D. CONCILIER LE TRAITEMENT D'UN CONTENTIEUX DE MASSE ET L'ORIENTATION SANITAIRE ET SOCIALE

Ainsi que l'a précisé lors de son audition M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, il convient d'« inventer un dispositif qui évite les écueils des procédures trop lourdes qui encombrent aujourd'hui la justice, qui a bien d'autres choses à faire. »

Néanmoins, il convient de veiller à concilier la systématisation de la réponse judiciaire avec sa nécessaire individualisation . Malgré leur nombre, il conviendrait que ces affaires ne fassent pas l'objet d'un traitement sommaire et indifférencié, mais que soient assurés le repérage des situations présentant des risques particuliers et la mise en oeuvre de mesures utiles et adéquates en fonction des personnalités individuelles, afin de ne pas nuire à l'objectif de prévention de la récidive. Les initiatives menées ces dernières années afin de prendre en compte l'usager de drogue dans sa globalité doivent être maintenues et renforcées.

1. Eviter l'encombrement des juridictions

Ainsi que l'a indiqué à la commission d'enquête M. Yves Bot, procureur de la République de Paris : « Lorsqu'on est dans la salle de permanence d'un parquet entre en ligne de compte la capacité matérielle de la juridiction pour évacuer les affaires dont elle peut être saisie chaque jour. Les procédures se compliquent de plus en plus . Il est utile d'avoir des procédures d'évacuation rapide par des voies qui ne soient pas aussi solennelles que la comparution en justice, comme le plaider coupable , pour pouvoir évacuer et ne pas laisser sans réponse des faits qui sont des infractions importantes et choquantes pour la loi, pour lesquels les victimes ont droit à réparation et les auteurs doivent avoir une sanction, tout en réservant le système judiciaire lourd aux infractions qui sont elles-mêmes les plus lourdes. »

Or, la justice pénale apparaît submergée et la durée moyenne de traitement des affaires pénales ne cesse d'augmenter.

a) Encourager le recours à l'ordonnance pénale pour la contravention d'usage

Les articles 524 et suivants du code de procédure pénale prévoient que toutes les contraventions de police peuvent être soumises à cette procédure, à l'exclusion de celles visant des mineurs.

Le choix de cette procédure appartient au ministère public. Le juge statue alors sans débat préalable par une ordonnance préalable portant soit relaxe, soit condamnation à une peine ainsi que le cas échéant à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues. Si le ministère public ne forme pas opposition de cette ordonnance dans les six jours, elle est notifiée au prévenu par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le prévenu peut y former pendant trente jours opposition. L'affaire est alors portée à l'audience du tribunal de police.

Il importera donc que les services de police et de gendarmerie transmettent au parquet tous les éléments permettant d'apprécier la personnalité du prévenu.

b) Etendre le champ de la «  procédure simplifiée » pour les usagers de drogues récidivistes, mais ne nécessitant pas d'orientation particulièrement poussée

La commission d'enquête préconise de développer le recours à la procédure simplifiée, prévue à l'article 495 du code de procédure pénale et introduite par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

Cette procédure s'inspire de celle prévue pour les contraventions dans le cadre de l'ordonnance pénale (articles 525 et 526 du code de procédure pénale) 115 ( * ) .

La commission d'enquête préconise de l'étendre au nouveau délit d'usage réitéré de stupéfiants ou de refus de soins proposés. L'article 495 du code de procédure pénale la réserve actuellement aux délits prévus par le code de la route. Cette procédure parait en effet particulièrement bien adaptée s'agissant de consommateurs non dépendants, quoique récidivistes, et bien intégrés socialement, pour lesquels une orientation socio-sanitaire n'est pas nécessaire. Rappelons en effet que la commission d'enquête propose que la récidive s'apprécie dans un délai de trois ans. On ne peut donc pas forcément parler de consommateur régulier à propos d'une personne qui serait interpellée deux fois dans un délai de 18 mois.

En effet, le ministère public ne peut recourir à cette procédure que s'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine. Les forces de l'ordre devront donc être particulièrement sensibilisées à cet aspect.

Si le ministère public choisit cette procédure, il communique au président du tribunal le dossier de la poursuite et ses réquisitions. Le président statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant relaxe ou condamnation à une amende et, le cas échant, à une ou plusieurs peines complémentaires, les peines d'emprisonnement étant exclues 116 ( * ) .

Le ministère public a alors 10 jours pour former opposition ou en poursuivre l'exécution. Le prévenu dispose d'un délai de 45 jours pour former opposition à l'ordonnance, l'affaire étant alors portée devant le tribunal correctionnel (article 495-3). On notera que cette procédure n'est pas applicable aux mineurs.

c) Elargir les mesures de composition pénale à l'obligation de soins

La loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale a instauré la procédure de composition pénale . Celle-ci permet au procureur de la République, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, de proposer à une personne majeure qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits de se soumettre à certaines mesures : versement d'une amende de composition, dessaisissement au profit de l'Etat de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou qui en est le produit, remise au greffe du tribunal de grande instance du permis de conduire ou du permis de chasser pour une période maximale de quatre mois, réalisation, au profit de la collectivité, d'un travail non rémunéré pour une durée maximale de soixante heures, dans un délai qui ne peut être supérieur à 18 mois.

La composition pénale peut actuellement être proposée en cas de consommation de stupéfiants. Elle pourrait donc, dans le système proposé par la commission d'enquête, être utilisée en cas de récidive ou de refus de soins. La mesure de composition pénale doit recevoir l'accord de la personne à laquelle elle est proposée. Elle doit être validée par le président du tribunal, qui peut procéder à l'audition de l'auteur des faits et de la victime. Si la personne n'accepte pas la composition ou si, après avoir donné son accord, elle n'exécute pas intégralement les mesures décidées ou si la demande de validation est rejetée, le procureur de la République apprécie la suite à donner à la procédure.

Le décret d'application de la loi du 23 juin 1999 a été pris le 29 janvier 2001 (décret en Conseil d'Etat n° 2001-71 modifiant le code de procédure pénale et relatif aux délégués et aux médiateurs du procureur de la République et à la composition pénale).

On rappellera que le Sénat était favorable à la loi ayant donné naissance à la composition pénale, estimant que l'instauration d'une forme de « plaider coupable » dans notre droit pourrait permettre de soulager les juridictions correctionnelles d'affaires pouvant être réglées autrement.

La loi d'orientation et de programmation pour la justice a porté de quatre à six mois la durée maximale pendant laquelle le permis de conduire ou le permis de chasser peuvent être déposés au greffe du tribunal dans le cadre d'une composition pénale. Par ailleurs, la liste des mesures pouvant être proposées à l'auteur d'un délit a été élargie pour inclure le suivi d'un stage ou d'une formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel pour une durée qui ne pourrait excéder trois mois dans un délai ne pouvant être supérieur à dix-huit mois.

L'inscription des compositions pénales exécutées au bulletin n° 1 du casier judiciaire, qui n'est accessible qu'aux seules autorités judiciaires, est désormais prévue, ce qui pourrait inciter les magistrats du parquet à recourir davantage à la composition pénale.

Néanmoins, certains magistrats mettent en avant la lourdeur de cette procédure, qui prévoit la validation des mesures de composition pénale, s'agissant de délits, par le tribunal correctionnel si la personne accepte d'exécuter la mesure proposée par le parquet.

Il conviendrait donc que la Chancellerie opère un premier bilan de cette procédure afin d'apprécier si elle peut s'appliquer utilement au délit d'usage réitéré de stupéfiants ou de refus de soins.

La Chancellerie semble cependant croire en cette procédure, puisque le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité propose de poser le principe qu'en cas d'échec d'une mesure alternative aux poursuites, le parquet doit soit poursuivre, soit mettre en oeuvre une composition pénale, sauf élément nouveau.

De plus, cette procédure serait étendue à tous les délits punis de cinq ans d'emprisonnement au plus et à toutes les contraventions de la cinquième classe. En cas d'échec de la composition pénale, le parquet devrait, sauf élément nouveau, mettre en mouvement l'action publique. La procédure interromprait l'action publique et ne serait plus une simple cause de suspension.

Cette procédure pourrait donc être utilisée en cas de cession ou d'offre de stupéfiants en vue de la consommation personnelle, ce qui pourrait constituer une alternative à l'utilisation de la procédure de comparution immédiate pour les usagers-revendeurs, qui pourrait être réorientée vers les délits de trafic ou les circonstances aggravantes à la cession ou offre de stupéfiants en vue de la consommation personnelle (à des mineurs, dans l'enceinte d'un établissement scolaire ou d'une administration).

La commission d'enquête proposera en conséquence d'ajouter aux mesures susceptibles d'être prononcées une obligation de soins ou d'orientation vers une structure sociopsychologique .

2. Maintenir l'objectif d'orientation sociosanitaire des usagers de drogues à l'occasion de la réponse judiciaire en pérennisant les conventions départementales d'objectifs justice-santé

La commission d'enquête estime que l'objectif de permettre aux usagers de drogues de rencontrer une structure médicale ou sociopsychologique à chaque stade de la procédure judiciaire afin de prendre en compte l'ensemble de leurs difficultés et de prévenir la récidive doit être réaffirmé.

La commission d'enquête considère, tout comme M. Didier Jayle, président de la MILDT, que la mise en place des conventions départementales d'objectifs a permis des premiers résultats encourageants. Ainsi que l'a souligné Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT, il s'agit d'une action qui doit s'inscrire dans la durée.

La commission ne peut donc que souscrire aux recommandations émises par l'évaluation de l'ODFT :

- de pérenniser leur financement, afin de garantir la survie des associations intervenant dans ce domaine et de donner aux magistrats des alternatives concrètes ;

- de réorienter leur action vers une coopération accrue entre services répressifs et services de santé et de sensibiliser les forces de l'ordre. Les CDO ne doivent pas se contenter d'abonder les associations ou les structures de prise en charge sanitaire ;

- de développer les permanences d'orientation sociosanitaire dans chaque tribunal de grande instance, de former les magistrats afin de leur permettre de mieux repérer les auteurs d'actes de délinquance ayant des consommations excessives ou problématiques de drogues ;

- de développer les travaux d'intérêt général.

* 115 instituée par la loi du 3 janvier 1972.

* 116 Si le juge estime un débat contradictoire nécessaire ou envisage une peine d'emprisonnement, il renvoit le dossier au ministère public (article 495-1 du code de procédure pénale).

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