II. LES JEUNES FILLES SONT DÉSORMAIS MAJORITAIRES DANS LE PROGRAMME TRACE
Après trois années de mise en oeuvre, le public féminin occupe une place prépondérante dans le programme TRACE ; son profil et ses parcours d'insertion marquent quelques différences si on les compare à ceux des jeunes hommes.
A. LA FÉMINISATION DES EFFECTIFS
D'après les chiffres de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, près de 95.000 jeunes ont intégré le programme TRACE entre octobre 1998 et décembre 2000. L'objectif fixé au départ de 110.000 bénéficiaires a été depuis dépassé : M. Hubert Peurichard, délégué interministériel à l'insertion professionnelle et sociale des jeunes en difficulté, a indiqué à la délégation que 38.000 jeunes étaient entrés dans le dispositif en 1999, 50.000 en 2000 et 52.000 en 2001.
Les régions où le volume d'entrées a été le plus important sont le Nord-Pas-de-Calais (12.073 entrées), l'Ile-de-France (10.052), Provence-Alpes-Côte-d'Azur (8.130) et Rhône-Alpes (8.041) 9 ( * ) . A elles seules, ces quatre régions représentent plus de 40 % des entrées dans le programme TRACE.
A leur entrée dans le programme, près de 95 % des jeunes étaient connus des missions locales et PAIO. Celles-ci s'efforcent, au-delà de leurs « stocks », à des actions de « repérage » des jeunes en très grande difficulté : elles tiennent des réunions d'information à destination des partenaires locaux (mairies, assistantes sociales, responsables des établissements scolaires, clubs de prévention, protection judiciaire de la jeunesse, lieux d'accueil d'urgence, associations susceptibles d'être en contact avec une population très marginalisée comme les « Restos du coeur », le Secours populaire, Emmaüs ou les Equipes Saint-Vincent-de-Paul, etc...), organisent des permanences de sensibilisation dans les mairies ou dans les quartiers sensibles qui sont prioritaires dans le programme, et diffusent des plaquettes d'information dans les lieux qui accueillent le public des 16-25 ans.
Elles s'appuient généralement sur les associations, car nombre de jeunes fuient les structures institutionnelles, qu'ils perçoivent comme contraignantes ou « jugeantes » : pour réussir, le premier contact avec les jeunes marginaux doit souvent être informel. Ce public demande à se laisser « apprivoiser ». Il est à cet égard pertinent d'avoir prévu, dans le cadre de l'élargissement du programme TRACE, la possibilité de prolonger de six mois la durée d'accompagnement pour quelque 10.000 jeunes : elle permettra d'intégrer l'éventuelle intervention des associations en amont.
Il ne semble pas qu'une attention particulière soit systématiquement portée au sort des jeunes filles dans ces actions de repérage, même si la délégation a relevé çà et là, dans les réponses au questionnaire qu'elle a adressé aux missions locales, quelques démarches plus ciblées.
Ainsi, la mission locale du Pays de Villedieu-Granville dans la Manche estime que l'organisation de permanences de proximité l'a rendue plus accessible, surtout à l'égard du public féminin qui est passé de 51 % en 1998 à 60 % en 2001. La mission locale de l'Orléanais a créé des postes d'accompagnateurs de projet de jeunes qui ont entre autres fonctions d'aller à la rencontre des très jeunes (16/17 ans) et des jeunes filles « en repli social ». Grâce à un partenariat renforcé avec les représentants locaux des droits des femmes, la mission locale du Bassin d'emploi de Sarreguemines, dans la Moselle, a déposé au contrat de ville un projet « Jeunes filles relais » pour l'accueil des filles dans le programme TRACE. La mission locale des Mureaux en banlieue parisienne avait en 2001 le projet de renforcer son partenariat avec la Caisse d'allocations familiales notamment pour favoriser l'accès au programme TRACE des jeunes femmes touchant l'API ; son objectif était de suivre une dizaine de cas en 2001.
Le public TRACE est de plus en plus féminin : si, toujours d'après la DARES, les jeunes hommes étaient majoritaires (51,1 %) dans les entrées en 1999, la tendance s'est inversée en 2000 avec 51,8 % de jeunes filles . Mme Brigitte Grésy, chef du service des droits des femmes et de l'égalité au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, a mentionné devant la délégation que les dernières indications connues évaluaient désormais leur part à 52,6% . Elle s'est félicitée de cette évolution en souhaitant toutefois que l'effort soit poursuivi pour qu'on parvienne à une présence des femmes dans TRACE au niveau de leur représentation dans les missions locales (53,27%).
La féminisation des effectifs du programme TRACE se vérifie de manière particulièrement spectaculaire dans les statistiques de certaines missions locales, comme, par exemple, à celle de Poitiers où, en 1998, 36 des 40 jeunes engagés dans le dispositif étaient des garçons, où l'écart s'est réduit en 1999 avec 59 jeunes femmes pour 81 jeunes hommes, pour s'inverser en 2000 et où, en 2001, 60 % des bénéficiaires étaient de sexe féminin. De même, l'examen des effectifs cumulés de la mission locale de Strasbourg fait apparaître une proportion de 53,6 % de femmes qui cache une forte montée en puissance : les jeunes filles étaient 37 % en 1998, 50 % en 1999, 54 % en 2000 et 60 % en 2001. On peut citer aussi, entre autres toujours, la mission locale d'Avignon où le public féminin a augmenté de 11,5 points entre 1998 et 2000 et celle du Golfe de Saint-Tropez où l'évolution a été de 14,4 points entre 1999 et 2000. A Paris, les statistiques sont conformes à la moyenne nationale : 52 % des jeunes accueillis dans le programme TRACE sont des jeunes filles.
Les tendances peuvent néanmoins s'infléchir en faveur d'un certain rééquilibrage. Ainsi, la mission locale des Mureaux, où l'effectif des jeunes filles était supérieur à 60 % en 2000, après avoir été inférieur à 50 % en 1999, a vu en 2001 la courbe s'inverser pour parvenir à une quasi parité hommes/femmes. Par ailleurs, il existe des missions locales qui conservent des effectifs masculins numériquement supérieurs pour des raisons qui leur sont plus ou moins spécifiques. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, la mission intercommunale pour l'emploi des jeunes 4-93, où le pourcentage des jeunes filles est en augmentation (32 % en 1998, 46 % en 1999) mais reste minoritaire, fait observer que lorsqu'il est fait une place importante aux problèmes de justice dans l'appréciation des difficultés d'insertion des jeunes, les garçons, davantage concernés, restent majoritaires.
Au-delà du volontarisme dont les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ont fait preuve dans l'application de la loi et des objectifs fixés par le législateur, l'augmentation du public féminin a sans doute d'autres explications, même si dans bien des cas, les écarts hommes/femmes ne sont pas assez significatifs pour en tirer des conclusions.
La féminisation traduit notamment les difficultés particulières rencontrées par les jeunes filles pour s'insérer dans l'emploi durable, explication particulièrement préoccupante qui est avancée par la DARES et sur laquelle la délégation reviendra dans la deuxième partie de son bilan .
Certaines missions locales attribuent aussi cette évolution à la reprise économique observée en 1998-2000 qui aurait davantage profité aux jeunes hommes, surtout dans les bassins d'emploi où l'offre concerne massivement les métiers traditionnellement considérés comme masculins.
Enfin, les garçons sont jugés assez prompts à renoncer ou à lâcher, à l'apparition d'une embellie sur le marché de l'emploi, un parcours d'insertion qu'ils perçoivent comme contraignant, pour un CDD ou une mission d'intérim, tandis que le public féminin se maintient davantage dans le programme TRACE. Ce maintien donne lieu à diverses interprétations de la part des missions locales : pour certaines, les jeunes filles restent par défaut dans le dispositif car les CDD et missions d'intérim leur sont plus rarement accessibles pour différentes raisons dont les caractéristiques de leurs secteurs d'activité de prédilection, les autres font valoir que les jeunes filles adhèrent plus volontiers aux propositions d'accompagnement dans la durée.
* 9 D'après les données DARES.