B. UNE RÈGLE CONTRADICTOIRE AVEC LES AUTRES PILIERS DU PACTE

La règle du retour à l'équilibre du solde public nominal à une échéance fixée est contradictoire avec les autres piliers du pacte de stabilité et de croissance qui, contrairement à elle, introduisent une relation entre la gestion du solde public et les évolutions conjoncturelles.

Cette contradiction, qui jette le trouble et explique vraisemblablement les tâtonnements constatés dans l'application de la règle, a été perçue.

Mais, au lieu de lever les contradictions, les différentes versions du Code de conduite les ont accentuées.

1. Une règle contradictoire avec les autres piliers du pacte

Cette formulation apparaît contradictoire avec les deux autres piliers du pacte.

Elle est, d'abord, en contradiction avec la résolution du Conseil européen d'Amsterdam du 17 juin 1997, qui constitue l'un des trois piliers du pacte et qui établit un lien entre la position budgétaire des Etats et leurs situations économiques.

En effet, cette résolution indique que « l'adhésion à l'objectif qui consiste à parvenir à une situation budgétaire saine proche de l'équilibre ou excédentaire permettra à tous les Etats membres de faire face aux fluctuations conjoncturelles normales tout en maintenant le déficit public dans la limite de la valeur de référence de 3 % du PIB ».

Etant précisé que cette résolution n'a pas de caractère contraignant, à l'inverse des deux autres piliers du pacte qui sont des règlements dérivés du traité, il faut souligner que sa teneur contredit les termes du règlement ici examiné.

Alors que celui-ci fait peser sur la politique budgétaire une contrainte d'équilibre permanent, qui semble correspondre à une conception économique particulière fondée sur la répudiation des déficits publics - v. infra -, la résolution d'Amsterdam est compatible avec une autre vision dans laquelle les soldes publics peuvent fluctuer, et s'accompagner de situations de déficits dans des limites données (3 % du PIB), en fonction de la situation économique.

Ensuite et plus encore, l'existence même d'une procédure sanctionnant les déficits excessifs - v. infra - conduit à admettre l'éventualité de déficits qui ne sont pas excessifs et, par là même, à récuser une application à la lettre de la règle du retour à une situation proche de l'équilibre, voire excédentaire.

Enfin, le sens même de l'examen par le Conseil des programmes n'est pas conforme - v. infra - avec une lecture littérale de la règle .

2. Des contradictions que les Codes de conduite successifs n'ont pas réduites mais ont, au contraire, accentuées

Consécutivement à l'adoption des trois piliers du pacte de stabilité et de croissance, le Conseil a entériné un Code de conduite dont une révision est intervenue en juillet 2001. Ces codes n'ont pas de valeur juridique ; ils constituent une sorte de circulaire d'application du règlement, à usage interne. Ils ne pouvaient formellement contrevenir à celui-ci. Mais, au moins, pouvait-on escompter d'eux des clarifications pertinentes.

Les incohérences du règlement auraient pu être atténuées dans les « Codes de conduite » consacrés depuis par le Conseil. C'est un résultat inverse qui a été atteint.

a) Le Code de conduite d'octobre 1998

Lors de sa réunion du 12 octobre 1998, le Conseil Ecofin a entériné un avis du Comité monétaire relatif aux programmes de stabilité et de convergence qui, de fait, a constitué une première version du Code de conduite associé au pacte de stabilité et de croissance.

La valeur juridique de ce code est des plus incertaines. Cette situation pose, évidemment, un réel problème dans le contexte du modèle de la coordination des politiques économiques en Europe, qui relève de l'application de règles. A supposer qu'une réforme du pacte de stabilité et de croissance intervienne, il ne serait pas souhaitable qu'elle soit portée par un acte sans valeur juridique. C'est le règlement lui-même et non sa « circulaire d'application » qu'il faudrait modifier.

Cette première observation formulée, il faut encore déplorer que le Code n'ait pas été l'occasion d'apporter plus de clarté et plus de pertinence.

On ne s'attardera pas sur les recommandations portant sur le contenu des programmes, sinon pour signaler l'attention portée à la qualité des informations relatives aux finances publiques des Etats. Elle semble résulter d'une forme d'insatisfaction devant la qualité des informations transmises au cours de la phase antérieure à l'adoption de l'euro. Il est, en particulier, notable que les facteurs d'évolution du ratio d'endettement, notamment le niveau des cessions d'actifs publics, font l'objet d'exigences particulières de transparence.

L'intérêt essentiel du Code réside dans les tentatives d'interprétation du principe d'une position à moyen terme proche de l'équilibre ou excédentaire qu'il comporte.

Sur ce sujet, on ne peut qu'être étonné par la coexistence d'éléments d'interprétation susceptibles de déboucher sur un net assouplissement de la règle de retour à l'équilibre adoptée en 1997 avec la réaffirmation de cette même règle dans toute sa pureté.

Du côté des analyses susceptibles de soutenir une application assouplie de la règle, il convient d'abord de souligner la référence à la résolution du Conseil européen d'Amsterdam, déjà mentionnée, qui implique de récuser le retour coûte que coûte à l'équilibre. Par ailleurs, le Conseil fait siens les arguments tendant à une appréciation relative des programmes et de leur application tenant compte de l'impact de la conjoncture sur les finances publiques. Une précision importante est apportée à ce sujet puisque le Conseil, suivant en cela le comité monétaire, estime que l'objectif de moyen terme doit être envisagé par référence à la longueur du cycle économique. Il ajoute que tout jugement sur la position budgétaire doit emprunter la méthode de l'ajustement conjoncturel à partir des conditions propres à chaque pays, c'est-à-dire tenir compte de l'évolution des soldes structurels.

L'ensemble de ces considérations est toutefois contrebattu par la réaffirmation de la règle de retour à l'équilibre dans toute la pureté qu'elle présente dans les dispositions du règlement 1466/97.

En effet, adoptant une démarche curieuse, le comité estime qu'« il importe d'empêcher que la situation budgétaire à moyen terme proche de l'équilibre ou excédentaire devienne une cible mouvante ». Il demande donc que les programmes de stabilité et de convergence, qui, alors, devaient être soumis à la fin de 1998, fassent état de la réalisation aussi rapide que possible de l'objectif à moyen terme du pacte de stabilité et de croissance. Il considère même, sur la base de l'analyse de la Commission, que cet objectif devrait être atteint à la fin de 2002 au plus tard.

Ainsi, le même document, entériné par le Conseil, contient deux conceptions contradictoires des règles du pacte.

b) La révision du Code de conduite

Le Conseil Ecofin de juillet 2001 a adopté plusieurs dispositions susceptibles de modifier les conditions de présentation et d'examen des programmes de stabilité et de convergence par rapport au cadre en vigueur résultant des recommandations du Conseil Ecofin d'octobre 1998.

Au lieu de lever les ambiguïtés et de résoudre les contradictions du code, cette révision comporte un renforcement des exigences pesant sur les Etats et une complexification du système de surveillance des positions budgétaires.


DES SIMPLIFICATIONS TECHNIQUES BIENVENUES

Certaines simplifications techniques doivent être saluées. Ainsi de l'harmonisation des conditions de présentation et d'examen des programmes.

L'harmonisation des conditions de présentation et d'examen des programmes a été entreprise d'un double point de vue :

- le calendrier de l'examen a été resserré ;

- la comparabilité des programmes a été renforcée.

Le calendrier de transmission et d'examen des programmes a été resserré. Pour les premiers programmes, le calendrier s'étalait entre septembre et mars - ce qui, compte tenu de la variabilité des conditions économiques, nuisait à la comparabilité des programmes. En outre, la longueur des délais retardait la réunion d'une information globale permettant d'apprécier l'impact agrégé des politiques budgétaires nationales sur la zone euro. C'est pourquoi il a été décidé de concentrer sur la période entre mi-octobre et le 1 er décembre les obligations de transmission et d'examen des programmes.

La comparabilité des programmes a été renforcée à travers trois obligations principales : l'instauration d'une structure de présentation commune ; la présentation des hypothèses économiques et de l'information sur les finances publiques dans des formats standardisés ; le recours à des variables économiques relatives au reste du monde - hors Union européenne - homogènes.

Le Royaume-Uni et l'Irlande bénéficient toutefois d'une dérogation jusqu'au 15 décembre, pour tenir compte des spécificités de leurs calendriers budgétaires.

La sophistication des méthodes de surveillance apportée par la révision du code n'a pas permis de lever les contradictions du pacte. Au contraire, en durcissant la règle de retour à l'équilibre, elle les a accrues au nom d'un approfondissement de la surveillance des positions budgétaires.

Même s'il comporte la recommandation d'apprécier les positions budgétaires des Etats en les corrigeant de leur composante conjoncturelle, le code révisé réaffirme le principe d'une vérification de l'application de la règle de retour à l'équilibre nominal.

La recommandation visant à compléter la surveillance des soldes nominaux par la prise en compte de la situation structurelle des finances publiques repose sur la distinction entre la position conjoncturelle des finances publiques et leur situation structurelle. Par là, le code révisé marque un progrès vers le dépassement de la référence au solde nominal qui, compte tenu de ses limites - v. infra - doit être saluée. Le lien entre solde public et conjoncture est à nouveau évoqué.

Pour autant, les précisions apportées sur les conséquences d'un tel examen sont surprenantes . Il est en effet recommandé que la situation structurelle des comptes publics offre une marge suffisante pour qu'une dégradation de leur composante conjoncturelle ne les éloigne pas d'une situation budgétaire proche de l'équilibre à moyen terme.

Par cette recommandation, la règle d'un équilibre permanent du solde nominal des comptes publics est consacrée. Le solde structurel doit être suffisamment excédentaire pour qu'elle soit toujours vérifiée.

Mais il y a plus, la recommandation implique un renoncement de principe à des situations de déficits publics, ce qui représente un durcissement du règlement.

Pour « visualiser » cette dernière recommandation, il faut garder à l'esprit que le solde structurel correspond au solde que connaîtrait un pays qui serait toujours en situation de croissance conforme à son potentiel. On sait que tel peut ne pas être le cas et que la croissance est parfois inférieure, parfois supérieure au potentiel.

La recommandation formulée dans le code révisé consiste à exiger des Etats qu'ils connaissent une situation permanente d'excédent structurel. Elle est justifiée par les garanties qu'offrirait une telle situation dans les phases de ralentissement du cycle économique, au regard de la règle d'équilibre nominal des comptes publics. En effet, dans une phase de croissance inférieure au potentiel, l'excédent structurel compenserait alors la dégradation conjoncturelle des comptes publics. Le code demande que l'excédent structurel soit suffisant pour que cette compensation prévienne un déficit nominal. Très logiquement, dans les phases de croissance supérieure au potentiel, l'excédent structurel serait augmenté spontanément de l'amélioration des comptes publics due à un dynamisme de l'économie.

Le solde public évoluerait dans un tunnel qu'on peut représenter graphiquement comme suit :

Excédent

Solde nominal

Déficit

Croissance inférieure au potentiel

Croissance supérieure au potentiel

Solde structurel

0

Croissance

Cette représentation graphique peut être comparée avec celle que formalise une règle d'équilibre du solde nominal sur la période d'un cycle.

Excédent

Solde nominal

Déficit

Croissance inférieure au potentiel

Croissance supérieure au potentiel

Solde structurel

0

Croissance

La recommandation du code révisé représente un durcissement de la discipline budgétaire qui implique que les déficits publics soient toujours répudiés.

Le code révisé ne borne pas là le renforcement de la discipline budgétaire. Celui-ci se manifeste encore par la recommandation de réunir des marges de manoeuvre supplémentaires en visant un excédent structurel tel que se produise une rapide réduction du ratio dette publique/PIB, afin de se garantir contre des risques budgétaires indépendants des variations cycliques.

Cet accroissement des exigences du pacte est à comprendre en fonction des recommandations du Conseil européen de Stockholm (mars 2001) visant à un examen régulier de la soutenabilité des finances publiques, notamment au regard de l'impact sur les budgets publics du vieillissement de la population.

Votre rapporteur constate que le code de conduite ainsi révisé comporte une modification des règles du pacte de stabilité et de croissance.

S'il est bien vrai que les finances publiques des Etats européens doivent être assainies, il n'est guère admissible que le cadre de la discipline budgétaire en Europe soit si profondément modifié dans de telles conditions.

Du reste, de telles initiatives augmentent la distance qui sépare les règles des conditions de leur application. Cela ne renforce pas la crédibilité de l'ensemble.

Le fait que le guide d'examen prescrit au Conseil par le règlement 1466/97 n'ait pas été adapté pour tenir compte des codes de conduite précédemment évoqués n'est qu'une illustration de l'approfondissement du fossé qui peut exister entre l'énoncé des règles de discipline budgétaire et les conditions concrètes et théoriques de leur surveillance.

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