E. L'ÉVOLUTION DU MÉTIER DE JUGE D'INSTRUCTION SOULÈVE DES INTERROGATIONS
Souvent
qualifié de « personnage le plus puissant de
France », le juge d'instruction occupe une fonction ancienne et
controversée.
Descendant du
lieutenant criminel
, créé en 1522 et
chargé d'instruire le procès selon une procédure
inquisitoire, il a été institué par le code d'instruction
criminelle de 1808. En dépit d'un encadrement progressif de ses
pouvoirs, son existence est régulièrement mise en cause.
L'institution du juge d'instruction en France n'est pas comparable avec la
pratique de la plupart des autres pays de l'Union européenne.
Par exemple, le système britannique, de type accusatoire, laisse
à la police le soin de mener l'instruction préparatoire et confie
à une juridiction le pouvoir de maintenir en détention.
1. Juge et enquêteur
Le juge
d'instruction est saisi des
affaires pénales
les
plus
complexes
. C'est un juge du tribunal de grande instance nommé par
décret du président de la République après avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Selon l'article
L. 611-1 du code de l'organisation judiciaire, il y a dans chaque tribunal
de grande instance un ou plusieurs juges d'instruction
209(
*
)
. Le président du tribunal
désigne pour chaque affaire le juge compétent.
Juge du siège
210(
*
)
, indépendant, inamovible, il
ne peut jamais se saisir lui-même des affaires qu'il va instruire. Cette
saisine appartient au ministère public (parquet) et n'est obligatoire
qu'en matière criminelle.
En matière délictuelle, le parquet apprécie
l'opportunité d'ouvrir une information, en fonction de la
complexité de l'affaire, des investigations nécessaires pour la
mettre en état, ou des mesures provisoires utiles avant
le jugement. De fait, à peine 10 % des affaires jugées
sont portées devant le magistrat instructeur.
L'ouverture de l'information peut être aussi le fait de la victime :
c'est la constitution de partie civile.
Le juge d'instruction doit donc informer sur les faits qui lui sont
déférés : il dirige l'enquête qui lui est
confiée mais prend également certaines décisions
juridictionnelles. C'est là l'originalité de son statut.
Enquêteur
, il a pour mission d'instruire à charge et
à décharge. Il recherche les éléments
d'information utiles à la manifestation de la vérité,
qu'ils soient favorables ou défavorables au suspect, il notifie les
charges réunies contre lui, il conduit des interrogatoires et
mène des confrontations.
Il dirige les services de police ou de gendarmerie en déléguant
certains de ses pouvoirs par commission rogatoire ; il peut ordonner des
expertises et des enquêtes de personnalité.
Juge
, il statue sur les demandes des parties et du ministère
public. Il décide de l'opportunité de délivrer un
mandat d'arrêt, et envisage le placement en détention provisoire
ou sous contrôle judiciaire. Il doit apprécier les charges et
renvoyer l'affaire devant la juridiction de jugement ou, au contraire,
prendre une ordonnance de non lieu.
De cette
ambivalence
naissent des exigences qu'il lui faut
concilier : efficacité et implication de l'enquêteur,
impartialité et indépendance du juge.
On peut s'interroger, à l'instar de M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, responsable du comité de
coordination des entretiens de Vendôme, sur le point de savoir s'il faut
véritablement maintenir un juge d'instruction par arrondissement
judiciaire : «
Ne peut-on pas imaginer de regrouper, autour
de la notion de pôles de compétences, l'instruction pour les
affaires qui le méritent ? Un juge d'instruction à
Hazebrouck gère un cabinet qui contient trente dossiers. Il est donc
juge d'instruction à temps partiel et participe à toutes les
autres activités de la juridiction. Il en va de même en
matière de crimes de droit commun : un juge d'instruction qui se
rend sur les lieux d'un crime doit avoir quelques réflexes. Pour en
avoir, il est nécessaire que ce juge pratique
suffisamment
. »
La responsabilité du juge d'instruction est telle que son action est
désormais placée
sous le regard d'un autre magistrat : le
juge des libertés et de la détention
.