III. UNE SURVEILLANCE INADAPTÉE

Les modalités d'organisation de la surveillance du respect de la norme de retour par les Etats à l'équilibre relève d'un modèle dual combinant avis d'experts et jugement politique par les pairs. A l'expérience, cette configuration n'a pas donné de bons résultats. Elle semble à la fois peu efficace et d'une légitimité insuffisante. En outre, le guide d'appréciation dicté au Conseil par le règlement ne laisse de surprendre par ses incohérences avec une approche littérale de la règle de retour à l'équilibre.

A. UN MODÈLE MIXTE DE SURVEILLANCE QUI FONCTIONNE MAL

L'organisation institutionnelle de la surveillance de la règle de retour à l'équilibre correspond à un modèle combinant avis d'experts et décision politique par les pairs.

En théorie, la procédure d'examen des programmes de stabilité attribue au Conseil une responsabilité éminente.

D'un point de vue formel, la responsabilité éminente du Conseil tient à ce que c'est à lui qu'il revient de procéder à l'examen des programmes de stabilité et c'est lui qui, finalement, décide ou non d'intervenir.

Cependant, cette responsabilité n'est pas exclusive de l'intervention d'autres institutions. En effet, le Conseil procède à son examen sur la base d'évaluations effectuées par la Commission et par le Comité économique et financier.

A l'expérience, cette organisation a montré ses limites. Elle souffre de plusieurs défauts.

Le premier d'entre eux tient évidemment à l'absence de clarté et de précision de la règle que les institutions européennes sont chargées de défendre.

Ses ambiguïtés rejaillissent sur les postures prises par les institutions et le « jeu de rôles » inévitable qui s'ensuit mine la crédibilité du mécanisme . La Commission tend, en effet, à adopter une posture de vigilance extrême et le Conseil cherche une voie moyenne entre un objectif de crédibilité, qui suppose qu'il ne s'écarte pas systématiquement des « avis d'experts » que représentent les évaluations de la Commission, et un objectif plus diplomatique qui l'incite à une certaine bienveillance envers les Etats.

Ce « jeu de rôles » n'est pas anodin. Il se déroule sur la place publique, ce qui a pour effet de renverser totalement la hiérarchie théorique des pouvoirs des différentes institutions et d'exposer au public les difficultés de fonctionnement du pacte qui, inhérentes à sa conception même, sont attribuées à tort au Conseil.

En effet, si, théoriquement, le Conseil a le dernier mot, la publicité donnée aux avis de la Commission donne à ceux-ci une influence identique à celle du Conseil. Or, la Commission jouit, en tant qu'organe d'expertise, présenté comme indépendant, d'un effet de réputation qui lui donne une autorité supérieure à celle du Conseil. L'image d'une Commission rigoureuse et d'un Conseil hésitant tend à se répandre et se renforce à mesure que le Conseil s'écarte des positions prises par la Commission.

La publicité donnée à ce « jeu de rôles », où les institutions ne semblent pas en mesure de se coordonner, est de nature à provoquer chez les agents le sentiment que le pacte de stabilité et de croissance, présenté abusivement comme le seul outil de la discipline budgétaire en Europe, n'est pas crédible. Ceci ne peut manquer d'influencer négativement les agents économiques, les autorités monétaires et les marchés.

Cette mécanique contreproductive provient d'abord de l'ambiguïté de la règle qu'il s'agit d'appliquer. Mais elle provient aussi de l'ambiguïté de la gouvernance économique en Europe.

Celle-ci est prise entre deux logiques, celle d'une gouvernance politique et celle d'une gouvernance par les experts. Le compromis que représente le pacte de stabilité et de croissance, qui tend à consacrer la gouvernance politique mais en la cernant par des règles et en l'aiguillonnant par la pression de l'expertise, ne peut fonctionner que si les règles sont claires et si les acteurs sont réputés crédibles. Ni l'une ni l'autre de ces conditions ne sont remplies. On l'a abondamment démontré pour ce qui concerne la clarté des règles. S'agissant de la crédibilité des acteurs, on a également indiqué comment les postures prises par chacun d'eux pouvaient la miner.

Il faut ici ajouter deux considérations :

la dévolution de la fonction d'expertise à la Commission n'est probablement pas appropriée ;

la gouvernance du pacte de stabilité et de croissance est insuffisamment démocratique.

Dans un compromis où le rôle de l'expertise est reconnu, il convient de s'assurer que ce rôle est dévolu à une instance qui réunit les qualités que doit présenter tout bon organe de contrôle : l'indépendance, la transparence et le professionnalisme. Sans dénier à la Commission cette dernière qualité, force est de constater qu'elle ne dispose pas des autres. L'exercice par la Commission de prérogatives propres lui donne le rôle d'un acteur de la construction européenne qui lui ôte l'indépendance que doit avoir un organe de contrôle par rapport aux gestionnaires du projet ou du système contrôlé.

S'agissant de la transparence, elle paraît également peu assurée. Si la Commission s'entoure d'experts, l'expertise de ses conclusions n'est pas formellement organisée ni publiée.

Enfin, la Commission ne rend pas suffisamment compte de ces travaux auprès des institutions politiques nationales, ce qui limite singulièrement les débats qu'ils pourraient susciter.

Avec cette dernière observation, on touche à une autre carence intrinsèque de la gouvernance du pacte, son caractère insuffisamment démocratique. Cette lacune concerne, on l'a vu, les conditions d'élaboration de l'expertise, mais elle concerne aussi les pouvoirs politiques du Conseil. Ceux-ci sont exercés sans que les législateurs nationaux n'interviennent. Cette situation crée un sentiment d'expropriation, qui renforce les incompréhensions nationales par rapport à la gouvernance européenne.

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