B. LES CONSÉQUENCES DE LA CANICULE SUR LE SECTEUR ÉNERGÉTIQUE

Contrairement à l'agriculture, le secteur de l'énergie n'avait jamais été confronté, en France du moins, aux problèmes posés par un événement climatique exceptionnel comme l'a été la canicule. Celle-ci a constitué un véritable test « grandeur nature » pour notre système énergétique.

Si la situation a été en définitive correctement gérée, il n'en reste pas moins que la catastrophe a été évitée de peu. Cet « avertissement sans frais » nous oblige aujourd'hui à réfléchir sur les évolutions à venir tant de l'offre que de la demande d'énergie, ainsi qu'à leur rapport à l'environnement.

1. Une situation conjoncturelle difficile en raison d'un brusque « effet de ciseau »

Par nature extrêmement fragile, du fait que cette source d'énergie ne peut être stockée, l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité a failli être rompu du fait d'une réduction de la première et d'une augmentation de la seconde.

a) Des besoins énergétiques renforcés pendant l'été
(1) Les raisons d'une hausse paradoxale de la consommation

L'augmentation des besoins en énergie peut sembler paradoxale en période estivale, a fortiori en période de canicule : l'activité économique est en effet limitée, les besoins en éclairage réduits et en chauffage quasi nuls. Habituellement, la France a besoin en été d'une puissance électrique de pointe de 46 000 mégawatts, bien inférieure aux besoins de l'hiver, d'environ 75 000 mégawatts.

Cependant, la canicule exceptionnelle qu'a connue notre pays cet été a entraîné une augmentation de 5 à 10 % de la consommation d'électricité, les fortes chaleurs obligeant à « fabriquer plus de froid » : les réfrigérateurs, congélateurs, climatiseurs, ventilateurs et instruments industriels de refroidissement ont été en effet pleinement sollicités.

Comme l'a indiqué à la mission M. Pierre Bornard, directeur de la division « systèmes électriques » à Réseau de transport d'électricité (RTE), « pour chaque degré de température au-dessus de 25 degrés, la France consomme environ 250 à 300 mégawatts supplémentaires, ce qui représente grosso modo la consommation de la ville de Nantes ». Une hausse des températures d'une quinzaine de degrés, comme cela a été le cas l'été dernier, oblige donc à fournir environ 4 000 mégawatts supplémentaires.

(2) Une disproportion entre consommation domestique et professionnelle

Si les besoins en énergie électrique des Français représentent un volume non négligeable, celui-ci est relativement faible par rapport aux besoins du secteur économique, et notamment industriel. Le surplus de consommation d'électricité consommé après le 15 août, date à partir de laquelle a lieu traditionnellement la reprise économique, témoigne de ce phénomène dû essentiellement au redémarrage des entreprises industrielles, dont certaines sont fortement consommatrices d'électricité.

Une telle disproportion se retrouve d'ailleurs au niveau de la consommation d'eau, dont la structure est semblable à celle de l'électricité : outre les agriculteurs, les plus gros consommateurs sont les entreprises industrielles ayant d'importants besoins de refroidissement, et notamment les centrales produisant de l'électricité. Le responsable des installations nucléaires à la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) de la région Centre a ainsi indiqué à la délégation, lors de son déplacement à Orléans, que l'entreprise la plus consommatrice d'eau en utilisait 100 fois moins qu'une centrale nucléaire.

Ce constat n'est pas sans remettre en cause les modalités selon lesquelles sont pris les arrêtés préfectoraux de restriction d'eau, et notamment le fait que les particuliers soient concernés, puisque le volume d'eau qu'ils consomment est marginal par rapport à celui des centrales électriques.

b) Une capacité de production diminuée
(1) Un refroidissement problématique des centrales

Les centrales produisant de l'énergie électrique, qu'elles soient nucléaires ou qu'elles fonctionnent avec des sources d'énergie fossile (fuel, gaz et charbon), ont été confrontées à des difficultés de refroidissement. Utilisant à cet effet l'eau de la mer ou des fleuves, leurs rejets dans ces derniers en augmentent la température. Elles font donc l'objet de réglementations, des seuils de température maximum des rejets ayant été fixés afin d'éviter que ceux-ci aient un impact sur l'écosystème. Or, la période de canicule qu'a traversée notre pays était si intense que les températures des fleuves ont atteint des niveaux extrêmement élevés 13 ( * ) .

Ainsi, du fait des contraintes environnementales figurant dans les arrêtés de rejets, un manque potentiel de production des centrales thermiques, pouvant atteindre au maximum 16 000 mégawatts, a été identifié pour la semaine du 18 au 24 août. Sur la période du 4 au 24 août, une réduction de 4 % de la production d'énergie d'origine nucléaire a été enregistrée.

Cette difficulté a été évoquée devant la mission par Mme Claude Nahon, directrice de l'environnement et du développement durable à EDF : « Les centrales thermiques ont besoin de refroidissement pour fonctionner [...]. Les centrales thermiques refroidies sur l'eau -les centrales nucléaires ou thermiques classiques- ont rencontré de nombreuses difficultés liées au refroidissement et aux rejets qu'elles pouvaient être amenées à faire dans l'eau [...]. Cela nous a conduits à un risque significatif de perte de moyens de production d'électricité. Ce risque de perte de production s'élevait entre 10 000 et 15 000 mégawatts ».

(2) De nombreuses centrales en situation de maintenance

La période estivale étant traditionnellement utilisée par EDF pour procéder à la maintenance de certaines installations, en les faisant fonctionner à bas régime ou en les arrêtant, leurs capacités de production en ont été réduites d'autant.

Lors de son audition par la mission, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a constaté « qu'un certain nombre de centrales nucléaires étaient arrêtées pour des raisons d'entretien, parce qu'auparavant, c'était l'épisode où il y avait le moins besoin d'énergie ».

Estimant qu'il était nécessaire de « repenser le dispositif à l'aune de ce qui arrive maintenant », la ministre de l'écologie et du développement durable a estimé que nous avions « les moyens de faire cela, en particulier sur les centrales de bord de mer, où nous n'avons pas les mêmes problèmes que sur les centrales situées au bord des fleuves ».

M. André Merlin, directeur de RTE, a lui aussi reconnu qu'il faudrait « clairement revoir le mode de maintenance de notre système électrique », non seulement « pour les moyens de transport, mais aussi pour les moyens de production de l'électricité ».

(3) Un réseau de transport saturé par endroits

La production d'électricité a également été limitée par des problèmes de surcharge des réseaux de transport. Selon M. Bornard, « le mois de juillet fut très chaud, au cours duquel des contraintes d'utilisation de nos autoroutes électriques ont commencé à apparaître », notamment sur « trois grandes parties de notre réseau : l'axe de la vallée du Rhône, la liaison entre le sud de la vallée du Rhône et la région de Montpellier et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ».

Un document publié par RTE, présentant le bilan de l'été 14 ( * ) , mentionne également que « certaines liaisons aériennes et souterraines haute tension ont été exploitées aux limites de leur dimensionnement compte tenu de l'élévation importante des températures de l'air et des sols ».

A Paris, la chaleur des sols a entraîné une recrudescence d'incidents sur le réseau souterrain de distribution : au total, 237 000 clients en Ile-de-France ont été concernés par des coupures momentanées. Afin de réduire les désagréments au maximum, des groupes électrogènes ont été installés dans la capitale dans le cadre de la Force d'intervention rapide électricité (FIRE), créée par EDF en 2000 suite à la tempête de décembre 1999.

(4) Une utilisation limitée des énergies alternatives

Si elle constitue une source majeure d'énergie électrique pour notre pays, puisqu'elle couvre plus des trois quarts des besoins 15 ( * ) , l'énergie d'origine nucléaire n'est pas la seule à pouvoir être utilisée, notamment pour faire face aux « pics de consommation » tels que ceux qu'a connus la France l'été dernier. Cependant, l'utilisation des trois plus importantes d'entre elles était limitée, voire impossible cet été, du fait des conditions climatiques et météorologiques :

- les centrales thermiques classiques ont été confrontées aux problèmes de refroidissement et de rejet précédemment évoqués ;

- l'énergie d'origine hydraulique, qui représente la majeure partie des énergies renouvelables, n'a pu être sollicitée comme elle l'aurait dû en raison du niveau extrêmement bas des cours d'eau. Ainsi, Mme Bachelot-Narquin a souligné les difficultés dues « au faible niveau des barrages pour l'hydroélectricité, qui constitue près de 15 % de notre ressource (électrique) » : près de 1 000 mégawatts ont ainsi été perdus en août pour les centrales au fil de l'eau et 600 mégawatts pour celles près de lacs de moyenne attitude ;

- l'énergie éolienne n'a été d'aucun secours du fait de l'absence de vent. « L'éolien », a souligné la ministre de l'écologie et du développement durable, « était complètement bloqué et n'a pas apporté les réponses nécessaires ». Convenant que les éoliennes avaient été « totalement inopérantes » du fait de l'absence de vent, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, a remarqué que la situation avait été semblable en Allemagne, qui en possède un très grand nombre : le coefficient de production d'énergie d'origine éolienne y est passé en dessous de 10 %. Les productions éoliennes néerlandaise, danoise et espagnole ont également été très affectées.

N'étaient donc mobilisables que certaines des énergies renouvelables dont le développement est encore « confidentiel » (solaire thermique, photovoltaïque...). Il va sans dire que l'ensemble de ces sources d'énergie, qui représentent moins de 1 % de nos ressources énergétiques, ne pouvait constituer une solution d'appoint pour faire face aux « pics de consommation » du mois d'août.

2. Une rupture de l'approvisionnement évitée

a) Un retour bienvenu à des conditions météorologiques plus normales
(1) La menace d'une reprise économique après le 15 août

Si les opérateurs pouvaient gérer une augmentation de la consommation d'électricité relativement brève et circonscrite durant la première quinzaine d'août, période durant laquelle les besoins des entreprises sont réduits, la poursuite de la canicule après cette date aurait largement compromis les possibilités d'une gestion « indolore » de la crise.

« La perspective d'une reprise de la consommation à partir du 15 août a engendré une situation d'alerte », a reconnu M. Bornard, ajoutant « que la période du 4 au 14 août est traditionnellement la période où la consommation d'électricité est la plus faible en France. Les années passées, nous avons enregistré des records de basse consommation à cette époque . En 2003, la consommation fut plus élevée que d'ordinaire début août, mais tout de même dans une moindre mesure que ce qui se dessinait à partir du 15 août, date d'une reprise économique sensible ». Il a ainsi indiqué qu'à partir de la mi-août, viennent traditionnellement s'ajouter, aux 250 à 300 mégawatts correspondant à chaque degré d'élévation de la température au-dessus de 25 degrés, 3 000 mégawatts chaque semaine correspondant au surplus de consommation des entreprises.

(2) Des délestages évités du fait d'un retour des températures à la normale

La perspective d'une poursuite de la vague de chaleur après la date fatidique du 15 août a donc clairement conduit les opérateurs à envisager la solution du délestage. « Si la canicule se poursuivait dans les mêmes conditions », a expliqué M. Bornard, « avec la reprise économique, nous devrions avoir recours à des coupures maîtrisées de la consommation relativement massives, de manière à éviter des cascades de coupures incontrôlées conduisant à une mise hors tension complète du réseau français ».

Mme Fontaine a confirmé ces propos : « A partir du 13 août, la cellule de crise que j'avais constituée a fait état de craintes sérieuses de ne pouvoir répondre à la demande du fait de la reprise après le week-end du 15 août . Nous savions en effet que l'industrie allait reprendre ses activités et nous avons vraiment craint d'être obligés à mettre en oeuvre un plan de délestage [...]. Nous étions donc réellement très inquiets et nous avions des raisons de l'être ».

En fait, les températures ont rapidement chuté dès le 13 août. Si elles sont restées au-dessus des normales saisonnières, les relevés de Météo France montrent qu'elles sont tombées en l'espace de deux jours d'environ 37 à 28 degrés pour leur valeur maximale. Ainsi, « compte tenu des prévisions établies par Météo France, qui confirmait la baisse des températures et l'absence de canicule lors des sept jours suivants », a indiqué Mme Fontaine, « il a été estimé que les capacités de production disponibles devraient être suffisantes pour faire face à la demande », entraînant la suspension le jeudi 14 août à 16 heures du plan de délestage qui était prévu pour le lundi suivant.

b) Une réaction positive d'EDF et de RTE
(1) Une mobilisation maximale du dispositif

Tant EDF, qui produit de l'électricité d'origine nucléaire, hydraulique et thermique classique, que RTE, chargé de gérer de manière indépendante le transport d'électricité à haute et très haute tension sur l'ensemble du territoire, ont fait preuve d'une remarquable réactivité. Mme Fontaine a d'ailleurs tenu à leur rendre hommage, se félicitant de ce que « l'opérateur EDF (ait) su mobiliser ses équipes et ses capacités de production sans défaillance » et de ce que « le gestionnaire du réseau, RTE, (ait) été capable de faire face à la demande à tout moment et (ait) joué son rôle d'alerte des pouvoirs publics ».

Cette réactivité des opérateurs publics s'est exercée dans trois domaines :

- matériel : tout en respectant les exigences liées à la sécurité des personnes et des biens, ils ont exploité le plus intensément possible leur dispositif technique afin de satisfaire une demande croissante ;

- humain : EDF a par exemple renforcé au maximum ses effectifs en demandant à ses employés de différer leurs départs en congés, d'écourter leurs vacances et d'élargir leurs horaires de travail ;

- financier : selon les estimations réalisées par le groupe lui-même, la canicule aurait coûté environ 300 millions d'euros à EDF. Ce surcoût serait dû non seulement à l'acquisition ou à la rémunération des moyens matériels et humains sollicités, mais aussi à la nécessité pour l'opérateur d'acheter à l'étranger de l'électricité à des prix très élevés.

(2) Des mesures d'urgence adaptées

Outre une mobilisation générale de leur dispositif, les opérateurs ont pris, en concertation avec les pouvoirs publics, toute une série de mesures ayant permis « d'amortir » les conséquences de la canicule :

En ce qui concerne EDF, l'entreprise a ainsi décidé :

- de limiter, voire de suspendre, le fonctionnement de certaines de ses centrales lorsque les seuils limites de température étaient atteints ; 6 centrales thermiques classiques ont ainsi été arrêtées, tandis qu'était réduite la production de plusieurs des 58 réacteurs nucléaires ;

- de réduire la fourniture d'électricité à certains de ses clients industriels français, et accessoirement étrangers. Envisageable dans les contrats comportant une « clause d'effacement » permettant à EDF d'annuler certaines livraisons moyennant une annonce suffisamment précoce pour que le client ait le temps de s'organiser, ainsi que le paiement d'un dédommagement, cette mesure a été appliquée pour une quarantaine d'industriels français, mais « une ou deux fois » seulement dans le cadre des contrats d'exportation. Elle a permis d'économiser au total entre 1 000 et 1 500 mégawatts d'électricité ;

- d'augmenter ses importations d'électricité auprès des producteurs étrangers, notamment allemands, belges, suisses, anglais, espagnols et italiens. Si ces achats ont pu quadrupler à certaines périodes de l'été par rapport à l'année dernière, représentant environ 2 500 mégawatts au total, cette variable d'ajustement a toutefois été limitée par la pénurie d'électricité constatée dans l'ensemble de l'Europe et par l'augmentation très importante du prix de l'électricité 16 ( * ) qui en a résulté ;

- de reporter les travaux de maintenance et d'entretien programmés. Ce report a concerné essentiellement les centrales situées le long des fleuves : en effet, 14 des 18 tranches nucléaires situées en bord de mer étaient à l'arrêt pour maintenance ;

- de recourir aux capacités de cogénération. Consistant à produire simultanément de l'électricité et de la chaleur, cette ressource a également été limitée du fait qu'un nombre important de cogénérateurs était alors en cours de maintenance. Elle a néanmoins permis de mobiliser près de 500 mégawatts ;

- et de mobiliser son parc électrogène.

Pour sa part, RTE a veillé à ce que le réseau reste en état de faire face aux besoins de transport accrus, en assurant l'entretien et la veille permanente des lignes haute et très haute tension. Par ailleurs, jugeant la situation « très critique vis-à-vis du risque de rupture de l'équilibre offre/demande », l'opérateur a également procédé au « pré-armement du plan ORTEC » -plan de crise interne- et à la préparation des délestages.

c) Une réactivité satisfaisante des pouvoirs publics
(1) Un pilotage efficace de l'ensemble des acteurs

La coordination des différents acteurs (cabinet du Premier ministre, ministères concernés, RTE, EDF et producteurs concurrents) s'est révélée particulièrement efficace durant toute la crise, contribuant sans doute largement à en réduire les conséquences. Mme Fontaine a affirmé que « sous (son) impulsion et sous l'autorité du Premier ministre et de son cabinet, (...) la concertation interministérielle a fonctionné de façon très satisfaisante », expliquant par ailleurs que « les responsables d'EDF, de RTE, de la DGNSR et de la DGEMP ainsi que (son) cabinet ont été en contact permanent ».

De la même façon, la ministre de l'écologie et du développement durable a assuré avoir « toujours été tout à fait épaulée » chaque fois qu'elle a dû « faire appel, à l'intérieur des services de l'Etat, à une quelconque collaboration ». M. Bornard a également insisté sur le fait qu'« une étroite collaboration s'est instaurée entre RTE, qui bénéficiait (d'une) vision globale des équilibres en France et en Europe, EDF, qui était concernée par des restrictions de production électrique, et les pouvoirs publics ».

RAPPEL DES ACTIONS MENÉES PAR LE MINISTÈRE DE L'INDUSTRIE
EN COORDINATION AVEC LES DIVERS ACTEURS CONCERNÉS
DURANT L'ÉPISODE DE CANICULE

- fin juillet , le directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) adresse aux cabinets de ses trois ministres de tutelle (économie, finances et industrie ; écologie et développement durable ; santé, famille et personnes handicapées) une note les informant sur les « difficultés actuellement rencontrées en ce qui concerne les rejets thermiques des centrales nucléaires » et sur la possibilité qu'a l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d'autoriser des dérogations dans la mesure où elles sont considérées comme « non notables » ;

- 4 août : le directeur-adjoint du cabinet de la ministre déléguée à l'industrie, qui assure l'intérim du directeur de cabinet, informe Mme Fontaine de la situation et demande à la direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) d'assurer un suivi précis et quotidien de l'évolution de la demande d'électricité et des capacités d'EDF à y répondre ;

- 5, 6 et 7 août : EDF, RTE et la DGSNR indiquent que les températures maximales sont approchées en aval de certaines centrales et qu'il est possible d'y faire face sur la base de dérogations « non notables » ;

- 8 août : informé du fait que les dérogations nécessaires ne pourront désormais plus être considérées comme « non notables », le directeur adjoint de cabinet de Mme Fontaine en informe le cabinet du Premier ministre ainsi que la ministre déléguée à l'industrie. Un certain nombre de mesures est alors décidé : demander à EDF de mettre en oeuvre l'ensemble des possibilités de génération accessibles et d'agir sur la consommation, étudier la possibilité de modifications réglementaires et informer le public. Les responsables d'EDF, de RTE, de la DGSNR, de la DGEMP et le cabinet de Mme Fontaine organisent une cellule de crise. Ce dernier entre en contact avec celui de la ministre de l'écologie et du développement durable pour modifier l'arrêté interministériel sur les rejets thermiques des centrales ;

- 9 et 10 août : contacts et réunion technique entre opérateurs, gestionnaires du réseau et cabinets ministériels afin de préparer la réunion interministérielle du 11 août. Mme Fontaine informe le public à travers la presse et la radio et appelle à économiser l'énergie ;

- 11 août : la réunion interministérielle aboutit à la prise de mesures par EDF 17 ( * ) et à la décision d'amplifier l'appel aux économies d'énergie, de modifier la réglementation sur les rejets thermiques des centrales et de pérenniser le dispositif interministériel ;

- à partir du 13 août : craignant qu'il soit impossible de répondre à la demande en électricité à partir du 18 août, date de la reprise économique, la cellule de crise étudie la possibilité de procéder à des délestages sélectifs ;

- 14 août : réunion interministérielle examinant les divers scénarios envisageables à ce sujet et décidant finalement, au vu des prévisions optimistes de Météo France, de ne pas mettre en oeuvre le plan de délestage sélectif prévu pour le 18 août ;

- 19 août : réunion interministérielle de préparation du conseil des ministres du 21 août, dont l'ordre du jour prévoit un point sur l'épisode de canicule et l'action du gouvernement ;

- 21 août : au cours du conseil des ministres, cinq d'entre eux interviennent, dont la ministre déléguée à l'industrie qui fait une communication sur la gestion des problèmes énergétiques durant la canicule ;

- 28 novembre : présentation par la ministre déléguée à l'industrie, avec le président d'EDF et le directeur de RTE, d'un plan « aléas climatiques extrêmes » visant à réduire l'impact des épisodes de canicule et de grand froid sur la production électrique.

(2) La mise en oeuvre d'un système de dérogations d'exploitation

La principale mesure réglementaire prise par le gouvernement durant la canicule pour garantir la production d'électricité a consisté en un arrêté interministériel autorisant temporairement et sous conditions le dépassement des températures maximales des rejets thermiques. Ces derniers, qui sont réglementés par des arrêtés ministériels et préfectoraux fixant les températures maximales des eaux fluviales en aval des centrales, peuvent en effet faire l'objet de dérogations autorisées par l'ASN dans la mesure où elles sont considérées comme « non notables » et où elles se limitent au strict nécessaire pour assurer la couverture des besoins de production électrique.

La vague de chaleur persistant et le respect du seuil de rejet commençant à poser problème durant la première semaine d'août, l'arrêté interministériel autorisant les dérogations a finalement été signé par la ministre déléguée à l'industrie, la ministre de l'écologie et du développement durable et le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées le 12 août, puis publié au Journal officiel le 13 août.

Cet arrêté prévoit que « les centrales effectuant des rejets d'eau dans la Garonne, le Rhône, la Seine et la Moselle pourront continuer à pratiquer ces rejets jusqu'à ce que l'écart entre les mesures de la températures de l'eau effectuées à l'amont et à l'aval après mélange atteigne les températures suivantes :

- 1 degré pour les installations totalement équipées de tours de réfrigération ;

- 1,5 degré pour celles qui sont situées en bordure de la Seine et de la Moselle ;

- 3 degrés pour les autres ».

S'appliquant jusqu'au 30 septembre 2003 au plus tard et uniquement dans les cas de nécessité extrême, il a concerné 4 centrales thermiques classiques et 16 réacteurs nucléaires. S'il n'a pas réglé définitivement la situation, il a en revanche été d'un secours précieux en permettant, selon Mme Fontaine, « le maintien en production de plusieurs centrales, en particulier Blayais sur la Gironde, Golfech sur la Garonne, Tricastin sur le Rhône et Cattenom sur la Moselle ».

« Utilisé (...) le moins possible », d'après Mme Nahon, il s'est accompagné d'un suivi environnemental renforcé à l'aval des sites de production qui n'a constaté, selon Mme Bachelot-Narquin, « aucune surmortalité piscicole attribuable aux centrales ».

(3) Un appel au civisme relayé et entendu

Dès le 10 août, la ministre déléguée à l'industrie et la ministre de l'écologie et du développement durable ont informé le public, par le biais des médias, des problèmes que posait la canicule sur la production d'énergie et des solutions qui étaient envisagées pour y faire face.

Outre cette information, s'est ajouté un « appel solennel à une démarche citoyenne », lancé et relayé alternativement par Mmes Bachelot-Narquin et Fontaine, invitant les Français à mettre en oeuvre diverses mesures simples permettant d'économiser de l'énergie : utiliser la climatisation de façon parcimonieuse et adaptée, ne plus utiliser autant que possible de gros appareils électroménagers, ne pas laisser d'appareils électriques en veille ou encore utiliser des éclairages de faible intensité.

Simple (voire simpliste, pour certains) dans ses recommandations, répété à de multiples reprises dans divers supports, ce message a globalement été bien diffusé par les médias et entendu par la population. Ainsi, selon Mme Fontaine, « les médias ont (...) très bien compris la gravité du sujet et l'importance de relayer l'appel à la solidarité » et la population a ainsi pu constater que « la situation était sérieuse et que la solidarité nationale serait la bienvenue ». Pour M. Bornard également, « il s'est agi là d'un appel au civisme qui (a été) entendu ».

Les statistiques fournies par RTE confirment ces déclarations, puisque le gestionnaire de réseau a estimé qu'une économie de 200 à 300 mégawatts, soit l'équivalent de la consommation d'une ville comme Nantes, pouvait être imputée aux efforts des Français. Cet appel a d'ailleurs été également entendu par le secteur économique, puisque plusieurs entreprises ont consenti à réduire autant que possible leur consommation d'énergie et que certains clients institutionnels d'EDF ont spontanément proposé de « s'effacer ».

3. Des mesures structurelles de politique énergétique aujourd'hui indispensables

Si le système de production et de distribution d'énergie a résisté à la vague de chaleur estivale et si aucune rupture d'approvisionnement n'a été déplorée, il n'en reste pas moins que la catastrophe a été évitée de peu et que le système a montré ses limites en pareille circonstance.

Son adaptation structurelle à des évènements climatiques exceptionnels doit donc être aujourd'hui examinée. Le gouvernement, en partenariat avec les opérateurs, a d'ores et déjà commencé ce travail en cherchant à maîtriser tant la demande que l'offre d'énergie à travers un Livre blanc sur les énergies 18 ( * ) , présenté le 7 novembre 2003, et un « plan aléas climatiques extrêmes », présenté le 28 novembre 2003.

a) Consommer mieux pour consommer moins
(1) Relancer la politique d'économie d'énergie

La première des pistes à explorer consiste à maîtriser la demande d'énergie, celle-ci étant structurellement croissante. Selon M. Merlin, en effet, « nous devons (...) nous attendre à une forte consommation d'électricité beaucoup plus forte l'été », du fait d'une « explosion » de l'équipement en climatiseurs. De la même façon, Mme Dominique Dron, présidente de la Mission interministérielle de l'effet de serre (MIES), a estimé que la « part du secteur de l'énergie (...) va monter dans le bilan national, sauf à avoir des politiques d'économie d'énergie et d'efficacité énergétique extrêmement fortes ».

Si cette tendance semble difficilement réversible, elle peut en revanche être limitée, notamment par une relance de la politique d'économie d'énergie mise en place dans les années 1970 suite aux chocs pétroliers et dont la vigueur a depuis largement faibli. Considérant que « si nous voulons éviter le risque de pénurie d'électricité, nous devons parvenir à utiliser moins d'énergie et d'électricité », Mme Michèle Papallardo, présidente de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), a rappelé que « certains gestes simples, comme celui d'éteindre la lumière en sortant d'une pièce, permettent d'économiser de l'énergie ».

Ces préconisations, aussi simples que concrètes, rejoignent les recommandations effectuées par les ministres concernés cet été et sont susceptibles d'avoir des répercussions très fortement positives sur la consommation d'énergie, sans remettre pour autant en cause notre confort de vie : des études ont ainsi démontré que la suppression de la veille des appareils électriques pendant une année permettrait, à l'échelle de la France, d'économiser l'énergie équivalente à la production de deux réacteurs nucléaires.

Des objectifs en matière d'économie d'énergie pourraient être contractualisés entre les pouvoirs publics et les opérateurs. Au Royaume-Uni, le gouvernement a ainsi fixé aux producteurs d'énergie des objectifs de réduction de consommation chez leurs clients (« certificats blancs ») qu'ils satisfont en les aidant par exemple à utiliser des appareils électriques moins « énergétivores ». Une telle mesure serait d'autant plus appréciable dans notre pays que les fournisseurs d'électricité, et notamment le plus important d'entre eux, ont été récemment accusés d'inciter les consommateurs à une utilisation excessive de l'électricité.

(2) Améliorer l'efficience énergétique

Pendant qualitatif de la recherche d'une moindre consommation d'énergie, l'amélioration de l'efficience énergétique consiste à développer des appareils ou équipements consommant ou gaspillant moins d'énergie.

Il s'agit, par exemple, d'inciter au remplacement des ampoules à incandescence de 100 watts par des ampoules fluocompactes de 20 watts, une mesure qui représenterait à l'échelle de la France l'équivalent de la production annuelle d'un réacteur nucléaire et demi. Il peut s'agir également de développer des systèmes de chauffage ou de rafraîchissement répondant à des normes de qualité plus strictes en matière de consommation d'énergie, comme il a été dit précédemment.

Par ailleurs, une action reste à mener dans le domaine de la construction et de l'habitat, en privilégiant, selon Mme Papallardo, « tous les éléments permettant d'avoir des échanges de chaleur et des différences de température entre l'extérieur et l'intérieur les plus réduites possibles », ce qui vaut d'ailleurs pour les périodes de forte chaleur comme pour les périodes de grand froid.

Cette nécessaire relance d'une politique de réduction de la consommation d'énergie et d'amélioration de l'efficacité énergétique semble désormais avoir été prise en compte par les pouvoirs publics : interrogée sur le thème des économies d'énergie et de l'opportunité d'une relance de cette politique, notamment auprès des jeunes qui y sont particulièrement réceptifs, Mme Fontaine a indiqué que se préparait activement une « campagne de sensibilisation de l'opinion publique à ce sujet » qui serait lancée au début de cette année.

Le plan « aléas climatiques extrêmes » présenté au mois de novembre 2003 comporte, quant à lui, un volet « prévention » ayant pour objet la maîtrise de la demande d'énergie. Sa mise en oeuvre sera assurée par EDF, qui devrait intégrer « dans toutes ses offres commerciales la recherche d'une efficacité énergétique au service de ses clients » et qui présentera, en avril 2004, un plan « confort d'été » incitant les particuliers à « consommer moins ou consommer mieux » en associant « isolation, ventilation, climatisation partielle, organisation de la chaîne du froid ».

Cette activité de conseil d'EDF auprès des consommateurs risque cependant de se heurter au principe de spécialité régissant le groupe et le contraignant à n'avoir d'autre activité que celle de fournisseur d'énergie. Des modifications de nature législative concernant le statut de l'opérateur pourraient donc être opportunément envisagées afin de lui permettre de mener d'utiles actions en ce domaine.

b) Promouvoir un « bouquet énergétique » adapté
(1) Garantir un « mix énergétique » adéquat

Selon Mme Nahon, le « mix énergétique », ou « bouquet énergétique » « définit les répartitions des différents types d'énergie dans les modes de production et de consommation d'énergie ». Il se caractérise par la capacité à « mêler (...) différents modes de production pour offrir une énergie sûre, propre et plus compétitive » et à « pouvoir ajuster le mode de production d'énergie en fonction des éléments ».

Le « mix énergétique » doit donc satisfaire certains objectifs (répondre aux besoins en énergie, préserver l'indépendance énergétique du pays, assurer la sécurité d'approvisionnement, garantir des tarifs compétitifs, respecter l'environnement ...) en équilibrant l'usage de différentes sources d'énergie ayant chacune leurs avantages et leurs inconvénients.

L'épisode de canicule de l'été 2003 a mis en évidence les limites du « mix énergétique » à la française en période de forte chaleur et de sécheresse. Le fait que 90 % environ de la production d'électricité soit d'origine nucléaire et hydraulique a rendu en effet difficile le passage des « pics de besoin », ces sources d'énergie étant difficilement mobilisables, pour les raisons techniques et environnementales précédemment évoquées.

Selon M. Merlin, « il faudra prévoir d'autres moyens de production dès 2008 sur le réseau électrique français, essentiellement des moyens de pointe. Nous parlons actuellement beaucoup des énergies renouvelables. Ce me semble être une bonne alternative. Il est également question d'un possible futur EPR. Mais du point de vue de RTE, l'urgence est de prévoir des moyens de pointe bien localisés sur le réseau, notamment dans les zones les plus fragiles du point de vue de la sécurité de l'alimentation ».

Essentielle pour la production d'électricité française, l'énergie d'origine nucléaire pourrait être redéfinie dans ses modalités afin de moins subir les conséquences de fortes chaleurs. Les plans de maintenance des centrales -tant nucléaires que classiques-, et c'est d'ailleurs l'un des objectifs du plan « aléas climatiques extrêmes », gagneraient à être mieux étalés sur l'ensemble de l'année et non concentrés sur la seule période estivale. Par ailleurs, pour l'avenir, l'implantation de centrales en bord de mer, qui ne connaissent pas les mêmes problèmes de rejet en période de forte chaleur, devrait être privilégiée au détriment des centrales le long des fleuves. Enfin, des sites de production décentralisés -de pointe en particulier- pourraient utilement être installés dans des régions où la production est insuffisante ou l'acheminement délicat.

A cet égard, l'utilisation d'énergies fossiles dites « propres », c'est-à-dire utilisant des technologies plus respectueuses de l'environnement que par le passé, pourrait être développée. Les turbines à gaz, dont les rejets en termes de gaz à effet de serre sont bien moins importants que ceux de centrales fonctionnant au fioul ou au charbon, en sont un exemple, même si leur impact environnemental n'est pas nul.

Enfin, la détermination d'un « mix énergétique » adapté aux périodes climatiques exceptionnelles amène tout naturellement à s'interroger sur la place des énergies renouvelables. M. Serge Lepeltier, rapporteur, a évoqué ce thème à plusieurs reprises, déclarant notamment : « (...) nous sommes à 15 ou 16 % d'énergies renouvelables, étant entendu qu'il s'agit principalement d'hydraulique et que nous n'avons quasiment pas d'autres énergies renouvelables. Il s'agirait donc de faire passer la part des (autres) énergies renouvelables de 0,5 à 6 %, c'est-à-dire de les multiplier de façon considérable. Cela revient à les augmenter de cinq points qui, en termes de pics de besoin, sont majeurs parce que, si on sait mettre cinq points supplémentaires de la consommation d'énergie, on passe peut-être ».

Il convient ici de souligner que la France possède un « mix énergétique » permettant d'émettre sensiblement moins de gaz à effet de serre que nombre de ses voisins européens. Mme Nahon a très clairement précisé ce point : « Je pense que nous ne communiquons pas assez sur le mix à la française par rapport aux mix allemand et danois. Je trouve très désagréable, à titre personnel, que les Danois et les Allemands nous donnent des leçons sur les énergies renouvelables alors qu'ils sont très loin d'obtenir les pourcentages d'énergie renouvelable que nous avons en France. Le mix allemand ou le mix danois comportent très peu d'énergies renouvelables et beaucoup d'énergies fossiles -de l'ordre de 80 % de leur production. Ils sont aujourd'hui les plus gros pollueurs européens ».

Même si celle-ci restera inévitablement marginale, il n'en reste pas moins nécessaire de renforcer la part des énergies renouvelables dans le « mix énergétique » français.

(2) Développer les énergies renouvelables les plus adaptées

• Un recours aux énergies renouvelables (hors hydraulique) encore faible

L'utilisation des énergies d'origine nucléaire (sauf en ce qui concerne les centrales de bord de mer) et hydraulique étant difficile en période de forte chaleur, il aurait été opportun, surtout si la canicule avait perduré, de pouvoir se reporter sur d'autres sources d'énergie afin de ne pas solliciter excessivement ces systèmes de production d'électricité.

Or, parmi ces autres sources, 6,2 % provient du charbon et 2 % du pétrole, deux énergies fossiles fortement émettrices de gaz à effet de serre. Quant au gaz, qui ne peut être considéré comme une énergie « propre », il présente deux inconvénients majeurs : en premier lieu, il est majoritairement importé, ce qui contrarie le principe d'indépendance énergétique, en ce qui concerne la garantie d'un approvisionnement régulier comme en ce qui concerne le maintien de prix convenables à l'importation. En second lieu, il pose des problèmes de transport et de distribution en période climatique difficile, pouvant remettre en cause la sécurité de l'approvisionnement.

Le recours aux énergies renouvelables hors hydraulique, qui représentent moins de 0,5 % de l'ensemble des sources d'énergie, constituerait un moyen écologique de faire face aux pics de consommation en période de canicule, mais il se heurte à plusieurs limites.

L'utilisation de l'éolien , outre le fait que cette source d'énergie est encore largement marginale (la France en produit 153 mégawatts chaque année, par rapport à une production énergétique totale de 560 térawatts 19 ( * ) ) ne serait d'aucun secours puisque la canicule s'accompagne d'une absence quasi-totale de vent. Le développement de cette source d'énergie, bénéficiant de l'obligation de rachat d'EDF auprès des producteurs à un prix élevé, amène à s'interroger sur l'existence d'un « phénomène de mode » qui n'est d'ailleurs pas sans poser des difficultés (nuisances sonores et visuelles, forte dépendance aux conditions atmosphériques ...).

Parmi les autres sources d'énergie renouvelable, le solaire -qu'il soit thermique ou photovoltaïque- serait bien évidemment à privilégier en période de canicule. Or, le solaire photovoltaïque 20 ( * ) est quasi-inexistant aujourd'hui, la France en produisant 17 mégawatts chaque année. Quant au solaire thermique, si 40 000 chauffe-eau solaires ont déjà été installés et si des expériences de climatisation solaire sont actuellement menées, il souffre d'un rendement réduit en période de trop forte chaleur, d'une offre largement sous-dimensionnée et d'un coût une quinzaine de fois supérieur à celui de l'énergie nucléaire. Des efforts accrus en termes de recherche et d'incitations fiscales permettraient cependant certainement de dynamiser cette filière énergétique.

• Une prise de conscience nécessaire

L'insuffisant développement des énergies renouvelables -hors hydraulique- fait aujourd'hui l'objet d'un constat partagé. Mme Fontaine a reconnu qu'il s'agirait à l'avenir « de ne pas augmenter la production mais de la diversifier » et a appelé à « une véritable politique de recherche dans ce domaine des énergies renouvelables pour que nous puissions voir quelle place chaque énergie peut prendre », jugeant qu'« un certain nombre (...) sont très prometteuses et très porteuses d'avenir ».

Estimant que « le bouquet énergétique français ne fait pas assez de place aux énergies renouvelables », Mme Bachelot-Narquin a considéré que leur place y était « capitale » et qu'il devait être « très diversifié ». Préconisant un recours accru à l'énergie solaire en période de canicule, Mme Papallardo a déclaré que l'ADEME avait fait « la démonstration que les énergies renouvelables peuvent permettre de réduire la consommation d'électricité nucléaire pendant les périodes de grande chaleur et d'éviter ainsi les problèmes que nous avons rencontrés dans ce domaine durant le mois d'août ».

Ces déclarations ne sont pas que de pure forme car des engagements existent aujourd'hui en faveur du développement des énergies renouvelables. Le livre blanc du gouvernement sur les énergies, qui préfigure les orientations majeures que se fixera notre pays pour les années à venir, fait état d'objectifs ambitieux en la matière. Le deuxième des trois axes de politique énergétique qu'il détaille, consacré aux énergies renouvelables, indique clairement :

- « un développement volontariste des énergies renouvelables thermiques est (...) nécessaire (+ 50 % d'ici 2015), en particulier la biomasse, le solaire thermique et le géothermique de surface, encore peu utilisés en France en dépit d'un fort potentiel ;

- de même l'objectif européen de produire 21 % de notre électricité à partir de sources renouvelables à l'horizon 2010 devra être respecté ».

La déclinaison de ces objectifs pour chacune des sources d'énergie renouvelable fait l'objet de divers instruments, tels que le contrat de plan Etat-ADEME avec 2006 pour horizon ou encore un arrêté sur la programmation pluriannuelle des investissements d'électricité avec 2010 pour horizon.

Le développement des énergies renouvelables passera nécessairement par l'accroissement d'un effort de recherche indispensable pour les rendre réellement rentables, c'est à dire, comme le préconise le livre blanc, pour « la réduction (de leur) coût (...) et l'amélioration de leur efficacité, notamment pour des filières comme le solaire photovoltaïque ou les biocarburants ». Le rôle que doit jouer l'Etat de ce point de vue, à travers des incitations fiscales et réglementaires notamment, mérite d'être souligné.

c) Renforcer la sécurité d'approvisionnement énergétique
(1) Développer les réseaux de transport d'électricité

• Renforcer les infrastructures du réseau français

Si aucun incident de grande ampleur n'a touché le réseau de transport durant la canicule, celui-ci a montré cependant quelques signes inquiétants de faiblesses -notamment à Paris et en Provence-Alpes-Côte d'Azur- auxquels il s'agit de remédier afin d'éviter, si un nouvel évènement climatique exceptionnel de ce type survenait, des défaillances généralisées -ou « black out »- comme en ont connu la côte ouest des Etats-Unis les 14 et 15 août ou l'Italie le 28 septembre 2003.

Le plan « aléas climatiques extrêmes » prévoit un tel renforcement à travers une actualisation du schéma de développement du réseau de transport national s'articulant avec des schémas régionaux concertés qui « prendront en compte les consommations supplémentaires dues aux phénomènes climatiques extrêmes ». Les opérateurs se fixent par ailleurs comme objectifs de « bien maîtriser l'incidence de la température et de la sécheresse des sols sur la capacité des liaisons souterraines en haute et très haute tension » et de « minimiser les risques d'amorçage de la végétation avec les lignes aériennes ».

• Augmenter les capacités d'échange à travers les connexions internationales

La possibilité pour notre pays de faire appel aux productions d'énergie étrangères en cas d'aléa climatique extrême rend indispensable une parfaite connexion de notre réseau avec celui de nos voisins européens. M. Merlin a tenu à « souligner l'importance de l'interconnexion entre les différents pays européens », ajoutant qu'il nous fallait aujourd'hui « de nouveaux moyens d'interconnexion et construire de nouvelles lignes électriques pour mieux interconnecter les réseaux de transport les uns avec les autres ».

Les plans élaborés par EDF et RTE ont bien intégré ces objectifs. Ils prévoient en effet une « poursuite de la politique de développement des interconnexions, qui puisse concilier les enjeux d'insertion environnementaux et de sûreté du système électrique ». Sont visées en priorité les interconnexions entre notre réseau et les réseaux espagnol, belge et italien.

(2) Renforcer les procédures de secours mutuel

Le développement des interconnexions devrait permettre un recours plus large à la procédure de secours mutuel, qui constitue sans doute l'une des façons les plus efficaces de faire face à un pic de besoin brutal, pour autant que l'ensemble des pays européens ne connaisse pas une situation de pénurie identique au même moment.

Or, selon M. Bornard, « la France est en quelque sorte un carrefour géographique et climatique qui fait qu'il est très rare que les conditions climatiques soient extrêmes chez l'ensemble de ses voisins ». M. Merlin a renchéri sur ce point : « la France est au centre de l'Europe. Une canicule ou un grand froid n'affecte généralement pas la totalité de l'Europe. Ainsi, nous pouvons espérer un secours venant du nord, de l'est ou du sud ».

Là encore, le plan « aléas climatiques extrêmes » fait référence à cet objectif en prévoyant que « des contrats de secours mutuel avec les pays voisins seront mis en oeuvre d'ici mi-2004 afin de réduire le risque de pénurie, en s'appuyant notamment sur les capacités de secours mutuel entre réseaux, permettant d'exploiter au mieux les réserves disponibles en temps réel ».

(3) Responsabiliser les fournisseurs d'électricité

L'obligation qu'ont les opérateurs d'assurer chaque jour l'équilibrage entre la production et la consommation d'électricité pourrait rapidement être compromise, en période de besoins exceptionnels, du fait de distributeurs indélicats qui n'honoreraient plus leurs contrats de fourniture afin de ne pas supporter l'augmentation considérable du prix de l'électricité.

M. Bornard a expliqué en effet que « s'il est prévu dans les textes (...) une rétroaction financière sur ce producteur, (...) ce dernier peut très bien faire de savants calculs qui montrent que son risque financier est plus faible s'il laisse RTE gérer la situation et s'il reçoit ensuite une facture que s'il procède lui-même par anticipation ». « Dès lors », a t-il ajouté, « s'agissant de 5 000 mégawatts, nous ne saurons pas faire. Cela signifie que, dans ce cas, nous devrons délester ».

A cet égard, la mission commune d'information ne peut que se rallier à la proposition de RTE visant à ce que soit clarifiée, « au niveau législatif et réglementaire, la responsabilité des producteurs et des fournisseurs sur la réalisation de leurs contrats de fourniture à leurs clients ».

(4) Actualiser et développer les plans de délestage

• La procédure de délestage actuelle

Le délestage constitue, selon EDF, un moyen de dernier recours consistant, dans les situations d'urgence, à couper préventivement une partie de la consommation tout en sauvegardant l'alimentation des installations les plus vitales afin d'éviter ou d'enrayer un processus de dégradation pouvant conduire à un « black-out » au niveau régional, voire au plan national et même européen.

Les installations les plus vitales, dont la cessation d'alimentation électrique induirait des dangers graves pour les personnes (établissements de soins, installations d'éclairage et de signalisation routière ...), sont recensées sur des listes arrêtées par les préfets et classées selon trois niveaux croissants de priorité. Les gestionnaires des réseaux de distribution répartissent les consommateurs en cinq sous-ensembles appelés « échelons », les clients prioritaires de niveaux les plus élevés étant intégrés respectivement dans les échelons appelés à être interrompus en dernier.

Lorsque le délestage est inéluctable, RTE communique au plus tôt, par les moyens d'information les plus larges, en vue d'une vaste diffusion, les risques de coupure correspondants. Après une étroite concertation entre RTE, EDF et les pouvoirs publics, la mise en oeuvre du délestage a lieu de manière préventive d'abord, puis de manière plus généralisée en alternant par tranches de populations.

• Les interrogations suscitées lors de la canicule

Si le recours au délestage n'a finalement pas été nécessaire lors de l'épisode de canicule, de nombreuses interrogations ont surgi sur sa mise en oeuvre potentielle et ses conséquences.

Mme Fontaine a clairement indiqué qu'il s'agissait là d'une de ses préoccupations prioritaires. Elle s'est inquiétée notamment des carences de la procédure de délestage en matière d'alerte et de détermination des populations ciblées : « la préparation du processus de délestage a fait apparaître des insuffisances et des lacunes qui devront être corrigées, en particulier en ce qui concerne l'information préalable des autorités concernées et le ciblage des coupures afin de limiter au maximum les conséquences d'une telle mesure, notamment pour les personnes fragiles et les personnes prioritaires. C'est ainsi que l'on s'est aperçu qu'un certain nombre de maisons de retraire pouvaient tomber sous le coup de ces délestages, ce qui est tout à fait terrifiant quand on y pense ».

Outre son effet sur les personnes fragiles, Mme Nahon s'est, quant à elle, interrogée sur l'absence d'actualisation des plans de délestage et leur inadaptation à des situations estivales : « Le délestage pose de vraies questions. Il peut poser de vrais problèmes, notamment pour les personnes qui utilisent des appareils respiratoires [...]. C'est en 1987 que nous avons mis en oeuvre le système de délestage pour la dernière fois. Nous n'avions fait aucun exercice de délestage depuis [...]. L'une des difficultés que nous avons rencontrées était liée au fait que les tranches avaient été découpées pour l'hiver. Or, nous ne sommes pas certains que la consommation de 20 % l'hiver corresponde à 20 % de consommation l'été. Il faut donc revoir la structure de nos délestages [...]. Il faudrait peut-être choisir de délester aujourd'hui plutôt pendant une demi-heure que pendant deux heures et faire tourner plus rapidement les tranches de délestage. Nous devons avoir une véritable consultation à ce sujet ».

M. Bornard n'a pas non plus caché ses interrogations sur la maîtrise des procédures de délestage, doutant également qu'elles soient applicables en toute saison et en tout lieu : « Ces situations de délestage ont été prévues de tout temps, mais plutôt pour des situations hivernales [...]. Or, les endroits où la consommation a eu lieu cet été n'étaient pas du tout les mêmes qu'en hiver. En particulier, nous aurions pu avoir de désagréables surprises en pensant couper une petite puissance à certains endroits et couper beaucoup plus qu'attendu dans certaines zones côtières [...]. Ces plans de délestage massifs auraient nécessité des ressources que nous n'étions pas sûrs d'avoir en termes de capacités de coupure et qui touchaient un certain nombre de consommateurs bien au-delà que ce que nous imaginions au départ ».

• Les améliorations susceptibles d'y être apportées

Tirant les enseignements des insuffisances d'organisation relevées à l'occasion de la canicule, les opérateurs et les pouvoirs publics ont prévu un certain nombre de mesures et d'objectifs pour sécuriser la mise en oeuvre éventuelle d'une procédure de délestage :

- détermination des personnes appartenant aux catégories de populations devant être épargnées en raison de leur fragilité ou de leur statut d'utilisateurs prioritaires ;

- adaptation des plans de délestage existants à une situation estivale ;

- réalisation chaque année d'un test vérifiant l'efficacité du dispositif ;

- modernisation des procédures de délestage, afin notamment d'assurer une coordination plus étroite entre les ministères concernés et les exploitants ;

- choix d'informations claires diffusables à l'ensemble des populations susceptibles d'être touchées par un délestage.

* 13 Plusieurs records de chaleur des eaux ont été battus, notamment sur la Seine, la Garonne et la Moselle.

* 14 « Épisode de canicule de l'été 2003 : retour d'expérience et plan d'action de RTE », 21 novembre 2003.

* 15 La production française d'électricité est à 78 % d'origine nucléaire, 12 % hydraulique et 10 % thermique classique (fuel, gaz ou charbon). Source : « Énergie en France, chiffres clés », Ministère de l'économie et des finances, 2003.

* 16 Le mégawattheure, qui se négocie en temps normal entre 25 et 30 euros, a pu atteindre un moment le prix de 1 000 euros.

* 17 Voir supra.

* 18 Servant de base au projet de loi d'orientation sur les énergies, dont la présentation en Conseil des ministres et l'examen parlementaire sont prévus dans le courant de l'année 2004.

* 19 Le térawatt correspond à un million de watts.

* 20 Les cellules solaires photovoltaïques sont des semi-conducteurs capables de convertir directement la lumière en électricité.

Page mise à jour le

Partager cette page