B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN
1. La double mission juridictionnelle et d'administration des personnels des greffes
La
spécificité des greffes tient à leur double mission
juridictionnelle et d'administration.
Leur mission traditionnelle est
en effet
l'assistance du juge et
l'authentification des actes judiciaires
77(
*
)
. En outre, à la
différence d'autres administrations, les services judiciaires ne
disposent
pas de corps des services déconcentrés à
vocation d'administration générale
.
Comme le soulignait la commission de réflexion sur l'évolution
des métiers des greffes : «
Depuis la
fonctionnarisation, l'institution évolue dans une logique fonctionnelle
dans laquelle les fonctions de gestion et les fonctions d'assistance du juge
sont assurées par les mêmes acteurs. L'alternative d'une logique
organisationnelle séparant strictement la fonction de gestion de la
fonction judiciaire a été écartée, afin
d'éviter les pratiques antérieures à la fonctionnarisation
et le risque d'atteinte à l'indépendance de l'institution
judiciaire.
78(
*
)
»
C'est ainsi que s'est développée une
culture de la
polyvalence
au sein des greffes. Elle a permis aux fonctionnaires de faire
face à l'alourdissement progressif de leurs tâches, au prix d'une
confusion des rôles et d'un malaise croissants.
2. Un sentiment de lassitude face à l'alourdissement des tâches et à la confusion des rôles
a) Les greffiers en chef : des administrateurs à temps plein
Fonctionnaire de catégorie A, le greffier en chef a
vocation
à exercer des fonctions d'administration, d'encadrement, de gestion,
d'enseignement et d'assistance du juge dans les actes de sa
juridiction
79(
*
)
.
Il prépare le budget de la juridiction et en assure l'exécution.
Il veille à la bonne
gestion
des moyens matériels, des
locaux et équipements dont il a la charge. Il assume également
une mission d'animation et de direction d'une équipe de collaborateurs
dont il coordonne l'activité.
Depuis la création des services administratifs régionaux en 1996,
les greffiers en chef peuvent également exercer les fonctions de
coordonnateur d'un service administratif régional dans une cour d'appel.
Praticien du droit, le greffier en chef doit par ailleurs être
à même d'exercer toutes les fonctions du greffe
. Il
organise l'assistance des juges lors des audiences et au cours des
procédures dont le greffe doit garantir le respect et
l'authenticité.
Conservateur des actes, registres et archives
de la juridiction, le
greffier en chef en constitue la « mémoire ».
Il dispose également d'
attributions propres
qui, comme il l'a
été indiqué précédemment, se sont accrues
depuis quelques années dans le but d'alléger le fardeau du
juge :
- au tribunal d'instance, en matière de cession et de saisie de
rémunération, de procuration de vote, de consentement à
l'adoption, de certificat de nationalité, de scellés et de
tutelles ;
- au tribunal de grande instance, en matière de pièces
à conviction, d'aide juridictionnelle ainsi qu'à l'occasion de
différentes déclarations dans le domaine familial.
Comme on l'a vu de nouvelles tâches pourraient encore lui être
confiées
80(
*
)
.
L'appellation de greffier en chef reflète donc mal la
diversité et l'importance des missions qu'il lui faut remplir
. Elle
prête à confusion et n'est guère valorisante, puisqu'elle
laisse à penser qu'il s'agit d'une fonction exercée par un
greffier et non d'un corps de catégorie A.
Les
missions
des greffiers en chef
diffèrent selon les
juridictions
. Dans les plus importantes, le chef de greffe est
assisté d'un ou de plusieurs greffiers en chef adjoints ou chefs de
service, qui assurent sa suppléance en cas d'absence ou
d'empêchement.
D'une manière générale, le poids de leurs tâches
administratives les empêche souvent, en pratique, de jouer tout
rôle d'assistance du magistrat et, parfois, d'exercer eux-mêmes les
compétences autrefois dévolues aux juges. Telle est la raison
pour laquelle, l'Union syndicale autonome justice et le Syndicat des greffiers
de France ont souhaité devant la mission que
certaines
des
attributions
des greffiers en chef, par exemple les certificats de
propriété et de notoriété, puissent être
transférées ou, à tout le moins,
déléguées aux
greffiers
, ce qui permettrait
au droit de rejoindre la pratique et d'assurer la continuité du service
public
81(
*
)
.
Mais les greffiers sont eux aussi astreints à de lourdes tâches.
b) Les greffiers : les « notaires des juridictions »
Fonctionnaire de catégorie B placé sous
l'autorité du greffier en chef
82(
*
)
, le greffier a pour
missions
principales l'assistance du magistrat et l'authentification des actes
juridictionnels
.
Au-delà de la transcription fidèle des débats à
l'audience, il est responsable du respect et de l'authenticité de la
procédure tout au long de son déroulement. Aussi est-il souvent
qualifié, comme il l'a été rappelé devant des
membres de la mission à Dijon, de «
technicien de la
procédure
», de «
notaire de la
juridiction
».
Le greffier enregistre les affaires, prévient les parties des dates
d'audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige
des actes et met en forme les décisions. Il assiste le juge à
l'audience.
Son rôle est essentiel :
toute formalité, tout acte
accompli en son absence pourraient être frappés de
nullité
.
Dès l'introduction de la demande et tout au long de la procédure,
il est
l'intermédiaire entre les parties et le juge
. Il est
également
l'interlocuteur privilégié des auxiliaires de
justice
.
Le greffier est également un
agent d'encadrement
chargé de
coordonner les activités des agents d'exécution. Selon
l'importance des juridictions et leur organisation, il peut être investi
de responsabilités de gestion et diriger un des services du greffe. Il
peut également exercer les fonctions de chef de greffe.
Enfin, le greffier a également vocation à exercer des
fonctions d'accueil et d'information du public
. En pratique, il n'en a
pas le temps, au grand regret de nombreux greffiers rencontrés par la
mission.
En effet, les auditions et les déplacements de la mission, les
contributions écrites qu'elle a reçues ont montré qu'en
raison du manque d'effectifs et de l'alourdissement des tâches
83(
*
)
, les greffiers étaient
amenés, de plus en plus, à remplir des fonctions incombant aux
greffiers en chef, au détriment de leur mission première
d'authentification des procédures et des actes.
Un chef de cour a ainsi indiqué à la mission, dans une
contribution écrite, que «
Dans la pratique, cette mission
d'authentification des actes juridictionnels a tendance à se vider de
son sens et à n'avoir plus qu'un contenu formel.
(...)
L'assistance des greffiers aux audiences devient très
aléatoire et l'authentification se limite de leur part à la
relecture des jugements et arrêts avant leur signature et à
l'apposition de la formule exécutoire accompagnée du
sceau
. »
Cette dérive, contraire aux dispositions du code de l'organisation
judiciaire, est d'autant plus regrettable que l'assistance du greffier
s'avère essentielle dans les procédures orales sans
représentation obligatoire, de surcroît lorsque le justiciable
saisit le juge par simple déclaration.
Parallèlement, les greffiers accomplissent des tâches qu'ils
considèrent comme subalternes
. La frustration est d'autant plus
grande que leur niveau d'études est de plus en plus
élevé
84(
*
)
et que
leur rémunération reste faible. «
On fait tout et
n'importe quoi
» a indiqué une greffière du
tribunal de grande instance de Bordeaux.
Dans ces conditions, et selon les termes employés par un procureur de la
République dans une contribution écrite aux travaux de la
mission, le choix de la carrière de greffier risque de devenir
«
un choix négatif, à défaut d'avoir
réussi le concours de la magistrature ou de greffier en
chef
. »
Certains greffiers regrettent de ne pouvoir exercer des tâches
jugées valorisantes
. Par exemple, d'aucuns aimeraient pouvoir jouer
un rôle d'
aide à la décision du magistrat
, qu'il
s'agisse de la recherche de jurisprudence, de la rédaction de notes de
synthèse ou de l'élaboration de projets de décision. Les
organisations syndicales, en particulier le Syndicat des greffiers de France,
souhaiteraient même les voir pratiquer des
conciliations
et des
médiations
.
Le recours aux
agents placés
pour faire face aux vacances de
postes, s'il peut être encouragé, ne constitue qu'un palliatif
insuffisant.
Souvent, les missions des greffiers sont remplies par des agents de
catégorie C qui acceptent, pour un salaire inchangé, ces
responsabilités nouvelles, lourdes mais intéressantes. Il s'agit
toutefois d'un cautère sur une jambe de bois, qui contribue à la
confusion généralisée des tâches et à la
propagation d'un sentiment de malaise.
c) Les fonctionnaires de catégorie C : un nombre élevé de « faisant fonction de »
Placés également sous l'autorité du
greffier en
chef de la juridiction
85(
*
)
, les
fonctionnaires de catégorie C appartiennent à
différents corps interministériels, répartis entre une
filière administrative
(les agents administratifs et les adjoints
administratifs)
et une filière technique
(les agents des services
techniques, les ouvriers professionnels, les conducteurs d'automobiles). Ils
concourent au fonctionnement des différents services du greffe :
parquet, service correctionnel, service civil, fonctions administratives...
Les agents de la filière administrative, appelés personnels de
bureau, sont chargés de l'exécution des tâches
administratives et travaillent en étroite collaboration avec les
greffiers chargés de les encadrer.
A titre exceptionnel et temporaire, ils peuvent, après avoir
prêté serment, être chargés des
fonctions
dévolues aux greffiers
, en particulier l'assistance aux audiences et
l'authentification des actes.
Comme on l'a vu, le manque d'effectifs rend cette
pratique courante
,
même si aucune estimation fiable n'a pu être fournie
86(
*
)
.
Les agents des services techniques et les ouvriers professionnels sont
chargés de l'exécution du service intérieur et de
tâches de maintenance. Ils peuvent contribuer à
l'exécution de tâches administratives.
Les conducteurs d'automobiles sont chargés de la conduite des
véhicules de fonction (dont bénéficient les chefs de cour
et les chefs de juridiction) ou des véhicules de service des
juridictions.
Il est actuellement question de regrouper les agents administratifs et les
adjoints administratifs en un seul corps
87(
*
)
. Certaines organisations syndicales
souhaiteraient également que les personnels de bureau soient
assimilés à des agents de catégorie B. La
représentante de la CGT entendue par la mission a toutefois fait valoir
la nécessité de préserver le recrutement de personnes
n'ayant pas le baccalauréat.
d) Un sentiment généralisé de malaise
Le
constat d'un «
malaise des greffes
», dressé
dès 1990 par M. Dominique Le Vert
88(
*
)
, conseiller d'Etat, s'avère
donc plus que jamais d'actualité.
Lors de ses auditions et de ses déplacements, la mission a pu mesurer le
sentiment de frustration et de désabusement
qui affectait les
personnels des greffes.
La
multiplication des «
faisant fonction de
»
qui caractérise actuellement l'institution judiciaire -greffiers faisant
fonction de greffiers en chef, agents de catégorie C faisant fonction de
greffiers- engendre une
confusion des rôles et une crise
d'identité préjudiciables au bon fonctionnement des
juridictions
.
Les inquiétudes des fonctionnaires sont avivées par la
concurrence que représentent les assistants de justice et les agents
de justice
, personnels au statut précaire chargés d'accomplir
des tâches d'aide à la décision et d'accueil dont ils
considèrent qu'elles relèvent de leur compétence mais
qu'ils sont dans l'impossibilité d'assumer.
Les agents des greffes attendent actuellement, avec impatience et amertume, une
reconnaissance aussi bien salariale que statutaire de la réalité
des missions accomplies. «
Nous n'avons plus que notre conscience
professionnelle, c'est tout ce qui nous reste
», indiquait une
greffière du tribunal de grande instance de Dijon aux membres de la
mission.
L'une des organisations syndicales reçues par la mission souhaiterait
même l'élaboration d'un nouveau statut, dérogatoire du
statut général de la fonction publique, au profit des greffiers
en chef et des greffiers, sur le modèle de celui des magistrats. Ils en
attendent une reconnaissance de la spécificité de leurs
tâches et des possibilités accrues de revalorisation salariale.
Au-delà du nécessaire renforcement des effectifs et de la
revalorisation de la grille indiciaire, il apparaît souhaitable de
favoriser une adaptation des personnels à des fonctions de plus en
plus spécialisées
.