B. UNE ILLUSTRATION DES ENJEUX DE LA MAÎTRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES À PARTIR D'UN EXERCICE DE VARIANTES

Comme on l'a souligné, la projection du compte des administrations publiques est construite sur deux hypothèses favorables : celle d'une croissance rapide excédant la croissance potentielle de l'économie française ; celle aussi de dépenses publiques évoluant à un rythme de 1,4 % en volume entre 2004 et 2007.

Il est donc utile de mesurer ce qui se produirait si l'une ou l'autre de ces conditions faisant défaut.

1. L'impact d'une croissance plus lente

L'impact d'une croissance plus lente sur les comptes publics a été évoqué plus avant. Après avoir précisé quelques difficultés de mesure de l'effet d'un changement de rythme de croissance sur le solde public, on présente les résultats d'exercice de simulation permettant d'apprécier l'impact de différents chocs économiques sur les comptes publics et, par conséquent, l'un des éléments importants du jeu des stabilisateurs automatiques.

a) De quelques problèmes techniques

L'impact sur les finances publiques d'une croissance moins rapide comporte quelques difficultés de mesure par un modèle. Tout d'abord, ne sont, en général, calculées que les incidences sur les recettes et, au mieux, pour les dépenses, sur les dépenses d'indemnisation du chômage. Or, les gouvernements peuvent ajuster d'autres dépenses publiques à la hausse, en particulier, les crédits des politiques de l'emploi. En outre, les effets d'un ralentissement économique varient selon son origine. A cet égard, un ralentissement provoqué par les échanges extérieurs est moins « coûteux » en recettes que s'il provient d'une réduction de la demande interne, dont les composantes sont autant d'assiettes fiscales.

Enfin, les caractéristiques particulières des finances publiques peuvent jouer. Ainsi, les pays dans lesquels le taux de prélèvements obligatoires est relativement élevé et où le système de prélèvements est progressif sont plus sensibles que les autres.

b) Une illustration à partir du modèle Quest de la Commission européenne.

Le tableau ci-après présente, selon le modèle Quest de la Commission européenne, l'impact, sur les budgets des pays de la zone euro de chocs d'origines différentes correspondant à un ralentissement de 1 point de PIB.

SENSIBILITÉS DES BUDGETS NATIONAUX À DIFFÉRENTS CHOCS

Choc de consommation

Choc d'investissement

Choc sur les exportations

Choc de productivité

BELGIQUE

0,57

0,17

0,27

2,07

ALLEMAGNE

0,65

0,19

0,27

0,16

GRÈCE

0,87

0,20

0,27

0,1

ESPAGNE

0,77

0,18

0,25

0,09

FRANCE

0,80

0,21

0,30

0,12

IRLANDE

0,50

0,10

0,17

0,03

ITALIE

0,68

0,22

0,30

0,23

PAYS-BAS

0,59

0,15

0,23

0,08

AUTRICHE

0,61

0,17

0,26

0,09

PORTUGAL

0,82

0,17

0,26

0,13

FINLANDE

0,77

0,16

0,25

0,03

ZONE EURO

0,70

0,19

0,28

0,14

Les résultats de ces simulations peuvent parfois apparaître déconcertants. Ainsi, la sensibilité des finances publiques françaises à un choc de consommation de 1 point de PIB paraît très forte de prime abord. Elle semble témoigner de l'importance des assiettes fiscales liées à la consommation (TVA, TIPP) en France, mais aussi des liens étroits entre la consommation et la croissance. Cette interprétation est confortée par les réactions plus faibles qu'enregistrent les pays d'Europe plus ouverts - la Belgique, les Pays-Bas - que la France. Dans ces pays, une partie importante de l'activité ne dépend pas de la consommation intérieure mais de la demande étrangère via les exportations.

Quoi qu'il en soit, deux enseignements principaux doivent être tirés de cet exercice :

L'impact sur les budgets nationaux d'un ralentissement économique varie sensiblement entre les Etats. Cette conclusion est importante au regard de l'orientation de la discipline budgétaire en Europe. En effet, il apparaît que le jeu des stabilisateurs automatiques diffère considérablement dans la zone euro et que, par ailleurs, la contrainte de maintien d'une position budgétaire donnée, qui est posée dans le pacte de stabilité et de croissance (v. infra ) s'y exerce avec une intensité très contrastée selon les Etats ;

Tous les chocs n'ont pas le même impact budgétaire spontané, si bien que l'efficacité des stabilisateurs automatiques sur la trajectoire de croissance varie selon les configurations économiques. Cet état de fait est également important pour apprécier les disciplines budgétaires du pacte. En effet, on peut en conclure que le besoin de recourir à des politiques budgétaires plus discrétionnaires est également variable selon les Etats.

2. Quelques illustrations des conséquences d'une progression plus rapide des dépenses publiques

Dans la projection, les dépenses publiques augmentent de 1,4 % entre 2003 et 2007 dans le scénario de croissance potentielle. Cette augmentation est plus lente (+ 1,2 %) dans le scénario de croissance à 3 %, sous l'effet d'un dynamisme plus faible des dépenses d'indemnisation du chômage. Ces évolutions très maîtrisées supposent une rupture par rapport à des tendances historiques marquées par une augmentation moyenne plus rapide des dépenses publiques.

Il faut ici souligner qu'une maîtrise en profondeur des dépenses publiques qui, bien trop souvent, semble hors de portée des gouvernements, a, en France plus qu'ailleurs, des probabilités importantes de succès. La France est en Europe le pays qui, hors la Suède, connaît le plus haut niveau de dépenses publiques dans le PIB. Cette situation correspond pour une part a des choix fondamentaux qui, sans être intangibles, ne freinent pas en soi une baisse significative du niveau des dépenses publiques. Car celle-ci peut être réussie en éliminant les interventions qui n'obéissent à aucun choix mais résultent d'une longue histoire d'accumulation de dispositifs sans justifications.

Le processus de réforme de l'Etat qui doit viser, notamment, à améliorer l'efficacité et l'efficience des administrations publiques appelle aujourd'hui un réel renouveau et le Parlement doit s'y associer.

Il serait illusoire d'espérer maîtriser les dépenses publiques d'un coup de baguette magique. En revanche, une évaluation efficace, c'est-à-dire transparente, professionnelle et démocratique des services et des politiques publics doit trouver une meilleure place dans notre paysage institutionnel. La Délégation du Sénat pour la Planification apportera dans les prochaines semaines sa contribution à ce qui, déjà, lui apparaît comme un levier essentiel de rénovation de l'Etat.

a) Les effets d'une augmentation plus rapide des dépenses de santé

S'agissant des prestations sociales , si leur augmentation est légèrement plus élevée dans le scénario de croissance potentielle que dans celui à 3 %, où les dépenses d'indemnisation du chômage se réduisent, leur progression est, dans tous les cas limitée, ne dépassant pas 1,4 % en volume en moyenne.

Croissance du pouvoir d'achat des prestations sociales

(Taux de croissance annuel, prix 1995)

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Retraites

3,3

2,6

1,4

1,7

2,2

2,2

Maladie

4,5

4,4

2,7

2,4

2,4

2,4

Chômage :

Croissance potentielle

1,1

3,2

1

- 1,5

1,4

- 1,4

Croissance à 3 %

1,1

3,2

- 2,7

- 10,2

- 3,9

- 11,2

Famille, logement, pauvreté et exclusion

2,7

2,1

0,4

- 0,4

- 0,4

- 0,4

Total des prestations :

Croissance potentielle

3,1

2,5

1,2

1,1

1,7

1,5

Croissance à 3  %

3,1

2,5

0,9

0,3

1,3

0,8

Si l'environnement économique et social de la projection - un chômage au moins contenu - et la variation spontanée de certaines données - une progression des retraités modérée en début de période - peuvent expliquer cette évolution, elle résulte aussi d'hypothèses volontaristes impliquant une progression limitée des prestations sociales. Tel est en particulier le cas pour les dépenses de santé qui, conformément à la programmation du gouvernement ne s'accroissent, en projection, que de 2,5 % en volume.

Il est donc légitime de mesurer l'impact d'une progression plus soutenue de ces dépenses. En variante, on a retenu l'hypothèse d'une croissance du volume des dépenses de santé de 4 % l'an (soit, à peu près, le niveau de progression effective de l'ONDAM entre 1997 et 2001).

La variante se traduit par une dégradation du solde public à hauteur de 0,2 point de PIB en 2007.

Résultat d'une variante comportant une augmentation des dépenses de santé
de 4 % par an en volume

2003

2004

2005

2006

2007

PIB total en volume

0,0

0,1

0,2

0,4

0,5

Importations

0,0

0,1

0,2

0,4

0,6

Consommations des ménages

0,0

0,0

0,1

0,1

0,2

Consommations des administrations

0,0

0,3

0,7

1,1

1,6

Investissement :

- Investissement productif

0,0

0,1

0,5

0,9

1,2

- Investissement logement

0,0

0,1

0,5

1

1,6

Variations de stock ( contribution )

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Exportations

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

Effectifs totaux ( en milliers )

0,0

10

35

72

109

Effectifs totaux ( en %)

0,0

0,0

0,1

0,3

0,4

Taux de chômage ( en point )

0,0

0,0

- 0,1

- 0,2

- 0,4

Productivité du travail ( par tête )

0,0

0,1

0,1

0,1

0,0

Taux de marge

0,0

0,0

0,1

0,1

0,1

Taux d'épargne

0,0

0,0

0,0

0,1

0,1

Salaire horaire

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Salaire horaire réel

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Revenu disponible brut

0,0

0,0

0,1

0,2

0,3

Soldes ( en point de PIB )

- Etat

0,0

- 0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,2

- Entreprises

0,0

0,0

0,0

0,0

- 0,1

- Ménages

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

- Nation

0,0

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,2

Ce résultat doit être mis en rapport avec un coût ex ante qui s'élève à l'horizon de la projection à 0,5 point de PIB.

Mais, dans le modèle, le supplément de dépenses publiques a des effets favorables sur la croissance. Chaque année, le niveau du PIB est plus élevé de 0,1 point, si bien qu'en cumulé, en 2007, le PIB est supérieur de 0,5 point en volume à ce qu'il est dans le compte central.

Ces écarts exercent un effet-retour sur les comptes publics qui vient limiter la dégradation du solde.

Ex post , celle-ci n'est que de 0,2 point, soit, aux arrondis près, moitié moins qu' ex ante .

Cet enchaînement suppose toutefois des conditions favorables. Parmi celles-ci, il faut souligner que la hausse des dépenses de santé doit avoir un effet sur l'emploi et non sur les importations ou sur les prix. La dégradation du solde ne doit pas susciter de réactions de politique monétaire.

Si ces conditions n'étaient pas réunies, la multiplication de ces dépenses serait plus faible et leur effet sur les comptes publics seraient plus lourdes.

b) Les effets d'une augmentation plus rapide des salaires publics

S'agissant de la masse salariale publique, la projection est bâtie sur des hypothèses qui en limitent spontanément l'augmentation.

C'est d'abord le cas pour les salaires . La hausse du salaire moyen est strictement limitée et s'élève à 1,1 %.

C'est très loin d'être conforme à l'évolution passée des rémunérations des fonctionnaires d'Etat qui a atteint 1,7 % en moyenne

Une autre hypothèse favorable doit également être explicitée : elle concerne l'emploi public . La projection comporte une constance de l'emploi public si bien que, dès 2003, la réduction du temps de travail dans la fonction publique n'est plus censée produire d'effet sur le nombre des agents publics.

On a simulé l'impact d'une progression plus soutenue des salaires individuels dans la fonction publique qui, de 1,1 % dans les projections centrales, s'élèverait à 1,8 %.

Résultat d'une variante comportant une augmentation de 1,8 % par an en moyenne
du pouvoir d'achat du salaire moyen dans les administrations publiques

2003

2004

2005

2006

2007

PIB total en volume

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

Importations

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

Consommations des ménages

0,0

0,0

0,1

0,2

0,2

Consommations des administrations

0,2

0,2

0,5

0,7

1,0

Investissement :

- Investissement productif

0,0

0,0

0,0

0,1

0,1

- Investissement logement

0,0

0,0

0,1

0,1

0,3

Variations de stock ( contribution )

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Exportations

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Effectifs totaux ( en milliers )

0,2

- 0,7

- 0,9

0,9

3,8

Taux de chômage ( en point )

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Taux de marge des entreprises

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Taux d'épargne

0,0

0,0

0,0

0,0

0,1

Salaire horaire

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Salaire horaire réel (APU)

0,0

0,4

1,0

1,7

2,3

Revenu disponible brut

0,0

0,1

0,1

0,2

0,3

Soldes ( en point de PIB )

- Etat

0,0

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,1

- Entreprises

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

- Ménages

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

- Nation

0,0

0,0

0,0

- 0,1

- 0,1

Avec le modèle, les résultats de cette variante ne sont pas spectaculaires.

Dans cette variante, le niveau des dépenses publiques est plus élevé chaque année de 0,06 point de PIB soit, en cumulé, 0,25 point de PIB à l'horizon 2007.

La dégradation du déficit public est nettement plus limitée ex post : elle n'atteint que 0,1 point de PIB.

L'absorption du coût de la mesure pour les finances publiques provient de mécanismes qui sont, pour partie, comptables. Le produit intérieur brut non marchand, qui est une composante du PIB total, est calculé en comptabilité nationale à partir des charges supportées par les administrations publiques.

Cette convention, posée à défaut de consensus sur un autre système de mesure, fait qu'une hausse des dépenses publiques rehausse mécanique-ment le PIB.

Dans la variante, le niveau de celui-ci est supérieur en 2007 de 0,4 point par rapport aux projections centrales, dont 0,25 point du fait de ces règles comptables.

L'effet multiplicateur réel des dépenses de salaires publics est donc moindre que ce que suggèrent les résultats de la variante. Mais, la hausse des salaires induit toutefois une augmentation de l'activité qui compense partiellement le coût de la mesure.

Votre rapporteur est conscient des limites d'un modèle pour rendre compte de l'impact de la politique salariale publique sur l'économie française et, donc, sur les comptes publics.

Elles sont démontrées par un raisonnement par l'absurde qui consisterait à extrapoler une augmentation indéfinie des salaires publics à partir des résultats de la variante. Dans un tel cas, les effets sur le PIB effaceraient quasi-totalement l'impact de la hausse des dépenses publiques sur le déficit.

Il faut, au contraire, tout particulièrement insister sur la nécessité de tenir compte en ce domaine d'effets d'exemplarité susceptibles d'exercer une contagion sur la dynamique des salaires privés.

Plus généralement, il importe aujourd'hui de mettre en exergue les dangers que fait peser sur la croissance de la France l'approfondissement d'une dichotomie entre un secteur public protégé et perçu comme privilégié et un secteur privé plus précaire.

On dit souvent que la réduction du temps de travail a buté sur les entités comptant moins de vingt salariés. L'analyse des accords de RTT le démontre dans le secteur privé. Il en va tout autrement dans le secteur public, où toutes les unités de services publics, y compris les moins dotées en effectifs, ont bénéficié de la RTT.

Cette situation n'est pas saine et, à l'avenir, une meilleure équité doit être recherchée dans le traitement des différentes composantes de la population active.

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