C. DES DISPOSITIFS AUX EFFETS TRÈS VARIABLES

En raison de son ancienneté, mais aussi du développement plus abouti des démarches d'évaluation des politiques publiques aux Etats-Unis, les effets de l' EITC sont bien mieux connus que ceux de ses équivalents britannique et français. Cependant, les évaluations externes, dont il faut saluer l'initiative, permettent d'établir des différences très sensibles d'impact entre les trois dispositifs aussi bien en termes d'incitation au travail que de redistribution des revenus.

1. Effets sur l'incitation au travail

Il importe au préalable de rappeler la distinction entre effet revenu et effet de substitution. Un accroissement du salaire net, qui peut résulter de l'instauration d'un crédit d'impôt, rend le travail plus attractif, dans la mesure où il augmente le pouvoir d'achat de chaque heure travaillée. Ceci incite à substituer du travail au temps libre afin de profiter du revenu obtenu grâce au travail (effet de substitution). Mais l'augmentation du salaire a aussi pour effet d'augmenter le revenu total à nombre d'heures travaillées donné. Cette augmentation du revenu total peut inciter à travailler moins (effet revenu). On observe qu'effet revenu et effet de substitution jouent en sens contraire, ce qui rend l'impact d'une hausse de salaire sur l'offre de travail a priori indéterminée.

a) Evaluation de l'EITC

Les effets de l' EITC sur l'offre de travail dépendent beaucoup de la situation de ses bénéficiaires et doivent être distingués son effet sur le taux d'activité et son effet sur le nombre d'heures travaillées par les personnes occupant déjà un emploi.

Pour les personnes seules passant du non-emploi à l'emploi, la perspective d'un revenu plus élevé du fait de l' EITC fournit sans ambiguïté une incitation au travail. Cependant, pour les couples bi-actifs, l' EITC peut induire une incitation opposée pour le second salaire. En effet, l'augmentation de revenu du couple peut le faire passer dans la phase de sortie de l' EITC . Dans la phase de sortie, toute hausse des revenus salariaux est partiellement compensée par une baisse du revenu tiré de l' EITC (qui équivaut à une taxation du salaire au taux marginal de 60 %).

Pour les personnes déjà actives et dans la phase d'entrée du dispositif, l'effet sur le nombre d'heures travaillées est généralement positif, l'effet de substitution dominant l'effet revenu. Pour les personnes dans la phase intermédiaire (plateau), seul un effet revenu subsiste, produisant en théorie une incitation à réduire le nombre d'heures travaillées. Dans la phase de sortie, les effets revenu et substitution négatifs s'ajoutent, produisant à nouveau une incitation à réduire le nombre d'heures travaillées.

Au vu de ses propriétés incitatives, l'EITC devrait donc avoir pour effet d'augmenter les taux d'activité des personnes seules, mais éventuellement de les diminuer pour les seconds salaires des couples bi-actifs, l'effet sur le nombre d'heures travaillées étant positif dans la phase d'entrée puis négatif dans les phases de plateau et de sortie du dispositif.

Cette analyse a priori des effets incitatifs de l' EITC est confirmée par les évaluations empiriques réalisées ex post .


Les résultats disponibles confirment l'important effet incitatif de l' EITC à la reprise d'emploi pour les foyers mono-actifs avec enfants . Une estimation de Scholz (1996) suggère que la réforme de l' EITC de 1993 aurait induit, entre 1993 et 1996, une hausse du taux d'activité des familles monoparentales de 65,5 % à 72,1 % (146 millions d'heures).

En revanche, l' EITC a un effet désincitatif sur l'activité des femmes mariées . SCHOLZ (1996) estime que la réforme de 1993 aurait induit, pour les seconds salaires des familles biparentales, une baisse de leur taux d'activité représentant une perte de 8,9 millions d'heures travaillées.

L' EITC semble avoir un effet faiblement négatif sur le volume d'heures travaillées par les personnes occupant déjà un emploi , mais cet effet est plus que compensé par son impact sur le passage de l'inactivité à l'emploi.

b) Evaluation du WFTC

Comme pour l' EITC , les effets incitatifs du WFTC dépendent de la position du bénéficiaire.

Le WFTC exerce un fort effet incitatif à la prise d'un emploi d'une durée supérieure à 16 heures par semaine, puisqu'il accroît sensiblement le gain financier qui y est associé. De même, il incite les personnes dont la durée du travail hebdomadaire est inférieure à 16 heures à augmenter le nombre d'heures travaillées, afin d'entrer dans le dispositif.

Pour les ménages qui se situent dans la partie forfaitaire du WFTC (plateau), le versement d'un fort revenu de transfert devrait exercer, en théorie, un effet désincitatif sur l'offre de travail (effet revenu négatif).

Pour ceux qui se situent dans la partie dégressive du dispositif, chaque gain supplémentaire au titre des revenus du travail est partiellement compensé par la diminution de l'allocation perçue au titre du WFTC . Ceci devrait, en principe, avoir un effet désincitatif sur l'offre de travail. Toutefois, l'existence d'une majoration éventuelle pour garde d'enfant peut inciter à l'activité des personnes qui, en raison d'une contrainte de liquidité, n'avaient pas la possibilité de faire garder leurs enfants, et renonçaient de ce fait à exercer une activité, ou se contentaient d'une activité réduite. L'effet total du WFTC apparaît donc ici incertain.

Pour les couples bi-actifs, le WFTC devrait avoir un effet désincitatif sur l'offre de travail . Le WFTC devrait, en particulier, décourager l'activité des femmes dont le conjoint travaille. En effet, l'augmentation par le WFTC du revenu disponible de non-activité pour une personne dont le conjoint travaille ne l'incite pas à l'activité (effet revenu négatif).

Rappelons enfin que le WFTC ne prétend pas régler à lui seul la totalité du problème des trappes à inactivité, puisqu'il n'est versé ni aux personnes seules ni aux couples sans enfants.


Peu d'études ont été réalisées, à ce jour, pour tenter d'évaluer les effets ex post du dispositif.

Une étude de Blundell et al . (2000) tente d'évaluer les effets nets du WFTC , par rapport au dispositif antérieur du Family Credit . Globalement, le nombre d'entrées sur le marché du travail engendrées par le WFTC devrait être de l'ordre de 44 000 selon cette étude. Rapporté aux 28,2 millions de personnes employées au Royaume-Uni en 2001, cela représente une variation de + 0,15%. Au vu du coût net du WFTC par rapport au Family Credit qui est de 2,7 milliards de livres, le coût de chaque entrée supplémentaire sur le marché du travail est de 60 000 livres.

L'impact du WFTC sur l'emploi est donc modeste, et le rapport coût/efficacité est peu favorable.

c) Evaluation de la PPE

Une analyse a priori de la structure de la PPE montre qu'elle pourrait avoir, comme l' EITC ou le WFTC , des effets incitatifs ou désincitatifs sur l'offre de travail, selon la position du bénéficiaire.

La PPE devrait accroître la participation au marché du travail des individus sans emploi, puisqu'elle augmente le gain financier associé à la reprise d'un emploi.

L'effet incitatif de la PPE est cependant indéterminé pour les personnes qui perçoivent un revenu d'activité compris entre 0,3 et 1 SMIC. Effet revenu et effet de substitution jouent en sens contraire, ce qui rend délicate toute appréciation de l'effet net de la mesure.

Pour les personnes dont le revenu est compris entre 1 et 1,4 SMIC (ou 2,1 SMIC pour les couples monoactifs), la PPE exerce un effet désincitatif sur l'offre de travail (effet revenu et de substitution jouent dans le même sens).

La PPE devrait exercer un effet désincitatif sur le travail du second conjoint dans les couples biactifs. L'activité du second conjoint peut entraîner la perte d'une partie de la prime (fin de la majoration forfaitaire pour conjoint inactif), voire de la totalité de la prime si les revenus du conjoint sont assez importants.

Il est encore trop tôt pour que des évaluations ex post complètes des effets de la prime pour l'emploi sur les taux d'activité puissent être produites. Cependant, un certain nombre d'évaluations externes sont disponibles.

Ainsi, Laroque et Salanié (2001) ont proposé une simulation des effets de la PPE sur l'emploi des femmes (avec le barème initialement prévu pour 2003 rétropolé pour l'année 1999). Ils étudient un effectif de référence qui comprend 5 290 000 personnes, parmi lesquelles 2 732 000 occupent un emploi. Les résultats restent modestes . Ils estiment que, pour cette population, la PPE devrait entraîner l'entrée sur le marché du travail de 9 000 personnes supplémentaires, dont 4 000 pour des emplois à temps partiel (le nombre de personnes employées augmente ainsi de + 0,33 %). De manière plus précise, la PPE ferait passer 16 000 femmes du non-emploi à l'emploi, dont 6 000 à temps partiel, et 10 000 à temps plein ; dans le même temps, 2 000 femmes travaillant à temps plein choisissent le temps partiel, et 5 000 autres arrêtent de travailler ; enfin, 2 000 femmes travaillant à mi-temps passent à temps plein, et autant quittent la population active.

En appliquant le barème de 2003, le coût budgétaire de la PPE, pour cette population, est environ de 1,2 milliard d'euros. Chaque nouvelle entrée sur le marché du travail serait donc acquise au prix d'une dépense de 140 000 euros, ce qui représente une dépense pour le moins importante.

Une étude de Bassanini et al. (1999) suggère que l'efficacité des mécanismes de crédit d'impôt pourrait être moindre dans les pays, comme la France, qui se caractérisent par un éventail de salaires resserré, des salaires de réserve élevés 13 ( * ) , et des prélèvements importants sur les revenus du travail. Dans ces pays, en effet, le crédit d'impôt est plus coûteux à financer pour atteindre un effet incitatif donné. Le financement du crédit d'impôt suppose d'augmenter les prélèvements pesant sur une partie de la population déjà fortement taxée ; dès lors, l'effet global pourrait être une diminution du nombre d'heures travaillées, et une réduction du produit global .

Cahuc (2002) rappelle également qu' une mesure visant à augmenter l'offre de travail, alors que la demande de travail reste inchangée, risque d'avoir pour effet d'aggraver le déséquilibre du marché du travail. On peut toutefois supposer que l'introduction de la PPE, qui vient soutenir le pouvoir d'achat des ménages, aura pour effet de modérer les revendications salariales, à court et moyen terme. Une modération salariale prolongée est susceptible d'augmenter la demande de travail émanant des entreprises. Il n'existe cependant aucune modélisation permettant d'estimer la portée d'un tel effet.

2. Des effets redistributifs très différents

Si l'impact des mécanismes de crédit d'impôt sur le fonctionnement des marchés du travail apparaît relativement modeste, les effets redistributifs de ces dispositifs sont, en revanche, beaucoup plus significatifs et très différents.

a) L'EITC est un instrument efficace de réduction de la pauvreté aux Etats-Unis

Une étude américaine de 1998 14 ( * ) indique que, sans l' EITC , 34,5 millions de personnes vivraient sous le seuil de pauvreté aux Etats-Unis, soit un taux de pauvreté de 12,7 %. L'adjonction des revenus tirés de l' EITC fait passer 4,3 millions au-dessus du seuil de pauvreté, et ramène ainsi le taux de pauvreté à 11,1 %.

L' EITC a, d'autre part, permis de compenser, partiellement, l'augmentation des écarts de salaire observée aux Etats-Unis au cours des deux dernières décennies. Liebman (1997) calcule ainsi que, entre 1976 et 1996, la part des revenus perçue par le cinquième de la population le moins bien payé est tombée de 4,4 à 3,7 %, tandis que celle perçue par les 5 % les mieux payés est passée de 16,6 à 21,4 %. Dans le cas des ménages avec enfants, l' EITC compense la baisse des revenus à hauteur de 29 % pour le premier quintile de la population, et de 9% pour le deuxième quintile.

b) Le WFTC est un instrument de redistribution au profit des familles

Comme l'illustre le graphique suivant, le WFTC apporte un soutien significatif aux familles aux revenus les plus modestes. Les gains financiers les plus importants concernent les deux premiers déciles de la distribution des revenus. Le deuxième décile est le plus touché, car les ménages du premier décile sont souvent sans emploi, ou sans enfant, et ne bénéficient donc pas du WFTC .

c) Les effets de la PPE sont plus modestes et se diffusent assez largement dans l'échelle des revenus

Près de 80 % du montant global de la PPE bénéficie à la moitié la moins aisée de la population, mais les effets de la PPE se diffusent assez haut dans l'échelle des revenus.

Cette diffusion vers le haut de la distribution des revenus s'explique par deux raisons. En premier lieu, le plafond d'éligibilité, pour chaque apporteur de revenu d'activité, est assez élevé. Le seuil de 1,4 SMIC correspond, à peu près, au passage du sixième au septième décile de niveau de vie. En second lieu, cet effet de diffusion s'explique aussi par l'hétérogénéité des revenus au sein des couples. Pour un couple de concubins, dont la déclaration à l'impôt sur le revenu est séparée, il se peut que l'un des deux membres bénéficie de la prime, quand bien même le revenu du partenaire est d'un niveau élevé.

Cela dit, comme l'illustre le graphique ci-après, la PPE bénéficie principalement aux déciles deux à quatre de la distribution du revenu.

Le premier décile de revenu est relativement tenu à l'écart du profit de la prime. Cela s'explique par la composition particulière de cette population, qui comprend beaucoup de chômeurs ou d'inactifs, non éligibles à la prime pour l'emploi.

* 13 Le salaire de réserve est le niveau de salaire pour lequel le travailleur obtient le même niveau de satisfaction qu'il soit au chômage ou pourvu d'un emploi rémunéré à ce niveau. Un demandeur d'emploi refusera un emploi rémunéré à un niveau inférieur à son salaire de réserve, et acceptera un emploi rémunéré à un niveau supérieur.

* 14 Committee on Ways and Means (1998), Green Book .

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