CONCLUSION

La Conférence de Cancun constitue donc une échéance d'autant plus importante qu'elle doit être replacée dans un contexte d'évolution médiocre du commerce mondial. Tandis que celui-ci progressait d'environ 7 % par an dans les années 90, sa croissance n'est plus que de 2 % en 2002 et les perspectives d'avenir ne sont guère favorables, notamment pour les pays les moins avancés.

À ce stade du débat, l'état de préparation de la conférence ne porte pas à l'optimisme : non-respect des échéances, absence d'accord sur les modalités de la négociation agricole, échec du compromis sur les médicaments, retard pris dans les discussions sur l'ouverture des services, le registre des appellations d'origine et la réforme de l'organe de règlement des différends...

En dépit de ces signaux alarmants, le discours reste déterminé si l'on se rapporte à la déclaration sur le commerce publiée lors du G8 d'Évian du 6 juin dernier, qui a confirmé la volonté des pays les plus développés de respecter les engagements pris à Doha et de conclure les négociations à l'échéance prévue.

En tout état de cause, il est nécessaire d'obtenir l'adhésion de nos concitoyens à ce processus dont ils dénoncent la complexité et l'opacité. Dans cette démarche de pédagogie et d'explication des objectifs et des enjeux du cycle, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer. C'est notamment le souhait du Sénat qui a créé en son sein, au lendemain de Doha, un groupe de travail chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales de l'OMC.

Plus récemment, l'Union interparlementaire (UIP) s'est également souciée d'organiser un suivi du processus de négociation internationale en constituant « un comité de pilotage post-Doha » afin d'approfondir le rôle que peuvent jouer les assemblées parlementaires dans l'avancement des négociations et le soutien du multilatéralisme.

En effet, il est fondamental, à l'occasion de cette conférence, de conforter le principe du multilatéralisme qui, malgré ses lacunes, assure une protection plus efficace des pays en développement que les accords régionaux ou bilatéraux où l'emporte systématiquement la loi du plus fort.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 9 juillet 2003 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Jean Bizet, le débat suivant s'est engagé :

M. Lucien Lanier :

Je vous remercie d'un exposé aussi clair dans un domaine aussi complexe. En vous écoutant développer les différents volets des négociations en cours, je me suis demandé si l'on n'avait pas été ambitieux à l'excès en incluant trop de sujets dans le cycle de Doha.

Par ailleurs, je comprends les inquiétudes des industriels et des laboratoires pharmaceutiques qui risquent de perdre certains des moyens qu'ils peuvent consacrer à la recherche et l'on sait combien les crédits que l'Union européenne et les États membres affectent à ce secteur sensible sont faibles.

M. Jean Bizet :

C'est sans doute un agenda très chargé et, qui plus est, sur un cycle très court de trois ans. Mais peut-être, à Cancun, décidera-t-on d'être moins exigeant sur la date de conclusion des négociations. Le risque majeur est, à mon sens, de voir se développer une OMC à deux vitesses, entre le Nord et le Sud, ce qui me paraît une évolution inquiétante des choses. J'insiste enfin sur le grand nombre d'accords bilatéraux qui sont en vigueur : 270, nous-a-t-on dit lors du symposium de l'OMC tenu à Genève à la mi-juin 2003. J'y vois un danger réel pour le multilatéralisme qui assure indéniablement mieux la protection des pays les plus faibles.

Je partage vos inquiétudes sur la recherche et sur les risques de voir se tarir les moyens financiers qu'on y consacre si l'on abuse des procédures de licences obligatoires. Au cours des diverses auditions auxquelles notre groupe de travail OMC a procédé, il nous a été souvent rapporté que le prix des médicaments était un facteur secondaire par rapport aux structures de santé dont les pays en développement ont besoin.

M. Marcel Deneux :

Je partage la plupart des conclusions présentées par le rapporteur. Je reste pour ma part très perplexe sur la négociation agricole et je crains vraiment que l'Union européenne, même classée « meilleure élève de la classe » après la réforme de la PAC, ne soit pas forcément récompensée par la négociation OMC.

Je crois, tout comme notre rapporteur, que, si les parlementaires étaient davantage associés à ces négociations, qui sont menées par les gouvernements, on assurerait un meilleur dialogue avec nos concitoyens, on limiterait peut-être la place croissante des ONG dans le débat et on éviterait des manifestations de rue d'une ampleur inquiétante. Lorsque j'étais à Johannesburg, au Sommet de la Terre, j'ai eu la surprise de constater la faible présence des parlementaires français rapportée aux autres pays du monde. Nous devons nous inscrire dans ces évolutions mondiales si nous voulons y prendre part.

Concernant les services, il faut que l'Union européenne, et notamment la France, défende ses intérêts, je pense surtout à la distribution de l'eau où nous disposons d'un avantage comparatif indéniable. J'observe, enfin, que cette négociation sur les services est bien opaque et que la société civile devrait y être mieux associée.

Par ailleurs, je soutiens bien sûr le multilatéralisme, mais il est nécessaire de l'organiser en liaison avec des accords bilatéraux pour prévoir une articulation efficace entre les différents engagements.

Pour en revenir à l'agriculture, je m'interroge sur ce qu'il est advenu du mandat de Pascal Lamy, en droit, puisque celui-ci s'appuyait sur les accords de Berlin qui n'existent plus depuis la réforme de la PAC. Enfin, il n'est pas envisageable de maintenir sans limite les accords de Blair House, qui ont organisé notre dépendance à l'égard des importations américaines de protéines végétales destinées à l'alimentation du bétail. Il faut revenir sur cette question et ne pas considérer que c'est une position définitivement figée.

M. André Ferrand :

J'assistais au symposium de l'OMC à Genève et j'ai retrouvé, dans le rapport de Jean Bizet, les éléments d'information qui m'avaient marqué lors des discussions qui y ont eu lieu. Les problèmes évoqués montrent quelles sont les préoccupations de la planète, dans ses différentes composantes et il faut en effet être vigilant sur l'équilibre à trouver pour la participation des ONG dans tous les débats liés au concept de « gouvernance mondiale ».

Je crois vraiment que la réforme de la PAC nous place à l'abri des critiques de nos partenaires internationaux - je ne parle pas des seuls intérêts français qui sont un autre aspect des choses - et que l'Union est aujourd'hui dans une position plus confortable dans la négociation.

Je voulais aborder aussi un sujet qui me tient à coeur, celui de l'organisation des pays francophones au sein de l'OMC. Au niveau ministériel, la France a mis en oeuvre des procédures pour transmettre les documents de travail qu'elle établit à ses partenaires francophones, ce qui est apprécié, notamment des pays qui ne disposent pas des moyens techniques suffisants pour prendre part aux négociations. Elle essaie aussi de créer un rapprochement entre les points de vue des pays francophones, ce qui réunit des pays placés à des stades de développement différents comme le serait une OMC en réduction. Nous pouvons nous inspirer utilement du groupe du Commonwealth, qui est très performant dans ce rôle rassembleur.

Enfin, pour ce qui concerne les pays en voie de développement, il faut bien réaliser que cette catégorie recouvre à la fois des pays émergents et des pays moins avancés. C'est un groupe très hétérogène qu'on ne peut appréhender d'une manière unique.

M. Philippe François :

Si l'Union européenne était considérée comme un mauvais élève, cela résultait largement d'une mauvaise foi car les États-Unis subventionnent plus massivement encore leur agriculture.

Sur la question des carburants de substitution et des protéines végétales qu'évoquait Marcel Deneux, nous sommes effectivement dépendants des États-Unis en la matière, mais si l'on appliquait les lois, et notamment la loi sur la qualité de l'air, on devrait pouvoir développer ces cultures et éviter le risque de pénurie qui résulterait d'un éventuel embargo. Dois-je rappeler que nous attendons encore les décrets d'application de cette loi ?

M. Jacques Oudin :

Concernant la réforme de la PAC, il reste encore à définir quels sont les aspects qui seront les plus directement menacés à Cancun et, par conséquent, ce sur quoi le parlement doit être le plus vigilant. Je suis partisan d'une prise de position de principe sur cette question de la part du Sénat, par la voix de notre délégation.

M. Jean Bizet :

La réforme de la PAC ne répond qu'aux critiques portant sur la ligne « diminution des soutiens internes », mais pas aux deux autres exigences de Doha. Dans le même temps, les États-Unis ont fait le chemin inverse, en recouplant leurs aides. Le problème majeur à Cancun sera celui de l'accès aux marchés, qui s'oppose au principe de la préférence communautaire.

À mon sens, il faut que l'Union européenne n'accepte pas de céder du terrain à Cancun, en tout cas pas si les États-Unis ne produisent pas un effort majeur sur leurs systèmes de soutiens, « marketing loans » , règle « de minimis » et aide alimentaire. Il faut en effet que le mandat de Pascal Lamy soit très clair sur ce point.

Pour revenir sur la présence des ONG dans ce débat, elle est réelle, mais on observe aussi une montée en puissance des parlements nationaux et je m'en réjouis car ils constituent un intermédiaire légitime et naturel entre les négociateurs et les citoyens.

M. Lucien Lanier :

Si vous en êtes d'accord, je vous propose de préparer une lettre que notre délégation adresserait au Premier ministre pour attirer son attention sur les conclusions de notre débat d'aujourd'hui.

*

La délégation a approuvé cette suggestion. À l'issue du débat, le rapport a été approuvé à l'unanimité.

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