B. L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DE LA JUSTICE
Le développement des procédures alternatives au procès, aussi bien en matière civile que pénale a induit l'apparition de nouveaux acteurs de la justice.
1. En matière civile : les conciliateurs de justice et les médiateurs
a) Les conciliateurs de justice : des bénévoles saisis d'un nombre d'affaires croissant
• Des bénévoles saisis d'un conflit en
amont
ou au cours d'une instance
Les conciliateurs ont été institués par le décret
n° 78-381 du 20 mars 1978, modifié en dernier lieu par le
décret n° 96-1091 du 13 décembre 1996 qui leur a
donné l'appellation de « conciliateurs de justice ».
Ils exercent leurs fonctions à
titre bénévole
dans
le cadre territorial du canton. On dénombre en France environ
1.800
conciliateurs de justice
exerçant dans 4.000 cantons. Leur nombre a
progressé de 35 % depuis 1995.
Ils ont pour mission de
faciliter le règlement amiable des
conflits
portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition.
Les matières intéressant l'ordre public telles que l'état
des personnes, le divorce, le droit pénal et les rapports entre les
particuliers et l'administration sont donc exclues de leur champ de
compétence.
En pratique, ils connaissent essentiellement
des petits conflits
individuels
: troubles de voisinage, litiges fonciers,
malfaçons, problèmes locatifs ou de consommation,
exécution des contrats.
Leur intervention est entièrement
gratuite pour les parties
.
Ils sont saisis de manière très simple :
- soit
directement par le justiciable
, par tout moyen (visite,
lettre, téléphone),
en dehors de toute procédure
judiciaire
;
- soit par
délégation du juge d'instance dans le cadre
d'une procédure devant le tribunal d'instance.
Les conciliateurs peuvent en effet être
désignés par le
juge afin d'exercer le pouvoir de conciliation que les textes reconnaissent
à ce dernier
:
- en application des articles 21 et suivants de la loi n° 95-125 du
8 février 1995 et du décret n° 96-1091 du 13
décembre 1996, ils peuvent être désignés pour
procéder à une
tentative préalable de conciliation
avant une instance, sauf en matière de divorce et de séparation
de corps
(articles 831 à 835 du nouveau code de procédure
civile). La mission du conciliateur ne peut excéder un mois,
renouvelable à la demande du conciliateur. Le juge peut y mettre fin
à tout moment, d'office ou à l'initiative d'une partie ou du
conciliateur ;
- en application du décret n° 98-1231 du 28 décembre
1998, ils peuvent, depuis le 1
er
mars 1999, être directement
désignés en cours d'instance par le juge d'instance, sans
formalité particulière,
quel que soit le mode de saisine du
tribunal (articles 840, 847 et 847-3 du nouveau code de procédure
civile). Dans certains tribunaux
197(
*
)
, des conciliateurs sont ainsi
présents à l'audience et interviennent si les parties acceptent
la conciliation proposée par le juge. Cette nouvelle procédure
tend à être utilisée plus fréquemment ces
dernières années.
Les conciliateurs assurent ainsi le plus souvent des permanences :
- dans le local de la mairie du chef-lieu de canton ;
- dans les locaux d'une maison de justice et du droit ;
- dans l'enceinte du tribunal d'instance lors d'une audience.
La
présence des parties
est obligatoire lors de la conciliation.
Le débat est contradictoire et les parties ont la faculté de
se faire assister d'un
avocat
.
En cas de réussite totale ou partielle de la conciliation, le
conciliateur établit un
constat d'accord
qui peut être
homologué par le juge pour recevoir force exécutoire
.
Cette homologation n'est toutefois pas obligatoire.
Les
conditions de recrutement
des conciliateurs sont les
suivantes :
- être majeur ;
- jouir de ses droits civils et politiques ;
- n'être investi d'aucun mandat électif dans le ressort de la
cour d'appel où le conciliateur exerce ses missions ;
- ne pas exercer d'activité judiciaire se rattachant au service
public de la justice, ni être officier public ou ministériel ;
- justifier d'une expérience d'au moins trois ans en matière
juridique et attester d'une compétence et d'une activité
qualifiantes pour l'exercice de cette fonction.
Les conciliateurs font l'objet d'une
gestion déconcentrée au
niveau des cours d'appel
, s'agissant de leur recrutement ou du
remboursement de leurs frais.
Ils sont nommés par ordonnance du premier président de la cour
d'appel sur proposition du procureur général pour une
première période d'un an. Ils peuvent être reconduits dans
leurs fonctions pour une période renouvelable de deux ans. Ils
prêtent serment devant la cour d'appel.
En application d'un arrêté du 15 mai 1997, ils peuvent être
indemnisés
de leurs frais de déplacement dans les
mêmes conditions que celles prévues pour les personnels civils de
l'État. En outre, ils peuvent se voir rembourser leurs menues
dépenses (frais de secrétariat, poste), dans la limite de
3.000 F par an (460 €) fixée par une circulaire du 30 janvier
1996, sur productions de justificatifs, et après accord des chefs de
cour d'appel.
Le
conciliateur-type est souvent un
retraité
compte tenu
de l'absence de rémunération et du temps qu'il faut
dégager. Il s'agit, pour la plupart, de personnes possédant une
bonne connaissance du droit ayant exercé les fonctions de notaire,
d'avocat ou de cadre de la fonction publique ou du secteur privé,
souvent dans le domaine des ressources humaines.
Conformément aux directives de la Chancellerie, l'École nationale
de la magistrature a mis en place, en liaison avec l'Association nationale des
juges d'instance et l'Association nationale des conciliateurs de France, un
plan de
formation des conciliateurs de justice
. Un guide
méthodologique a en outre été envoyé à tous
les conciliateurs. Cet effort de formation mériterait d'être
renforcé et systématisé.
• Un nombre d'affaires croissant mais encore insuffisant
En 2000, les conciliateurs ont été saisis de 106.891 affaires. Le
nombre d'affaires conciliées s'est élevé à 50.116
(soit un taux de 47 %). Ces chiffres sont en augmentation continue depuis
1995. Si l'on excepte les saisines qui, soit ne rentrent pas dans le champ de
la conciliation, soit s'apparentent davantage à des demandes de
renseignement juridique, il semblerait que le taux réel de
réussite s'élève environ aux trois quart des conciliations
réellement tentées, les conciliations ayant échoué
parmi ces dernières ne donnant pas toutes lieu par la suite à une
instance judiciaire.
A titre de comparaison, les tribunaux d'instance ont traité la
même année 489 048 affaires dont 389 942 dans des
domaines qui auraient pu entrer dans le champ de compétence du
conciliateur. En rapprochant ces deux chiffres, on peut s'apercevoir que les
conciliateurs ont été saisis d'un nombre de dossiers
représentant
un peu plus du quart des dossiers de même nature
traités par les tribunaux d'instance
(et représentant
80 % de l'activité des tribunaux d'instance).
La potentialité de croissance du nombre d'affaires soumises à
la conciliation reste donc élevée.
Encore faudrait-il que les justiciables soient systématiquement
orientés vers cette possibilité et que les conciliateurs soient
en nombre suffisant pour répondre à la demande.
Sur le premier point, la conciliation a fait l'objet d'un sondage de l'Institut
CSA, en octobre 1999, à la demande du ministère de la justice,
duquel sont ressortis les éléments suivants :
- 66 % des personnes interrogées n'avaient jamais entendu
parler de l'existence de la conciliation ;
- parmi les 34 % qui connaissaient cette procédure, 26 %
ignoraient en quoi elle consistait.
L'institution judiciaire devrait s'efforcer de faire connaître davantage
cette procédure qui demeure encore ignorée par les justiciables
mais donne généralement satisfaction à ceux qui y
recourent.
Selon les conciliateurs, les réserves des professionnels, en particulier
des avocats, demeureraient vives.
S'agissant du recrutement des conciliateurs, la mission a observé qu'il
n'était pas facile de
disposer d'un nombre suffisant de personnes
qualifiées
: la maison de justice et du droit que la mission a
visitée à Lormont ne proposait qu'une seule demi-journée
par semaine de conciliation, faute de conciliateur disponible.
Peut-être faut-il voir dans cette situation la limite du
bénévolat dans notre pays.
b) Les médiateurs : des personnes rémunérées sans statut véritable en quête d'organisation de leur profession
• La médiation en général
La médiation judiciaire a fait son apparition dans le code de
procédure civile à travers le décret n° 96-652
du 22 juillet 1996 pris en application de la loi n° 95-125 du 8
février 1995. Elle fait l'objet des articles 131-1 à 131-15 dudit
code.
Le médiateur est une tierce personne, personne physique ou association,
désignée par le juge avec l'accord des parties afin d'entendre
ces dernières et de confronter leurs points de vue pour leur permettre
de trouver elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose.
Le médiateur ne propose pas lui-même de solution au litige. Il est
en cela moins directif que le conciliateur dans la conduite des
négociations entre les parties.
Si la personne désignée est une association, son
représentant légal soumet à l'agrément du juge le
nom de la ou des personnes physiques qui assureront l'exécution de la
mesure.
La médiation constitue une parenthèse dans la procédure
judiciaire. Sa durée initiale ne peut excéder trois mois,
renouvelable une fois à la demande du médiateur.
En cas de réussite de la médiation, les parties peuvent soumettre
l'accord auquel elles sont parvenues à l'homologation du juge, pour
qu'il lui donne ainsi force exécutoire.
Les médiateurs n'ont
pas de statut professionnel organisé
.
Les personnes physiques doivent remplir les conditions prévues à
l'article 131-5 du nouveau code de procédure civile :
- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou
d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du
casier judiciaire ;
- ne pas avoir été l'auteur de faits contraires à
l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ayant donné
lieu à certaines sanctions disciplinaires ou administratives ;
- posséder par l'exercice présent ou passé d'une
activité, la qualification nécessaire eu égard à la
nature du litige ;
- justifier d'une formation ou d'une expérience adaptée
à la pratique de la médiation ;
- présenter des garanties d'indépendance nécessaires
à l'exercice de la médiation.
La rémunération du médiateur est fixée par le juge
et supportée par les parties qui doivent consigner les sommes
nécessaires.
Toutefois les frais incombant à la partie bénéficiaire de
l'aide juridictionnelle
sont à la charge de l'État en
application de l'article 22 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995.
Pour l'année 2000, le coût pour l'État de cette mesure
s'est élevé à près de 600.000 F (91.000 euros).
• La médiation familiale
La médiation a connu un essor particulier dans le domaine familial.
La
médiation familiale
vient d'ailleurs de connaître une
consécration spécifique dans le code civil, à travers la
loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à
l'autorité parentale.
Cette loi favorise le recours aux accords parentaux homologués et
à la médiation judiciaire. Cette dernière reste soumise
à l'accord des parties mais le juge peut imposer à celles-ci de
rencontrer un médiateur familial pour suivre une séance
d'information sur la médiation.
La proposition de loi relative au divorce adoptée par le Sénat en
première lecture au mois de février dernier comprend des
dispositions analogues.
La médiation familiale peut également être exercée
à titre préventif en dehors de toute action judiciaire.
Appelée alors médiation conventionnelle, elle se rapproche du
conseil conjugal et n'est pas éligible à l'aide juridictionnelle.
Les acteurs de la médiation familiale sont très divers
.
Cette médiation s'est en effet développée de
manière empirique. Il existerait à l'heure actuelle, en France,
environ 230 services de médiation familiale, dont 150 ont
adhéré au Comité national des associations et services de
médiation familiale créé en 1991 (C.N.A.S.M.F.).
Les caisses d'allocations familiales, les associations familiales, les mairies,
les conseils généraux sont des intervenants importants.
Les barreaux ont créé quant à eux, en juillet 2001, une
Fédération nationale des centres de médiation qui a
vocation à intervenir, notamment, dans le domaine de la médiation
familiale.
Selon une étude effectuée en mars 2000 par le C.N.A.S.M.F., les
médiateurs familiaux sont des femmes à plus de 78 % et sont
âgés de 40 à 60 ans à 81 %. Ils sont
majoritairement issus des professions sociales.
Si des associations ont mis au point des chartes de formation et de
déontologie de leurs membres, la formation des médiateurs n'est
pas organisée au niveau national.
A la suite d'un rapport rendu en juin 2001 par Mme Monique Sassier
1(
*
)
,
un Comité national
consultatif de la médiation familiale
a été
créé par arrêté du 8 octobre 2001 et
installé sous la présidence de cette dernière. Il est
notamment chargé de faire des propositions sur la formation des
médiateurs familiaux, sur l'agrément des centres de
médiation et sur le financement de la médiation.
S'agissant de la
formation des médiateurs familiaux
, il est
envisagé que la médiation familiale soit pratiquée par des
personnes ayant des expériences professionnelles dans des domaines
variés, aussi bien juridiques que sociaux, après une formation
d'environ 400 heures se partageant entre théorie et pratique, sachant
que la formation serait susceptible d'être adaptée en fonction de
l'expérience professionnelle déjà acquise. Les avocats,
par exemple, pourraient mettre leurs connaissances juridiques au profit de la
médiation, à condition de recevoir une formation aux techniques
même de médiation.
La question de la création d'une profession de médiateurs
familiaux à part entière, au vu de la spécificité
des affaires, ou de l'exercice de l'activité de médiation en
complément d'autres activités reste posée.
S'agissant du
financement de la médiation familiale
, le prix de
revient moyen pour les centres de médiation d'une séance d'une
heure et demie serait de 230 € (1500 F). Hors participation des
collectivités locales, les pouvoirs publics, à savoir les caisses
d'allocations familiales et les ministères de la justice et des affaires
sociales, consacrent à l'heure actuelle 4,2 millions d'euros à la
médiation familiale (28 millions de francs).
Une médiation familiale comprend en moyenne six séances d'une
heure et demie. Dans le cadre judiciaire, les parties consignent chacune
environ 230 € (1500 F) avant d'entreprendre la
médiation, chaque séance supplémentaire étant
facturée au couple environ 120 € (700 ou 800 F), sachant
que ces dépenses sont éligibles à l'aide juridictionnelle
au contraire des dépenses exposées dans le cadre de la
médiation dite conventionnelle.
Les associations subventionnées facturent les heures de médiation
conventionnelle selon un barème prenant en compte les ressources des
couples et pouvant démarrer à 3 euros pour les plus
démunis.