TENDANCES DÉMOGRAPHIQUES ET FLUX MIGRATOIRES
Le Président note que la réflexion sur l'immigration ne peut faire l'économie d'une réflexion sur les tendances démographiques, et notamment le vieillissement de la population européenne.
Il indique qu'il doit regagner d'urgence Varsovie et va céder la présidence de cette matinée à M. Wilkinson.
Présidence de John Wilkinson, Président de la Sous-commission des migrations
A. PRÉSENTATION DES ÉVOLUTIONS INTERNATIONALES
M. Abye MAKONNEN, représentant de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) remercie tout d'abord les organisateurs de ce colloque de l'intérêt qu'ils ont manifesté pour les travaux de l'Organisation internationale pour les migrations sur les flux migratoires dans le monde.
Au début de ce XXIe siècle, rares sont les pays qui ne sont pas concernés par la migration internationale. Aucun des quelques 190 États souverains dans le monde n'échappe aux flux et circuits migratoires qui font d'eux des pays d'origine, de transit ou de destination des migrants.
Les mouvements croissants des personnes sont des indicateurs aussi fiables du processus de la mondialisation que les flux financiers et commerciaux. La mondialisation a des conséquences significatives sur la dimension socio-économique de la migration qui, à son tour, a un impact non négligeable sur les relations économiques et sociales contemporaines.
La mobilité humaine connaît une croissance continue en raison de facteurs multiples tels que le développement économique et ses disparités, la démographie, la multiplication des réseaux migratoires, l'accès à l'information et aux transports, les conflits armés, la détérioration de l'environnement et la violation des droits de l'Homme.
S'il est possible d'estimer le nombre des migrants réguliers à partir de statistiques officielles (délivrées par les gouvernements, les institutions spécialisées et organismes internationaux), la migration irrégulière reste un phénomène complexe sur lequel on ne dispose pas de données précises et fiables. On estime qu'entre 700 000 et 2 millions de femmes et d'enfants franchissent chaque année des frontières internationales avec l'aide de trafiquants. Chaque année, environ 500 000 personnes entrent illégalement aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le nombre de personnes qui pénètrent illégalement sur le territoire de l'Union européenne varie, d'une année à l'autre, entre 120 000 et 500 000. Au vu de ces données, on comprend pourquoi le trafic d'êtres humains est devenu un commerce lucratif générant des revenus qui se chiffrent en milliards de dollars.
Les chiffres qui suivent ont été publiés en 2002 par la Division de la Population des Nations unies. Ils prennent en compte les réfugiés et personnes déplacées, mais pas les migrants irréguliers.
Il est estimé que le nombre total des migrants internationaux est de 175 millions, ce qui représente 2,9 % de la population mondiale (un peu plus de 6 milliards) en 2000. En d'autres termes, un habitant de la Terre sur 35 est un migrant international. Si les migrants internationaux devaient se regrouper dans un même lieu, celui-ci serait au cinquième rang des pays les plus peuplés.
Entre les années 60 et les années 80, le pourcentage du nombre des migrants par rapport à la population mondiale stagnait autour d'une moyenne de 2,2, avant de connaître une croissance continue ces quinze dernières années. Entre 1965 et 2000, le nombre des migrants a plus que doublé, passant de 75 à 175 millions, tandis que la population mondiale est passée de 3 à 6 milliards pour la même période. L'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord sont les régions qui ont les effectifs les plus élevés avec respectivement 56,1, 49,7 et 40,8 millions de migrants. En Afrique, la population migrante totalise 16,2 millions de personnes, soit 2,1 % de la population totale. En Amérique Latine et aux Caraïbes, elle totalise 5,9 millions de personnes.
L'Océanie/Pacifique arrive en tête des régions du monde comptant la plus forte proportion de migrants par rapport à la population totale (19,1 %), suivie de l'Amérique du Nord (13 %) et de l'Europe (7,7 %).
Si l'on regarde les effectifs par pays, on constate que les États-Unis et la Fédération de Russie arrivent en tête de liste des quinze pays ayant recensé le plus grand nombre de migrants internationaux au monde, avec respectivement 35 et 13,3 millions de personnes. Viennent ensuite l'Allemagne (7,3 millions), l'Ukraine, la France (6,3 millions), l'Inde, le Canada, l'Arabie Saoudite, l'Australie, le Pakistan, le Royaume-Uni (4 millions), le Kazakhstan, la Côte d'Ivoire, etc.
Alors que les dix principaux pays d'émigration entre 1970 et 1995 appartenaient au monde en développement, les dix principaux pays d'immigration n'étaient pas tous des pays industrialisés. Les principaux pays d'immigration nette ont été les États-Unis (16,7 millions) et l'Inde (3,3 millions). Les principaux pays d'émigration ont été le Mexique (6 millions), le Bangladesh (4,1 millions) et l'Afghanistan (4,1 millions). Enfin, il est important de signaler que la proportion des femmes parmi les migrants internationaux a pris une ampleur sans précédent, puisqu'elles représentent maintenant près de la moitié de l'effectif total avec une part d'environ 48 %.
Pour ce qui est des prévisions, les extrapolations faites par les démographes donnent, pour 2050, 203 millions de migrants internationaux, représentant 2,6 % de la population mondiale alors passée à 9 milliards d'individus.
Quelques observations sur l'évolution des flux migratoires en Europe. À partir des années 60, la balance entre émigration et immigration était rétablie dans plusieurs pays de l'Europe occidentale. Vers le milieu des années 70, il a été mis un frein au recrutement de main d'oeuvre étrangère. Cependant, les années 90 virent un regain important de flux migratoires vers les pays de l'Europe du Sud. Entre 1960 et 2000, la population de l'Europe de l'Ouest s'est accrue de 4,3% à travers un afflux de 16,7 millions de personnes. Les pays de destination les plus importants étaient l'Allemagne (8,5 millions), la France (3,9 millions), les Pays-Bas (1 million), le Royaume-Uni (0,9 millions) et la Suisse (0,8 millions). En résumé, en 1950 l'Europe occidentale hébergeait 3,8 millions de migrants, alors qu'au début des années 70 leur nombre atteignait les 11 millions. Au début du XXIe siècle, ils en totalisent 20,5 millions.
Les perspectives démographiques communes à la plupart des pays européens se caractérisent par le vieillissement de leurs populations, dû à la baisse du taux de natalité et à l'augmentation de l'espérance de vie. Les chiffres indiquent que la tranche d'âge 15/65 ans de la population de l'Europe occidentale devrait décroître de 259,4 millions en 2000 à 237,3 millions en 2025 et à 162,8 millions en 2050, soit une baisse de 37,2%.
Il est communément admis qu'une immigration massive n'inversera pas cette tendance au vieillissement de la population en Europe. Cependant, elle représentera certainement une solution pour atténuer l'impact sur la force de travail. Ainsi, afin de préserver l'équilibre de la population active dans l'Union européenne des Quinze, un apport annuel de 550 000 travailleurs et professionnels étrangers serait nécessaire jusqu'en 2010, puis de 1,6 millions entre 2010 et 2050, ce qui équivaudrait à 68 millions de personnes entre 2003 et 2050, représentant 16,8 % de la population totale de l'Union européenne. En termes plus simples, une immigration de 3,8 pour 1000 habitants, en comparaison avec 2,2 pour 1000 dans les années 70 et 0,7 pour 1000 entre 1960 et 1982.
Ces chiffres offrent des instantanés relativement fiables d'une situation complexe, et permettent d'élaborer des politiques et des actions à court et à long terme en matière de gestion de la migration.