2. Harmoniser et renforcer les outils de compétitivité hors-prix
En matière de compétitivité des produits européens, il convient de ne pas considérer exclusivement les aspects relatifs au coût. En effet, l'industrie européenne peut voir sa place renforcée et reconnue en recourant à des outils que l'on pourrait qualifier de non tarifaires : normes, brevets et labels.
a) Harmoniser et promouvoir les normes européennes
Les questions de normalisation sont d'une importance cruciale dans la mesure où elles interviennent en amont de la commercialisation. Les normes admises sur un marché conditionnent en effet son accessibilité . C'est du reste ce qu'a souligné lors de son audition par votre groupe de travail Mme Nicole Fontaine, alors ministre déléguée à l'industrie, relevant au passage qu'outre son soutien à l'Agence française de normalisation (AFNOR), l'Etat français déchargeait les entreprises des frais exposés par la participation de leurs cadres aux instances techniques de normalisation.
Il est donc essentiel pour l'Union européenne de peser dans les négociations internationales relatives aux normes. Pour renforcer le poids de l'Union dans les enceintes de normalisation, il revient aux Etats membres de miser sur l'harmonisation de leurs normes nationales et sur la promotion des normes européennes : ceci exige une mobilisation réelle (mobiliser des représentants de très haut niveau pour défendre la position de l'Union, les doter des moyens nécessaires pour l'emporter...), dont les coûts doivent être rapportés aux gains considérables qui sont en jeu .
Il est à cet égard intéressant de rappeler que le succès remporté par l'Union européenne dans le secteur des télécommunications tient largement à l'adoption par une grande partie du monde de la norme GSM. Les résultats enviés de la téléphonie mobile européenne apportent bien la preuve de l'effet de levier que l'adoption d'une norme peut avoir sur le développement d'un marché .
Votre commission estime qu'il s'agit là d'un instrument fondamental de développement de l'industrie européenne auquel l'Union accorde une importance insuffisante , notamment par comparaison avec un de ses importants concurrents, les Etats-Unis, qui savent faire la preuve du prix qu'ils attachent aux débats de normalisation.
b) Définir et favoriser le brevet communautaire
Alors que les objectifs assignés à l'Union européenne lors du sommet de Lisbonne semblent de plus en plus difficiles à atteindre, et que les activités de recherche figurent, sans nul doute, parmi les plus stratégiques pour l'Union, le piétinement des négociations relatives au brevet communautaire pénalise la compétitivité de l'économie européenne de la connaissance .
En effet, l'économie de l'Union souffre de l'inexistence d'un titre de propriété industrielle à caractère unitaire et autonome, dont le coût serait abordable et qui devrait garantir la sécurité juridique à l'échelle communautaire .
C'est pour pallier ce manque que la Commission a, le 1 er août 2000, présenté une proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire, visant à créer un tel instrument . Le projet prévoit la coexistence du brevet communautaire avec les systèmes de brevet actuels. Parmi ces systèmes, outre les régimes nationaux de brevet, la Convention de Munich sur le brevet européen (CBE) de 1973 a mis en place une procédure unique d'examen et de délivrance des brevets en Europe . Cette convention est un acte de droit international classique, signé hors du cadre communautaire ; de ce fait, l'Office européen des brevets, qui a été créé par la CBE, est un organisme intergouvernemental totalement indépendant des structures communautaires . Alors que le brevet européen, une fois délivré, constitue en réalité un faisceau de brevets nationaux, le brevet communautaire serait quant à lui un titre unitaire valable immédiatement sur l'ensemble du territoire de l'Union.
L'avènement d'un brevet communautaire constituerait assurément un atout pour l'industrie européenne. S'il est aujourd'hui possible d'introduire, au sein de l'Union européenne, une demande de brevet européen, dans l'une des trois langues de travail de l'office - anglais, français, allemand -, la demande doit indiquer les pays européens dans lesquels une protection est souhaitée . La validité de cette protection dans un pays particulier suppose que la demande soit traduite dans la langue de ce pays. En outre, ce sont les tribunaux nationaux qui se prononcent en cas de différends. C'est la nécessité de traduire le fascicule de brevet dans toutes les langues officielles de tous les Etats membres qui rend si coûteux le système actuel de protection de la propriété industrielle en Europe . Au contraire, la création d'un brevet communautaire rendrait valables les brevets délivrés et publiés suivant le régime linguistique de l'Office européen des brevets (OEB) sans traduction ultérieure : ainsi, la demande serait examinée, délivrée et publiée dans l'une des trois langues de travail de l'OEB et les revendications - partie la plus courte mais la plus importante parce qu'elle définit les limites de la protection - seraient en outre traduites dans d'autres langues (soit les deux autres langues de travail, soit toutes les langues officielles de l'UE, c'est-à-dire désormais dix-neuf langues). Le brevet européen ainsi accordé deviendrait valide pour l'ensemble du territoire des Communautés européennes, ce qui en ferait un «brevet communautaire ». De surcroît, la création d'un brevet communautaire serait accompagnée de la création d'un nouveau tribunal communautaire centralisé dans le cadre de la Cour européenne de justice, dont ressortiraient tous les différends relatifs à la contrefaçon et/ou à la validité des brevets communautaires. Cette centralisation du règlement des différends épargnerait le coût qu'engendre aujourd'hui l'obligation d'intenter des poursuites devant plusieurs juridictions de la Communauté : lorsque le détenteur d'un brevet souhaite engager une action en contrefaçon de son brevet européen, il peut être contraint de le faire dans plusieurs d'Etats membres ; de même, lorsque quelqu'un souhaite contester la validité d'un brevet européen, il peut avoir besoin d'intenter des poursuites devant les tribunaux nationaux de chacun des Etats membres où le brevet européen est valable. Il est aisé d'imaginer le gain que retireraient les entreprises communautaires d'une unification du contentieux, qui éviterait, en outre, des divergences d'interprétation entre Etats membres s'agissant de la façon dont le droit des brevets s'applique dans un cas particulier. |
Le brevet communautaire représenterait, selon la Commission européenne, un gain global de 68 % par rapport aux coûts du système actuel de brevet européen . C'est pourquoi son avènement est tant attendu par les entreprises : il constitue un véritable enjeu de compétitivité pour l'Union européenne, qui contribuerait à la rendre capable de retenir et d'attirer des activités industrielles.
Aussi votre commission déplore-t-elle que , malgré la volonté affichée du Conseil européen de favoriser la compétitivité de l'Union, les négociations entre les Etats membres achoppent encore sur ce dossier . Elle insiste sur l' importance stratégique que revêt la création du brevet communautaire à l'heure où l'industrie européenne s'inquiète de la délocalisation de certaines activités.
Le dernier Conseil des ministres chargés de la « Compétitivité » tenu les 17 et 18 mai 2004 a encore abouti à une impasse. Deux pommes de discorde divisent notamment les Etats membres : la question de la valeur juridique des traductions des brevets , qui concerne les violations de propriété industrielle imputables à des erreurs de traduction du brevet, et le sujet des délais nécessaires pour la traduction des brevets, qui oppose notamment l'Allemagne et l'Espagne.