II. ENTRETENIR ET SAUVEGARDER UN SAVOIR-FAIRE
M. Etienne DULIN, dinandier, Villedieu-les-Poêles (Manche), délégué SEMA de la Manche
Située sur la Route de L'Etain, entre la Cornouailles et Saint-Jacques de Compostelle, à la rencontre de la Bretagne et de la Normandie, Villedieu-les-Poêles est spécialisée dans la dinanderie, terme qui vient de Dinant en Belgique, là où jadis on faisait de la dinanderie, mais où, malheureusement, on n'en fait plus. Depuis une trentaine d'années, environ 14 entreprises de dinanderie ont disparu à Villedieu.
Après avoir travaillé dans une entreprise qui fabriquait des ramasseuses de pommes et de noix, Etienne Dulin , alors âgé de 32 ans, a repris une entreprise de dinanderie à Villedieu-les-Poêles. Il s'est formé et s'est entouré des collaborateurs déjà présents dans l'entreprise, qui avaient un savoir-faire avéré.
Sans se placer sur le terrain des métiers d'art, Etienne Dulin pense avoir réussi à entretenir un savoir-faire et il espère avoir contribué à le sauvegarder, ce qui est très difficile.
Après avoir repris cet atelier, Etienne Dulin l'a très vite dynamisé en multipliant les commandes et en relançant l'activité. Toutefois, faute de moyens, il a dû « subir » une association qui n'a pas donné les résultats escomptés. C'est alors qu'il a décidé de s'orienter vers le tourisme en expliquant la fabrication, ce qui a apporté une valeur ajoutée au produit. Une personne qui voit comment est fabriquée une aiguière, qu'il faut repousser le pied, le corps, la souder, la polir, la marteler, etc., regarde l'objet de manière totalement différente et a envie de l'acheter.
Pour s'orienter vers le tourisme de découverte économique, Etienne Dulin a essayé de répondre à trois critères :
- Pourquoi le cuivre à Villedieu ?
- Comment le travaille-t-on ?
- A quoi cela sert-il ?
Dès lors, il se situe dans un rôle de formateur auprès des touristes.
Dans un atelier qu'il a voulu authentique, il explique le travail du repoussage, du martelage, de l'étamage dans tous ses détails et pourquoi il est préférable de cuisiner dans une casserole en cuivre plutôt que dans une casserole en inox. Pour retrouver un certain marché, il faut éduquer et expliquer.
Toujours dans le domaine touristique, Etienne Dulin a initié la Route de la table selon le même concept, avec notamment une information par vidéo.
L'Atelier du Cuivre est ouvert toute l'année. Alors qu'il y a encore quelques années, le tourisme faisait travailler les entreprises trois mois par an, aujourd'hui, du fait de l'évolution des comportements induite par les 35 heures, la saison touristique en Normandie représente une activité soutenue pendant six mois. Pour équilibrer les six autres mois, Etienne Dulin a eu l'idée de proposer des services à ses clients, ce qui lui a permis d'obtenir de nouveaux débouchés.
De plus, Villedieu ne recevant pas des touristes toute l'année, Etienne Dulin a mis en place une Maison de l'étain, créé un petit train touristique et repris un hôtel. Il a monté un produit touristique pour essayer de vivre toute l'année, mais il a souffert d'une fréquentation insuffisante. Quelqu'un lui a alors parlé du Viaduc des Arts, à Paris, en lui disant que ce serait une très belle opportunité pour lui. Par contre, on avait omis de lui dire qu'il manquait des cheminées pour évacuer certaines vapeurs. C'est ainsi qu'un dossier de 1,5 million de francs d'investissement s'est transformé en 3 millions et qu'aujourd'hui il frôle le dépôt de bilan. Cet investissement a ruiné 15 années de travail. Malgré tout son dynamisme, M. Dulin est aujourd'hui très remonté à l'encontre de certaines administrations parce que « l'on n'a pas le droit de se faire asphyxier de cette façon-là ».
Le côté positif de cette expérience parisienne est que Etienne Dulin est devenu fabricant de baignoires, tout simplement parce qu'un jour, avec un commissaire-priseur qui voulait vendre des produits contemporains, il a organisé, au Viaduc des Arts, la première vente aux enchères de produits contemporains parmi lesquels une baignoire en cuivre entièrement faite à la main par l'Atelier du Cuivre. Cette baignoire a été le clou de la vente. Un journaliste a rapporté le fait à tout le gotha parisien et dans les revues professionnelles, et c'est ainsi qu'Etienne Dulin fabrique aujourd'hui une baignoire par mois et en restaure. Récemment, il a réalisé une baignoire dorée à l'or fin.
Pour finir Etienne Dulin voudrait attirer l'attention de l'assistance sur les nombreuses difficultés qui jalonnent le parcours d'un entrepreneur.
Les professionnels des métiers d'art ont du dynamisme, mais ils ne peuvent pas tout faire, être chefs d'entreprise et dynamiser. Certains des clients d'Etienne Dulin ne viennent pas à Villedieu pour le voir, mais à Paris, au Viaduc des Arts, mais pour cela, il faut qu'il y soit. Par ailleurs, il y a autour des métiers d'art de réels produits touristiques et il y a des débouchés, mais on ne peut pas parler de tourisme si l'on n'est pas capable de faire de l'accueil.
Les visites présentent un grand intérêt pour les artisans. Au début, les salariés d' Etienne Dulin appréhendaient ces visites, maintenant ils sont demandeurs. Pour la Journée des Métiers d'art, l'atelier sera ouvert et ils seront tous là.
Pour revenir à la Route de la table, Etienne DULIN précise qu'elle réunit sept artisans autour d'une charte de qualité. Il y a une billetterie, un accueil, des circuits sont organisés, les produits sont prêts, mais les artisans n'ont pas toujours les moyens de mettre tout cela en place.
En outre, Etienne DULIN fait part de ses difficultés avec l'Inspection du travail, qui voudrait que ses machines soient modernes. Or Etienne Dulin n'a conservé que les machines anciennes !
Sur le plan de la transmission des savoir-faire, Etienne Dulin souligne aussi un manque d'intérêt des jeunes pour l'artisanat : les seuls organismes de formation ou d'insertion qui lui proposent du personnel, sont ceux qui s'occupent de handicapés. Il cite le cas d'une personne handicapée d'une main, qui est devenue meilleur soudeur que celui qui lui a enseigné. Une autre personne, à son arrivée dans l'entreprise, ne savait ni lire ni écrire ; elle était incapable de s'exprimer. Aujourd'hui, ce travailleur est également devenu un collaborateur compétent.
Pour être efficace, la formation doit être basée sur la mixité atelier/école. Ce qui a fonctionné aussi chez Etienne Dulin , c'est le binôme ancien/jeune. C'est le seul moyen de transmettre le savoir, mais il faut du temps. L'école enseigne la théorie, mais il faut que la pratique suive.
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