4. La participation des magistrats aux politiques publiques
La
nécessité de recentrer les magistrats sur leurs tâches
essentielles, accrue par le manque de moyens de la justice, a conduit la
mission à s'interroger sur le bien-fondé de leur participation
aux politiques publiques.
Depuis une vingtaine d'années, notamment dans le cadre de la politique
de la ville, les juges sont sortis des palais de justice pour se rendre sur le
terrain. L'ouverture du magistrat sur la cité et son association aux
politiques partenariales apparaissent désormais inévitables. Le
juge ne peut plus s'isoler dans sa tour d'ivoire au risque de se couper des
réalités.
a) Une vocation nouvelle des magistrats du parquet bien acceptée
Les
magistrats du parquet sont très sollicités à cet
égard et ont bien intégré cette évolution.
Au cours de son audition, l'Association des magistrats du parquet s'en est
d'ailleurs fait l'écho : «
le rôle du magistrat
était autrefois de traiter les affaires et requérir à
l'audience. Les magistrats restaient dans leur cabinet [...]. Aujourd'hui,
les motifs de déplacement sur le terrain deviennent de plus en plus
nombreux
».
Depuis 1983, le parquet s'est vu confier la charge d'
impulser
et de
coordonner
des
politiques publiques
en
relation
étroite
avec les
élus
et les
représentants
de l'Etat
.
Cette initiative a été le
fruit d'une volonté de
l'Etat
de développer des politiques partenariales dans le double
souci de
prévenir la délinquance
, d'une part, et de
favoriser la réinsertion
, d'autre part.
Cette démarche s'est concrétisée par la mise en place de
nombreux outils dont le
parquet
est devenu un
acteur essentiel
.
La mise en oeuvre de contrats locaux de sécurité (CLS),
créés par voie de circulaire en octobre 1997
63(
*
)
, qui fonctionnent en partenariat entre
la justice et les élus locaux, a constitué une des pierres
angulaires de cette évolution.
On recense actuellement près de 550 contrats locaux de
sécurité. Deux circulaires du 5 janvier et du 9 mars 1998
ont contribué à impliquer de façon très importante
l'autorité judiciaire.
Les
conseils communaux de prévention de la délinquance
(CCPD) et les
groupes locaux de traitement de la délinquance
(GLTD) offrent
d'autres exemples de ces relations partenariales
entre
les autorités régaliennes de l'Etat et les acteurs de la
démocratie locale.
L'importance du temps consacré aux activités non
juridictionnelles s'impose désormais comme une évidence
. Une
étude réalisée de juin à novembre 1999 pour
analyser les charges de travail des parquets généraux a fait
ressortir que
la répartition du temps de travail entre les
activités juridictionnelles et non juridictionnelles
oscillait entre
45 % et 50 %
pour les petites et moyennes juridictions
(comprenant en moyenne entre 3 et 9 magistrats) et 40 % pour les plus
importantes
64(
*
)
. Ainsi plus la
taille du parquet augmente, plus le temps consacré aux activités
juridictionnelles décroît.
Le temps dont disposent les magistrats pour travailler sur les
procédures et les dossiers s'en trouve donc nécessairement
limité.
En dépit d'une
dégradation manifeste des conditions de travail
du parquet liées à la pénurie des moyens
et à
l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000
relative
à la protection de la présomption d'innocence, tous les
magistrats du parquet ont approuvé cette mission nouvelle et n'ont pas
manifesté la volonté d'en être déchargés.
Leur participation aux politiques publiques permet aux magistrats du parquet de
recevoir des informations mais également d'en donner.
M. André Ride, président de la Conférence
nationale des procureurs généraux confirme ainsi
«
qu'il n'est pas imaginable que les magistrats, qui sont seuls
légitimes à prononcer des mesures de répression, se
désintéressent tant de l'amont que de l'aval
. »
De plus, l'engagement du parquet dans les politiques publiques a
également
modifié leur positionnement au sein de l'institution
judiciaire.
Ainsi, ils sont devenus
l'interface entre les magistrats du
siège et les décideurs extérieurs
(autorité
préfectorale, élus locaux).
Sans remettre en cause leur participation à cette mission nouvelle, tous
les interlocuteurs du parquet rencontrés par la mission ont fait
état des difficultés à
assumer ce rôle en raison
d'un manque de moyens.
M. André Ride a en effet
indiqué que «
lorsque vous êtes procureur de la
République avec un seul substitut et que vous êtes engagé
dans toutes les actions de la politique de la ville, vous avez dans le
même temps à assurer votre tâche première,
c'est-à-dire faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix
doivent être faits. Ce choix est malheureusement vite fait lorsque vous
n'avez pas les moyens d'assumer vos deux missions.
».
La mission partage pleinement ces préoccupations. Consciente de la
nécessité d'associer l'autorité judiciaire à la
conduite des politiques publiques, elle juge indispensable de renforcer les
moyens du parquet pour lui permettre d'exercer correctement cette mission.
Il est apparu choquant que les procureurs ne disposent ni d'une équipe,
ni d'un secrétaire général (dans les juridictions les plus
importantes) pour leur apporter un soutien. Actuellement, les magistrats du
parquet participent seuls aux réunions et établissent leurs
statistiques et leurs rapports sans aucune aide particulière et souvent
sans moyens matériels conséquents.
La mission suggère la création de nouvelles fonctions
d'assistants du parquet, qui pourraient être exercées soit par des
assistants de justice, soit par des greffiers, afin de lui permettre de
participer aux politiques publiques.
b) Une mission difficilement compatible avec celles des magistrats du siège
Contrairement à leurs collègues du parquet, les
magistrats du siège ne souhaitent
pas participer aux politiques
publiques.
La Conférence nationale des premiers présidents, au cours de son
audition, a expliqué avoir débattu particulièrement sur
cette question pour en conclure que «
l'action du juge ne doit pas
faire l'objet d'une contractualisation qui pourrait faire douter de son
impartialité dans les litiges dont il serait saisi [...]
».
Cette différence de position entre le siège et le parquet
résulte de la distinction qui existe entre ces deux fonctions. Alors que
les magistrats du parquet ont pour vocation naturelle de défendre
l'intérêt général et d'appliquer la politique
pénale du Gouvernement, les magistrats du siège quant à
eux ont à juger des situations individuelles. L'association de ces
derniers à la définition des politiques publiques les expose
inévitablement à engager la juridiction à laquelle ils
appartiennent ou à renier leur « liberté
juridictionnelle ».
La mission d'information, tout en comprenant les réserves
émises par les magistrats du siège
65(
*
)
, tient toutefois à souligner
que certaines fonctions, en particulier celles de juge des enfants et de juge
de l'application des peines qui sont largement ouvertes sur l'extérieur,
ne sauraient faire l'économie d'un engagement minimal avec leurs
partenaires, le parquet étant amené à jouer un rôle
d'interface. Ces magistrats ont en effet un besoin impérieux de se
déplacer sur le terrain, de travailler en équipe et de visiter
les établissements avec lesquels ils travaillent.