2. Une fusion envisagée des tribunaux d'instance et de grande instance
a) La complexité de la répartition des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance
La répartition des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance est d'une complexité extrême, comme l'atteste le tableau reproduit ci-dessous issu de la brochure diffusée au public par la Chancellerie.
Répartition des compétences entre le tribunal
d'instance
et le tribunal de grande instance
Nature du litige |
Tribunal
|
Tribunal
|
Famille - Etat civil |
|
|
- Adoption |
|
X |
- Consentement à adoption |
X |
|
- Autorité parentale |
|
X |
- Contribution aux charges du mariage |
|
X |
- Divorce |
|
X |
- Droit de visite |
|
X |
- Émancipation des mineurs |
X |
|
- État civil/Rectification des actes de l'état civil |
|
X |
- Filiation |
|
X |
- Nationalité (contestation, revendication) |
|
X |
- Déclaration d'acquisition de la nationalité
|
X |
|
- Pension alimentaire après divorce |
|
X |
- Pension alimentaire : main levée
|
X |
|
- Régimes matrimoniaux |
|
X |
- Successions |
|
X |
- Séparation de corps ou de biens |
|
X |
- Tutelles, curatelles :
|
X |
|
Consommation et contrats |
|
|
- Crédit à la consommation |
jusqu'à 21.500 € |
au-delà de 21.500 € |
- Livraison non conforme |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Travaux mal effectués, inachevés,
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Contrats d'assurances |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Crédit immobilier : |
|
|
- délais de grâce |
X |
X |
- autres litiges |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Dettes impayées |
jusqu'à 7.600 €
|
au-delà de 7.600 € |
- Démarchage à domicile,
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Location logement (loyers, charges...) |
X |
|
- Bail commercial |
|
X |
Saisies |
|
|
- Saisies |
|
X |
- Saisies-arrêt des rémunérations |
X |
|
- Saisies immobilières |
|
X |
Propriété immeuble voisinage |
|
|
- Copropriété (statut) |
|
X |
- Copropriété (charges impayées) |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Expropriation (indemnisation) |
|
X |
- Indivision |
|
X |
- Propriété immobilière (revendication du droit) |
|
X |
- Mitoyenneté et actions en bornage |
X |
|
- Plantation d'arbres ou de haies |
X |
|
- Servitudes |
X |
|
Autres |
|
|
- Accident de la route |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Responsabilité civile |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Propriété d'un bien meuble |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Jouissance d'un bien meuble ou immeuble
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
Source : Ministère de la justice.
Le tribunal d'instance a une
compétence propre d'attribution dans
certains domaines
(tutelles, injonction de payer, paiement direct des
pensions alimentaires, saisie-arrêt des rémunérations, baux
d'habitation, contentieux électoral politique et professionnel, bornage
et mitoyenneté, servitudes, consentement à l'adoption,
déclaration de nationalité, émancipation des mineurs). Il
a une
compétence partagée avec le tribunal de grande
instance
dans d'autres domaines jusqu'à un
certain seuil de
prétention des parties (7.600 €)
.
Cette répartition de compétences n'est
pas toujours
logique
, la complexité juridique d'une affaire ne dépendant
pas du seuil de prétention des parties. Les actions pétitoires
tendant à la réclamation d'un droit de propriété
relèvent du tribunal de grande instance, alors que les actions
possessoires qui tendent à la sauvegarde d'un droit sur les mêmes
biens relèvent du tribunal d'instance. En outre, le contentieux
familial, souvent considéré comme un contentieux de
proximité, échappe presque entièrement au tribunal
d'instance, étant dévolu au juge aux affaires familiales qui
exerce au sein du tribunal de grande instance.
En
matière civile
, le tribunal d'instance est le juge des petits
litiges quotidiens, souvent des contentieux de masse, dont l'importance
peut-être considérable pour les parties en cause. Ces tribunaux
ont jugé 491 527 affaires civiles en 2000 (contre 593 462 pour
les tribunaux de grande instance). Les contentieux les plus fréquents
concernent les baux, le crédit, le surendettement (compétence du
juge de l'exécution souvent dévolue au tribunal d'instance) et
l'injonction de payer.
En
matière pénale
, le tribunal d'instance constitue le
tribunal de police appelé à juger des contraventions. Cet
important contentieux de masse est en fait souvent traité par le biais
de l'amende forfaitaire majorée mise en oeuvre par le seul
ministère public ou par celui de l'ordonnance pénale qui
évite le passage de l'affaire à l'instance en permettant au juge
de valider l'amende proposée par le ministère public.
b) Un projet de création d'un tribunal de première instance suscitant des réticences
A la
suite des entretiens de Vendôme,
il a été
envisagé de fusionner le tribunal de grande instance et le tribunal
d'instance dans un tribunal de première instance
, de manière
à mettre fin à une répartition des compétences
complexe et à permettre la mutualisation des moyens matériels et
humains des tribunaux d'instance et de grande instance. Indépendamment
de la réforme de la carte judiciaire, l'ensemble des implantations
judiciaires existantes pourrait être ainsi mis au service de la nouvelle
juridiction, par exemple en tant que chambres détachées.
Cette proposition se heurte à la
vive opposition
des associations
de juges et de greffiers en chef exerçant dans les
tribunaux
d'instance
, qui réclament au contraire une véritable
autonomie des tribunaux d'instance par rapport aux tribunaux de grande
instance. En outre, plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné
que, grâce à leur souplesse de fonctionnement et à leur
taille humaine, les tribunaux d'instance étaient les juridictions qui
fonctionnaient le « moins mal » en France et ils ont craint
que cet outil ne soit cassé s'il devait être fondu dans de trop
grandes structures.
Lors de sa visite au tribunal d'Arcachon, la mission a ainsi pu constater
l'efficacité de ce tribunal attestée par le fait que les parties,
préférant que leurs affaires soient jugées par le tribunal
d'instance, acceptaient de rabattre leurs prétentions pour que leur
demande reste en deçà du seuil de compétence du tribunal
de grande instance.
D'une manière générale, les délais de jugement du
tribunal d'instance sont en effet plus réduits que ceux des tribunaux de
grande instance. En 2000, ils se sont élevés en moyenne à
5,1 mois (contre 8,9 mois pour les tribunaux de grande instance)
sachant que la moitié des affaires ont été jugées
en 3,3 mois (contre 5,1 mois pour les tribunaux de grande instance).
Tout en considérant qu'un effort de rationalisation et de
clarification doit être entrepris, la mission ne souhaite pas prendre
partie sur la création d'un tribunal de première instance en tant
que tel
.
Elle estime qu'une bonne organisation doit en tout état de cause
permettre :
- au justiciable de
saisir la justice de manière
transparente
quelle que soit la juridiction compétente, cet
impératif pouvant parfaitement être rempli par la mise en place
d'un guichet unique des greffes ;
- à un
juge de proximité de suivre une population
donnée.
Peu importe alors
de savoir si ce juge dépend
d'un tribunal d'instance ou de première instance.
Elle estime qu'il convient avant tout de
conforter le rôle de
proximité tenu actuellement par le juge d'instance
que ce soit dans
une structure ou une autre, ce qui suppose le maintien, voire le
développement, du parc immobilier actuellement affecté aux
tribunaux.
Ce juge de proximité n'aurait pas pour seule fonction de juger mais
il animerait une politique de règlement alternatif des conflits mise en
oeuvre, sous son contrôle, grâce à une participation accrue
des citoyens.