3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice
La
mission d'information a choisi de s'intéresser plus
spécifiquement à la
formation initiale
des auditeurs de
justice, ciment du devenir du magistrat.
Sa qualité
est unanimement
reconnue, et l'ENM est
présentée
comme un
instrument incontournable
. Elle
permet aux auditeurs de justice affectés à leur premier poste
d'être immédiatement opérationnels.
La durée de la formation
, passée de 24 à
31 mois en dix ans, est jugée satisfaisante et ne paraît pas
devoir être allongée. En outre, l'option contraire
présenterait l'inconvénient de retarder la prise de fonction des
futurs magistrats, alors même que la justice se caractérise
actuellement par son asphyxie et son manque de moyens.
a) Une formation théorique et pratique globalement satisfaisante
La formation se déroule en plusieurs phases :
Phase
généraliste
Phase spécialisée
Source : Ecole nationale de la magistrature
La formation théorique
dispensée à l'ENM (7 mois) a
vocation à développer une réflexion sur les fonctions
judiciaires et à transmettre l'ensemble des savoir-faire
professionnels
32(
*
)
. Une partie
de l'enseignement est consacrée à la découverte des
fondamentaux de l'existence des magistrats à travers des études
de cas concrets et des mises en situation basées sur des exercices de
simulation d'audiences.
Une autre partie de la scolarité est dédiée à la
pratique du métier (écoute des témoins, interrogatoires
d'une personne mise en examen) et à la découverte du contexte
dans lequel les magistrats évoluent (découverte du monde
syndical, rencontre avec les élus locaux).
La pédagogie repose sur des
méthodes dynamiques
originales
: un travail en petits groupes d'une quinzaine de
personnes, ces groupes étant formés pour toute la durée de
la scolarité
33(
*
)
.
La place prépondérante des enseignements consacrés au
droit pénal doit être soulignée et a pu surprendre la
mission d'information, compte tenu des compétences techniques exigeantes
que requièrent les fonctions du siège. Cette
«
hypertrophie du pénal
» a surpris notre
collègue José Balarello, qui a fait remarquer que
l'activité des tribunaux était consacrée à
80 % aux affaires civiles contre 20 % seulement aux affaires
pénales. Toutefois, il est apparu que la place importante occupée
par le droit pénal dans la formation initiale se justifiait par un
double souci. Il s'agit, d'une part, de contrebalancer l'enseignement
dispensé à l'université, principalement centré sur
le droit civil, et donc de renforcer des compétences parfois lacunaires
en droit pénal. D'autre part, l'ENM, guidée par un souci
d'efficacité, s'est efforcé d'adapter la scolarité aux
profils des postes offerts à l'issue de la formation, les auditeurs de
justice étant affectés en grand nombre aux fonctions du parquet
(40 % des auditeurs de la promotion 2000).
La formation pratique
s'effectue
durant le stage en juridiction
(14 mois), pendant lequel les auditeurs accomplissent les actes
judiciaires des fonctions du siège et du parquet.
Pour l'encadrement de ces stages, l'ENM s'appuie sur des
magistrats
délégués à la formation
placés
auprès de chaque cour d'appel et sur des directeurs de centre de stage
situés dans chacun des tribunaux accueillant des auditeurs. Ainsi que
l'a indiqué M. Eric Maillaud, sous-directeur des stages à
l'ENM, «
en juridiction, les auditeurs de justice ne sont pas
utilisés à vider les tiroirs
». La mission
d'information, lors de sa rencontre avec les délégués des
élèves des promotions 2000, 2001, 2002, a d'ailleurs pu constater
que ces derniers étaient satisfaits de leur expérience en
juridiction.
Toutefois, il est permis de s'inquiéter de l'avenir de l'encadrement de
la formation initiale par les magistrats placés auprès des
juridictions, qui repose essentiellement sur le
volontariat
. Compte tenu
de la surcharge de travail qui affecte les magistrats et de l'absence
d'obligation d'exercer des responsabilités en matière de
formation, ces derniers se révèlent de
moins en moins enclins
à jouer ce rôle de relais et d'encadrement pourtant essentiel
.
Ainsi que l'a souligné le responsable de la formation de la cour d'appel
de Dijon, les candidatures se font rares.
b) Des interrogations
Au-delà de l'appréciation satisfaisante
portée
par l'ensemble du corps des magistrats sur la formation initiale, quelques
interrogations se sont fait jour .
En premier lieu, la pertinence du
stage extérieur
34(
*
)
accompli en début de
scolarité n'apparaît pas évidente, comme l'a indiqué
à la mission l'ensemble des délégués des auditeurs
de justice des trois dernières promotions. Un auditeur de la promotion
2002 s'est réjoui d'un stage accompli en Turquie, tandis qu'une
auditrice (de la promotion 2000), issue du concours interne, a jugé son
stage en administration décevant. Il est apparu que ce stage
extérieur dépendait fortement de l'organisme d'accueil et
n'était pas forcément adapté au profil du stagiaire. Le
jugeant soit trop court, soit trop long, certains délégués
ont fait valoir qu'il serait préférable d'accomplir plusieurs
stages de courte durée au sein de chaque type d'organisme d'accueil afin
d'éviter des expériences stériles, d'une part, et de
confronter l'auditeur à une plus grande diversité
d'interlocuteurs, d'autre part.
En second lieu, les conditions d'attribution des postes offerts à la
sortie de l'école peuvent également surprendre.
La mission
d'information attache une grande importance à cette question
fondamentale pour l'avenir des futurs magistrats
, susceptibles d'être
fortement marqués par leur première affectation.
Elle regrette ainsi que la liste des postes fournie par la Chancellerie ne
tienne pas compte des aptitudes et compétences des auditeurs de justice.
C'est ainsi que la désaffectation pour les fonctions de magistrat du
parquet a conduit mécaniquement à l'augmentation du nombre de
postes de parquetier à la sortie de l'école (un tiers environ en
moyenne ces dernières années).
Plus encore que l'absence d'implication de la Chancellerie dans
l'élaboration de la liste des postes proposés, la mission s'est
inquiété des
modalités de choix des postes
,
essentiellement guidées par des
critères
géographiques
.
Il convient en effet de souligner le décalage entre le droit et la
pratique en ce domaine. La formation à l'ENM revêt un
caractère probatoire et donne lieu à un classement par ordre de
mérite permettant aux auditeurs de justice de choisir sur la liste
proposée par le ministère de la justice. Toutefois, en pratique,
force est de constater que la première affectation est
librement
choisie par les auditeurs de justice
. Chaque promotion négocie
en
son sein l'attribution des postes
, le critère du classement
n'intervenant que très marginalement.
L'adéquation du profil et des aptitudes des futurs candidats à
leur première affectation ne constitue donc pas un élément
déterminant. La priorité accordée au choix
géographique a d'ailleurs été confirmée par la
plupart des délégués des auditeurs rencontrés par
la mission.
La mission juge regrettable que l'aptitude pour l'exercice de certaines
fonctions ne soit pas davantage prise en compte dans le choix de la
première affectation des auditeurs de justice
.
A cet égard, M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole, a
dénoncé l'absence d'implication de la Chancellerie sur cette
question, estimant qu'il n'appartenait pas à l'ENM, dont le rôle
se limite à accorder des brevets d'aptitude à une fonction
particulière, d'intervenir dans le processus de nomination, au risque
«
d'un mélange des genres fâcheux pour le bon
fonctionnement de l'institution judiciaire.
»
Actuellement, la gestion des premières affectations s'effectue donc a
minima et consiste à éviter les affectations les plus
problématiques.
Depuis 1996, le jury de classement, sur la base des notes d'études et de
stages, dispose d'un pouvoir de recommandation
35(
*
)
quant à l'aptitude de
l'auditeur à certaines fonctions. Il en a toutefois fait un usage
parcimonieux (1 recommandation en 1996, 5 en 1997, 4 en 1998 et 1999 et 3
en 2000).
En outre, ces recommandations sont d'une portée limitée, le
Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-336 DC du
27 janvier 1994, ayant relevé qu'elles ne devaient être
mentionnées qu'à l'occasion de la première affectation et
«
ne sauraient lier le Conseil supérieur de la
magistrature à qui il appartient d'émettre en toute
indépendance un avis sur la nomination des auditeurs de
justice ».
En effet, le Conseil supérieur de la magistrature peut émettre un
avis défavorable pour la nomination d'un auditeur de justice, en
fonction des éléments d'évaluation contenus dans le
dossier
36(
*
)
.
De manière générale, le CSM a tendance à
émettre des avis favorables, sauf lorsque le caractère innoportun
de la nomination paraît manifeste. Ainsi qu'il l'a lui-même
indiqué, «
sur les deux promotions de 1999 et 2000, ont
été émis trois avis défavorables pour des postes du
siège et deux pour des postes du parquet
37(
*
)
».
S'il paraît opportun d'éviter la nomination d'un auditeur à
un poste qui ne correspond pas à ses aptitudes, il semble indispensable
d'assurer une
étroite correspondance
entre
le profil du poste
choisi
et
les compétences effectives du futur magistrat
. Une
telle exigence ne paraît pas de nature à fragiliser
l'indépendance des magistrats mais apparaît plutôt comme la
meilleure garantie de leur efficacité
au sein de l'institution
judiciaire.