D. LA BANQUE DE FRANCE IMPOSE DES CONTRAINTES À SES PARTENAIRES, AVEC UNE BASE JURIDIQUE FRAGILE
1. Des contraintes en partie nécessaires, en partie contestables
Les opérations de retrait et de dépôt de fonds sont soumises, principalement pour des raisons de sécurité, à des règles contraignantes en matière de conditionnement ou d'horaires. La Banque de France en ajoute d'autres. La principale est l'interdiction du recyclage, définie comme l'interdiction, pour les banques, de remettre en circulation dans leurs distributeurs de billets des espèces déposées à leur guichet. Une autre impose la géographie de ses succursales. Or, la Banque de France ne dispose pas juridiquement d'un pouvoir de contrainte : après analyse, il apparaît qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne lui donne un tel pouvoir.
En ce qui concerne l'interdiction du recyclage tout d'abord, la Banque y voit la seule garantie d'un contrôle efficace des espèces en circulation. Elle repose sur l'idée que ni les banques, ni les transporteurs de fonds ne sont en mesure de vérifier eux-mêmes l'authenticité et le bon état matériel des billets. L'interdiction de recyclage ne s'applique pas aux billets remis en circulation aux guichets des banques commerciales, ni aux pièces.
Le fondement juridique de l'absence de délégation de l'entretien de la monnaie fiduciaire est incertain. En effet, la nouvelle rédaction de la loi dispose que la Banque « a pour mission d'assurer l'entretien de la monnaie fiduciaire et de gérer la bonne qualité de sa circulation sur l'ensemble du territoire », ce qui, par rapport à l'ancienne rédaction de la loi du 4 août 1993 « elle veille à la bonne qualité de la circulation fiduciaire », constitue un renforcement de la position de la Banque : alors que le terme « veiller à la bonne qualité » pouvait très bien s'accommoder d'une organisation dans laquelle le contrôle des espèces serait dévolu aux banques et aux transporteurs de fonds sous la surveillance de la Banque de France, la nouvelle rédaction confie plus directement les opérations de contrôle (« assurer l'entretien ») à la Banque elle-même. Toutefois, la possibilité de déléguer certaines tâches n'est pas expressément exclue. À cet égard, les débats parlementaires relatifs à la loi du 12 mai 1998 sont éclairants et permettent de constater que le législateur n'a pas souhaité une interdiction absolue de délégation. Cette absence de délégation est contestée par les banques et par les transporteurs, qui sont contraints d'organiser un circuit d'espèces lourd, complexe et coûteux avec les succursales de la Banque.
En ce qui concerne les contraintes de localisation des opérations, deux logiques s'affrontent également. Les transporteurs de fonds cherchent à optimiser leurs circuits et leur activité, ce qui les conduit d'une part à concentrer leurs activités sur un nombre plus réduit d'implantations afin de bénéficier d'économies d'échelle, d'autre part à souhaiter limiter leurs dépôts et retraits aux succursales de la Banque de France les plus proches de leurs implantations. De son côté, la Banque de France ne pourrait sans difficulté s'adapter à de fréquentes modifications de ces circuits : il lui faudrait déplacer les matériels de tri et les personnels au gré des évolutions de la filière.
La Banque de France justifie donc les contraintes qu'elle impose par ce besoin de stabilité. Les transporteurs de fonds interrogés par la Cour font en revanche état d'une grande stabilité des flux spontanés, la phase de restructuration de la filière étant achevée.
Enfin, la Banque de France souhaite imposer des normes de conditionnement des espèces. Elle s'est notamment orientée dans la période récente vers un rôle de grossiste, cohérent avec la nécessité d'assurer la mission de service public au moindre coût.
2. Le processus de conventionnement
Contraintes de conditionnement, de localisation des opérations, interdiction du recyclage : sur ces différents points, le magistère moral de la Banque de France a longtemps suppléé l'absence de pouvoir réglementaire.
La Banque a choisi de s'adapter aux évolutions de la filière fiduciaire, pour ne pas en être exclue un jour ou l'autre, en lançant le plan de concentration de son activité de tri évoqué ci-dessous (fermeture de caisses institutionnelles, investissements en nouveaux matériels) et en mettant en place un mécanisme de conventionnement avec la filière : l'AFECEI (Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement) au nom des banques, Transval, Ardial et Brinks au nom du transport de fonds.
Des conventions-cadres ont été conclues avec la filière depuis 1999 au niveau national et ont été déclinées localement en quelque 2000 textes, pour trois ans. Elles définissent les obligations des partenaires de la Banque sur les différents points énumérés supra : les banques commerciales ont, en les signant, accepté de se conformer à l'interdiction de recyclage et aux contraintes édictées par la Banque en matière de localisation des opérations (tout changement de lieu de dépôt ou de retrait d'un partenaire de la Banque doit être accepté par celle-ci). Cependant, leur négociation est restée marquée par le rapport de forces encore favorable à la Banque de France à l'époque. Comme l'écrit une grande banque française en réponse à une demande d'informations de la Cour : « la convention a été présentée à la signature de nos groupes d'agence sans alternative », ce qu'ont confirmé les autres interlocuteurs de la profession. À cet égard, en imposant ces conventions plutôt qu'en les adoptant après une négociation équitable, la Banque de France a pallié l'absence de textes de loi, mais s'est privée de la légitimité du contrat.