E. HOMOGÉNÉISER LES SANCTIONS
L'un des principaux reproches formulés à l'encontre de la politique répressive à l'égard de l'usage de drogue est de manquer de cohérence et de ne pas traiter de manière égale les usagers. L'OFDT a souligné dans son rapport d'évaluation du plan triennal le manque de cohérence et de vision d'ensemble des actions menées en termes de politique pénale sur l'ensemble du territoire.
La commission d'enquête souligne donc la nécessité d'y remédier.
1. Développer les instructions à l'égard des parquets et mieux informer les magistrats et les forces de l'ordre
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Dominique Perben, ministre de la justice, a indiqué que le bilan dressé par la MILDT devrait être suivi de l'élaboration d'un guide mémento pour fixer des critères harmonisés et dicter des orientations à suivre.
En outre, il a indiqué qu'un questionnaire « stupéfiants » avait été en décembre 2002 adressé à l'ensemble des parquets généraux, certaines administrations (douanes, police et gendarmerie) ayant émis le souhait de mieux connaître la pratique des parquets, et notamment les critères retenus pour la transaction douanière, pour la distinction entre les infractions d'usage et de détention de stupéfiants, ainsi que pour la mise en oeuvre de réponses judiciaires. Ce questionnaire vise également à mieux connaître les critères retenus par les parquets pour la définition du trafic de transit ainsi que les modalités de traitement de ce type de contentieux.
Il doit également permettre de recueillir les suggestions des parquets.
Les résultats permettront d'établir une cartographie du traitement judiciaire des procédures liées aux stupéfiants, l'objectif étant de faire cesser les distorsions d'un parquet à l'autre, et d'avoir une connaissance des bonnes pratiques des parquets, pour pouvoir les diffuser sur le plan national. Ceci devrait déboucher sur une instruction générale.
Par ailleurs, il a précisé qu'un document méthodologique sur le proxénétisme de la drogue serait diffusé très prochainement aux magistrats, policiers et gendarmes.
La commission d'enquête se félicite de ce volontarisme affiché.
Par ailleurs, le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité vise à prévoir que le ministre de la justice veillera à la cohérence de l'application de la loi pénale sur l'ensemble du territoire de la République. Serait de même consacré le rôle des procureurs généraux en matière de politique pénale, qui animeront et coordonneront l'action des procureurs de la République de leur ressort, ainsi que la conduite des différentes politiques publiques. Ils se feront adresser un rapport annuel sur l'activité et la gestion des parquets ainsi que sur l'application de la loi.
La commission d'enquête souscrit totalement à cette précision.
2. Poursuivre plus fréquemment l'incitation à l'usage
L'article 3421-4 du code de la santé publique sanctionne la provocation à toutes les infractions à la législation sur les stupéfiants, qu'elle ait été ou non suivie d'effets. En 2001, seules 27 condamnations pour provocation à l'usage de stupéfiants ont été prononcées.
La commission d'enquête préconise donc de poursuivre plus fréquemment ce délit.
3. Sanctionner toute infraction à l'égard de mineurs
Ainsi que l'a recommandé M. Dominique Perben, ministre de la justice, « l'accent doit être mis sur les mineurs, qui est le public sensible par excellence. »
S'agissant de mineurs délinquants, il convient de développer les réponses éducatives. A cet égard, l'ordonnance de 1945 prévoit toute une série de réponses éducatives adaptées.
S'agissant de mineurs victimes, la commission d'enquête préconise la plus grande fermeté.
Comme l'a fait observer lors de son audition M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie, « bien souvent un dealer donne 50 francs à un gamin de 6-8 ans en lui demandant de faire le guet, mais le gamin ne sait pas vraiment pourquoi, et il n'est pas possible de l'interpeller et de l'interroger. En définitive, les petits dealers sont souvent des mineurs, les gros étant des adultes. Les mineurs ont recours à des enfants pour assurer des rôles d'observation, ce qui rend très difficile l'établissement des faits. »
Or, l'article 227-18 du code pénal sanctionne le fait de provoquer directement un mineur à faire un usage illicite de stupéfiants de cinq ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende. Lorsqu'il s'agit d'un mineur de moins de quinze ans ou que les faits sont commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif ou à l'occasion des entrées ou des sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement, l'infraction est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende.
De même, l'article 227-18-1 du code pénal sanctionne le fait de provoquer directement un mineur à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants de sept ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende. Lorsqu'il s'agit d'un mineur de moins de quinze ans ou que les faits sont commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif ou à l'occasion des entrées ou des sorties des élèves aux abords d'un tel établissement, l'infraction est punie de dix ans d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende.
Or ces infractions sont très rarement poursuivies. Qu'on en juge !
Ainsi, on relève une condamnation par an pour les années 1998, 1999, 2000 et 2001 s'agissant du délit d'utilisation de mineurs dans un trafic, avec un quantum de peines de trois mois fermes d'emprisonnement extrêmement faible.
De même, s'agissant du délit de provocation des mineurs à l'usage de stupéfiants, on ne compte que 6 condamnations en 1997, 10 en 1999 et 17 en 2001, avec un quantum de 10 mois.
Le garde des Sceaux, M. Dominique Perben, a d'ailleurs estimé lors de son audition que ce point mériterait de faire l'objet d'une instruction, la faiblesse des poursuites étant manifeste.
Cette faiblesse peut s'expliquer par la volonté des tribunaux de recourir à la procédure de comparution immédiate (jusqu'à il y a peu réservée aux infractions passibles de sept ans maximum d'emprisonnement). S'agissant des peines correctionnelles aggravées (jusqu'à 10 ans d'emprisonnement) prévues à l'égard de celui qui offre ou cède des drogues à un mineur, ou à une personne dans les locaux d'enseignement d'éducation ou de l'administration en vue de sa consommation personnelle (article L. 627, al. 2), la circulaire du 1 er février 1988 du garde des Sceaux estimait qu'il pourrait « s'avérer opportun, à chaque fois qu'il apparaîtra nécessaire de sanctionner rapidement et efficacement des agissements de cette nature, de continuer à exercer les poursuites sur le fondement de l'alinéa 1 de l'article L. 627-2 qui permet le recours à la procédure de comparution immédiate et de réserver l'application du nouvel alinéa 2 aux situations les plus graves ou à celles dans lesquelles l'ouverture d'une information est indispensable. »
Cette difficulté procédurale ayant disparu du fait de l'adoption de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, la commission d'enquête appelle le garde des Sceaux à prendre des mesures énergiques afin de « relancer » la poursuite de ces infractions.