CONCLUSION DU COLLOQUE

par M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde,
Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat

Merci à toutes et tous qui avez participé à cette journée, et particulièrement à Denis Astagneau, animateur parfait, qui mérite nos applaudissements.

Je voudrais souligner, Monsieur le ministre, combien nous souhaitons, au travers de telles journées, aller au-delà de nos tâches et missions institutionnelles habituelles de parlementaires. Il s'agit d'essayer de comprendre les grands sujets qui peuvent être inscrits dans nos évolutions et celles de notre législation, sujets qui à coup sûr conditionnent les progrès de notre société.

Le sujet d'aujourd'hui a été choisi avec votre soutien et votre accord, Monsieur le ministre, et je crois que nous n'avons pas perdu notre temps.

Tous les points de vue ont en effet été exprimés, depuis celui des juristes jusqu'à celui de la Commission européenne, en passant par le témoignage des acteurs que sont les athlètes, les ligues et les clubs, et celui des fournisseurs de moyens, publics et privés.

Nous avons pu apprécier la franchise et la loyauté des propos de chacun, ce qui fait l'intérêt de tels échanges, en dehors de toute considération partisane et de toute pression, médiatique ou politique.

C'est avec beaucoup de plaisir que je laisse maintenant la parole à Jean-François Lamour, ministre des Sports.

ALLOCUTION

de M. Jean-François Lamour, ministre des sports

Je vous demanderai tout d'abord de transmettre mes remerciements au Président Poncelet pour l'intérêt que la Haute Assemblée porte au développement du sport. Le sport se sent et s'est toujours senti bien au Sénat.

Les échanges particulièrement riches de cette journée témoignent des liens qui se sont renforcés tout au long du XX e siècle entre le sport et l'économie.

Ce phénomène s'est accompagné d'une médiatisation croissante, d'ailleurs inégalement répartie, comme nous l'avons vu.

Le sport est devenu aujourd'hui un fait social majeur qui contribue au développement économique de notre pays et participe à son rayonnement international. Ce rôle mérite donc que l'on s'interroge sur l'organisation économique, la fiscalité du sport, les relations financières entre sports et médias.

La prise en compte de l'évolution de l'environnement social et économique des pratiques sportives en France est à mon sens un enjeu fondamental, qui concerne l'ensemble du sport français.

C'est dans cet esprit que la loi du 1 er août 2003 donne aux fédérations, dans un cadre précis, la possibilité d'ouvrir leurs instances dirigeantes à l'ensemble des partenaires économiques, y compris les établissements commerciaux, qui contribuent directement ou indirectement au développement d'une discipline. Ces dispositions conditionnent l'avenir de fédérations aussi importantes que le ski, par exemple, ou l'équitation.

C'est aussi le sens de nouvelles mesures contenues dans cette loi, qui apportent une réponse aux clubs professionnels concernant l'utilisation du numéro d'affiliation, le droit des marques ou la cession des droits d'exploitation audiovisuelle.

Ce dernier point illustre la complexité de la mise en oeuvre de certaines évolutions. Il faut à la fois conserver les conditions de concurrence des divers diffuseurs et éviter des situations de monopole de diffusion. Le projet de décret fixant les conditions et les limites de la commercialisation par les ligues professionnelles de ces droits d'exploitation est actuellement soumis à l'avis du Conseil de la concurrence.

L'exposition médiatique des sports est donc très inégale et discriminante, en particulier sur les chaînes hertziennes. Gardons-nous à ce propos de tout angélisme : ces questions sont liées à l'existence des marchés.

Je suis persuadé que les nouvelles technologies permettront bientôt, en diminuant les coûts de production et en ciblant davantage les offres, un plus grand succès médiatique au bénéfice de l'ensemble des disciplines sportives.

Mais d'autres évolutions sont indispensables pour renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos clubs professionnels. Etat et mouvement sportif travaillent ensemble à ces évolutions.

Ainsi, avec le soutien du Premier ministre, j'ai récemment installé un Comité de réflexion et de suivi des réformes ; six axes de travail ont été retenus :

- la reconnaissance d'un droit à l'image pour l'ensemble des sportifs professionnels ;

- l'exonération du prélèvement de 1 % sur les CDD pour les sociétés sportives ;

- le développement d'un dispositif adapté à la préparation à la reconversion des sportifs de haut niveau ;

- l'évolution de la taxe sur les spectacles ;

- les conditions de mise à disposition des sportifs auprès des équipes nationales ;

- le ré-examen de certaines disciplines sportives en matière d'accident du travail.

L'élaboration de ces nouvelles mesures est pour moi associée à une obligation de résultat, comme je m'y suis engagé. L'objectif est de faire en sorte que le modèle d'organisation du sport soit en France le plus performant possible.

Si ces modifications législatives récentes n'étaient pas intervenues, les risques d'éclatement de certaines fédérations auraient été bien réels. Ces risques avaient été précédemment occultés, pour des raisons purement dogmatiques.

Le sport est à un carrefour de son évolution.

Schématiquement, deux visions du sport s'opposent aujourd'hui.

La première vision, optimiste, considère que le sport est porteur de valeurs positives, inaltérables, qu'il existe une essence du sport que l'on appelle « l'esprit sportif ». Le sport est alors synonyme d'honnêteté, de courage, de fraternité et de loyauté.

Une autre vision insiste sur les risques et les dérives liés à la pratique du sport : violence, dopage, mercantilisme, etc. Ces dérives, selon certains, seraient consubstantielles au sport ou à sa nouvelle logique de développement.

A ces deux visions répondent deux attitudes.

L'une répugne à intégrer les acteurs économiques dans le sport, l'autre prône la séparation du sport amateur, fondé sur une culture associative dans notre pays, et du sport professionnel, assujetti aux règles du droit commun.

Ni l'une ni l'autre ne parvient à me convaincre.

En effet, je me fais du sport une idée de quelque chose qui rassemble, non pas qui divise. Je défends une conception exigeante du sport, où l'humanisme tient une place essentielle. Cette dimension trouve dans le sport une résonance particulière à un moment où l'actualité met en évidence des défaillances qui entraînent le sport loin de son essence originelle.

Le sport trouve sa force et son exemplarité dans les repères qu'il donne. L'enjeu fondamental est donc qu'il ne perde pas lui-même ses propres repères.

La société française est actuellement aux prises avec des interrogations sur des valeurs qui fondent la communauté nationale. Le sport en ce sens doit jouer tout son rôle social, et s'inscrire ainsi dans le pacte républicain. Je me réjouis d'ailleurs de la création de la Fondation pour le Sport.

Je voudrais convaincre aujourd'hui que la conception du sport que je prône n'est pas celle du passé. Elle doit au contraire nous servir de guide pour relever ensemble le défi de l'avenir du sport français.

Dès ma prise de fonction, en 2002, j'ai eu à m'exprimer sur ma vision de l'organisation du sport et sur la nécessité de conserver au sein des fédérations sportives l'unité des pratiques entre sport amateur et sport professionnel, mais aussi entre le sport de haut niveau et la pratique par le plus grand nombre.

Cette unité et la solidarité sont à mes yeux primordiales, c'est la condition indispensable à la préservation des valeurs du sport.

Tel est notamment le sens de la loi d'août 2003 sur la mutualisation et le principe de la répartition des droits audiovisuels ; c'est aussi l'esprit du FNDS.

S'agissant du haut niveau, le sport ne saurait en effet être réduit à une industrie de spectacle, et en ce qui concerne la pratique du plus grand nombre, au secteur marchand du prestataire de services.

Le sport n'est pas une activité économique comme une autre. L'Etat ne se contente pas de la réglementer, il existe un service public de développement du sport, auquel je suis particulièrement attaché. 2004, Année européenne de l'éducation par le sport, nous le rappelle opportunément.

Historiquement le sport a toujours été chargé de sens social. Il participe aux valeurs d'une société, il les reflète et participe à leur construction.

Le modèle d'organisation du sport français fait confiance au corps social, notamment incarné par le fait associatif, et préserve ainsi la spécificité éducative du sport.

C'est cette conception exigeante du sport qui me conduit à récuser un modèle qui prône la séparation du sport amateur et du sport professionnel.

Je constate à ce propos le paradoxe dont font preuve les défenseurs de cette conception dualiste : ils réclament une banalisation de l'encadrement juridique et économique du sport, tout en demandant au niveau communautaire que l'on tienne compte de ses particularismes.

C'est avant tout au nom de ses fonctions éducatives et sociales qu'il importe que le sport soit inscrit dans le futur Traité de l'Union européenne élargie.

C'est aussi cette conception unitaire du sport qui m'a conduit à me prononcer en défaveur de la possibilité pour les clubs professionnels de faire appel à l'épargne publique.

Un club professionnel doit avoir des résultats et donc bénéficier d'un cadre juridique adapté et compétitif, mais il doit aussi incarner une culture à laquelle participent ses dirigeants, ses joueurs, ses supporters. Cela n'est pas compatible avec la vie boursière, marquée par les aléas et la brièveté. Je ne souhaiterais pas qu'une telle réforme compromette un équilibre auquel le mouvement sportif dans son ensemble est attaché.

Ma conception du sport est également fondée sur l'approche pragmatique et dynamique.

Il n'existe en effet pas de modèle d'organisation idéal, et surtout figé. Ce modèle est sans cesse à inventer pour répondre aux enjeux nouveaux qui se dessinent.

J'y suis prêt, avec vous, dans le respect des valeurs qui caractérisent le sport et des références qui font sa force.

La solution de facilité consisterait à laisser le droit commun et les règles économiques investir le sport ; le marché existe, la médiatisation constitue un exceptionnel vecteur de développement, mais cela peut engendrer de fortes dérives.

L'attitude responsable et raisonnable consiste à rechercher une solution qui permette de préserver l'essence du sport et ce qui lui donne sa valeur.

L'actualité récente concernant le dopage dans le sport doit nous inciter à réaffirmer avec force que, sans éthique, le sport perd tout sens. Une équipe professionnelle doit être capable de rivaliser avec ses concurrentes, mais pas au prix de la vie de ses joueurs.

Inverser le sens des valeurs n'est pas seulement condamnable sur le plan disciplinaire, pénal ou moral, c'est condamner le sport lui-même. Tel est d'ailleurs le sens des propos du Président de la République lorsqu'il rappelait à l'occasion de la clôture des Etats généraux du Sport que plus qu'une dérive du sport, le dopage est l'anti-sport.

L'action menée par le Gouvernement sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin, dans le but d'isoler les tricheurs mais aussi de remonter les chaînes de responsabilité dans le domaine de la lutte contre les trafiquants, est marquée par une détermination sans précédent et une absence totale de concession.

Je m'inspirerai pour conclure d'Albert Camus, disant que tout ce qu'il savait de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes, c'est au sport qu'il le devait.

Je souhaite que nous puissions transmettre ensemble cet héritage.

Merci.

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