3. Défendre des positions favorables à l'industrie européenne dans les enceintes internationales
La mondialisation ne représente pas seulement une source d'inquiétude pour l'industrie européenne : elle est aussi, faut-il le rappeler, une opportunité qu'il revient à l'Union européenne de saisir .
D'une part, la globalisation et sa régulation offrent la perspective d'une harmonisation progressive des normes sociales et/ou environnementales.
D'autre part, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les négociations multilatérales sont, pour l'Union européenne, des instruments utiles pour améliorer la loyauté des échanges, notamment avec les BRIC, pays dont la concurrence sur les marchés mondiaux devient redoutable.
a) Pour une harmonisation des normes sociales et environnementales
La disparité des normes relatives aux conditions de travail et à la protection de l'environnement est déjà ressentie entre Etats membres de l'Union européenne, mais son acuité est bien plus grande à l'échelle mondiale.
Réduire ces disparités est un objectif de long terme qui doit permettre, non seulement aux pays industrialisés d'être concurrencés par les pays émergents sur des bases plus équitables, mais aussi, d'améliorer les conditions de travail et de soutenir un développement durable dans les pays émergents. Des organisations internationales se consacrent à cette tâche : en matière sociale, c'est le cas de l'Organisation internationale du travail (OIT) (172 ( * )), dont le thème directeur pour la période 2002-2005 est la mise en oeuvre concrète du programme en faveur du travail décent .
A ce titre, l'OIT met au point des conventions et des recommandations internationales du travail qui définissent les normes minimales à respecter dans les domaines de son ressort : liberté syndicale, droit d'organisation et de négociation collective, abolition du travail forcé, égalité de chances et de traitement, etc.
Elle a également créé en 2002 une Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation , qui a rendu un rapport (173 ( * )) en février 2004. Reconnaissant l'immense potentiel ouvert par la mondialisation, l'OIT y analyse l'émergence d'une véritable « conscience planétaire, sensible à l'injustice que représentent la pauvreté, la discrimination entre les sexes, le travail des enfants et la dégradation de l'environnement, où que ce soit dans le monde » . M. Juan Somavia, Directeur général du BIT, juge que « faire de la mondialisation un processus équitable et intégrateur est une tâche difficile mais pas irréalisable, et constitue une priorité mondiale » .
Parmi les mesures préconisées pour parvenir à une mondialisation équitable et sans exclus, la commission propose notamment de mettre en place des règles plus équitables en matière de commerce international , d'investissement , de finance et de migrations , et de prendre des mesures pour promouvoir les normes fondamentales du travail et une protection sociale minimale dans l'économie mondiale .
Votre commission estime à l'évidence que ces objectifs doivent être poursuivis sans relâche. Elle considère également, à l'instar de MM. Jacky Dintinger, Secrétaire général de la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC), et Philippe Arondel, conseiller technique à la CFTC, que la régulation de la mondialisation au sein de l'OMC ne saurait être déconnectée du respect par les partenaires des grandes conventions élaborées par l'OIT depuis des décennies .
En matière environnementale , la montée en puissance, dans les pays industrialisés, des réglementations protectrices de l'environnement est parfois accusée d'inciter les industries les plus polluantes à se délocaliser.
Il n'est pas faux de dire que certains Etats rivalisent pour attirer des firmes multinationales en adoptant des normes environnementales moins rigoureuses. Le premier exemple de « dumping » environnemental a été fourni par les Etats-Unis eux-mêmes, du temps où les compétences environnementales étaient décentralisées entre les différents Etats de l'Union. Outre la difficulté que créait une telle situation pour traiter de manière satisfaisante des problèmes de pollution touchant plusieurs Etats, le risque auquel s'exposaient les plus scrupuleux des Etats fédérés de voir déménager des entreprises souhaitant se soustraire à leurs réglementations environnementales a conduit le Congrès à adopter plusieurs lois (174 ( * )) au début des années 1970 pour centraliser au niveau fédéral le pouvoir d'initiative et de réglementation en la matière. Un raisonnement similaire doit désormais être tenu à l'échelle mondiale .
La persistance de normes environnementales plus laxistes dans certains pays que d'autres pour la production des mêmes biens diminue le coût de production dans ces pays (souvent les plus pauvres). A long terme, s'il continue d'utiliser le procédé polluant, le pays pauvre consolidera son avantage comparatif dans la production de ce bien, et le pays riche se spécialisera dans d'autres productions. Finalement, au terme du processus, les activités polluantes se concentreraient dans les pays en développement : les politiques environnementales nationales manqueraient donc leur objectif du fait des délocalisations d'activité puisque l'environnement mondial subirait un préjudice égal voire supérieur, alors même que l'adoption de normes visait à l'en préserver.
C'est dire l'importance qui s'attache à la diffusion des normes environnementales dans l'ensemble des pays du monde . L'obstacle principal à cette diffusion est évidemment constitué par le coût direct de la protection de l'environnement , estimé « entre 1 et 5 % du prix de revient » par une étude de l'OCDE réalisée en 1997 dans le secteur de la sidérurgie et citée par M. Serge Lepeltier dans son rapport (175 ( * )) sur la mondialisation et l'environnement.
Toutefois, il n'est pas certain que ce surcoût suffise à renverser l'avantage comparatif que détiennent le plus souvent les pays industrialisés dans les industries les plus polluantes, car ces dernières sont généralement les plus capitalistiques. Ceci explique que des pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis aient conservé une très forte activité chimique, par exemple, bien qu'elle soit polluante et très réglementée.
Il reste que les normes environnementales figurent bien dans les critères guidant les choix de localisation des entreprises. Leur diffusion internationale est donc un enjeu important pour conserver des activités industrielles sur le territoire de l'Union européenne. On peut observer que cette diffusion s'effectue , en partie , de manière mécanique , dans la mesure où les firmes multinationales ont souvent tendance à uniformiser les procédés de production à l'échelle mondiale et à exporter ainsi dans les pays en développement des technologies modernes plus respectueuses de l'environnement . En outre, les Etats visant l'accès aux marchés de pays développés peuvent être incités à relever, à cette fin, leurs normes environnementales.
Toutefois, la demande d'environnement croît avec le revenu , surtout dans le cas de pollutions localisées dans des zones densément peuplées. Sans attendre cette hausse espérée du niveau de vie planétaire, qui permettra de faire de l'environnement une priorité des politiques publiques, il est nécessaire, dès à présent, de promouvoir les bonnes pratiques environnementales au niveau multilatéral .
Des avancées en la matière ont déjà été enregistrées sous la forme d'accords multilatéraux environnementaux (AME). Votre groupe de travail souligne cependant que la multiplication de tels accords ne doit pas occulter leur faiblesse essentielle qui tient au fait que la plupart d'entre eux ne prévoit aucun mécanisme de sanction en cas d'inexécution . En outre, l'un des plus importants de ces accords, le protocole de Kyoto, signé en 1997 et visant à limiter l'émission de gaz à effet de serre, n'a pas même été ratifié par les Etats-Unis... Enfin, il est impossible de prévoir aujourd'hui l'issue d'un différend entre deux Etats parties à l'OMC, dont l'un seulement est partie à un AME, dans le cas d'un conflit de normes .
C'est notamment pour assurer la compatibilité entre les engagements environnementaux et commerciaux, mais surtout pour promouvoir la protection de l'environnement à l'échelle mondiale, que l'idée d'intégrer le sujet de l'environnement dans les négociations ouvertes à l'OMC par l'accord de Doha de novembre 2001 a été avancée par l'Union européenne. Ainsi, la déclaration de Doha, en son paragraphe 31, prévoit l'ouverture de discussions sur les liens entre commerce et environnement.
Toutefois, cette ambition européenne d'introduire une dose de régulation dans la libéralisation des échanges est loin d'être partagée par tous. Les négociations sur ce sujet avancent donc très lentement, et l'échec de la conférence ministérielle de Cancùn en septembre 2003 a conduit l'Union européenne à diminuer ses ambitions.
Convaincue cependant la nécessité de persévérer dans ce projet, votre commission appelle l'Union européenne à ne pas renoncer à la défense d'une meilleure articulation entre l'OMC et l'environnement , la force exécutoire des décisions prises par l'organe de règlement des différends de l'OMC pouvant offrir une base claire aux normes environnementales en reconnaissant leur validité à l'échelle internationale. Un tel mouvement permettrait aux industries européennes, obéissant à de multiples règles environnementales, d'affronter la concurrence mondiale dans des conditions plus loyales .
* (172) Créée en 1919 par le Traité de Versailles, l'Organisation Internationale du Travail a survécu à la disparition de la Société des Nations et elle est devenue, en 1946, la première institution spécialisée du système des Nations Unies. L'OIT a pour vocation de promouvoir la justice sociale et, notamment, de faire respecter les droits de l'homme dans le monde du travail.
* (173) « Une mondialisation juste : créer des opportunités pour tous » - Rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation - BIT - 2004.
* (174) Loi sur la protection de l'environnement (1969), loi sur la propreté de l'air (1970), loi sur la propreté de l'eau (1972), loi sur les espèces menacées (1973).
* (175) « Mondialisation : une chance pour l'environnement ? » - Rapport d'information du Sénat n° 233 (2003-2004) au nom de la Délégation du Sénat pour la planification - 2004.