3. L'approfondissement de la mondialisation au cours des dernières décennies a été concomitant à un renforcement des normes environnementales dans les pays développés
Peut-on
expliquer le maintien d'un certain avantage comparatif des pays du Nord dans
les activités polluantes par un abandon de leurs exigences
environnementales ?
L'hypothèse d'une « course au moins-disant »
environnemental, destinée à prévenir les
délocalisations vers les pays du Sud, ne s'est jusqu'ici guère
vérifiée.
On peut certes trouver des exemples de recul des normes environnementales, mais
ceux-ci demeurent anecdotiques. Esty et Gerardin
33
(
*
)
citent le cas de la province
de l'Ontario au Canada qui a assoupli certains règlements
environnementaux ces dernières années pour répondre aux
intérêts commerciaux du secteur forestier, des industries
extractives, de la construction résidentielle et du secteur
agroalimentaire. Ils signalent aussi des modifications des lois allemandes sur
la protection de l'environnement intervenues dans les années 1990, qui
donneraient clairement la priorité à l'économie sur la
protection de l'environnement.
Certainement ces exemples montrent qu'il y a bien des cas de relâchement
de la réglementation environnementale motivés par des
considérations économiques. Mais on peut douter que le monde
développé soit entré dans une phase de
démantèlement progressif de ses normes environnementales.
Historiquement, les législations environnementales se sont
constituées depuis les années 1970, c'est-à-dire dans un
contexte d'internationalisation déjà avancée des
économies occidentales.
L'approfondissement de l'intégration
économique et le renforcement des normes environnementales ont donc
évolué en parallèle.
Si les cas de recul des normes environnementales sont rares, les exemples de
« paralysie réglementaire » semblent plus nombreux
et plus significatifs.
Par « paralysie réglementaire », il faut entendre le
refus des pouvoirs publics d'édicter des normes plus contraignantes, de
crainte de nuire à la compétitivité nationale.
Ainsi en 1992, la Commission européenne a présenté une
proposition de taxation du dioxyde de carbone. Cette proposition était
subordonnée à l'adoption de taxes similaires par les principaux
partenaires commerciaux de l'Union européenne. Toutefois, les
initiatives prises à cet effet, aux Etats-Unis, en Australie, ou au
Japon, ont été combattues, avec succès, par les
représentants des industriels qui ont soutenu que cette mesure nuirait
à leur compétitivité par rapport aux pays ne prenant pas
part à l'initiative (pays émergents notamment). En
définitive, la proposition a été retirée.
Autre exemple, en 1995, l'industrie britannique des peintures a obtenu
l'abandon d'une loi qui l'aurait forcée à réduire ses
émissions de composés organiques volatils, cause majeure du
smog
urbain et de problèmes respiratoires. Là encore,
l'argument était que cette loi pénaliserait l'industrie par
rapport à la concurrence internationale.
L'actualité récente offre un exemple supplémentaire des
craintes suscitées dans le secteur chimique par les propositions de
réglementation environnementale. En mai 2003, la Commission
européenne a déposé un premier projet visant à
réglementer l'industrie chimique ; l'objectif de la réforme
est de mettre en place un système complet d'enregistrement,
d'évaluation et d'autorisation pour les substances chimiques, avec
obligation pour les industriels de démontrer que leurs produits sont
sûrs pour la santé humaine et pour l'environnement. Suite aux
vives critiques des industriels allemands, français et britanniques, qui
ont évoqué des surcoûts excessifs pour leur
activité, et le risque de nombreuses suppressions d'emplois, le projet
de la Commission a été profondément remanié. La
Commission a également dû faire face à un lobbying intense
des Etats-Unis, qui craignaient pour leurs exportations vers l'Union
européenne. Un nouveau projet, présenté à la fin de
l'année 2003, a un champ d'application et des objectifs plus restreints.
La Commission estime que son coût pour l'industrie chimique
européenne serait de 2,8 à 5,2 milliards d'euros sur onze
ans, ce qui représente, annuellement, mois de 0,1 % du chiffre
d'affaires du secteur.
Qu'elles soient justifiées ou non,
les craintes de
délocalisation ont remis en question certains projets dans le domaine
environnemental ces dernières années, ce qui plaide pour un
effort accru de coopération internationale en vue de la
définition de normes communes.
Néanmoins, le tableau d'ensemble qui se dégage de cet
aperçu des données empiriques conduit à penser que les
grandes entreprises n'ont pas exploité de manière
systématique les différences de réglementation
environnementales pour se relocaliser, alors même que les normes
environnementales dans les pays développés se sont, sauf
exceptions, renforcées ou sont restées stables dans la
dernière période. Cet apparent paradoxe peut s'expliquer de la
manière suivante : le niveau des normes environnementales demeure,
pour la plupart des entreprises, un déterminant relativement secondaire
de leurs choix d'implantation ; de plus, d'autres facteurs s'opposent
à ce que les entreprises délocalisent aisément leurs
activités pour profiter de règles environnementales plus
laxistes.
* 33 D. Esty et D. Gerardin, « Environmental protection and international competitiveness : a conceptual framework », Journal of World Trade, vol. 32 (3), juin 1998.