2. En matière pénale : les délégués et les médiateurs du procureur : des « bénévoles indemnisés » ou des salariés d'association
a) L'apparition des procédures alternatives aux poursuites
Le
procureur de la République décide de l'opportunité des
poursuites.
Parmi les options qui s'offrent à lui, il peut, lorsque les faits ont
été reconnus par leur auteur, recourir à l'une des
mesures alternatives aux poursuites
prévues aux articles 41-1,
41-2 et 41-3 du code de procédure pénale.
L'article 41-1 lui permet ainsi de procéder préalablement
à sa décision sur l'action publique, directement ou par
délégation, à l'une des mesures suivantes :
-
rappel
, auprès de l'auteur de l'infraction,
des
obligations qui résultent de la loi
;
- orientation vers une structure sanitaire, sociale ou
professionnelle ;
-régularisation au regard de la loi ou des règlements ;
-
réparation des dommages
résultant de
l'infraction ;
- avec l'accord de la victime,
médiation
entre l'auteur de
l'infraction et la victime afin de parvenir à un accord sur un mode de
réparation.
Les articles 41-1 et 41-2 lui permettent de recourir, soit directement, soit
par l'intermédiaire d'une personne habilitée, à une mesure
de
composition pénale
. Une telle mesure permet au parquet, tant
que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, de proposer
à l'auteur de certains délits énumérés par
la loi, ou de certaines contraventions, des sanctions
déterminées, assorties de la réparation du dommage
à la victime. La proposition de sanction doit être acceptée
par l'auteur de l'infraction et validée par le président du
tribunal. Les sanctions susceptibles d'être prononcées sont :
une amende, dite amende de composition pénale, l'abandon au profit de
l'État de l'objet ayant servi à commettre l'infraction, la remise
du permis de conduire ou l'accomplissement d'un travail d'intérêt
général. Après exécution de la mesure, l'action
publique est éteinte.
Par ailleurs, l'article 12-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2
février 1945 relative à l'enfance délinquante
prévoit que le procureur de la République, la juridiction
chargée de l'instruction, et celle chargée du jugement ont la
faculté de proposer au
mineur
une
mesure ou une
activité d'aide ou de réparation à l'égard de la
victime
.
Ces mesures alternatives aux poursuites sont récentes au plan
législatif. La mesure de réparation pour les mineurs et la mesure
de médiation pour les majeurs ont été prévues par
la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la
procédure pénale. Les autres mesures résultent de la loi
n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de
procédure pénale.
En fait, ces textes législatifs sont venus consacrer, préciser et
étendre des pratiques qui s'étaient instaurées de
manière prétorienne sous l'égide des parquets dans les
années 1980.
Ces mesures permettent de
développer des réponses
pénales rapides et diversifiées aux actes de petite et de moyenne
délinquance élucidés
et donc de
réduire de
façon substantielle les classements sans suite de pure
opportunité
, tout en respectant les droits de la victime et ceux de
la défense. Une mesure comme la médiation, en permettant à
la victime et à l'auteur de l'infraction de se côtoyer, peut en
outre être un
facteur de rétablissement de la paix sociale
.
Le nombre de mesures alternatives mises en oeuvre est en augmentation sensible
ces dernières années. Elles se sont élevées
à
250.051 en l'an 2000
, soit un chiffre représentant plus
du triple de celui de l'année 1995, à comparer avec les 628.065
affaires ayant donné lieu à poursuite. Ont été
ainsi enregistrées : 116.694 rappels à la loi, 33.491
classements après médiation, 37.424 mesures conduisant au
désintéressement du plaignant ou à la
régularisation de la situation de l'auteur de l'infraction ainsi que
4.772 classements après réparation par un mineur.
La composition pénale a commencé à être mise en
application par certaines juridictions après l'intervention du
décret n° 2001-71 du 29 janvier 2001. L'ensemble des
interlocuteurs de la mission a cependant jugé que sa procédure
était beaucoup trop lourde à mettre en oeuvre.
b) Les délégués et les médiateurs du procureur
L'ensemble des mesures alternatives aux poursuites peut
être
mis en oeuvre, par délégation du procureur de la
République, par des personnes habilitées :
délégués du procureur
ou
médiateurs du
procureur
.
Les délégués du procureur, dont l'existence a
été consacrée par le décret n° 2001-71 du
29 janvier 2001, ne peuvent cependant pas procéder à
l'exécution d'une mesure de médiation pénale.
Les médiateurs du procureur peuvent, quant à eux, mettre en
oeuvre toute la gamme des mesures alternatives.
• Les conditions d'habilitation des personnes physiques et des
associations
Les articles R. 15-33-30 à R. 15-33-37 du code de
procédure pénale fixent les
conditions d'habilitation
des
délégués et des médiateurs du procureur.
L'habilitation couvre le ressort du tribunal de grande instance ou de la cour
d'appel. Dans le premier cas, la demande est instruite par le procureur de la
République, dans le second cas, par le procureur général.
Elle est ensuite soumise soit à l'assemblée
générale des magistrats du siège et du parquet du tribunal
soit à celle de la cour d'appel.
Il existe deux types d'habilitation : celle des
associations
et celle
des
personnes physiques
.
Les associations souhaitant obtenir l'habilitation doivent fournir leurs
statuts, la liste de leurs établissements, un exposé indiquant
leurs conditions de fonctionnement, les informations relatives aux membres de
leur conseil d'administration et à leurs représentants locaux
ainsi que des pièces de gestion comptable.
Le médiateur ou le délégué du procureur doivent
satisfaire aux conditions suivantes :
- ne pas exercer d'activités judiciaires à titre
professionnel ;
- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou
d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du
casier judiciaire ;
- présenter des garanties de compétence,
d'indépendance et d'impartialité.
Le délégué ou le médiateur du procureur
appelé à se voir confier des missions concernant les mineurs doit
en outre s'être signalé par l'intérêt qu'il porte aux
questions de l'enfance.
Seraient habilités à l'heure actuelle environ
700
délégués du procureurs et 800 médiateurs personnes
physiques
.
• La nécessité de contrôler davantage des
associations ayant un rôle important
Jusqu'à l'intervention du décret n° 2002-801 du
3 mai 2002, les associations devaient soumettre à
agrément individuel les personnes à qui elles désiraient
confier l'exécution de mesures alternatives aux poursuites.
Désormais, l'agrément de l'association sera suffisant.
Celle-ci devra néanmoins faire connaître au procureur de la
République les personnes à qui elle est susceptible de confier
des missions, le procureur de la République pouvant refuser celles
d'entre elles qui ne répondraient pas aux conditions posées par
les textes.
Cet assouplissement est dans la ligne de la politique de partenariat avec les
associations retracée dans la circulaire du ministère de la
justice sur la politique associative en date du 22 février 2002.
La mission regrette cependant la disparition de l'habilitation individuelle des
délégués et des médiateurs du procureur, estimant
que si l'action des associations est indispensable et doit être reconnue,
il importe que l'État continue à exercer au plus près
un contrôle sur les personnes apportant leur concours à une
activité régalienne par excellence
.
En l'an 2000, la chancellerie a dénombré 142 associations
ayant pris en charge des mesures alternatives aux poursuites.
Ces associations ont traité un petit nombre des rappels à la loi
(9.333 sur 116.694) et peu de mesures de classement sous condition de
réparation ou de régularisation (2.650 sur 37.424). La grande
majorité des 700 délégués du procureur actuellement
habilités sont en effet des personnes physiques, souvent
retraités de la gendarmerie et de la police nationales, et non des
salariés d'association.
En revanche, les associations ont traité plus de la moitié des
médiations pénales ayant réussi (19.382 sur 33.391, soit
58 %), leur taux de succès en la matière étant de
56 %.
Deux principales fédérations d'associations interviennent dans le
domaine de la médiation pénale : la Fédération des
associations socio-judiciaires « Citoyens et justice », et
l'Institut national aide aux victimes (INAVEM).
Les associations de la Fédération « citoyens et
justice » intervenant dans le champ de la médiation
pénale font de moins en moins appel à des bénévoles
et emploient une majorité de salariés, en raison des exigences de
professionnalisation liées à la technicité croissante des
interventions. Elles ont recruté quelque 150 emplois jeunes, juristes le
plus souvent.
En revanche, l'INAVEM fédère un réseau d'associations
proposant majoritairement des bénévoles comme médiateurs
pénaux.
• Une formation et des rémunérations insuffisantes
Si les textes font référence aux garanties de compétence
devant être présentés par les délégués
ou les médiateurs, ils n'exigent aucune
formation
spécifique
.
L'École nationale de la magistrature a mis en place, à l'automne
2001, une formation de formateurs destinés à intervenir sur 16
sites à l'attention des délégués du procureur.
La formation à la médiation est assuré principalement par
les deux principales fédérations d'associations
précitées pratiquant la médiation pénale,
auxquelles renvoie d'ailleurs la chancellerie dans ses brochures d'information
sur la médiation pénale.
L'article R. 121-2 du code de procédure pénale fixe les
conditions de rémunération
des
délégués et des médiateurs du procureur. Ces
derniers sont rémunérés à l'acte, sur frais de
justice. Les tarifs sont fonction de la nature de l'acte effectué, de sa
durée s'agissant de la médiation ainsi que de la qualité
de l'intervenant selon qu'il s'agit d'un particulier ou d'une association qui a
passé convention avec le premier président et le procureur
général. Ainsi, par exemple :
- pour un rappel à la loi : 7,5 € (11 €
pour une association conventionnée) ;
- pour un classement sous condition : 15 € (30 €
pour une association conventionnée)
- pour une mission de médiation : 39 € (pour une
association conventionnée : 75 € si la durée
de la mission est inférieure à un mois, 150 € si la
durée est comprise entre 1 mois et trois mois et 300 € au
delà de trois mois).
- pour une mission de composition pénale :
15 € pour la notification des mesures proposées et
7,5 € ou 15 €, en fonction des mesures, pour le suivi de
celles-ci (pour une association, respectivement : 30 €,
15 € et 30 €).
Ces tarifs sont augmentés de 7,5 € pour les mesures touchant
les mineurs afin de procéder à l'audition des responsables
légaux du mineur.
Le ministère de la justice recourt ainsi largement aux particuliers,
« bénévoles indemnisés », qui ne sont
pas déclarés en dépit d'un arrêt de la Cour de
cassation de 1994 censurant cette pratique.
Les associations regrettent que leur action soient marquées du sceau de
la précarité en raison du caractère aléatoire de la
commande judiciaire dû au fait que le recours à la
médiation pénale résulte de décisions individuelles
des magistrats. Elles déplorent également la faiblesse de la
rémunération qui leur est versée.
Les fonctions de délégué du procureur et de
médiateur
n'apparaissent donc pas à l'heure actuelle comme de
véritables métiers
. Leur compétence n'est pas garantie
par un niveau de formation minimum et leur rémunération est une
simple indemnisation. Cette situation conduit à recruter presque
exclusivement des retraités comme délégués du
procureur. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souhaité qu'une
véritable rémunération soit versée à ces
derniers afin de pouvoir mobiliser plus facilement des citoyens encore actifs
et mieux formés.