II. UNE MEILLEURE CONNAISSANCE D'UN DOMAINE COMPLEXE QUI FAIT APPARAÎTRE DE NOUVELLES QUESTIONS |
Les avancées scientifiques dans le domaine de l'alimentation et de la nutrition ont suscité en retour des interrogations multiples .
A. QUELLE SÉCURITÉ ?
L'écart entre la sécurité réelle et la sécurité perçue
Sur une longue période, la sécurité alimentaire s'est considérablement renforcée (15.000 morts par an en 1950, 150 aujourd'hui, 10.000 morts par an il y a dix ans aux Etats-Unis, 5.000 aujourd'hui).
Sur une courte période, les données objectives ne permettent pas d'identifier un risque toxico alimentaire majeur :
- il n'y a que 200 rappels de produits par an, dont la plupart ne sont pas motivés par des raisons de sécurité,
- les contrôles effectués en 2002 par la Direction générale de l'alimentation - en application des plans de contrôle européens - sur les filières animales ne font apparaître que très peu de résidus chimiques (organochlorés, organophosphorés, PCB). Les résidus d'hormones de croissance qui sont proscrites sont inexistants.
Un récent rapport de l'Académie de médecine confirme la sécurité globale de l'alimentation.
Par ailleurs, la réactivité des filières de traçabilité s'est améliorée :
- par exemple, en cas d'accident, la traçabilité électronique permet d'identifier les lots défectueux dans des délais très brefs,
- la Direction générale de la répression des fraudes a fait preuve d'une bonne réactivité dans le cas du « Soudan », ce piment importé en France en 2003 qui contenait du colorant de peinture. Les lots ont été rapidement identifiés et retirés du marché.
Mais les progrès des méthodes de détection ont abouti à « un effet de loupe » qui amplifie la perception sociale d'accidents alimentaires pourtant de moins en moins nombreux .
Les persistances des risques après l'achat
Le risque objectif le plus grand que court le consommateur se situe après l'achat d'aliment :
risque de transport des aliments : ce risque est patent aux Etats-Unis mais il l'est aussi en France où le transit d'aliment du supermarché au réfrigérateur dure en moyenne 1h20 et peut faire subir à l'aliment des écarts de température supérieurs à 35°. L'INRA accomplit des recherches sur une modélisation de comportement microbiologique des aliments soumis à ces avatars thermiques,
et, surtout, risques de contamination microbienne directe ou même croisée liés à une mauvaise utilisation de la réfrigération :
2/3 des Français contrôlent très rarement la température de leur réfrigérateur,
dans 52 % des cas cette température est excessive (et dans 18 % d'autres cas elle atteint 10° !),
seuls 5,6 % des produits carnés et 37,2 % des yoghourts sont conservés à une température de sécurité.
L'articulation des seuils d'analyse et des normes
En vingt ans, la finesse de détection des systèmes de détection s'est accrue d'un facteur 1000. On en vient à détecter des « traces de traces » (par exemple, pour un antibiotique interdit, 0,05 part par milliard).
Adapter en permanence les seuils d'interdiction à la puissance de détection de l'instrument pourrait, à terme, aboutir à des impasses technologiques.
Des risques à surveiller
Les effets discrets
La question des effets discrets liés à la répétition de consommation de molécules à très faible dose doit faire l'objet d'une vigilance particulière en raison de l'allongement de la vie.
Les biorésistances : la lance et le bouclier
Le développement d'une lutte antimicrobienne brutale comme elle se pratique aux Etats-Unis (où, par exemple, les carcasses de boeuf sont désinfectées à l'eau de Javel) aboutit à la montée de biorésistances bactériennes très préoccupante.
En témoigne la mutation de l'E coli classique en E coli O157 :H7, qui est beaucoup plus résistante et comprend 25 % de capital génétique en plus. Il en est de même du campylobacter, dont certaines souches possèdent des coefficients de réinfection très poussés.
Il est nécessaire sur ce point d'activer les recherches sur ces risques émergents en approfondissant la connaissance de l'écologie des systèmes bactériens et celle des fonctions qui permettent d'exprimer le caractère pathogène chez la bactérie.
Les zoonoses virales : « leurs gènes contre notre intelligence »
C'est un risque potentiellement explosif, dont on rappellera que ses manifestations se sont chiffrées, au cours du siècle dernier, en millions de morts, en particulier, mais pas uniquement, lors de la grippe « espagnole ».
Le danger d'une zoonose virale se combinant avec un virus humain, et capable de mutation très pathogène, peut être illustré par le fait suivant : un virus peut changer 2 % de son capital génétique en cinq jours, alors que nous avons fait évoluer les 2 % de gènes qui nous séparent du chimpanzé en dix millions d'années.
Le risque est assez bien étudié et surveillé vers l'aval par la recherche médicale et les réseaux de l'OMS, mais devrait faire l'objet d'une recherche virale propre au domaine alimentaire plus poussée .