2. En associant les citoyens au jugement
L'accroissement de la place du citoyen dans le fonctionnement de la justice peut passer par une participation accrue aux jugements eux-mêmes.
a) Le recours aux magistrats non professionnels existe déjà en France
La
justice est déjà exercée en France par de nombreux
magistrats non professionnels.
Cette participation des citoyens a pour objet soit de donner une plus grande
légitimité démocratique à la décision, soit
de bénéficier de l'expérience de personnes issues d'un
milieu professionnel déterminé.
A côté des juridictions composées uniquement de magistrats
professionnels, existent des juridictions composées uniquement de juges
non professionnels :
- les 3.300
juges des tribunaux de commerce,
dits juges
consulaires, sont élus par les chefs d'entreprise et les
commerçants sur des listes établies par les chambres de commerce
et de l'industrie et composent dans leur intégralité les 191
tribunaux de commerce ;
- les 14.000
conseillers de prud'hommes
sont pour moitié des
juges élus par les salariés et pour l'autre moitié
élus par les employeurs. La composition des 271 conseils de prud'homme
est paritaire et en cas de partage des voix, il est fait appel au juge
d'instance en tant que juge départiteur.
Plusieurs autres juridictions associent, selon le principe de
l'échevinage, des magistrats professionnels et des juges non
professionnels élus ou désignés, les magistrats
professionnels présidant la juridiction :
- la
cour d'assises
est une juridiction départementale non
permanente compétente pour juger les crimes. Elle comprend trois
magistrats professionnels, dont un président et deux assesseurs, et un
jury de neufs citoyens désignés par tirage au sort. Certains
crimes, notamment en matière de trafic de stupéfiants ou de
terrorisme sont jugés par une cour d'assises composée uniquement
de sept magistrats professionnels. La cour d'assise d'appel, instituée
par la loi du 15 juin 2000, comprend quant à elle 12
jurés citoyens ;
- le
tribunal pour enfants
est composée du juge des enfants,
qui le préside, et de deux assesseurs désignés par le
garde des Sceaux parmi des personnes particulièrement compétentes
à l'égard des mineurs, sur des listes préétablies
par les chefs de cour d'appel. Ces assesseurs sont souvent des enseignants, des
représentants d'associations diverses oeuvrant dans le domaine de
l'enfance, ou même des pères ou mères de famille ;
- le
tribunal paritaire des baux ruraux
est composé de deux
représentants des propriétaires-fermiers et de deux
représentants des métayers-fermiers ; il est
présidé par le juge d'instance ;
- le
tribunal des affaires de sécurité sociale
est
composé paritairement d'un représentant des caisses de
sécurité sociale et d'un représentant des ayants droit
à la sécurité sociale, désignés par les
caisses de sécurité sociale et les organisations syndicales
représentatives. Il est présidé par un magistrat du
tribunal de grande instance ou un magistrat honoraire ;
- en
Nouvelle-Calédonie
, l'échevinage a
été institué par la loi n° 89-378 du
13 juin 1989 en matière correctionnelle pour associer la
société coutumière à la justice. Le tribunal de
première instance est complété par deux assesseurs ayant
voix délibérative, choisis pour une durée de deux ans
parmi des personnes présentant des garanties de compétence et
d'impartialité.
b) L'échevinage pourrait être étendu dans les juridictions civiles et pénales de droit commun
La
question peut se poser de savoir s'il ne conviendrait pas d'adjoindre des
citoyens aux magistrats des tribunaux de droit commun de l'ordre judiciaire.
Cette question n'a pas fait l'unanimité parmi les interlocuteurs de la
mission. De nombreux magistrats ont fait ressortir les difficultés de
fonctionnement des cours d'assises et ont craint que le recours à des
magistrats non professionnels ne soit qu'un pis aller pour pallier l'absence de
moyens de la justice.
Certains ont considéré que l'échevinage conférerait
un surcroît de légitimité à la décision
judiciaire et qu'il permettrait, en faisant mieux connaître la justice
aux citoyens, de constituer un relais d'information vers la
société civile. D'autres ont cependant récusé
l'idée selon laquelle les décisions des magistrats professionnels
manqueraient de légitimité.
L'idée d'un échevinage dans le domaine pénal semble
généralement mieux acceptée que dans le domaine civil,
même si le risque existe que les échevins soient l'objet de
mesures de rétorsion de la part des délinquants qu'ils seraient
amenés à juger.
Les partisans de l'échevinage sont néanmoins conscients de la
difficulté de la détermination du mode de sélection des
échevins et des matières dans lesquelles ces derniers pourraient
intervenir.
La mission a constaté que l'échevinage avait apporté des
réponses satisfaisantes dans différents secteurs comme la justice
des enfants ou en Nouvelle-Calédonie. Elle considère qu'il
pourrait offrir aux magistrats une ouverture sur l'extérieur avec une
vision différente.
Celle-ci permettrait au juge, par une comparaison des points de vue, de sortir
des contraintes d'un environnement qui peut, à la longue, par trop peser
sur sa décision. Serait ainsi rétabli un humanisme qui semble
parfois faire défaut à la justice.
D'une manière générale, l'échevinage
pourrait
avoir l'avantage de rétablir la collégialité là
où le juge unique a été institué
. Il pourrait
ensuite être étendu à des matières jugées
collégialement à l'heure actuelle.
Il pourrait en outre permettre, dans certains contentieux très
techniques, d'associer au jugement des
experts
de la matière, tel
que cela se pratique couramment en Norvège.
La mission a estimé que pourrait être utilement
envisagée dans certains tribunaux une expérimentation permettant
de recourir à des assesseurs non professionnels aux compétences
bien définies avec des profils de recrutement parfaitement ciblés
- ils ne seraient donc pas tirés au sort -, auxquels serait
délivrée une formation adéquate.