ou de la filière électronique, notamment.

2. Des limites à l'action publique locale existent cependant

Tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Certains souffrent, cela a été dit, d'handicaps structurels qui rendent beaucoup plus difficiles et aléatoires leurs capacités de réaction. Ainsi, les territoires composés de bassins d'emplois peu peuplés et éloignés de grandes agglomérations risquent la paupérisation et le déclin démographique en cas de défaillance de l'unique employeur industriel. Mêmes les solutions consistant à déployer des infrastructures routières ne paraissent plus pertinentes pour permettre de rebondir à des bassins d'emplois manquant de taille critique pour muer. Les petites collectivités locales paraissent au demeurant démunies de savoir-faire et de moyens pour enrayer les deux phénomènes.

Certes, des collectivités savent prendre les initiatives salvatrices. Des départements comme la Vendée ou le Maine-et-Loire connaissent un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale alors même que leurs industries, dominées par les secteurs du cuir et de l'habillement, ont été les plus atteintes par les délocalisations.

Mais à l'inverse, certaines stratégies ou conditions du développement locale retardent les mutations nécessaires ou empêchent des résultats significatifs, notamment en matière d'emploi des personnes non ou peu qualifiées.

a) Des effets sur l'emploi local parfois insuffisants

L'industrie manufacturière est rarement la priorité des politiques locales . Quelques grands projets industriels technologiques (composants électroniques, automobiles) mobilisent certes des moyens significatifs de prospection et d'accueil, de même que certains projets manufacturiers dans l'alimentaire (plats préparés, sandwiches), notamment dans des départements du grand bassin parisien tels l'Indre-et-Loire et le Loiret. Toutefois, les collectivités locales cherchent à privilégier davantage les industries innovantes à forte valeur ajoutée dans des secteurs en croissance . Si cette démarche a évidemment sa légitimité, elle n'est cependant pas en mesure de contribuer à la création locale d'emplois non ou peu qualifiés. Or, ce sont ces personnels qui constituent la majorité des anciens salariés des entreprises manufacturières devenus demandeurs d'emplois .

De fait, les réussites des politiques de développement exogènes menées à l'initiative des collectivités locales profitent faiblement aux populations actives non qualifiées, et les emplois créés par des implantations dans les secteurs technologiques et certains services de haut niveau ne parviennent pas à faire baisser le niveau local du chômage. Les nouveaux emplois nécessitent des qualifications qui manquent aux résidents et sont donc pourvus par des migrants . Dans les situations extrêmes, qu'on rencontre par exemple dans le département des Bouches-du-Rhône, la demande locale d'emplois augmente même du fait de l'implantation du conjoint dans la région.

Enfin, en tout état de cause, l'accélération des pertes de postes non qualifiés dans l'industrie manufacturière dépasse souvent la capacité des collectivités locales à favoriser l'essor des activités industrielles ou tertiaires . Le positionnement sur des secteurs nouveaux nécessite plusieurs années avant de produire des résultats en terme d'emplois.

b) La modestie des moyens et l'émiettement des responsabilités

Dans le cadre de la décentralisation, les départements touchés par des crises industrielles élaborent leur propre politique de développement économique. Les conseils généraux conçoivent des aides appréciées des entreprises. Ils financent des zones d'activités conçues comme des produits et confient aux agences de développement des missions de prospection ou de suivi des entreprises en croissance ou en difficulté. Mais ces actions peuvent, faute de coordination suffisante, se concurrencer entre elles et, par ailleurs, aller à l'encontre d'orientations globales de développement arrêtées au plan national ou communautaire.

C'est au demeurant ce que constatait la Cour des Comptes dès 1996. Dans un rapport particulier sur les interventions des collectivités locales en faveur des entreprises, elle leur reprochait « de neutraliser le soutien différencié que l'Etat et l'Union européenne s'efforcent d'apporter aux zones défavorisées » et regrettait que « les collectivités n'opèrent pas des choix en faveur des zones les plus défavorisées de leur territoire en estimant que de tels comportements ne peuvent que renforcer les pôles les plus dynamiques » .

En outre, certaines collectivités locales ne disposent pas des moyens financiers suffisants pour agir avec efficacité lorsque le nombre de crises augmente et que les sites touchés sont nombreux . La tentation du « saupoudrage » des crédits est en effet grande, alors que des actions plus massives, sur des zones considérées comme prioritaires, permettraient de dégager des perspectives de reprises plus avérées. A cet égard, les moyens mobilisés pour l'accueil et l'appui des entreprises et des créateurs ne permettent souvent d'apporter un concours qu'à un nombre limité de bénéficiaires. Par exemple, l'agence de développement de Seine-et-Marne déclare ne connaître que 2 % des nouvelles entreprises créées chaque année. De même, la plate-forme d'initiative de la Haute-Loire ne finance qu'une vingtaine de projets par an, alors que le département compte 200.000 habitants et 5.000 demandeurs d'emplois. Paris lui-même offre seulement 6.000 m² de pépinières, au demeurant réservées à des projets technologiques, alors que le nombre des demandeurs d'emplois s'y élève à 160.000 et celui des allocataires du RMI à 60.000.

L'exemple du département de la Seine-Maritime, déjà retenu pour souligner l'importance d'une bonne animation économique par les agences de développement des collectivités territoriales, peut aussi témoigner des défis ainsi posés par plusieurs des déterminants évoqués ci-dessus, qui rendent nécessaire une permanente adaptation des outils publics.

Les défis à venir dans le département de Seine-Maritime relèvent de la problématique des délocalisations et de l'attractivité de Rouen, ainsi que de l'adaptation des moyens publics engagés.

De nouveaux secteurs deviennent en effet vulnérables en Seine-Maritime, comme l'électronique (7.500 emplois) et les industries mécaniques (25 % des emplois de l'automobile). Or, la capacité actuelle des interventions publiques dans l'économie ne semble pas permettre d'enrayer le mouvement de pertes d'emplois dans ces industries, voire son amplification. La baisse tendancielle de l'emploi industriel éventuellement aggravée par l'affaiblissement du tissu automobile et électronique pourrait

ainsi faire passer le nombre d'emplois industriels sous le seuil de 100 000 avant 2010. M. Jean-Marie Rouiller, ancien directeur de l'agence de développement, indique à cet égard : « Notre inquiétude vient du fait que trop peu de nos PMI vont capter les nouveaux marchés automobiles à l'Est alors que les PMI italiennes et allemandes sont déjà très présentes. Il n'y aura pas plus de "ligne Maginot économique" qu'il n'y a eu en 1939 de "Ligne Maginot militaire" pour protéger durablement l'Hexagone. Aussi, il est grand temps de travailler le développement de nos PMI en réseaux pour (...) exporter nos savoir-faire et nos productions à travers l'Europe sinon, demain, gare aux importations à bas coûts venant de ces pays ! » .

Si cette intensification de la mise en réseau des PME apparaît bien nécessaire, trois phénomènes doivent, selon M. Jean-Marie Rouiller, attirer l'attention des conseillers généraux :

- d'une part, l'attractivité départementale est négative ; le taux annuel de migration nette des entreprises était de - 1,42 % entre 1990 et 1999 et le taux de croissance des emplois comme le taux de création d'entreprises sont inférieurs à ceux de départements comparables par la taille et la vocation portuaire, tels la Loire-Atlantique, le Nord ou les Bouches-du-Rhône : or, l'augmentation d'un point seulement du taux de création représenterait 700 entreprises nouvelles de plus par an ;

- l'appui au développement des entreprises s'applique peu à l'agglomération rouennaise, qui représente un quart de la population départementale ; par comparaison avec des villes contribuant à l'équilibre du territoire national, Rouen n'a pas initié dans la décennie de nouveaux projets urbains destinés à attirer des activités privés exogènes ;

- de nombreuses agences de développement locales existent et fonctionnent sans synergie, telles l'agence commune aux deux Normandie, la mission de développement régional du conseil régional de Haute-Normandie, l'agence de l'agglomération rouennaise et d'autres agences locales (Le Havre, Elbeuf, Port-Jérôme) ; le cumul des moyens de fonctionnement des différentes entités est estimé à 1,6 million d'euros, soit la moitié de ceux disponibles dans des départements industriels comparables.

Ainsi, il semblerait que, face aux mutations économiques, le dispositif départemental, dont le nombre d'entrepreneurs bénéficiaires accueillis ou aidés ne dépasse pas la centaine, et qui aide moins de 1.000 emplois par an, ne soit plus adapté. Il mériterait sans doute une restructuration d'ensemble à l'issue d'un processus de réflexion collective.

Enfin, la capacité à agir des collectivités locales reste partielle du fait de l' émiettement des responsabilités économiques . Les capacités de calculs de l'Insee, le suivi macro-économique de la Banque de France, la connaissance des entreprises par les DRIRE, la compréhension du marché de l'emploi par l'ANPE et par les directions départementales du travail, ne donnent à aucun acteur public local une expertise globale de l'économie locale. M. Yves Aguiton, ancien directeur de l'agence de développement du Maine-et-Loire, estime ainsi « que l'organisation cloisonnée et centralisée des administrations concernées par les industries menacées par les délocalisations ne facilite pas la lucidité sur le phénomène. De plus, aucun acteur public n'a la pratique du calcul à l'échelle de la micro-économie locale. Or, pour arbitrer entre plusieurs actions publiques d'assistance aux personnes, d'aides aux entreprises menacées ou de diversification, il faut savoir calculer à l'échelle du bassin d'emplois. Par exemple, à quelles conditions la compensation d'un écart de rémunération en cas de reprise d'emploi à un niveau inférieur que le précédent est-elle plus ou moins coûteuse que le versement d'une indemnité chômage ? » .

3. Des causes exogènes qui accroissent les difficultés

A ces facteurs propres aux acteurs locaux eux-mêmes viennent s'ajouter d'autres évolutions, qu'ils ne maîtrisent pas mais qui réduisent encore l'efficacité des outils et leur bonne adaptation aux problématiques locales. On peut ainsi relever la réduction des budgets nationaux consentis, une certaine négligence, jusqu'à très récemment, en matière d'anticipation des crises, ainsi que la faiblesse du nombre des projets nouveaux dans une période de ralentissement général de la croissance économique.

a) La probable insuff isance des moyens financiers d'Etat alloués aux bassins touchés

L'Etat a initié pour les bassins touchés par des difficultés économiques une nouvelle procédure dite de « contrat de site » . On observera au plan sémantique que, par rapport aux appellations précédentes qu'étaient les « pôles de conversion » et les « zones d'entreprises » , la dénomination n'exprime plus de finalité économique.

Le 26 mai 2003, le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) a par exemple engagé, pour douze contrats visant à créer 7.000 à 8.000 emplois d'ici à 2006, une enveloppe de près de 350 millions d'euros pour la revitalisation de territoires concernés.

Selon le cabinet Formules Economiques Locales (FEL), l'aide par emploi, évaluée entre 41.000 et 50.000 euros, serait « très inférieure aux besoins pour atteindre les objectifs annoncés » . Ce constat s'appuie sur le postulat que la création d'un emploi sur un bassin en reconversion requiert 71.000 euros. Ce coût comprend l'aménagement d'une zone d'activité, l'aide à l'immobilier, un prêt de 8.000 euros par emploi et la gestion de la reconversion sur trois ans.

Le calcul de 71 000 € par emploi présenté dans l'étude est un coût calculé empiriquement pour une reconversion-type. Pour le cabinet FEL, il est vraisemblable, dans une zone en reconversion, que dix entreprises en mesure de créer chacune cent emplois et d'investir au total 100 M€ génèrent un besoin d'aménagements publics de 20 M€ et captent des aides à l'immobilier et à l'investissement représentant 40 M€.

Les bâtiments : la création de 1.000 emplois dans les secteurs logistiques et industriels va nécessiter, en appliquant un ratio moyen de surface par employé, 100.000 m² de bâtiments construits. La collectivité locale doit supporter le risque immobilier sur 100 M€. En effet, aucun investisseur privé ne se risque dans des secteurs excentrés et/ou dans bâtiments industriels. Le portage n'est pas un coût si il n'y a pas défaillance de l'occupant avant le terme du crédit-bail. Mais il nécessite une garantie d'emprunts qui n'est jamais prévue dans les mesures de CIAT. Ainsi, l'absence de garantie d'emprunts a dissuadé la communauté de communes de Val de l'Aisne (soissonnais) de réaliser un bâtiment en blanc en dépit de la subvention de l'Etat. Dans ces conditions, tout preneur sur une zone en reconversion bénéficie d'un rabais moyen de 20 %, qui représente 20 M€ d'aides publiques, soit 20.000 € par emploi

La zone d'activité : 100.000 m² de bâtiments nécessitent l'aménagement d'une zone d'activité de 50 hectares. Le coût moyen de 0,4 M€ par hectare (10.000 m2 aménagés) est celui d'une zone plate, sans vestiges archéologiques, proche des réseaux. Le coût d'une zone à aplanir, à desservir de loin,

avec des nouveaux équipements de traitement des eaux et nécessitant des fouilles archéologiques, serait supérieur. De plus, ce coût moyen n'intègre pas de financements spécifiques pour la dépollution, charge fréquente lors de la fermeture d'un site industriel. La contribution financière des entreprises sur des zones issues de processus de reconversion est marginale pour deux raisons : les conditions de cession sont à un prix symbolique au m² et les surfaces cédées sont inférieures aux surfaces aménagées. Un déficit final des opérations d'aménagement de 20 M€ revient ainsi à 20.000 € par emploi .

Les aides à l'implantation : le rabais sur l'offre immobilière n'est pas assez incitatif pour capter des entreprises sur une zone en reconversion au regard des aides accordées par d'autres territoires européens (les länder allemands par exemple) ou du surcoût spécifique d'une implantation en France, du fait notamment de la taxe professionnelle). Des aides directes ou indirectes sont donc nécessaires, à une hauteur moyenne de 20 % de l'investissement. En estimant que 1.000 emplois nécessitent un capital productif immobilisé de 100 M€, le coût de ces aides est ainsi de 20 M€, soit 20 000 € par emploi .

L'aide au financement : la pratique des prêts sans garantie au prorata des emplois créés par des sociétés de reconversion est l'une des composantes d'un package attractif. Pour 1.000 emplois, l'enveloppe de prêts s'élève à 8 M€, à raison de 8000 € par emploi . Cette somme est à terme remboursée par l'entreprise.

La gestion du projet : le coût de gestion de la reconversion territoriale est généré par les honoraires et les salaires des personnes chargées de la prospection et de l'ingénierie des projets locaux pendant trois ans. Il représente 1 M€ par an, soit 3 M€ sur la période, c'est-à-dire 3.000 € par emploi .

Le cabinet FEL parvient donc un montant estimé total de 71 000 euros par emploi. Ce coût est du reste, selon lui, une estimation minimale car il ne prend pas en compte les postes suivants, variables selon les situations locales : dépollution, réalisation d'un équipement public, aide à la restructuration d'un service public (postal, ferroviaire, etc.), appui à la restauration d'un monument à des fins touristiques ou culturelles...

Le cabinet estime que l'insuffisance des moyens alloués serait encore plus importante si l'on excluait ceux qui sont d'emblée affectés à des réalisations éloignées de l'accueil d'entreprises ou à des actions collectives (par opposition aux aides directes), telles que les projets de fibres optiques en rase campagne ou les aides aux organismes publics de promotion touristique, etc.

Dès lors, un objectif de 8.000 emplois supposerait, pour Formules Economiques Locales , un budget de 568 millions d'euros, en complément duquel devrait être prévu, sur plusieurs années, un portage de l'immobilier à hauteur de 160 millions d'euros pour 80.000 m². Selon ce cabinet, sur les bassins d'emplois pour lesquels il a pu obtenir une information chiffrée, le budget d'aides permettrait ainsi de recréer, au plus, la moitié des emplois annoncés.

Bassins touchés

Emplois à créer

Budget prévu en millions d'euros

Budget annoncé par emploi en milliers d'euros

Sommes nécessaires en millions d'euros

Capacité à atteindre l'objectif d'emplois

Soissons

1.500

56

37

105

53 %

Lens et Noyelles-Godault

1.000

44

44

71

61 %

Romorantin

1.500

42

28

106

39 %

Neuf sites d'industries de défense

5.000

127

25

355

35 %

De plus, une part des budgets annoncés devrait être affectée à des améliorations d'infrastructures non directement créatrices d'emplois. Pour le cabinet FEL, les moyens disponibles par emploi ne seraient ainsi pas suffisants.

Il convient toutefois d'ajouter à ce calcul que la coût public représenté par la prime d'aménagement du territoire (PAT) susceptible d'être attribuée à des entreprises ne figure pas dans l'annonce des décisions du CIAT. Or, pouvant représenter jusqu'à 11.000 euros par emploi, cette prime constitue un complément potentiel important aux efforts financiers consentis par l'Etat mentionnés ci-dessus.

b) La relative absence d'anticipation des crises

Les actions en faveur des industries manufacturières sont souvent déclenchées au moment des crises . Dans le contexte actuel, où les fluctuations de l'économie affectent des bassins d'emplois nombreux, dans des proportions quantitatives importantes pour chacun d'entre eux mais moins visibles que par le passé, une certaine carence d'évaluation préalable par la puissance publique est perceptible . Dès lors, les acteurs politiques et économiques sont surpris par l'apparition de la crise et, ne l'ayant pas correctement anticipée, leur capacité à réagir efficacement est mise en défaut.

Pourtant, les signes précurseurs de défaillance peuvent être nombreux. Mais faute d'une bonne organisation et d'un outil de veille permanente et coordonnée, ils ont longtemps été épars, ne faisant pas l'objet d'une analyse globale susceptible de permettre d'anticiper les mesures de reconversion. Le cas de Métaleurop à Noyelles-Godault témoigne de cette carence.

La mise en liquidation de l'établissement Métaleurop de Noyelles-Godault, qui employait 830 personnes à la production de plomb et de zinc, date de mars 2003. La disparition de cet établissement est présentée comme une décision inattendue du groupe. Or, l'activité de Métaleurop a connu tout au long de la décennie 1990 des exercices difficiles liés à la fois aux conditions d'achat du plomb et du zinc et aux processus de production dans une usine ancienne. Des changements d'actionnariats (cession par l'actionnaire historique Pennaroya) puis de directions constituaient ainsi de premiers signes publics avant-coureurs de l'aggravation des difficultés à venir.

En juillet 2002, la direction générale de l'entreprise envisage un important plan de restructuration de l'établissement de Noyelles-Godault. La direction générale communique officieusement à ses partenaires locaux, élus, syndicalistes, médias, l'existence de l'intention d'une restructuration importante pour la rentrée de septembre. Le directeur général est licencié pendant l'été, sans être remplacé : le Président de Métaleurop, de nationalité américaine, arrivé en France au printemps 2002, assure le pilotage du projet de restructuration. Le directeur général remercié alerte les autorités locales et syndicales durant l'été des risques de fermeture totale du site au vu d'une prévision de pertes cumulées sur deux ans de 97 millions d'euros. Il fait part de son projet, qui n'a pas été accepté, de sauver une partie de l'activité en l'orientant vers une nouvelle activité de recyclage, et informe une société de conversion. Puis les signes négatifs s'accumulent sans susciter ni réaction, ni anticipation : l'absence de communication de la direction du groupe, la chute du prix des matières premières, le soudain intérêt de journalistes pour les risques de pollution industrielle générée par l'usine.

En décembre 2002, la direction de Métaleurop annonce la fermeture totale du site et la suppression des 830 emplois. L'entreprise vend par ailleurs pour 100 millions d'euros à Xstrata plc, propriété du groupe Glencore, lui-même actionnaire de Métaleurop, l'usine de Nordenham Zinc, située en Allemagne, qui est maintenue en exploitation.

Ainsi, l'implosion d'une des principales usines de la région aura couvé pendant plusieurs années, et notamment les six derniers mois, sans intervention ou anticipation des conséquences par les pouvoirs publics.

Pour parer à ces difficultés, le Gouvernement a créé l'an dernier la Mission interministérielle des mutations économiques (MIME), chargée précisément d'effectuer ce travail de veille en liaison avec toutes les administrations de l'Etat concernées . En particulier, une réunion hebdomadaire lui permet de disposer d'informations précises sur les entreprises industrielles en phase de réduction d'effectifs. En outre, comme l'a rappelé M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, lors de son audition par votre groupe de travail, la mission économique des préfets a été précisément réorientée vers l'alerte afin d'éviter les effets de surprise.

L'opportunité offerte aux régions de conjuguer leurs forces à celles de ce nouvel acteur qu'est la MIME, afin de créer une synergie, n'a pas échappé à nombre d'entre elles. Le Conseil régional d'Alsace, ayant identifié l'importance que représente l'anticipation en matière de prévention des stratégies délocalisatrices des entreprises, a ainsi mis en place avec l'Etat un dispositif global de coordination des stratégies économiques en y associant le chef de la mission interministérielle sur les mutations économiques et le Préfet de région. Comme l'a indiqué M. Adrien Zeller, président du Conseil régional d'Alsace, dans sa réponse au questionnaire du groupe de travail, ce dispositif doit non seulement assumer une mission d'observation de l'économie alsacienne, grâce à un Observatoire des mutations économiques, mais également une fonction de pilotage des actions d'accompagnement, de développement et de soutien au tissu économique alsacien. La mise en place de la MIME paraît d'ailleurs si bien répondre aux besoins des régions quant à l'observation des phénomènes de délocalisation, la création d'une cellule autonome d'observation ne semble pas nécessaire à certaines d'entre elles, telles la région Franche-Comté, selon les indications fournies à votre groupe de travail par son président, M. Raymond Forni.

c) La diminution du nombre des projets industriels

Le nombre de projets industriels mobiles susceptibles de s'implanter en France diminue depuis le milieu de la décennie quatre-vingt-dix en raison de l'attractivité des nouvelles offres d'implantation, en particulier en Europe centrale et orientale. Depuis 2002, la France n'a pas capté de grands projets, comme l'avaient été Smartville en Moselle ou Toyota à Onnaing, tandis que le nombre annuel de projets de taille moyenne en compétition et gagnés par la France diminue sensiblement. Le maintien de bons chiffres annuels d'emplois créés par des entreprises à capitaux étrangers repose en réalité de plus en plus sur des extensions d'établissements existants et moins sur des créations de nouvelles entités. Ainsi, comme l'a relevé lors de son audition par votre groupe de travail le directeur de l'AFII, M. Bernard Yvetot, les deux tiers des emplois créés par des entreprises étrangères en 2003 l'ont été par des firmes déjà installées en France.

d) Des réflexions à mener pour envisager une meilleure efficacité

L'affaiblissement simultané d'un nombre élevé de bassins d'emplois manufacturiers, plus d'une centaine, dans un nombre croissant de secteurs industriels, nécessite à l'évidence de nouvelles modalités de soutiens . Les outils conçus pour des restructurations de grandes industries géographiquement concentrées ne sont plus adaptés et rendent certainement opportune la redéfinition de la maîtrise d'ouvrage par l'Etat et les grandes collectivités territoriales de l'appui aux reconversions locales.

Les réponses à plusieurs questions pourraient orienter la conception d'un nouveau dispositif : comment assurer une différenciation positive des conditions économiques dans les bassins prioritaires ? Quelles mesures peuvent compenser la rareté des implantations exogènes ? Comment assurer une effectivité à l'intervention économique locale quand les collectivités locales sont concurrentes ? Les pouvoirs publics doivent-il renforcer leur capacité de maîtrise d'ouvrage pour mieux acheter des prestations de reconversion ou bien disposer d'une capacité d'intervention qui leur soit propre ? Comment assurer une meilleure transparence aux objectifs et à l'évaluation des décisions interministérielles en faveur des bassins d'emplois en crise ? Comment réduire le nombre de niveaux fonctionnels et accroître sur le terrain la synergie des acteurs opérationnels ? Quelles actions nouvelles et quelles qualités sont nécessaires pour faire face à des crises locales simultanées et successives dans les mêmes bassins ?

Un exemple de cette prise de conscience figure dans la réponse au questionnaire de votre groupe de travail apportée par M. Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays de la Loire. Celui-ci a ainsi indiqué que la région avait mis en place une politique en faveur de l'internationalisation des PME/PMI , moins bien armées que les grands groupes sur les marchés extérieurs :

« Cette politique est d'abord basée sur un travail en réseau associant tous les acteurs régionaux travaillant à l'international au sein de la Convention régionale de l'Exportation. C'est aussi un travail en commun avec les régions voisines (Bretagne et Poitou-Charentes) comme également avec des régions européennes partenaires (le Schleswig-Holstein notamment). Sur les zones à fort potentiel mais difficiles d'accès pour les PME/PMI, la région a mis en place une politique de relais à l'étranger, conduite aujourd'hui au Japon et aux Etats-Unis. Cette politique ne peut se concevoir sans un soutien direct à l'entreprise :

- à titre collectif : organisation de missions commerciales et de partenariats technologiques, participation à des salons internationaux ;

- à titre individuel : accompagnement financier sur trois ans d'un projet structuré à l'international (étude de marché, recherche de partenaires, implantation commerciale, structuration à l'international, conseil externe, communication...) ».

TROISIÈME PARTIE - DES CHOIX DE PRINCIPE

Avant d'aborder la partie consacrée aux propositions qu'il estime utile de formuler, votre groupe de travail a souhaité prendre le temps de s'accorder sur les termes principaux du débat relatif aux délocalisations. Cette démarche, menée à partir des enseignements tirés tant de l'analyse macro-économique que des observations micro-économiques, lui semble nécessaire pour éclairer et justifier ses suggestions . Quelle que soit l'importance qu'on attribue au phénomène, que l'on considère qu'il s'agit d'un défi économique et social majeur pour notre pays ou, au contraire, d'un des mouvements, parmi d'autres, qui font le quotidien de l'activité économique, un certain nombre de principes paraissent devoir être dégagés pour clarifier la problématique.

Dans cette perspective, trois interrogations ont semblé primordiales. La première concerne l' attitude des pouvoirs publics à l'égard des délocalisations : doivent-ils avoir pour objectif de s'y opposer par principe ou leur rôle est-il davantage de définir des choix stratégiques susceptibles de ne les conduire, dans de nombreuses circonstances, qu'à accompagner les délocalisations afin d'en atténuer les effets sociaux et territoriaux ? La deuxième s'intéresse aux choix de développement à privilégier : la concurrence par les prix étant l' alpha et l' oméga des délocalisations « pures », quels seraient les sacrifices que seraient prêtes à assumer les sociétés développées pour limiter leur ampleur ? La troisième interrogation est relative au champ d'analyse de la réflexion : comment, dans une économie déjà largement mondialisée, la France doit-elle agir pour faire prévaloir et rendre efficaces les outils qu'elle entend forger pour s'inscrire utilement dans la division internationale du travail ?

I. CONTRARIER OU ACCOMPAGNER LES DÉLOCALISATIONS ?

Dans le débat public actuel, nombreuses sont les voix qui s'élèvent pour exiger « l'arrêt » des délocalisations industrielles et demander à l'Etat d'intervenir, soit juridiquement, soit financièrement, pour les empêcher . Cette position de principe exprime une inquiétude sociale partagée par nos concitoyens. Mais, pour la majorité de votre commission, cet apparent unanimisme n'est pas à lui seul suffisant pour rendre opportune une telle politique. Au contraire, une analyse objective de la réalité du phénomène démontre la nécessité de remplacer les mots d'ordre parfois simplistes par des suggestions plus adaptées à la complexité du problème . A cet égard, il paraît indispensable de s'interroger sur la légitimité et l'efficacité globale de l'intervention publique.

A. DE LA RÉALITÉ DES DÉLOCALISATIONS

Au fil de ses travaux, le groupe de travail a constaté que la plupart de ses interlocuteurs doutaient de l'intérêt de se préoccuper de la délocalisation des industries de main d'oeuvre. S'ils n'en contestaient pas toujours la réalité statistique, ils estimaient que ce phénomène n'avait pas de gravité intrinsèque, au contraire d'une problématique plus générale : la qualité de l'intégration de l'économie française dans la division internationale du travail. En outre, il a paru utile de replacer le débat sur l'éventuel « dumping » des économies émergentes dans un cadre plus réaliste, qui conditionne au demeurant les stratégies à adopter face à leur concurrence nouvelle.

1. Un processus normal et globalement bénéfique pour la croissance

Quatre enseignements majeurs ont été tirés de ses auditions par le groupe de travail, qui a été frappé par la convergence des analyses des économistes et des industriels, voire des représentants syndicaux, qu'il a entendus.

Tout d'abord, la délocalisation de la production des produits manufacturés arrivés à maturité, pour lesquels la concurrence s'exprime pour l'essentiel par les prix, est naturelle et économiquement rationnelle . Elle est source d'enrichissement national puisqu'elle permet aux consommateurs d'acquérir des biens à meilleurs coûts et aux facteurs de production d'être utilisés à la création de biens et services ayant un plus fort contenu en valeur ajoutée. A cet égard, elle est un élément de compétitivité contribuant au renforcement de la puissance de divers secteurs industriels quand bien même ceux-ci auraient supprimé des emplois. Par ailleurs, les délocalisations sont également source d'enrichissement international dans la mesure où elles ouvrent aux pays en voie de développement des perspectives de croissance qui leur seraient interdites en l'absence de commerce mondial et, ce faisant, accroissent les potentialités commerciales des pays riches en permettant l'émergence de nouveaux marchés solvables .

En ce qui concerne plus particulièrement les industries de main d'oeuvre , le coût du travail étant un élément déterminant des coûts de fabrication, la délocalisation de leurs segments de production les plus concurrentiels est un processus irréversible qu'il serait vain de tenter de contrarier par d'autres moyens que la spécialisation sur certaines niches ou gammes à haute valeur ajoutée ou le développement associé de services à la clientèle . D'ailleurs, les délocalisations ne sont pas un phénomène brutalement apparu ces deux dernières années : sans même évoquer les antécédents historiques séculaires, de nombreuses industries ont engagé ce mouvement dès les années soixante, une fois la reconstruction d'après-guerre achevée.

En outre, le même raisonnement théorique sur l'utilité des délocalisations peut être étendu à tous les secteurs des biens et services dès lors que l'on se place dans une économie globalisée et régulée : encadrée par des règles équitables de concurrence, la compétition entre pays développés et pays émergents à fortes capacités technologiques est elle aussi naturelle et saine, et propice à un enrichissement mutuel. Une telle dynamique rend inenvisageable toute tentation pour un pays comme la France de se replier sur un protectionnisme désuet qui, sans même parler de ses difficultés pratiques de mise en oeuvre, est désormais inadapté aux réalités de l'économie moderne dans laquelle s'est inscrit le pays depuis trente ans, sauf à risquer la paupérisation.

En dernier lieu, s'agissant de l' importance quantitative des délocalisations , il est avéré :

- d'une part, que la diminution de l'emploi salarié dans l'industrie leur est bien moins imputable qu'à l' amélioration continue , et particulièrement importante dans ce secteur d'activité, de la productivité des facteurs ;

- d'autre part, que la structure du commerce mondial est encore si largement dominée par les échanges Nord/Nord que la problématique de l'attractivité du territoire sous-tendant celle des délocalisations présente plus d'intérêt à être abordée dans l'optique de la compétition entre les économies développées que dans celle de la concurrence nouvelle posée par les pays émergents (106 ( * )) ;

- enfin, que le poids global des délocalisations dans l'ensemble des mouvements continus de restructuration de l'économie est , sinon marginal, du moins assez faible au regard des millions d'emplois détruits annuellement - et compensés par les millions d'emplois nouveaux créés (107 ( * )).

2. Des motifs d'inquiétude plus généraux

Ces diverses prises de position théoriques, que fait siennes la commission, déplacent dès lors la problématique des délocalisations sur deux autres terrains .

Le premier résulte du constat que la régulation des échanges mondiaux n'est pas aujourd'hui parvenue à un point permettant de qualifier d'équitables les règles de la concurrence internationale . Les multiples biais que constituent les barrières tarifaires et non tarifaires interdisent le jeu normal des avantages comparatifs sur lequel s'appuie la théorie classique du commerce international. Dès lors, un certain nombre de délocalisations apparaissent moins comme le fruit d'une division internationale du travail rationnelle que comme le résultat d'une concurrence considérée comme déloyale à bien des égards . Il sera relevé ultérieurement qu' il convient d'aborder les thèmes du dumping ou de la loyauté des relations commerciales avec prudence : reste qu'à l'évidence, un nombre considérable de difficultés demeurent, dont témoignent tant la nécessité de négocier au plan multilatéral, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ou d'autres instances collectives comme l'Organisation internationale du travail, pour aboutir à l'édiction de normes solides, que la difficulté d'examiner au cours de ces discussions des thèmes aussi essentiels pour le commerce mondial que les « sujets de Singapour », le respect des droits fondamentaux des travailleurs ou encore la protection de l'environnement. Aussi votre commission estime-t-elle particulièrement nécessaire que la France et l'Union européenne agissent avec ténacité pour renforcer le droit international dans ces domaines complexes mais primordiaux .

Le second terrain est celui de l' insertion de la France dans la nouvelle division internationale du travail qui s'esquisse. En définitive, c'est bien à cette question essentielle que se consacrent les analyses prospectives des économistes, et c'est dans cette perspective que se placent partenaires sociaux et décideurs politiques lorsqu'ils s'alarment de la désindustrialisation, s'interrogent sur l'attractivité du territoire, s'inquiètent de la situation de la recherche ou craignent la concurrence nouvelle de la Chine et de l'Inde. En effet, comme le relève notamment Mme Frédérique Sachwald (108 ( * )), rejoignant en cela tous les économistes, le danger est bien davantage la délocalisation par le haut d'activités de R&D au Etats-Unis que la délocalisation par le bas de productions banalisées ou faiblement rentables en Asie .

La redistribution mondiale des facteurs de production, des centres de profits et des sites de décision, la localisation des activités de recherche et développement et des centres d'innovation, l'importance croissante des industries technologiques et des services posent la question de la répartition de la valeur ajoutée à l'échelle planétaire . Chacun est bien conscient qu'il s'agit-là d'une problématique beaucoup plus large et primordiale que les délocalisations en tant que telles . Les auditions menées par le groupe de travail en ont révélé les enjeux, qui dépassent, et de loin, les industries de main d'oeuvre du pays pour toucher à l' ensemble des activités économiques exposées à la concurrence internationale . La France dispose-t-elle des bons outils pour obtenir sa part ? Est-elle correctement spécialisée sur les créneaux porteurs , qui génèrent de la richesse et offrent d'intéressantes perspectives de développement ? Le tableau dressé par les différents intervenants entendus par le groupe de travail est assurément contrasté mais n'incline pas nécessairement à la morosité : toutefois, il justifie qu'un certain nombre de dispositions soient prises pour renforcer les atouts dont dispose notre pays et combler les faiblesses dont il souffre . Plusieurs des propositions formulées par ce rapport poursuivent cet objectif prioritaire, avec pour objectif second et intimement associé de contribuer ainsi à éviter la délocalisation d'activités à haute valeur ajoutée , résultant d'un mauvais positionnement concurrentiel ou d'un insuffisant effort d'investissements.

3. L'attrait des avantages comparatifs des pays émergents : peut-on parler de dumping fiscal, social ou environnemental ?

Il a été abondamment démontré que l'une des raisons essentielles expliquant les délocalisations « pures » était la différence des coûts de production entre les pays industriels et les pays émergents . Tous les Etats du Nord, qui jouissent de systèmes sociaux extrêmement développés, riches et protecteurs, sont confrontés à cette concurrence par les coûts des pays en développement, rendue possible par une main d'oeuvre abondante et peu qualifiée et un état général de la société reléguant au second plan des problématiques aussi vivaces en Occident que la protection sociale ou celle de l'environnement. Est-il pour autant légitime d'accuser les pays émergents de dumping fiscal, social ou environnemental sous prétexte qu'ils ne satisfont pas à nos propres standards de développement ?

Dans la plupart des cas, à l'évidence non (109 ( * )). Plusieurs éléments permettent de s'en convaincre.

a) Coût de la main d'oeuvre

En ce qui concerne le coût de la main d'oeuvre , il suffira de rappeler que, comme le firent en leur temps les pays occidentaux, nombre des PVD incriminés vivent actuellement leur transition industrielle , phénomène historique qui se caractérise par le transfert de l'abondante population active agricole vers le secteur industriel. Cette « armée de réserve du capitalisme », ainsi que furent qualifiés par Karl Marx les actifs ruraux européens du XIX ème siècle, est immense dans des pays comme la Chine (700 à 800 millions de personnes pour une population totale de 1,3 milliard d'habitants) ou l'Inde, et très majoritaire dans les autres pays en développement si on la rapporte à leur population totale. Cette offre durablement abondante de travail à bas prix explique évidemment que les salaires soient, pour toutes les activités non qualifiées, inélastiques à l'augmentation de la production . De ce fait, même la définition d'un salaire minimum , bien que souhaitable dans son principe, n'apporterait pas immédiatement de solution à cette situation puisque son montant ne pourrait pas être déconnecté du niveau de vie local, pour l'essentiel conditionné par celui de la population rurale.

En outre, comme l'a souligné M. Pierre-Noël Giraud lors de son audition par votre groupe de travail, cette pression sur les coûts salariaux s'exerce également sur la rémunération des salariés qualifiés puisqu'elle détermine globalement le pouvoir d'achat des habitants du pays : l'échelle des salaires peut être ainsi largement ouverte sans pour autant que l'échelon le plus élevé ne devienne comparable à celui observé dans les pays développés. En réalité, les coûts du travail ne s'approchent de ceux connus dans ces derniers pays que pour des emplois extrêmement particuliers , dont les viviers locaux sont trop réduits et pour lesquels la concurrence est par conséquent importante : c'est par exemple le cas des fonctions de manager, qui sont fortement recherchées.

b) Système de protection sociale

S'agissant des normes sociales , on ne saurait demander à des pays qui partent de rien de construire du jour au lendemain des dispositifs de droit du travail, d'assurance maladie, d'assurance chômage ou de retraite que les pays industrialisés ont mis des décennies à établir. L'élaboration d'un système international de standards minimums à respecter doit aider ces Etats dans leur nécessaire développement social, mais il paraît clair que c'est le développement économique lui-même qui agira le plus efficacement dans ce domaine en favorisant, avec l'enrichissement progressif de la population, une demande sociale conduisant à la création d'un filet de protection des droits sociaux de plus en plus solide et élaboré . Ainsi, aujourd'hui, ne peut être raisonnablement contesté que le non respect des normes de l'OIT (110 ( * )), dont il convient malheureusement de constater que de trop nombreuses entreprises occidentales ne sont pas moins coupables que les entreprises locales , que ce soit directement lorsqu'elles s'installent dans ces pays, ou indirectement, faute d'un contrôle suffisant de leurs sous-traitants.

c) Normes environnementales

Quant à la faiblesse, voire à l'absence, de protection de l'environnement , elle ne semble pas davantage pouvoir être aisément incriminée. Le débat sur le fait de savoir si le souci environnemental est par nature universel ou simplement une préoccupation de « riches » dégagés de l'obsession alimentaire est à l'évidence impossible à trancher tant il dépend du côté où l'on se place. Mais, outre que l'un des pays qui s'opposent avec le plus de constance à la logique environnementale se trouve être les Etats-Unis, qui refusent notamment de ratifier le Protocole de Kyoto, votre rapporteur ne peut que condamner une certaine hypocrisie de l'opinion publique occidentale en la matière : chacun sait bien que l'édiction de normes environnementales toujours plus drastiques dans les pays industriels conduit autant à l'amélioration des processus de production pour les respecter localement qu'au transfert des activités les plus polluantes vers les pays en développement pour y échapper . Pour autant, il est certain que le respect de l'environnement doit être un objectif constant et qu'il convient d'encourager tous les pays à le poursuivre : la récente décision de l'Etat chinois d'interrompre la construction d'une série de treize barrages hydro-électriques sur le fleuve Nu, au coeur d'une réserve naturelle de biodiversité, est certainement un signe positif à cet égard.

d) Politiques fiscales

Reste la question fiscale : au plan théorique, la fiscalité peut effectivement constituer pour les pouvoirs publics nationaux et locaux un levier d'action plus maîtrisable que les autres et apparaître ainsi comme un outil artificiel de différenciation de la localisation géographique des entreprises . Il est d'ailleurs avéré qu'il est utilisé comme tel de manière générale par de nombreux Etats du monde, et au demeurant pas si loin de France, comme en témoigne par exemple l'impôt sur les sociétés en Irlande, dont le taux ne s'élève qu'à 12,5 %, ou, mieux encore, en Estonie, où il n'existe pas d'impôt sur les bénéfices ! Cela observé, trois réserves doivent être apportées aux accusations traditionnelles de dumping fiscal portées à l'encontre de nombre de pays en développement.

D'une part, un lien existe forcément entre le niveau de développement et d'équipement d'une société et les taux d'imposition qui y sont pratiqués : ce lien n'est pas rigide, comme le démontrent les différences appréciables de ces taux à l'intérieur même du groupe des nations industrialisées, mais la proportionnalité est tout de même une constante qui ne saurait être contestée. Dès lors, il n'est pas surprenant que les impôts appelés dans les pays émergents, dont l'urbanisation, les infrastructures de transports et de communication, les équipements de santé, d'enseignement ou culturels, etc., sont incomparablement moins développés que dans les pays occidentaux, soient globalement moins élevés que ceux de ces derniers.

A ceci s'ajoute, d'autre part, que les règles du commerce international définies par l'OMC interdisent la discrimination fiscale entre entreprises nationales et étrangères : le respect de tels principes conduit tout naturellement à l'attractivité fiscale des pays en développement puisque, en raison même de leur état relatif de pauvreté, il ne saurait pour eux être question d'imposer leurs activités locales à des taux « occidentaux » qui, prohibitifs, limiteraient précisément leurs perspectives de développement en interdisant l'émergence d'un entrepreneuriat local. Et lorsqu'ils dérogent à ces principes, des sanctions sont tout naturellement requises (111 ( * )).

Enfin, force est de constater que l'outil fiscal est largement utilisé par les pouvoirs publics nationaux et locaux des pays industrialisés eux-mêmes : les diverses zones franches qu'ils instituent ou exemptions fiscales qu'ils pratiquent pour favoriser l'implantation d'entreprises sur leurs territoires n'ont souvent rien à envier aux techniques mises en oeuvre dans les pays émergents.

Ainsi, d'une manière générale, il est patent que tous les éléments évoqués ci-dessus constituent, en tant que tels, des avantages comparatifs dont disposent actuellement les pays émergents face aux pays industrialisés . Appeler à leur disparition immédiate et radicale en invoquant un prétendu « dumping » anti-concurrentiel semble ainsi à votre commission irréaliste économiquement, financièrement et socialement, puisque ces Etats sont dans l'impossibilité pratique de le faire. En outre, ce serait également inacceptable politiquement pour ceux-ci puisque, précisément, sans l'existence de ces avantages comparatifs, leurs perspectives de croissance seraient très fortement diminuées. Comme l'a souligné d'une formule lapidaire et volontiers iconoclaste M. Pierre Cailleteau, directeur des risques pays au Crédit Agricole Indosuez, « l'avantage comparatif des pays pauvres, c'est leur pauvreté : leur imposer brutalement et immédiatement le respect des normes occidentales ne serait pas seulement irréaliste, ce serait aussi condamner leur développement » .

En revanche, favoriser le rattrapage progressif, et aussi rapide que possible, de nos standards est évidemment nécessaire, non pas tant pour lutter contre les délocalisations qu'en raison du fait que ce rattrapage sera l'expression de l'enrichissement des peuples de ces pays. A cet égard, la définition par l'OIT de normes internationales plus exigeantes en matière de droits du travail, syndicaux et sociaux, comme leur intégration dans les systèmes de réglementation du commerce mondial élaborés par l'OMC, que réclament toutes les centrales syndicales, apparaissent nécessaires à votre commission, pour autant toutefois que le facteur temps et l'adaptation à l'état des sociétés ne soient pas négligés : eux seuls seront les gages du succès d'une telle entreprise.

B. DE L'INTERVENTION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

Les outils dont disposent les pouvoirs publics nationaux et locaux pour orienter l'économie sont nombreux. Aux dispositions normatives générales portant sur l'éducation et la formation professionnelle, le droit du travail, la fiscalité, la normalisation, s'ajoute toute une gamme de mesures sectorielles destinées à inciter ou à protéger : aides financières, exonérations de charges, réglementations temporaires, etc. Mais, en matière de délocalisations, il est indispensable, avant d'examiner les moyens les plus efficaces pour intervenir, de s'interroger sur la légitimité même de l'intervention . En d'autres termes, est-il socialement et économiquement justifié que la puissance publique s'efforce de contrarier une évolution offrant globalement d'incontestables avantages macro-économiques ?

1. Une indispensable prudence au plan économique

Doit-on supprimer les aides aux entreprises qui délocaliseraient ? Doit-on interdire à l'administration d'accorder des marchés à des entreprises ayant délocalisé tout ou partie de leur processus de production ? Doit-on soutenir des secteurs uniquement au regard des risques de délocalisations auxquels ils sont exposés ?

Des lors que les délocalisations apparaissent à bien des égards comme un processus économique normal et globalement bénéfique, il semble très préjudiciable à votre commission d'entrer dans des logiques de sanction ou de soutien uniquement axées sur la notion de délocalisation , telles qu'elles ont pu être récemment évoquées ici ou là. D'une part, la définition de cette notion est, on l'a vu, très délicate, ce qui rendrait en pratique l'édiction de normes particulièrement difficile et leur application génératrice de multiples contentieux . D'autre part et surtout, de telles politiques conduiraient inévitablement à entretenir de manière artificielle des secteurs d'activité , avec pour conséquences perverses au niveau global :

- d' empêcher les mutations nécessaires permettant la modernisation desdits secteurs et leur bonne insertion dans la nouvelle division du travail, dont ils n'auraient d'ailleurs pas forcément à souffrir à l'issue de la période d'adaptation ;

- de rendre irrationnelle, donc inefficace, l'allocation des ressources publiques , aux montants évidemment limités : autant il est économiquement justifié d'encourager les entreprises à se placer sur les bons créneaux des échanges internationaux, notamment en soutenant leurs efforts d'innovation, autant il ne l'est pas de les aider à se maintenir artificiellement dans des conditions faussant la concurrence. On ajoutera que de telles mesures de soutien seraient terriblement dispendieuses puisqu'il faudrait en permanence injecter des fonds supplémentaires pour permettre à l'entreprise d'échapper aux règles de la concurrence internationale.

Ainsi, pas plus qu'un retour au protectionnisme, votre commission n'est favorable à des dispositions prises sur le fondement des « délocalisations », critère éminemment contestable et dangereux. Tout au plus pourrait-il être envisagé, comme y réfléchissent au demeurant les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, selon les informations données à votre groupe de travail par M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, de soumettre le bénéfice des aides publiques au respect d'un contrat passé par l'entreprise , afin d'éviter les situations de « localisation opportuniste » rarement pérenne.

En revanche, elle estime tout à fait nécessaire d'adopter des mesures de soutien ayant des objectifs de croissance clairement définis . Celles-ci pourront, de surcroît, permettre dans certains cas d'anticiper les risques de délocalisation . Ainsi devrait-on par exemple envisager de modifier le droit actuel afin de pouvoir conditionner l'attribution des aides publiques ou l'accès aux marchés publics à des critères sociaux, environnementaux ou d'investissements en R&D . De même serait-il certainement opportun de définir les quelques secteurs ou activités jugés stratégiques et devant, de ce fait, bénéficier de fonds publics, afin d' éviter le saupoudrage qui, s'il contente davantage d'acteurs, n'a qu'une efficacité limitée.

2. Une nécessité sociale et territoriale

Si les délocalisations ne constituent généralement pas un problème de nature économique, elles sont à l'évidence, cela a été démontré, un problème territorial et un problème social. Cette conviction de votre commission suffit à la conduire à préconiser, de la part des pouvoirs publics, un accompagnement attentif et adapté des délocalisations et, plus généralement, de toutes les mutations économiques auxquelles sont exposés les territoires et leurs populations .

Les outils publics d'accompagnement destinés à faciliter la reconversion des salariés et à relancer l'activité des bassins d'emplois sont, qu'ils relèvent de la responsabilité de l'Etat ou de celle des collectivités locales , extrêmement nombreux. De même, les mécanismes de formation professionnelle , qui peuvent autant anticiper les reclassements qu'y participer, sont très développés, en particulier par les partenaires sociaux. Cependant, le nombre n'est pas un gage d'efficacité . Le groupe de travail a été surpris de constater à quel point la puissance publique manquait d'éléments d'appréciation sur l'efficacité de tous ces dispositifs . Il préconise à cet égard l'institution d'une véritable politique d'évaluation , seule à même de garantir la bonne utilisation des sommes considérables engagées en la matière.

Celle-ci pourrait être assurée par la Mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME), structure de l'Etat destinée à développer l'anticipation des mutations économiques et à assurer la cohérence et la coordination de la politique du Gouvernement en matière d'accompagnement de celles-ci. Pour apprécier les futurs changements, il est à l'évidence nécessaire de regrouper et de synthétiser les données recueillies par filières sur l'ensemble du territoire afin d'avoir une vision partagée des grandes tendances à venir . Mais, afin de s'assurer que les politiques d'accompagnement préconisées pour faciliter l'adaptation des salariés et des territoires concernés aux transitions prévisibles sont efficaces, il faut aussi et surtout les suivre dans la durée de manière à pouvoir en mesurer et en évaluer comparativement les effets, au besoin en s'appuyant sur des expertises indépendantes. Un tel objectif nécessite cependant des moyens dont, en l'état actuel, la MIME, de création toute récente (112 ( * )), ne dispose pas encore, ce que regrette votre commission.

II. QUELS CHOIX DE DÉVELOPPEMENT PRIVILÉGIER ?

L'attitude à adopter face aux délocalisations suscite en deuxième lieu un questionnement sur le niveau de développement auquel aspire notre société . Nul ne conteste que, pour s'imposer dans la compétition économique, il soit nécessaire de fournir des efforts. Ce n'est que lorsqu'on aborde la nature de ces efforts, leur degré, leur répartition, que les divergences apparaissent : en cette matière plus qu'en d'autres, équité et efficacité ne sont pas synonymes d'égalité de traitement . Les modèles de développement assez divers que donnent en exemple l'Histoire ou le monde actuel sont là pour en témoigner. A cet égard, votre commission a souhaité baliser de quelques grands repères les pistes de solutions qu'elle préconise, tout d'abord en rappelant l' intérêt qui s'attache à conserver une exigence élevée de normes de développement , puis en suggérant une plus forte responsabilisation des acteurs économiques , avant de rappeler qu'aucune politique ne pourra s'exonérer, si elle recherche l'efficacité, de choix stratégiques susceptibles d'être douloureux .

A. MAINTENIR UNE EXIGENCE ÉLEVÉE DE NORMES DE DÉVELOPPEMENT

Le modèle français est fondé sur un haut niveau de protections collectives destinées à la fois à favoriser le développement individuel et à consolider le lien social . Que les moyens juridiques et financiers mis en oeuvre pour maintenir, voire accroître, ce niveau soient tous pertinents, efficaces ou cohérents, est évidemment une question essentielle, mais elle ne saurait être ici l'objet du débat. Plus modestement, il ne s'agit que de s'interroger sur les entorses à cette exigence que la société française serait éventuellement prête à consentir dans le but de diminuer le nombre des délocalisations des industries de main d'oeuvre . Dans cette perspective, il convient d'examiner successivement les deux principales différences entre le modèle de développement français et celui des pays émergents expliquant les écarts de coûts de production : la protection sociale , qui pèse sur le coût du travail, et les normes environnementales , qui affectent celui du capital.

1. Préserver le modèle social

Pour faire face à la concurrence des pays émergents sur les segments productifs employant une main d'oeuvre importante, l'une des solutions pourrait être de diminuer drastiquement le coût global du travail : supprimer tout salaire minimum, diminuer les charges sociales, augmenter fortement la durée du travail, réduire les contraintes normatives qui encadrent les relations du travail. Sans nécessairement tout réformer en même temps, ni sombrer dans l'excès, un certain nombre de pays industriels ont déjà effectué ce parcours ou s'interrogent sur l'opportunité de s'y engager.

La Grande-Bretagne connaît ainsi depuis une vingtaine d'années un modèle social aux antipodes, à bien des égards, du nôtre, fondé sur la flexibilité et la réduction au minimum des règles sociales (plusieurs directives européennes, telles celles relatives au temps de travail ou à l'information et à la consultation des salariés, ne sont toujours pas applicables en vertu de diverses dérogations). Nombre de commentateurs ne manquent pas de saluer le dynamisme de l'économie britannique , son taux de croissance flatteur (+ 2,3 % en 2003) et son faible taux de chômage (4,8 % l'an dernier). Cependant, ces performances ont un coût social très important : la sortie anticipée du marché du travail de plus d'un million de salariés pourtant en âge de travailler, une précarisation accrue des emplois (la moitié des contrats de travail ont une durée inférieure à quinze mois), une paupérisation qui s'aggrave (20 % des personnes ayant un emploi vivent en deçà du seuil de pauvreté : c'est le taux le plus élevé de l'Union européenne à 15). Mais surtout, cette stratégie n'a pas empêché à la Grande-Bretagne de subir sur la période une désindustrialisation sans précédent et de connaître des mouvements de délocalisations bien supérieurs aux nôtres .

Un constat identique peut être fait quant à la situation des Etats-Unis, qui sont confrontés à de nombreuses délocalisation alors même que, comme le rappelait lors de son audition M. Claude Pottier, chargé de recherches au CNRS, le salaire ouvrier moyen a connu , sur la période 1982-1996, une baisse absolue .

Pour votre commission, ces exemples tendent à démontrer qu'il est inutile d'engager avec les pays émergents une « guerre des coûts » de la main d'oeuvre en renonçant à un socle de protection sociale solide et étendu : outre qu'elle serait perdue d'avance compte tenu du différentiel de départ, elle ne paraît pas forcément efficace.

Mais cette position de principe n'interdit en revanche pas de chercher à renforcer l'efficacité des dispositifs existants , qui méritent bien des réformes . On peut donner à l'entrepreneur davantage de liberté dans l'organisation du cycle de production , et donc assouplir la législation sur le temps de travail, continuer à réduire le coût du travail non qualifié pour renforcer l'incitation à l'embauche et diminuer le chômage, rationaliser les dépenses d'assurance-maladie afin d'alléger les prélèvement sociaux , etc., sans pour autant trouer les filets de protection : c'est ce qu'ont entrepris avec succès ces dernières années des Etats « sociaux » comme la Suède, le Danemark, la Finlande ou encore les Pays-Bas. Leur exemple démontre que les pistes sont nombreuses : mais il serait illusoire de croire, comme le prétend par exemple le patronat allemand à l'occasion du débat sur l'éventuelle augmentation de la durée du travail, qu'elles permettront d'interrompre les délocalisations. Comme il serait dangereux que, mises en oeuvre avec excès, elles conduisent à la fracture du lien social.

2. Protéger l'environnement

Des précautions similaires semblent devoir être prises en terme de protection de l'environnement et de sécurité des produits . L'élévation progressive des normes en la matière répond à une véritable demande sociale et participe à l'évidence à l'amélioration du niveau de bien-être général. Pourtant, il est indéniable que l' accroissement de la réglementation renchérit les coûts de production et pénalise les capacités concurrentielles des industriels nationaux . Faudrait-il alors, pour préserver celles-ci, abandonner un mouvement par ailleurs vertueux ?

Comme en matière de protection sociale, votre commission doute qu'il s'agisse de la meilleure stratégie . Là encore, la différence entre les pays développés et les pays émergents est trop importante pour que les efforts à consentir soient acceptables par la société. Il peut être certes nécessaire de procéder à l' élévation souhaitable des normes avec plus de prudence , en donnant davantage de temps aux systèmes productifs pour s'y adapter , en vérifiant que la France adopte un rythme identique à celui des autres pays développés , en s'assurant que les consommateurs seront incités à privilégier les produits respectueux des législations environnementales . A cet égard, votre commission a fait des observations sur un certain nombre d'initiatives, européennes ou nationales, qui lui paraissent aujourd'hui précipitées ou malencontreuses.

Mais ces réflexions ne remettent pas en cause sa conviction quant à la nécessité de conserver, tout en la généralisant au plan international , l' exigence d'un développement économique respectueux de l'environnement et de la santé publique . Elle estime même qu'elle peut être un facteur de croissance pour l'industrie française , qui dispose dans les domaines concernés (la gestion de l'eau, des déchets, des réseaux de transports et d'énergie, de la problématique urbaine, etc.) d' atouts considérables en termes d'entreprises, d'expérience, de compétences, qu'elle devrait pouvoir valoriser encore davantage.

B. FAVORISER LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ACTEURS

Ces exigences sociales et environnementales imposent toutefois, en contrepartie, une plus grande responsabilité sociale des acteurs de l'économie . Le groupe de travail, à cet égard, s'est accordé sur trois orientations de principe concernant, respectivement, les entrepreneurs, les salariés et les consommateurs.

S'agissant des chefs d'entreprise , sans évoquer une responsabilité territoriale et sociale au sens strict, qui peut parfois entrer en contradiction avec la simple rationalité économique et les nécessités de développer leur activité, on ne peut cependant pas évacuer le facteur humain des processus de décision. Dans cette perspective, favoriser un management issu du territoire est de nature à orienter positivement certains choix stratégiques par une attention plus soutenue à leurs enjeux sociaux et territoriaux . Qu'on ne se méprenne pas : votre groupe de travail ne préconise aucun nationalisme rance ni repli identitaire. Mais il est convaincu, notamment à la faveur de ses rencontres en province avec des acteurs locaux, que le souci de l'intérêt social et territorial n'a pas la même intensité quelle que soit la nationalité du management.

On a coutume de considérer que ce concept de nationalité n'a, depuis longtemps, plus guère de sens pour les grandes entreprises à vocation mondiale ni pour leurs actionnaires . Ce constat est sans doute largement exact, encore que de récentes évolutions conduisent à tempérer cette affirmation . Ainsi, des patrons européens de filiales de multinationales américaines noteraient, depuis quelques mois, un brutal changement d'attitude quant aux nominations de cadres importants à des postes sensibles : leur siège aux Etats-Unis chercherait, à tout prix, à imposer des Américains et à réduire la part des cadres européens (113 ( * )). Cette tendance, si elle se confirmait, tendrait à démontrer que le lien affectif avec le territoire conserve encore une signification pour les managers des groupes multinationaux, tout comme il reste prégnant pour les dirigeants des dizaines de milliers de PME qui constituent le tissu de notre industrie . Dès lors, votre commission n'estime pas condamnable de chercher, par exemple, à limiter la prise de participation et de contrôle de PME françaises par des capitaux étrangers en instituant des mesures fiscales facilitant, au moment de la cession, la transmission familiale ou la reprise par les salariés .

En ce qui concerne ces derniers, il est indéniable qu'une amélioration du dialogue social à l'intérieur des entreprises ne pourrait manquer d'avoir des effets positifs sur notre système productif . La tâche est encore immense et le groupe de travail n'a guère eu l'opportunité ni le temps de pousser très loin sa réflexion en la matière. Mais de ses auditions, notamment avec les représentants syndicaux et certains économistes, et de ses débats en province avec des chefs d'entreprise, il ressort toutefois qu' une plus grande association des salariés en amont des processus décisionnels devrait certainement permettre soit de prévenir des délocalisations, soit de mieux les accompagner au plan social . Ainsi, par exemple, la formation des ouvriers à de nouvelles techniques ou de nouvelles compétences, dès que commencent à être envisagées des stratégies de délocalisation, peut autoriser une entreprise à choisir pour solution alternative de monter ses produits en gamme ou de développer ses services associés ; à défaut, elle donne en tout état de cause aux salariés les moyens de mieux se positionner sur le marché du travail en cas de nécessité. Mais une telle anticipation, comme l'association des intéressés très en amont, supposent à l'évidence une modernisation de la gouvernance de l'entreprise , fondée sur la confiance mutuelle, le dialogue exempt de tout procès d'intention et la valorisation des compétences de chacun.

Quant aux consommateurs , votre commission est convaincue qu'il existe des moyens de leur rappeler qu'ils sont aussi des producteurs : les informations sur la qualité des produits , l' indication de leur origine , le marquage destiné à rendre visible le respect des normes sociales et environnementales minimales , sont des voies qui doivent être explorées pour contribuer à guérir le citoyen-consommateur de la schizophrénie dont il souffre . Même si les résultats quantitatifs qu'on peut attendre d'éventuels changements de comportements en matière de consommation seraient certainement modestes, il semble opportun à votre commission de ne pas les négliger.

C. ASSUMER DES CHOIX STRATÉGIQUES POUVANT ÊTRE DOULOUREUX

Un dernier point mérite d'être souligné, même s'il ne peut s'agir que d'un rappel tant il relève de l'évidence : les fonds publics étant limités, il est impératif d'effectuer des arbitrages entre les politiques possibles . Pour votre commission, il n'est pas plus envisageable de sacrifier des territoires et des hommes en ne privilégiant que le soutien public apporté aux secteurs ou aux segments de production engagés dans la compétition mondiale que de continuer à soutenir sans discrimination des secteurs ou des segments condamnés par la nouvelle division internationale du travail.

Il faut à la fois favoriser la croissance et développer l'emploi , objectifs qui ne sont pas nécessairement compatibles au même moment. Le rôle, difficile, du pouvoir politique est d'aider l'économie à les concilier dans un bon équilibre : mais il ne peut y parvenir sans effectuer au préalable des choix stratégiques, clairement assumés, qui orienteront le soutien public en privilégiant les uns, en restant sourd aux demandes des autres. « On ne peut satisfaire tout le monde et son père » moralisait La Fontaine : telle est la règle politique dont, en matière économique, nul ne peut s'affranchir sans courir le risque de l'inefficacité. Cette règle sera donc la ligne de conduite de votre commission lorsque, dans ses propositions, elle appellera à la définition et à la mise en oeuvre d'une nouvelle politique industrielle .

III. DANS QUEL CHAMP D'ANALYSE INSCRIRE LA RÉFLEXION ?

Les derniers principes que la commission s'est attachée à formaliser concernent le cadre de l'action . Les mesures de soutien à la croissance, au développement d'une industrie compétitive, à l'insertion efficace de la France dans la division internationale du travail, qui peuvent conduire à empêcher ou ralentir certaines délocalisations, doivent-elles se limiter au territoire français ou s'inscrire dans le cadre de l'Union européenne ? Par ailleurs, peut-on, comme certains y appellent, céder aux sirènes du protectionnisme, ne serait-ce que temporairement, ou bien faut-il accepter sans réticences le grand jeu de la globalisation ?

La mondialisation de l'économie affaiblissant naturellement la capacité « souverainiste » des Etats-nations , les deux questions sont en réalité liées. Pour votre commission, tout repli national doit être proscrit car il serait, au mieux, inefficace , et au pire contre-productif . A l'inverse, l' insertion dans le cadre européen est de nature à élargir les perspectives de croissance de l'économie française, pour peu que la dynamique communautaire soit correctement encadrée tant au plan intérieur qu'à l'égard du reste du monde.

A. REJETER LE REPLI NATIONAL

Trois considérations conjuguées militent pour le refus de la tentation protectionniste nationale et, au contraire, pour le soutien à l'intégration croissante de la France dans l'Union européenne.

La première s'appuie sur le constat que, conformément aux intuitions des économistes classiques, l' échange est facteur d'enrichissement . Les exemples historiques de la véracité pratique de cet enseignement théorique sont nombreux et il est inutile de s'y arrêter longuement : qu'on observe simplement, s'agissant des pays industrialisées, la croissance de l'économie des Etats ayant choisis l'intégration européenne à l'issue de la période de reconstruction d'après-guerre ou, en ce qui concerne les pays émergents, la fulgurance du décollage économique de l'Inde dans les années ayant suivi la libéralisation de ses échanges en 1991. A l'inverse, il n'existe aucun témoignage probant de l'efficacité d'une économie repliée sur elle-même : l'état du monde entre les deux guerres mondiales démontre même que la réduction des flux d'échanges internationaux est préjudiciable à tous les acteurs.

La deuxième considération est plus prosaïque : l'insertion d'une économie dans l'ordre mondial est un mouvement qui, lorsqu'il a été engagé, ne peut être interrompu sans profondes difficultés . L'éventuel retour en arrière est toujours, l'Histoire l'a montré, la conséquence de faits tragiques et violents ne devant rien à une volonté collective démocratiquement partagée. S'agissant de la France, ouverte depuis longtemps aux relations internationales, initiatrice du projet européen et active animatrice de son enrichissement, liée à tous les Etats du monde par une succession de traités et d'engagements, on ne voit pas comment elle pourrait, quand bien même ce serait économiquement souhaitable au plan théorique, ériger du jour au lendemain des barrières à ses frontières et se replier sur son pré carré.

Dernière considération enfin, propre aux délocalisations : le processus d'intégration européenne présente l'avantage de rapprocher la France et l'Europe de la situation des grands ensembles territoriaux que sont les USA et la Chine, ou encore la Russie et le Brésil, en relativisant la notion de « nationalité » . Aux Etats-Unis, personne ne conteste les transferts d'entreprises d'un Etat vers un autre puisque qu'elles s'inscrivent dans un même ensemble économique, au contraire des délocalisations vers la Chine ou l'Inde. Il n'est pas douteux, pour votre commission, que d'ici peu de temps , l'appréciation par l'opinion française des mouvements de localisation des activités économiques à l'intérieur de l'Union européenne ne sera pas différente de celle qu'elle a aujourd'hui à l'égard de tels mouvements entre les diverses régions du pays . Nulle indifférence , certes, tant les problématiques d'aménagement du territoire sont, le Sénat est bien placé pour en témoigner, au coeur des préoccupations des élus. Mais pas non plus de sentiment d'irréparable perte nationale , les citoyens étant assurés que les nécessités d'un destin commun leur garantissent le soutien et la solidarité de la collectivité toute entière.

B. DYNAMISER L'INTÉGRATION EUROPÉENNE

La commission est ainsi convaincue que l'Union européenne offre à l'économie française une opportunité de développement dont elle ne saurait désormais se passer . Encore faut-il, naturellement, franchir le cap de l'intégration des dix nouveaux membres en évitant que l'aide temporaire à laquelle ils peuvent légitimement prétendre ne s'accompagne d'un effet de « vases communicants » définitivement préjudiciable à l'industrie des « 15 ». Durant cette période critique , divers dispositifs devront donc être institués, notamment dans le cadre de la politique communautaire de soutien régional, pour assurer le meilleur équilibre intra-européen .

Mais cet élargissement des frontières de l'Union rend également nécessaires deux démarches nouvelles , qui se conjuguent sans doute. La première est l' édification d'un véritable gouvernement économique européen contribuant à la convergence des politiques économiques nationales des Etats membres et à la définition d'une stratégie économique européenne , notamment dans le domaine de l'industrie. Les récentes discussions franco-allemandes relatives à la création d'un poste de « super commissaire » européen à l'économie vont dans ce sens, tout comme la volonté du Président Chirac et du Chancelier Schröder, exprimée au mois de mai, de créer des « champions industriels européens ». Le groupe de travail souscrit entièrement aux principes qui fondent ces initiatives et espère que celles-ci déboucheront rapidement sur des mises en oeuvres concrètes .

Sa conviction est d'ailleurs si grande que la reprise de la croissance et le maintien de la puissance économique de notre pays sont principalement conditionnés par un tel volontarisme politique qu'il a approuvé le titre de ce rapport, que lui proposait son rapporteur. Faisant référence à notre tradition nationale d'encouragement public à l'activité industrielle , le « néo-colbertisme européen » auquel il appelle devrait ainsi se traduire, dans les faits, par une série de mesures propres à renforcer la puissance industrielle de l'Europe face à la concurrence des autres zones de production du monde . Il s'agit notamment de donner au développement industriel , dans la politique de l'Union, une place aussi légitime et importante , au moment des arbitrages nécessaires, que celle accordée à la politique de la concurrence ou aux préoccupations environnementales .

Une seconde démarche doit permettre d'aller encore plus loin. Le processus d'intégration européenne s'inscrit dans un mouvement général au monde contemporain qui voit se créer de très larges ensembles d'Etats liés par des intérêts économiques et politiques communs . Tous les pays, même les plus puissants, ont engagé ces dix dernières années des stratégies commerciales dans des zones de libre-échange formalisées (tels les Etats-Unis dans le cadre de l'ALENA, créée avec le Canada et le Mexique) ou non (le Japon, avec sa sphère d'influence de l'Asie du Sud-Est et de la Chine). Il n'est pas jusqu'à ce dernier pays à ressentir, malgré la taille gigantesque de son propre marché, la nécessité de tels accords : la Chine vient en effet de s'accorder avec l'Association des nation d'Asie du Sud-Est (ASEAN) sur les modalités de création, à partir de 2010, de la plus grande zone de libre-échange du monde, qui regroupera plus d'1,7 milliard d'habitants. De même l'Union européenne aura-t-elle intérêt à conclure de tels accords, soit avec ses voisins immédiats de l'Europe centrale ou du pourtour de la Méditerranée (conformément à la notion de « zone euroméditerranéenne » préconisée par les industriels de la filière textile), soit encore avec des ensembles d'Etats regroupés au sein d'autres zones (114 ( * )).

Il n'est pas douteux, pour votre commission, que la taille et la puissance de l'Europe élargie doivent lui permettre demain, plus encore qu'aujourd'hui, de tirer parti de l'accroissement des échanges mondiaux. Mais elle ne pourra y parvenir sans reconnaître à l'industrie , quelles que soient les évolutions futures de la structure de l'économie, la place qui lui revient , ni lui donner les moyens de l'occuper pour s'imposer face à la concurrence internationale .

QUATRIÈME PARTIE - ADAPTER LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE AUX DÉFIS POSÉS PAR LES DÉLOCALISATIONS

Ayant ainsi précisé les principes qu'elle considère comme essentiels, votre commission a estimé que ses préconisations devaient répondre à trois préoccupations principales : favoriser un meilleur positionnement de nos entreprises dans la nouvelle division internationale du travail , soutenir les territoires affectés par les délocalisations et, plus généralement, les mutations industrielles , et promouvoir une politique industrielle qui, pour être durablement efficace, ne peut s'inscrire que dans le champ communautaire .

Au plan économique, plusieurs pistes doivent être privilégiées pour éviter la délocalisation des activités productives riches en valeur ajoutée, dont nulle logique économique ne peut justifier le transfert à l'étranger . Dans cette perspective, il s'agit concurremment de supprimer les contraintes, en particulier fiscales, entravant le développement économique et constituant autant d'incitations aux délocalisations d'activités, de renforcer les avantages comparatifs de la France pour améliorer l'attractivité de son territoire et la compétitivité de son tissu industriel, et d' organiser et de soutenir, dans une logique d'innovation, les filières de production , donc aucune n'est condamnée a priori dans son ensemble .

Pour que les mutations économiques soient acceptées par nos concitoyens, il faut leur donner les moyens de s'y adapter en récusant toute notion de « sacrifice » obligé des plus exposés aux nécessités de la modernisation . Dans cette optique, il convient tout d'abord d' affermir le rôle des collectivités territoriales en matière de développement économique , afin de rapprocher les outils d'action des territoires et populations concernés. Il est ensuite nécessaire d' améliorer l' « employabilité » de la main d'oeuvre par un effort plus soutenu, et soucieux d'une réelle efficacité, en matière de formation initiale et permanente. Il paraît enfin indispensable d' agir sur la structure des emplois afin de ne pas négliger des gisements d'emplois de proximité présentant pour avantages de n'être pas délocalisables , de créer de la richesse , d'être potentiellement nombreux et de permettre de satisfaire des besoins croissants .

Reste enfin, en complément de ce double cadre d'action, à soutenir un volontarisme industriel nouveau au plan européen . Il s'agit d'une part de garantir un développement équilibré de l'Union européenne favorisant l'harmonisation accélérée des politiques publiques dans tous les domaines ayant une incidence sur la répartition des moyens de production à l'intérieur du périmètre communautaire. Il s'agit d'autre part de renforcer la puissance industrielle de l'Union face au reste du monde , en faisant de cet objectif une ambition politique prioritaire dotée des moyens et des outils adaptés à son succès.

I. FAVORISER L'ACTIVITÉ PRODUCTIVE

Pour accroître le potentiel économique du pays et développer l'emploi, la première des priorités est assurément de favoriser l'activité productive . S'il ne relevait pas de la mission du groupe de travail de donner un contenu à ce truisme dans tous ses aspects, il lui paru nécessaire d'indiquer les trois directions qui, pour agir contre les délocalisations injustifiées, devraient selon lui structurer notre politique économique . La première vise à mettre fin aux mécanismes, en particulier fiscaux, qui favorisent objectivement les mouvements de délocalisation . La deuxième a pour objet de renforcer les avantages comparatifs dont dispose notre pays , de manière générale ou dans certains secteurs, afin d'inciter au maintien domestique des activités, de favoriser les investissements étrangers « greenfield » sur le territoire et de valoriser nos savoir-faire. La dernière, mais non la moindre, consiste à organiser et soutenir les filières dans une logique d'innovation , en privilégiant de manière délibérée et plus efficiente les activités et segments riches en valeur ajoutée.

A. SUPPRIMER DES INCITATIONS AUX DÉLOCALISATIONS

Parmi les multiples facteurs semblant entraver la reprise de la croissance économique évoqués par les divers interlocuteurs du groupe de travail, un nombre important relève d'orientations politiques générales ou particulières qui, pour être sans aucun doute opportunes, ne constituent pas directement des réponses aux délocalisations. Aussi le groupe de travail, soucieux de rester dans le cadre de l'épure, les a-t-il délibérément écartées, quand bien même elles pourraient peut-être avoir, par contrecoup, une certaine incidence sur la localisation des activités industrielles. Il lui a en effet paru plus efficient de porter son attention sur trois types de propositions s'inscrivant directement dans la problématique et susceptibles dès lors, nonobstant parfois leurs difficultés de mise en oeuvre, d'être davantage opérationnelles.

Ces propositions concernent respectivement la taxation des facteurs de production , le soutien à l'entrepreneuriat national et la valorisation des produits respectueux des normes sociales et environnementales .

1. Cesser de taxer les facteurs de production

Tous les industriels entendus par votre groupe de travail ont placé au premier rang des incitations à la délocalisation, ou plus exactement des obstacles à la localisation sur le territoire français d'investissements destinés à accroître les capacités productives , le coût de la main d'oeuvre et la taxe professionnelle . Si la première de ces deux charges ne constitue pas, au contraire de la seconde, une spécificité française, et si, comme cela a été examiné précédemment, il serait illusoire d'espérer la ramener à des niveaux comparables à ceux que connaissent les pays émergents, il semble cependant possible de modifier le mode de financement de notre système de protection sociale pour le rendre plus compatible avec le développement de l'activité productive nationale . Quant à la taxe professionnelle, le débat ouvert à son sujet au début de l'année 2004 par le Président de la République ouvre des perspectives salutaires à l'industrie française .

a) Substituer aux charges sociales une TVA de compétitivité

Le coût du travail est relativement plus élevé en France que dans nombre des autres pays développés en raison de l' importance des charges sociales assises sur les salaires , lesquels s'inscrivent quant à eux dans la moyenne des salaires de membres de l'OCDE. Or, les différentes mesures d'exonération de cotisations sociales patronales instituées depuis une dizaine d'années pour les bas revenus ont eu, tous les économistes en conviennent, d'excellents résultats sur l'emploi des travailleurs non qualifiés. Pour votre commission, il convient désormais d'aller plus loin et de généraliser la baisse du coût du travail sans pour autant pénaliser les actifs , en transformant radicalement le dispositif actuel de financement des branches famille et maladie .

Conformément à des préconisations avancées dès 1993 par notre collègue Jean Arthuis dans son rapport d'information, et reprises et développées depuis par des intervenants très divers (115 ( * )), ce financement devrait être désormais assuré par une taxe sur la consommation , qui pourrait être qualifiée de TVA de compétitivité . Le principe en est simple, et les avantages très nombreux.

(1) Un principe simple

Si le financement par l'activité professionnelle des dépenses sociales qui lui sont liées (chômage, retraite, accidents du travail, formation professionnelle) ne soulève aucune question de principe, il n'en est pas de même de l'assurance maladie, des prestations familiales ou encore du logement : nulle raison autre qu'historique n'explique que le financement de ces acquis sociaux, qui relèvent dans leur principe de la solidarité nationale, soit assis sur le travail. Or, ces charges pénalisent directement l'activité productive nationale en renchérissant le prix des biens produits localement par rapport à celui des biens confectionnés dans des pays où le coût du travail est plus bas, notamment en raison d'un filet de protection sociale plus lâche . Cette altération des capacités concurrentielles de nos productions domestiques les affecte au demeurant tant sur le marché intérieur , où elles sont exposées à des importations évidemment attractives, qu' à l'export .

Ces charges sont loin d'être négligeables . On observe par exemple qu'en ce qui concerne les salariés relevant du régime général de sécurité sociale , elles représentent plus du quart du salaire brut : 12,8 % de cotisations patronales d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès, 0,75 % de cotisations salariales pour ce risque, 5,4 % pour les allocations familiales, 0,2 % pour le veuvage, 0,1 % ou 0,5 % selon les entreprises pour le fonds national d'aide au logement (FNAL), 0,45 % pour la participation des entreprises de dix salariés au moins à la construction, 5,25 % pour la part de la contribution sociale généralisée (CSG) affectée au régime d'assurance maladie, et enfin 0,5 % au titre de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Naturellement, même si leur nombre, leur structuration ou leurs taux diffèrent, des prélèvements similaires sont opérés sur les revenus des travailleurs non-salariés.

La réforme suggérée par votre commission consisterait dès lors dans le basculement de ces prélèvements sur une taxe assise sur la consommation, c'est-à-dire une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour assurer la neutralité comptable du transfert, le niveau de cette taxe devrait être calculé de manière à garantir la collecte d'un produit au moins identique au montant actuel des cotisations concernées. Mais rien n'interdit toutefois de saisir l'occasion pour, dans le cadre du débat actuel sur la pérennité financière du système d'assurance maladie, combler aussi le déficit accumulé jusqu'à présent (116 ( * )) et établir un équilibre entre dépenses et recettes évitant de l'accroître davantage . Enfin, votre commission observe aussi qu'une telle réforme pourrait utilement s'accompagner d'un réexamen d'ensemble de la structuration des taux actuels de TVA (117 ( * )) pesant sur les biens et services , dont l'architecture résulte elle aussi de compromis historiques successifs ayant bien peu de rapports avec la rationalité économique.

Si le principe de cette réforme est simple, votre commission convient que sa mise en oeuvre sera évidemment très compliquée à engager , et devra nécessairement être précédée d'une analyse minutieuse des conditions de sa réussite. Cependant, les avantages qu'on peut en attendre sont tels qu'il serait très préjudiciable de la récuser au prétexte de la complexité indéniable que présente le basculement.

(2) Des avantages très nombreux

Quels bénéfices collectifs tirer d'un tel mécanisme ?

En premier lieu, rétablir une certaine équité en matière de formation des prix . Le dispositif actuel pénalise en effet tous les biens et services utilisant de façon intensive le facteur travail , en particulier les outputs des industries de main d'oeuvre, dont se préoccupe principalement votre groupe de travail. Il incite par conséquent à une substitution du capital au travail qui, si elle autorise d'appréciables gains de productivité, pèse cependant très fortement sur l'emploi, notamment des travailleurs non qualifiés .

En deuxième lieu, améliorer la compétitivité relative des biens produits sur le territoire national et soumis à la concurrence étrangère sur le marché français , grâce à un double mécanisme positif. D'une part, l'assujettissement à la TVA compétitive des produits importés augmenterait nécessairement leur prix de vente dans une proportion égale au niveau de cette taxe : le bénéfice concurrentiel qui en résulterait pour les produits domestiques serait donc direct. Mais, d'autre part, le report sur lesdits produits importés d'une partie du financement de la protection sociale de notre pays conduirait à nécessiter un moindre prélèvement social sur l'ensemble de la production nationale : dès lors, l'enchérissement d'un produit domestique résultant de la taxe pourrait être finalement inférieur à la diminution de son coût de revient consécutif à la suppression d'une partie des charges sociales, et son prix de vente être ainsi lui-même réduit (118 ( * )). L'attractivité des prix des produits français serait donc renforcée de deux manières distinctes et complémentaires.

En troisième lieu, accroître la compétitivité des productions destinées à l'exportation , qui bénéficieraient à plein de la réduction du montant des charges sociales pesant sur leur coût de revient puisque aucune TVA ne viendrait enchérir leur prix en compensation : les gains de compétitivité seraient d'ailleurs d'autant plus importants que le bien produit serait riche en facteur travail.

Tous ces avantages seraient immédiatement perceptibles en matière de localisation des industries de main d'oeuvre puisqu'ils conduiraient, de manière cumulative, à rendre plus intéressante la consommation des produits fabriqués en France . Mais ils peuvent être complétés par deux autres types de considérations.

D'une part, asseoir sur la consommation plutôt que sur l'emploi le financement de la partie de notre système de protection sociale relevant davantage du principe de solidarité que de celui de l'assurance serait un moyen de garantir la pérennité du modèle social français : la consommation des ménages est en effet tendanciellement orientée à la hausse et ses fluctuations sont plus réduites que celles du marché de l'emploi, ce qui permettrait d'assurer un financement régulier de la sécurité sociale ; les difficultés récurrentes de celle-ci, et notamment de sa branche maladie, seraient donc, pour ce qui concerne à tout le moins la colonne recettes, durablement amoindries.

D'autre part, la création de cette TVA de compétitivité pourrait ne pas être uniforme et, au contraire, être organisée de manière discriminante en faveur de secteurs ou d'activités que des objectifs politiques ou économiques clairement établis choisiraient de favoriser . C'est dans cette perspective, au demeurant, que la réforme pourrait également être étendue à la répartition actuelle des taux de TVA, afin d'en rendre la structure plus cohérente, notamment au regard de la rationalité économique.

(3) Des objections qui ne résistent pas à l'analyse

Outre la difficulté de l'entreprise, qui est indéniable mais que votre commission ne saurait considérer comme dirimante (119 ( * )), trois catégories d'objections peuvent être opposées à cette proposition de réforme.

La première consiste à dénoncer la création d'un impôt indirect supplémentaire , considéré comme inéquitable car supposé frapper plus lourdement les plus bas revenus . Outre que de nombreuses études économiques tendent à démontrer que la TVA pèse en réalité davantage sur les revenus moyens que sur les bas revenus et qu'elle n'est qu'en apparence un impôt régressif (120 ( * )), trois considérations viennent tempérer cette critique :

- d'une part, comme l'a opportunément observé devant le groupe de travail notre collègue M. Jean Arthuis, tous les impôts et charges acquittés par les entreprises sont financés par leur chiffre d'affaires , et donc en définitive par les consommateurs . De ce fait, la substitution d'un canal de financement de l'assurance maladie et de la branche famille par un autre serait globalement neutre pour le consommateur , dont l'arbitrage ne porterait que sur le contenu de son « panier » de consommation : un des objectifs de la réforme est en effet de l' inciter à acquérir davantage de produits français , au détriment de produits importés rendus plus chers par leur assujettissement à la TVA de compétitivité ;

- d'autre part, il a été indiqué ci-dessus que le taux de cette taxe serait susceptible de ne pas être uniforme : on peut ainsi imaginer que les taux soient déterminés en considération de la structure de consommation moyenne des bas et moyens revenus , afin de ne pas déformer ladite structure et garantir une capacité de consommation des populations concernées similaire à l'actuelle ;

- enfin, la proposition de votre groupe de travail a pour but de favoriser l'emploi domestique et donc de contribuer à diminuer le chômage : le retour à l'emploi étant un facteur d'enrichissement des intéressés accroissant leur capacité de consommation, l'éventuelle pénalisation susceptible d'advenir semble alors pouvoir être largement compensée par les bénéfices globaux tirés de la réforme.

La deuxième objection est de nature institutionnelle : le financement des branches maladie et famille par une TVA mettrait à mal l'organisation paritaire du système de protection sociale , fruit de bientôt soixante ans d'histoire. Il semble à votre groupe de travail que l'évolution même de ce système depuis qu'il est soumis à de graves déséquilibres financiers rend cette critique inopposable . La création de la CSG ou de la CRDS d'un côté, les diverses politiques de réduction ou de suppression des charges sociales de l'autre, le vote annuel de la loi de financement de la sécurité sociale par le Parlement enfin, sont autant de preuves que le financement de la protection sociale n'est plus désormais un élément dépendant des seuls partenaires sociaux . Mais ces preuves démontrent aussi , a contrario , que le paritarisme peut vivre tout en s'accommodant de modes de financement s'apparentant à l'impôt . Dans ce contexte, la substitution d'une TVA de compétitivité à certaines charges sociales ne paraît pas constituer une atteinte insupportable au mode de gestion paritaire de notre dispositif de protection sociale. Ce que ne semble au reste pas contester le président de la CFE-CGC, M. Jean-Luc Cazette, qui appelle lui-même à ce nouveau mode de financement, pour des raisons identiques à celles avancées par votre groupe de travail.

On ajoutera qu'un tel dispositif serait également économe des deniers publics puisqu'en élargissant l'assiette d'une partie des prélèvements sociaux, il permettrait de supprimer tout un système complexe d'exonérations de charges sociales qui, pour être souvent légitimes au plan économique, n'en pèsent pas moins sur nos finances publiques de manière considérable, sans d'ailleurs que leur efficacité soit toujours démontrée.

La dernière objection concerne la faisabilité du projet au regard des obligations communautaires et internationales de la France .

Au plan européen, la réglementation de la fiscalité indirecte relevant de la compétence communautaire, on peut s'interroger sur la latitude qu'aurait la France à instituer un tel mécanisme. Les difficultés rencontrées par le Gouvernement pour étendre à la restauration traditionnelle le bénéfice du taux réduit de TVA applicable aux activités à forte intensité de main d'oeuvre imposent en effet une certaine prudence en la matière. Trois considérations semblent toutefois permettre de lever ces réserves :

- d'une part, le Danemark a déjà adopté ce système et finance donc une partie de sa protection sociale par une TVA qui n'a pas suscité l'opposition des instances communautaires : le mécanisme n'est ainsi pas contraire dans son essence aux prescriptions européennes ;

- d'autre part, alors même que ces dernières datent, dans leurs principes fondamentaux, de 1977 (121 ( * )), un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (122 ( * )) a distingué, dix ans plus tard, la destination du produit des taxes pour les qualifier ou non de taxes à caractère fiscal rentrant dans le champ d'application de la directive : « La notion d'impôts, droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires, telle qu'elle figure à l'article 33 de la sixième directive (...), doit être interprétée en ce sens qu'elle inclut une taxe, à caractère non fiscal, (...) au profit de régimes de sécurité sociale (...) » . Ainsi, il semble bien possible d'instituer, indépendamment des prescriptions de la directive de 1977, une TVA à but social, distincte de la TVA à vocation fiscale et venant s'ajouter à celle-ci ;

- enfin, quand bien même cette direction ne pourrait être suivie, rien n'interdit d'agir sur les taux de TVA dans le cadre même des dispositions communautaires . Celles-ci, en effet, définissent certaines catégories de taux et précisent quels secteurs peuvent déroger au taux normal. Cependant, ce taux normal, comme les autres taux (réduit, super-réduit, « parking »), ne sont pas strictement définis : les Etats sont simplement contraints de déterminer leurs propres taux dans le respect de limites minimales pour le taux normal (15 %) et le taux réduit (5 %). Ainsi, par exemple, le taux normal de TVA des Etats des Quinze varie actuellement entre 15 % (Luxembourg) et 25 % (Danemark et Suède), la France, avec 19,6 %, se situant presque exactement au niveau communautaire moyen (19,4 %). Dès lors, rien n'interdirait à celle-ci d'augmenter son taux normal de TVA, ainsi d'ailleurs que son taux réduit, d'autant de points nécessaires à la compensation de la suppression de certaines charges sociales.

Restent alors les interrogations sur la compatibilité de ce système avec les règles adoptées dans le cadre de l'OMC : la TVA de compétitivité serait-elle une mesure protectionniste susceptible de sanctions ? La réponse de votre groupe de travail est négative. Bien que n'ayant pas été juridiquement validée par des instances faisant autorité en la matière, elle s'appuie sur le simple bon sens : en assujettissant de la même manière à cette taxe les produits fabriqués localement et les produits importés, la France ne saurait être accusée d'introduire une discrimination contraire à ses engagements internationaux . Au demeurant, l'exemple danois vient là encore à l'appui de la démonstration.

*

Votre commission considère cette réforme comme essentielle . Certes, la TVA de compétitivité ne viendra pas réduire le coût du travail dans des proportions permettant de le placer en concurrence directe avec les pays émergents. Mais ce mode de financement de la protection sociale apparaît réellement moderne, car adapté aux nouvelles conditions de l'activité économique : la globalisation de l'économie et l'accroissement des échanges internationaux rendent en effet obsolète notre dispositif actuel de prélèvement social , qui pouvait n'être efficace que dans un système très fermé et contraint (prix administrés, droits de douane élevés, contrôle des changes), où le jeu de la concurrence s'exerçait dans un espace territorial géographiquement circonscrit et où les possibilités de délocalisation des activités de production étaient réduites . Alors qu'on peut estimer que plus de 20 % des produits consommés sur le territoire français proviennent désormais du reste du monde, il serait paradoxal de continuer à pénaliser le travail domestique en maintenant le financement de nos dépenses sociales collectives relevant de la solidarité sur la seule activité de la main d'oeuvre . Ce serait non seulement paradoxal, mais aussi et surtout coupable puisque le statu quo ne ferait qu'amplifier les difficultés de notre outil productif face à la concurrence toujours plus grande des pays émergents.

b) La question de la taxe professionnelle

Ainsi que cela a été relevé dans la première partie du présent rapport, la taxe professionnelle (TP) apparaît comme un obstacle important à la localisation sur le territoire national des investissements industriels . Sa suppression annoncée constitue donc, de ce point de vue, une décision politique très favorable à l'économie nationale puisqu'elle permettra à la fois de favoriser, lors des arbitrages des industriels déjà établis en France, la modernisation de l'outil de production plutôt que son transfert à l'étranger , et dans les choix de localisation des investissements nouveaux, notamment des IDE, le territoire français plutôt que d'autres sites géographiques .

Reste posée la question du remplacement de la TP , dont le produit représente une part significative des ressources fiscales des collectivités locales . Compte tenu des analyses menées par des spécialistes tant au Sénat, au sein du groupe de travail créé par la commission des finances, que dans d'autres cénacles, tels notamment la « commission Fouquet » réunissant des élus, des représentants des milieux économiques et l'administration (123 ( * )), votre groupe de travail s'est abstenu d'explorer précisément ce champ de la réflexion et de formuler des propositions. Il lui semble toutefois opportun d'indiquer que le nouveau dispositif appelé à se substituer à terme à la TP devra nécessairement parvenir à concilier deux préoccupations légitimes.

D'une part, la cohérence économique : il convient ainsi d' éviter d'abord toute imposition qui , à l'instar de la TP, frapperait l'outil économique avant même qu'il ait commencé à produire de la richesse . En outre, il est indispensable de veiller à favoriser une répartition équitable de la charge fiscale tant au regard du poids respectif des différents secteurs d'activité dans la formation du PIB qu'en ce qui concerne la taille des entreprises : à cet égard, un trop important transfert de charge des grands groupes vers les PME serait susceptible d'aller à l'encontre de l'intérêt économique collectif à moyen terme, quand bien même il pourrait être justifié par un effet de levier face aux risques de délocalisations plus efficace dans l'immédiat.

D'autre part, la cohérence politique : à l'heure où s'organise l'Acte II de la décentralisation, le principe constitutionnel de l'autonomie financière des collectivités territoriales doit évidemment être respecté. La fiscalité locale étant un outil mis à leur service pour qu'elles maîtrisent et orientent leur développement, il est absolument nécessaire, comme l'a au reste rappelé dès la mi-janvier le Président du Sénat, M. Christian Poncelet (124 ( * )), de maintenir le lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique . Or, la TP, qui représentait jusqu'à présent près de la moitié des ressources fiscales des collectivités locales et constituait leur impôt le plus dynamique, avait cette vertu. Aussi le nouveau prélèvement devra-t-il lui aussi être localisable afin de garantir aux collectivités territoriales une véritable faculté de décider de leur politique fiscale.

2. Encourager l'entrepreneuriat national

La deuxième piste à privilégier est sans aucun doute le soutien à l'initiative économique nationale . C'est évidemment le fondement même de la politique économique et tout le champ de celle-ci pourrait être alors balayé sous ce chapitre tant les facteurs présentés comme limitant l'activité, pénalisant l'énergie créatrice, détériorant la compétitivité, sont nombreux. Votre groupe de travail n'était naturellement pas en mesure de se livrer à cette gigantesque entreprise, d'une part d'analyse de la pertinence de tous les griefs, d'autre part de propositions des réformes à entreprendre.

Sa majorité se félicite toutefois des mesures engagées depuis deux ans par le Gouvernement pour réduire les contraintes normatives pesant sur les entreprises , telles par exemple la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003, dite loi « Fillon », ayant assoupli la législation sur le temps de travail, ou encore la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 qui a initié un vaste mouvement d'allègements et de simplifications d'obligations et de procédures, qui va d'ailleurs se poursuivre dans le cadre d'un second projet de loi. C'est avec un objectif similaire que devrait être aussi examiné prochainement par le Parlement le projet de loi de sauvegarde des entreprises, destiné à rendre plus efficaces le système de prévention de leurs difficultés et le traitement de celles-ci.

Toutes les dispositions améliorant l'environnement comme le coeur de l'activité économique sont donc positives puisqu'elles encouragent la création de richesses. Mais, au regard de la localisation des outils de production, les enseignements tirés par le groupe de travail des auditions auxquelles il a procédé le conduisent à privilégier particulièrement un objectif , le soutien aux petits et moyens entrepreneurs locaux . Sa conviction, déjà exprimée, est en effet que le lien affectif unissant à son territoire le chef d'entreprise est un élément non négligeable d'orientation des choix stratégiques de ce dernier . Les projets alternatifs à l'hypothèse d'une délocalisation sont ainsi examinés différemment selon l'existence ou non de ce lien. Pour le maintenir aussi serré que possible, le soutien qu'il convient d'apporter aux entrepreneurs locaux se décline en deux volets : la création des entreprises et leur transmission .

a) La création d'entreprise

Un tissu dense de PME locales diversifiées est une des conditions indispensables au développement durable et équilibré des territoires . Ce maillage est en particulier une réponse adaptée aux sinistres industriels que connaissent les bassins d'emplois trop spécialisés dans un secteur d'activité . Il est par conséquent nécessaire d' encourager la création d'entreprises , dont le niveau, historiquement moins élevé que celui de la plupart de nos voisins européens, explique pour partie le taux médiocre de la croissance économique française.

Il est vrai que notre pays souffre à cet égard d'un syndrome culturel qui relègue l'esprit d'entreprise bien trop loin dans l'échelle des valeurs de nos concitoyens . Un récent sondage (125 ( * )) ne vient-il pas d'indiquer que, même si plus de 70 % des jeunes Français estiment que créer son entreprise est le signe d'une vie professionnelle réussie, ils sont toujours plus nombreux à jouer la carte de la prudence et à rechercher la sécurité de l'emploi ? Ainsi, ils ne sont plus que 62 % à affirmer préférer travailler dans une entreprise, contre encore 69 % l'an dernier, et désormais 34 % à envisager une carrière dans la fonction publique, contre 28 % en 2003. Surtout, 78 % d'entre eux seraient prêts, nonobstant leurs préférences intimes, à devenir fonctionnaire si la proposition concrète leur en était faite. Toutes les initiatives prises pour modifier cet état d'esprit trop frileux doivent donc être encouragées et, pour être efficaces, menées dans la durée .

A cet égard, la loi n° 2003-721 du 1 er août 2003 pour l'initiative économique, dite loi « Dutreil », qui visait à faire de la création d'entreprise un acte simple, rapide et accessible à tous, a constitué un formidable signal psychologique pour nos concitoyens.

Les mesures en faveur de la création d'entreprise de la loi pour l'initiative économique

S'agissant des simplifications , la loi a en particulier prévu la libre fixation du montant du capital social, le droit de domicilier son entreprise chez soi ou au domicile de son représentant légal et l'allégement des procédures administratives en phase de création d'entreprise, notamment par la délivrance d'un récépissé de dépôt de dossier de création d'entreprise (RDDCE) pour accélérer le démarrage de l'entreprise, et par la possibilité ouverte d'immatriculer une entreprise en ligne.

Pour faciliter la transition du statut , elle autorise un salarié à créer ou à reprendre une entreprise en conservant son emploi ou en ayant recours à un congé pour création d'entreprise, institue un dispositif d'exonération des charges sociales sous conditions et assouplit le régime légal d'opposabilité des clauses d'exclusivité.

En matière de financement , des fonds d'investissement de proximité (FIP) sont institués au plan régional et des réductions d'impôt accompagnent les souscriptions pour permettre de drainer une épargne nouvelle vers les PME, le dispositif fiscal applicable aux investisseurs directs dans les PME non cotées est amélioré par un relèvement de 350 % des plafonds, et les seuils de déductibilité sur le revenu personnel des créateurs d'entreprise des pertes en capital sont doublés.

En ce qui concerne l' accompagnement social des projets , le paiement des cotisations dues au titre de la première année d'existence de l'entreprise peut être reporté sur cinq ans, le dispositif d'encouragement au développement d'entreprises nouvelles (EDEN) est étendu à de nouvelles catégories de bénéficiaires, les revenus de solidarité dont bénéficient certains créateurs d'entreprises sont maintenus dans des conditions harmonisées de procédures, et les dons aux réseaux d'accompagnement à la création d'entreprise sont encouragés.

La sensible augmentation du nombre des créations au cours de ces derniers mois est là pour en témoigner : en 2003, elles se sont établies à 199.286, en progression de 12 % par rapport à l'année précédente, et le rythme s'est encore accéléré au cours du premier trimestre 2004 pour atteindre près de 24 % (soit + 16,7 % en moyenne annuelle). Pour la première fois depuis longtemps, la barre des 20.000 entreprises nouvelles a été franchie en mars 2004. L'année devrait donc s'achever en respectant l'objectif de création annuelle de 200.000 entreprises fixé par le Président de la République au début de son second mandat.

Ce dynamisme nouveau et appréciable résulte aussi certainement des dispositions de la loi de finances pour 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 portant création du statut spécifique de la « jeune entreprise innovante » . Ce statut donne droit à des exonérations totales puis partielles d'impôt sur les bénéfices sur cinq ans, à l'exonération de l'imposition forfaitaire annuelle des sociétés, voire à l'exonération pendant sept ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe professionnelle, ainsi que, sous certaines conditions, à l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values de cessions de parts ou actions.

Tout en se félicitant de ces améliorations du cadre juridique applicable à la création d'entreprise, comme de ses effets statistiques immédiats, la majorité de votre commission estime nécessaire de poursuivre les efforts en la matière afin, en particulier, de favoriser la pérennité des nouvelles entreprises créées . En effet, dans le même temps qu'augmentaient les créations d'entreprises, les défaillances suivaient une progression similaire : ainsi, 47.936 dépôts de bilan ont été recensés en 2003, soit 11,7 % de plus que l'année précédente. L'INSEE observe par ailleurs que quelque 30 % des nouvelles entreprises cessent leur activité au bout de trois ans, et 50 % avant cinq ans. Il est donc essentiel de se préoccuper désormais de cet aspect des difficultés, pour que les réponses locales aux mutations économiques s'inscrivent davantage dans la durée .

Pour parvenir à cet objectif, un projet de loi est, depuis plusieurs mois, en cours de finalisation par le ministère délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Parmi les mesures qu'il pourrait comporter pour inciter davantage les porteurs de projet à les mettre en oeuvre figureraient notamment la création d'une « assurance perte d'activité » destinée à protéger le chef d'entreprise du risque de chômage, l'institution d'exonérations fiscales pour les jeunes entreprises personnelles de moins de dix salariés, ainsi que le déploiement de mesures supplémentaires pour garantir un financement stable et suffisant sur moyenne période des nouveaux projets .

A cet égard, votre commission estime que l'amélioration du financement des PME est un aspect central de la diffusion de l'innovation , de l' amélioration des processus de production , de l' adaptation des produits aux attentes de la demande , et donc de la conquête des marchés . Aussi attend-elle que ce texte législatif annoncé adapte enfin à notre pays le modèle américain de la « Small Business Administration » (SBA), qui a fait ses preuves outre-Atlantique. Dans un rapport d'information fait en 1997 sur la SBA (126 ( * )), votre rapporteur avait en particulier souligné les intérêts du modèle américain de capital-risque . Celui-ci accorde, par l'intermédiaire de la SBA, une garantie publique aux obligations, émises jusqu'aux deux-tiers de leurs fonds propres, par des fonds financiers dénommés « Small Business Investment Companies » et destinés spécifiquement au financement des PME. Cette méthode de financement du risque économique viendrait sans aucun doute utilement compléter les fonds d'investissement de proximité institués au niveau régional par la loi Dutreil pour drainer vers la création d'entreprise une part plus importante encore de l'importante épargne de nos concitoyens. C'est pourquoi l'annonce faite le 4 mai dernier par M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, relative au projet de création d'une agence des PME sur le modèle de la SBA, a particulièrement retenu l'attention de votre commission.

Une autre piste, ouverte par le Sénat l'an dernier à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 (127 ( * )), pourrait être par ailleurs approfondie : la mobilisation vers les PME d'une partie plus importante des 800 milliards d'euros d'épargne que les Français détiennent en assurance-vie . Actuellement inférieure à 1 %, cette part pourrait être progressivement augmentée de manière obligatoire, jusqu'à atteindre 4 %, comme le préconisent certains spécialistes (128 ( * )). Les deux à trois milliards supplémentaires de soutien financier national aux PME générés par ces prescriptions imposées aux gestionnaires d'assurance-vie viendraient ainsi utilement renforcer la pérennité des entreprises nouvelles , indispensable pour que la création d'entreprise irrigue durablement les territoires et favorise l'emploi dans le long terme.

b) La transmission des entreprises

Le second volet d'action doit être tourné vers la reprise et la transmission des entreprises . Il est en effet regrettable qu'une partie du tissu industriel national disparaisse ou passe sous l'égide de capitaux étrangers en raison simplement d'un dispositif fiscal inadapté , car fortement pénalisant . C'est au reste une opinion que partageait le Gouvernement qui, dans le cadre de la loi Dutreil, a proposé plusieurs mesures levant diverses barrières à la transmission, mesures que le Parlement, et singulièrement le Sénat, a au demeurant notablement améliorées.

On rappellera ainsi que, pour réduire les coûts fiscaux supportés par le vendeur, le seuil d'exonération totale des plus-values des petites entreprises a été porté de 152.600 € en chiffre d'affaires à 250.000 € pour les livraisons de biens, et de 54.000 € à 90.000 € pour les prestations de services, un dispositif d'exonération dégressive étant en outre introduit lorsque le chiffre d'affaires de l'entreprise dépasse ces seuils (dans les limites respectives de 350.000 € et de 126.000 €). S'agissant de l'allègement des coûts de l'acquéreur, l'exonération fiscale des droits d'enregistrement prévue pour la transmission du fonds de commerce et de la clientèle (jusqu'à 23.000 €) a été étendue aux parts sociales représentatives de ces éléments d'actifs, tandis que des mesures spécifiques d'exonération ou d'abattement sur les droits d'enregistrement ont été instituées pour encourager les donations d'entreprises aux salariés ou entre vifs. Enfin, une réduction d'impôt égale à 25 % du montant des intérêts versés au titre d'une année, dans la limite de 10.000 € pour un célibataire et de 20.000 € pour un couple marié, a été instaurée au bénéfice des personnes reprenant une société non cotée en s'endettant.

Ces mesures, applicables à compter de l'année 2004, ne sont certainement pas sans expliquer la forte progression des reprises d'entreprises enregistrée dès le mois de février (3.737), et confirmée en mars (3.787), portant la hausse des reprises à 8,4 % sur le premier trimestre 2004, et à 3 % sur un an.

Par ailleurs, observant que l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) conduit à des délocalisations de patrimoine nuisant à la compétitivité de l'économie française , l'Assemblée nationale et le Sénat ont ajouté dans la loi Dutreil trois dispositions aménageant de manière ciblée cet impôt pour en atténuer les effets les plus pénalisants . Ainsi, le Parlement a modifié le régime des biens exonérés au titre de l'ISF afin d'y inclure, à hauteur de 50 % de leur valeur, les titres et parts de société faisant l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de six ans, à condition que cet engagement porte sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s'ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 34 %, et qu'un des associés de l'engagement collectif exerce une fonction dirigeante dans l'entreprise. Il a par ailleurs également exonéré les apports en numéraire ou en nature par apport de biens nécessaires à l'exercice de l'activité, à l'exception des actifs immobiliers et des valeurs mobilières, aux PME ayant leur siège de direction dans un Etat membre de la communauté européenne. Il a enfin assouplit les critères permettant la qualification de biens professionnels au sens de l'ISF en ouvrant le bénéfice de l'exonération aux dirigeants d'entreprises qui, bien que ne détenant pas les 25 % du capital de leur entreprise ouvrant droit à exonération automatique, possèdent des parts représentant plus de 50 % de la valeur brute de leur patrimoine imposable, contre 75 % jusque là.

Cependant, pour la majorité de votre commission , la nécessité de réformer encore davantage le régime de l'ISF afin d'encourager la localisation nationale de l'épargne et du capital français ne fait pas de doute . Dans l'immédiat, elle suggère ainsi de donner suite aux propositions que la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour l'initiative économique - que présidait alors votre rapporteur - avait formulées l'an dernier pour exclure de l'assiette de l'ISF les titres reçus par le contribuable en contrepartie de sa souscription aux fonds d'investissement de proximité , et pour exonérer de l'ISF à hauteur de 50 % les parts et actions détenues par les salariés dans leur société .

Dans l'attente d'une réforme de plus grande ampleur de l'ISF, ces dispositions pourraient sans doute utilement figurer dans le futur projet de loi annoncé pour l'automne par le ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, dans son volet consacré à la reprise d'entreprise. Pour pérenniser tant les emplois dans les territoires que les savoir-faire attachés aux entreprises, ce volet devrait notamment prévoir l'extension du tutorat en entreprise afin de développer l'accompagnement du repreneur par le cédant, l'institution d'une prime de transmission accompagnée, de même que des dispositifs de location de parts sociales ou d'actions.

3. Valoriser le respect des normes sociales et environnementales

Tout en s'inquiétant des excès de certains dispositifs ou de la rapidité de leur mise en oeuvre , votre commission s'est accordée sur l'importance de conserver dans notre pays le haut niveau de ses standards sociaux et environnementaux . Il est en effet exclu que la concurrence nouvelle qu'imposent les pays émergents conduise à un nivellement par le bas des exigences de développement auxquels sont légitimement attachés nos concitoyens.

Cette position de principe ne doit cependant pas s'entendre comme la soumission à un ordre international qui admettrait durablement des différences si significatives que la rationalité économique des investisseurs les conduirait nécessairement à accélérer le rythme des délocalisations jusqu'à déchirer définitivement le tissu industriel des pays de l'OCDE. C'est pourquoi tous les efforts de ces derniers doivent tendre, dans le cadre des négociations internationales menées au sein des différents organismes de la régulation mondiale, au rattrapage aussi rapide que possible de leurs standards par les pays en développement .

Mais le chemin est si long que la période d'adaptation prendra un temps certain. Aussi un pays comme le nôtre doit-il, en attendant, explorer toutes les pistes susceptibles de rendre cohérentes l'aspiration de nos concitoyens à un développement équilibré et durable et la nécessité de conserver un outil industriel performant et rentable. Si votre commission propose par ailleurs nombre de suggestions visant à améliorer l'offre des produits , il lui semble, dans cette perspective spécifique, pertinent d'agir également sur la demande . A cet égard, deux types d'incitations pourraient être envisagées : la responsabilisation des consommateurs et l' orientation des achats publics .

a) La responsabilisation des consommateurs

Un des facteurs portant atteinte à la loyauté de la concurrence entre les entreprises nationales et les entreprises étrangères est qu'elles ne sont pas soumises aux mêmes obligations normatives . Ainsi, les législations française et communautaire imposent de multiples prescriptions en matière sociale et environnementale qui ne s'appliquent qu'aux processus de production localisés sur le territoire : à de rares exceptions près, portant notamment sur la sécurité, les produits importés ne sont donc pas contraints de respecter ces normes. Une partie des différentiels de prix de vente s'explique ainsi par les différentiels de coûts de production résultant de cette situation.

Si le citoyen est tellement exigeant en matière de normes sociales et environnementales, on pourrait admettre que le consommateur qu'il est aussi ne le soit pas moins dans ses arbitrages consuméristes. C'est d'ailleurs sur ce postulat que sont fondées toutes les politiques de labellisation dans les secteurs agricole et alimentaire. Pour votre commission, un tel axiome devrait également rendre pertinentes des mesures plus importantes d'information du consommateur en ce qui concerne les produits manufacturés , afin de le responsabiliser davantage.

D'une part, la mention d'origine , déjà indiquée pour de nombreux produits, devrait être généralisée . Elle permet de signaler de manière subliminale la qualité supposée du produit et son intensité potentielle en normes de production respectueuses des standards occidentaux . Certes, il ne s'agit pas de vérités systématiques, nombre de biens fabriqués dans les pays émergents offrant une qualité désormais similaire à ceux produits dans les pays industrialisés. Il n'est toutefois pas exclu que cette obligation n'induise pas d'utiles modifications des habitudes consuméristes , voire de celles des commerçants : il a en effet été indiqué à votre groupe de travail que l'absence de mention d'origine pouvait permettre à certaines marques, notamment dans le secteur de l'habillement, de dégager des marges excessives en vendant au prix « européen » des articles exclusivement confectionnés dans des pays à bas coûts. Une meilleure information des consommateurs pourrait sans aucun doute mettre fin à ce type de dérive : si elle n'apporterait pas nécessairement d'amélioration à la situation des productions nationales, au moins pourrait-elle éventuellement permettre celle du pouvoir d'achat des Français ! En tout état de cause, votre commission observe que le gouvernement italien vient précisément de lancer une grande campagne nationale d'information sur le « Made in Italy » qui répond au même objectif d'orientation de la consommation domestique .

Cependant, cette indication d'origine n'est pas toujours suffisante pour inciter l'acquéreur à choisir des produits fabriqués dans les pays industrialisés, en particulier lorsque la différence des prix est très forte . En outre, il est vrai que la segmentation croissante des processus de production relativise l'intérêt de l'information fournie . S'il est techniquement possible de définir une origine géographique, par exemple en retenant le site de confection le plus important du processus, ou celui qui dégage globalement le plus de valeur ajoutée, il n'en reste pas moins que la traçabilité totale serait inopérante tant elle serait complexe . Dès lors, un produit pourrait afficher une mention d'origine, par exemple française, alors même que plusieurs de ses composants seraient produits dans des pays où les normes sociales et environnementales sont moins élevées qu'en France.

Aussi votre commission suggère-t-elle de compléter cette mesure par la définition de labels avertissant clairement et visiblement le consommateur que le producteur et ses fournisseurs respectent tous les normes sociales et environnementales applicables dans la zone géographique de chalandise . Comme on peut penser que la fiabilité du label ne pourrait, pour l'essentiel, être assurée que pour des productions nationales ou européennes , cette distinction renforcerait l'indication de l'origine géographique (129 ( * )). De tels labels offriraient ainsi au consommateur-citoyen un choix véritable, ce qui pourrait renforcer l'attrait des produits respectant ces normes, même s'ils sont plus onéreux .

b) L'orientation des achats publics

En matière de politiques d'achats publics, des dispositions similaires devraient pouvoir être envisagées. Il est en effet tout à fait étonnant que, dans le même temps, la puissance publique impose des contraintes coûteuses aux processus de production des industriels et choisisse comme fournisseurs ceux qui, n'étant pas soumis à ces contraintes, peuvent présenter les offres les moins-disantes dans nombre de marchés publics. Une telle ambivalence est assurément un facteur incitant aux délocalisations dans les zones géographiques moins exigeantes . Pour votre commission, la moindre des choses serait que l'accès à ces marchés publics soit au moins conditionné au respect des critères sociaux et environnementaux minimaux définis à l'échelon communautaire (130 ( * )).

Cette exigence ne semble pas insurmontable : le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Renaud Dutreil, ne vient-il pas d'annoncer qu'il souhaitait que 20 % du parc automobile de l'administration soit progressivement constitué de « véhicules propres » ? Si des prescriptions écologiques de cet ordre peuvent être techniquement imposées par les cahiers des charges des marchés publics quant à l'usage des fournitures acquises, on peut imaginer qu'elles pourraient également l'être en ce qui concerne les conditions de leur fabrication .

Si la compatibilité de ce projet avec les prescriptions communautaires et avec les engagements contractés par l'Union européenne dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce était avérée, il est certain que, dans cette démarche, la France ne serait pas seule , tous ses partenaires les plus proches ayant en ce domaine des intérêts strictement identiques aux siens .

B. RENFORCER LES AVANTAGES COMPARATIFS DE LA FRANCE POUR AMÉLIORER L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE ET LA COMPÉTITIVITÉ

Les caractéristiques de la France sont souvent mal perçues, d'ailleurs sans doute autant par les Français eux-mêmes que par les étrangers. C'est à un changement de regard progressif que chacun devrait être appelé afin de mettre l'accent sur les véritables atouts de notre pays . Il ne s'agit pas de céder à un triomphalisme déplacé mais d'analyser avec lucidité les avantages comparatifs de la France et de les renforcer afin d'accroître encore l'attractivité et la compétitivité du pays . A cet égard, votre commission juge prioritaire de conforter la qualité de ses infrastructures, la fiabilité de l'environnement juridique de ses entreprises et sa capacité à mener de grands projets industriels.

1. L'aménagement du territoire en infrastructures

La qualité des infrastructures de notre pays est unanimement reconnue, tant en matière de transports et d'énergie que de télécommunications.

Selon l'analyse du cabinet ATKearney, la qualité des infrastructures, associée à un climat politique, culturel et économique favorable, constitue un facteur d'environnement de l'activité économique qui pèse fortement dans le choix d'implantation des entreprises. Selon le barème établi par ce cabinet de conseil, le poids du critère «Environnement» dans la décision de localisation serait d'environ 30 % en moyenne , soit finalement presque autant que le critère financier . En effet, l'avantage financier que procure la délocalisation pèserait pour 40 % dans le choix des entreprises. La pondération de ces critères est toutefois variable selon les priorités de l'entreprise délocalisatrice.

A pondération égale, le classement d'attractivité des pays établi par le cabinet ATKearney fait apparaître des pays industrialisés, tels que le Canada, parmi les pays les mieux placés . Comme l'Irlande (classée 7 ème ) et malgré son handicap par rapport au critère financier, le Canada figure en 2 ème position grâce à une infrastructure forte, à une population bien formée et à une politique volontariste et claire (spécialisation, démarchage proactif des entreprises...).

Si la France n'apparaît pas parmi ces onze pays les plus attractifs, elle n'en est cependant pas très loin. C'est notamment en misant sur la qualité de ses infrastructures qu'elle remontera dans ce classement : notre pays présente sur ce point un atout qui peut pour beaucoup compenser ses « désavantages comparatifs » en matière de coût du travail ou de fiscalité, par exemple. C'est pourquoi il paraît essentiel, pour renforcer son attractivité, de veiller à maintenir et à améliorer encore la qualité de ses infrastructures .

En matière de transports aériens, ferroviaires et autoroutiers, la France se distingue par une grande accessibilité de ses réseaux et une efficience certaine qui font d'elle « la porte d'entrée de l'Europe ». Elle gagnerait toutefois à poursuivre son effort d'investissement dans les infrastructures ferroviaires , en particulier pour accroître les performances du fret ferroviaire , à accroître et à mieux utiliser son réseau de voies d'eau intérieures et à achever rapidement son maillage autoroutier , notamment dans le Sud-Ouest de notre pays.

En matière énergétique , il importe d'éviter que la fiabilité de notre système électrique et gazier soit discréditée par une hausse trop élevée des tarifs de l'énergie. Comme le souligne l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), les prix de l'énergie pour les gros consommateurs ont augmenté de 30 à 50 % depuis un an et demi. Au surplus, ces prix sont devenus difficilement négociables. Une telle situation, si elle se maintenait à terme, pourrait conduire, selon les estimations de l'UNIDEN, à la réimplantation d'entreprises, au moment du renouvellement des investissements, dans des pays où le prix de l'électricité est meilleur marché .

En matière de télécommunications , la sûreté et l'efficacité générale des réseaux et des opérateurs sont cependant altérées par l' inégalité des accès aux réseaux entre les territoires . Un élargissement de cet accès aux réseaux de téléphonie mobile et aux réseaux haut débit serait incontestablement un facteur d'attractivité économique pour l'ensemble du territoire français. Le soutien apporté au déploiement du haut débit, y compris en zones rurales, par certaines dispositions de la loi sur l'économie numérique, qui sera prochainement promulguée, et l'objectif fixé par le gouvernement de 10 millions d'abonnés au haut débit en 2005, sont les supports d'une large ambition pour les réseaux de télécommunications français, que partage votre commission.

2. L'environnement juridique des entreprises

La France bénéficie traditionnellement d'une très grande sécurité juridique dans les relations commerciales et de services publics de qualité . Les excès de ces qualités sont bien connus : trop souvent qualifié d'économie administrée, notre pays est également considéré comme incapable de se réformer. Or, ainsi que le souligne l'Agence française des investissements internationaux dans la liste qu'elle a dressée des idées reçues sur la France, ces opinions sont souvent erronées et, s'il serait trop long d'énumérer toute les nombreuses réformes entreprises ces dernières années pour améliorer l'environnement juridique des affaires, votre groupe de travail souhaite cependant citer à titre d'exemples :

- la modernisation du droit des affaires , notamment la dépénalisation de certaines infractions en cette matière et les mesures de la loi pour l'initiative économique du 1 er août 2003 ;

-la modernisation du droit financier , en particulier par le renforcement des autorités de contrôle financières et des exigences en matière de transparence et d'information financière prévu par la loi sur la sécurité financière du 1 er août 2003.

Au-delà de ces dispositions, le Gouvernement a également renforcé cet atout en annonçant, le 11 décembre 2003 , plusieurs mesures participant à un plan d'action général en faveur de l'attractivité :

- la sécurisation en matière fiscale grâce à l'extension de la pratique, par l'administration fiscale, du rescrit à l'ensemble des prélèvements obligatoires et des cotisations sociales, ce qui permettra aux entreprises de connaître a priori les conditions de leur imposition en France ;

-l' engagement qualité de nombreuses administrations , notamment celles en charge des procédures environnementales et des autorisations afférentes, et l'organisation croissante de l'administration en mode « projet », autour de l'AFII et du préfet, au service des investisseurs, ceci afin de permettre de mieux accompagner les projets d'implantation et d'extension d'entreprises.

Ces mesures ont été suivies d'autres décisions effectives, annoncées par le Premier ministre à l'occasion de la première réunion, le 26 avril dernier, du Conseil stratégique de l'attractivité , qui rassemble vingt-et-un présidents de grands groupes français et étrangers, ainsi que la présidente de l'AFII. M. Jean-Pierre Raffarin a ainsi souligné que les procédures pour l'accueil et le travail en France des cadres internationaux venaient d'être fortement simplifiées : suppression de l'obligation faite aux dirigeants d'entreprises étrangers d'obtenir une carte d'identité de commerçant étranger, érection de l'Office des migrations internationales en guichet unique pour la délivrance d'un titre de travail et de séjour aux cadres détachés en France, et allègement de l'imposition de ceux-ci lorsqu'ils sont « impatriés » pour une courte période. Lors des 2 èmes rencontres de l'investissement international, tenues à Saint-Nazaire le 27 mai suivant, il a également annoncé une amélioration de la sécurité juridique du régime fiscal des centres de recherche, à compter de septembre 2004, par voie d'instruction fiscale.

Votre commission est convaincue que la préoccupation de l'attractivité de la France doit guider l'ensemble des avancées législatives et réglementaires françaises . De ce point de vue, il est impératif d'améliorer la stabilité normative : il n'est pas bon que la réglementation fiscale, sociale et environnementale soit soumise à d'incessants bouleversements. La visibilité des investisseurs s'en trouve réduite, alors même que la prévisibilité est un facteur précieux de sécurité, surtout en matière industrielle.

Contribuant aussi à la qualité structurelle de notre économie, nos services publics doivent faire l'objet d'un soin attentif : votre commission rappelle que leur qualité et leur efficience sont des exigences permanentes et sa majorité soutient la poursuite des réformes en cours.

Associée à la qualité notoire du cadre de vie français, cette amélioration globale de l'environnement juridique des acteurs économiques est un facteur fondamental d'attractivité pour notre pays.

C'est l'ensemble de ces points prometteurs que s'emploie à mettre en valeur l'AFII, qui a engagé en 2004 une campagne de communication en faveur de l'image économique de la France (131 ( * )). La qualité de la conception de cette campagne de communication, destinée à se déployer sur trois ans, a pu être appréciée par votre groupe de travail et votre commission lors de sa présentation par Mme Clara Gaymard, présidente de l'AFII. En valorisant les atouts de notre pays et les réformes engagées, elle bouscule les clichés, démontrant que la France est résolument moderne et souvent précurseur sur les plans économique, industriel et financier.

3. Les potentialités de développement offertes par les filières de demain

Qu'il s'agisse des chefs d'entreprise, des syndicalistes ou des économistes, beaucoup des personnalités entendues par votre groupe de travail se sont accordées sur la nécessité de mieux positionner l'outil industriel français sur les segments de marché fortement créateurs de valeur ajoutée . Ceux-ci, en effet, ne doivent pas être délocalisés , et la France dispose du potentiel pour répondre à la concurrence internationale, qu'elle émane des pays émergents ou des autres pays industriels. Outre qu'elle est la seule à même de garantir à la France des perspectives renouvelées d'enrichissement , cette meilleure insertion dans la division internationale du travail est de nature à permettre le maintien d'activités dans toutes les filières de production , tant celles déjà soumises depuis longtemps à la réalité des délocalisations que celles susceptibles de le devenir.

Dans le passé, la France a su faire la preuve de son savoir-faire en matière de grands projets dans certains secteurs stratégiques de très haute technologie. On évoquera, pour mémoire, l'excellence française en matière aéronautique ( Airbus ), spatiale ( Ariane-Espace ), nucléaire ( Aréva ), etc. On rappellera aussi le savoir-faire français pour la livraison « clé en mains » d'installations à l'unité : réseaux de trains à grande vitesse, centrales nucléaires, barrages, gestion des eaux et des déchets... En ces domaines très techniques et complexes, ce sont la qualité et la fiabilité qui font la compétitivité , bien davantage que les coûts. La France dispose donc d'atouts significatifs en matière de commerce extérieur .

Les récents accords commerciaux et de coopération signés le 11 juin entre le Premier ministre et le vice-Premier ministre chinois témoignent de l'intérêt que suscitent nombre des compétences industrielles françaises : commande de vingt Airbus A330-300 par China Eastern (plus dix options) et d'un satellite de l'entreprise Alactel Space par China Sat pour la retransmission des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, coopération sur une première tranche de vingt centrales nucléaires, l'assemblage d'hélicoptères EC 120 pouvant déboucher sur l'acquisition de plus d'une centaine d'appareils, et la fabrication de locomotives

Votre commission insiste sur la nécessité de persévérer dans cette politique, en l'étendant en outre aux créneaux qui promettent un développement important dans les prochaines décennies.

Le lancement de grands projets nationaux, voire européens, ne peut ainsi plus être retardé dans les domaines qui feront l'industrie de demain : les technologies de l'information, les nanotechnologies, les biotechnologies. La mobilisation sur ces créneaux d'avenir est urgente pour développer une expertise aiguë susceptible de fonder une spécialisation selon les avantages comparatifs. Elle a déjà porté des fruits sur certains segments des télécommunications (conception de centraux numériques, par exemple), mais elle mérite d'être renforcée et élargie .

Par ailleurs, il conviendrait de lancer de nouveaux « grands projets » dans des secteurs porteurs, en particulier dans l'industrie de l'environnement et de la santé : aménagement et ingénierie urbains , gestion de l'eau et des déchet , industrie de la santé , notamment vers le milieu hospitalier, énergies propres ... Dans ces domaines où les besoins s'avèrent immenses - que l'on songe par exemple simplement à la construction des réseaux urbain d'assainissement ou d'électricité dans la quinzaine de métropoles de plus de 10 millions d'habitants que comptent déjà les pays en développement -, notre pays dispose de très grands groupes ( Vinci , Bouygues , Suez , Véolia ) capables, avec l'aide de plus petites entreprises , très innovantes , de se tailler une place de choix.

Lors de son audition, M. Dominique Barjot, directeur à la mission scientifique et pédagogique du ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies, a ainsi souligné par exemple que la France occupait une situation enviable dans l'industrie des travaux publics (TP) : grâce notamment à ses trois « majors » figurant dans les cinq premiers groupes mondiaux (Bouygues, n° 1 mondial avec 112.000 salariés, Vinci, n° 2 avec 127.000 salariés, et Eiffage, n° 5 avec 46.000 salariés) et qui réalisent 92 % des exportations françaises du secteur, elle occupe le leadership en Europe (25 % des chantiers de TP de l'UE15 sont attribués à des entreprises françaises) et en Afrique, et la quatrième place mondiale sur les autres marchés.

Le positionnement sur ce type de marché est donc essentiel non seulement parce qu'il favorise directement le commerce extérieur, la balance des paiements, ainsi que l'activité domestique de conception, de production et de gestion dans les secteurs considérés, mais aussi parce qu'il enrichit par ailleurs doublement la croissance économique intérieure : en amont, par la stimulation de l'innovation, et en aval, par les flux d'échanges supplémentaires qu'il est susceptible de générer sur d'autres biens et services associés.

Votre commission est ainsi convaincue de la nécessité d'affirmer une volonté politique déterminée pour soutenir la conception de projets d'ampleur dans ces domaines d'avenir , où nos atouts historiques devraient pouvoir être confortés . Mais il faut évidemment que les industriels eux-mêmes s'engagent aussi dans cette voie, en acceptant de prendre des risques et, en particulier, de différer leurs perspectives de gains le temps de s'imposer sur les marchés . A cet égard, les affirmations d'un des interlocuteurs de votre groupe de travail sur le désengagement de Vinci du sous-continent indien, ou le fait que la première voiture « écologique » à double moteur thermique et électrique ( Prius II ) ait tout récemment été mise sur la marché par le constructeur japonais Toyota , sont deux exemples qui témoignent du chemin restant à parcourir.

C. ORGANISER ET SOUTENIR LES FILIÈRES DANS UNE LOGIQUE D'INNOVATION

Afin d'aider notre outil industriel à relever ces défis, il convient de l'inscrire dans la nouvelle économie de la connaissance en renforçant la recherche-développement , en aidant l'innovation et en favorisant l'économie en réseau . En outre, pour protéger les filières les plus exposées aux délocalisations , il est nécessaire d'accroître le soutien qui leur est accordé pour leur permettre de conserver la maîtrise de leur processus productif , de développer leurs parties « amont » et « aval » et d'investir dans leurs segments riches en valeur ajoutée .

1. Le nécessaire renforcement de la recherche et développement

Il est impératif que la France retrouve une place de leader dans les secteurs de haute technologie car la contribution de ces activités au dynamisme de la croissance est appelée à devenir déterminante . Tout comme l'a indiqué à votre commission et à votre groupe de travail lors de son audition M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, la recherche est un domaine également soumis aux délocalisations, dans le cadre d'une véritable guerre technologique entre différents pays menée sur un marché mondial de la recherche et des chercheurs . Soulignant l'importance des enjeux attachés à cette compétition mondiale dans le domaine de la recherche, le ministre a au reste déclaré que, nul ne pouvant se satisfaire de ce que l'Europe soit à l'avenir une zone de faible productivité et de faible innovation, il importait de fournir les efforts nécessaires à la recherche. Pour votre commission, cette reconquête nécessite à l'évidence, des investissements massifs dans le secteur de la recherche et développement ainsi qu'une réforme en profondeur de l'organisation de notre appareil de recherche publique .

En ce qui concerne l' accroissement des soutiens financiers dédiés à la recherche , il convient de rappeler que cet objectif a été consacré au niveau communautaire puisque le Conseil européen de Lisbonne de 2000 avait fixé comme objectif à l'Union européenne de devenir l'économie la plus compétitive à l'horizon 2010 . Il était indiqué que la réussite d'une telle stratégie avait pour corollaire un renforcement des dépenses de R&D à hauteur de 3 % du PIB de chaque Etat membre . Les nouvelles théories de la croissance appuient d'ailleurs la pertinence d'une telle stratégie. En effet, un grand nombre d'études empiriques démontre que les différences des niveaux de PIB par tête et des taux de croissance de la productivité entre les pays sont dues à la qualité des systèmes et politiques de R&D et des systèmes éducatifs.

Or, les statistiques montrent que la France accuse un retard par rapport à ses principaux partenaires européens et à ses concurrents, tant au niveau des dépenses de recherche, en valeur absolue, des publications scientifiques et des dépôts de brevets. En outre, une analyse plus fine permet d'affirmer que ce déficit n'est pas lié uniquement à l'insuffisance des dépenses de R&D.

Les causes de ce handicap français sont, pour certaines, connues et spécifiques à la France. L' uniformité du statut des chercheurs du secteur public fait tout d'abord obstacle à la valorisation de l'excellence et des individus les plus talentueux . Par ailleurs, la structuration du secteur public de la recherche autour de grands établissements scientifiques et technologiques entraîne elle aussi des lourdeurs : comme l'a indiqué à votre groupe de travail M. Christian Blanc lors de son audition, sa « verticalité » réduit les possibilités de synergies et permet difficilement de redéployer les moyens financiers entre les établissements pour valoriser et soutenir les filières de recherche stratégiques.

Reste que la question des moyens financiers accordés au secteur de la recherche demeure au centre de ces préoccupations. D'une part, l'arbitraire de la gestion budgétaire a fortement affecté les moyens des laboratoires de recherche qui, au cours des années passées, n'ont pu disposer d'une visibilité suffisante en la matière en raison de gels et d'annulations de crédits souvent répétés . D'autre part, l'existence de quelques « poids lourds » de la recherche française (nucléaire, spatial et aéronautique pour les plus importants) laisse peu de moyens pour soutenir les autres secteurs. Il est ainsi impératif, sans sacrifier les filières dans lesquelles la France a fait la preuve de son excellence, de renforcer les moyens des secteurs d'avenir tout en évitant , quelle qu'en soit la difficulté, de succomber à la tentation du saupoudrage , comme cela peut être le cas avec les crédits incitatifs délivrés par le ministère de la recherche (132 ( * )).

Cette tentation s'exprime au reste également au plan communautaire . Si l'Union européenne est présente dans les secteurs traditionnels, elle soutient relativement peu, et donc plutôt mal, les grands projets innovants : pour M. Jean-Louis Beffa, elle est même « inexistante dans les nouvelles technologies qui constituent pourtant le coeur du développement industriel de demain » .

Tous les maux ne doivent cependant pas être imputés à l'Etat qui assure, en définitive, un financement conséquent du secteur de la recherche. En effet, comme le précisaient les conclusions du sommet de Lisbonne, l'effort de recherche repose aussi sur le secteur privé, qui a vocation à y contribuer à hauteur de 2 % du PIB (contre 1 % pour le secteur public). Alors que l'Etat, en France, mais aussi dans d'autres pays de l'Union européenne, consacre effectivement une proportion de son PIB conforme à cette préconisation, le secteur privé se situe bien en deçà de cet objectif .

Pour votre groupe de travail, le fonctionnement du crédit impôt recherche constitue certainement l'un des freins à la hausse des investissements en recherche et développement . Il adhère d'ailleurs aux propos de notre collègue M. René Trégouët, qui, dans son rapport spécial sur les crédits de la recherche dans le projet de loi de finances pour 2003 (133 ( * )), s'inquiétait « de l'effet dissuasif du déclenchement presque systématique d'une procédure de contrôle fiscal à l'encontre des nouveaux candidats au bénéfice de l'avantage du mécanisme du crédit d'impôt recherche » . Reste que cette lacune du secteur privé ne peut, là non plus, être uniquement mise à la charge de l'Etat. Il convient également que les chefs d'entreprise français prennent conscience qu'il est de leur intérêt d'investir massivement dans le secteur de la recherche afin de pouvoir restructurer leurs activités productives sur les secteurs à haute valeur ajoutée.

Au total, il y a, pour votre commission, urgence à soutenir plus massivement les activités de recherche en France et à réformer l'organisation du secteur de la recherche . A ce titre, elle ne peut que se féliciter de la démarche engagée par le Gouvernement, laquelle devrait mener, avant la fin de l'année 2004, à la présentation devant le Parlement d'un projet de loi d'orientation pour la recherche. Un tel texte constitue une occasion unique pour remédier aux faiblesses de notre appareil de recherche et pour donner une meilleure visibilité financière à nos scientifiques.

Sans préjuger du résultat de la concertation confiée aux professeurs Etienne-Emile Baulieu et Edouard Brézin, co-présidents du Comité national d'initiative et de proposition pour la recherche scientifique devant prochainement remettre ses propositions au Gouvernement afin d'élaborer des pistes de réforme, votre commission souhaite mettre l'accent sur quelques points qui lui semblent particulièrement importants.

Il importe tout d'abord de mettre fin à la pratique des annulations budgétaires , qui constituent un handicap majeur pour le fonctionnement des laboratoires. Ces derniers n'ont en effet pas de visibilité suffisante quant à leurs perspectives financières et sont trop souvent obligés d'annuler, dans l'urgence, des programmes de recherche par manque de moyens financiers.

En outre, un débat de fond doit s'engager sur la question du statut des chercheurs . Certes, le statut public qui a été accordé aux scientifiques en 1982 est un acquis important qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause. Toutefois, ce système a, par certains côtés, des inconvénients au nombre desquels la rigidité des statuts et des carrières scientifiques, la difficulté d'effectuer des mobilités vers d'autres organismes ou vers l'entreprise. Les conditions de rémunération font aussi partie de ces inconvénients. L'excessive rigidité des grilles salariales et l'impossibilité de valoriser financièrement les scientifiques les plus méritants constituent deux facteurs qui handicapent notre système de recherche. Il est par exemple très difficile de moduler les rémunérations des chercheurs en fonction de leurs résultats, même si certaines initiatives de cette nature existent et doivent être saluées (134 ( * )). Pour votre commission, il est urgent de mener une réflexion sur ce sujet, qui constitue l'une des lourdeurs principales du système de recherche publique.

Enfin, le système de financement de la recherche doit impérativement être simplifié et réorienté vers les secteurs économiquement les plus porteurs , qu'il s'agisse du secteur des biotechnologies - pour lequel le soutien financier français est cinquante fois inférieur au soutien américain - ou de celui des nano et micro-technologies.

2. Aider l'innovation

L'Union européenne accuse un retard conséquent dans le domaine de l'innovation . Telle est, rapidement résumée, la principale conclusion de la dernière enquête d'Eurostat consacrée à l'innovation. Selon les termes de cette étude, 47 % des entreprises industrielles des Quinze de l'Union avaient mené des activités innovantes entre 1998 et 2000 , contre 40 % pour celles du secteur des services. Cette enquête révèle également que 21 % des entreprises jugent les coûts de l'innovation trop élevés, que 15 % de celles-ci estiment que l'absence de sources de financement appropriées et des risques économiques excessifs constituent des facteurs importants d'entrave à l'innovation , et qu'enfin 13 % d'entre elles invoquent l'absence de personnel qualifié .

Comme l'a précisé votre groupe de travail, il existe aujourd'hui un consensus économique et politique sur les moyens d'assurer la pérennité de l'industrie et de ses emplois dans un contexte de concurrence ouverte. Le renforcement de la capacité d'innovation de nos économies est présenté comme la solution adaptée pour maintenir un potentiel industriel compétitif , en permettant une redéfinition de la spécialisation française sur les productions à haute valeur ajoutée.

Dans un tel schéma, seules les rentes locales fournies par l'innovation permettent d'assurer un différentiel de revenus pour les entrepreneurs . Or, du fait d'une concurrence mondiale accrue sur le secteur des hautes technologies, de telles rentes ne sont pas pérennes. Ce constat renforce la nécessité exposée ci-dessus de développer et de mieux cibler les politiques de R&D, de soutien à l'innovation et d'attraction des compétences. A cet égard, il conviendrait de favoriser, par l'accroissement des moyens dédiés, le maintien sur le territoire des meilleurs de nos chercheurs et la venue d'étudiants et de professionnels étrangers.

En outre, il serait sans doute nécessaire d' étendre les dispositions du crédit impôt recherche à l'innovation afin de permettre à un certain nombre d'entreprises et de filières de bénéficier du soutien public dans ce domaine.

3. Favoriser l'économie en réseau et les pôles de compétitivité

S'appuyant sur des exemples français et étrangers d'expérimentation pratique de théories sociologiques et économiques relatives à l' organisation en réseau , la DATAR et M. Christian Blanc ont récemment proposé des pistes de réflexion qui, sans être strictement identiques, sont toutefois proches (135 ( * )). Votre groupe de travail est lui aussi convaincu que les futures capacités d'innovation ne pourront émerger que dans le cadre de telles organisations associant étroitement la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les processus productifs : clusters, pôles de compétitivité, vallées technologiques, etc.

a) Les clusters

Un système productif local (SPL) peut être défini comme « un ensemble de relations entre les biens, les services et l'information, ayant lieu dans le milieu des entreprises, qui sont directement ou indirectement liées à la production des biens finals, tels que les biens d'équipement, les automobiles, les bureaux,... » (136 ( * )).

De nombreux systèmes productifs locaux existent déjà en France, dans des domaines très divers : par exemple, en Alsace, on relève le SPL « i-valley » dans le secteur des NTIC, le SPL « Saveurs d'Alsace » regroupant les entreprises de charcuterie industrielle, de produits traiteurs et de plats cuisinés du Bas-Rhin, ou encore le Pôle régional et international des sciences de la mesure (PRISM3) installé à Saint-Louis, seul SPL transnational de France puisqu'il accueille aussi des entreprises suisses et allemandes.

L'approche des « clusters » est plus novatrice car elle met au centre de son analyse un ensemble de relations d'interdépendance entre plusieurs sous-systèmes industriels . On trouve une première définition des « industrial clusters » , ou grappes industrielles , sous la plume de Camagni (137 ( * )), qui les définit comme « un ensemble cohérent dans lequel le système de production territorial, la culture, la technologie, les firmes et les institutions sont en étroite relation » .

Le succès des industries au sein du « cluster » est conditionné par plusieurs facteurs importants :

- la dotation en capacité de recherche ;

- la qualité du système universitaire ;

- la disponibilité et la spécialisation du capital-risque (le leadership des entreprises américaines dans les secteurs de l'électronique et des biotechnologies résulte ainsi de la disponibilité abondante de ce type de financement) ;

- enfin, l'existence de fortes industries en amont ou en aval, excerçant un puissant effet d'entraînement (par exemple, le développement de l'industrie des biens d'équipement aux Etats-Unis a été très largement dépendant des industries en amont, telles que les machines à écrire et l'automobile).

Cette vision théorique permet d'expliquer un grand nombre de recompositions qui ont eu lieu dans l'industrie, telles que le déplacement de la production des composants électroniques vers les nouveaux pays industrialisés asiatiques ou la concentration d'activités de haute technologie dans la Silicon Valley .

b) Les pôles de compétitivité

Dans son rapport remis au Premier ministre, M. Christian Blanc met en évidence que certains pays ou régions, malgré un coût du travail supérieur à ce qu'il est en France , sont devenus plus compétitifs en investissant massivement dans la recherche , en soutenant leur enseignement supérieur et en s'organisant autour de pôles de compétitivité . Il ajoute que ces pôles, réunissant sur un territoire entreprises, organismes de recherche, universités et investisseurs autour de quelques filières ou technologies très variées, croissent plus vite que les entreprises isolées et résistent mieux aux crises et aux délocalisations grâce aux interactions créées entre acteurs du pôle.

Notre pays dispose des capacités et conditions pour s'adapter à ce modèle, dont votre groupe de travail est convaincu de l'importance pour renforcer la compétitivité de la France, favoriser son positionnement sur les secteurs d'avenir et accroître son potentiel de créations d'emplois et d'entreprises . Au reste, il a déjà commencé il y a longtemps à expérimenter cette organisation en réseau, qu'il doit simplement généraliser et diffuser .

En France, la fondation des technopoles remonte aux années 1970, avec la création de Sophia-Antipolis . Ce modèle s'est ensuite développé et déployé sur l'ensemble du territoire français. Le réseau France Technopoles Entreprises Innovation (FTEI), créé en janvier 2000, regroupe ainsi 47 technopoles réparties sur l'ensemble du territoire français. En 2003, 11.000 entreprises employant près de 223.000 personnes étaient implantées sur ces pôles, contre respectivement 9.320 entreprises et 172.500 personnes en 2001. On constate ainsi que les créations d'entreprises sont particulièrement dynamiques dans ces entités : 1.525 entreprises ont vu le jour en 2003 (+ 16 %), dont 181 grâce aux efforts de la recherche.

Les résultats de ces « grappes d'entreprises » sont en outre remarquables puisque le « taux de survie » des entreprises créées, qui permet de mesurer l'efficacité de la dynamique des technopoles, est inférieur à 45 % hors du réseau et se situe entre 85 % et 90 % dans le réseau FTEI . En effet, une des missions essentielles des technopoles est de détecter les projets innovants dans les laboratoires qui sont, après sélection, soumis à des capital-risqueurs. Ce processus de sélection permet ainsi de distinguer les projets les plus porteurs de ceux dont la réussite est moins assurée.

Plusieurs réussites illustrent l'efficacité de ces stratégies, telles le pôle électronique de Crolles, près de Grenoble, ou le centre de recherche d' Altis , co-entreprise IBM-Siemens , implantée dans l'Essonne. L'exemple de la technopole de Rennes Atalante est également particulièrement intéressant : cette dernière regroupe 230 entreprises pour 13.000 emplois au total et, en 2003, plus de 700 emplois ont été créés dans le pôle, même si le bilan de l'année 2004 devrait être légèrement terni par la fermeture du site de STMicroelectronics . D'autres entreprises y ont néanmoins une activité particulièrement dynamique comme la filiale « recherche et développement » de France Télécom , qui compte près de 2.000 salariés.

Le succès de ces regroupements est lié à l'effet de masse qui en résulte et des synergies entre entreprises . Il tient également à la diversité des acteurs . Ainsi, les technopoles appuient leurs actions sur des partenariats noués avec un grand nombre d'acteurs locaux, comme les universités, les centres de recherche, l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), les entreprises, les collectivités locales et les chambres consulaires. Dans le cas de Rennes Atalante, les sites de la technopole sont installés sur un campus de 58.000 étudiants. Comme le souligne Mme Jacqueline Poussier, directrice de la technopole, les entreprises « trouvent sur place tout le personnel nécessaire : des ingénieurs, des chercheurs, etc. qui bénéficient d'une très bonne qualification » (138 ( * )).

La spécialisation des sites constitue à la fois une force et une faiblesse . L'efficacité passe en effet généralement par une spécialisation sur quelques secteurs pour rendre les échanges entre les partenariats les plus profitables possibles. Toutefois, une spécialisation trop poussée peut aussi présenter des dangers en cas de retournement conjoncturel : ainsi, la crise des TIC a particulièrement affecté la technopole de Rennes.

Enfin, le rôle des collectivités locales est un élément essentiel pour la réussite de cette organisation économique , tant au moment de leur constitution que pour leur pérennité. Ainsi, à Rennes Atalante, le budget de fonctionnement est assuré à 63 % par la communauté d'agglomération de Rennes et à 12 % par le Conseil général d'Ille-et-Vilaine.

Les stratégies innovantes au plan local démontrent que le regroupement d'activités complémentaires est indispensable pour favoriser le développement économique . Si une ébauche intéressante d'organisation existe en France, votre groupe de travail note que de tels modèles y sont encore insuffisamment nombreux , et pas toujours correctement exploités . A l'instar de M. Christian Blanc, il regrette par exemple que la formidable concentration de « matière grise » au sud de Paris soit si dispersée, sans recherche de synergies entre les différents instituts de recherche, les grandes écoles, les grandes groupes technologiques, les entreprises innovantes, etc. Aussi attache-t-il beaucoup d'importance à ce que les préconisations récemment formulées soient rapidement examinées par le Gouvernement et mises en oeuvre.

c) Les campus de recherche

Le développement et le renforcement de ces pôles de compétitivité renvoient aux débats concernant l'avenir de l'organisation de la recherche française. Au delà de la nécessaire consolidation des moyens affectés à notre appareil de recherche, il importe en effet de mener une réflexion sur son organisation. De nombreuses pistes de réflexion ont déjà été avancées, comme la proposition faite par le président et le directeur du CNRS (139 ( * )).

Une contribution semble cependant mériter une attention particulière (140 ( * )). Afin de remédier à l'excessive centralisation de la recherche publique française, à la confusion qui marque le rôle des différents acteurs et à un système d'emploi scientifique inadapté, les auteurs de cette note proposent de créer des campus de recherche dotés de l'autonomie financière . Sans être calqués sur le système anglo-saxon, ces campus disposeraient de moyens financiers et humains délégués par les organismes de recherche, l'Etat et les collectivités territoriales , et d'une autonomie leur permettant de définir des stratégies de recherche, de faire des propositions et de recueillir des financements sur la base de ces dernières. En outre, une véritable activité de valorisation de la recherche pourrait être développée grâce à des partenariats entre les campus et les entreprises .

Proposant d'expérimenter progressivement cette organisation en constituant quelques campus à titre expérimental, les auteurs estiment qu'à terme, le territoire pourrait être couvert par 50 à 100 campus de recherche spécialisés . Dans un tel schéma, le rôle des grands organismes de recherche actuels serait profondément redéfini car ils auraient vocation à devenir des agences de moyens .

Votre groupe de travail est particulièrement sensible à ces propositions . Il estime en effet qu'une meilleure décentralisation de l'organisation de la recherche est souhaitable, tant pour mieux répartir sur le territoire les activités de recherche que pour favoriser la constitution de pôles d'excellence spécialisés. Il soutient que l'association de campus de recherche aux pôles de compétitivité s'avère être un moyen privilégié pour lutter contre les délocalisations dans de nombreux secteurs . La création de réseaux locaux associant entreprises, universités et soutiens publics nationaux et territoriaux permet en effet le développement de conditions propices à l'attractivité des territoires en offrant aux entreprises toutes les ressources dont elles ont besoin. La délocalisation est de ce fait moins avantageuse en termes économiques . En outre, la structuration territoriale de l'économie française sur ce modèle offre également aux filières un cadre propice au développement de leurs activités et permet de renforcer nos avantages comparatifs.

4. Maîtriser le processus productif en développant les parties « amont » et « aval »

Face au développement des capacités industrielles des pays à bas coût de main d'oeuvre, les pays développés doivent trouver leur propre voie de spécialisation pour se constituer de nouveaux avantages comparatifs . Dans les filières à production de masse standardisée, particulièrement concernées par les délocalisations, cette nécessité passe notamment par un renforcement des activités amont et aval.

A cet égard, il convient d'observer, comme le souligne notamment M. Jean-Louis Levet, qu' une stratégie qui tendrait à ne maintenir en France que les activités « nobles » (R&D, conception, design...) en délocalisant l'ensemble des activités « banalisées » trouverait rapidement ses limites . D'une part, la totalité des étapes du processus productif est désormais concernée par la menace des délocalisations en raison de l'émergence de nouveaux pays dotés d'une forte capacité technologique. D'autre part, il existe un lien indissociable entre ces étapes qui interdit de déconnecter complètement les savoir-faire scientifiques des savoir-faire techniques . Ainsi, la délocalisation totale des activités strictement productives a pour conséquence d'affecter le potentiel de création et d'innovation de nos économies.

Le renforcement du soutien aux activités de haute technologie et à certains segments du processus productif ne doit donc pas exclure une stratégie offensive globale visant à structurer les grandes filières traditionnelles autour de pôles d'excellence et à les rendre maîtres de leurs marchés . L'exemple du secteur textile est particulièrement pertinent à cet égard . Ainsi, au cours de son déplacement dans le Maine-et-Loire, votre groupe de travail a eu l'occasion de visiter un établissement de l'entreprise Salmon Arc-en-Ciel , spécialisée dans les habits et accessoires pour nouveaux-nés, et de se voir exposer la stratégie du groupe par son président M. Christian Cunaud.

Face à la concurrence internationale, notamment celle des pays asiatiques, cette entreprise a délocalisé l'essentiel de sa production en Chine . Toutefois, elle a conservé en France des ateliers capables de produire en petit nombre les nouveaux modèles , renforçant par ailleurs ses capacités de conception et développant un réseau dédié de commercialisation. Au final, le bilan pour l'emploi est positif car les effectifs de l'entreprise localisés en France n'ont diminué que de dix unités entre 1994, date à laquelle le groupe, confronté à de vives difficultés, a commencé à délocaliser sa production, et 2004. Sur cette période, alors que la part de la production réalisée en France a été ramenée de 70 % à 1 %, le chiffre d'affaire est passé de 29 à 49 millions d'euros.

La stratégie de diversification de l'activité vers l'aval semble à cet égard payante. Il s'agit pour l'entreprise d'ajouter à son coeur de métier productif, qui peut être délocalisé pour l'essentiel, la commercialisation directe du produit, ce qui permet de maintenir, voire d'accroître l'emploi local. De nombreuses filières des industries de main d'oeuvre ont au demeurant adopté cette stratégie depuis longtemps, au point de compter aujourd'hui davantage de salariés dans la distribution que dans la production , comme en témoignent les indication suivantes fournies par M. Daniel Pasquier lors de son audition :

Industrie

Emplois directs en 2002

Emplois distribution en 2002

Bijouterie, joaillerie, orfèvrerie

13.960

18.000

Chaussure

17.481

29.000

Horlogerie et microtechniques

5.500

21.500

Jouet-puériculture

8.500

12.500

Source : CLIMO

C'est très clairement ce qu'a choisi de faire l'entreprise Eram , comme l'a indiqué à votre groupe de travail son président-directeur général, M. Xavier Biotteau : tout en développant une politique de marques dans la chaussure ( Bocage Paris , Anne Flavie , TBS , Buggy shoes , Parade ) afin de se positionner sur les différents segments du marché, elle a créé ou acquis plusieurs réseaux de distribution tant en centre-ville ( Eram , bien entendu, mais aussi France Arno , Taneo , Heyraud , Bocage , etc.) qu'en périphérie ( Gémo , L'Hyper aux chaussures , L'Hyper aux vêtements ). En 2002, le groupe comptait ainsi 1.613 points de vente, occupait 10.565 personnes et générait 1,338 milliard de chiffre d'affaires. L'appropriation des réseaux de distribution peut parfois s'accompagner de méthodes innovantes , comme en témoigne le procédé particulièrement performant de vente directe imaginé par la société vosgienne Alcee , spécialisée dans la lingerie fine : le recours au système « Tupperweare » lui a ainsi permis de quadrupler ses effectifs et de les porter à 112 salariés en cinq ans.

Pour votre groupe de travail, il n'est pas impossible d'étendre ce modèle aux autres secteurs de l'économie les plus affectés par les risques de délocalisations. De telles stratégies gagnant/gagnant démontrent que les filières les plus touchées par la concurrence des pays à bas coût de main d'oeuvre peuvent conserver leur place dans la structure industrielle de notre pays , si elles maintiennent sur le territoire la capacité de concevoir et produire les modèles et y développent des activités commerciales .

Cette option peut en outre être combinée avec la spécialisation de l'outil productif local dans les activités à haute valeur ajoutée qu'autorisent certains savoir-faire, niches de haut de gamme, recherche constante d'innovation ou satisfaction du client en « juste-à-temps » (JAT).

La nouvelle segmentation des fabrications associée à la mise en oeuvre des savoirs peut ainsi dynamiser ces industries si elles se concentrent sur les activités susceptibles de mieux se défendre face à la concurrence étrangère dans la mesure où les coûts ne peuvent guère être réduits par le recours à une main d'oeuvre bon marché. Ainsi, une étude d'Eurostaf (141 ( * )) consacrée à la production dans l' industrie de luxe observe que les secteurs de l'habillement, des arts de la table ou de la chaussure offrent un spectre très large de production permettant de maintenir en France et en Europe un certain nombre de sites de production de bien à très haute valeur ajoutée (verre, chaussure, textile).

Le groupe Deveaux , appartenant aux familles qui l'ont fondé il y a 250 ans dans la région de Roanne, offre une illustration d'une telle stratégie : il a assuré son développement grâce un savoir-faire particulier, celui des tissus haut de gamme livrés dans les plus brefs délais, ce qui lui a permis d'afficher un chiffres d'affaires de 163,6 millions d'euros en 2003. De même, l'entreprise Togonal , imprimeur de tissus dans l'Oise, propose des tissus que les ennoblisseurs étrangers ne peuvent pas concurrencer, tandis que la société Decouvelaere , cotonnier installé dans les Vosges, n'a cessé d'innover en mélangeant les fibres et les pigments. La résistance aux délocalisations organisée autour d'une production à haute valeur ajoutée peut également être vérifiée dans l'industrie du jouet : ainsi, Jeujura fabrique en France des jouets en bois, et n'envisage pas de délocaliser sa production.

Enfin, il convient d'indiquer que les freins à la délocalisation que peuvent constituer les coûts de transport , si l'implantation étrangère n'est pas accompagnée d'une perspective de pénétration de nouveaux marchés, se rencontrent également pour certains segments de ces industries traditionnelles. Ainsi, certains jouets volumineux, et donc très coûteux à transporter, sont toujours fabriqués en France, comme en témoignent les exemples des baby-foot et des jeux de plein air des sociétés Berchet et Smoby .

II. SOUTENIR LES TERRITOIRES ET L'EMPLOI

Outre ces préconisations destinées à renforcer les capacités de réaction du tissu industriel face à la concurrence internationale, il semble nécessaire à votre groupe de travail d'examiner les moyens d'apporter une réponse spécifique aux difficultés qu'elle occasionne aux territoires et à l'emploi. En effet, les conséquences des délocalisations de certains secteurs industriels sur les régions traditionnellement industrialisées sont importantes au niveau tant social qu'économique. Cette évolution nécessite la définition de stratégies locales adaptées pour anticiper et accompagner la reconversion des territoires et de la main d'oeuvre les plus durement affectés. Par ailleurs, il convient d'exploiter de manière plus systématique les gisements d'emplois nouveaux.

A. AFFERMIR LE RÔLE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

La deuxième partie de ce rapport a démontré que, contrairement aux conséquences des grandes vagues de restructuration industrielle qui se sont produites dans les années 1980, les mutations économiques ont aujourd'hui des effets plus diffus sur les territoires car elles affectent plutôt des micro-bassins d'emplois . Ce constat rend nécessaire des actions plus ciblées. Si l'échelon régional exerce actuellement, sous réserve des missions incombant à l'Etat, le rôle de « chef de file » en matière de développement économique, les autres collectivités territoriales et leurs groupements doivent cependant nécessairement conserver des capacités d'intervention pour dynamiser leurs territoires.

1. Le lien économie-territoire

Le renforcement du rôle des firmes multinationales, en particulier avec l'essor des flux d'investissements directs étrangers, bouleverse de manière radicale l'organisation du développement économique local. Comme le souligne un rapport de l'AFII réalisé pour le Conseil régional d'Alsace (142 ( * )), « les firmes ont besoin des territoires et les territoires ont besoin des firmes » .

La dépendance accrue des territoires aux stratégies des entreprises fait apparaître de nouvelles formes de coopération ou de compétition . Le changement dans la manière dont les entreprises conçoivent la segmentation géographique de leurs activités rend nécessaire de redéfinir profondément les objectifs et les moyens d'actions des politiques de développement territorial . La mobilité géographique accrue des facteurs de production, l'élargissement de l'horizon géographique des firmes et la diversification de leur ancrage territorial, tendent à affaiblir certaines solidarités traditionnelles fondées sur les relations de proximité. Ainsi, on assiste à la réduction progressive de l'activité de certaines entreprises dans une région qui avait constitué jusqu'alors leur berceau d'origine mais, à l'inverse, de nouvelles entreprises jusque là complètement étrangères au territoire peuvent s'y implanter.

Le rassemblement sur un même territoire d'une masse critique de compétences et de moyens industriels a des effets multiples . La proximité spatiale facilite la coopération entre les entreprises , par exemple en développant conjointement des nouveaux produits ou en utilisant des réseaux commerciaux communs. Les pouvoirs publics tirent également profit de telles stratégies en coopérant pour lancer des programmes de recherche ou localiser des projets industriels.

A cet égard, les politiques publiques locales sont décisives puisqu'elles permettent de créer les conditions favorables à l'émergence de réseaux de partenariat entre tous les acteurs du développement local (firmes, pouvoirs publics, universités, centres de recherche). Cet objectif peut être atteint en mettant par exemple en place des programmes de coopération technologique ou en aménageant des technopoles. Mais la définition de ces politiques n'est pas sans susciter des difficultés pratiques pour les collectivités territoriales , tenues de s'adapter à cette approche coopérative alors même qu'elles sont en situation de concurrence pour accueillir les investissements .

Par ailleurs, la correction des inégalités et des conséquences des sinistres économiques relève traditionnellement du rôle de l'Etat . Cependant, l'expérience passée montre que l'Etat, dans ses actions de reconversion, ne parvient plus à incarner une vision nouvelle de l'économie du bassin, et que les moyens qu'il alloue à ces actions sont souvent insuffisants.

Votre commission est convaincue que la définition de stratégies adaptées aux besoins des territoires confrontés à des difficultés économiques relève des collectivités locales , qui doivent voir leurs moyens d'action renforcés. Les nouveaux outils proposés par le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales, en cours d'examen par le Parlement, constituent de ce point de vue une véritable opportunité pour l'économie locale .

Ce texte prévoit la définition par la région d'un schéma régional de développement économique ayant pour objet d'arrêter les orientations stratégiques de la collectivité en matière économique. Ce schéma viserait à promouvoir un développement équilibré de la région, à développer l'attractivité de son territoire et à prévenir les risques d'atteinte à l'équilibre économique de tout ou partie de celui-ci. Les aides aux entreprises des autres collectivités territoriales et des groupements devraient tenir compte des orientations du schéma, afin que les stratégies définies à l'échelle d'un territoire soient cohérentes.

Dans ce cadre, les priorités du développement économique local seraient ainsi affirmées. Le schéma pourrait décider, par exemple, de soutenir en priorité certaines filières industrielles ou activités de recherche et développement, en particulier pour favoriser l'émergence des nouveaux secteurs porteurs, ou encore de privilégier les aides aux investissements en matière de protection de l'environnement pour faciliter la mise aux normes des installations industrielles et compenser les surcoûts résultant de la réglementation environnementale.

Outre cette stratégie d'ensemble tenant compte des spécificités de son territoire, la région pourrait engager des actions curatives en cas de sinistre économique ou industriel affectant des bassins d'emplois localisés. Le projet de loi prévoit à cet égard qu'en cas d'atteinte à l'équilibre économique de tout ou partie de la région, le président du conseil régional ou le préfet pourrait réunir les chefs des exécutifs locaux concernés afin de définir les solutions aptes à prévenir les conséquences de tels sinistres.

L'affirmation des responsabilités des collectivités territoriales devrait ainsi les conduire à forger les outils adéquats pour orienter les priorités économiques de leur territoire et, le cas échéant, mener les actions préventives dans le constant souci d'anticiper les difficultés pouvant résulter de délocalisations.

Par exemple, dans le bassin d'emploi du choletais, fortement affecté par la crise de la chaussure et de l'habillement , une étroite coopération entre les élus locaux et les entreprises de la région a conduit à la création du « Pôle enfant » pour structurer l'ensemble de l'industrie locale autour de ce thème . Une sorte de spécialisation émerge, favorisant la synergie des entreprises sur les marchés intérieurs et à l'exportation des produits de toute nature consacrés à l'enfance : mode, confection, chaussure, matériel de puériculture, décoration, jeux de plein air, produits alimentaires, etc. Ce concept marketing innovant est un bon témoignage de la capacité d'animation d'un territoire par ses élus et responsables économiques, dans une perspective de développement à long terme.

2. Les politiques locales de l'emploi

Alors que les conséquences économiques et sociales des délocalisations de certaines filières industrielles sont diffuses et permanentes, il est plus difficile de définir des stratégies nationales d'emplois . Le chômage résultant de décisions de délocalisation affectant des bassins d'emploi localisés, ce sont désormais là encore les acteurs locaux qui se trouvent en première ligne pour tenter de développer les formules de reconversion et limiter l'ampleur de ces sinistres industriels . Votre groupe de travail a d'ailleurs eu l'occasion d'apprécier la pertinence de telles stratégies locales à l'occasion de son déplacement dans le Maine-et-Loire. A la suite de plusieurs fermetures d'entreprises importantes en 1999, une structure transversale, le Comité de pilotage et de développement de l'économie choletaise , a été créée à l'initiative du représentant de l'Etat. Cette instance avait pour but de réunir tous les acteurs (services de l'Etat, collectivités territoriales, acteurs privés comme les CCI, etc.) souhaitant lancer des initiatives de développement économique, disposant de financements mais n'ayant pas pour habitude de coordonner leurs actions .

En outre, en cas de difficultés économiques, des cellules de reclassement peuvent être créées. Composée de salariés de l'entreprise ou d'intervenants extérieurs, la cellule de reclassement permet le suivi des salariés licenciés ou menacés de l'être, à l'exception de ceux qui bénéficient d'une mesure d'âge ou d'un reclassement interne. La cellule a ainsi pour mission d'assurer la prospection des offres d'emploi, la mise en relation des salariés avec des employeurs éventuels et l'aide à la recherche d'emploi. L'État participe, après conclusion d'une convention, aux frais de fonctionnement directs de la cellule . Sa participation est fonction du niveau des engagements pris par l'entreprise et de la qualité du plan de sauvegarde de l'emploi.

Cependant, les cellules inter-entreprises travaillent souvent de manière indépendante et ne disposent pas de la vision globale sur la totalité du bassin d'emploi. Pour remédier à ces difficultés, il a également été créé dans le bassin d'emploi du Choletais une Plate forme de reconversion professionnelle afin de coordonner le travail des cellules de reclassement et d'en améliorer le rendement . Les responsables de la plate-forme ont pour mission de rendre visite aux entreprises pour réaliser des repérages des postes de travail vacants et examiner les possibilités de reconversion des salariés licenciés.

Votre groupe de travail est convaincu que l'apport de telles structures est essentiel pour permettre la reconversion des salariés issus des secteurs en difficulté. De telles actions ciblées , effectuées par des acteurs ayant une bonne connaissance du bassin d'emplois , c'est à dire des compétences des salariés, des besoins des entreprises, de l'offre de formation professionnelle, peuvent fluidifier le fonctionnement du marché du travail local et remédier ainsi aux effets des délocalisations.

3. La nécessité d'une concertation entre les territoires

Pour rendre plus efficaces les stratégies locales mises en oeuvre, votre groupe de travail estime qu'il importe aussi de favoriser une vision du développement économique au delà du strict échelon local . Si la structuration des activités économiques autour de pôles d'excellence spécialisés est devenue indispensable pour résister à la concurrence internationale, il ne serait en effet pas concevable de promouvoir le déploiement de ce modèle sur le territoire français sans un minimum de concertation entre les collectivités locales compétentes en matière de développement économique , en coopération avec l'Etat. A défaut, le risque serait grand que se constituent dans des territoires pourtant proches des pôles d'excellence similaires , spécialisés sur les mêmes thématiques, à la recherche de compétences semblables, qui se feraient inutilement concurrence .

Convaincu que la richesse économique de notre pays tient également à sa diversité et que l'exploitation des ressources collectives doit être rationnelle , votre groupe de travail juge opportun de créer les conditions d'une concertation entre les territoires dans le domaine du développement économique pour garantir la cohérence de la répartition spatiale des activités économiques sur l'ensemble du territoire . Cette concertation pourrait sans doute être formalisée directement au niveau national par la création d'une conférence rassemblant l'Etat, les présidents de région et les présidents de conseil général pour arrêter les principes et les grandes orientations à retenir en matière de pôles de compétitivité.

Une telle conférence se réunirait annuellement, sous la présidence du Premier ministre, afin d'examiner l'ensemble des questions de nature à favoriser, de manière concertée et cohérente pour éviter toute concurrence inutile des territoires, l'émergence d'activités économiques aptes à prendre le relais de secteurs de l'économie française devenus non compétitifs. Cette concertation permettrait aussi à l'Etat d'assumer son rôle « d'agent de liaison » avec les instances communautaires en matière de développement économique territorial.

4. L'appui de l'Etat

Dans cette perspective, les outils de l'Etat en matière d'anticipation et d'analyse pourraient être plus spécifiquement orientés pour favoriser cette coordination. La nomination, en décembre 2003, de M. Alain Juillet au poste nouvellement créé de haut responsable en Intelligence économique placé auprès du gouvernement , témoigne de la volonté des pouvoirs publics de renforcer la collecte, l'analyse et la défense des informations économiques stratégiques indispensables aux entreprises pour décider de leurs orientations. Cette activité, beaucoup plus développée à l'étranger qu'en France (tels l' Advocacy Center aux Etats-Unis ou les sogo shohas au Japon), va désormais pouvoir prendre une ampleur plus grande et permettre tant aux décideurs économiques qu'aux élus locaux de renforcer leur connaissance de l'environnement conditionnant leurs stratégies.

On pourrait même imaginer que les acteurs syndicaux s'impliquent dans cette entreprise, et promeuvent à l'étranger le modèle social hexagonal, comme le font déjà certains syndicats allemands qui participent à l'action d'influence et de défense des intérêts économiques du pays, concourant ainsi à la diffusion du modèle allemand tant en Amérique latine dans les années 1980 que dans les pays d'Europe de l'Est après 1989... Ces actions d'influence, souvent discrètes, participent à l'arrivée en douceur des produits et des entreprises nationales.

Un signal clair de l'effort entrepris en France sur le terrain de l'intelligence économique est donné par l'administration du ministère des affaires étrangères, qui a créé en 1998 une mission « entreprises », aujourd'hui dirigée par M. Jean-Baptiste Main de Boissière, et destinée à faire l'interface entre les entreprises et le monde diplomatique. Ainsi, le Quai d'Orsay est intervenu dans deux dossiers, celui du téléphone mobile au Kosovo et celui d' Agua Argentina , pour soutenir des entreprises nationales (143 ( * )). En sélectionnant les dossiers clés sur lesquels porter l'action du réseau diplomatique français à l'étranger, la mission participe ainsi à l'action confiée à M. Alain Juillet.

Cet effort français doit être encouragé et poursuivi. Alors que, dans son récent rapport sur l'intelligence économique (144 ( * )), notre collègue député M. Bernard Carayon déplorait l'absence de « think tanks » à la française, la création récente (145 ( * )) de la fondation Prométhée devrait donner une nouvelle dimension au sursaut français en matière d'intelligence économique. Cette fondation, qui devrait regrouper une douzaine d'entreprises, parmi lesquelles Areva , Dassault-Aviation , EADS , Sanofi-Synthélabo , Sagem et Thalès , se présente comme un outil d'anticipation et de définition du périmètre stratégique de l'économie française . Il est heureux que ce cénacle privé apporte sa contribution aux réflexions déjà engagées par les pouvoirs publics sur ce terrain : le croisement des anticipations de ces différentes enceintes et leur influence complémentaire concourront à renforcer la justesse de la prospective dans notre pays et, plus globalement, son intelligence économique, au bénéfice de l'ensemble de notre territoire.

Sans doute la pertinence de ces réflexions serait-elle encore accrue si elle s'appuyait sur des relais locaux , afin d'impliquer les acteurs les plus proches, en termes géographiques, des renseignements économiques et technologiques.

Il convient également d'évoquer la Mission interministérielle aux mutations économiques (MIME) , déjà citée, qui constitue également un outil de l'Etat susceptible d'aider les territoires dans leurs anticipations des crises industrielles et des réponses à leur apporter. Créée en 2003, cette mission a en effet pour vocation de développer l'anticipation des mutations à venir et de mieux coordonner l'accompagnement public des entreprises. Elle remplit cette tâche en assurant notamment une veille active, qui associe le ministère délégué à l'industrie avec les DRIRE, afin d'émettre des signaux d'alerte dès les premiers signes de faiblesse sur un site ou un territoire.

L'anticipation du phénomène des délocalisations est en effet un élément déterminant dans leur prévention ainsi que dans la mise en oeuvre d'alternatives, particulièrement à l'échelle locale. A cette fin, la MIME a mis en place des observatoires des délocalisations au niveau national mais aussi régional. Cette anticipation s'appuie sur la coopération de tous les acteurs des secteurs privé et public, notamment les sociétés de conversion, les collectivités locales ou l'Agence française pour les investissements internationaux.

Cette ramification régionale de l'action de la MIME est essentielle à l'accomplissement de sa mission. Elle doit donc être renforcée et encore mieux exploitée. Dans cette perspective, votre commission estime que des moyens humains complémentaires devraient être accordés à cette mission.

B. AMÉLIORER L'« EMPLOYABILITÉ » DE LA MAIN D'oeUVRE

Les délocalisations, mouvement inéluctable dans certains secteurs, posent essentiellement, cela a été relevé, le problème de la reconversion de la main d'oeuvre . Il importe ainsi d'adapter les postes de travail et les qualifications aux métiers de demain, aux compétences nouvelles qui seront réclamées par les entreprises dans les filières porteuses. Il est aussi nécessaire, en tout état de cause, de former tous nos concitoyens aux technologies de l'information et de la communication, outil central de la mutation du travail, afin, comme l'ont souligné devant votre groupe de travail Mme Anita Rozenholc, experte en société de la connaissance, et M. Bruno Lemaire, professeur à HEC, de leur permettre de s'insérer avec profit, quels que soient leur métier, leur fonction et leur degré de qualification, dans la nouvelle société cognitive en gestation.

Si une telle action passe en premier lieu par l'adaptation de la formation initiale et l'amélioration de la professionnalisation des enseignements secondaires et supérieurs, elle implique également le développement d'une formation continue pour répondre aux difficultés immédiates , reconvertir les compétences et favoriser la mobilité sectorielle des salariés.

1. Orienter la formation initiale

La formation initiale, et notamment supérieure, est, au même titre que l'existence d'un secteur de la recherche dynamique, un élément fondamental de la compétitivité des nations.

Les études montrent que, dans les pays en rattrapage technologique - comme la France entre 1945 et 1970 -, l'amélioration du système éducatif, notamment primaire et secondaire, a un rendement très fort . Ainsi, la France a réussi à rattraper son retard de productivité sur les Etats-Unis pendant les Trente glorieuses car, étant éloignée de la « frontière technologique », pour reprendre l'expression de MM. Philippe Aghion et Elie Cohen (146 ( * )), elle a pu bénéficier d'externalités importantes par effet d'imitation . Son système éducatif primaire et secondaire, de bonne qualité, a ainsi pu assimiler les techniques déjà appliquées aux Etats-Unis.

Cependant, à mesure que le retard de la France se réduisait, les possibilités de rattrapage par imitation s'amoindrissaient tandis qu'augmentait l'importance de l'innovation comme moteur de la croissance . A la fin des années 1970, la France aurait ainsi franchi un cap, les investissements dans l'enseignement supérieur devenant plus indispensables au dynamisme de la croissance que les investissements dans l'enseignement secondaire. La poursuite de l'élévation de la part de la population active ayant achevé des études supérieures aurait dû, selon cette analyse, permettre de poursuivre la progression de la croissance économique et de la productivité du travail. Cette évolution ne s'est pourtant pas produite en France.

L'une des raisons principales est que « l'enseignement supérieur en France est le parent pauvre de l'éducation nationale », comme le soulignent MM. Aghion et Cohen. Alors qu'un élève du secondaire coûte, en moyenne, 36 % de plus en France que dans les pays de l'OCDE, un élève de l'enseignement supérieur, toutes formations confondues, coûte 11 % de moins . Ainsi, les statistiques montrent qu'en 1999, la France a investi 1,1 % de son PIB dans l'enseignement supérieur, contre 2,3 % pour les Etats-Unis . En outre, le déséquilibre entre les moyens affectés aux classes préparatoires et aux grandes écoles et ceux dont disposent les universités démontre que ces dernières sont sous-financées par rapport aux principaux partenaires économiques.

Par ailleurs, la proportion de diplômés dans toutes les classes d'âge est inférieure ou égale à la moyenne de l'OCDE. L'effort consenti à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a certes permis un rattrapage rapide en terme de flux, mais le retard accumulé est considérable par rapport aux pays les plus avancés, particulièrement pour le supérieur général (12 % de diplômes pour les 25-64 ans contre 15 % en moyenne pour les pays de l'OCDE). Les moyens attribués à l'université n'ont pas crû au même rythme que les effectifs, de sorte qu'en 2001 , les dépenses par étudiant étaient inférieures de 23 % à la moyenne des pays de l'OCDE . Seuls l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce dépensent moins par étudiant. Il est probable que ce faible effort explique une partie du taux d'échec et d'abandon très important en France dans l'enseignement supérieur général.

Or, comme le notent MM. Aghion et Cohen, « on ne peut espérer situer notre économie à la frontière technologique sans un effort vigoureux et des moyens nouveaux significatifs » dans l'enseignement supérieur. En effet, en tant que facteur de développement économique, l'éducation augmente l'offre de chercheurs ou de développeurs potentiels et, par suite, réduit le coût de la R&D. La France ne semble ainsi pas avoir pris la mesure de l'importance que revêtent le maintien et le renforcement de ses capacités intellectuelles et scientifiques. Tout comme l'effort d'innovation, l'effort éducatif dans l'enseignement supérieur apparaît largement insuffisant .

Votre groupe de travail estime qu'il est grand temps de remédier à cette faiblesse en accroissant considérablement les moyens dont disposent les universités, ce qui ne passe pas uniquement par une hausse des crédits publics . En effet, les universités tireraient largement profit d'une ouverture à des financements complémentaires, issus notamment du secteur privé. Par ailleurs, un débat doit être impérativement lancé sur la professionnalisation des universités et de leur adaptation aux besoins des secteurs économiques en croissance .

Ce débat doit également porter sur l'organisation du système éducatif secondaire et d'une éventuelle meilleure adaptation des formations qu'il dispense à la préparation des métiers pour les élèves qui souhaitent entrer rapidement dans la vie active. En particulier, votre groupe de travail estime que l'enseignement secondaire doit désormais mieux prendre en compte la nécessité de préparer aux emplois protégés de la concurrence internationale autour desquels s'organisera en partie le développement des postes de travail (emplois de services dans le tourisme, la restauration, les services à la personne). Or, une telle préparation implique la constitution et le renforcement de filières préparant assez tôt à ces métiers . A cet égard, l'orientation scolaire doit également jouer tout son rôle dans la définition de cette nouvelle stratégie.

Sur le fond même de l'enseignement, un certain nombre d'éléments pourraient être améliorés. Tout d'abord, le contenu même des formations professionnelles prend insuffisamment en compte l'évolution des nouvelles techniques qui se développent dans certaines filières. Un enseignement déconnecté des évolutions techniques, outre qu'il fausse l'image du secteur, produit des salariés potentiels qui ne disposent pas nécessairement de la formation la plus adaptée lors de leur entrée dans les branches professionnelles.

Pour remédier à cette relative déconnexion existant dans certaines filières, il serait souhaitable, pour votre groupe de travail, de favoriser les échanges entre les enseignants et les chefs d'entreprise , en développant notamment les stages des professeurs dans des entreprises comme en multipliant les interventions des responsables d'entreprises dans les enseignements. En outre, dans le prolongement de ses réflexions sur le développement de pôles d'excellence, votre groupe de travail est favorable au renforcement de la démarche visant à multiplier les lycées des métiers qui regroupent un vaste éventail de formations et de qualifications au sein d'un même secteur, et qui pourraient oeuvrer de concert avec la collectivité régionale et les filières professionnelles.

De la même manière, le développement de plateformes technologiques semble pouvoir également constituer un axe de réflexion à approfondir. Ces plateformes permettent en effet d' optimiser les moyens et les compétences dont disposent les établissements publics d'enseignement et de mutualiser leurs compétences au service des PME-PMI en favorisant les transferts de technologies. Cette démarche permet ainsi aux structures scolaires et universitaires de s'insérer de manière harmonieuse dans le tissu économique local.

Mais cet état d'impréparation relative ne découle pas uniquement des faiblesses de l'action publique . Bien souvent, un grand nombre de filières sont jugées insuffisamment attractives en raison d'un déficit de communication et d'une image déformée du métier . L'exemple le plus significatif en la matière est certainement l'industrie du bâtiment, connu pour sa pénibilité qui s'est pourtant beaucoup atténuée. La faible notoriété de certains secteurs, le manque d'attractivité des rémunérations et des perspectives dans le déroulement de la carrière constituent aussi d'autres facteurs explicatifs.

Pour votre groupe de travail, il revient ainsi aux secteurs professionnels d'améliorer la communication tant à l'égard des collégiens que des lycéens, et ce, pas uniquement dans les filières professionnelles, afin de renforcer l'attractivité de nombreux métiers.

2. Développer la formation continue et favoriser la transférabilité des savoirs

Les mutations économiques impliquent la disparition régulière de métiers et d'emplois qui ne sont plus compétitifs au regard des économies émergentes. Telle est en particulier l'une des principales conséquences des délocalisations. De ce fait, se trouve posée la question de la reconversion des salariés travaillant dans des activités qui ne sont plus compétitives au regard des conditions concurrentielles internationales.

Cette évolution nécessite une action spécifique et volontariste des acteurs sociaux, des entreprises, de l'Etat et des collectivités territoriales confrontées aux conséquences locales des destructions d'emplois. Or, cette action doit anticiper les difficultés à venir dans la mesure où « il faut une génération pour requalifier la main d'oeuvre » , comme l'a souligné M. Lionel Fontagné, directeur du CEPII, devant votre groupe de travail.

De ce point de vue, celui-ci se félicite de la signature par les partenaires sociaux de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 relatif à la réforme - longtemps attendue - de la formation professionnelle, et de la promulgation de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, qui en constitue la traduction législative.

Ce nouveau dispositif, qui a pour but de favoriser la compétitivité de nos entreprises, vise à simplifier le système actuel de la formation professionnelle , qui a progressivement perdu sa pertinence en raison des inégalités d'accès à la formation entre salariés, de l'inadaptation de l'offre de formation et de l'inefficacité du système de collecte des ressources financières affectées à la formation professionnelle. En outre, la multiplicité des dispositifs (plan de formation, congé individuel de formation, autres congés de formation, co-investissement formation, formations en alternance) nuit à la lisibilité des formations proposées et à leur qualité .

L'inégalité entre salariés constitue l'un des principaux défauts les plus dommageables du dispositif actuel de formation professionnelle. Cette inégalité touche d'abord les salariés en fonction de leur qualification initiale car, comme le rappelle notre collègue Mme Annick Bocandé dans son rapport (147 ( * )), les chances d'accès à la formation des ouvriers non qualifiés sont, en moyenne, trois fois moins élevées (16,1 %) que celles des cadres (52,1 %). Or, même si les délocalisations concernent désormais l'ensemble du processus de production et un large éventail de métiers, elles concernent en grande partie le travail non qualifié. Cette inégalité d'accès à la formation professionnelle imposait donc de faciliter l'accès des salariés les moins qualifiés à la formation professionnelle pour favoriser les reconversions.

Cette inégalité touche également les salariés selon leur âge car, à profil d'emploi identique avec leurs cadets, le taux d'accès à la formation est en moyenne de 36 % pour les 39-45 ans, de 31 % pour les 50-54 ans et de 20 % pour les 55 ans et plus, alors que nos économies sont désormais confrontées à la nécessité de reconvertir les salariés les plus âgés .

Pour remédier à ces défauts, l'accord, traduit dans la loi, reconnaît un droit individuel à la formation et propose de professionnaliser les formations , d'individualiser les parcours de formation (en modulant les temps de formation en fonction des attentes et des capacités de chacun), de rendre transférables les droits à formation accumulés d'une entreprise à une autre et de développer les compétences dans le domaine des technologies de l'information et de la communication . Votre groupe de travail espère que l'ensemble de ces dispositions permettra de remédier aux insuffisances actuelles de la formation professionnelle et de renforcer les capacités d'adaptation des salariés français.

En effet , certaines évolutions sont communes à un grand nombre de filières industrielles concernées par les délocalisations. Or, dans ces évolutions communes, on retrouve la nécessité d'élever les qualifications des salariés . Ainsi, les entreprises ont des besoins croissants dans les filières de l'encadrement ou les postes techniques, qui impliquent un niveau de qualification plus élevée. Si cette élévation passe à l'évidence par une réorientation de la formation initiale, elle peut aussi être obtenue par le développement de la formation professionnelle continue .

Une meilleure organisation de celle-ci implique, il convient de le noter, la structuration de partenariats entre les filières professionnelles et les régions , qui voient à cet égard leurs compétences renforcées en matière de formation professionnelle par le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.

On observera, pour compléter ces préconisations relatives à la formation continue, qu'au-delà de la question des adaptations aux mutations industrielles, il convient aussi d'anticiper les transformations de la structure productive . Comme l'a souligné devant votre groupe de travail M. Claude Seibel, la France risque de se retrouver à très court terme dans une situation où coexistera un chômage, difficile à résorber dans certaines filières ou dans certains bassins d'emplois, et des tensions sur l'emploi dans d'autres, résultant notamment des besoins de renouvellement démographique liés au départ à la retraite des générations nées pendant le « baby-boom ». Selon M. Claude Seibel, sur la base d'une hypothèse de croissance moyenne de 2 % par an, il y aurait ainsi 7 millions de postes de travail à créer ou à renouveler entre 2000 et 2010 (soit 1,2 million de création et 5,8 millions de renouvellement) contre seulement 6,2 sur la période 1990-2000 (respectivement 1,4 et 4,8 millions). A l'évidence, la diminution de la taille des générations entrant actuellement sur le marché du travail rendra nécessaire le maintien dans l'emploi d'un nombre plus important de salariés âgés . Pour passer ce cap, formation continue et transférabilité des savoirs devront alors être mobilisées pour permettre leur adaptation aux nouvelles exigences de qualification des emplois de demain.

3. Continuer à assouplir le marché du travail

Faisant référence aux travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les 35 heures, la majorité de votre groupe de travail a précédemment souligné les difficultés posées par l'application de cette législation décidée par la majorité précédente. A cet égard, elle se félicite de l'assouplissement des dispositions qui apparaissaient les plus pénalisantes pour le développement l'emploi par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, dite « loi Fillon ».

Cette loi a notamment modifié le régime trop contraignant des heures supplémentaires, en l'assouplissant et en le déconnectant de la question de la réduction du temps de travail. Elle a également, en transformant l'application du mode de bonification des quatre premières heures supplémentaires, permis aux salariés de travailler davantage pour augmenter leur salaire. Elle a enfin modifié les règles relatives à la majoration et au seuil du repos compensateur obligatoire, notamment pour les petites entreprises.

Cependant, comme le note le rapport de la mission d'information, la loi « Fillon » n'aura pas pu entièrement revenir sur « l'infinie complexité des règles qui avaient été mises en oeuvre ». Compte tenu de l'enrichissement notable du code du travail, voire de sa « surcharge », il était certes difficile de modifier ces normes sans entrer dans cette complexité, ne serait-ce que pour y remédier partiellement. La principale question posée par la réglementation sur la réduction du temps de travail renvoie ainsi à la complexité et à la rigidité du droit du travail . Ces inconvénients constituent en effet une réelle faiblesse de notre système économique car, s'avérant dissuasifs pour les investisseurs internationaux, ils pénalisent également les entrepreneurs français et peuvent inciter certaines entreprises françaises à se délocaliser.

Pour résoudre ces difficultés, la commission présidée par M. Michel de Virville procède, dans son rapport remis en janvier 2004, à un certain nombre de recommandations tendant notamment à une refonte constructive du code du travail , pour en rendre les dispositions plus claires, et à une accélération des procédures judiciaires afin de réduire l'incertitude des usagers du droit du travail.

Le rapport fait également une proposition qui concerne l'adaptation des contrats de travail . Après avoir rappelé que les règles encadrant le recours aux contrats à durée déterminée et à l'intérim avaient atteint un point d'équilibre satisfaisant, le rapport note que le code du travail ne prend cependant pas en compte certaines situations « à mi-chemin entre la relation de travail de brève durée et la relation de travail pérenne, correspondant aux besoins permanents de l'entreprise ».

Ainsi, dans un environnement économique mouvant , les entreprises s'organisent autour de projets, à l'horizon de quelques mois ou de quelques années, et ne sont pas toujours capables de connaître à l'avance les délais de réalisation de ces projets et les besoins en main d'oeuvre qui en découleront. Les entreprises hésitent, de ce fait, à embaucher des salariés permanents sous contrat à durée indéterminée. En conséquence, la commission préconise de compléter l'éventail des contrats spéciaux existant en créant une nouvelle forme de contrat, ouvert à des cadres ou à des personnels qualifiés - notamment à des experts - pour permettre aux entreprises de recruter un salarié pour participer au développement d'un projet bien identifié.

La majorité de votre groupe de travail est sensible aux arguments des auteurs du rapport et estime que dans un contexte de fort chômage , et alors que l'emploi des seniors constitue l'un des grands défis des années à venir, l'expérience pourrait être utilement tentée . Il convient toutefois d'assortir la création de tels contrats de solides garanties pour s'assurer qu'ils ne soient utilisés que pour satisfaire les besoins non permanents des entreprises, et d'exigences en termes de rémunération , de formation et d'accompagnement lors de la recherche d'un nouvel emploi .

Alors que la rigidité des procédures en matière d'embauche et de licenciement est souvent évoquée comme l'une des contraintes majeures au développement des entreprises, la majorité de votre groupe de travail souligne qu'une telle innovation pourrait être utilement mise à profit pour donner un peu de souplesse au marché du travail. Elle relève notamment que les entreprises qui délocalisent citent souvent dans leurs motivations la plus grande flexibilité du droit du travail dans les pays qui accueillent les délocalisations .

A cet égard, votre commission ne peut qu'être favorable aux projets du ministre délégué aux relations du travail, M. Gérard Larcher, tendant à engager un dialogue avec les partenaires sociaux pour réformer le droit du travail, en s'appuyant notamment sur les propositions du rapport de Virville.

4. Favoriser la mobilité géographique et sectorielle des travailleurs

Le marché du travail en France, mais également dans les pays de l'Union européenne, contrairement à la situation prévalant aux Etats-Unis, se caractérise par une faible mobilité inter-régionale des salariés . Or, cette mobilité des salariés est indispensable car elle permet d' atténuer l'impact des chocs économiques localisés (sectoriels ou géographiques).

Sur le plan tant géographique que sectoriel, la mobilité des jeunes actifs est supérieure à celle des plus âgés : elle est en effet corrélée négativement à la possession de biens immobiliers ainsi qu'à la structure familiale. En outre, les effets de rente sont plus faibles pour les jeunes : ils hésitent moins à réaliser une mobilité que leurs aînés dans la mesure où ces derniers risquent plus de perdre des situations professionnelles acquises sur longue période . Or, des études économiques montrent qu' une augmentation de la mobilité des salariés a des effets positifs sur les créations d'emplois .

C'est pourquoi, une aide sous forme de subvention, d'un montant maximum de 1.600 euros sans intervention de l'entreprise ou de 3.200 euros avec l'accord de l'entreprise, aux salariés en mobilité professionnelle ( Mobili-pass ) a été mise en place. Pour bénéficier de cette aide, la nouvelle résidence de l'employé doit se situer à plus de 70 kilomètres de l'ancienne. L'aide prend en charge les loyers et charges pendant six mois en cas de double charge de loyers et les dépenses annexes liées au changement de logement.

S'agissant de la mobilité sectorielle , les récentes mesures relatives à la validation des acquis de l'expérience (VAE) devraient être de nature à la favoriser, comme l'ont indiqué à votre groupe de travail lors de leur audition Mme Sylviane Séchaud, chef de la mission « politiques de formation » à la Délégation générale à l'emploi et la formation professionnelle (DGEFP), et M. Bruno Dupuis, chef de la mission « interventions sectorielles » à la DGEFP. Des dispositifs exceptionnels ont au demeurant déjà été mis en place, par exemple par la région Nord-Pas-de-Calais, en faveur de la reconversion des salariés du textile et des secteurs de l'extraction vers des filières plus porteuses.

A l'évidence, les réflexions précédemment évoquées concernant la formation professionnelle continue s'inscrivent également dans cette perspective. Votre groupe de travail, conscient des nécessités d'activer les transferts de main d'oeuvre entre les secteurs et les filières pour permettre une bonne adaptation du tissu économique aux mutations qu'il connaît, considère qu'il importe de renforcer les politiques en la matière, notamment dans le cadre du dialogue social entre les syndicats et les chefs d'entreprises. Ceci est d'autant plus nécessaire que, comme l'ont souligné lors de leur audition Mme Annie Fouquet, directrice de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, et M. Frédéric Lerais, chargé de mission à la DARES, le financement et la gestion de la formation professionnelle continue sont davantage assurés par les partenaires sociaux que par l'Etat.

C. ANTICIPER LES BESOINS DE DEMAIN EN EMPLOIS DE PROXIMITÉ NON-DÉLOCALISABLES

Quelles que soient les politiques mises en oeuvre par les Etats industrialisés pour accroître leurs capacités d'innovation, renforcer leur compétitivité et conserver un avantage comparatif dans les secteurs porteurs, le développement des pays émergents, et en particulier des PBSCT (148 ( * )), ne manquera pas d'avoir des effets sur l'emploi national. Il paraît en effet illusoire d'espérer que le nombre des emplois créés localement par la croissance de l'économie de la connaissance et de l'innovation technologique sera suffisamment important pour compenser celui des emplois domestiques détruits par l'amélioration de la productivité et l'aggravation de la concurrence internationale . En outre, il est vraisemblable que la modification de la structure des emplois selon leurs qualifications induite par cette évolution ne permettra pas des transferts parfaitement adéquats entre les catégories de main d'oeuvre.

Or, la préoccupation essentielle des territoires est bien de conserver une activité économique suffisante pour assurer leur développement, voire naturellement de l'accroître. Dans cette perspective, il est indispensable d'accorder aux activités de proximité non-délocalisables une attention aussi soutenue que celle consacrée aux activités technologiques soumises à la concurrence internationale et pour lesquelles les pays industriels entendent maintenir leur avance. Ce sera d'autant plus nécessaire que la demande existe, et donc que des gisements d'emplois peuvent être exploités.

1. Une nécessité théorique

Lors de son audition par votre groupe de travail, M. Pierre-Noël Giraud a rappelé les grandes lignes, qu'il avait formalisées dès 1996 (149 ( * )), des dynamiques de l'emploi et des inégalités consécutives à l'approfondissement de la mondialisation . Avec la globalisation, les emplois domestiques doivent désormais être distingués selon qu'ils sont « compétitifs » (ou « nomades »), c'est-à-dire placés en situation de concurrence avec des emplois localisés dans des zones géographiques où les conditions productives sont radicalement différentes (monnaie, coûts salariaux, fiscalité, normes environnementales, organisation de l'économie, etc.), ou « protégés » de cette compétition extérieure (ou encore « sédentaires »). Ce dualisme est différent de l'opposition secteur privé/secteur public - le coiffeur est protégé tandis que l'agent informaticien d'une collectivité territoriale peut être exposé (150 ( * )) - comme de la distinction emploi qualifié/emploi non qualifié - les métiers de notaire et de gardien de sécurité sont tous deux sédentaires, ceux d'analyste financier et d'ouvrier du textile sont nomades.

L'ouverture au monde n'est rien d'autre que le renforcement de la nomadisation des activités , qui entraîne une augmentation du rythme de destruction des emplois compétitifs . La concurrence des pays riches entre eux affecte principalement les emplois qualifiés, celle qui les oppose aux pays en développement, les emplois non qualifiés, et celle qui résulte désormais des PBSCT, les deux catégories. Comme cela a été indiqué précédemment, les destructions et créations quotidiennes d'emplois constituent un phénomène extrêmement important : dans ce mouvement incessant, qui fonde la croissance économique, la situation est stable si, sur un territoire donné, le nombre d'emplois compétitifs détruits est compensé par la création d'un nombre d'emplois compétitifs identique, et elle s'améliore si la différence est positive. Mais si le rythme de création des nouveaux emplois nomades est insuffisant pour compenser les destructions, il faut, pour éviter un chômage croissant, parvenir à créer de nouveaux emplois protégés compensant la perte nette d'emplois exposés .

Cependant, ce « déversement » d'emplois compétitifs vers des emplois sédentaires n'est possible qu'à la condition que la demande de biens et services protégés augmente dans la zone de chalandise . Pour favoriser cette croissance de la demande, deux méthodes peuvent être retenues :

- soit diminuer le prix desdits biens et services , notamment en agissant sur le coût du travail sédentaire, avec le risque toutefois qu'une telle politique aggrave les inégalités entre les deux catégories de main d'oeuvre (exposée et protégée) si, à l'instar des politiques pratiquées dans les pays anglo-saxons, la variable d'ajustement est la rémunération brute du travail et non le niveau des charges sociales ;

- soit augmenter la valeur intrinsèque de ces biens et services par la montée en gamme de leur qualité, la recherche incessante d'innovations, et leur régulière adaptation aux attentes précises et différenciées de la clientèle.

Ces deux voies ne sont au demeurant pas alternatives et il paraît possible de jouer sur les deux tableaux pour, en suscitant une offre toujours renouvelée et toujours meilleure de biens et services protégés à des prix incitatifs, parvenir à déplacer au profit de ceux-ci une partie de la demande orientée vers les biens et services exposés. Pour reprendre un exemple avancé par M. Pierre-Noël Giraud afin d'éclairer son propos, il s'agit de « créer chez le consommateur français un désir plus grand d'assister à un spectacle vivant que d'acquérir un nouveau magnétoscope produit en Chine » .

2. Un intérêt pratique

Cette problématique a paru intéressante à votre groupe de travail à plus d'un titre car elle offre des perspectives de réponses aux mutations économiques, et singulièrement aux délocalisations, tant au niveau global qu'au plan territorial.

a) Un facteur de croissance globale

Du point de vue macroéconomique, la modification de la structure de la demande entre les deux types de biens et services doit évidemment être anticipée avec précaution : l'objectif n'est en effet que de réduire la part des importations et non de diminuer la consommation domestique des biens et services exposés produits localement . Il ne saurait être question de pénaliser ceux-ci puisqu'ils sont indispensables à l'accroissement de la richesse nationale. L'analyse doit donc être affinée de manière à distinguer, au sein des produits nomades, ceux donc la fabrication est essentiellement effectuée hors du territoire national en raison d'une structure de coûts interdisant de manière structurelle à celui-ci de s'imposer dans le jeu de la concurrence mondiale. On retrouve ici les notions de maturité des produits et d'intensité en valeur ajoutée , exposées dans la première partie du présent rapport, qui ont notamment permis de porter une appréciation différente entre les délocalisations inévitables, car normales du point de vue de la rationalité économique générale, et les autres, qui affaiblissent le positionnement relatif de la France dans la division internationale du travail.

Indépendamment de cette observation, le soutien aux activités domestiques sédentaires est parfois dénigré en ce qu'il s'opposerait à une croissance vertueuse . Les secteurs considérés étant en effet intensifs en main d'oeuvre, l'accroissement de la productivité globale, facteur traditionnel de la création de richesses, serait mécaniquement ralenti par l'augmentation de leur part dans l'ensemble du PIB. C'est sur le fondement d'une telle analyse qu'ont ainsi été critiqués, dans le passé, le modèle de croissance américain et, plus récemment, le modèle espagnol, divers économistes contestant leur faculté à se pérenniser.

Cette appréciation est toutefois en train d'évoluer, à mesure que se développent des capacités à accroître, grâce à l'innovation, la productivité et l'enrichissement en valeur ajoutée des emplois des secteurs concernés . Les toutes récentes statistiques américaines de l'emploi démontrent ainsi que la reprise de la croissance s'accompagne désormais, sans pour autant l'affaiblir, de recrutements très nombreux dans les activités de services aux professionnels (+ 64.000 emplois en mai 2004), dans l'éducation et la santé (+ 44.000) et dans les loisirs (+ 40.000). Cette observation empirique se trouve confortée au plan théorique par des études toujours plus nombreuses soulignant la liaison vertueuse entre la productivité et l'emploi dans les secteurs protégés, notamment du tertiaire . Un tout récent rapport du Conseil d'analyse économique (151 ( * )) en apporte la démonstration : insistant sur le rôle essentiel du recours élargi aux technologies de l'information et de la communication dans ces activités, ses auteurs relèvent que les services constituent une opportunité pour créer des emplois productifs , pour autant que leur qualité soit privilégiée à la réduction des coûts salariaux et qu'un certain nombre d'obstacles à leur développement soient levés.

Dans cette perspective, les gisements d'emplois potentiels sont colossaux. Un exemple cité par M. Pierre Cahuc et Mme Michèle Debonneuil, simple mais frappant, en témoigne : si la France avait le même taux d'emploi que les Etats-Unis dans le commerce, la distribution et l'hôtellerie-restauration, elle aurait 3,4 millions d'emplois supplémentaires (152 ( * )). Ainsi, pour votre groupe de travail, un des éléments essentiels de la politique économique à mener pour adapter le pays à la nouvelle donne internationale réside bien dans le développement de ces secteurs qui, contrairement à une opinion encore trop largement répandue, ne sont pas à négliger .

b) Un facteur d'équilibre territorial

Cette nécessité est renforcée par l'observation que les gains à en attendre ne sont pas simplement globaux. L'augmentation de l'offre, et l'amélioration de sa qualité, dans un certain nombre d'activités permettrait aussi de répondre à l'une des difficultés principales relevées par votre groupe de travail en ce qui concerne les délocalisations : leur effet dépressif sur l'équilibre des territoires.

Les problèmes suscités dans les bassins d'emplois par les mutations industrielles résultent très fréquemment de l'impossibilité de transférer la main d'oeuvre qui en est victime sur les emplois nouveaux susceptibles d'être créés, faute d'une qualification suffisante . Si une réponse envisageable est évidemment d'améliorer l'employabilité par un renforcement et une plus grande efficacité de la formation professionnelle, initiale et continue, comme le préconise au demeurant votre groupe de travail, la raison conduit toutefois à reconnaître qu' en termes quantitatifs, on ne saurait en attendre une adéquation parfaite : tous nos concitoyens ne peuvent pas devenir chercheurs, ingénieurs ou techniciens hautement qualifiés. Il est donc essentiel de développer aussi des fonctions ne nécessitant qu'une simple adaptation du savoir-faire ou un léger accroissement de la qualification , de manière à garantir que la reconversion du plus grand nombre pourra bien être effective. De ce point de vue, une partie significative des emplois sédentaires, selon la typologie de M. Pierre-Noël Giraud, relèvent de cette catégorie de fonctions, largement ouvertes aux qualifications les plus modestes et par conséquent plus facilement accessibles aux salariés touchés par les mutations économiques.

L'autre avantage, qui complète le précédent, est strictement territorial : l'analyse des bassins d'emplois français démontre que l'innovation et la croissance d'un côté, les restructurations et les délocalisations industrielles de l'autre , sont inégalement réparties sur le territoire national . Ainsi, même si la situation au plan global peut être qualifiée de satisfaisante, un déséquilibre s'aggrave à l'intérieur du territoire entre les zones dynamiques et les zones déprimées . Or, plusieurs des secteurs d'activité protégés, tels le tourisme et les loisirs ou les services aux personnes âgées, peuvent à l'évidence être développés dans ces dernières zones et leur offrir dès lors de nouvelles perspectives de croissance : aucun déterminisme géographique ne s'y oppose . Ainsi, la combinaison d'une analyse pertinente des avantages comparatifs susceptibles d'être offerts par les territoires , d'une anticipation de la demande de services nouveaux et d'une adaptation de l'offre de travail , notamment en terme de qualifications, peut permettre aux politiques publiques d'orienter efficacement les reconversions consécutives à des restructurations et à la main d'oeuvre locale de demeurer sur le territoire.

3. Adapter l'offre à une demande potentielle abondante

La demande des consommateurs s'intensifie à mesure que les progrès de la technologie permettent d'individualiser l'offre . Ce constat explique la caractéristique du développement des pays au fil de leur enrichissement, à savoir la continuelle modification de la structure du PIB au bénéfice des services. Les gisements d'emplois sédentaires se trouvent ainsi dans ces filières, qu'elles relèvent directement ou touchent encore à l'activité productive ou qu'elles soient davantage « immatérielles ». Votre groupe de travail a souhaité, à titre indicatif et sans prétendre à l'exhaustivité, recenser quelques secteurs à privilégier pour y développer à l'avenir davantage d'emplois de proximité.

a) Des activités traditionnelles

Plusieurs types d'activités, au demeurant liées d'assez près au secteur industriel, peuvent constituer d'intéressants gisements d'emplois.

(1) La filière agroalimentaire

Compte tenu de la traditionnelle vocation agricole de la France, il convient tout d'abord de renforcer la filière agroalimentaire française , qui représente déjà 4,7 % du PIB national (134 milliards d'euros de chiffre d'affaires), 7 % de l'emploi (420.000 salariés) et 11 % des exportations (37 milliards d'euros). Ce secteur n'est certes pas protégé de la concurrence internationale, bien au contraire, mais il semble que les avantages comparatifs dont dispose notre pays lui offrent des atouts qu'une politique adéquate au niveau communautaire et mondial (dans le cadre des négociations à l'OMC) se doit de soutenir.

Aussi votre groupe de travail se félicite-t-il particulièrement de la volonté manifestée par le Gouvernement en décembre 2003 de renforcer la filière par la définition d'un grand plan national pour l'agroalimentaire à l'horizon 2007-2010. Il lui semble à cet égard que la constante valorisation des produits agricoles , par un effort d' innovation , pour les adapter aux demandes toujours plus différenciées des consommateurs , constitue un vecteur de croissance et de compétitivité à l'égard de la concurrence faisant la force de notre industrie agroalimentaire. On ajoutera que son activité est particulièrement propice à la définition de critères de qualité, à la labellisation et à la mention d'origine, dont votre groupe de travail a par ailleurs souligné l'importance. Tout concourt ainsi, potentiellement, à rendre ce secteur éminemment important pour le développement équilibré de nos territoires.

(2) Le bâtiment et la construction

Un deuxième secteur à privilégier est sans aucun doute celui du bâtiment , traditionnellement intensif en emplois (1,26 million de salariés et 110.000 intérimaires en 2002), notamment faiblement qualifiés . La crise actuelle du logement révèle que des potentialités significatives existent en la matière, pour peu que des incitations soient données à la demande . Du côté de l'offre, la structuration particulière du secteur, constitué de plus de 273.000 TPE artisanales (moins de 10 salariés) qui réalisent près de la moitié du chiffre d'affaires de la filière et emploient plus de la moitié de ses salariés, et d'un ensemble de PME représentant quant à elles 43 % de l'activité, rend opportune toute politique favorisant la diminution du coût du travail . Cependant, l'importance des besoins de remplacement liés au départs en retraite d'ici 2010, estimés à plus de 400.000 personnes (153 ( * )), a tendu la situation de l'emploi dans la filière et nécessite sans doute, pour attirer les jeunes, d'améliorer les salaires et les conditions de travail .

Dès lors, c'est là encore sur le niveau des charges qu'il faut agir , et la proposition de votre groupe de travail de créer une TVA de compétitivité trouverait dans ce secteur un intérêt particulier. En tout état de cause, les activités du bâtiment et de la construction offrent, en matière de développement d'emplois de proximité non délocalisables, de réelles perspectives à favoriser, en particulier parce qu'elles peuvent accueillir des profils de qualification modestes et qu'elles sont susceptibles d'être installées de manière équilibrée sur le territoire.

(3) Les services aux entreprises

Enfin, le potentiel de croissance ouvert par les services aux entreprises doit lui aussi être valorisé, en particulier dans la mesure où il constitue un soutien à l'activité industrielle en enrichissant, en amont comme en aval, le processus de production (ainsi, près de 30 % des consommations intermédiaires, tous secteurs confondus, sont consommées par les services marchands aux entreprises). Entre 1995 et 2003, le nombre des sociétés de services aux entreprises est passé de moins de 300.000 à plus de 400.000, cette progression de près de 35 % permettant au secteur de représenter aujourd'hui 22 % de la valeur ajoutée nationale et 17,5 % de l'emploi, c'est-à-dire davantage que l'industrie manufacturière . Cet « effet-ciseaux » s'explique en partie par l'extériorisation de fonctions assumées auparavant au sein des entreprises , notamment industrielles (informatique, comptabilité, intérim, sécurité, nettoyage, restauration, maintenance, etc.), mais aussi par l'apparition et le développement de nouveaux services à forts contenus technologiques (postes et télécommunications privées, services liés à Internet, publicité, études de marché, ...).

Les TIC constituent un puissant facteur de développement de ces services et présentent en outre, du point de vue de la localisation territoriale de ces derniers, l'avantage non négligeable d'autoriser souvent le relatif éloignement des prestataires de services de leurs clients. Ainsi, une stratégie des collectivités locales, notamment rurales, pour favoriser l'implantation sur leur territoire des centres de direction et de conception de ces sociétés est parfaitement envisageable puisque, du point de vue économique, leur activité n'en est pas affectée (dans des limites géographiques toutefois circonscrites permettant des contacts physiques réguliers avec les clients, ce qui réduit ainsi les risques de délocalisation à l'étranger).

b) Des activités plus nouvelles

Trois autres filières offrent, en raison notamment de l' enrichissement et du vieillissement de notre société , de très intéressantes perspectives de développement justifiant, là encore, un important effort public de soutien tant à la formation de la main d'oeuvre qu'à l'orientation de la demande pour « marchandiser » certains de ces secteurs.

(1) Le tourisme et les loisirs

La société des loisirs n'est depuis longtemps plus un vain mot : le niveau des dépenses de tourisme et de loisirs constitue en effet un des indicateurs essentiels du degré de développement et de richesse d'une société . Dans ce domaine, la France jouit, grâce à sa situation géographique , à l'extraordinaire richesse de ses patrimoines naturel et culturel , et à leur valorisation de plus en plus efficace , d'avantages comparatifs qu'elle doit et peut encore accroître.

D'aucuns doutent pourtant de l'intérêt d'accorder une priorité au renforcement du secteur touristique et des activités culturelles et de loisir, et l'on entend souvent dénigrer les stratégies de développement économique fondées sur le soutien qui leur est apporté . Pour votre groupe de travail, cette opinion encore trop largement répandue est à la fois erronée et dangereuse .

Erronée, puisque d'ores et déjà, l'industrie touristique nationale génère un chiffre d'affaires annuel supérieur à 100 milliards d'euros , représente entre 6,5 et 7 % du PIB et occupe plus de deux millions d'emplois directs et indirects . Elle constitue en outre un apport essentiel au solde financier de nos échanges extérieurs , les 77 millions d'étrangers accueillis en 2002 ayant par exemple dépensé 32,6 milliards de dollars dans notre pays, permettant au solde des recettes et des dépenses du poste « voyages » de la balance des paiements de s'établir à plus de 15 milliards d'euros.

Dangereuse, dans la mesure où les perspectives de croissance du tourisme mondial à l'horizon 2020 sont, selon l'Organisation internationale du tourisme (OIT), supérieures à 4,5 % l'an (154 ( * )) : la France a donc un intérêt certain à participer encore plus activement qu'aujourd'hui à ce mouvement , qui constitue un réel facteur d'enrichissement dont témoignent les multiples exemples de territoires ayant bien tiré parti de cette activité économique (les vallées alpines, la Riviera Côte d'Azur, le littoral Atlantique, et même des zones moins « favorisées » telles que certains piémonts ou des localités du grand Nord-Est).

Si notre pays dispose d'atouts certains, il doit cependant relever trois défis structurels pour accroître davantage ses perspectives de croissance : mieux rentabiliser la présence des touristes sur son sol en renforçant le contenu en valeur ajoutée de son offre d'accueil et de services, notamment culturels et sportifs, mieux se positionner sur des segments très porteurs , tels le tourisme d'affaires, encore trop peu valorisé à l'exception des régions Paris-Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, ou le tourisme « du troisième âge », appelé à très fortement se développer avec le vieillissement de la population, et enfin « désaisonnaliser » les activités de tourisme et de loisirs afin de garantir une offre de qualité tout au long de l'année par un constant effort d'innovation.

Le rôle des collectivités territoriales est dans cette perspective essentiel, et votre groupe de travail ne saurait trop leur conseiller d'éviter de négliger cette dimension de développement local susceptible d'apporter un appréciable complément dans les réflexions engagées pour revitaliser les bassins d'emplois confrontés aux mutations industrielles.

(2) Les services à la personne

Selon Mme Michèle Debonneuil (155 ( * )), on estime que la valeur des services domestiques autoconsommés représente l'équivalent de 50 à 70 % du PIB . L'externalisation d'une petite partie de ces services générerait ainsi une valeur ajoutée supplémentaire colossale , susceptible de répondre durablement aux difficultés récurrentes d'emploi de notre pays : Mme Debonneuil souligne à cet égard qu' « une autre façon d'apprécier le potentiel de création d'emplois lié à la naissance d'un secteur de services de masse aux particuliers consiste à remarquer qu'il suffirait que chaque ménage consomme 3 heures de ces services chaque semaine pour créer environ 2 millions de nouveaux emplois, c'est-à-dire pour résorber le chômage » . Or, l'augmentation des taux d'activité féminins et l'intérêt de plus en plus grand accordé par nos concitoyens à la qualité de vie et aux loisirs se conjuguent pour rendre attractif de confier à des services extérieurs professionnalisés tout ou partie d'activités assurées jusqu'à présent par les ménages eux-mêmes.

Bien qu'encore embryonnaire, ce secteur est en train de se développer et de se structurer autour de véritables entreprises, assez rapidement aux Etats-Unis ( Customer Relationship Management , ou CRM) mais aussi désormais en Europe, tant dans les centres urbains (soutien scolaire, ménage à domicile, jardinage, entretien animalier, formalités administratives, etc.) que dans les zones plus rurales (notamment ouverture, entretien, fermeture et surveillance des résidences secondaires, garde d'enfants ou de personnes âgées, ou offre de bouquets de services de dépannage, de ménage, de restauration et de livraison aux populations permanentes). Les modifications psychologiques et comportementales nécessaires à l'affirmation économique de ce secteur en devenir seront peut-être moins difficiles à débloquer que le démarrage du cycle vertueux de sa croissance , qui doit s'appuyer sur une solvabilité de la demande rendue possible par un prix accessible pour le consommateur . En effet, la création de tels services aux particuliers nécessite la mise en place d'une plate-forme dont le coût fixe initial est très important : le succès dépend alors de la vitesse à laquelle l'entrepreneur arrive à atteindre le niveau de clientèle nécessaire à son équilibre économique. Une fois ce point d'équilibre atteint, les prix des services au consommateur varient essentiellement en fonction de la qualité de leur contenu .

On observe que l'émergence d'un tel secteur est triplement intéressante au regard de l'emploi : d'une part, puisqu'il s'agit d'une stricte activité de main d'oeuvre, sa croissance s'accompagne obligatoirement d'une augmentation de l'emploi ; d'autre part, le niveau de qualification exigé , même pour assurer des prestations de qualité, est relativement modeste et par conséquent bien adapté à de nombreux profils ; enfin et surtout, la nécessaire proximité physique entre le prestataire et le client évite tout risque de délocalisation et permet un développement territorial équilibré et durable .

Aussi conviendrait-il, selon votre groupe de travail, que les pouvoirs publics favorisent leur émergence par des politiques structurelles adaptées : établissement de cadres juridiques adaptés , allant au-delà du chèque emploi-service - quand bien même ce dispositif de simplification constitue un excellent outil de promotion , soutien à la formation , aides publiques accordées aux innovations d'organisation , modération du coût du travail par une action sur les charges sociales , et enfin solvabilisation de la demande au travers de la politique fiscale , par exemple en développant et généralisant ce qui a déjà été fait pour les emplois à domicile. Ces politiques ont certainement un coût : mais, compte tenu de leurs effets prévisibles sur l'emploi, le « retour sur investissements » qu'on peut en attendre devrait largement permettre de le financer.

(3) Les services de santé

Parmi les services à la personnes, il convient de distinguer particulièrement les activités liées à la santé : en effet, au contraire de celles examinées ci-dessus, ces activités vont croître spontanément et tendanciellement , en particulier sous l'effet du vieillissement de la population. La question n'est pas de savoir si elles sont utiles et s'il convient de les encourager, mais bien de disposer rapidement de la main d'oeuvre suffisante et correctement formée pour répondre à la demande (en personnels infirmiers, en assistantes maternelles, en professionnels médico-sociaux, etc.), et de réussir à maîtriser les coûts .

Etre en mesure de répondre à ce défi est essentiel pour notre société, et le débat actuellement mené sur le financement de notre système de santé est là pour en témoigner. Votre groupe de travail n'avait évidemment pas pour mission de s'engager dans cette problématique mais, au regard de son sujet de préoccupation, il tenait à souligner, là encore, les perspectives favorables à la localisation des emplois ouvertes par cette évolution de la société . En effet, il ne peut manquer d'observer que l'« industrie des seniors » n'est pas seulement intensive en emplois , dont beaucoup ne nécessitent pas une qualification très élevée, mais qu'elle est aussi localisable de manière assez aisée sur l'ensemble du territoire , et plus particulièrement dans ses zones où la pression foncière est la moins importante . Le développement de ces activités présente donc, s'il est correctement anticipé et opportunément accompagné, d'intéressantes perspectives.

c) Les outils du soutien public

Au-delà des actions destinées spécifiquement à définir le cadre juridique et économique dans lequel pourrait plus rapidement émerger une activité de masse de services à la personne, le soutien des pouvoirs publics au développement de ces multiples emplois de proximité, non-délocalisables, passe essentiellement par l'amélioration de la formation de la main d'oeuvre , la modération du coût du travail en agissant sur le niveau des charges sociales , en particulier grâce à l'instauration d'une TVA de compétitivité comme le recommande par ailleurs votre groupe de travail, et une meilleure efficacité du marché du travail résultant de réformes structurelles destinées à renforcer l'adéquation entre l'offre et la demande . En outre, il nécessite une prise de conscience des collectivités , qui doivent intégrer dans leurs stratégies de développement que la structure de l'économie change et que des secteurs autrefois négligés sont aujourd'hui potentiellement fortement créateurs de valeur ajoutée au plan territorial .

Il est indéniable que ces recommandations ont un coût initial qui pose la question de leur financement, surtout dans une période de tension sur les budgets publics. Toutefois, certaines marges de manoeuvre peuvent être dégagées par la simple réorientation des choix actuels en matière fiscale ou d'aides publiques , les efforts portés sur les secteurs en devenir ayant de ce point de vue une plus grande rationalité que d'autres. En outre, il est certain qu'une partie essentielle des difficultés propres à la France résulte de son fort taux de chômage, proportionnellement plus important que celui que connaissent nombre de pays qui lui sont comparables. Dès lors, toutes les mesures contribuant à sa réduction auraient nécessairement, et assez rapidement, des effets financiers positifs susceptibles de compenser les coûts initiaux consentis pour réformer le système . On prendra utilement comme exemple, à cet égard, la politique courageuse entreprise par la Suède dans les années 92-94 pour moderniser son modèle social, et qui a porté ses fruits moins de dix ans après sa mise en oeuvre sans diminuer, bien au contraire, les standards de son développement.

III. PROMOUVOIR UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE

Il est évident que l'intégration communautaire, accélérée par la mise en place de l'euro, interdit de se cantonner à une approche strictement nationale, et a fortiori locale, des leviers susceptibles de donner à l'industrie la vigueur nécessaire pour affronter la mondialisation.

Une approche européenne est donc indispensable, sous deux facettes : une face interne, qui concerne la gestion de l'élargissement européen et de ses conséquences pour l'industrie ; une face externe, relative à la compétitivité de l'industrie européenne vis-à-vis de ses concurrents à l'extérieur de l'Union .

A. GARANTIR UN DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DE L'UNION À 25

Dix nouveaux Etats membres sont rentrés dans l'Union européenne le 1 er mai 2004. Si leurs marchés respectifs sont déjà largement ouverts depuis une dizaine d'années, l'élargissement offre l'opportunité de créer des conditions de concurrence égales puisque les normes et réglementations européennes devront désormais être appliquées par les nouveaux membres . Il s'agit, donc, à terme, d'une chance pour l'industrie européenne, tant dans les quinze Etats déjà membres que dans les dix nouveaux, à condition toutefois que le développement des uns n'entraîne pas le dépérissement des autres.

C'est pourquoi plusieurs préconisations méritent d'être faites pour assurer une croissance globale et harmonieuse de l'Union européenne à 25. Ces préconisations sont d'ordre fiscal, financier et social.

1. Encourager l'harmonisation de la fiscalité des entreprises

Des disparités fortes persistent en matière fiscale à travers l'Union européenne . L'élargissement de l'Union des 15 à dix nouveaux pays a avivé le débat sur leurs conséquences en termes de localisation des activités productives. Ces disparités tiennent au paradoxe inhérent au mode de construction de l'Union européenne : d'un côté, les Etats membres se sont engagés dans une entreprise d'intégration monétaire au profit d'une autorité monétaire de type fédéral ; de l'autre, à l'exception de la TVA, une liberté fiscale absolue est laissée aux Etats membres, malgré les interactions évidentes entre politique budgétaire, notamment fiscale, et politique monétaire.

C'est ainsi que depuis son adhésion à l'Union, l' Irlande a bénéficié du transfert, sous forme de fonds structurels et autres aides communautaires, d'une masse financière représentant 2,5 % de son produit intérieur brut. Ce transfert effectué sans aucune conditionnalité fiscale lui a ainsi permis d'adopter des taux d'imposition très bas (12,5 % pour l'impôt sur les sociétés), conduisant de nombreuses entreprises européennes, et notamment britanniques, à y délocaliser une part importante de leurs activités .

Cette politique, cela a été dit, risque sérieusement d'être suivie par plusieurs des nouveaux entrants dans l'Union, dont les taux d'imposition pesant sur les entreprises, au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle, sont, à la notable exception de la République tchèque (31 %), très attractifs , puisqu'ils s'étendent de 15 % (Chypre et Lituanie) à 25 % (Slovénie), quand il ne sont pas tout simplement nuls, comme en Estonie.

Certes, la fiscalité n'est qu'un déterminant parmi d'autres des choix d'implantation des entreprises, comme l'a rappelé à votre groupe de travail M. Robert Verrue, directeur général Fiscalité et union douanière de la Commission européenne, rencontré à Bruxelles. Celui-ci a également souligné qu'il convenait de distinguer la fiscalité nominale de la fiscalité effective , c'est-à-dire corrigée des différences d'assiette. A cet égard, les comparaisons brutes des taux d'imposition ne doivent pas conduire à des conclusions trop hâtives. Ainsi, le taux d'impôt sur les sociétés n'est que de 28 % en Grande-Bretagne, mais les recettes fiscales qu'engendre cet impôt sont deux fois plus importantes qu'en France, où le taux marginal pratiqué est de 35 %, en raison d'assiettes très différentes. Il n'est donc pas établi que les entreprises françaises supportent un prélèvement au titre de cet impôt plus élevé qu'en Grande-Bretagne. Le rapport que prépare le Conseil des impôts sur la concurrence fiscale apportera un éclairage très attendu sur la réalité des écarts de fiscalité entre les pays de l'Union européenne.

Outre la fiscalité nationale, la fiscalité locale peut également avoir une incidence sur les choix d'implantation des entreprises . A ce sujet, M. Robert Verrue affirme que deux pays de l'Union se distinguent par une fiscalité locale distorsive : l'Allemagne et la France.

Il est cependant établi qu'une corrélation négative existe entre le niveau de la fiscalité et l'implantation, même si la mesure de l'élasticité entre ces deux paramètres reste difficile. Sans doute est-ce la raison pour laquelle se dessine, depuis cinq ou sept ans, une tendance lourde dans l'évolution de la fiscalité des entreprises, consistant en une baisse des taux nominaux d'impôt sur les sociétés (sur les bénéfices) parallèlement à un élargissement progressif de l'assiette , phénomène que l'entrée des dix nouveaux Etats membres devrait accentuer. La combinaison de ces deux phénomènes impliquent donc une baisse moins marquée des taux effectifs, dont l'impact mérite aussi d'être relativisé dans la mesure où, selon les statistiques européennes, l'impôt sur les sociétés ne pèse que 3,1 % du PIB européen, ce qui est peu relativement au poids total de l'ensemble des prélèvements obligatoires dans le PIB (156 ( * )).

A l'échelle européenne, certains types d'activité apparaissent particulièrement sensibles au résultat de la combinaison des divers types de fiscalité (sur les bénéfices, sur le travail...) : selon la Commission, la localisation des centres de coordination, celle des centres financiers, des centres de recherche et celle des plates-formes industrielles impliquant une logistique importante est la plus sensible aux différences de fiscalité. Les Etats membres se livrent une concurrence fiscale très agressive pour attirer ce type d'investissement. Cette concurrence, déjà vive en raison de la facilité croissante de circulation des capitaux dans l'Union européenne, va naturellement s'accroître avec l'arrivée des Dix. C'est pour en atténuer les effets qu'un consensus politique a amené au gel et au démantèlement de soixante-six mesures fiscales identifiées comme incontestablement nocives. Parallèlement, la Cour de justice des Communautés européennes a créé une jurisprudence construisant un ordre législatif en matière de fiscalité que les Etats membres n'ont pas voulu prendre en charge.

Il convient en effet de rappeler que, comme en matière de politique sociale ou de politique étrangère, l'Union procède en matière fiscale par unanimité pure et non à la majorité qualifiée. C'est pourquoi les avancées sont si lentes dans ces domaines.

En outre, les seules questions fiscales relevant du ressort communautaire ont trait à la fiscalité indirecte , à quelques dispositions de l'impôt sur le revenu créant des discriminations ou à certains aspects de la fiscalité des revenus de l'épargne . Les perspectives d'harmonisation en matière de fiscalité des entreprises au sein de l'Union sont donc incertaines .

Seule une harmonisation de la base fiscale sur laquelle est assis l'impôt sur les sociétés a été envisagée, en réponse à une demande des entreprises qui déplorent le coût économique qu'induit pour elles la diversité des bases fiscales entre Etats membres, ainsi que la difficulté à consolider leur comptabilité et l'impossibilité de comparer la rentabilité de leurs investissement : l'idée serait de construire une base fiscale harmonisée et de permettre aussi une consolidation (c'est-à-dire une remontée des pertes et profits réalisés dans différents Etats membres au niveau du groupe), les taux d'imposition restant entièrement de la compétence des Etats .

Cette harmonisation de l'assiette aurait sans doute la vertu d'accroître la transparence et de rendre plus directement comparables les taux d'imposition, ce qui mettrait au grand jour la concurrence fiscale à laquelle se livrent divers Etats membres. Cependant, l'initiative de la Commission européenne en vue d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés se heurte à l'opposition résolue de certains d'entre eux, tels la Grande-Bretagne et l'Irlande.

C'est pourquoi, le Commissaire européen en charge de la fiscalité, M. Frits Bolkestein, a proposé en février dernier d'appliquer la procédure de coopération renforcée (157 ( * )), qui autorise un groupe d'Etats membres, pour peu qu'il soient au moins huit à s'entendre, à utiliser le cadre de l'Union pour développer de nouvelles politiques qui n'engagent qu'eux . Sans aucun doute l'Allemagne et la France n'y seraient pas défavorables, comme peut-être l'Autriche, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, l'Italie et la Belgique (158 ( * )).

Le mécanisme vertueux recherché par le recours à cette procédure serait le suivant : dans un premier temps, les différents Etats parties à la coopération devraient répercuter sur les taux les différences d'imposition cachées jusque-là dans l'assiette ; dans un deuxième temps, le jeu transparent de la concurrence fiscale devrait favoriser le rapprochement desdits taux ; dans un troisième temps, les simplifications engendrées par cette situation améliorant l'attractivité des Etats signataires par rapport à celle des pays restés à l'écart de la coopération, ces derniers pourraient progressivement constater l'intérêt qu'ils trouveraient à s'y joindre.

Votre commission encourage une telle initiative : la recherche de l'harmonisation fiscale lui paraît en effet essentielle pour l'économie et l'équilibre de l'Union européenne. Elle serait de nature à supprimer les effets d'aubaine entraînés par une concurrence fiscale interne aux Etats membres, qui risque au demeurant de s'accroître avec l'élargissement.

Mais elle suggère aussi que le principe de la coopération renforcée soit également envisagé pour la définition des taux de l'impôt sur les sociétés, et qu'il y soit recouru pour d'autres impôts pesant sur les entreprises . En outre, elle exprime le souhait que les Etats membres, à commencer par la France, s'efforcent d'identifier et de diffuser les bonnes pratiques fiscales que représentent, parmi les dispositifs fiscaux nationaux, ceux qui sont les plus susceptibles d'être durablement créateurs d'emplois dans les entreprises . Plutôt que d'accroître la concurrence interne à l'Union, il s'agit au contraire de renforcer la compétitivité globale de l'économie européenne.

2. Veiller à l'ajustement des aides publiques entre les 15 et les 10

Afin de financer l'impact de l'Elargissement, la politique de cohésion européenne va connaître une prochaine réforme, qui sera mise en oeuvre pour la période 2007-2013. L'enveloppe globale des fonds structurels prévus représente 336 milliards d'euros, dont 18 % sont alloués à l'objectif 2 (volet compétitivité).

Les financements européens jouent un rôle important pour l'aménagement du territoire national (159 ( * )). Alors que l'Etat français a attribué 17 milliards d'euros de crédits au titre des contrats de plan État-Région 2000-2006, ce sont 15,6 milliards d'euros (en prix 1999) de financements européens que la France aura perçus sur la période 2000-2006. Sur ces 15,6 milliards d'euros, 6 ont été attribués au titre de l' objectif 2 (160 ( * )), qui vise la reconversion économique et sociale de zones en difficulté structurelle . Les zones éligibles à cet objectif représentent 22 millions d'habitants, soit 31,3 % de la population française. Dans les faits, chacune des régions françaises est concernée par l'objectif 2.

La politique régionale européenne représente donc quasiment 50 % des financements de la politique d'aménagement du territoire en direction des régions françaises . Dans un contexte d'incertitude sur l'avenir de la contractualisation État-Région et de difficultés d'exécution financière des contrats en cours, liée à la dégradation globale des comptes publics, une remise en cause de la politique régionale européenne signifierait certainement l'abandon de toute ambition d'équité territoriale et, plus globalement, celle de « développement régional » . Ce d'autant plus que le cofinancement a un effet de levier sur les dépenses supplémentaires nationales de source publique ou privée, permettant ainsi de créer les masses critiques nécessaires à la réalisation des projets structurants et au renforcement de la compétitivité des territoires.

Comme le souligne le rapport de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, la politique de cohésion repose depuis l'origine sur une double approche : d'une part, la valorisation des atouts et de la compétitivité des territoires , dite logique d'efficacité, d'autre part, la compensation des handicaps spécifiques - zones rurales, de montagne, insulaires, zones urbaines en difficulté, ... -, dite logique d'équité. Ne privilégier que l'objectif de convergence au détriment des objectifs de cohésion et de compétitivité reviendrait à en modifier profondément la philosophie .

Or, lors de sa rencontre avec votre groupe de travail, M. Jacques Barrot, Commissaire européen à la politique régionale, a relevé que si la nouvelle réglementation des aides d'Etat consécutive à l'Elargissement n'était pas encore finalisée, les premiers éléments connus laissaient à penser que les régions en retard de développement , c'est-à-dire essentiellement les dix nouveaux membres, en seraient les premières bénéficiaires , au titre de la convergence . Mettant l'accent sur l'importance qui s'attachait au soutien de l'innovation et de la recherche dans l'Europe des Quinze , il a exprimé l'espoir que les orientations complémentaires de la réforme ne négligent pas de soutenir également la compétitivité dans l'Union européenne , meilleur rempart contre des délocalisations opportunistes.

Sans nier l'impératif de solidarité avec les dix nouveaux entrants, votre groupe de travail insiste également sur la nécessité de conserver une éligibilité à l'objectif 2 pour des projets ciblés de compétitivité dans l'Europe des Quinze . En effet, l'engagement pluriannuel du budget communautaire à travers les fonds structurels est une garantie de viabilité pour de nombreux projets régionaux ou locaux de compétitivité , y compris dans notre pays.

C'est la cohérence de la politique de l'Union à l'égard des objectifs de compétitivité fixés au sommet de Lisbonne qui est en jeu . La politique de cohésion doit ainsi être réformée de manière à servir non pas seulement la croissance des dix nouveaux entrés, mais aussi la croissance globale de l'Union. Le projet finalement retenu par la Commission semble reconnaître cette nécessité, dans la mesure où, à côté des objectifs de convergence et de coopération territoriale (transfrontalière), elle envisage la création d'un nouvel objectif dit « de compétitivité régionale et d'emploi », c'est-à-dire les ex-objectifs 2 et 3 pour les États et les régions de l'Union européenne hors objectif 1.

Il s'agirait d'un objectif à deux volets, un volet national « emploi » et un volet régional « compétitivité ». Toutes les régions seraient potentiellement éligibles aux deux volets. La Commission souhaite supprimer tout zonage pour la mise en oeuvre de cet objectif : il reviendrait aux États membres de définir les régions éligibles, la région dans son ensemble devant être concernée par ce nouvel objectif 2 et plus seulement certaines parties prédéterminées. La concentration de l'intervention communautaire, voulue par la Commission, serait assurée par une programmation régionale ciblée autour de trois thèmes :

- l'économie de la connaissance et l'innovation : ce thème est centré sur le développement des PME, la recherche, ainsi que la mise en réseau. A ce titre , il est envisagé d'exclure les grandes entreprises du bénéfice des fonds structurels ;

- l'environnement et la prévention des risques naturels ;

- l'accessibilité et les services d'intérêt économique général.

Votre groupe de travail insiste sur la nécessité de suivre l'évolution de ce projet de la Commission avec la plus grande vigilance. Il s'inquiète notamment de l'exclusion envisagée des grandes entreprises du bénéfice des fonds structurels , qui pourrait avoir de lourdes conséquences tant est incontestable le rôle des entreprises de plus de 150 salariés dans la promotion de l'innovation. Les grands projets sur lesquels repose une partie éminente de la force économique de l'Union ne peuvent être portés que par les grands groupes : votre groupe de travail juge donc impératif de maintenir leur éligibilité aux financements publics européens.

Comme l'a souligné devant votre groupe de travail M. Pierre Sellal, ambassadeur représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, la France participe à hauteur de 17 % aux fonds structurels, pour un taux de retour sur investissement de 7 % (161 ( * )) aujourd'hui, taux qui ne sera plus que de 4 % du fait de l'entrée des dix nouveaux membres dans l'Union .

A cet égard, affirmant sa conviction de l'absolue nécessité de faire jouer la solidarité entre les Quinze et les Dix notamment par le biais des fonds structurels , l'ambassadeur a très justement indiqué que « la solidarité ne se divisait pas » . Ce propos visait à rappeler qu'en retour de cette solidarité des Quinze vers les Dix, ces derniers devaient s'interdire tout « dumping fiscal » , comme expression de leur propre solidarité à l'intention des Quinze.

Votre commission s'associe à cette réflexion pertinente, qui la conduit à suggérer, la solidarité financière allant de pair avec la solidarité fiscale, que la convergence fiscale des Dix constitue la contrepartie expresse du soutien budgétaire consenti par les Quinze .

3. Favoriser l'émergence d'une Europe sociale intégrée

Au même titre que la fiscalité, le niveau de protection sociale et la réglementation du travail constituent des critères importants pour les implantations d'entreprise. Le moins-disant social de certains Etats membres peut contribuer à la délocalisation de diverses activités au sein même de l'Union européenne, ainsi que l'a justement relevé lors de son audition M. Nasser Mansouri, responsable des activités économiques de la Confédération générale du travail (CGT).

Une illustration a été fournie à votre groupe de travail par les projets de la société BritAir , filiale du groupe Air France , qui envisagerait de placer une partie de ses activités sous la législation irlandaise. Une harmonisation des charges sociales et des conditions de travail au sein de l'Union européenne serait à même de contrecarrer ce mouvement, qui met en péril la pérennité des emplois français en réduisant les parts de marché du pavillon aéronautique national.

Or, l'Europe sociale reste encore balbutiante, souffrant, autant que l'Europe fiscale, d'une procédure de décision requérant l'unanimité de Etats membres . Dans ce contexte, l'élargissement de l'Union à dix nouveaux Etats membres risque de paralyser plus encore les timides avancées déjà enregistrées dans la direction de l'harmonisation des règles sociales en Europe.

Ainsi, alors que la possibilité de dérogation individuelle à la durée maximale de 48 heures de travail hebdomadaire, qualifiée de procédure d' « opt-out » , qui avait été exigée par le Royaume-Uni lors de la négociation de la directive de 1993 sur le temps de travail, n'était jusqu'à présent utilisée que par ce pays et, dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, par le Luxembourg, a été immédiatement mise en oeuvre, dès leur adhésion, par Malte et Chypre. L'invitation lancée aux partenaires sociaux par la Commission européenne, le 19 mai 2004, à entamer rapidement des négociations au niveau européen pour stopper les abus à l'application de la directive, et ses réserves émises « aussi bien sur les dispositions nationales transposant cette dérogation que sur son utilisation pratique actuelle » est un première étape, qu'il convient de saluer, pour parvenir à une meilleure harmonisation en la matière.

C'est pourquoi votre commission plaide pour que, dans le domaine social également, soient explorées les possibilités ouvertes par le recours à la procédure de coopération renforcée , susceptible d'accélérer une harmonisation sociale nécessaire pour assurer un réel équilibre entre les territoires qui composent l'Union.

B. RENFORCER LA PUISSANCE INDUSTRIELLE DE L'UNION

Ayant souligné l'importance d'un développement équilibré de l'Europe élargie, votre commission estime ensuite indispensable de renforcer la puissance industrielle de cette Union élargie, notamment en « communautarisant » la notion de politique industrielle.

1. Prendre en compte les intérêts industriels dans la stratégie économique de l'Union

La crainte de voir des pans entiers de l'industrie communautaire délocalisés vers des pays caractérisés par des coûts plus faibles et de moindres contraintes réglementaires a conduit le Chancelier Schröder, le Président Chirac et le Premier ministre britannique Blair à écrire au Président Prodi en février et septembre 2003 afin d'exprimer leur inquiétude et d'appeler l'attention de la Commission sur les phénomènes en cours.

En écho à la demande des responsables allemand, français et anglais, le Conseil européen de Bruxelles d'octobre 2003 a demandé à la Commission européenne de proposer des solutions susceptibles de prévenir la désindustrialisation . C'est ce qu'elle vient de faire dans une récente communication, intitulée « Accompagner les mutations structurelles : une politique industrielle pour l'Europe élargie » et publiée le 20 avril dernier.

La Commission y analyse la désindustrialisation , qu'elle appelle à ne pas confondre avec le processus permanent , souvent douloureux quand il se concentre sur certaines régions ou activités, mais globalement bénéfique, de réallocation des ressources vers les services, secteur où existent des avantages comparatifs . Elle convient toutefois que des signes inquiétants sont apparus récemment : infléchissement de la croissance de la productivité manufacturière, imputable au déficit européen en matière d'innovation et de recherche, et fragilisation de la compétitivité internationale de l'Union. Or la conjoncture économique peu favorable et la forte appréciation de l'euro brouillent l'analyse, ce qui amène la Commission à présenter la désindustrialisation comme un risque plutôt que comme une certitude.

Etant donné la nature du risque, elle admet tout de même la nécessité de le prendre en considération. Elle reconnaît donc le bien-fondé d'un renforcement de la politique industrielle, ce que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de « changement climatique », tant la notion même de politique industrielle ne recevait, jusque là, qu'un maigre écho à Bruxelles .

a) L'industrie, longtemps parent pauvre de la construction européenne

Historiquement , la construction européenne a été marquée par le succès du Marché commun et par l'échec de l'Euratom, ce qui, comme le font observer MM. Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi dans un rapport du Conseil d'analyse économique (162 ( * )), a déçu d'emblée les espoirs, nourris notamment par la France, d'édifier une politique technologique européenne .

Juridiquement , le Traité de Rome a placé la politique de la concurrence au coeur des politiques communes de la Communauté , alors qu'il ne pourvoyait la Commission d'aucune base légale en matière de politique industrielle. Celle-ci fit longtemps figure de « passager clandestin », selon les termes de M. Benjamin Coriat (163 ( * )). Seul l'Acte unique de 1986, en consacrant une compétence communautaire en matière de recherche et de développement de la technologie, a permis de mettre en oeuvre des programmes-cadres quadriennaux de recherche, qui ont longtemps constitué le dispositif essentiel de soutien à l'industrie de la Commission , et d'engager quelques programmes spécifiques de recherche « pré-compétitive » ( Eureka , Esprit ...).

Le traité de Maastricht marque une nouvelle étape vers la reconnaissance de la politique industrielle comme mission de la Commission : son article 3 l confie en effet à l'Union le soin de renforcer « la compétitivité de l'industrie » . De nombreux documents communautaires dessinent alors les voies et moyens susceptibles d'accroître la compétitivité industrielle, cet objectif faisant de plus l'objet d'un Livre blanc de la Commission en 1993 (164 ( * )). Toutefois, comme le relève M. Benjamin Coriat, le choix de parler de « compétitivité industrielle » plutôt que de « politique industrielle » est lourd d'implications : il s'agit de privilégier les actions « horizontales » en faveur de l'industrie, c'est-à-dire d'améliorer l'environnement des firmes , et non d'engager des actions verticales.

C'est dire combien la communication récente de la Commission, et celle de décembre 2002 qui lui a ouvert la voie en relançant le débat (165 ( * )), constituent des étapes décisives en affichant pour ambition une « politique industrielle pour l'Europe élargie » .

b) La « politique industrielle » communautaire : un triptyque à conforter

Trois axes d'action sont tracés par la Commission afin d'offrir à l'industrie communautaire un environnement attractif en Europe pour son activité et son développement : mieux légiférer, miser sur la synergie entre les politiques communautaires, et développer des politiques sectorielles.


• Mieux légiférer
: il s'agit d'améliorer l'environnement réglementaire dans lequel évoluent les entreprises industrielles européennes, en matière de droit fiscal, social, commercial, sanitaire, environnemental, de l'urbanisme... Cette amélioration a deux volets : simplification et harmonisation . L'objectif est de simplifier le cadre réglementaire dans lequel évoluent les entreprises européennes mais aussi de promouvoir l'harmonisation des règles, une règle unique à l'échelle du marché intérieur favorisant la compétitivité de l'entreprise . Il ne s'agit donc pas d'alléger systématiquement toutes les règles applicables. La Commission relève notamment que l'absence de règles - par exemple en matière de brevet communautaire - peut être préjudiciable à la compétitivité de l'industrie.

Afin de mieux légiférer, le Conseil européen de Bruxelles, en mars 2004, a encouragé deux avancées :

- accorder une attention particulière à la dimension « compétitivité » , dans le cadre de l'étude d'impact à laquelle est soumise toute initiative de la Commission européenne ;

- évaluer l'impact cumulatif de la législation communautaire sur la compétitivité , l'interaction entre les règles imposées à certains secteurs industriels au titre de politiques communautaires différentes pouvant peser sur leur compétitivité.

Ce deuxième point, qui laisse apparaître en filigrane la nécessité d'approches sectorielles , est une brèche ouverte dans l'approche trans-sectorielle de la compétitivité défendue par la Commission, ce dont se félicite vivement votre groupe de travail. Sa mise en oeuvre méritera d'être suivie avec vigilance.


• Optimiser les synergies entre les différentes politiques
: il s'agit de promouvoir une approche intégrée des questions de compétitivité .

La quasi-totalité des politiques communautaires ont une incidence sur la compétitivité de l'industrie. La Commission présente donc les aspects de ces diverses politiques communautaires qu'il conviendra d'appuyer dans l'avenir afin d'accroître la compétitivité des entreprises européennes : politique de la formation, politique fiscale, politique de cohésion, politique commerciale, politique de recherche, politique d'innovation, politique de la concurrence, politique des transports et de l'énergie, politique environnementale, politique de promotion des technologies de l'information...

La synergie à dégager s'organise autour de cinq priorités, qui concourent toutes à la compétitivité :

- mettre la connaissance au service des entreprises (recherche (166 ( * )), innovation, qualification de la main d'oeuvre, TIC, contribution de la politique de la concurrence pour la diffusion de l'innovation) ;

- améliorer le fonctionnement du marché intérieur (plus grande liberté de circulation des produits et des services, politique de la concurrence orientée vers les gains d'efficacité, impact sur la compétitivité de la libéralisation des marchés énergétiques, levée des obstacles fiscaux à l'achèvement du marché intérieur) ;

- mettre les politiques de cohésion au service des mutations industrielles et structurelles (proposition de création d'un Fonds d'ajustement pour accompagner des restructurations sectorielles ou géographiques spécifiques , soutien aux systèmes régionaux d'innovation, développement des réseaux transeuropéens et des grands projets) ;

- mieux concilier développement durable et compétitivité (promotion de la production durable, développement des énergies et technologies « propres », encouragement du dialogue social) ;

- favoriser le développement international des entreprises communautaires (facilitation de l'accès aux marchés extérieurs pour les entreprises européennes, au plan tarifaire et non tarifaire, rôle de la normalisation et du respect des droits de propriété intellectuelle, respect multilatéral des règles internationales du commerce, extension des règles européennes aux pays voisins, développement de l'aspect international de la politique de l'environnement).

Le long développement - proche d'un inventaire à la Prévert - que consacre la communication de la Commission à cette nécessaire mise en cohérence des multiples instruments communautaires au service de la compétitivité atteste de la prégnance que continue d'avoir à Bruxelles la vision « horizontale » de la politique industrielle : il est en effet question, ici, de tous les moyens d'améliorer l'environnement des entreprises industrielles.

Il est évidemment indispensable de penser l'articulation des politiques communautaires et de les orienter ensemble vers l'objectif fixé au sommet de Lisbonne en 2000 : faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » . Mais cet impératif se situe en fait dans le prolongement de l'action menée jusqu'à présent par les instances communautaires , et il faut bien reconnaître que ses résultats ont pu paraître plutôt décevants à ce jour : si le choix de favoriser la compétitivité a déjà été fait à Lisbonne, une distance importante sépare encore les résultats obtenus par l'Union européenne à ce jour des ambitions qu'elle s'est fixée (167 ( * )).

La communication de l'Union européenne n'invite pas à la rupture sur ce point, faisant ainsi peu de cas de l'inquiétude relayée par les Etats membres.


• Appliquer une politique industrielle différenciée selon les secteurs

Comme elle l'avait déjà esquissé il y a un an et demi, la Commission européenne admet toutefois la nécessité d'une approche verticale pour tenir compte des spécificités de certains secteurs industriels . Ou plutôt, elle convient que « bien qu'horizontale par nature, la politique industrielle doit s'adapter aux particularités de chaque secteur » .

En 2002, elle soulignait notamment le besoin élevé d'une contribution R&D dans l'industrie de l'acier, la nécessaire prise en compte de la protection de l'environnement et du consommateur dans les secteurs de la chimie et de la biotechnologie, du caractère encore inachevé du marché intérieur dans l'industrie aérospatiale et des surcapacités dans le secteur des télécommunications.

L'élan ainsi impulsé en 2002 représente le début d'un processus qui s'est déployé sous la houlette du nouveau Conseil « compétitivité » alors créé pour s'affirmer aujourd'hui avec la récente communication d'avril 2004. Le changement de climat semble donc se confirmer .

Comme le remarque opportunément la Commission, selon les secteurs , les défis compétitifs sont de nature différente : d'ordre réglementaire pour un secteur reposant sur l'innovation telle l'industrie pharmaceutique, ou pour un secteur concerné par le développement durable comme la chimie, d'ordre surtout commercial pour des secteurs comme le textile, ou encore imputables à l'inachèvement du marché intérieur pour d'autres filière. Conformément à ces observations, la Commission a déjà été engagé des initiatives sectorielles à destination des secteurs de la pharmacie, de la construction navale, des biotechnologies, du textile-habillement ; d'autres sont annoncées pour l'automobile, les métaux non ferreux, les éco-industries ou les technologies de l'information. Ces initiatives, qu'il convient de saluer, manquent toutefois de visibilité . Votre commission invite donc l'Union européenne à persévérer dans ces efforts d'adaptation des politiques communautaires aux exigences spécifiques à chaque secteur et à donner à ces efforts la visibilité qu'ils mériteraient.

Cette persévérance est d'autant plus nécessaire qu'une réticence certaine à aller plus avant dans l'approche sectorielle transparaît toutefois dans la communication de la Commission, qui tient à rappeler que « le développement par la Commission d'activités en matière sectorielle ne correspond pas à un retour aux politiques interventionnistes du passé, mais s'appuie au contraire sur l'adaptation d'actions de nature essentiellement horizontale aux besoins spécifiques identifiés au niveau sectoriel » .

Il n'est évidemment pas dans l'intention de votre commission de renouer avec l'interventionnisme passé. Elle souligne d'ailleurs le préjudice qu'un excès d'interventionnisme ne manquerait pas d'engendrer pour l'économie européenne.

Mais le danger d'être excessif en cette matière n'est sans doute pas celui qui guette le plus l'Union européenne.

C'est pourquoi votre commission juge indispensable d'entretenir et même de conforter l'élan donné à la notion de « politique industrielle » européenne . Les orientations tracées par la Commission et brièvement présentées plus haut sont excellentes et doivent être scrupuleusement suivies par les Etats membres et par l'Union : il s'agit déjà d'une ambition importante. Notamment, il importe de veiller systématiquement à prendre en compte les intérêts de l'industrie au même titre que d'autres intérêts légitimes lors de la définition des politiques européennes. Une meilleure exploitation des synergies entre les diverses politiques communautaires et leur combinaison optimale au niveau sectoriel sont assurément des objectifs prioritaires à fixer pour l'Union européenne.

c) Des propositions complémentaires pour fonder un néo-colbertisme européen

Pour votre commission, des pistes complémentaires mériteraient d'être explorées pour donner plus encore de consistance à la politique industrielle européenne qui prend forme . Trois propositions pourraient être avancées, qui explicitent son appel au « néo-colbertisme européen » .


• La première d'entre elles consisterait à créer, au sein de la Commission, un poste de vice-président chargé de la compétitivité
. La nature transversale de l'objectif de compétitivité, la nécessité d'avoir la hauteur et le pouvoir nécessaire pour combiner de manière optimale les différentes politiques communautaires dans cet objectif, l'importance assignée officiellement à l'objectif depuis le sommet de Lisbonne : tous ces arguments plaident en faveur de la création d'un bras droit du Président de la Commission européenne , qui incarnerait le caractère hautement stratégique pour l'avenir de l'Union de toujours améliorer sa compétitivité.


• Une deuxième proposition serait de définir au niveau communautaire des secteurs stratégiques à soutenir et à développer
. Il a déjà été démontré que le « saupoudrage » des aides nuit à l'efficacité des politiques de soutien. Par exemple, comme l'a souligné M. Jean-Louis Beffa devant le groupe de travail, le crédit impôt recherche actuel est une « aberration » de ce point de vue puisqu'il est indifférencié et bénéficie ainsi à un grand groupe comme Saint Gobain pour des projets de RD qu'il mènerait de toute façon, alors que des secteurs très pointus auraient besoin de soutiens financiers massifs pour se développer. Il est donc essentiel d'identifier les activités d'avenir sur lesquelles l'Union européenne doit miser, de tels choix impliquant en effet, a contrario, que d'autres ne bénéficieront pas des mêmes soutiens.

L'optique selon laquelle serait définie la politique industrielle communautaire deviendrait fondamentalement offensive, au lieu d'être foncièrement défensive . En effet, dans son approche de la dimension sectorielle de la politique industrielle, la Commission vise à « identifier, anticiper dans toute la mesure du possible et accompagner les mutations industrielles » (168 ( * )). Cet horizon est nécessaire mais il n'est sans doute pas suffisant. Les mutations ne doivent pas seulement être accompagnées, elles peuvent aussi être orientées , freinées ou accélérées , selon la stratégie choisie. Car c'est bien d'une stratégie industrielle que l'Union européenne a besoin : savoir vers quels secteurs elle oriente son industrie, et quels moyens elle se donne pour y parvenir. C'est par une démarche pragmatique que peuvent être identifiés les avantages comparatifs de l'Union par secteur ; ce diagnostic permettra d'engager des actions ciblées qui consolideront les atouts des secteurs stratégiques et renforceront les chances de l'Union de conserver ou d'attirer sur le territoire européen les activités essentielles pour l'avenir .

Selon les informations recueillies par votre groupe de travail lors de son déplacement à Bruxelles, la direction générale « Commerce » de la Commission européenne a commandé une étude, à venir prochainement, qui aura pour objet de dessiner la place de l'Union européenne dans la division internationale du travail pour les décennies qui viennent . Un tel travail d'analyse prospective pourrait par exemple servir de support à la définition des axes stratégiques qu'il est impératif de tracer pour l'industrie européenne de demain.


• Une troisième proposition
que juge particulièrement importante votre commission consiste à mieux articuler la politique de la concurrence et la politique industrielle . A ce propos, il est remarquable que nulle allusion à cette politique pourtant centrale de la Commission européenne ne figure dans sa récente communication relative à la politique industrielle. Il est aussi à relever que le jour même de la publication de ladite communication, la Commission européenne rendait publique une autre communication relative à la politique de la concurrence (169 ( * )). Faut-il interpréter la concomitance de ces initiatives comme le signe d'une convergence en marche entre ces deux politiques, ou doit-on au contraire comprendre que la publication de deux documents séparés trahit une divergence d'approche entre ces deux politiques ?

Votre groupe de travail voudrait pouvoir se rallier à la première interprétation. Les propos tenus lors de son audition par le commissaire européen à la concurrence M. Mario Monti l'y invitent : il a en effet présenté la communication issue de sa direction générale comme une description de la contribution apportée à la compétitivité par toute la panoplie des instruments de la politique de la concurrence réformée le 1 er mai dernier : lutte contre les ententes, contrôle des fusions, libéralisation et contrôle des aides d'Etat.

Toutefois, la tonalité très libérale de cette communication sur la concurrence , qui met en avant des études empiriques prouvant que « la déréglementation industrielle et la libéralisation des échanges ont des effets positifs sur la productivité au niveau des entreprises » incite à la prudence. Les dysfonctionnements sectoriels seraient donc imputables à un défaut de concurrence , identifié grâce au degré de concentration, aux indices de collusion, etc., qui entraverait le développement des entreprises et retarderait gravement la restructuration industrielle.

Ce discours coutumier de la Commission gagnerait à être enrichi et orienté fondamentalement vers la compétitivité de l'Union européenne. Comme la France l'indiquait dans sa contribution au Conseil européen de printemps du 26 mars 2004, la politique communautaire de contrôle des aides d'Etat est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur, mais il est aussi important « que la Commission exerce son contrôle en intégrant les données actuelles de la concurrence internationale et les nécessités industrielles de l'Europe » .

A cet égard, une grande vigilance est requise quant à la révision des encadrements des aides publiques au niveau européen : aides au sauvetage et à la restructuration en 2004, aides à la recherche-développement en 2005, aides à finalité régionale en 2005/2006.

De même, les avantages de la concurrence révèlent, aux yeux de la Commission, le risque que recèlent les arguments en faveur de la création de « champions nationaux » . Si la Commission ne voit aucun inconvénient à ce que des entreprises atteignent une taille suffisante pour soutenir la concurrence mondiale , elle insiste sur la nécessité que cela se fasse dans le respect des règles de concurrence intérieure , qui accroît la compétitivité d'une entreprise à l'étranger.

Votre commission déplore la timidité de cette approche : il convient, selon elle, de renverser les priorités et de placer au coeur des préoccupations communautaires la politique industrielle plutôt que celle de la concurrence, qui a fait la preuve de ses limites. Elle relève à titre d'exemple que la libéralisation du marché de l'énergie a renchéri le coût de l'énergie pour les industriels , ce qui prouve que le marché n'est pas nécessairement et en toutes circonstance le plus efficace .

Au reste, comme le rappelle M. Jean-Louis Beffa (170 ( * )), « la politique industrielle est un bien public » , c'est-à-dire qu'elle dégage des externalités positives pour l'ensemble des acteurs économiques même si aucun d'entre eux, dans son raisonnement économique, n'a intérêt, à titre individuel, à en supporter le coût. La définition du « bien public » par la théorie économique est la suivante.

La théorie du bien public d'après Paul Samuelson

Selon l'économiste Paul Samuelson, un bien public répond aux deux critères suivants :

- un critère de non-rivalité : cela signifie que la consommation de ce bien par un usager n'entraîne aucune réduction de la consommation des autres usagers ;

- un critère de non-exclusion : il est impossible d'exclure quiconque de la consommation de ce bien ; il est, par conséquent, impossible d'en faire payer l'usage.

Ces deux caractéristiques des biens publics ont une importante conséquence pratique : le libre fonctionnement des marchés ne permet généralement pas de les produire en quantité satisfaisante . A l'évidence, la production de ces biens publics présente un intérêt collectif, mais aucun agent privé n'a intérêt à s'engager dans celle-ci , dans la mesure où l' impossibilité d'en faire payer l'usage interdit de rentabiliser l'investissement consenti .

C'est pourquoi la solution optimale réside, à l'intérieur des frontières, en la production de ces biens par la puissance publique . Comme il est impossible de faire payer l'utilisation du bien, sa production est financée par l'impôt.

Il revient donc aux pouvoirs publics communautaires de prendre en charge l'élaboration du bien public que constitue en effet une politique industrielle, susceptible d'éclairer l'action des acteurs économiques telle un phare, exemple type de bien public (171 ( * )).

A ce titre, votre groupe de travail encourage l'Union européenne à faciliter l'émergence de « champions européens » , qui sont à même de porter de grands projets industriels susceptibles d'asseoir la prééminence de l'Union là où elle dispose d'avantages comparatifs . L'objectif est de revenir aux modalités qui ont permis les succès d'Ariane ou d'Airbus. Seule une volonté politique de porter une ambition industrielle de moyen terme permettrait de lancer de grands projets de développement industriel dans les secteurs économiques d'avenir (bio-technologies, informatique hardware et software, semi-conducteurs), comme ce fut fait il y a vingt ans. Pour avancer avec détermination sur cette voie, malgré les difficultés de fonctionnement d'une Europe à 25, sans doute l'axe franco-allemand a-t-il un rôle moteur particulier à jouer dans la relance d'une telle politique industrielle européenne, à laquelle d'autres Etats ne manqueront pas de se rallier par la suite.

A cet égard, votre commission se félicite de la mobilisation affichée le 13 mai dernier par le Président de la République et le Chancelier en vue de favoriser l'émergence des « champions industriels dont l'Europe a besoin » .

2. Harmoniser et renforcer les outils de compétitivité hors-prix

En matière de compétitivité des produits européens, il convient de ne pas considérer exclusivement les aspects relatifs au coût. En effet, l'industrie européenne peut voir sa place renforcée et reconnue en recourant à des outils que l'on pourrait qualifier de non tarifaires : normes, brevets et labels.

a) Harmoniser et promouvoir les normes européennes

Les questions de normalisation sont d'une importance cruciale dans la mesure où elles interviennent en amont de la commercialisation. Les normes admises sur un marché conditionnent en effet son accessibilité . C'est du reste ce qu'a souligné lors de son audition par votre groupe de travail Mme Nicole Fontaine, alors ministre déléguée à l'industrie, relevant au passage qu'outre son soutien à l'Agence française de normalisation (AFNOR), l'Etat français déchargeait les entreprises des frais exposés par la participation de leurs cadres aux instances techniques de normalisation.

Il est donc essentiel pour l'Union européenne de peser dans les négociations internationales relatives aux normes. Pour renforcer le poids de l'Union dans les enceintes de normalisation, il revient aux Etats membres de miser sur l'harmonisation de leurs normes nationales et sur la promotion des normes européennes : ceci exige une mobilisation réelle (mobiliser des représentants de très haut niveau pour défendre la position de l'Union, les doter des moyens nécessaires pour l'emporter...), dont les coûts doivent être rapportés aux gains considérables qui sont en jeu .

Il est à cet égard intéressant de rappeler que le succès remporté par l'Union européenne dans le secteur des télécommunications tient largement à l'adoption par une grande partie du monde de la norme GSM. Les résultats enviés de la téléphonie mobile européenne apportent bien la preuve de l'effet de levier que l'adoption d'une norme peut avoir sur le développement d'un marché .

Votre commission estime qu'il s'agit là d'un instrument fondamental de développement de l'industrie européenne auquel l'Union accorde une importance insuffisante , notamment par comparaison avec un de ses importants concurrents, les Etats-Unis, qui savent faire la preuve du prix qu'ils attachent aux débats de normalisation.

b) Définir et favoriser le brevet communautaire

Alors que les objectifs assignés à l'Union européenne lors du sommet de Lisbonne semblent de plus en plus difficiles à atteindre, et que les activités de recherche figurent, sans nul doute, parmi les plus stratégiques pour l'Union, le piétinement des négociations relatives au brevet communautaire pénalise la compétitivité de l'économie européenne de la connaissance .

En effet, l'économie de l'Union souffre de l'inexistence d'un titre de propriété industrielle à caractère unitaire et autonome, dont le coût serait abordable et qui devrait garantir la sécurité juridique à l'échelle communautaire .

C'est pour pallier ce manque que la Commission a, le 1 er août 2000, présenté une proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire, visant à créer un tel instrument . Le projet prévoit la coexistence du brevet communautaire avec les systèmes de brevet actuels. Parmi ces systèmes, outre les régimes nationaux de brevet, la Convention de Munich sur le brevet européen (CBE) de 1973 a mis en place une procédure unique d'examen et de délivrance des brevets en Europe . Cette convention est un acte de droit international classique, signé hors du cadre communautaire ; de ce fait, l'Office européen des brevets, qui a été créé par la CBE, est un organisme intergouvernemental totalement indépendant des structures communautaires . Alors que le brevet européen, une fois délivré, constitue en réalité un faisceau de brevets nationaux, le brevet communautaire serait quant à lui un titre unitaire valable immédiatement sur l'ensemble du territoire de l'Union.

L'avènement d'un brevet communautaire constituerait assurément un atout pour l'industrie européenne. S'il est aujourd'hui possible d'introduire, au sein de l'Union européenne, une demande de brevet européen, dans l'une des trois langues de travail de l'office - anglais, français, allemand -, la demande doit indiquer les pays européens dans lesquels une protection est souhaitée . La validité de cette protection dans un pays particulier suppose que la demande soit traduite dans la langue de ce pays. En outre, ce sont les tribunaux nationaux qui se prononcent en cas de différends.

C'est la nécessité de traduire le fascicule de brevet dans toutes les langues officielles de tous les Etats membres qui rend si coûteux le système actuel de protection de la propriété industrielle en Europe . Au contraire, la création d'un brevet communautaire rendrait valables les brevets délivrés et publiés suivant le régime linguistique de l'Office européen des brevets (OEB) sans traduction ultérieure : ainsi, la demande serait examinée, délivrée et publiée dans l'une des trois langues de travail de l'OEB et les revendications - partie la plus courte mais la plus importante parce qu'elle définit les limites de la protection - seraient en outre traduites dans d'autres langues (soit les deux autres langues de travail, soit toutes les langues officielles de l'UE, c'est-à-dire désormais dix-neuf langues). Le brevet européen ainsi accordé deviendrait valide pour l'ensemble du territoire des Communautés européennes, ce qui en ferait un «brevet communautaire ».

De surcroît, la création d'un brevet communautaire serait accompagnée de la création d'un nouveau tribunal communautaire centralisé dans le cadre de la Cour européenne de justice, dont ressortiraient tous les différends relatifs à la contrefaçon et/ou à la validité des brevets communautaires. Cette centralisation du règlement des différends épargnerait le coût qu'engendre aujourd'hui l'obligation d'intenter des poursuites devant plusieurs juridictions de la Communauté : lorsque le détenteur d'un brevet souhaite engager une action en contrefaçon de son brevet européen, il peut être contraint de le faire dans plusieurs d'Etats membres ; de même, lorsque quelqu'un souhaite contester la validité d'un brevet européen, il peut avoir besoin d'intenter des poursuites devant les tribunaux nationaux de chacun des Etats membres où le brevet européen est valable.

Il est aisé d'imaginer le gain que retireraient les entreprises communautaires d'une unification du contentieux, qui éviterait, en outre, des divergences d'interprétation entre Etats membres s'agissant de la façon dont le droit des brevets s'applique dans un cas particulier.

Le brevet communautaire représenterait, selon la Commission européenne, un gain global de 68 % par rapport aux coûts du système actuel de brevet européen . C'est pourquoi son avènement est tant attendu par les entreprises : il constitue un véritable enjeu de compétitivité pour l'Union européenne, qui contribuerait à la rendre capable de retenir et d'attirer des activités industrielles.

Aussi votre commission déplore-t-elle que , malgré la volonté affichée du Conseil européen de favoriser la compétitivité de l'Union, les négociations entre les Etats membres achoppent encore sur ce dossier . Elle insiste sur l' importance stratégique que revêt la création du brevet communautaire à l'heure où l'industrie européenne s'inquiète de la délocalisation de certaines activités.

Le dernier Conseil des ministres chargés de la « Compétitivité » tenu les 17 et 18 mai 2004 a encore abouti à une impasse. Deux pommes de discorde divisent notamment les Etats membres : la question de la valeur juridique des traductions des brevets , qui concerne les violations de propriété industrielle imputables à des erreurs de traduction du brevet, et le sujet des délais nécessaires pour la traduction des brevets, qui oppose notamment l'Allemagne et l'Espagne.

c) Promouvoir un « label européen »

Un dernier outil susceptible d'accroître la compétitivité de l'industrie européenne serait d' exploiter une forme d'effet de « marque » . La qualité, le design, l'innovation des produits européens sont largement reconnus et c'est sans doute leur mise en avant qui permettrait à l'industrie européenne d'exploiter cet avantage comparatif.

Votre commission soutient donc l'idée de créer une forme de « label » européen qui attesterait du lieu de fabrication du produit, comme le font les appellations d'origine contrôlée en matière viti-vinicole.

Elle n'ignore pas toutefois l'observation faite par M. Daniel Dewawrin au nom du Groupe des fédérations industrielles (GFI) lors de son audition : le « made by » (fait par telle marque) l'emporte de plus en plus sur le « made in » (fait dans tel pays). Il a été déjà relevé en effet qu'un nombre croissant de produits, justement du fait des délocalisations de segments du processus de production, sont largement fabriqués sur d'autres continents avant d'être réimportés dans l'Union européenne pour y être commercialisés, parfois après y avoir été assemblés. L'étiquetage européen de tels produits peut apparaître délicat, même si l'on pourrait peut-être estimer que la conception et la commercialisation du produit restant européennes, le produit pourrait valablement être considéré comme européen.

Il convient également de ne pas occulter les risques de contrefaçon qu'encourrait un tel label européen. Comme l'a indiqué M. Robert Verrue lors de sa rencontre avec le groupe de travail, l'imitation d'un marquage européen est d'une extrême facilité, étant donné l'ampleur qu'a pris le phénomène de la contrefaçon aujourd'hui. Le Directeur général estime même que la contrefaçon est devenue une acticité industrielle en tant que telle , y compris dans des activités fortement capitalistiques et technologiques puisqu'elle concerne désormais aussi bien les produits pharmaceutiques que les supports informatiques, les pièces de rechange, les engrais ou les obtentions végétales.

Malgré ses limites, la création d'un label européen mérite d'être envisagée afin d'offrir une visibilité à l'industrie européenne et de transformer en argument de vente ses spécificités , en particulier ses fortes exigences sociales et/ou environnementales qui, si elles grèvent sa compétitivité-prix, pourraient toutefois jouer en faveur de sa compétitivité globale .

3. Défendre des positions favorables à l'industrie européenne dans les enceintes internationales

La mondialisation ne représente pas seulement une source d'inquiétude pour l'industrie européenne : elle est aussi, faut-il le rappeler, une opportunité qu'il revient à l'Union européenne de saisir .

D'une part, la globalisation et sa régulation offrent la perspective d'une harmonisation progressive des normes sociales et/ou environnementales.

D'autre part, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les négociations multilatérales sont, pour l'Union européenne, des instruments utiles pour améliorer la loyauté des échanges, notamment avec les BRIC, pays dont la concurrence sur les marchés mondiaux devient redoutable.

a) Pour une harmonisation des normes sociales et environnementales

La disparité des normes relatives aux conditions de travail et à la protection de l'environnement est déjà ressentie entre Etats membres de l'Union européenne, mais son acuité est bien plus grande à l'échelle mondiale.

Réduire ces disparités est un objectif de long terme qui doit permettre, non seulement aux pays industrialisés d'être concurrencés par les pays émergents sur des bases plus équitables, mais aussi, d'améliorer les conditions de travail et de soutenir un développement durable dans les pays émergents. Des organisations internationales se consacrent à cette tâche : en matière sociale, c'est le cas de l'Organisation internationale du travail (OIT) (172 ( * )), dont le thème directeur pour la période 2002-2005 est la mise en oeuvre concrète du programme en faveur du travail décent .

A ce titre, l'OIT met au point des conventions et des recommandations internationales du travail qui définissent les normes minimales à respecter dans les domaines de son ressort : liberté syndicale, droit d'organisation et de négociation collective, abolition du travail forcé, égalité de chances et de traitement, etc.

Elle a également créé en 2002 une Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation , qui a rendu un rapport (173 ( * )) en février 2004. Reconnaissant l'immense potentiel ouvert par la mondialisation, l'OIT y analyse l'émergence d'une véritable « conscience planétaire, sensible à l'injustice que représentent la pauvreté, la discrimination entre les sexes, le travail des enfants et la dégradation de l'environnement, où que ce soit dans le monde » . M. Juan Somavia, Directeur général du BIT, juge que « faire de la mondialisation un processus équitable et intégrateur est une tâche difficile mais pas irréalisable, et constitue une priorité mondiale » .

Parmi les mesures préconisées pour parvenir à une mondialisation équitable et sans exclus, la commission propose notamment de mettre en place des règles plus équitables en matière de commerce international , d'investissement , de finance et de migrations , et de prendre des mesures pour promouvoir les normes fondamentales du travail et une protection sociale minimale dans l'économie mondiale .

Votre commission estime à l'évidence que ces objectifs doivent être poursuivis sans relâche. Elle considère également, à l'instar de MM. Jacky Dintinger, Secrétaire général de la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC), et Philippe Arondel, conseiller technique à la CFTC, que la régulation de la mondialisation au sein de l'OMC ne saurait être déconnectée du respect par les partenaires des grandes conventions élaborées par l'OIT depuis des décennies .

En matière environnementale , la montée en puissance, dans les pays industrialisés, des réglementations protectrices de l'environnement est parfois accusée d'inciter les industries les plus polluantes à se délocaliser.

Il n'est pas faux de dire que certains Etats rivalisent pour attirer des firmes multinationales en adoptant des normes environnementales moins rigoureuses. Le premier exemple de « dumping » environnemental a été fourni par les Etats-Unis eux-mêmes, du temps où les compétences environnementales étaient décentralisées entre les différents Etats de l'Union. Outre la difficulté que créait une telle situation pour traiter de manière satisfaisante des problèmes de pollution touchant plusieurs Etats, le risque auquel s'exposaient les plus scrupuleux des Etats fédérés de voir déménager des entreprises souhaitant se soustraire à leurs réglementations environnementales a conduit le Congrès à adopter plusieurs lois (174 ( * )) au début des années 1970 pour centraliser au niveau fédéral le pouvoir d'initiative et de réglementation en la matière. Un raisonnement similaire doit désormais être tenu à l'échelle mondiale .

La persistance de normes environnementales plus laxistes dans certains pays que d'autres pour la production des mêmes biens diminue le coût de production dans ces pays (souvent les plus pauvres). A long terme, s'il continue d'utiliser le procédé polluant, le pays pauvre consolidera son avantage comparatif dans la production de ce bien, et le pays riche se spécialisera dans d'autres productions. Finalement, au terme du processus, les activités polluantes se concentreraient dans les pays en développement : les politiques environnementales nationales manqueraient donc leur objectif du fait des délocalisations d'activité puisque l'environnement mondial subirait un préjudice égal voire supérieur, alors même que l'adoption de normes visait à l'en préserver.

C'est dire l'importance qui s'attache à la diffusion des normes environnementales dans l'ensemble des pays du monde . L'obstacle principal à cette diffusion est évidemment constitué par le coût direct de la protection de l'environnement , estimé « entre 1 et 5 % du prix de revient » par une étude de l'OCDE réalisée en 1997 dans le secteur de la sidérurgie et citée par M. Serge Lepeltier dans son rapport (175 ( * )) sur la mondialisation et l'environnement.

Toutefois, il n'est pas certain que ce surcoût suffise à renverser l'avantage comparatif que détiennent le plus souvent les pays industrialisés dans les industries les plus polluantes, car ces dernières sont généralement les plus capitalistiques. Ceci explique que des pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis aient conservé une très forte activité chimique, par exemple, bien qu'elle soit polluante et très réglementée.

Il reste que les normes environnementales figurent bien dans les critères guidant les choix de localisation des entreprises. Leur diffusion internationale est donc un enjeu important pour conserver des activités industrielles sur le territoire de l'Union européenne. On peut observer que cette diffusion s'effectue , en partie , de manière mécanique , dans la mesure où les firmes multinationales ont souvent tendance à uniformiser les procédés de production à l'échelle mondiale et à exporter ainsi dans les pays en développement des technologies modernes plus respectueuses de l'environnement . En outre, les Etats visant l'accès aux marchés de pays développés peuvent être incités à relever, à cette fin, leurs normes environnementales.

Toutefois, la demande d'environnement croît avec le revenu , surtout dans le cas de pollutions localisées dans des zones densément peuplées. Sans attendre cette hausse espérée du niveau de vie planétaire, qui permettra de faire de l'environnement une priorité des politiques publiques, il est nécessaire, dès à présent, de promouvoir les bonnes pratiques environnementales au niveau multilatéral .

Des avancées en la matière ont déjà été enregistrées sous la forme d'accords multilatéraux environnementaux (AME). Votre groupe de travail souligne cependant que la multiplication de tels accords ne doit pas occulter leur faiblesse essentielle qui tient au fait que la plupart d'entre eux ne prévoit aucun mécanisme de sanction en cas d'inexécution . En outre, l'un des plus importants de ces accords, le protocole de Kyoto, signé en 1997 et visant à limiter l'émission de gaz à effet de serre, n'a pas même été ratifié par les Etats-Unis... Enfin, il est impossible de prévoir aujourd'hui l'issue d'un différend entre deux Etats parties à l'OMC, dont l'un seulement est partie à un AME, dans le cas d'un conflit de normes .

C'est notamment pour assurer la compatibilité entre les engagements environnementaux et commerciaux, mais surtout pour promouvoir la protection de l'environnement à l'échelle mondiale, que l'idée d'intégrer le sujet de l'environnement dans les négociations ouvertes à l'OMC par l'accord de Doha de novembre 2001 a été avancée par l'Union européenne. Ainsi, la déclaration de Doha, en son paragraphe 31, prévoit l'ouverture de discussions sur les liens entre commerce et environnement.

Toutefois, cette ambition européenne d'introduire une dose de régulation dans la libéralisation des échanges est loin d'être partagée par tous. Les négociations sur ce sujet avancent donc très lentement, et l'échec de la conférence ministérielle de Cancùn en septembre 2003 a conduit l'Union européenne à diminuer ses ambitions.

Convaincue cependant la nécessité de persévérer dans ce projet, votre commission appelle l'Union européenne à ne pas renoncer à la défense d'une meilleure articulation entre l'OMC et l'environnement , la force exécutoire des décisions prises par l'organe de règlement des différends de l'OMC pouvant offrir une base claire aux normes environnementales en reconnaissant leur validité à l'échelle internationale. Un tel mouvement permettrait aux industries européennes, obéissant à de multiples règles environnementales, d'affronter la concurrence mondiale dans des conditions plus loyales .

b) Pour une politique commerciale européenne exigeante

Parallèlement à la défense de l'harmonisation des règles sociales et environnementales, il revient à l'Union européenne de défendre les intérêts de l'industrie européenne en lui ouvrant le plus largement possible le plus grand nombre de marchés . C'est aux barrières à la fois tarifaires et non tarifaires qu'il convient de prêter attention.

Les tarifs appliqués aux produits industriels n'ont cessé de baisser durant les décennies passées, à la faveur des « rounds » successifs de négociation du GATT puis de l'OMC. Les enjeux des négociations tarifaires portent désormais essentiellement sur les pics tarifaires persistants et faisant figure d'anomalie . Mais pour reprendre l'expression utilisée par le Commissaire européen en charge du commerce, M. Pascal Lamy, lors de son entretien avec votre groupe de travail, la question des barrières tarifaires s'apparente aujourd'hui à « une étoile qui a cessé d'émettre » .

En effet, les négociations se cristallisent dorénavant sur les barrières non tarifaires . Elles en sont rendues plus complexes, car les barrières non tarifaires sont moins visibles et cette opacité brouille la négociation. Elles sont de nature très différentes (normes techniques, complexité administrative...), ce qui rend plus délicate la mesure des distorsions qu'elles engendrent, alors qu'il était plus facile auparavant d'échanger des tarifs. Enfin, ces barrières sont de plus en plus fondées sur des préférences collectives, ce qui donne aux négociations une résonance très différente dans les opinions . A ce titre, M. Pascal Lamy, prenant l'exemple de l'agriculture et de ses implications territoriales pour un pays comme la France, les analyse non pas tant comme l'expression d'un simple protectionnisme mais comme des remparts « socialement constitués » exprimant des « préférences collectives » .

Cela n'empêche pas l'Union européenne de travailler à la levée de ces barrières non tarifaires. Notamment, les services de la Commission ont mis en place une banque de données « Accès au marché » que les entreprises renseignent à partir des difficultés qu'elles rencontrent à l'export, ce qui permet aux négociateurs internationaux un pilotage fin des objectifs à atteindre et leur offre des moyens de pression sur les pays tiers .

Parallèlement aux négociations multilatérales, la politique commerciale de l'Union européenne se déploie aussi au plan bilatéral , par des accords prévoyant, avec certains partenaires, un degré de libéralisation réciproque supérieur par rapport à celui consenti à l'OMC.

Un troisième levier de la politique commerciale de l'Union est représenté par les instruments de défense commerciale , dont l'usage est encadré par les règles de l'OMC. Il s'agit de clauses de sauvegarde (restrictions quantitatives) et des mécanismes d'antidumping , qui autorisent la taxation de biens vendus en dessous de leur prix de revient et constituant, de ce fait, un préjudice pour l'Union européenne.

Sans pouvoir profondément agir sur la place de l'Union européenne dans la division internationale du travail, la politique commerciale de l'Union dispose ainsi d'instruments susceptibles de soutenir l'industrie européenne .

C'est l'utilisation optimale et exigeante de ces divers instruments qu'encourage votre commission .

CONCLUSION

Ce qui distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce qu'on
a produit que la manière de le produire

Karl Marx (1818-1883)

Philosophe et économiste allemand

Conclure.

Un tel verbe est bien inadapté en économie, où rien ne saurait arrêter le mouvement . Tout au plus peut-on infléchir sa direction, accélérer ou ralentir son rythme, accroître ou réduire son ampleur.

Les délocalisations n'échappent pas à cette règle . Si, finalement, elles ne semblent pas peser si lourd dans les incessantes mutations du tissu productif français, il est certain qu'elles vont s'accroître avec le développement du commerce mondial et la montée en puissance de nouvelles zones économiques. Elles constituent ainsi un véritable défi pour notre système socio-économique et territorial , contraint de s'adapter à cette nouvelle donne pour en tirer le meilleur parti.

En tant que telles, les délocalisations ne sont pas condamnables : il en est de nécessaires pour la croissance de la richesse et la modernisation de l'appareil de production, comme il en est d'inquiétantes quant à la capacité du pays à progresser. Tout est affaire d'analyse des conditions objectives du processus productif, secteur par secteur, filière par filière, voire segment par segment.

Partout où la production de masse , la maturité du produit et l' intensité du facteur travail constituent les caractéristiques essentielles, les délocalisations vers des zones à bas coûts de main d'oeuvre sont non seulement inévitables, mais également souhaitables :

- souhaitables pour notre propre développement car, d'une part, si nous voulons vendre davantage, encore faut-il qu'émergent de nouveaux marchés solvables, donc capables eux-mêmes de créer de la valeur, et, d'autre part, la transformation continuelle du tissu productif est le gage de notre capacité à innover ;

- souhaitables pour le développement des Etats de ces zones , la production de richesses n'étant nullement réservée par principe aux seuls pays industrialisés.

En revanche, quand les délocalisations touchent des activités à forte valeur ajoutée et des domaines où la France, compte tenu de son niveau de développement, de la qualité de ses réseaux et infrastructures, de la formation de sa main d'oeuvre, devrait disposer d'avantages comparatifs, alors il y a danger , car la perte de compétitivité dont elles témoignent ne trouve aucune justification acceptable.

A cet égard, votre groupe de travail souhaite exprimer son optimisme sur les capacités intrinsèques de notre société : celle-ci est constituée d'hommes et de femmes talentueux et dynamiques qui, après avoir reconstruit le pays après-guerre, sont entrés de plain pied et sans réelle réticence dans la nouvelle économie-monde. C'est grâce à eux que, quelles que soient les alarmes que certains bons esprits renouvellent à terme régulier, la France figure toujours aux meilleures places dans le peloton de tête des nations ; c'est grâce à eux qu'elle est potentiellement en mesure de s'y maintenir en répondant positivement aux nouvelles exigences de la compétition internationale.

Encore faut-il les en convaincre et les y aider . Le premier des axes qui structurent les propositions de votre commission poursuit précisément cet objectif : libérer les énergies en favorisant l'activité productive avec un haut niveau d'exigences de qualité, en soutenant l'innovation et la recherche, en adoptant les nouvelles méthodes de développement en réseau, en privilégiant les filières d'avenir qui contribuent au bien-être social, dans lesquelles l'outil conceptuel et productif national est en mesure d'occuper les premières places.

Encore faut-il s'assurer de ne laisser personne au bord du chemin . L'économie de la connaissance et de la haute technologie qui s'ébauche sous nos yeux ne saurait être réservée qu'à une élite, regroupée dans quelques lieux géographiques et reléguant à ses marges, dans des bassins progressivement appauvris et se vidant de leurs forces vives, un nombre toujours plus important de nos concitoyens. Il est ainsi essentiel de parvenir à équilibrer le développement du territoire en faisant confiance aux collectivités locales et en leur donnant les moyens d'assurer leurs responsabilités économiques. Il est tout aussi nécessaire d' améliorer l'employabilité de la main d'oeuvre afin qu'elle puisse être en mesure de s'adapter à l'enrichissement technologique de notre croissance. Il est en outre indispensable d'abandonner des conceptions désormais dépassées de ce que serait une économie vertueuse où seule la production matérielle serait privilégiée, et de ne plus mépriser des activités qui tissent le lien social et répondent à des besoins de plus en plus évidents de notre société . Les gisements d'emplois de proximité, par définition non-délocalisables, sont immenses. Surtout, ils sont seuls à même de donner un travail aux personnes n'ayant pas de qualification très élevée et de favoriser la création de richesse à peu près partout sur le territoire. Tout doit être entrepris pour les valoriser et encourager leur essor .

Encore faut-il permettre à nos concitoyens d'adhérer sans retenue au cadre élargi dans lequel s'inscrit désormais leur avenir : l'Europe . Or, en l'espèce, les résultats des toutes récentes élections au Parlement européen démontrent à l'envi que le chemin semble encore long pour emporter leur confiance. A l'évidence, le processus de la construction communautaire leur paraît éloigné de leurs préoccupations , quand il n'irait pas à l'encontre de leurs intérêts. La responsabilité de cette situation dramatique est partagée entre les instances communautaires et les responsables politiques nationaux, qui n'ont pas su jusqu'à présent donner suffisamment de sens à l'édification européenne . En ne retenant que le credo du libéralisme anglo-saxon, tout attaché au seul principe de la concurrence, ils ont négligé la dimension sociale du développement sur laquelle s'est historiquement fondée la croissance économique et culturelle de l'Europe continentale .

Mais pour votre commission, malgré la profondeur de la crise actuelle, tout n'est pas perdu. Le « néo-colbertisme » auquel elle appelle est un moyen de redonner une visibilité au projet européen en apportant au pouvoir politique les instruments capables d'exprimer une réelle volonté et d'insuffler un nouvel élan . La définition d'une politique industrielle mobilisant les énergies et indiquant un cap, soucieuse de privilégier les voies d'excellence et de favoriser l'expansion industrielle, préoccupée du devenir des territoires et de leurs populations, est en elle-même un projet capable d'incarner l'idée européenne . Elle n'est certes pas la seule à pouvoir le faire, mais il paraît clair que son absence jusqu'à présent n'est pas sans lien avec le caractère bancal de l'édification européenne.

Si l'Union européenne ne saurait durablement se construire sans dimension sociale ni valeurs éthiques et culturelles, elle ne pourra davantage résister aux forces centrifuges qui risquent de la condamner si elle n'affirme une ambition industrielle . Car « là où il n'y a pas de vision, les peuples périssent » .

Réunie le mercredi 23 juin 2004 sous la présidence de M. Bernard Piras puis de M. Gérard César , vice-présidents , la commission a adopté le rapport d'information du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre , le groupe socialiste s'abstenant et le groupe communiste républicain et citoyen votant contre.

CONTRIBUTION DU GROUPE
COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN

Le groupe de travail mis en place par le Sénat pour tenter d'apporter réponse à la grande question des délocalisations a auditionné de nombreuses personnes qualifiées, issues du monde économique, syndical et politique.

La commission s'est déplacée dans de nombreuses régions. Seul le constat qui peut être tiré de ses multiples contacts est que le problème des délocalisations qui concourt à la désindustrialisation de notre pays est des plus inquiétants.

Cinq millions d'emplois vont être menacés à brève échéance en Europe : vont être touchés les secteurs de grandes consommations, habillement, jouets, électronique, mais également l'informatique, l'agriculture et y compris le tertiaire.

Un nombre de plus en plus croissant d'entreprises françaises manifeste l'intention de fabriquer ses produits dans les pays à faibles coûts de main d'oeuvre.

Ces coûts varient de un à vingt entre la France, l'Allemagne et les pays d'Europe de l'Est et de l'Asie.

Les délocalisations ne sont pas pour autant une fatalité économique, elles ne servent ni l'intérêt de la France ni ceux de nos régions et de leurs populations, elles ne font qu'assurer aux capitaux des marges de profits accrues dans des conditions d'exploitation aggravées pour les travailleurs du tiers monde, de l'Europe de l'Est et de l'Asie. Dans l'intérêt de notre pays et en collaboration avec la Commission européenne, il est urgent de prendre des mesures dissuasives pour enrayer les transferts sauvages de production à l'étranger et contribuer à la défense de l'emploi en France comme à la solidarité avec le tiers monde.

Le groupe de travail, malgré un travail important, n'a pas jugé opportun de s'attaquer aux racines du mal, c'est-à-dire au choix de l'argent contre celui de l'appauvrissement humain.

Le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de loi qui vise à stopper la désindustrialisation de notre pays.

Il s'agit de mesures de première urgence afin d'arrêter l'hémorragie et avant que ne s'engage un véritable débat entre les pays de la communauté européenne afin de préserver les intérêts de l'Europe, de chacun des pays membres et de l'ensemble des populations qui la compose.

Ces mesures sont les suivantes :

- à titre conservatoire, sont suspendues les opérations de délocalisation d'une entreprise de France dans un autre pays, membre ou non de la Communauté européenne, en cours à la date de promulgation de la présente loi ;

- toute décision de suppression d'emploi liée à une opération de délocalisation est annulée ; afin de faire prévaloir d'autres solutions que des suppressions d'emplois, est constituée sous l'autorité des pouvoirs publics, et à chaque fois que nécessaire, une cellule de crise réunissant les directions d'entreprises, les représentants des travailleurs, les élus locaux et les représentants des banques ;

- tout projet d'investissement à l'étranger qui aurait pour résultat d'affaiblir l'emploi, les productions et la valeur ajoutée en France, pour obtenir le taux de profit maximum, fait l'objet d'une taxe dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ;

- les importations de produits à faibles coûts, obtenus par l'exploitation des travailleurs dans d'autres pays, sont taxées en fonction des différentiels sociaux ; cette taxe contribue à alimenter un fonds de développement, géré dans la transparence afin d'impulser un co-développement avec les pays du Sud et leurs peuples ;

- les aides publiques sont supprimées aux entreprises qui ont procédé dans l'année précédente à des opérations de délocalisation à l'étranger ;

- la politique d'aménagement du territoire prend en compte les exigences des relocalisations des productions industrielles, en particulier concernant le textile habillement, pour rapatrier en cinq ans un tiers des travaux effectués à l'étranger ;

- les dispositions législatives visant à protéger notre économie et l'ensemble des populations françaises doivent être prises et appliquées rapidement.

Le sénateur du groupe communiste républicain et citoyen participant au groupe de travail a voté contre le rapport d'information qui, au-delà d'un constat, n'engage pas les mesures répondant à la lourde menace des délocalisations sur note société.

CONTRIBUTION DES SÉNATEURS SOCIALISTES
MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL

Les sénateurs socialistes tiennent à saluer le travail important réalisé par un groupe de travail dans lequel ils ont eu la possibilité et les moyens de s'exprimer et de se faire entendre. Ils apprécient, en particulier, les conclusions (pp. 281 à 283), qui ont le mérite de bien fixer la problématique.

Néanmoins, sur un sujet aussi essentiel, la réponse politique des socialistes présente bien des divergences avec les tenants de l'économie libérale. Ce qui est en cause aujourd'hui est bien une lente mais inexorable disparition des activités industrielles dans notre pays au profit d'une nouvelle division internationale du travail. Comme cela a été autrement dit : « la tête aux pays riches, les jambes aux pays pauvres » . Cette vision, outre qu'elle est porteuse de nouvelles inégalités, n'a pas de sens ni d'avenir.

Ceux qui pensent pouvoir limiter le maintien en France des activités nobles comme la recherche et le développement (RD), la conception, le design, tout ce qui tourne autour de l'immatériel... se trompent lourdement et nous entraînent vers une évolution suicidaire. Pour ce qui nous concerne, nous ne voulons pas faire l'impasse sur le développement de notre système productif mais au contraire favoriser la mise en oeuvre d'une véritable politique technologique et industrielle offensive et mobilisatrice. C'est aussi pourquoi nous devons fixer les grandes priorités relatives aux grands marchés du futur.

Un nombre important des délocalisations est réalisé pour des raisons purement financières et boursières. Nous ne voulons pas avoir sur ces questions une approche idéologique mais nous avons à montrer combien il est urgent et crucial, dans cette lutte contre le dumping social et économique, d'agir sur tous les leviers et à tous les niveaux (européens, national, territorial).

1 - Nos propositions à l'échelle européenne

- mettre en place une véritable coordination européenne de veille et de contrôle des différentes formes de « dumping social » ;

- considérer la politique industrielle au rang de politique commune avec pour objectif la constitution de « champions européens » ;

- en matière de fiscalité, créer un impôt européen assis sur l'impôt sur les sociétés ;

- mettre en place un salaire minimum dans chacun des pays de l'Union ;

- favoriser une réduction progressive et négociée de la durée du travail ;

- renforcer les moyens d'intervention et de contrôle des salariés dans la gestion des entreprises en cas de restructuration industrielle (notamment par le Comité d'Entreprise européen) ;

- lancer de grands travaux européens dans le domaine des transports, de l'énergie, des télécommunications, de l'environnement... ;

- dynamiser les politiques de recherche et de développement en mobilisant les outils financiers, fiscaux et réglementaires par l'intermédiaire de groupes industriels européens ;

- augmenter les budgets de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation, mieux utiliser le PCRD et EUREKA ;

- accroître le budget de l'Union (1,5 % du PIB) ;

- lancer un grand emprunt à l'échelle européenne.

2 - Nos propositions à l'échelle nationale

- faire du soutien à la recherche et développement une véritable priorité ; cela passe par une mise en cohérence de l'Education, de la Formation Professionnelle, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ; cela signifie d'arrêter la réduction des moyens d'investissements et de fonctionnement des organismes de recherche et de supprimer les actions de saupoudrage ;

- évaluer et mettre en place d'un suivi des aides publiques ( idem au plan régional) ;

- refonder les droits sociaux des salariés pour les adapter à ces phénomènes et à l'évolution de l'industrie : moyens d'intervention et de contrôle sur la transparence de la gestion, droit à la formation, à la sécurité sociale professionnelle ;

- mobilisation de moyens pour accompagner les salariés et les bassins d'emploi en anticipant les délocalisations et les restructurations industrielles.

3 - Nos propositions à l'échelle régionale

C'est sur les territoires les plus fragiles et dans des secteurs qui présentent souvent des formes de mono-activité que les délocalisations sont les plus dévastatrices. Pour cela :

- conditionner les aides octroyées par les régions à un effort de maintien de l'emploi (plan de développement et de sauvegarde de l'emploi) et de formation ;

- créer un observatoire des fragilités de l'emploi, des qualifications et des métiers dans chaque région ;

- favoriser les processus de mise en réseau des acteurs locaux d'un bassin d'emploi pour contribuer à la dynamisation et à la mutualisation des moyens consacrés à la communication, à la commercialisation, à la recherche et à l'innovation (type «districts italiens», systèmes productifs locaux...) ;

- soutenir les contrats territoriaux de revitalisation des zones économiquement fragiles par l'appui à l'environnement économique et aux infrastructures par exemple ; adéquation de l'offre de transport de la région aux besoins des salariés et des entreprises...

- centraliser les moyens de veille et de pilotage des mutations économiques ;

- construire une gamme d'outils pour offrir une formation adaptée aux besoins des territoires.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 juin 2004 sous la présidence de M. Bernard Piras puis de M. Gérard César , vice-présidents , la commission a procédé à l'examen du rapport d'information du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre .

Après une introduction de M. Christian Gaudin , président du groupe de travail , et l'exposé de son rapport par M. Francis Grignon , rapporteur , un débat s'est engagé.

M. Georges Gruillot , après avoir félicité le rapporteur pour son travail, a estimé qu'avait sans doute été minimisée l'ampleur des délocalisations de production. Il a attribué également à un péché d'orgueil typiquement français la conviction affichée par le rapporteur que notre pays pourrait conserver l'amont et l'aval du processus industriel.

M. Jean-Pierre Bel a souligné l'importance du sujet abordé et jugé que ce rapport aurait mérité plus d'intérêt et plus de place. Au nom des membres du groupe socialiste appartenant au groupe de travail, il a déclaré avoir apprécié le fonctionnement du groupe de travail, relevant au passage l'intensité du rythme de travail adopté par ledit groupe. Il a confirmé que, selon lui, la France gagnait globalement aux délocalisations, mais que le véritable sujet était le traumatisme territorial qu'induisaient les pertes d'emplois. Il a estimé que la nouvelle division internationale du travail ne laissait pas d'illusion et qu'il ne fallait pas imaginer une répartition du type : « la tête aux pays riches, les jambes aux pays pauvres », répartition qui serait injuste et inefficace. En effet, après s'être référé à la mission de la commission en Roumanie et Bulgarie à laquelle il avait participé, il a relevé que de nombreux pays, y compris l'Inde et la Chine, étaient capables d'être présents sur l'immatériel.

Se démarquant du rapporteur, M. Jean-Pierre Bel a souhaité mettre prioritairement l'accent sur l'échelon européen, préconisant diverses orientations :

- créer un impôt européen assis sur l'impôt sur les sociétés ;

- réduire la durée du temps de travail ;

- accroître le rôle des salariés dans les restructurations d'entreprises, notamment par la création d'un comité d'entreprise européen pour les grands groupes ;

- créer un salaire minimum dans chaque pays européen, ce qui ne laissait courir aucun risque de nivellement par le bas, contrairement aux craintes exprimées par M. Valéry Giscard d'Estaing.

Au plan international, il a préconisé la promotion des droits sociaux des salariés afin de les accompagner dans les adaptations nécessaires et évoqué plus précisément la nécessité d'un droit à la sécurité sociale professionnelle.

Revenant sur les propos du rapporteur selon lesquels il existerait des produits industriels dont la production par l'Union européenne serait « indéfendable », il a pressenti que le textile était en ligne de mire. S'agissant de ce secteur, il lui a semblé que l'alternative était la suivante : continuer à combattre ou bien déclarer haut et fort que le textile était sans avenir, comme cela avait été le cas pour la sidérurgie. Il a toutefois relevé que les dispositions récemment proposées par le Gouvernement en faveur du textile allaient dans le bon sens.

Au niveau territorial, il a présenté les diverses possibilités à explorer : « clusters » locaux inspirés des districts italiens, pénalisation, afin de maintenir l'emploi, des entreprises qui délocalisent, formation et qualification, action volontariste sur les transports, vigilance à l'égard des prix de l'énergie, lesquels représentaient jusqu'à présent un atout pour la France.

Mme Marie-France Beaufils , après avoir demandé d'excuser son collègue M. Yves Coquelle, retenu pour des raisons personnelles, a d'abord contesté les trois règles économiques que le rapporteur avait placées à la base de son raisonnement, jugeant que la concurrence profitait plus à l'entreprise productrice qu'au consommateur. Elle a ainsi fait observer que les délocalisations qui avaient visé la réduction des coûts salariaux ne s'étaient pas traduites par une baisse du coût des produits, ce qui relativisait les déclarations des économistes, comme l'avait d'ailleurs fait M. Bernard Maris, chroniqueur à Charlie Hebdo, lors de son audition devant la commission.

Elle a également insisté sur l'importance de la notion de coopération entre les peuples européens et relevé que les dix nouveaux pays entrés dans l'Union européenne avaient des niveaux de qualification qui n'étaient pas ceux des pays pauvres. Elle a ensuite suggéré la mise en place en France d'un système permettant aux salariés de passer d'une activité menacée vers une formation qualifiante pour trouver un nouvel emploi, système qu'elle a désigné sous le terme « sécurité-emploi-formation ». Elle a par ailleurs exprimé son désaccord avec les propositions du rapporteur relatives à la baisse de la fiscalité, faisant notamment valoir que le fruit de la taxe professionnelle profitait aux salariés via les services publics dont cette taxe permet le financement. Enfin, en écho aux propos de son collègue M. Jean-Pierre Bel, elle a regretté que de nombreux chercheurs formés en France soient débauchés outre-Atlantique, et déploré l'abrogation de la loi Hue sur le contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.

M. Jean-Paul Emin a jugé que le grand mérite de ce rapport était qu'il visait à gérer la situation plutôt qu'à la subir. Il a souscrit à la philosophie du capitalisme rhénan invoquée par le rapporteur et consistant à organiser le pays pour faire face aux contraintes économiques. Il a souhaité insister sur le mot « productivité » et donc sur les investissements nécessaires, qu'il convenait de ne pas pénaliser. A ce titre, il s'est félicité de la suspension de la taxe professionnelle en vigueur pour dix-huit mois. Il a ensuite fait observer que les technologies actuelles soulevaient une grande difficulté pour notre main d'oeuvre en rendant nécessaire un accroissement de sa qualification. Il a enfin déploré le manque de culture économique dans les administrations locales et d'Etat, affirmant qu'il était possible d'assurer le respect efficace des normes sans faire perdre un temps excessif aux entreprises.

M. Charles Revet , après avoir félicité le rapporteur et le président du groupe de travail, a jugé que la vraie question était celle de la fuite des cerveaux. Il a évoqué les aspects tant économiques qu'humains des délocalisations et insisté sur la nécessité de se préoccuper des hommes les moins qualifiés et les plus exposés. Il a rappelé le changement considérable qu'avait vécu la société française, auparavant en autarcie et aujourd'hui tournée à 50 % vers l'extérieur. Enfin, il a appelé de ses voeux une baisse des charges sociales, celles-ci ruinant selon lui la compétitivité pourtant élevée des produits français.

M. Jean-Paul Bailly est revenu sur le sujet de la TVA de compétitivité, qui permettrait de taxer plus les produits importés et d'alléger les charges. Evoquant les délocalisations affectant la région dont il est l'élu, il a déploré le départ des activités de lunetterie, de jouets, notamment de baby-foot, en raison de différences notoires de coûts de production, et a fait part de son grand pessimisme.

M. Max Marest a souhaité insister sur la nécessité de bien distinguer entre la concurrence représentée par les nouveaux pays de l'Union européenne et celle des pays asiatiques, qui sont les plus menaçants. Rappelant que le processus industriel se composait de trois niveaux - créatif, productif et commercial -, il a jugé fondamental pour notre pays de conserver les premier et troisième niveaux afin de garder la maîtrise du processus. Il a enfin jugé que les délocalisations intracommunautaires étaient bonnes dans la mesure où elles permettaient l'accroissement du niveau de vie des dix nouveaux pays membres de l'Union.

En réponse aux diverses interventions, M. Francis Grignon , rapporteur , a fait observer que le sérieux du travail mené apportait la preuve qu'il ne s'agissait pas de minimiser le problème des délocalisations, comme le redoutait M. Georges Gruillot, mais de le placer au bon endroit. Il a jugé que pour les produits arrivés à maturité, susceptibles d'être fabriqués par une main d'oeuvre percevant des salaires dix à vingt fois moins élevés et d'être transportés à des coûts très bas, ce n'était effectivement plus la peine de se battre pour en conserver la production mais qu'il convenait en revanche de garder l'amont et l'aval.

Après avoir pris acte de la contestation de Mme Marie-France Beaufils à l'égard des principes économiques invoqués, tout en relevant que leur mise en oeuvre depuis environ cent ans avait été source de progrès dans notre pays, il a assuré M. Jean-Paul Bailly du fait qu'il avait une conscience très aiguë de la réalité territoriale des délocalisations.

En réponse à M. Jean-Paul Emin, il a exprimé le sentiment que des progrès avaient été faits en matière de culture économique au sein de l'administration territoriale. Il a entièrement souscrit à l'objectif consistant à gérer plutôt qu'à subir la situation. Enfin, en réponse à l'intervention de M. Jean-Pierre Bel visant à porter une attention prioritaire à l'échelon européen, il a fait observer qu' a priori , il était plus aisé de maîtriser l'échelon français.

A des fins d'explication de vote, M. Jean-Pierre Bel a salué le travail du groupe sur un sujet aussi essentiel et annoncé que le groupe socialiste s'abstiendrait.

Enfin, la commission a adopté le rapport du groupe de travail, le groupe communiste républicain et citoyen s'y étant déclaré défavorable.

ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

1. Ministres

- Mme Nicole FONTAINE , Ministre déléguée à l'industrie auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, accompagnée de M. Christian BECHON , Directeur de cabinet, M. Benoît BATTISTELLI , Directeur-adjoint de cabinet, M. Noël HURET , Conseiller technique, et Mme Véronique CARANTOIS , Chargée des relations avec le Parlement ;

- M. Patrick DEVEDJIAN , Ministre délégué à l'industrie auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, accompagné de Mme Stéphanie VON EUW , Conseillère parlementaire ;

- M. François d' AUBERT , Ministre délégué à la recherche auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de MM. Bernard BACHELIER , Conseiller pour la recherche au service du développement durable, Laurent GERMAIN , Conseiller pour les affaires budgétaires, et François des PORTES , Conseiller chargé des relations avec le Parlement ( ( * )*).

2. Economistes

- M. Pierre CAHUC , Professeur à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne, professeur chargé de cours à l'Ecole Polytechnique, chercheur au Centre de recherche en économie et statistiques (CREST), et M. André ZYLBERBERG , Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), membre de l'Equipe universitaire de recherche en économie quantitative (EUREQua), Université de Paris I ;

- M. Elie COHEN , Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), membre du Conseil d'analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre ;

- M. Lionel FONTAGNÉ , Directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), professeur à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne, membre du CAE, et M. Sébastien JEAN , économiste senior au CEPII, rédacteur en chef de la revue Economie internationale ;

- M. Michel FOUQUIN , Directeur-adjoint du CEPII, administrateur délégué du Club du CEPII, et M. Pascal MORAND , Directeur général de l'Institut français de la mode (IFM), professeur à l'Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) ;

- M. Pierre-Noël GIRAUD , Directeur du Centre de recherche en économie industrielle (CERNA) de l'École nationale supérieure des mines de Paris ;

- M. Bernard MARIS , Professeur à l'Université Paris VIII Vincennes - Saint Denis, chroniqueur à Charlie Hebdo ( ( * )*) ;

- M. El Mouhoub MOUHOUD , Professeur à l'Université Paris XIII Paris Nord, directeur du Centre d'économie de l'université de Paris-Nord (CEPEN), Expert auprès du collectif ATTAC ;

- M. Claude POTTIER , Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), membre de l'équipe FORUM, Université Paris X Nanterre ;

- Mme Frédérique SACHWALD , Responsable des études économiques de l'Institut français des relations internationales (IFRI).

3. Chefs d'entreprises et représentants de fédérations professionnelles

- M. Jérôme BEDIER , Président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), accompagné de Mme Géraldine POIVERT , Conseiller pour les relations institutionnelles et le développement durable de la FCD ;

- M. Jean-Louis BEFFA , Président-directeur général de la Compagnie de Saint-Gobain ;

- M. Olivier CALEMARD , Directeur général d'Alcatel-CIT, accompagné de M. Jean-François PRADILLON , Directeur des exportations et des douanes d'Alcatel-CIT ;

- M. Patrice CHASTAGNER , Président-directeur général de STMicroelectronics France, et M. Alain DUTHEIL , Vice-président corporate de STMicroelectronics, chargé de la planification stratégique et des ressources humaines ;

- M. Daniel DEWAWRIN , Président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), Président du Groupe des fédérations industrielles (GFI) ;

- M. Guy DOLLÉ , Président de la direction générale d'ARCELOR, Président de la Fédération française de l'acier, accompagné de M. Daniel SOURY-LAVERGNE, Délégué général d'ARCELOR France, et de M. Rémi BOYER , Executive Secretary d'ARCELOR ;

- M. Jean-Martin FOLZ , Président-directeur général de PSA Peugeot Citroën, accompagné de M. Hervé PICHON , Délégué de PSA pour les relations avec les parlements français et européen ;

- M. Jean-Pierre GRILLON , Vice-président de l'Union des Industries textiles (UIT), accompagné de M. Thierry NOBLOT , Délégué général ;

- M. Yvon JACOB , Président du conseil de surveillance du groupe Legris-Industries, Président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), vice-président trésorier du Groupe des fédérations industrielles (GFI), accompagné de M. Jean-Pierre GONDRAN , Secrétaire général du GFI ;

- M. Daniel PASQUIER , Président du Comité de liaison des industries de main d'oeuvre (CLIMO), accompagné de M. Philippe-Jean LECAS , Délégué général de l'Union française des industries de l'habillement (UFIH) ;

- M. Bernard RIVIÈRE , Président de l'Union des industries chimiques (UIC) ;

- M. Jacques RUSSEIL , Président de la Confédération des industries céramiques de France ;

- M. Claude TÉTARD , Président de sociétés, Président de l'Union française des industries de l'habillement (UFIH), accompagné de M. Philippe-Jean LECAS , Délégué général de l'UFIH.

4. Représentants syndicaux

- MM. Marc DELUZET et Emmanuel MERMET , Secrétaires confédéraux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), accompagnés de M. Jean-Claude HAZOUARD , Secrétaire de la Fédération Habillement, cuir et textile (HACUITEX) ;

- M. Jacky DINTINGER , Secrétaire général de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), accompagné de M. Philippe ARONDEL , Conseiller technique ;

- M. Michel LAMY , Secrétaire national du département Economie-Etudes de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ;

- M. Nasser MANSOURI , Responsable des activités économiques de la Confédération générale du travail (CGT) ;

- Mme Marie-Suzie PUNGIER , Secrétaire confédérale chargée du secteur économique de Force ouvrière (FO), accompagnée de M. Hervé PERRIER , Responsable de la Fédération FO de la métallurgie, et M. Francis VAN DE ROSIEREN , Secrétaire général de la Fédération FO des textiles.

5. Représentants des pouvoirs publics

- Mme Clara GAYMARD , Ambassadrice déléguée aux investissements internationaux et Présidente de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) ( ( * )*) ;

- M. Nicolas JACQUET , Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), accompagné de M. Daniel DARMON , Conseiller auprès du Délégué ;

- M. Jean-Pierre AUBERT , Chef de la mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME), ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, accompagné de M. Jean-Pierre SEKELY , chargé de mission à la MIME ;

- M. Jean-Pierre FALQUE-PIERROTIN , Directeur général de la direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes (DIGITIP), ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- Mme Annie FOUQUET, Directrice de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, accompagnée de M. Frédéric LERAIS , chargé de mission à la DARES ;

- Mme Claudine PERETTI , Directrice de la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) au ministère de l'éducation nationale, et M. Claude SEIBEL , Président du Groupe de prospective des métiers et qualifications du Commissariat général du plan ;

- M. Dominique BARJOT , Directeur à la mission scientifique technique et pédagogique, ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies, Professeur à l'Université de Paris IV Sorbonne ;

- M. Bernard YVETOT , Directeur de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) ;

- M. Pierre RALLE , Directeur du Centre d'études de l'emploi ;

- M. Jean-Louis LEVET , Chef du service des entreprises et du développement des activités économiques du Commissariat général du plan ;

- Mme Sylviane SÉCHAUD , Chef de la mission « politiques de formation » à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, et M. Bruno DUPUIS , Chef de la mission « interventions sectorielles » à la DGEFP ;

- M. Yann LEPAPE , Economiste régional, Direction des relation économiques extérieures (DREE), ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

6. Personnalités diverses

- M. Jean ARTHUIS , ancien Ministre, Sénateur de la Mayenne, Président de la commission des finances, Président du conseil général ;

- M. Christian BLANC , Député des Yvelines, auteur d'un rapport au Premier ministre sur les pôles de compétitivité ( ( * )*) ;

- M. Pierre CAILLETEAU , Directeur des risques pays au Crédit Agricole Indosuez ;

- M. Jean-Daniel LEROY , Directeur du bureau de correspondance en France du Bureau international du travail (BIT) ;

- M. Maurice LIGOT , ancien Ministre, Député honoraire ;

- M. Mario MONTI , Commissaire européen chargé de la concurrence, accompagné de Mme Elisabetta OLIVI , conseiller (*) ;

- M. Laurent PETIZON , Vice-Président du cabinet de conseil ATKearney, et M. Olivier DELRIEU , Directeur ;

- Mme Anita ROZENHOLC , Experte en société de la connaissance, et M. Bruno LEMAIRE , Professeur au groupe des Hautes études commerciales (HEC) ;

- M. Michel TESTARD , Consultant en management, Trinity Partnership.

ANNEXE 2 - PERSONNALITÉS RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS EN PROVINCE

I. DÉPLACEMENT DANS LE MAINE-ET-LOIRE - 14 AVRIL 2004

A. Représentants de l'Etat

- M. Michel CADOT , Préfet de Maine-et-Loire ;

- M. François LOBIT , Sous-préfet de Cholet ;

- M. Jean-Loup BENETON , Trésorier Payeur Général de Maine-et-Loire ;

- M. Patrice VIGNON , Directeur de l'animation interministérielle à la préfecture de Maine-et-Loire ;

- M. Daniel ESNAULT , Directeur-adjoint à la Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Maine-et-Loire ;

- M. Marc VOISINNE , Chef du bureau de l'économie et de l'emploi à la préfecture de Maine-et-Loire ;

- M. Olivier AUGUIN , Chef de projet pour le contrat de site d'Angers ;

- M. Pierre EMERIAU , Responsable de la plate-forme de reconversion professionnelle de Cholet ;

- M. Gérard BUJEAU , Directeur de l'AFPA de Cholet.

B. Sénateur honoraire et élus locaux

- M. Jean HUCHON , Sénateur honoraire ;

- M. Jean-Louis BELOUARD , Vice-président du Syndicat mixte des Mauges ;

- M. Jacques HY , Président du Comité d'Expansion des Mauges ;

- M. Didier SOULARD , Vice-président de la Communauté d'Agglomération du Choletais.

C. Représentants des administrations territoriales

- M. Philippe MUSSET , Directeur du Comité d'expansion économique de Maine-et-Loire ;

- M. Frédéric TROISPOILS , Directeur du Syndicat Mixte des Mauges ;

- M. Pascal COATRIEUX , Comité d'expansion des Mauges.

D. Présidents de chambres consulaires

- MM. Joël BLANDIN , Président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Angers, et Daniel LOISEAU , Directeur ;

- MM. Jean-Louis CLOCHARD , Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Cholet, et Yannick LEFEUVRE , Directeur.

E. Industriels

- M. Michel BAUDRY , Président directeur général de la société PACT-EUROPACT ;

- MM. Xavier BIOTTEAU , Président directeur général de la société ERAM, Jean-Louis LACROIX , Délégué général, et Michel PAUVERT , Directeur ;

- M. Christian CUNAUD , Président directeur général Groupe Salmon Arc en Ciel ;

- M. Pierre HUMEAU , Président directeur général de BOPY Chaussures ;

- M. Joseph MOREAU , Président directeur général de GETEX SA.

F. Divers

- Mme Roselyne DURAND , Consultante de la SODIE ;

- M. Henri de L'ESPINAY , Délégué général de Ouest Mode Industrie.

II. DÉPLACEMENT À STRASBOURG - 28 AVRIL 2004

A. Représentants de l'Etat

- M. Michel THENAULT , Préfet de la Région Alsace, Préfet du Bas-Rhin ;

- M. Jean-Pierre BALLOUX , Sous-préfet de Thann, représentant le Préfet du Haut-Rhin ;

- M. Dominique ABRAHAM , Trésorier payeur-général ;

- M. Michel LAFON , Secrétaire général de la Préfecture du Bas-Rhin ;

- M. Alain VETTERHOEFFER , Directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ;

- M. Alain LIGER , Directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, et Mme Mélanie DELOTS , chargée de mission DRIRE-SGARE ;

- M. Jean-François DATHIE , Directeur régional du commerce extérieur ;

- M. Daniel FIEROBE , Directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Bas-Rhin ;

- M. Jean-Luc BOHRER , Directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Haut-Rhin ;

- MM. Hervé BRULE , Secrétaire régional-adjoint aux affaires régionales et européennes, et Jean-Patrick JOUHAUD , service de études du SGARE.

B. Elus locaux

- M. Philippe RICHERT , Sénateur du Bas-Rhin, Président du Conseil général ;

- M. Laurent SPIERO , Vice-président de la Communauté urbaine de Strasbourg.

C. Représentants des administrations territoriales

- M. Roger MAUBERT , Directeur général des services du département du Bas-Rhin ;

- M. Philippe THOUVIOT , Directeur de l'animation du territoire et du développement économique du département du Bas-Rhin ;

- M. Christian SCHWARTZ , Directeur des Affaires transfrontalières, européennes et internationales du département du Bas-Rhin ;

- M. André KLEIN , Directeur général de l'Agence de développement de l'Alsace ;

- M. Bernard HIGEL , Directeur de l'Association de développement du Bas-Rhin (ADIRA).

D. Industriels

- M. Jean-Claude AUDET , Directeur général de BEIDEACOD ;

- M. Michel CARTER , Directeur général de SOCOMEC ;

- M. Jean-François EVELLIN , Président-directeur général de THEALEC SA ;

- M. Michel MUNZENHUTER , Directeur industriel de USOCOME ;

- M. Marc SCHIFF , Président-directeur général de General Motors - Strasbourg.

E. Divers

- M. Alain VAUTRAVERS , Directeur régional de la Banque de France ;

- M. Jean-Marie SANDER , Président du Conseil économique et social d'Alsace ;

- M. Richard BURGSTAHLER, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin ;

- Mme Alice DE TURCKHEIM , Attachée parlementaire du Président du Conseil général du Bas-Rhin.

F. Journalistes

- Mme Yolande BALDEWECK , Journal l'Alsace ;

- M. Antoine LATHAM , Dernières nouvelles d'Alsace.

III. DÉPLACEMENT DANS LA DRÔME - 5 MAI 2004

A. Représentants de l'Etat

- M. Christian DECHARRIERE , Préfet de la Drôme ;

- M. Yves HUSSON , Secrétaire général de la Préfecture de la Drôme ;

- Mme Marie-France RAVIER , Trésorier payeur général de la Drôme ;

- M. Joël BILLIOT , Directeur départemental des services fiscaux de la Drôme ;

- Mme Annick TATON , Directrice départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de la Drôme ;

- M. Georges BOURGET , Directeur adjoint à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de la Drôme.

B. Elus locaux

- M. Didier GUILLAUME , Président du Conseil général ;

- M. Gabriel BIANCHERI , Député de la Drôme, conseiller général.

C. Industriels de la chaussure et du cuir

- M. Daniel BAGAULT , Président de Stéphane Kélian ;

- MM. Gérald MAZZALOVO , Président-directeur général de Clergerie, et Emilio MARTIN , directeur financier et administratif ;

- MM. Michel de TAPOL , Président de Charles Jourdan, et Christophe BERANGER , Directeur général ;

- M. Jean-Claude RICOMARD , Président directeur général des Tanneries Roux.

D. Représentants patronaux

- M. Jean-Marie BUSSEUIL , Président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Drôme ;

- MM. Daniel COURBIS , Président de CILEC, et Philippe CHATAIN , CILEC/SICDA ;

- M. Gérald FOURNEL , Président de la CGPME Drôme ;

- M. Bernard GERVY , Président du MEDEF Drôme ;

- M. François PRUDHOMME , Président de l'UIMM Drôme et Ardèche.

E. Divers

- M. Jacques LAFAGE , Directeur de l'URSSAF ;

- M. Pierre SALOU , Directeur de la Banque de France.

F. Journalistes

- Mme Marie-Noëlle CACHERAT , Dauphiné Libéré ;

- Mme Marie-Cécile LAPILLONNE , Radio R.C. ;

- M. Florent CHABOUD , L'Echo Le Valentinois ;

- M. Patrick-Michel VERCESI , Les Echos.

ANNEXE 3 - PERSONNALITÉS RENCONTRÉES LORS DU DÉPLACEMENT À BRUXELLES -12 MAI 2004

Commissaires européens

- M. Jacques BARROT , Commissaire chargé de la politique régionale ;

- M. Ronald HALL , Chef de cabinet.

- M. Pascal LAMY , Commissaire chargé du commerce ;

- Mme Emmanuelle CONESA , stagiaire ENA.

Représentation permanente de la France

- M. Pierre SELLAL , Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne ;

- M. Pierre FONTAINE , Conseiller pour l'industrie ;

- M. Bernard KRYNEN , Conseiller pour l'emploi et la politique sociale ;

- M. Gilles PÉLURSON , Conseiller pour la politique régionale et l'aménagement du territoire ;

- M. Cyrille PIERRE , Conseiller pour les questions commerciales ;

- M. Jean-Paul LEMÉE , Conseiller pour la fiscalité ;

- Mme Brigitte GEFFROY , stagiaire ENA.

Commission européenne

- M. Jean-Paul MINGASSON , Directeur général de la DG « Entreprises » ;

- Mme Emmanuelle MAINCENT , Conseiller.

- M. Robert VERRUE , Directeur général de la DG « Fiscalité et Union douanière ».

ANNEXE 4 - QUESTIONNAIRE AUX RÉGIONS

1. Fournir les statistiques les plus récentes sur l'économie régionale : population, population active globale et par secteur, PIB régional global et par secteur, etc... Le cas échéant, donner les statistiques régionales globales sur les délocalisations d'activités industrielles.

2. Fournir des indications sur les entreprises et établissements régionaux ayant fermé ou réduit leur activité depuis 2000 pour cause de délocalisation : raison sociale, secteur d'activité, chiffre d'affaires, nombre de salariés, activités délocalisées, pays d'accueil, etc.

3. Préciser, pour chaque entité concernée, les causes de la délocalisation : manque de profitabilité, surcapacités, concentration d'entreprise, compétitivité locale, obsolescence technologique, coût et disponibilité de la main d'oeuvre, fiscalité, etc.

4. Indiquer les conséquences de ces situations, notamment en termes d'emplois directs et induits, sur les bassins d'emplois concernés et sur les éventuels sous-traitants locaux.

5. Fournir des indications sur les entreprises établies dans la région ayant ouvert ou agrandi un ou des établissements à l'étranger, ou ayant acquis une entreprise à l'étranger.

6. Fournir des indications sur les entreprises ayant relocalisé des capacités de production dans la région ou en France après avoir délocalisé, ou ayant investi dans des activités de main d'oeuvre dans la région ou en France.

7. Préciser quelles stratégies ont été isolément ou conjointement initiées par les pouvoirs publics locaux pour tenter d'éviter ces délocalisations, puis pour les accompagner et restructurer les bassins d'emplois concernés : mesures mises en oeuvre, partenariats, appels aux fonds d'Etat et européens, participations des collectivités territoriales, etc. Indiquer quels ont été les résultats en termes d'activité et d'emploi.

8. Au plan global, existe-t-il une cellule relevant du conseil régional chargée d'anticiper les problèmes de délocalisation d'entreprises ? Si oui, quels sont ses moyens et la nature de son activité ?

Réponse souhaitée en 20 à 30 pages maximum (+ tableaux statistiques et schémas).

ANNEXE 5 - QUESTIONNAIRE AUX MISSIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES

1. Les délocalisations, industrielles ou d'activités de services, font-elles l'objet d'un débat politique national ? Au-delà de ce débat, quelle est leur réalité économique : bref historique, secteurs d'activité concernés, causes identifiées, conséquences en termes d'emplois directs et induits, pays d'accueil, etc. ?

2. Les pouvoirs publics nationaux et régionaux ont-ils mis en place des stratégies et des outils destinés à lutter contre les délocalisations : fiscalité, réduction des normes sociales et/ou environnementales, mesures protectionnistes explicites ou implicites, aides aux entreprises (notamment les PME) pour renforcer certaines filières, développer l'innovation, accroître la qualification de la main d'oeuvre, etc. ?

3. Les pouvoirs publics nationaux et régionaux ont-ils mis en place des stratégies et des outils destinés à accompagner les délocalisations : agences nationales ou locales pour les restructurations industrielles dans les secteurs et/ou les bassins d'emplois concernés, formation et reclassement de la main d'oeuvre affectée par les délocalisations, soutien, éventuellement conditionnel, aux investissements directs à l'étranger, notamment des PME, etc. ?

4. Existe-t-il des exemples de « relocalisations » d'activités précédemment délocalisées, et quelles en sont les causes ?

Réponse souhaitée en 15 à 20 pages maximum (+ tableaux statistiques et schémas).

ANNEXE 6 - BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages et rapports parlementaires

L'incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service - Groupe de travail de la commission des finances du Sénat présidé par Jean Arthuis , rapporteur général - Rapport d'information du Sénat n° 337 (1992-1993) - 1993.

Le commerce extérieur français créateur ou destructeur d'emplois ? - Claude Vimont - Economica - 1993.

L'inégalité du Monde. Economie du monde contemporain - Pierre-Noël Giraud -Gallimard - 1996.

La concurrence fiscale en Europe : une contribution au débat - Philippe Marini , rapporteur général - Rapport d'information du Sénat n° 483 (1998-1999) - 1999.

La Mondialisation - Maurice Allais - Editions Clément Juglar - 1999.

Politiques industrielles pour l'Europe - Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi -Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 26 - La Documentation française - 2000.

Mondialisation : réagir ou subir ? La France face à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises - Mission commune d'information du Sénat présidée par Denis Badré - André Ferrand , rapporteur - Rapport d'information du Sénat n° 386 (2000-2001) - 2001.

Les multinationales et la mise en concurrence des salariés - Claude Pottier -L'Harmattan - 2003.

Compétitivité - Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné - Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 40 - La Documentation française - 2003.

Les réformes fiscales intervenues dans les pays européens au cours des années 1990 - Joël Bourdin et Philippe Marini - Rapport d'information du Sénat n° 343 (2002-2003), au nom de la Délégation pour la planification - 2003.

Notre première mondialisation : leçons d'un échec oublié - Suzanne Berger -La République des Idées - Le Seuil - 2003.

Cancùn : un nouveau départ pour l'OMC ? - Groupe de travail du Sénat chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales au sein de l'Organisation mondiale du commerce - Jean Bizet , Michel Bécot et Daniel Soulage - Rapport d'information du Sénat n° 2 (2003-2004) - 2003.

Compétitivité et vieillissement - Groupe de travail présidé par Claude Vimont -Institut Montaigne - 2003.

Education et croissance - Philippe Aghion et Elie Cohen - Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 46 - La Documentation française - 2004.

Les pratiques de la mondialisation : vingt études de cas - Gérard Thoris -Institut de l'entreprise - 2004.

Mondialisation : une chance pour l'environnement ? - Serge Lepeltier - Rapport d'information du Sénat n° 233 (2003-2004) au nom de la Délégation pour la planification - 2003.

La mondialisation et ses ennemis - Daniel Cohen - Grasset - 2004.

La grande perturbation - Zaki Laïdi - Flammarion - 2004.

La France face à la mondialisation - Anton Brender - La Découverte - 2004.

Mondialisation et recomposition du capital des entreprises européennes - Commissariat général du Plan - La Documentation française - 2004.

Le chômage, fatalité ou nécessité ? - Pierre Cahuc et André Zylberberg -Flammarion - 2004.

L'économie industrielle en évolution. Les faits face aux théories - Jean-Louis Levet - Economica - 2004.

La démocratie-monde - Pascal Lamy -La République des idées - Le Seuil -2004.

Laborgistique : nouvelle stratégie pour le management - Dominique Roux -Economica - 2004.

Productivité et croissance - Patrick Artus et Gilbert Cette - Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 48 - La Documentation française - 2004.

La désindustrialisation du territoire : mythe ou réalité ? - Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire - Max Roustan , député, rapporteur - Rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 1625 (XII ème législature) - 2004.

Productivité et emploi dans le tertiaire - Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil - Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 49 - La Documentation française - 2004.

Rapports et études

Le rapport Devedjian censuré par l'Assemblée nationale - Le Point n° 1.101 - 23 octobre 1993 (Publication intégrale du rapport de la mission d'information sur l'organisation du libre-échange créée par la commission des finances de l'Assemblée nationale) .

Le marché du travail britannique vu de France - La Lettre du CEPII n° 167 - Centre d'études prospectives et d'informations internationales - Michel Fouquin , Sébastien Jean et Aude Sztulman - Avril 1998.

Syndrome, miracle, modèle polder et autres spécificités néerlandaises : quels enseignements pour l'emploi en France ? - Les documents de travail du CEPII - Sébastien Jean - Juillet 2000.

Les investissements directs à l'étranger et l'emploi en France - Economie & Prévision n° 152-153 - Vincent Aussilloux et Marie-Laure Cheval - 2002.

Mutations industrielles - Rapport au Premier ministre - Jean-Pierre Aubert , chef de la Mission interministérielle aux mutations économiques (MIME), ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Octobre 2002.

Avenir des métiers - Rapport du groupe présidé par Claude Seibel - Commissariat général du plan - Décembre 2002.

2005 : le choc démographique, défi pour les professions, les branches et les territoires - Rapport du groupe présidé par Michel Amar - Commissariat général du plan - Décembre 2002.

Compétitivité de la France - Dossier de Regards sur l'actualité n° 292 - Juin 2003.

Une industrie d'avance - Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie -Juin 2003.

Une ambition industrielle pour la France. 40 propositions pour répondre aux enjeux actuels et futurs de l'industrie - Groupe des fédérations industrielles (GFI) du MEDEF - 2003.

Investissements directs étrangers : nouveau recul des IDE - CNUCED - in Problèmes économiques n° 2.825 - 1 er octobre 2003.

L'industrie française en 2002-2003 - Commission permanente de concertation pour l'industrie (CPCI) - Octobre 2003.

Quels impacts des délocalisations sur les conditions sociales dans l'Union européenne élargie ? - Sébastien Dupuch - Centre d'économie de l'université de Paris-Nord XIII, pour le compte du Secteur économique de la Confédération CGT-FO, dans le cadre d'une convention conclue avec l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES) - Octobre-novembre 2003.

L'industrie dans les régions - édition 2003-2004 - Les Editions de l'Industrie - Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - Décembre 2003.

Tableau de bord de l'attractivité française - Agence pour les investissements internationaux (AFII) - Décembre 2003.

Dispositif de pilotage et de valorisation de la politique d'attractivité - Séminaire gouvernemental sur l'attractivité de la France du 11 décembre 2003.

50 grands projets pour une France attractive dans une Europe dynamique - Les grands projets d'aménagement du territoire du Comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003.

Recherche industrielle et innovation : l'ardente obligation - Réalités industrielles - Coordination : Grégoire Postel-Vinay, chef de l'Observatoire des stratégies industrielles, direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des poste (DIGITIP), ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - Décembre 2003.

Les échanges au sein des groupes industriels internationaux. Un levier pour leur stratégie industrielle - Boris Guannel et Claire Plateau - Le 4 Pages des statistiques industrielles n° 186 - SESSI - DIGITIP - Janvier 2004.

Un salarié sur deux d'un grand établissement travaille encore dans l'industrie - Cyrille Van Puymbroeck - INSEE Première in Problèmes économiques n° 2.840 -21 janvier 2004.

Le manque de flexibilité sur le marché du travail handicape-t-il l'économie européenne ? - Raymond Van der Putten et Eric Vergnaud - Conjoncture BNP Paribas in Problèmes économiques n° 2.840 - 21 janvier 2004.

Productivité : analyses et comparaisons internationales - Numéro spécial - Bulletin de la Banque de France n° 121 - Janvier 2004.

Vers des identités européennes d'entreprises - L'Option de Confrontations Europe n° 19 - Coordination : Pierre-David Labani, chargé de mission à Confrontations Europe - Janvier 2004.

Les répercussions sur la main d'oeuvre de l'adhésion à l'Union européenne - Philippe Egger - Revue internationale du travail in Problèmes économiques n° 2.841 - 28 janvier 2004.

Une mondialisation juste - Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation - Organisation internationale du travail (OIT) - Février 2004.

Les transferts interrégionaux d'établissements. Forte progression entre 1996 et 2001 - Nadine Jourdan - INSEE Première n° 949 - Février 2004.

Choix concurrentiels : guide à l'intention des PDG sur les coûts des entreprises à l'échelle internationale - KPMG - Février 2004.

La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires. Réseaux d'entreprises. Vallées technologiques. Pôles de compétitivité -Etude prospective de la DATAR - Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale - Février 2004.

Marché mondial : positions acquises et performances - La Lettre du CEPII n° 231 - Angela Cheptea et Guillaume Gaulier - Février 2004.

Les résultats 2003 du commerce extérieur de la France - in Les Notes Bleues de Bercy n° 266 - du 16 au 29 février 2004.

Les défaillances d'entreprises en 2003 - in Le Bulletin économique n° 1084 d'Euler Hermes SFAC - Février 2004.

Investissements étrangers et inégalités salariales - Bertrand Maximin - Mondes en développement in Problèmes économiques n° 2.845 - 25 février 2004.

Chine : un nouveau géant économique ? - Dossier proposé par Problèmes économiques n° 2.846 - 3 mars 2004.

Les dispositifs de promotion de l'investissement dans le monde - Fabrice Hatem , AFII et DREE - in Les Notes Bleues de Bercy n° 267 - 1 er -15 mars 2004.

L'attractivité : concept, mesure et implications - Numéro spécial - Bulletin de la Banque de France n° 123 - Mars 2004.

Peut-on éliminer le chômage en Europe ? - Olivier Blanchard - Revue française d'économie volume XVIII, fascicule 4 - Avril 2004.

Les entreprises du tertiaire externalisent aussi leurs services - Nathalie Cloarec et Pascale Chevalier - INSEE Première n° 952 - Avril 2004.

Enquête sur l'emploi 2003 - Jean-François Bigot - INSEE Première n° 958 - Avril 2004.

Pour un écosystème de la croissance - Christian Blanc - Rapport au Premier ministre - Avril 2004.

Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous - Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation - Bureau international du travail - Avril 2004.

La sous-traitance réalisée par les petites entreprises industrielles - Philippe Brion et Jocelyne Mauguin - INSEE Première n° 964 - Mai 2004.

L'introuvable réforme fiscale - Henri Sterdyniak - La Lettre de l'OFCE n° 249 -4 mai 2004.

Les entreprises françaises dans la zone Elargissement - Christophe Viprey , avec la contribution de Yann Lepape - in Les Notes Bleues de Bercy n° 270 - 6 mai 2004.

Industrialisation : la destruction créatrice - Michel Drancourt - in Futuribles n° 297 - Mai 2004.

La désindustrialisation de l'Île-de-France ? - Diane Berthet et Michel Ternisien - in Futuribles n° 297 - Mai 2004.

Peut-on éliminer le chômage en Europe ? - Olivier Blanchard - in Revue française d'économie n° 4/volume XVIII - Mai 2004.

Y a-t-il une alternative au libre-échange ? - Dossier Commerce international -Alternatives économiques n° 225 - Mai 2004.

Les échanges de la France avec l'extérieur en 2003. Dégradation des soldes extérieurs - Claudie Louvot - INSEE Première n° 969 - Mai 2004.

A.T. Kearney's 2004 Offshore location Attractiveness Index. Making Offshore Décisions - ATKearney - Mai 2004.

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Le déclin de notre industrie : une idée qui monte, qui monte - Challenges n° 210 -23 octobre 2003.

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Ces entreprises françaises championnes du monde - L'Expansion n° 681 -Décembre 2003.

Désindustrialisation : faut-il avoir peur ? - Alternatives économiques n° 220 -Décembre 2003.

Délocalisations : dans les coulisses des pays de l'Est - L'Usine nouvelle n° 2897 -11 décembre 2003.

Les Etats-Unis en voie de désindustrialisation ? - Jean-Michel Boussemart - in REXECODE n° 81-82 - 4 ème trimestre 2003/1 er trimestre 2004.

Délocalisations : où partent nos emplois ? - Capital n° 148 - Janvier 2004.

France-Allemagne : les différences ne viennent pas des évolutions macroéconomiques - Patrick Artus , Laure Maillard et Guilhem Savry -CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 19 - 19 janvier 2004.

Stratégies industrielles. Eléments de problématique générale - Nouvelles CFDT. Document - Confédération française démocratique du travail - Février 2004.

« Notre projet pour le CNRS » - Gérard Mégie et Bernard Larrouturou - 1 er mars 2004.

La prévision publique du futur a-t-elle encore un avenir ? - in Enjeux n° 200 -Mars 2004.

Menaces sur la chimie française - in L'Usine nouvelle n° 2907 - 4 mars 2004.

Inde, challenger officiel de la Chine - in Challenges n° 219 - 4 mars 2004.

La nécessité de renforcer l'éducation supérieure et la recherche en Europe - Patrick Artus - CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 78 - 10 mars 2004.

Commerce extérieur 2003 : vers le rebond ? - Christine Gilguy - in Le Moniteur du commerce international (MOCI) n° 1641 - 11-17 mars 2004.

Du NERF ! Donner un Nouvel Essor à la Recherche Française - François Jacob , Philippe Kourilsky , Jean-Marie Lehn et Pierre-Louis Lions - Mars 2004.

Quand l'Amérique dégaine l'arme dollar - in Challenges n° 220 -18 mars 2004.

Intelligence économique : les autorités ont décidé de mobiliser le pays - Odile Cornet - in Le MOCI n° 1642 - 18-24 mars 2004.

Comment réagir à la désindustrialisation ? - Patrick Artus - CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 89 - 19 mars 2004.

La grande peur des bas salaires asiatiques - Libération - 25 mars 2004.

Europe : recherche et PME - in Industries n° 94 - Mars 2004.

Régionales : le chômage au coeur du vote - in Les Echos - 26/27 mars 2004.

Dans la France industrielle à l'heure de la mondialisation - Série de cinq articles de Libération - du 29 mars au 2 avril 2004.

Délocalisation : l'Amérique au miroir allemand - Point de vue de Michael Heise - in Les Echos - 29 mars 2004.

Avec l'élargissement, les délocalisations vers l'Est se multiplient - in Le Monde -28/29 mars 2004.

Intelligence économique : vers l'Etat stratège - in Le Bulletin de l'Ilec n° 351 -Mars 2004.

Mutations économiques : comment coordonner les initiatives ? - Jean-Pierre Aubert - in Inter Régions n° 253 - Mars-avril 2004.

Ralentir les délocalisations et recréer des emplois - Régis Lafay - in Comité Pauvreté et Politique n° 21 - Mars 2004.

Comment les politiques publiques peuvent-elles aider les entreprises européennes ? - Patrick Artus - CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 117 - 7 avril 2004.

Le « déclin » des Etats-Unis dans les années 70-80 et le « déclin » de la Zone Euro depuis le début des années 90 : quelles similitudes et quelles pistes ? - Patrick Artus - CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 118 - 13 avril 2004.

La détention du capital des entreprises françaises du CAC 40 par les non-résidents de 1997 à 2002 - Jean-Guillaume Poulain - Bulletin de la Banque de France n° 124 - Avril 2004.

Réindustrialiser l'Europe - Point de vue de Laurent Fabius - in Les Echos -16/17 avril 2004.

Mondialisation et équité dans les pays avancés sont-elles compatibles ? - Patrick Artus - CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 126 - 20 avril 2004.

Délocalisations : une « destruction créatrice » ? - Frédérique Sachwald - in Sociétal n° 44 - Avril 2004.

La « TVA sociale » : le débat interdit - Chronique de Henri Guaino - in Les Echos -27 avril 2004.

Peut-on sauver l'emploi en Europe sans régression sociale ? - Patrick Artus -CDC Ixis Capital Markets - Flash n° 140 - 4 mai 2004.

Emploi : les métiers d'avenir et ceux qui quittent la France - L'Expansion n° 686 -Mai 2004.

Centenaire de l'Entente cordiale : les accords franco-britanniques de 1904 - Comité pour l'histoire économique et financière de la France - in Les Notes Bleues de Bercy n° 270 - 6 mai 2004.

Quand la Chine high-tech s'éveille - Enjeux n° 202 - Mai 2004.

La Chine vise le meilleur de l'industrie - L'Usine nouvelle n° 2916 - 6 mai 2004.

Les mutations industrielles - Réalités industrielles n° 22 - Annales des Mines -Mai 2004.

Choisir les « préférences collectives » - Zaki Laïdi - in Libération - 11 mai 2004.

L'intelligence économique - Dossier international de La Tribune - 17 mai 2004.

Délocalisations : tendance et coûts cachés - Laurent Petizon et Olivier Delrieu - in La Tribune - 18 mai 2004.

Délocaliser pour respirer - Philippe Martin - in Libération - 31 mai 2004.

Réforme de la santé et délocalisations : un lien révolutionnaire - Point de vue de Christian Saint-Etienne - in Les Echos - 1 er juin 2004.

Pour en finir avec l'attractivité - Henri Guaino - in Les Echos - 1 er juin 2004.

La désindustrialisation de la France, une fatalité ? - Série de trois articles de La Tribune - 1 er au 3 juin 2004.

Les leviers de la croissance - Philippe Jurgensen , Gilles Mougenot , Philippe Pouletty et Christian Poyau - in Le Monde - 3 juin 2004.

Délocalisations : le grand défi - Dossier spécial - Les Echos - 9 juin 2004.

* (1) L'incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service - Groupe de travail de la commission des finances du Sénat présidé par M. Jean Arthuis, rapporteur général - Rapport d'information du Sénat n° 337 (1992-1993) - 1993.

* (2) La désindustrialisation du territoire : mythe ou réalité ? - Rapport d'information n° 1625 (XIIème législature) fait par M. Max Roustan, député - Mai 2004.

* (3) La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires. Réseaux d'entreprises. Vallées technologiques. Pôles de compétitivité - Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale - Février 2004.

* (4) Cycle de huit sessions mensuelles organisé par le Club du CEPII entre septembre 2003 et mars 2004.

* (5) Proposition de loi n° 295 (2003-2004) tendant à instaurer des mesures d'urgence pour lutter contre les délocalisations - 11 mai 2004.

* (6) Proposition de résolution n° 284 (2003-2004).

* (7) La Tribune - Mardi 11 mai 2004 - p. 4.

* (8) Voir la liste des personnalités auditionnées en annexe 1, page 293.

* (9) Voir la liste des personnalités rencontrées en annexe 2, page 299.

* (10) Voir la liste des personnalités rencontrées en annexe 3, page 305.

* (11) Ce questionnaire figure en annexe 4, page 307.

* (12) Le questionnaire figure en annexe 5, page 309.

* (13) La bibliographie figure en annexe 6, page 311.

* (14) Pour un écosystème de la croissance - M. Christian Blanc - Rapport au Premier ministre - Avril 2004.

* (15) Quelques-uns soutiennent cependant cette thèse depuis longtemps, tels M. Pierre-Noël Giraud, directeur du Centre de recherche en économie industrielle (CERNA) de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris, ou, plus récemment, Pierre Cahuc, professeur à l'université de Paris-I, et Mme Michèle Debonneuil, chef du service économique du Commissariat général du Plan, co-auteurs d'un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) consacré aux services aux particuliers.

* (16) Le Péril jaune - Edmond Théry, directeur de l' Economiste européen - Editions Félix Juven - Paris - 1901.

* (17) Le Péril prochain - l'Europe et ses rivaux - La Revue des Deux Mondes - 1er avril 1896 ; Concurrence et Chômage - La Revue des Deux Mondes - 15 juillet 1897 ; Le Problème chinois - La Revue Politique et Parlementaire - 10 novembre 1900.

* (18) Interventions à la Chambre des députés du 7 février 1898 et du 8 décembre 1899.

* (19) Pour une analyse détaillée, voir Notre première mondialisation - Suzanne Berger - La République des Idées - Seuil - 2003.

* (20) Rapport d'information du Sénat n° 337 (1992-1993) - Op. cit.

* (21) Mondialisation : réagir ou subir ? La France face à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises - Mission d'information présidée par M. Denis Badré - Rapport d'information du Sénat n° 386 (2000-2001) - M. André Ferrand, rapporteur - 2001.

* (22) Voir Antimanuel d'économie - Bréal - 2003.

* (23) ASEAN : Association des nations du Sud-Est asiatique, créée dès août 1967 par cinq Etats de la région et constituée aujourd'hui de dix membres - Mercosur : Marché Commun du Cône Sud créé en mars 1991 par quatre Etats d'Amérique du Sud, constitué dans sa forme la plus élargie ( Mercosur + ) par huit membres - ALENA : Accord de Libre-Échange Nord-Américain conclu en janvier 1994 par les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.

* (24) Selon ce principe de recherche des meilleures conditions productives, les transferts d'entreprises à l'intérieur d'une même entité nationale ont en effet toujours existé sans pour autant être qualifiées de « délocalisations ». Elles continuent au demeurant à être très importantes - voir à cet égard Les transferts interrégionaux d'établissements. Forte progression entre 1996 et 2001 - Nadine Jourdan - INSEE Première n° 949 - Février 2004.

* (25) La théorie ricardienne de l'avantage comparatif permet ainsi d'expliquer pourquoi un pays ayant des coûts de production plus bas qu'un autre sur deux types de produits a tout de même intérêt à se spécialiser sur l'un pour l'exporter et abandonner la production de l'autre pour l'importer : la richesse globale de chaque partenaire est en effet plus élevée dans cette hypothèse que s'ils continuaient tous deux à produire en autarcie chacun les deux biens, ou que le premier « écrasait » le second en poussant jusqu'à son terme le jeu de la concurrence sur les deux produits.

* (26) In Le commerce extérieur français, créateur ou destructeur d'emplois ? - Economica - 1993.

* (27) Voir Délocalisations, emploi et inégalités - in S. Cordellier et B. Didiot, Dr. : « L'Etat du monde. Annuaire économique et géopolitique mondial » - Editions La Découverte - 1995.

* (28) Voir L'inégalité du Monde. Economie du monde contemporain - Gallimard - 1996, ainsi que « Les causes des inégalités croissantes dans les pays riches », in Etudes - Juin 2003.

* (29) Voir La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : l'évidence empirique -Clément Juglar - 1999.

* (30) Voir Laborgistique : nouvelle stratégie pour le management - Economica - 2004.

* (31) Rapport d'information du Sénat n° 337 (1992-1993) - Op. cit.

* (32) Voir « Globalisation économique et concurrence » , in Etudes internationales - Volume XXXIII/n°1 - Mars 2002.

* (33) Le chômage, fatalité ou nécessité ? - Flammarion - 2004.

* (34) La moitié de ces mouvement correspond à des fins de contrat à durée déterminée.

* (35) Cette concomitance théorique n'excluant évidemment pas des délais variables de quelques mois pour, en pratique, assurer la transition.

* (36) Terme auquel la Commission de terminologie et de néologie économique et financière propose de substituer le mot français d'« extériorisation ». Si cette traduction était accepté successivement par la Commission générale de terminologie , puis par l' Académie française , elle pourrait devenir d'emploi obligatoire pour les services de l'Etat, après publication au Journal officiel , avant la fin de l'année.

* (37) Voir Les transferts interrégionaux d'établissements - Op. cit. A titre d'illustration, STMicroelectronics a renoncé à son site purement industriel de Rennes tout en développant son site de Crolles, sur lequel cohabitent recherche et développent et production industrielle.

* (38) Les champs statistiques des données recensées par ces deux organismes ne se recouvrent pas, l'indicateur retenu par l'AFII, à savoir les engagements financiers associés aux investissements, étant globalement plus réduit.

* (39) Voir le rapport n° 1625 de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale - Op. cit .

* (40) Secteurs primaire (agriculture), secondaire (industrie), tertiaire (services).

* (41) C'est très exactement le cas que connaît la France : le poids relatif en valeur du secteur industriel dans le PIB national est passé de 29,1 % en 1980 à 19,8 % en 2002 parce que, à la fois, la croissance annuelle de sa valeur ajoutée en volume (+ 1,5 % entre 1980 et 1990, puis + 2,1 % entre 1990 et 2002) et celle de ses prix (respectivement + 4,9 % et - 0,1 %) ont toutes deux été plus faibles sur la période que celles autres secteurs de l'économie (soit + 2,5 % et + 1,9 % pour la valeur ajoutée, et + 6,0 % et + 1,6 % pour les prix).

* (42) Situation dans laquelle se trouve également la France : le poids relatif du secteur industriel dans la structure de l'emploi national est passé de 24,4 % en 1980 à 15,9 % en 2002 en raison d'une croissance annuelle de sa productivité (+ 3,2 % entre 1980 et 1990, puis + 3,4 % entre 1990 et 2002) bien supérieur à celle autres secteurs de l'économie (+ 2,2 % et + 1,2 %).

* (43) Il convient toutefois de souligner que la distinction entre industries et services est de plus en plus délicate à établir, notamment en raison du phénomène d'extériorisation des services en dehors des entreprises industrielles. Aujourd'hui, selon les informations fournies au groupe de travail par M. Jean-Paul Mingasson, Directeur général de la DG Entreprises à la Commission européenne, plus de la moitié des services prestés dans l'Union européenne sont destinés aux entreprises.

* (44) Voir « Les migrations de la recherche » - Frédérique Sachwald - in Sociétal n° 42, 4 ème trimestre 2003.

* (45) Ibid .

* (46) Source : questionnaire aux missions économiques et financières.

* (47) « Les IDE japonais et la désindustrialisation » - RIETI - 2001.

* (48) « A Nation of Poets and Thinkers - Less so with Eastern Enlargement ? Autria and Germany » -Pr. Dalia Marin - Centre for Economic Policy Research - CEPR Discussion Paper 4358 - Mai 2004.

* (49) Le chômage, fatalité ou nécessité? - Op. cit.

* (50) Les Trente glorieuses - Fayard - 1979.

* (51) La France, puissance industrielle. - Op. cit.

* (52) Rapport d'information n° 1625 (12 ème législature) - Op. cit.

* (53) Lors de leur audition, Mme Annie Fouquet, directrice de la DARES, et M. Frédéric Lerais, chargé de mission à la DARES, ont toutefois rappelé que, bien qu'importantes, les destructions d'emplois industriels ont été beaucoup moins nombreuses que celles subies lors du retournement de cycle économique de 1993-1994, pourtant similaire à celui de 2001-2003.

* (54) A titre d'exemple, en 2000, le coût horaire de la main-d'oeuvre était de 4,75 dollars au Portugal, de 12,5 dollars en Irlande et de 21,11 dollars en Belgique.

* (55) Voir à cet égard « L'élargissement européen, moteur économique pour la France » , document réalisé par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (mai 2004), ainsi que les déclarations de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, le 22 avril (conférence de presse « Elargissement européen » ) et le 11 mai 2004 (lancement du « Kit PME-Europe » ).

* (56) « Cyclope 2004 : Les marchés mondiaux » - Sous la direction de M. Philippe Chalmin - Economica.

* (57) Capital n° 150 - Dossier spécial Chine - Mars 2004.

* (58) On prendra pour exemples la suspension par le gouvernement chinois de la réalisation d'un projet de treize barrages hydroélectriques sur le fleuve Nu, dans une région de la province du Yunnan inscrite en 2003 par l'Unesco sur la liste du Patrimoine mondial, à la suite d'une campagne d'opinion menée notamment sur Internet ( in Libération du 15 avril 2004), ou encore la fermeture, par le gouvernement local de la province du Jiangsu, d'une usine chimique, moins de deux ans après son installation, la pression médiatique ayant qualifié le site d'accueil de « village du cancer » en raison de l'accroissement anormal du taux de décès dus au cancer ( in Libération du 10 juin 2004).

* (59) Voir l'interview de Mme Françoise Lemoine, chercheuse au CEPII - in Le Monde - 9 mars 2004.

* (60) «Where to locate ? - Selecting a country for offshore business processing» - ATKearney - 2003.

* (61) « Top Indian Incomes, 1956-2000 » - CEPR Discussion Paper n° 4137 - Décembre 2003.

* (62) « L'Inde brûle de mille feux » - in Libération - 26 janvier 2004.

* (63) « Les mutations industrielles, vecteurs de la modernisation publique ? » - Franck Aggeri, Frédérique Pallez et Jean-Pierre Aubert - Les amis de l'Ecole de Paris - Séminaire du 17 janvier 2002.

* (64) ZDNet - 8 janvier 2003.

* (65) Etude citée par le Journal du Net Management du 16 novembre 2003.

* (66) In La Tribune - 31 mars 2003.

* (67) In Capital n° 148 - Janvier 2004.

* (68) Voir à cet égard l'étude de la DIGITIP in « Le 4 pages » du SESSI n° 186, janvier 2004, qui démontre notamment qu'en 1999, les 800 premiers grands groupes industriels internationaux réalisaient les deux-tiers des échanges extérieurs des produits manufacturés et près de 90 % des échanges intragroupe, qu'ils spécialisent leurs sites de production au niveau mondial, 65 % des flux transfrontaliers internes aux groupes résultant de cette spécialisation, et que, s'agissant des filiales de groupes étrangers installés en France, 50 % de leurs importations intragroupe étaient des biens réutilisés dans le processus de fabrication sur le territoire national.

* (69) Telle que la Chine, dont la monnaie nationale, le yuan, est accrochée au dollar.

* (70) Choix concurrentiels. Guide à l'intention des PDG sur les coûts des entreprises à l'échelle internationale - KPMG - 2004.

* (71) Interview à La Tribune - 17 mai 2004.

* (72) Cette délocalisation est rendue nécessaire par l'édiction de normes environnementales plus protectrices par l'Union européenne, interdisant le transport des déchets plastiques à l'état brut. Leur transformation en granulés sur le lieu même de leur collecte est donc indispensable pour que la matière plastique puisse être exportée du territoire européen vers la Chine.

* (73) La France, puissance industrielle - Op. cit.

* (74) Pour un écosystème de la croissance - Op. cit.

* (75) Une récente enquête de l'INSEE ( INSEE Première - mai 2004) indique qu'un tiers des 140.000 petites entreprises de l'industrie manufacturière déclarent effectuer des travaux de sous-traitance, et que la part de ces entreprises sous-traitantes est très significative dans quatre secteurs d'activité économique de main d'oeuvre : l'industrie des composants électriques et électroniques (51 %), la métallurgie et la transformation des métaux (47 %), le secteur chimie-caoutchouc-plastiques (45 %) et l'industrie textile (44 %).

* (76) Libération du 21 avril 2004.

* (77) In La Tribune - 14 avril 2004.

* (78) Voir « Les migrations de la recherche » - Op. cit.

* (79) In L'Expansion - 28 avril 2004.

* (80) Rapport du Sénat n° 386 (2000-2001) - Op. cit.

* (81) « L'attractivité : concept, mesure et implications » - in Bulletin de la Banque de France n° 123 -Mars 2004.

* (82) Voir L'attractivité des pays pour les investissements étrangers : comparaisons et indicateurs -Fabrice Hatem - AFII - in Les Notes Bleues de Bercy n° 273 - 17 juin 2004.

* (83) « Choix concurrentiels » - Op. cit.

* (84) In Bulletin de la Banque de France n° 123.

* (85) La désindustrialisation du territoire : mythe ou réalité ? - Op. cit.

* (86) Voir par exemple l'opinion de M. Henri Guaino, ancien commissaire au Plan : « Pour en finir avec l'attractivité » - in Les Echos - 1 er juin 2004.

* (87) Le coût de main d'oeuvre représente 56 % à 72 % des coûts sensibles à la localisation dans les activités productives, et entre 75 % et 85 % dans les services.

* (88) Rapport n° 1544 (XIII ème législature) de l'Assemblée nationale fait par M. Hervé Novelli au nom de la mission commune d'information sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, présidée par M. Patrick Ollier.

* (89) SMIC et réduction du temps de travail : des divergences à la convergence - Rapport du Conseil économique et social fait par M. Jean Gautier - Juillet 2002.

* (90) 34,4 milliards d'euros en 2002, dont 18,4 au titre de la TP et 16 en tant que compensations et dégrèvements déjà financés pour l'essentiel par l'Etat sur ses propres ressources.

* (91) Loi n° 2003-699 du 31 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

* (92) Voir le rapport n° 154 (2002-2003) sur le projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat.

* (93) Principe déjà défini à l'article L. 110-1 du code de l'environnement dans les termes suivants : « L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures efficaces et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».

* (94) Cinq grandes centrales d'achat se partagent le marché français de la grande distribution : Carrefour-Promodès (26,9 %), numéro un européen et numéro deux mondial derrière l'américain Wal-Mart , qui regroupe les enseignes Carrefour , ED L'Epicier discount , Picard Surgelés , Continent , Champion , Shopi , 8 à 8 , Codec , Comod , Proxi service , Marché Plus ... ; Lucie , commune à Leclerc et à Système U (22,5 %) ; Intermarché (14,5 %) ; EMC Distribution , qui regroupe Casino , Franprix , Monoprix-Prisunic et Leader Price (13,2 %) ; Auchan , commune à l'enseigne éponyme et à Atac (12,9 %) ; les 10 % restant étant partagés entre Provera ( Cora-Match et autres), Francap et des enseignes de hard-discount telles Aldi ou Lidl .

* (95) « Une tendance lourde : les délocalisations » - in Futuribles n° 289 - Septembre 2003.

* (96) Voir à cet égard Nanosciences et progrès médical - Rapport d'information n° 293 (2003-2004) fait, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, par MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul.

* (97) Compétitivité - Rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) n° 40 - Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné - La Documentation française - 2003.

* (98) In Le Monde - 12 janvier 2004.

* (99) Cancùn : un nouveau départ pour l'OMC ? - Groupe de travail du Sénat chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales au sein de l'Organisation mondiale du commerce - Rapport d'information du Sénat n° 2 (2003-2004) - 2003.

* (100) A titre d'exemple, les droits d'importation des produits textiles sont de 9 % en moyenne dans l'Union européenne, alors qu'ils s'échelonnent de 14 % (Indonésie) à 35 % (Inde) dans les pays émergents.

* (101) CEPII - Document de travail n° 01-11.

* (102) Audition commune avec la commission des affaires économiques et la délégation pour l'Union européenne du Sénat.

* (103) Les flux d'IDE vers la zone Elargissement ont connu leurs plus belles heures entre 2000 et 2002 et subi un très net tassement en 2003. S'agissant plus particulièrement de la France, les montants les plus élevés ont été atteints en 2000 (4,87 milliards d'euros - Md€) et 2001 (4,64 Md€), mais les investissements de l'année 2002 (1,80 Md€) ont retrouvé le niveau de l'année 1999 (1,91 Md€). Les stocks d'IDE français sont concentrés en Pologne (59,4 %), République tchèque (12,7 %), Slovaquie (11,4 %) et Roumanie (7,0%), et largement orientés vers les services marchands (75 %).

* (104) Cette étude comme ses conclusions n'engagent pas la commission des affaires économiques du Sénat.

* (105) La France, puissance industrielle - Op. cit.

* (106) Exception faite des économies chinoise et indienne, dont le gigantisme et les caractéristiques intrinsèques méritent un traitement particulier combinant les items des deux types de compétition.

* (107) Voir à cet égard Le chômage, fatalité ou nécessité ? - Pierre Cahuc et André Zylberberg - Flammarion - 2004.

* (108) Délocalisations : où est le danger ? - in Les Echos - 17 octobre 2003.

* (109) Sous réserve des pratiques anti-concurrentielles consistant à vendre un bien à un prix inférieur à ses coûts de production afin de s'imposer sur un marché : ce dumping avéré est en effet un problème de nature strictement commerciale, très éloigné de la question des délocalisations.

* (110) Les droits fondamentaux des travailleurs, définis en 1995 lors du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague, sont fondés sur sept conventions internationales du travail adoptées dans le cadre de l'Organisation internationale du travail (OIT) et visant notamment à reconnaître la liberté d'association et le droit à la négociation collective, à éliminer toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, à abolir le travail des enfants et à éliminer toute discrimination en matière d'emploi et de profession.

* (111) Un exemple : la Chine impose une TVA de 17 % sur tous les semi-conducteurs vendus dans le pays mais accorde un abattement substantiel aux seuls fabricants chinois. C'est pourquoi l'Association de l'industrie des semi-conducteurs (SIA) a demandé à la mi-mai à l'Etat chinois de se servir du mécanisme de règlement des conflits commerciaux de l'OMC, dont la Chine est membre depuis décembre 2001, pour mettre fin à cette différence de TVA, jugée discriminatoire.

* (112) Décret n° 2003-1000 du 20 octobre 2003 portant création de la mission interministérielle sur les mutations économiques, placée auprès du ministre chargé de l'emploi. Le ministre chargé de l'aménagement du territoire et le ministre chargé de l'industrie peuvent, en tant que de besoin, faire appel à la mission.

* (113) La Lettre de l'Expansion n° 1710 - 24 mai 2004.

* (114) L'Union européenne et le Mercosur (zone économique regroupant des pays d'Amérique latine) ont échangé le 21 mai dernier des offres d'ouverture commerciale en vue de créer une zone de libre-échange d'ici octobre 2004.

* (115) Voir notamment la Lettre du Comité Pauvreté et Politique n° 21 de mars 2004 ( « Ralentir les délocalisations et recréer des emplois » ), l'éditorial du président Jean-Luc Cazette dans la Lettre confédérale de la CFE-CGC n° 1107 du 16 avril 2004 ( « Vers une cotisation sociale sur la consommation » ), la chronique de Henri Guaino, ancien commissaire général au Plan, du numéro des Echos du 27 avril 2004 ( « TVA sociale : le débat interdit » ) ou encore le point de vue de Christian Saint-Etienne, professeur d'université et président de l'Institut France Stratégie, parue dans le numéro des Echos du 1 er juin 2004 ( « Réforme de la santé et délocalisations : un lien révolutionnaire » ).

* (116) Cet objectif paraît difficile à éviter compte tenu de l'état actuel de la branche assurance-maladie. Toutefois, il est clair que sa poursuite nécessiterait la fixation du taux de TVA compétitive à un niveau supérieur au taux « naturel » de l'équilibre, ce qui diminuerait d'autant les avantages susceptibles d'être tirés de la mesure en ce qui concerne la compétitivité-prix des produits français.

* (117) Conformément à la directive communautaire portant sur la TVA, trois taux sont aujourd'hui appliqués en France : le taux normal de 19,6 %, le taux réduit de 5,5 % et le taux super réduit de 2,1 %.

* (118) Ce bénéfice indirect potentiel dépend cependant de deux variables : d'une part, les gains tirés de l'assujettissement à la TVA de compétitivité des produits importés seront minorés des pertes de financement résultant de la diminution des charges sociales pesant sur les biens français exportés, qui ne seront pas assujettis à cette taxe. L'ampleur de la marge de manoeuvre au plan global sera ainsi fonction du différentiel de résultat, au regard des sommes concernées pour le financement social, entre les importations et les exportations. D'autre part, l'éventuelle diminution du prix des produits ne sera pas identique pour chacun d'entre eux : au contraire, elle différera à raison de la part que représentent les charges sociales dans leur coût de revient .

* (119) D'autant que la difficulté est essentiellement politique : le calcul du taux moyen de TVA compétitive permettant de compenser la diminution des recettes sociales résultant de la suppression des charges considérées est en réalité assez simple, et l'éventuelle détermination de deux ou trois taux différents, selon les objectifs économiques poursuivis, n'est pas davantage impossible pour les experts ; la collecte pourrait s'appuyer sur le circuit actuel de prélèvement de la TVA sans en augmenter significativement le coût ; seul le basculement d'un système à l'autre risquerait d'être délicat : mais la France a bien été capable, dans un passé lointain (création de la TVA) comme dans un passé récent (introduction de l'euro), de répondre efficacement à de tels défis techniques et logistiques. En revanche, au plan politique, il est évident que la réforme susciterait des réactions puisqu'elle aurait des conséquences différentes selon les secteurs : dans ce jeu à somme nulle, les filières intensives en facteur travail y gagneraient, au détriment des filières intensives en capital .

* (120) Voir notamment « La taxe sur la valeur ajoutée » - Conseil des impôts - Dix-neuvième rapport au Président de la République - Les éditions des Journaux Officiels - 2001.

* (121) Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, dite sixième directive, modifiée et complétée par des directives de 1992, 1999, 2001 et 2002.

* (122) SA Rousseau Wilmot contre ORGANIC - 27 novembre 1985 - Affaire concernant la légalité d'un prélèvement assis sur le chiffre d'affaires et destiné au financement de la retraite des artisans et commerçants.

* (123) Commission installée par le Premier ministre le 26 février 2004, présidée par M. Olivier Fouquet, président de la section des finances du Conseil d'Etat.

* (124) Réunion du 16 janvier 2004 à Lyon, dans le cadre des « Etats généraux des élus locaux » .

* (125) Sondage IPSOS réalisé en mai 2004 auprès de 606 jeunes de 15 à 25 ans pour le compte de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).

* (126) Aider les PME : l'exemple américain - Rapport d'information n° 374 (1996-1997) fait, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, à la suite d'une mission effectuée aux Etats-Unis, par M. Francis Grignon, sur les enseignements à tirer pour l'aide aux petites et moyennes entreprises françaises du rôle joué par la Small Business Administration - 1997.

* (127) A l'occasion de l'examen d'un amendement de notre collègue Philippe Adnot, non adopté.

* (128) Les leviers de la croissance - Philippe Jurgensen, président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), Gilles Mougenot, président de l'Association française des investisseurs en capital (AFIC), Philippe Pouletty, président du Conseil stratégique de l'innovation, et Christian Poyau, président de Croissance Plus - in Le Monde - 3 juin 2004.

* (129) Ce système de labellisation aurait aussi évidemment un rôle incitatif à l'égard des pays émergents qui, pour les respecter, devraient notamment favoriser le développement du syndicalisme, conformément aux souhaits exprimés lors de leur audition devant votre groupe de travail par MM. Marc Deluzet et Emmanuel Mermet, Secrétaires confédéraux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et M. Jean-Claude Hazouard, Secrétaire de la Fédération Hacuitex de la CFDT.

* (130) Dans le même ordre d'idée, mais dans un autre domaine, on pourrait aussi imaginer, afin d'inciter les entreprises à accroître leurs efforts en recherche et développement, de conditionner l'accès à certains marchés publics à des critères d'investissements minimaux en R&D.

* (131) Dotée d'un budget de 10 millions d'euros.

* (132) Fonds de recherche technologique et Fonds national pour la science .

* (133) Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2003 n° 68 Tome III (2002-2003) - Annexe 26.

* (134) Telle celle de l'INSERM qui a créé des contrats dits d'interface offrant au chercheur une rémunération fixe et une part variable dépendant des résultats.

* (135) « La France, puissance industrielle » et « Pour un écosystème de la croissance » - Op. cit.

* (136) Fredriksson et Lindmark,1979.

* (137) Cité par Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, in Politiques industrielles pour l'Europe - Rapport du Conseil d'analyse économique n° 26 - La Documentation française - 2000.

* (138) In La Tribune - 19 mai 2004.

* (139) « Notre projet pour le CNRS » - Gérard Mégie et Bernard Larrouturou - 1 er mars 2004.

* (140) « Du Nerf ! » (Donner Un Nouvel Élan à la Recherche Française) - MM. François Jacob, Philippe Kourilsky, Jean-Marie Lehn et Pierre-Louis Lions - Mars 2004.

* (141) Les problématiques de production dans l'industrie du luxe - Janvier 2004.

* (142) L'Alsace face au défi de la globalisation - Agence française pour les investissements internationaux - 2004.

* (143) In La Tribune - 17 mai 2004.

* (144) « La stratégie de sécurité économique nationale » - Rapport d'information n° 1664 (XII ème législature) au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée nationale -Juin 2003.

* (145) In Les Echos - 26 mai 2004.

* (146) Education et croissance - Rapport n° 46 du Conseil d'analyse économique - 2004.

* (147) Rapport n° 179 (2003-2004) sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.

* (148) Pays à bas salaires et à capacités technologiques.

* (149) In L'inégalité du Monde. Economie du monde contemporain - Gallimard - 1996.

* (150) Lors de son audition, notre collègue M. Jean Arthuis, par ailleurs président du conseil général de la Mayenne, a indiqué avoir été contacté par une SSII indienne proposant d'assurer à moitié prix la gestion d'une partie des applications informatiques du département.

* (151) Productivité et emploi dans le tertiaire - Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil - Rapport n° 49 - Juillet 2004.

* (152) La même comparaison avec les Pays-Bas ou le Danemark, pays dont la structure normative et sociale est davantage comparable à la nôtre, aboutit respectivement à 1,8 et 1,2 million d'emplois.

* (153) Voir à cet égard les deux rapports publiés en décembre 2002 par le Commissariat général au Plan : « 2005 : le choc démographique, défi pour les professions, les branches et les territoires » et « Avenirs des métiers » .

* (154) En particulier grâce à l'accession, progressive mais rapide, de près de 400 millions de consommateurs chinois aux activités touristiques à l'étranger, rendue possible par la récente signature d'un accord international par les autorités chinoises. Le développement économique de l'Empire du Milieu ne constitue ainsi pas simplement une menace...

* (155) Rapport du CAE n° 49 - Op. cit.

* (156) Voir « Les réformes fiscales intervenues dans les pays européens au cours des années 1990 » - Rapport d'information du Sénat n° 343 (2002-2003) - MM. Joël Bourdin et Philippe Marini, au nom de la délégation du Sénat pour la planification - Juin 2003.

* (157) Introduite par le traité de Nice pour la Politique étrangère et de sécurité commune.

* (158) Voir à cet égard « Paris et Berlin dénoncent le dumping fiscal pratiqué dans l'Europe à 25 » - Arnaud Leparmentier - Le Monde - 13 mai 2004.

* (159) Voir « Les perspectives d'évolution de la politique de cohésion après 2006 » - Rapport d'information du Sénat n° 204 (2003-2004) - MM. Yann Gaillard et Simon Sutour, au nom de la délégation pour l'Union européenne - Février 2004.

* (160) L'objectif 1 vise aujourd'hui le rattrapage des régions en retard de développement (PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire) ; l'objectif 2 soutient la reconversion économique et sociale de zones en difficulté structurelle ; enfin, l'objectif 3 favorise la modernisation des systèmes de formation et la promotion de l'emploi.

* (161) On observe toutefois que le « taux de retour » pour la France sur l'objectif 2 (22 %) est supérieur à son taux de contribution globale (16,8 %). Il en résulte que, dans une simple approche de finances publiques, l'intérêt de la France réside à la fois dans une maîtrise globale du budget de la cohésion, mais aussi dans une répartition de ce budget la plus favorable possible à un instrument de type objectif 2.

* (162) Politiques industrielles pour l'Europe - Rapport n° 26 - Op. cit .

* (163) Ibid .

* (164) Livre blanc sur la compétitivité, la croissance et l'emploi - 1993.

* (165) Communication de la Commission du 11 décembre 2002, concernant la politique industrielle dans une Europe élargie (COM (2002) 714 final).

* (166) Un agenda stratégique sur l'avenir de la recherche dans l'industrie manufacturière sera présenté à l'automne 2004 afin d'identifier les grandes orientations de la recherche susceptibles d'accroître la compétitivité de cette industrie.

* (167) Voir le « Rapport de la Commission au Conseil européen de printemps - Réalisons Lisbonne : Réformes pour une Europe élargie » - COM (2004) 29 du 21 janvier 2004 - Broad Economic Policy Guidelines (COM (2003) 4 final).

* (168) « Accompagner les mutations structurelles : une politique industrielle pour l'Europe élargie » - Communication de la Commission - COM (2004) 274 final - Avril 2004.

* (169) « Une politique de concurrence proactive pour une Europe compétitive » - Communication de la Commission - COM (2004) 293 final - Avril 2004.

* (170) In « La lettre de Confrontations Europe » - Décembre 2003/janvier 2004.

* (171) Les deux exemples de biens publics traditionnellement cités sont les phares et l'éclairage public. L'usage d'un réverbère par un individu ne se fait pas au détriment de l'usage des autres consommateurs (non-rivalité) et il n'est pas possible de soumettre à paiement le bénéfice de l'éclairage public (non-exclusion).

* (172) Créée en 1919 par le Traité de Versailles, l'Organisation Internationale du Travail a survécu à la disparition de la Société des Nations et elle est devenue, en 1946, la première institution spécialisée du système des Nations Unies. L'OIT a pour vocation de promouvoir la justice sociale et, notamment, de faire respecter les droits de l'homme dans le monde du travail.

* (173) « Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous » - Rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation - BIT - 2004.

* (174) Loi sur la protection de l'environnement (1969), loi sur la propreté de l'air (1970), loi sur la propreté de l'eau (1972), loi sur les espèces menacées (1973).

* (175) « Mondialisation : une chance pour l'environnement ? » - Rapport d'information du Sénat n° 233 (2003-2004) au nom de la Délégation du Sénat pour la planification - 2004.

* (*) Audition commune avec la commission des affaires économiques et du plan.

* (*) Audition commune avec la commission des affaires économiques et du plan.

* (*) Audition commune avec la commission des affaires économiques et du plan.

* (*) Audition commune avec la commission des affaires économiques et du plan.

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