E. CERTAINES CONTRAINTES IMPOSÉES PAR LA BANQUE DE FRANCE NE SONT PAS JUSTIFIÉES PAR LA NÉCESSITÉ DU SERVICE MAIS PAR SON ORGANISATION INTERNE
Les développements qui précèdent ont permis de reconnaître que le respect de règles par l'ensemble des acteurs de la filière fiduciaire est indispensable au bon exercice de cette mission par la Banque, et que pour assurer le respect de ces règles, la Banque a cherché à pallier son défaut de pouvoir unilatéral en procédant par conventionnement. Il importe à présent de mesurer si ces contraintes, dont le principe est légitime, sont en pratique limitées à ce que requiert effectivement l'organisation du service public.
1. Le circuit actuel est marqué par les redondances
Si les partenaires de la Banque de France sont quasiment unanimes pour déplorer sa rigidité et le caractère discutable de certaines contraintes qu'elle impose, la filière s'accorde sur la nécessité d'un processus d'entretien des billets. Elle en conteste cependant certaines modalités. Du point de vue de la collectivité, le défaut majeur du système actuel réside dans la redondance des contrôles effectués par la Banque de France et par les transporteurs.
La Cour a en effet constaté que les billets remis aux transporteurs de fonds sont déjà en grande partie comptés et authentifiés par ceux-ci, avant remise aux guichets de la Banque de France . Les transporteurs collectent pour le même client les billets issus de plusieurs guichets, mais sont contraints par les principes de conditionnement imposés par la Banque de France de présenter des paquets de dix centaines de même dénomination. Ainsi, lorsqu'un billet faux est identifié par la Banque de France, ou qu'un manquant est décelé dans un paquet composite, il n'est plus possible d'en retrouver l'origine. Or, le principe général en matière de détention d'espèces est que, dès lors qu'un faux ou un manquant est identifié, il est imputé au remettant, sauf si celui-ci peut retrouver son origine, ou a déjà identifié le billet comme faux lorsqu'il lui a été remis 10 ( * ) . Dès lors, il est courant dans le cadre des relations commerciales des transporteurs de fonds avec leurs clients qu'un faux ou un manquant détecté par la Banque de France, mais non détecté par le transporteur, soit imputé au transporteur et non au remettant.
En outre, les machines qui comptent les billets peuvent être assez aisément dotées d'une capacité d'authentification ; il suffit de rajouter un capteur de détection pour qu'une machine de comptage devienne une machine capable de détecter les faux, même si ce n'est pas forcément avec le même niveau de qualité que dans le parc de machines de la Banque de France. Pour les transporteurs qui sont de toute façon amenés à recompter les billets qui leur sont confiés, l'authentification est une opération supplémentaire qui, même lorsqu'elle n'est pas requise, peut être réalisée à peu de frais. Cet ensemble de considérations conduit les transporteurs à s'équiper de machines capables de recompter les billets et de les authentifier, de même que la Banque de France. Ainsi, l'authenticité des billets remis à la Banque de France a déjà été contrôlée par les transporteurs dans un grand nombre de cas .
En outre, la qualité de ces contrôles n'est pas inférieure à celle de la Banque de France dans une proportion en rapport avec les coûts induits par leur redondance.
De manière regrettable, la Banque de France n'est pas en mesure de déterminer quelle proportion de la contrefaçon est identifiée par ses services, et quelle part lui est remise par les banques commerciales déjà identifiée comme telle.
Une demande de renseignements adressée auprès de certaines banques commerciales et de certains transporteurs a permis d'obtenir une estimation du nombre de faux identifiés par ceux-ci. La caisse centrale d'une banque, disposant de matériels de tri, était à elle seule capable d'identifier environ 50 % des faux détectés par la Banque . Avant la mise en place de nouveaux matériels plus performants, une autre grande banque française évaluait déjà à 60-65 % la proportion de faux détectés par les agences, la caisse générale et les transporteurs. Surtout, l'un des deux principaux transporteurs a affirmé à la Cour avoir détecté 90 % des billets faux identifiés par la Banque au cours des derniers mois de 2001.
Il importe cependant d'observer que si les banques et les transporteurs sont en mesure de détecter les faux, ils ne sont pas concernés par le retrait des billets usagés. Ils ne détectent pas ces billets usés et n'ont pas d'intérêt à le faire. Tout système dans lequel la détection des faux serait déléguée aux banques ou aux transporteurs devrait donc prévoir par ailleurs le retrait des billets usagés.
2. Bien que les acteurs de la filière fiduciaire ne le revendiquent pas de manière unanime, les surcoûts pour la collectivité conduisent à envisager la délégation du contrôle sous la surveillance étroite de la Banque
Le principe d'un examen régulier des espèces en circulation, destiné à garantir leur bon état et leur authenticité ne paraît pas devoir être remis en question. Cependant, afin de réduire les surcoûts imposés à la collectivité par le système actuel, la possibilité d'une délégation de la mission d'entretien de la monnaie fiduciaire aux acteurs de la filière doit être étudiée. Les évolutions de la filière (arrivée de la grande distribution parmi les acteurs, perspectives d'une concurrence entre instituts d'émission dans les zones frontalières) rendent d'autant plus urgent cet examen.
S'agissant des surcoûts imposés à la filière, le jeu des différents acteurs n'a pas permis jusque dans la période récente l'émergence d'une forte revendication en faveur de la délégation, même si cette revendication a émergé plus nettement qu'auparavant dans la filière à l'occasion de la renégociation de la convention passée avec la Banque de France, parvenue à échéance à l'automne 2002, et prorogée dans l'attente d'un nouvel accord. La répartition des rôles entre banques commerciales, Banque de France et transporteurs a conduit à une situation non optimisée, avec des surcoûts pour la collectivité mais qui satisfait globalement les parties : la Banque de France souhaite conserver une activité historiquement importante et symbolique, employant un personnel nombreux, les banques commerciales ne souhaitent que marginalement l'exercer à sa place ou la déléguer aux transporteurs, compte tenu de la gratuité de la prestation de tri : la délégation aux transporteurs permettrait d'économiser des frais de transport, mais ceci pourrait être plus que compensé, pour les banques, par la fin de la gratuité du tri.
Au demeurant, les dernières évolutions techniques et réglementaires contraignent la Banque à s'adapter. En effet, une position commune de l'Eurosystème en date du 24 mai 2001 contraint la Banque de France à accepter tout en la contrôlant l'installation de distributeurs/récepteurs capables de recycler en interne les billets. Ceci constitue une première brèche dans le principe de non-délégation du tri jusque-là appliqué par la Banque. Il importe toutefois que le recours éventuel à un décret, afin d'encadrer cette pratique, arbitre entre le souci de préserver une qualité suffisante du tri, et la nécessité de conférer à cette option un caractère attractif en ne la soumettant pas à des normes excessives.
3. Les conditions de localisation des opérations ne permet pas suffisamment à la filière d'optimiser ses circuits
La carte des caisses institutionnelles n'est pas adaptée à l'activité de la filière fiduciaire : un certain nombre de succursales sont placées à grande distance des centres forts des transporteurs, alors même que la très grande majorité de ces centres sont voisins d'une autre caisse. Les caisses isolées ne présentent donc pas d'intérêt pour eux en termes de logistique, comme ils l'ont confirmé à la Cour.
En apparence, le processus de conventionnement initié par la Banque constitue une voie médiane, qui fait à la fois droit à la prise en compte des demandes de modification des circuits formulées par les acteurs de la filière, et à la nécessité pour la Banque de France de disposer d'un certain temps pour s'y adapter. En effet, la Banque est obligée d'examiner toute demande de modification des circuits, et ne peut refuser que s'il est établi que les locaux de la nouvelle caisse d'accueil nécessiteraient des travaux pour s'adapter au nouveau flux. Tout au plus peut-elle demander un délai d'un an pour adapter le matériel et les effectifs de la caisse d'accueil. Le sort de la caisse abandonnée n'a pas à être pris en compte.
Les statistiques établies par la Banque de France font état de demandes de modification relativement peu nombreuses et généralement acceptées : ainsi, en 99 et 2000, 31 demandes de modification ont été formulées (source : Caisse générale), et seulement 4 refus ont été opposés. En 2001, ce sont 41 demandes de modification qui ont été déposées, dont 3 seulement ont été refusées, soit au total environ 10 % de refus, à chaque fois dûment motivés. Mais selon les informations portées à la connaissance de la Cour, les statistiques des demandes officielles ne reflètent pas intégralement les évolutions. Les directeurs de succursale parviendraient à dissuader en amont, avant leur dépôt, certaines demandes de modification de circuit. Ce comportement est à l'origine de surcoûts pour la filière. S'il est avéré, comme le déclarent les transporteurs, que les flux de billets ne subissent pas spontanément de fréquentes modifications, il paraît plus efficient pour la collectivité de donner davantage de liberté aux partenaires de la filière pour choisir leurs lieux de dépôts et de retrait, et de calquer la cartographie des implantations et de leur taille sur le libre jeu des flux observé.
En définitive, deux critères pourraient être conservés pour l'implantation de caisses institutionnelles : Un volume de tri minimal, qui pourrait être de l'ordre de 20 000 paquets afin de pouvoir employer des machines d'une productivité convenable (M 25). Mais dans certains cas, l'enclavement pourrait justifier le maintien d'une caisse même en présence de flux réduits. En soi, le critère d'une caisse institutionnelle dans chaque chef-lieu de département n'est pas pertinent économiquement ; la présence d'une caisse institutionnelle dans chaque département ne l'est pas davantage.
* 10 Ce principe découle de l'obligation édictée par le Code monétaire et financier où se trouve le détenteur d'un billet faux de le remettre à la Banque de France, seule habilitée à le déclarer apocryphe et à le détruire.