B. LA DIVERSITÉ DE PROGRAMMATION

Si le médiateur du cinéma permet de résoudre efficacement les problèmes rencontrés par les exploitants pour accéder à certains films, la question de l'accès des films aux salles, ou plutôt celle de leur maintien à l'affiche le temps nécessaire pour que chacun d'entre eux puisse trouver son public, n'a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.

1. L'accès des salles aux films

Aux termes des dispositions de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, c'est au médiateur du cinéma de garantir « la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques » et par conséquent d'assurer, en cas de litige, l'accès des salles aux films.

En effet, l'article 92 de la loi du 29 juillet 1982 précitée dispose que « sont soumis à une conciliation préalable les litiges relatifs à la diffusion en salle des oeuvres cinématographiques et qui ont pour origine une situation de monopole de fait, une position dominante ou toute autre situation ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence et révélant l'existence d'obstacles à la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général. »

Cette conciliation est mise en oeuvre par le médiateur du cinéma qui, pour assurer « la plus large diffusion des oeuvres cinématographiques conforme à l'intérêt général », peut s'auto-saisir ou être saisi par :

- toute personne morale ou physique concernée ;

- toute organisation professionnelle ou syndicale intéressée ;

- par le directeur du Centre national de la cinématographie.

La notion de « plus large diffusion » peut être entendue au sens géographique (lieu d'exploitation) comme au sens temporel (durée d'exploitation). Quant à « l'intérêt général » il peut être considéré comme satisfait lorsque la diversité de l'offre de films dans le temps est assurée.

L'analyse des rapports annuels du médiateur permet de constater que son intervention a lieu le plus souvent à propos de difficultés d'accès des salles aux films, le cas de figure le plus classique étant celui du refus, par un distributeur, de fournir une copie à un exploitant.

LA CONCENTRATION VERTICALE DU SECTEUR CINÉMATOGRAPHIQUE

La question de l'intégration verticale entre les différentes branches de la production, de la distribution et de l'exploitation a été officiellement abordée pour la première fois dans le rapport de la mission de réflexion et de proposition sur le cinéma remis au ministre de la culture le 3 novembre 1981 par M. Jean-Denis Bredin. Les termes du débat méritent d'être rappelés.

A l'époque, face à la puissance des trois grands groupes Gaumont, Pathé et UGC, des voix s'étaient élevées pour réclamer l'adoption d'une législation de type anti-trust calquée sur le " décret Paramount " américain qui avait imposé en 1948 la séparation entre les différentes activités de production et de diffusion cinématographique.

Les inconvénients de l'intégration verticale avaient alors été classés selon deux séries de préoccupations. D'une part, une préoccupation d'ordre culturel. La concentration de la décision économique sur toute la chaîne de valeur interdirait le pluralisme des interlocuteurs financiers face aux créateurs et donc le renouvellement du cinéma. Ces arguments, qui aujourd'hui apparaissent datés, ne furent pas, à l'époque, jugés décisifs par le rapporteur pour qui un dispositif anti-trust devait en tout état de cause constituer " une décision de concurrence " prise en dehors de toute considération d'ordre culturel. D'autre part, une préoccupation d'ordre économique. La « préférence impériale » tend à privilégier les films maison pour lesquels le groupe a consenti une mise de fonds qu'il essaie naturellement de récupérer au détriment des films extérieurs pour lesquels il n'est intéressé qu'à la part salle. En sens inverse, la distribution par un groupe peut être préjudiciable aux oeuvres fragiles, mal adaptées à une diffusion « industrielle ».

Sans méconnaître les inconvénients que recèle toute situation conglomérale, la mission BREDIN se refusa à préconiser un coup d'arrêt à l'intégration. Elle estima en revanche que la libre activité des grandes compagnies devrait avoir des contreparties en matière de distribution et d'exploitation sous forme d'engagements, à l'image de ceux prescrits par les autorités de la concurrence.

Depuis lors, l'intégration verticale s'est développée et a pris d'autres formes ainsi que l'a montré le rapport GOUDINEAU de mars 2000 sur la distribution des films en salles. Elle n'est plus le seul fait des groupes historiques que sont Pathé, Gaumont, UGC ou MK2.

Il est clair que tant du point de vue politique, économique que juridique, l'adoption d'un dispositif de type « anti-trust «  n'apparaît pas raisonnablement envisageable. Comme le soulignait le rapport BREDIN, la rupture de l'intégration verticale laisserait subsister des circuits de salles de spectacles cinématographiques très importants qui ne pourraient que tendre à la concentration horizontale ; les exigences de rentabilité à court terme de ces circuits les conduiraient davantage encore à rechercher des succès massifs au détriment de la diffusion d'une production plus exigeante.

Aujourd'hui, la question que pose l'intégration verticale dans la filière cinématographique reste celle du pluralisme ou plutôt de la diversité culturelle. Elle conduit à s'interroger sur le comportement des opérateurs intégrés davantage que sur les structures elles-même La réponse relève en priorité d'une politique de concurrence dont les instruments juridiques sont ceux de la régulation directe (engagements de programmation et toute forme équivalente de nature contractuelle conditionnant l'autorisation d'ouverture de multiplexes) ou indirecte (par le biais du soutien financier).

Rapport du groupe de travail sur le cinéma face au droit de la concurrence

S'il est admis que la distribution d'un film puisse être « sélective », cette liberté doit néanmoins être exercée dans le cadre et les limites du droit général de la concurrence et du droit du cinéma. A ce titre, le médiateur du cinéma peut rencontrer diverses formes de comportements prohibés : le fait pour un exploitant généralement en position dominante, de faire pression sur un distributeur pour que celui-ci refuse une copie à un concurrent. En sens inverse, un refus de fournir une copie pourra être parfaitement justifié, soit en raison d'une offre plus intéressante de la part de tel exploitant, soit parce que l'exploitant qui demande la copie est connu comme étant un mauvais payeur.

Concernant l'évaluation de l'action du médiateur dans ce domaine, la mission reprendra à son compte l'avis du groupe de travail sur le cinéma face au droit de la concurrence, qui, dans son rapport publié le 30 janvier 2003, estime que « l'originalité et l'efficacité du dispositif du médiateur du cinéma est admise par tous. Il s'agit d'un mécanisme de régulation qui, tout en permettant de prévenir les contentieux, a contribué à ce qu'une saine concurrence joue dans le secteur de la diffusion cinématographique. (...) le système réussit à combiner, d'une part la flexibilité de l'action par rapport aux réponses juridiques traditionnelles lourdes à mettre en oeuvre et brutales tant dans leur application que dans leur résultat et, d'autre part, la prévisibilité de l'interprétation à partir de critères objectifs et opératoires permettant de dégager une véritable « ligne politique » connue des différents opérateurs. En outre, la souplesse offerte par le médiateur et la procédure mise en oeuvre permettent de répondre à des situations que le droit de la concurrence ne peut pas traiter avec le même degré d'urgence : les procédures de référé devant le juge ne sont pas adaptées au problème du refus opposé à un exploitant le lundi matin, jour des décisions de programmation pour une diffusion le mercredi, premier jour de la semaine cinématographique.

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