B. SITUATION FRANÇAISE

M. Xavier THIERRY , représentant de l'Institut National des Études Démographiques (INED) , France , relève tout d'abord que les statistiques sur les flux d'immigration étrangère en France sont difficiles d'accès, car il faut pouvoir se repérer dans les données de divers organismes qui ne mesurent chacun qu'une partie du phénomène. L'INED effectue une totalisation des données du Ministère de l'Intérieur et de celles de l'Office des Migrations Internationales, harmonisées en suivant les recommandations internationales. Ces données recensent l'ensemble des étrangers admis à un séjour régulier en métropole pour une durée supérieure ou égale à un an, quelles que soient leur nationalité, leur âge, leur situation familiale ou professionnelle. Elles incluent donc les entrées de ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne, leurs enfants mineurs, ainsi que les étudiants titulaires d'un titre de séjour d'une durée d'au moins un an. En revanche, elles ne comptabilisent pas les étrangers de passage, les travailleurs saisonniers, les demandeurs d'asile en attente de décision, les étrangers en situation irrégulière, etc. Pour l'essentiel, ces données reposent sur l'exploitation des fichiers du Ministère de l'Intérieur relatif à la délivrance des titres de séjour, dont l'ouverture, depuis 1994, a constitué un énorme progrès pour la statistique.

S'agissant de l'immigration étrangère régulière, la comparaison avec les autres pays européens indique que la France se situe au rang des immigrations basses. Par exemple, le Royaume-Uni, pays de taille et de définition de l'immigrant comparables, accueille chaque année deux fois plus d'immigrés que la France. La comparaison avec l'Allemagne et l'Europe septentrionale, soit un ensemble de 60 millions d'habitants, est plus délicate, notamment parce que ces statistiques incluent les immigrés venus pour une courte durée. Mais on peut sans risque dire que l'immigration dans cette partie de l'Europe est plus élevée qu'en France. Il faut se tourner du côté des pays d'Europe du Sud pour trouver des situations analogues à la France.

Pour une part, on estime à près de 40 000 le nombre des ressortissants de l'Union européenne qui s'installent en France chaque année. Ce nombre est très vraisemblablement sous-estimé. En réalité, 40 % du total de l'immigration étrangère en France émanerait de l'intérieur de l'Union européenne. De plus, l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'immigration, qui dispense les communautaires de titres de séjour, condamne cette statistique. Une autre solution devra être imaginée pour prendre connaissance des réalités de la liberté de circulation au sein de l'espace européen.

A la différence des flux européens, qui sont invariables dans le temps, les flux de ressortissants de pays tiers connaissent des fluctuations annuelles très importantes, alors que, paradoxalement, les premiers sont libres de tout contrôle et les seconds sont encadrés par la politique migratoire, pratiquement inchangée depuis 30 ans. L'immigration a connu un pic au début des années 80, suivi d'un recul, un second pic au début des années 90, puis à nouveau une période de baisse jusqu'en 1996, où elle atteint un niveau très bas, avec 106 000 entrées enregistrées, européens compris.

Sur les cinq dernières années, de 1997 à 2001, l'immigration augmente, excepté en 1999, suite à l'opération de régularisation. En 2001, elle se monte à 183 000. Jamais sans doute un tel niveau n'avait été atteint depuis 1974. On est donc bien au-dessus des 100 000 entrées annuelles, chiffre fréquemment lu dans la presse. Y aura-t-il un retournement en 2002 ? Les données provisoires semblent indiquer que non.

Le classement des principaux courants migratoires a beaucoup changé en moins de dix ans. Le Maroc et l'Algérie, qui côtoyaient il y a peu l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont très nettement pris la tête du classement ces dernières années. L'immigration d'Anglais et d'Allemands résiste bien, et c'est l'immigration d'Europe du Sud qui cède peu à peu sa place à des courants extra-européens. L'immigration chinoise est parvenue en peu de temps à se hisser à un haut niveau de flux, passant de la 12 e à la 6 e place entre 1999 et 2001. Mais le volume de l'immigration n'est qu'un des paramètres du diagnostic. Il convient d'en intégrer les caractéristiques, qui déterminent les conditions du processus d'intégration.

On ne dispose pas d'information sur les langues parlées par les immigrants, mais on peut obtenir un ordre de grandeur en additionnant les flux des 27 pays du monde où le français est langue officielle, plus les trois pays du Maghreb. Sur cette base, la proportion de migrants francophones progresse, passant de 32 % à 43 % entre 1995 et 2000.

Le potentiel économique des migrants est lui aussi un autre élément important à considérer. Pourtant, nos informations sont lacunaires. On ne demande pas aux étrangers à qui l'on remet un titre de séjour durant combien d'années ils sont allés à l'école dans leur pays, ni quelle formation professionnelle ils y ont reçu. Le perfectionnement de nos outils de connaissance serait hautement souhaitable sur un pareil sujet. Le recensement de 1999 ne fournit que des renseignements sommaires. Les flux d'étrangers y apparaissent de plus en plus qualifiés: 33 % des hommes étrangers venus vers 1980 sont diplômés du supérieur, contre 39 % vers 1990. Et la proportion de ceux qui n'ont pas dépassé l'école primaire ne cesse de diminuer.

Les progrès de la scolarisation dans le monde sont un des facteurs dont on peut se réjouir, mais qu'on ne peut maîtriser. Autre facteur essentiel, la croissance des flux d'étudiants, mais cet élément est occulté dans les présentations statistiques censées dépeindre la réalité migratoire. La controverse actuelle au sein du Haut Conseil à l'Intégration sur la question des étudiants, qui aboutit à les retirer de la statistique, en témoigne.

Pourtant, cette migration qualifiée n'est pas nouvelle. La croissance des flux d'étudiants a démarré au moment du tournant migratoire du milieu des années 70. En effet, avant 1975, la plupart des hommes venaient pour travailler. On a vu ensuite se développer le regroupement familial masculin, et surtout les venues en France initialement pour cause d'étude. L'enquête «Mobilité géographique et insertion sociale» de 1992 a montré que les restrictions aux conditions d'entrée ont modifié les stratégies migratoires des hommes, multipliant les raisons familiales et surtout les études.

Les flux d'étudiants s'accélèrent encore récemment: 50 000 nouveaux étudiants sont arrivés en France en 2001, contre moins de 30 000 il y a quelques années seulement. Au départ limité aux hommes, le phénomène s'étend désormais aux femmes. Comme hier, nombreux sont les étrangers de pays tiers venus pour étudier qui s'installent durablement. Le silence des statistiques françaises sur les mouvements de retour a laissé croire à la réalisation effective de la doctrine officielle selon laquelle ces étudiants ont vocation à repartir dans leur pays une fois leurs études achevées. En réalité, plus de la moitié des étudiants étrangers de pays tiers prend pied dans la société française. Les pressions au séjour en France demeurent, et elles fournissent de nouveaux motifs d'admission, comme le mariage avec un conjoint français.

Pourtant, au regard de l'amélioration du profil scolaire des arrivants, un point peut inquiéter: les travaux en cours montrent que la France puise ses immigrés dans un ensemble de pays de plus en plus défavorisés. Comparé aux autres pays européens, le profil socio-économique des pays d'émigration vers la France apparaît aussi plus faible. Finalement l'augmentation des niveaux individuels qui s'effectue dans un contexte relativement appauvri conforte l'hypothèse de l'exode des cerveaux des pays en développement.

Et maintenant l'immigration irrégulière. Que sait-on d'elle statistiquement ? Pas grand chose. Elle est difficile à connaître par nature. Les opérations ponctuelles et collectives de régularisation permettent certes de recueillir des informations sur ceux qui bénéficient d'une amnistie. Mais ces opérations sont peu fréquentes en France et elles touchent un nombre limité d'individus, par rapport aux effectifs constatés dans les pays d'Europe du sud. La population irrégulière est donc manifestement assez faible en France. Toutefois, aucun chiffrage sérieux ne peut être avancé sur le stock d'irréguliers, à la fois parce qu'une partie, en proportion inconnue, ne dépose même pas de demande en cas de régularisation, et parce que, parmi ceux qui l'ont fait en 1997, le dépôt de cette demande de séjour régulier constituait, pour 60 % d'entre eux, leur toute première démarche officielle auprès des préfectures. Il est donc bien difficile de repérer par avance cette population, vu le peu de traces administratives qu'elle laisse.

La résorption du stock de clandestins se fait donc par ces opérations ponctuelles, mais il s'effectue aussi en permanence, par le jeu des reconduites à la frontière, les départs spontanés, et surtout par un autre phénomène assez méconnu: l'administration est amenée à prononcer des mesures individuelles de régularisation, parfois dans le cadre de la loi, mais le plus souvent par clémence. Des travaux en cours permettent d'estimer que, depuis la fin de l'opération ponctuelle de 1997, 15 % par an en moyenne des étrangers des pays tiers admis au séjour ont bénéficié d'une telle mesure. Ces régularisations qu'on pourrait dire «au fil de l'eau» représentent chaque année une masse de dossiers non négligeable. Pour autant, elles ne paraissent toutefois pas suffisantes pour éponger la croissance spectaculaire des demandes d'asile enregistrées ces dernières années. Le stock d'irréguliers est donc sans doute en train de se reconstituer, ce qui pourrait rendre nécessaire une nouvelle opération collective.

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