2. L'organisation encore trop peu équilibrée des échanges mondiaux
L'industrie française, tout comme celle d'un certain nombre de pays occidentaux, est ensuite fragilisée par l'organisation encore trop peu équilibrée des échanges mondiaux .
La poursuite de la libéralisation du commerce mondial est aujourd'hui freinée par l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations commerciales menées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), lancées à Doha il y a deux ans et demi. Il n'entre pas dans l'objet du présent rapport de s'attarder dans le détail sur ces difficultés : le lecteur qui s'y intéresse pourra utilement se reporter à l'analyse que nos excellents collègues MM. Jean Bizet, Michel Bécot et Daniel Soulage ont publiée après la Conférence ministérielle de Cancùn, tenue du 10 au 14 septembre 2003 (99 ( * )). Votre groupe de travail souhaite cependant insister sur deux aspects de ces négociations qui paraissent particulièrement importants au regard de la question des échanges industriels et des délocalisations.
Le premier a trait au blocage des discussions sur les sujets concernant la régulation des échanges économiques internationaux , auxquels l'Union européenne accorde une importance capitale. Appelés « sujets de Singapour » par référence à la Conférence ministérielle de l'OMC s'étant déroulée dans cet Etat en décembre 1996, qui a décidé d'engager l'OMC sur la voie de nouveaux sujets relatifs à l'échange international, ils concernent les investissements , la concurrence , la transparence des marchés publics et la facilitation des échanges . A ces sujets ont notamment été ajouté, lors de la Conférence ministérielle de Doha, ceux de l' environnement et de la propriété intellectuelle .
Ces thèmes n'ont pu être abordés à Cancùn en raison de l'opposition des pays en développement à leur discussion, même partielle ( i.e. uniquement la facilitation des échanges et la transparence des marchés publics, comme y avait consenti l'Union européenne), non pas tant du fait de la nature même de ces sujets que de l'absence d'accord sur d'autres points de l'ordre du jour de la Conférence, et en particulier la question agricole. Or, ce blocage sur les « sujets de Singapour » est très préjudiciable aux intérêts économiques des pays industrialisés, leur accès aux marchés émergents étant freiné par des barrières que la discussion de ces sujets devait précisément permettre de lever au moins partiellement . La négociation sur la facilitation des échanges visait ainsi à accélérer le mouvement, la main levée et le dédouanement des marchandises aux frontières, y compris des marchandises entrantes. De même, la transparence, la prévisibilité et la sécurité de l'environnement juridique sur les marchés étrangers devaient être accrues au bénéfice des opérateurs économiques grâce aux négociations sur la transparence et la non-discrimination en matière de marchés publics, d'investissements et de concurrence.
Ainsi, bien souvent, les entreprises occidentales n'ont aujourd'hui, pour contourner ces barrières, d' autre alternative que d'aller s'implanter dans les pays en développement, soit en leur nom propre, soit par des opérations de joint-venture, soit par l'acquisition d'entreprises locales , afin d'y commercer. On comprend dès lors l'importance qu'il y aurait pour les nations industrielles à faire avancer les « sujets de Singapour » : des accords dans ces domaines permettraient sans doute d'interrompre une partie des délocalisations actuelles grâce à la sécurisation des relations commerciales internationales à l'exportation, qui pourraient permettre de conserver, voire de développer, des activités industrielles domestiques .
Le second intérêt d'un tel déblocage serait de rééquilibrer les relations économiques et commerciales entre l'Union européenne et, globalement, le reste du monde . Autant les marchés des pays émergents restent aujourd'hui, avec une certaine légitimité, protégés en partie par des barrières protectrices et d'importants droits de douane, autant l'espace économique de l'UE est l'un des plus ouverts aux marchandises et aux capitaux internationaux . A cet égard, l'Union peut apparaître comme le meilleur élève du libéralisme mondial , jusqu'à en être victime face à des concurrents moins scrupuleux n'hésitant pas à sacrifier sur l'autel du réalisme l'essence même de leur profession de foi libérale : il n'est qu'à voir les pics tarifaires appliqués par les Etats-Unis ou le Japon, ou encore la brutale barrière tarifaire érigée sur leurs importations d'acier par les Etats-Unis en mars 2002, pour protéger leur industrie sidérurgique, comme l'a rappelé lors de son audition M. Michel Lamy, secrétaire national à l'économie de la Confédération française de l'encadrement CGC.
On donnera comme exemple de déséquilibre patent la fin programmée des accords multifibres en 2005, qui ouvrira totalement l'Union européenne aux produits textiles des pays émergents alors même que la Chine, l'Inde et le Pakistan, principaux producteurs mondiaux, pourront maintenir des droits de douane rendant presque impossible l'exportation vers leurs marchés d'articles textiles haut de gamme produits en Europe (100 ( * )). C'est pourquoi l'accès aux marchés des produits non agricoles revêt une importance également fondamentale, car son amélioration générale serait de nature à établir une plus grande réciprocité entre, d'une part, l'Union européenne, où les droits de douane sont déjà faibles, et, d'autre part, diverses autres nations industrialisées qui savent imposer, lorsqu'elles l'estiment nécessaires, des mesures protectionnistes, ainsi que les pays émergents, dont certains représentent des marchés colossaux.
* (99) Cancùn : un nouveau départ pour l'OMC ? - Groupe de travail du Sénat chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales multilatérales au sein de l'Organisation mondiale du commerce - Rapport d'information du Sénat n° 2 (2003-2004) - 2003.
* (100) A titre d'exemple, les droits d'importation des produits textiles sont de 9 % en moyenne dans l'Union européenne, alors qu'ils s'échelonnent de 14 % (Indonésie) à 35 % (Inde) dans les pays émergents.