Audition de M. Yannick
Jadot,
directeur des campagnes de Greenpeace France,
le 17
décembre 2003
M.
Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace France
, a
débuté l'audition en présentant Greenpeace, association
présente dans de très nombreux pays, comme une organisation
mondialiste. Son but est de promouvoir la protection de l'environnement
à l'échelle mondiale, par l'élaboration d'un droit
international de l'environnement.
Greenpeace a contribué à l'élaboration de conventions
internationales sur l'environnement, telles que la Convention de Stockholm sur
les polluants organiques persistants, la Convention de Bâle sur les
exportations de déchets, le protocole sur la biodiversité, ou le
protocole de Kyoto. Les Etats ont une responsabilité dans le domaine de
l'environnement, et leur instrument d'action est le droit international.
Après la chute du mur de Berlin, la dimension économique et
financière de la mondialisation a pris le pas sur ses autres dimensions
(universalité des droits de l'homme, protection de l'environnement,
etc.). Les Etats tendent à se désengager, et à
étendre le champ des activités laissées au secteur
privé. Le Sommet de Johannesburg en a offert l'illustration : peu
d'initiatives intergouvernementales ont été
adoptées ; en revanche, les partenariats publics-privés ont
été fortement encouragés. Une initiative
franco-britannique sur l'eau a conclu à l'importance d'accorder aux
entreprises la possibilité de gérer la distribution d'eau. Une
initiative française sur la protection des forêts dans le bassin
du Congo envisage de donner aux entreprises la responsabilité d'assurer
la gestion durable des forêts, contre une rétribution
financée par l'aide publique au développement.
Cette tendance à confier aux entreprises des responsabilités de
protection de l'environnement peut inquiéter, dans la mesure où
c'est aux Etats qu'incombe normalement la responsabilité de
défendre l'intérêt général. Pour les
entreprises, l'environnement demeure une contrainte. De plus l'organisation des
systèmes judiciaires sur une base nationale rend souvent difficile la
mise en cause de la responsabilité des firmes multinationales pour les
activités de leurs filiales à l'étranger, comme l'a
montré en Inde l'affaire de Bhopal.
Puis
M. Yannick Jadot
a relevé les faiblesses de la gouvernance
mondiale, que ce soit en matière de sécurité collective,
de prévention des crises financières, ou de négociation
commerciale internationale. Il a souligné que l'Organisation Mondiale du
Commerce était devenue un lieu de négociation de nombreux sujets
politiques, et s'est demandé si cette enceinte était le lieu
adéquat de définition de nos préférences
collectives au niveau international.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors souhaité savoir
quels étaient les liens entre Greenpeace et la mouvance
altermondialiste.
M. Yannick Jadot
a répondu que Greenpeace se battait depuis
trente ans pour une mondialisation de la protection de l'environnement, et
qu'il se rangeait, en ce sens, parmi les altermondialistes. Mais il a
noté la grande hétérogénéité du
mouvement altermondialiste, qui est encore très peu structuré.
Greenpeace recherche ainsi des convergences avec les organisations qui
partagent ses objectifs.
Puis
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a demandé quelles
sections de l'opinion publique étaient les plus sensibles aux questions
environnementales.
M. Yannick Jadot
a indiqué qu'existait pour l'ensemble de la
mouvance écologiste le risque de ne s'adresser qu'à la
catégorie des « consommateurs globaux ». Il
désigne par là les personnes appartenant aux classes moyennes et
aisées, qui ont accès à une information globale et qui
bénéficient de la mondialisation. Ces catégories sociales
sont sensibilisées à la protection de l'environnement, mais
n'entendent pas de discours critique sur leurs modes de consommation, qui sont
pourtant une cause centrale des atteintes portées à
l'environnement. A l'opposé, 80 % des habitants de la
planète sont des personnes pauvres, largement déconnectées
du marché mondial. Il faut éviter que les populations des pays en
voie de développement, qui ont un droit légitime au
développement, ne reproduisent les modes de production et de
consommation propres aux pays occidentaux, sans quoi les pressions subies par
notre environnement naturel excéderont largement sa capacité
d'absorption.
L'opinion publique sera davantage incitée à protéger
l'environnement si elle a le sentiment de pouvoir agir concrètement en
ce sens. C'est pourquoi il est important de faire connaître les produits
écologiques aux consommateurs.
Dans la mesure où les lobbies économiques sont
généralement plus puissants que les lobbies écologiques,
il est indispensable de gagner les opinions publiques à la cause de la
protection de l'environnement pour infléchir les politiques publiques.
Convaincre les citoyens de l'enjeu que représente la protection de
l'environnement leur permet également de mieux s'approprier les
politiques environnementales.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a ensuite demandé quel
était pour Greenpeace le principal problème environnemental
aujourd'hui.
M. Yannick Jadot
a répondu que le réchauffement climatique
était le problème environnemental le plus préoccupant
actuellement. Il a souhaité que l'Union européenne applique le
protocole même si celui-ci ne devient pas juridiquement contraignant. Un
effort devrait être fait pour promouvoir les énergies
renouvelables, y compris dans les pays du Sud par le biais de l'aide au
développement et des agences de crédit à l'exportation.
M. Serge Lepeltier
,
sénateur
, a souhaité savoir si
le « dumping environnemental », c'est-à-dire la
délocalisation d'industries pour bénéficier de normes
environnementales moins strictes, représentait, selon Greenpeace, une
menace sérieuse pour l'environnement.
M. Yannick Jadot
a estimé que les situations étaient
contrastées. Beaucoup de firmes multinationales tendent à
s'implanter dans les pays du Sud en reproduisant les modes de production
développés dans leur pays d'origine, où les normes
environnementales sont strictes.
Toutefois, des phénomènes de « dumping
environnemental » sont bien observés dans certains secteurs,
tels le transport maritime. Les coûts du transport maritime demeurent
réduits, au prix d'un très faible niveau d'exigence dans le
domaine social, environnemental, et en matière de
sécurité.
Des délocalisations sont également observées dans le
secteur de l'industrie chimique. Le secteur de la tannerie est très
largement délocalisé dans les pays du Sud, en raison des
importants rejets polluants qu'il émet.
M. Yannick Jadot
a conclu sur ce point en indiquant qu'il pouvait
exister une contradiction entre l'évolution des
préférences collectives dans les pays du Nord, où les
populations sont plus sensibles à la protection de l'environnement, et
le choix de l'ouverture aux échanges commerciaux.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a ensuite évoqué la
question de la création d'une Organisation Mondiale de l'Environnement.
M. Yannick Jadot
a indiqué que Greenpeace était favorable
à la création d'une telle organisation et que celle-ci constitue
un objectif à moyen long terme. Il existe toutefois un risque que cette
organisation ait peu de pouvoirs, et se contente d'émettre des rapports
et des recommandations non suivis d'effets. Il ne faudrait pas non plus que le
débat sur l'OME détourne les Etats de leurs obligations les plus
immédiates, à savoir l'application des conventions
environnementales existantes. Il faut noter, enfin, que peu d'Etats sont
actuellement désireux de créer une telle organisation.
Greenpeace est également favorable à la création d'une
écotaxe internationale.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a précisé, sur ce
point, que le Groupe d'étude sur la fiscalité mondiale, mis en
place il y a quelques mois, réfléchissait à
l'hypothèse d'une taxation internationale du CO
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