TABLE RONDE N° 1 :
COMMENT AMÉLIORER L'INFORMATION
STATISTIQUE
SUR LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ?
Les
propositions de REXECODE.
M. DIDIER.- L'étude qui nous a été demandée par la
commission des finances du Sénat et la délégation pour la
planification portait sur la comparaison de la situation française et de
la situation d'autres grands pays en ce qui concerne l'information statistique
sur les administrations publiques. Cette étude comportait
essentiellement deux grandes parties. La principale était la comparaison
domaine par domaine, sur l'emploi, sur le patrimoine, sur la dépense,
les recettes, des informations disponibles en France, aux Etats-Unis, en
Allemagne et au Royaume Uni. Et une deuxième partie comportait un peu
plus de propositions pour faire évoluer les choses en tenant compte bien
sûr des différences structurelles et institutionnelles qui peuvent
exister entre les pays, même si fondamentalement les besoins restent les
mêmes.
Je ne vais pas résumer la première partie car ce serait
impossible en une dizaine minutes ; elle est très analytique. Je
vais surtout me concentrer sur la deuxième, c'est-à-dire celle
qui débouche sur quelques propositions d'évolution qui, elles,
ont trait à notre pays.
Je rappellerai que, pour ce qui concerne la France, il y a eu des
progrès aux cours des vingt-trente dernières années en
matière d'information statistique sur les administrations publiques,
mais force est de constater qu'il y a aussi des points sur lesquels non
seulement il n'y a pas eu de progrès, mais peut-être même
quelques retours en arrière ou un peu de régression dans la
disponibilité de l'information.
Je n'en cite que quelques unes. Par exemple, il existait à une certaine
époque une revue périodique mensuelle qui rendait compte
très régulièrement de données sur les finances
publiques. Cette revue qui s'appelait « Statistiques et études
financières » a disparu il y a une vingtaine d'années
et il est plus difficile maintenant d'accéder à des
données régulières parce que cette revue n'existe plus.
Je citerai une anecdote. J'ai travaillé il y a quelques années
dans une université américaine dont les bibliothèques sont
généralement très bien fournies, et j'ai voulu chercher
des données sur les finances publiques françaises. J'ai donc
cherché dans tous les rayons. Plusieurs milliers de revues
étaient référencées et disponibles, en accès
libre jour et nuit comme d'habitude dans les universités
américaines. J'ai trouvé effectivement une revue sur les finances
publiques françaises qui était « Statistiques et
études financières ». L'ennui, c'est que cette revue
était interrompue depuis le début des années 1980. Depuis
cette époque, on ne trouve donc plus rien dans cette université,
ou beaucoup plus difficilement qu'avant.
D'autres exemples pourraient être donnés. On ne connaît pas
la dépense publique par mission, ou par programme d'intervention, mais
c'est un des objets de la réforme actuelle. L'information sur la
manière dont les calculs budgétaires sont effectués est
extrêmement difficile d'accès pour les instituts
indépendants hors l'administration. Il n'y a pas véritablement de
calendrier prévisionnel précis annoncé à l'avance
en matière de diffusion des informations sur les finances publiques,
soit en cours d'année soit en fin d'année (finances publiques
d'ailleurs signifiant l'Etat mais pas simplement, il y a aussi les
collectivités locales, la Sécurité sociale). En
matière de données rétrospectives sur les comptes publics,
sur l'équilibre et les données des finances publiques, une
initiative a été prise il y a un peu plus de vingt ans, par le
ministère des Finances pour donner à l'appui des documents
budgétaires des séries passées d'informations. Ce dossier
statistique sur les finances publiques passées n'a absolument pas
bougé depuis une vingtaine d'années, aucune initiative nouvelle
n'a été prise. Il ne comporte de toute façon que quelques
pages avec les grands équilibres. A titre de comparaison,
l'administration américaine annexe chaque année au projet de
budget un document de 280 pages, qui fournit une information
rétrospective large, continue et détaillée sur les
finances publiques américaines, ceci depuis 1934. Je n'insiste pas, on
sait tous que le système d'information sur les coûts et les
résultats de l'action publique est évidemment un des aspects
à la fois souhaitable pour l'avenir, mais aujourd'hui mal
renseigné et enfin naturellement il faut toujours un minimum
d'interprétation pour les données. Il faut donc une documentation
pour y accéder, les comprendre, les analyser. Cela aussi manque
aujourd'hui dans notre système d'information sur les finances publiques.
Sur ces constats qui résument très brièvement les
éléments de comparaisons internationales que l'on a pu faire, il
semble maintenant souhaitable de les faire évoluer pour l'avenir. C'est
dans ce sens qu'un certain nombre de propositions ont été
formulées dans le rapport.
Ces propositions, je les résume très brièvement pour
lancer le débat. Elles tournent autour de quelques pistes, sans
épuiser bien entendu le sujet.
Premièrement, il me semble qu'une revue mensuelle de statistiques sur
les finances publiques devrait être recréée afin de rendre
compte rapidement, régulièrement et de façon
documentée de l'évolution des données quantitatives et des
comptes de l'Etat, des collectivités locales et de la
Sécurité sociale. Cette revue devrait comporter des séries
longues, rétrospectives et des études de comparaison
internationale. La comparaison avec les autres est une référence
tout à fait essentielle, à laquelle nous devons penser. Bien
sûr, cette revue devrait être accessible sur internet, ainsi que
les séries de statistiques rétrospectives sur les comptes
nationaux. Mais là je n'évoque qu'un aspect, qui est l'aspect un
peu comptable, c'est-à-dire les résultats en termes comptables
des recettes et des dépenses publiques.
Deuxièmement, un calendrier prévisionnel de diffusion des
résultats financiers des administrations publiques tant en cours
d'année qu'en fin d'année, devrait être annoncé et
respecté.
Troisièmement, un accès permanent des instituts d'étude et
de recherche indépendants aux administrations financières devrait
être organisé et officialisé, c'est-à-dire que les
questions que les chercheurs, les instituts extérieurs à
l'administration peuvent avoir à poser, tant sur la préparation
du budget, sur le contenu du budget, sur son exécution, ces questions
doivent être reconnues comme normales par les administrations publiques.
Cela suppose, à mon sens, que cela soit organisé. Cela ne peut
pas se faire uniquement par les relations bilatérales ou personnelles
qui peuvent s'établir entre l'administration et telle ou telle personne
extérieure. Il y a d'ailleurs un exemple qui fonctionne, qui peut
sûrement être amélioré, qui est l'organisation des
relations entre le public en général et la presse. Les
administrations se sont dotées de bureaux de presse et un journalise
sait à qui s'adresser quand il a besoin d'information. Au moins, cette
relation entre l'extérieur et l'interne des administrations publiques,
est organisée.
Je ne crois pas qu'il existe la même chose pour ce qui concerne
l'accès des chercheurs ou des instituts aux administrations, notamment
aux administrations décideuses, la direction du Budget, la direction du
Trésor mais aussi celles qui détiennent de l'information, comme
la direction de la comptabilité publique dont la mission principale
n'est pas, à la différence de l'INSEE, d'être en permanence
tournée vers la diffusion d'informations vers le public.
Quatrième observation : des études d'intérêt
général sur les administrations publiques devraient être
initiées par l'administration elle même. Je dis cela mais il ne
faut pas se faire d'illusions ! Je lisais dans un des rapports, celui sur
la comparaison avec les Etats-Unis, une audition d'un ministre de
l'économie et des finances à la commission des finances du
Sénat, qui se plaignait du fait que l'université en France
devrait faire beaucoup d'études comparatives entre la France et
l'étranger sur la situation des administrations publiques. Mais il ne
suffit pas de le souhaiter. L'état des choses aujourd'hui ne le permet
pas ! Il faut un minimum d'accès et probablement aussi un minimum
d'encouragement. Une formule du type «
National Science
Foundation
», c'est-à-dire des programmes de recherche, en
confiant des projets à des instances extérieures notamment
universitaires, avec des financements -il ne faut pas se leurrer, s'il n'y en a
pas, il ne se passera pas grand-chose- serait une formule possible et
d'ailleurs assez peu coûteuse, pouvant déboucher sur un vrai
débat, des comparaisons, sur des points de vue éventuellement
différents sur le système des administrations publiques en France
et à l'étranger, sur leur coût, leur rendement, etc. Je
mentionne au passage qu'une question doit tout de même être
résolue, c'est qu'il y a un peu de difficulté à faire
coexister des études ou des recherches conduites par des organismes
privés et par des organismes publics, les organismes publics ayant
naturellement tendance à facturer leurs prestations au coût
marginal, les organismes privés ne le pouvant évidemment pas. Il
y a donc un problème d'organisation de la concurrence dans la recherche
et dans les études qui n'est pas bien réglé aujourd'hui.
Je ne sais pas s'il y a des solutions mais il faudrait en trouver si l'on
voulait encourager les études de cette nature et leur réalisation
de façon pluraliste.
Dernière point qui est le point essentiel : celui de la collecte et
de la diffusion des données. La fonction de collecte et de diffusion des
données sur les administrations publiques devrait être, à
mon sens, explicitement créée et mise en oeuvre avec une
autonomie suffisante par rapport aux tâches de gestion administrative
courante.
L'histoire de l'information économique et statistique, c'est assez
largement une certaine autonomisation progressive de l'information statistique
publique. Longtemps, l'information statistique a été un
sous-produit de la collecte de l'information de gestion de l'administration.
Progressivement, dans le domaine économique et social, l'information
pour le public a pris son autonomie.
Une étape supplémentaire devrait être franchie aujourd'hui,
dans deux domaines : d'abord le domaine comptable, sur la
comptabilité financière et la comptabilité de gestion de
l'Etat et -pourquoi pas- de l'ensemble des administrations publiques, puis sur
les données à caractère statistique, c'est-à-dire
essentiellement sur les résultats et les moyens des administrations
publiques, notamment les moyens physiques (emploi, bâtiments,
matériels).
La fonction comptable et financière est aujourd'hui bien sûr
remplie par la direction de la comptabilité publique. Sa mission
principale est tout de même d'établir les comptes de l'Etat, plus
que de réunir des données à finalité plus
statistique. Je pense qu'un certain nombre de progrès comptables sont
possibles -certains sont évoqués dans les rapports- sur la
comptabilité de l'Etat. Personnellement, je ne suis pas très
soucieux du problème de la manière de comptabiliser un certain
nombre de biens publics qui, de toute façon, sont des biens qui ne
seront pas mis sur le marché. Ce n'est donc pas le problème
fondamental que la comptabilité publique -au sens global- a à
traiter.
Le problème, c'est comment collecter une information qui améliore
la gestion de l'Etat ? En particulier, par exemple, pour ce qui concerne
le patrimoine, il y a des problèmes comptables, bien sûr, c'est
bien d'avoir un bilan de l'Etat, mais c'est surtout important de savoir comment
intégrer des informations patrimoniales au niveau des décideurs
décentralisés, dans des décisions d'optimisation de leur
gestion. C'est cela le problème essentiel et c'est par rapport à
cela que l'information doit s'organiser.
Pour ce qui concerne les statistiques, je pense que l'Institut national de la
statistique et des études économiques qui a montré une
très grande compétence dans le domaine des statistiques
d'entreprises et des ménages, a jusqu'ici moins investi dans le domaine
des statistiques sur les administrations publiques.
Il me semble aujourd'hui, vu l'importance du secteur public, vu sa
diversité, vu le fait qu'il y a plusieurs milliers d'unités
administratives, comme il y a des millions de ménages et des millions
d'entreprises, cela nécessite qu'une fonction statistique de collecte et
de diffusion de l'information sur les administrations publiques soit
autonomisée et reconnue en tant que telle, qu'un programme de collecte
et de diffusion de l'information statistique sur les administrations publiques
soit connu et que ce programme soit élaboré autant que possible
avec des partenaires hors l'administration afin de tenter de faire s'exprimer
une demande externe à l'administration.
Il y a donc là des investissements possibles, à notre
portée, mais qui naturellement nécessiteront des coûts,
cela va de soi.
Plusieurs hypothèses sont possibles quant à l'organisation de ces
fonctions statistiques et d'information publique. On peut imaginer des choses
nouvelles mais il me semble -c'est même à mon sens la seule
solution- que le mieux est de s'appuyer sur les grandes administrations qui ont
déjà à la fois une très grande expérience et
compétence en la matière, c'est-à-dire la direction de la
comptabilité publique et l'INSEE.
Je terminerai par quelques mots sur les enjeux de la réforme
budgétaire qui est en cours.
L'un des points rappelés dans le rapport qui a été
élaboré pour le Sénat par Rexecode, pour la commission des
finances et la délégation de la planification, c'est l'histoire
de la rationalisation des choix budgétaires en France (RCB) il y a une
trentaine d'années. Certaines personnes qui sont dans cette salle ont
vécu cette période. Au fond, l'inspiration de la RCB est assez
proche de la nouvelle réforme de la procédure budgétaire.
C'est un peu cela qu'on remet aujourd'hui sur le tapis, mais il faut se
rappeler que la première expérience a échoué. A mon
sens, l'une des causes de l'échec de la première
expérience de RCB a été que le système
d'information n'a pas suivi, c'est-à-dire qu'on a conçu une autre
manière de regarder la dépense publique, de mettre en rapport des
programmes, des résultats de programmes, des coûts et des moyens
engagés pour leur réalisation, mais c'est un bouleversement
complet du système d'information qu'il faut envisager à partir du
moment où l'on veut se gérer ainsi. Ce qui est une très
bonne orientation. Or, le système d'information n'a pas suivi dans les
années 1970, de sorte qu'à la fin des années 1970, il y
avait un décalage tel qu'il a fallu revenir au système ancien de
comptabilité générale avec le système que l'on
connaît encore aujourd'hui.
Ce qui n'a pas suivi non plus, c'est tout ce qui était informations
statistiques sur les résultats de l'administration publique.
Il faut faire très attention. Si la première réforme n'a
pas réussi, cela a été « demi-mal » en
ce sens qu'on a pu finalement, rien n'étant changé sur le plan
organique des finances publiques, sortir « sur la pointe des
pieds », c'est-à-dire que l'on a abandonné
progressivement un certain nombre de choses et on est revenu à la
méthode classique. La réforme budgétaire actuelle change
beaucoup de choses parce que nous serons dans un autre système organique
et si d'aventure le système d'information ne suivait pas à
l'avenir, nous nous trouverions dans une difficulté majeure car nous
aurions quand même à appliquer la réforme budgétaire
sans en avoir les moyens.
Voilà quelques unes des observations que nous avons formulées
à l'issue de notre rapport.
M. MABILLE.- Merci beaucoup. Je passe la parole à Philippe AUBERGER qui
a une contrainte de temps. Il veut nous parler de la réforme de
l'ordonnance.
L'information statistique sur les administrations publiques, condition de
succès de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier
1959 ?
M. AUBERGER.- Monsieur le Président, comme vous venez de le dire, j'ai
effectivement une contrainte de temps, ce qui va m'obliger à vous
quitter tout à l'heure parce que nous avons deux textes actuellement en
navette, dont précisément d'ailleurs le texte sur l'ordonnance de
1959.
Cela dit, je voudrais dire d'abord que même si mon propos n'est pas tout
à fait complet, on pourra se reporter avantageusement au rapport sur
l'efficacité de la dépense publique, rapport du groupe de travail
présidé par M. FABIUS, à l'époque
Président de l'Assemblée nationale, qui m'avait demandé de
faire un exposé sur les différents thèmes que je vais
aborder de façon plus elliptique ce matin.
Je pense que c'est d'autant plus intéressant, que, comme vous l'avez dit
tout à l'heure, la réforme de l'ordonnance 1959 est une
réforme actuellement « transpartisane », mais qu'on
pourrait appeler également de
« transfonctionnelle ». Un des atouts de cette
réforme est le fait que le Président de l'Assemblée
nationale, qui l'avait initiée en 1998, est devenu ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, donc n'était pas en
situation de refuser ou de laisser son administration refuser une
réforme qu'il avait lui-même initiée. C'est important et
cela le sera d'autant plus en matière d'information économique et
financière puisque l'essentiel de cette information est détenu
par un certain nombre de directions ou de services du ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie ; de ce fait, la
rétention sera sans doute plus difficile dès lors que
M. FABIUS avait avalisé en quelque sorte dans ce groupe de travail
un certain nombre d'éléments.
Je m'en tiendrai pour limiter mon propos à la partie
macro-économique et financière, c'est-à-dire
essentiellement l'économie générale et les recettes. Je
n'aborderai pas le volet des dépenses pour deux raisons : d'une
part, parce que ce volet des dépenses va être
considérablement modifié par la définition des missions et
des programmes que nous ne connaissons pas. Il est donc difficile de
l'anticiper. D'autre part, je pense qu'il y a un certain nombre d'autres
intervenants qui parleront abondamment de ce sujet. Cela risquerait donc
d'être redondant.
En ce qui concerne l'information macro-économique et financière,
le point le plus important, c'est de savoir que nos assemblées disposent
pour l'examen de la loi de finances, peut-être un peu moins pour le
contrôle de l'exécution, de beaucoup d'informations, même de
trop d'informations. Si l'on fait le poids de l'ensemble des documents qui nous
sont donnés à l'occasion de l'examen de la loi de finances, il y
en a certainement plusieurs dizaines de kilos ! Personne n'est donc en
mesure de les exploiter correctement et utilement dans leur
intégralité.
Ce n'est donc pas un problème de volume d'informations, c'est un
problème essentiellement de cohérence.
J'aurais aimé d'ailleurs que dans la réforme de l'ordonnance, on
accepte ce principe de cohérence. Cela n'a pas été
possible pour différentes raisons, mais on a quand même retenu le
principe de sincérité qui n'est pas équivalent, mais qui
va dans le même sens, c'est-à-dire un certain souci qu'il n'y ait
pas des propositions divergentes en ce qui concerne, par exemple,
l'économie générale et l'évolution des recettes.
Pour être concret, je crois qu'il faut analyser quatre points.
Le premier point important, aussi bien au moment de l'examen de la loi de
finances, c'est-à-dire à l'automne, que pendant
l'exécution de la loi de finances, c'est de pouvoir suivre l'ensemble
des hypothèses économiques et de savoir quel est leur
degré de crédibilité, de fiabilité.
Pour cela, on dispose essentiellement des hypothèses annoncées
par le ministre, c'est-à-dire celles élaborées à
Bercy, mais actuellement il faut reconnaître que nous n'avons pas
l'équivalent de ce qui existe aux Etats-Unis, c'est-à-dire le
«
joint economic comity
» qui est commun aux deux
assemblées, qui est lui très étoffé, qui
établit lui-même des modèles et des prévisions
économiques, qui a donc un rôle très critique
vis-à-vis de l'administration américaine. Nous n'avons pas du
tout cet appareil et nous manquons d'éléments pour critiquer
correctement les hypothèses qui nous sont fournies par le Gouvernement.
C'est si vrai que dans le rapport qui nous a été fourni pour le
débat d'orientation budgétaire, qui date à
l'Assemblée du début du mois de juin et au Sénat d'une
dizaine de jours, il était encore affiché une croissance
économique pour 2001 de 2,9 %, pour 2002, des prévisions
à 3 % alors que je crois savoir que l'INSEE travaille actuellement
plutôt sur une hypothèse de 2,4 % ou 2,5 % pour cette
année et que plus personne ne peut raisonnablement encore tabler sur des
chiffres aussi hauts. Mais nous n'avions pas l'appareil critique et le
rapporteur général, mon successeur à l'Assemblée
nationale, n'a exercé aucune critique sur cet
élément-là. Or, c'était quand même un
élément fondamental du débat.
Le deuxième point concerne l'estimation des recettes. Là
également, -et on l'a vu dans l'affaire de la cagnotte notamment- nous
sommes actuellement entièrement dépendants des prévisions
faites par le ministère de l'économie dans ce domaine. Aussi bien
au moment de l'élaboration de la loi de finances, notamment sur l'aspect
de la cohérence entre les hypothèses économiques et les
hypothèses en matière de recettes, qu'en ce qui concerne le cours
de l'exécution. Actuellement, par exemple, nous sommes hors
d'état de dire si, compte tenu d'une prévision à
2,4-2,5 % qui paraît plus raisonnable pour 2001, nous serons avec
des moins-values fiscales qui seront de 15 milliards comme l'affiche le
Gouvernement ou de 30 à 40 milliards comme on peut plutôt
l'escompter. Il y donc là une lacune très importante qu'il
conviendrait de combler.
Nous devrions donc avoir accès, d'une part, aux méthodes de
calcul de l'administration et d'autre part, le cas échéant,
utiliser des modèles et des hypothèses pour pouvoir faire
d'autres simulations qui donneraient d'autres résultats et qui
permettraient de discuter valablement de ce qui nous est fourni.
Troisième point : nous avons également de fortes lacunes en
ce qui concerne l'estimation d'ensemble des comptes publics. Michel DIDIER y a
déjà fait allusion. Il faut absolument obtenir une consolidation
des comptes de l'Etat, de la sécurité sociale et des
collectivités locales à la fois en exécution et surtout en
prévision.
La réforme de l'ordonnance de 1959 va amener des évolutions
substantielles puisqu'il a été décidé, par exemple,
qu'il y aurait un débat annuel sur l'évolution de l'ensemble des
prélèvements obligatoires et de leur affectation, ce qui
n'existait pas jusqu'à présent, et qui obligera à mettre
en cohérence -ce qui est très important et ce qui n'a jamais
été obtenu jusqu'à présent- les recettes qui
figurent au budget de l'Etat et les recettes qui figurent ou qui devraient
figurer dans les projets de lois de financement de la sécurité
sociale.
On ne peut pas avoir une évaluation correcte de l'ensemble des
prélèvements obligatoires si l'on ne fait pas cette
consolidation. Or, actuellement, elle n'est pas faite et l'on voit des sommes
qui se baladent d'une loi à l'autre, ou qui vont dans le FOREC, que l'on
ne retrouve ni dans l'une ni dans l'autre. On manque donc complètement
d'une vue d'ensemble. Or je rappelle que le FOREC, c'est plus de 90 milliards,
c'est appelé à aller jusqu'à 110-120 milliards de francs.
Ce ne sont donc pas des sommes négligeables et qui doivent se trouver
ainsi dans la nature.
Il y a également le problème du solde des comptes publics. C'est
évidemment un point fondamental. Il y a surtout le problème de la
coordination entre l'ensemble de ces comptes publics et les prévisions
triennales qui sont fournies à Bruxelles dans le cadre du pacte de
stabilité et de croissance. Actuellement -cela rejoint une critique
faite par Michel DIDIER- il y a une déconnexion, un découplage du
calendrier en ce qui concerne l'examen de la loi de finances et du calendrier
de la programmation triennale envoyée à Bruxelles puisque
celle-ci est envoyée soit fin décembre soit courant janvier, avec
d'ailleurs des problèmes de raccordement parce que les données
des comptes publics, vues par la comptabilité nationale et par EUROSTAT,
ne sont pas exactement similaires. En décembre ou janvier, ces
prévisions sont simplement portées à la connaissance des
commissions des deux assemblées, ne donnent pas lieu à un
débat public alors qu'après on s'y réfère,
notamment dans le débat d'orientation budgétaire.
Dans la proposition actuelle de réforme de l'ordonnance de 1959, si elle
est définitivement votée dans les jours qui viennent, il est
prévu que cette programmation triennale figure en annexe à la loi
de finances. Il devrait donc y avoir une certaine cohérence entre ces
prévisions triennales et les prévisions de la loi de finances.
Le quatrième point que je voudrais brièvement aborder, c'est le
problème de l'examen, en cours de discussion, des différents
amendements sur les dispositions fiscales. Actuellement, les assemblées
ne disposent d'aucun élément pour pouvoir correctement
évaluer l'effet tant mécanique et financier que, le cas
échéant, psychologique de ces mesures. Cela peut avoir une
incidence très importante.
Je prends un seul exemple récent : la prime pour l'emploi qui a
été votée après différents avatars au mois
de février. Pour qu'elle soit appliquée, elle supposait que les
personnes intéressées - d'après les statistiques, il y
aurait environ 10 millions de personnes intéressées, dont 7
à 8 millions ne sont pas imposables- devraient faire une
déclaration d'impôt sur le revenu pour pouvoir
bénéficier de la prime à l'emploi. Il est donc certain que
la première année, il y aura beaucoup de personnes qui,
n'étant pas imposables, n'auront pas fait leur déclaration et, de
ce fait, ne pourront pas bénéficier du « premier
tour » de la prime pour l'emploi. On nous a donc annoncé des
chiffres de 8 milliards pour la première année, de 24 milliards
à terme. Le Parlement est hors d'état de discuter de ces
chiffres. Il y a donc là une lacune. Il faut que nous puissions avoir
accès aux banques de données de Bercy pour pouvoir voir quelles
sont les méthodes utilisées, les hypothèses et discuter de
l'incidence.
Voilà, Monsieur le Président, les quelques réflexions que
je voulais faire.
Je voudrais dire que le Parlement, à l'heure actuelle, a un pouvoir
certain, celui de voter, mais si on vote différentes mesures sans
être correctement informé de l'incidence de celles-ci, la
validité de ces votes est compromise. Or l'information est largement
détenue actuellement par le pouvoir exécutif. C'est donc
véritablement un pouvoir d'information ou de rétention de
l'information et le problème que nous traitons, c'est donc un
problème de rapport entre l'exécutif et le législatif et
il faut dire que la Constitution de 1958 et l'ordonnance du 2 janvier 1959,
dans son état primitif, étaient en faveur du Gouvernement et pas
du Parlement. Dans ces conditions, les rapports de force étaient
très déséquilibrés. Donc l'information était
plus souvent retenue.
Ce que de la nouvelle mouture de l'ordonnance vise à faire, c'est de
mieux établir les pouvoirs du Parlement. Donc des progrès en
matière d'information devraient en résulter.
M. MABILLE.- Merci, Monsieur AUBERGER. On verra au cours du débat si ces
progrès viendront en leur temps.
Je passe la parole maintenant à François DELAFOSSE. La Cour des
Comptes qui vient de remettre son rapport sur l'exécution du budget
2000. C'est donc en pleine actualité qu'il va pouvoir nous faire part du
point de vue de la Cour.
Le rôle de la Cour des comptes
M. DELAFOSSE.-
Je voudrais d'abord rappeler que de la Cour n'est pas un producteur de
données, c'est un utilisateur de données, dont elle fait deux
choses : des travaux de vérification sur les comptes et un travail
de commentaire, de diffusion d'informations.
La matière première de la Cour, son matériau de base, ce
n'est pas la statistique, c'est la matière comptable, celle qui provient
pour l'essentiel des services de M. BASSERES et du réseau des
comptables publics.
Par ailleurs, la Cour travaille sur des comptes annuels, travaille
ex post
sur les comptes arrêtés. Donc,
a priori,
elle
n'intervient pas dans la période infra-annuelle.
Cependant, sa mission de contrôle et, au-delà de sa mission de
vérification de la régularité comptable,
procédurale, juridique, sa mission d'appréciation des gestions
publiques ainsi que la demande des destinataires de ces informations,
c'est-à-dire le Parlement et la demande sociale en
général, tout cela l'a conduite à se préoccuper des
systèmes d'information dans leur ensemble, au-delà des
systèmes d'information comptable
stricto sensu
, et cela l'a
conduite à prendre en compte, d'abord l'horizon pluriannuel car, pour
apprécier des politiques publiques, il faut dépasser le cadre de
l'annualité. Il n'est pas nécessaire de développer des
exemples, on pense aux programmes d'armement, aux applications et à la
mise en oeuvre de politiques d'orientation telle que celle de la
sécurité publique et de la police. Ensuite, la Cour est
également amenée à prendre en compte les périodes
infra-annuelles lorsqu'elle se préoccupe, par exemple, de la
régulation de la dépense, des modifications en cours
d'année du volume et de la répartition des crédits ou
lorsqu'elle se penche sur l'articulation entre opérations de
trésorerie et opérations budgétaires ou encore et plus
spécifiquement lorsqu'elle regarde de près ces périodes
très sensibles que sont les mois de décembre à fin
janvier, où se situent des questions d'imputation de telles ou telles
opérations, en recettes comme en dépenses, d'un exercice sur
l'autre.
C'est donc l'ensemble des systèmes d'information qui nous concerne.
Je ne prétendrai pas être exhaustif dans une intervention aussi
brève ; je laisserai donc de côté un certain nombre de
lacunes bien connues. Je me permets pour le dernier état de la question,
à nos yeux, de renvoyer au rapport déposé avant-hier, que
citait Philippe MABILLE, sur l'exécution des lois de finances 2000.
Je n'évoquerai pas la comptabilité patrimoniale ni les
problèmes de comptabilisation de la dette de l'Etat. Je me contenterai
de pointer deux séries de problèmes qui révèlent
beaucoup de défaillances : d'une part, la connaissance des
coûts et, d'autre part, la mesure de l'activité des
administrations publiques et plus encore celle de leurs résultats.
Lacune de l'information en ce qui concerne la connaissance des coûts, M.
DIDIER y a fait allusion en disant que c'était bien connu. Je voudrais
quand même revenir sur certains points parce que la question est
très actuelle compte tenu de la réforme de la loi organique.
Je pointerai deux insuffisances : celle qui concerne les
comptabilités de gestion et la comptabilité analytique et celle
qui concerne le suivi des emplois publics.
Comptabilité de gestion : si on se reporte au règlement
général sur la comptabilité publique (texte de 1962), ce
règlement prévoyait une articulation entre la comptabilité
générale de l'Etat et les comptabilités de gestion des
ministères. Quarante ans plus tard, nous constatons que ces
comptabilités de gestion des ministères, sont diverses et
généralement lacunaires. Diversité qui s'explique de
nombreuses façons, d'abord par les caractéristiques propres
à chaque ministère.
Si on prend le système d'information de l'éducation nationale, on
trouve qu'il a une forte connotation « gestion des
personnel », ce qui n'a rien d'étonnant.
Le système d'information comptable de gestion de la défense est
marqué par l'importance relative des dépenses en capital, plus
forte que dans d'autres ministères.
La diversité s'explique aussi par l'environnement de l'activité
propre à chaque ministère.
Je citerai à ce propos un exemple : la direction
générale de l'aviation civile. La mise en place d'une
comptabilité analytique s'est imposée sous une pression
extérieure, c'est-à-dire suite au constat de l'incapacité
dans laquelle se trouvait la direction générale de l'aviation
civile de justifier vis-à-vis des compagnies aériennes, le
montant des redevances pour service rendu en fonction des dépenses
réellement effectuées. Il y avait là une contrainte
exogène qui a obligé le service à monter une
comptabilité analytique.
Puis on constate que l'histoire est propre à chaque ministère. La
plus grande importance de leurs moyens a conduit à des systèmes
d'information plus ou moins développés.
Nous en arrivons donc à une situation marquée par des lacunes
notables :
- Pas d'unification des systèmes d'information comptable et
budgétaire entre les ministères. Tout cela reste un ensemble
éclaté.
- Pas d'application unique à l'intérieur même de la
sphère comptable entre le comptable qui paie, l'ordonnateur et le
contrôleur financier. Cette remarque vaut pour l'échelon central
davantage que pour les échelons déconcentrés où la
situation est meilleure.
- Pas de connexion entre les systèmes locaux et les systèmes
centraux d'information des ministères à l'exception notable de
l'Agence comptable centrale du Trésor où sont centralisées
les données de tous les postes comptables de la direction
générale de la comptabilité publique. Pour le
système des ministères, il y a nette séparation entre
niveau central et niveau déconcentré, avec circulation des
informations le plus souvent sur support papier, ce qui implique des ressaisies
fort lourdes à l'échelon local notamment.
Dernière considération : ce système privilégie
la comptabilité de caisse, en encaissement-décaissement, au
détriment de la comptabilité générale et, par voie
de conséquence, au détriment de la comptabilité de
gestion.
Bien sûr, on trouve au stade de l'autorisation budgétaire, de la
loi de finances, une clef de passage entre la comptabilité
budgétaire et la comptabilité de gestion, qui sont les fameux
codes économiques, issus du système de la comptabilité
nationale et qui permettent de passer à une présentation en
termes de comptabilité de gestion.
Seulement, il n'y a pas de suivi au niveau de l'exécution et c'est
seulement une fois par an, en fin d'année, que les opérations du
système comptabilisé selon la grille juridique de la
comptabilité budgétaire sont rebasculées suivant les codes
économiques.
En dépit de relances régulières et méritoires pour
progresser sur ce plan des comptabilités de gestion, je pense à
1981, à 1987, plus récemment à la période qui
démarre en 1995, on se trouve toujours devant un système
éclaté.
Bien sûr, le système ACCORD qui est dans une phase de
préparation active, et qui est un système interministériel
et c'est son première intérêt, devrait permettre de mettre
sur les rails un dispositif intégré de comptabilité
globale réunissant tous les aspects que j'évoquais.
C'est donc une première série de lacunes sans doute connues, mais
je souhaitais les rappeler.
Deuxième série de lacunes : carence de la
comptabilité des emplois. Là je ne développerai pas parce
que la Cour, dans les deux rapports publics particuliers qu'elle a
consacrés, pour l'instant -il y en aura d'autres- à la fonction
publique de l'Etat pointent cette carence et ce paradoxe qui veut
qu'au-delà d'autorisations budgétaires très
détaillées par ministère, par chapitre, qui donnent des
autorisations d'emplois déclinées par corps et par grade de
façon extrêmement précise, le suivi de la
comptabilité des emplois ne soit pas normalisé. Là-encore,
on a des systèmes d'information très différents suivant
les ministères. Il est frappant d'ailleurs que le règlement
général sur la comptabilité publique de 1962 ignore cette
notion d'emploi budgétaire.
Cette carence, dont nous avons analysé les conséquences, rend
bien entendu difficile, voire impossible, une gestion rationnelle et
prévisionnelle des emplois publics. En dépit d'orientations
nouvelles annoncées après notre premier rapport public
particulier sur la fonction publique, nous devons bien constater que le
mouvement est lent à se créer.
Je prends un exemple : celui de l'éducation nationale et ce que
nous en disons dans notre rapport sur la fonction publique d'avril dernier.
Dans toutes les académies contrôlées par la Cour -il s'agit
de la gestion des personnels enseignants du secondaire (480.000 personnes)- le
dénombrement exact des enseignants à une date donnée et
leur répartition en fonction de leur affectation ou de leur position
administrative se sont révélés impossibles. Il y a des
systèmes qui coexistent indépendamment les uns des autres mais la
cohérence de l'ensemble n'est pas assurée ; cela se passe de
commentaire.
Il résulte de ces séries de lacunes qu'il y a une chose
impossible aujourd'hui, c'est l'évaluation en coût complet, par
mission, des missions des administrations publiques, des missions des
administration de l'Etat.
Les priorités me paraissent donc claires. La mise en place d'un
système comptable qui permette de dégager des coûts
complets par mission et par programme s'impose parce qu'il est bien
évident que si cette évolution n'est pas
concrétisée, il sera impossible, après la réforme
organique d'apprécier les coûts si l'on en reste au système
actuel de connaissance de ces coûts.
Autre série de lacunes sur lesquelles je serai plus bref, mais
elles sont tout aussi graves, c'est lorsque l'on cherche à chiffrer
l'activité de l'administration et à évaluer les
résultats de cette activité.
La question se pose pour nous lorsque nous cherchons à
réfléchir sur l'adéquation des missions et des moyens. On
rencontre immédiatement deux séries d'incertitudes qui affectent
un tel travail :
- Incertitudes sur la force de travail réellement disponible
au-delà des emplois même physiquement connus. C'est la question du
temps de travail dans l'administration. N'oublions pas qu'il a fallu une
mission spéciale, celle confiée à mon collègue, M.
ROCHÉ, pour dresser un état des lieux qui permette de mesurer la
durée réelle du travail dans les diverses administrations, donc
d'apprécier la force de travail disponible. Cela a fait ressortir une
grande complexité des régimes et aussi des écarts
très fréquents entre la règle affichée et la
pratique constatée sur le terrain. Je renvoie aussi aux débats
sur l'absentéisme des enseignants et ce que nous en disons dans notre
dernier rapport sur la Fonction publique de l'Etat.
« L'absentéisme inférieur à quinze jours n'est
tout simplement pas recensé ». On peut polémiquer et
s'échanger des pourcentages, si l'on occulte cette donnée de
base, puisque ce sont les absences inférieures à quinze jours qui
sont les plus fréquentes, on ne peut pas apprécier de
façon sérieuse la force de travail disponible.
- Incertitude sur la charge de travail, l'activité des services. Par
exemple, le flou et l'impossibilité d'avoir des séries
statistiques suffisamment longues et fiables sur l'activité des
juridictions de l'ordre judiciaire. On sait qu'elle a tendance à
augmenter mais on constate que sur ce point le ministère de la justice
est défaillant en ce qui concerne le choix d'indicateurs pertinents.
Incertitude encore plus grande lorsque l'on prétend mesurer les
résultats. Là-encore, on ne peut que constater que les batteries
d'indicateurs qui sont indispensables dans la perspective que j'évoquais
tout à l'heure de réforme de la loi organique, sont encore, au
mieux, embryonnaires. On constate des essais intéressants concernant le
ministère de l'intérieur et l'activité de la police. Je
renvoie là également à ce qui est dit dans notre dernier
rapport sur l'exécution des lois de finances, à la
synthèse concernant le ministère de l'intérieur. Mais cela
n'est encore qu'un débat qui démarre et ces indicateurs ne sont
pas validés.
Au total, la mise en rapport de coûts calculés analytiquement et
de résultats des politiques publiques, nécessite encore des
efforts considérables dans la perspective de ce droit budgétaire
qui est en train de renouveler. Merci.
M. MABILLE.- Merci, Monsieur DELAFOSSE.
Monsieur ZIMMERN, je crois que le débat est bien lancé pour que
vous puissiez intervenir.
L'information sur la fonction publique française est-elle
satisfaisante ?
M. ZIMMERN.- Merci de me donner la parole et merci au sénateur BOURDIN
et au président LAMBERT d'avoir demandé à l'iFRAP de
participer à ce colloque. Il est en effet pour nous très
important. Vous savez que l'information statistique est pour l'iFRAP, un
instrument essentiel car nous existons depuis 1985 avec un objectif :
l'étude des dysfonctionnements des services publics.
Dans ce contexte, le rapport qui nous a été
présenté aujourd'hui notamment par Michel DIDIER, est un rapport
remarquable pour nous, à la fois par l'étendue des sujets
couverts et par leur précision.
Je me suis demandé d'ailleurs en lisant ce rapport, ce que l'iFRAP
pourrait bien apporter autour de cette table. Je vais essayer de puiser cet
apport dans l'originalité de l'iFRAP.
Quelle est cette originalité ? Je crois que nous sommes peut-être
le seul institut de recherche français à n'avoir aucun argent
public, ni sous forme de subvention, ni sous forme de donation. Nous sommes
entièrement financés par le secteur privé, ce qui nous
donne évidemment une liberté de parole que certains parfois nous
reprochent.
Cela nous amène aussi à concentrer nos faibles moyens, puisque
nous n'avons qu'une dizaine de chercheurs, à faire non pas des
études horizontales, importantes, mais des études en profondeur.
C'est donc à partir de ces études que je vais chercher, non pas
à élargir le rapport de REXECODE qui nous a été
présenté, mais à apporter un certain nombre de
témoignages ponctuels sur certains points que nous croyons fondamentaux.
Je voudrais d'abord vous parler de programmes qui, pour nous, sont très
sensibles, très importants. Il s'agit des programmes sociaux.
A l'examen tant des programmes d'aide aux chômeurs que des programmes
d'aide aux plus démunis, nous avons été
sidérés de découvrir des programmes qui
représentent des dizaines de milliards, et qui ne font l'objet d'aucun
contrôle ou d'évaluation sérieux. Aucun contrôle
d'évaluation, hors des auto-évaluations qui tournent à
l'autosatisfaction.
J'ai une équipe d'enquêteurs qui va sur le terrain voir ce qui se
passe sur ces programmes et leurs résultats nous laissent à
penser qu'une grande partie de ces programmes ne sert qu'à justifier la
bureaucratie qui vit de la distribution des aides de l'Etat.
Cela nous a conduits à nous pencher sur une nouvelle voie d'eau dans le
navire de la dépense publique. Il s'agit des subventions aux
associations.
Des chiffres publiés par le Conseil d'Etat à l'occasion de
l'anniversaire de la loi de 1901, il ressort que les subventions publiques aux
associations -hors facturation pour leurs services- représentent 130
milliards de francs. Par comparaison, les dons privés
représentent 11 % et 89 % des ressources des associations
(hors services) proviennent de l'argent public : Etat,
collectivités locales ou sécurité sociale.
Ce chiffre est extrêmement élevé par rapport à ce
que l'on trouve dans la plupart des grandes démocraties. Il s'agit, en
fait, de l'utilisation de la loi de 1901 pour contourner les règles de
la comptabilité publique et permettre de consommer l'argent public
confortablement, à l'abri de tout contrôle ou de tout regard
indiscret.
Il nous semble que pour limiter la corruption que ce système pervers
entraîne, le Parlement devrait imposer à toute association
subventionnée, au-delà d'un certain montant, d'avoir au moins la
même transparence qu'une société privée, de publier
ses comptes, l'origine de ses fonds et leurs emplois et de les déposer
au greffe.
Mais à part cette voie d'eau, je crois que le rapport de M. Michel
DIDIER et la synthèse présentée par le rapporteur de votre
commission font excellemment le tour de l'insuffisance de l'information sur les
administrations publiques.
Je voudrais alors m'attacher à un aspect complémentaire, qui est
celui de l'information non pas « sur », mais
« par » les administrations publiques, et évoquer
rapidement les désinformations résultant du monopole de
l'information statistique des administrations.
Je donnerai quelques exemples précis.
- Il y a quelques années, l'O.C.D.E. publie une étude sur la
littéracy, c'est-à-dire la capacité des enfants à
comprendre des phrases simples. Au dernier moment, la France fait retirer ces
chiffres en raison de son très mauvais classement.
- La création et le développement des entreprises sont au coeur
de l'emploi et du chômage. La démographie des entreprises et des
facteurs qui l'affectent devrait être au centre des études
statistiques. Or, il n'existe aucune publication annuelle sur la
démographie des entreprises. Il est impossible de simplement
connaître le parc d'entreprises sur une longue période.
L'entreprise reste l'un des enfants les plus pauvres de l'enquête
statistique.
Ce désintérêt pour l'entreprise est d'ailleurs
confirmé par un rapport de la plus haute autorité en
matière économique et sociale puisqu'il conseille le
Gouvernement. J'ai cité le Conseil d'analyse économique. Dans le
rapport « Plein emploi » de septembre 2000, dès
l'introduction, il est clairement expliqué que l'entreprise ne sera pas
examinée comme un facteur explicatif du chômage.
Un autre rapport sur la réduction du chômage explique que le
chômage provient de chocs, mais à aucun moment ne sont
envisagés les chocs qui depuis trente ans s'abattent sur l'entreprise et
pourraient expliquer le peu d'enthousiasme pour l'embauche.
- Enfin, je ne puis qu'être troublé de voir le même Conseil
d'analyse économique, sous la plume de son président, publier une
information scientifiquement fausse : « Les
prélèvements obligatoires, quand on ajoute les contributions
volontaires de santé et de retraite, seraient sensiblement les
mêmes en France et aux Etats-Unis. » En fait, les chiffres
montrent que l'écart est de plus de 10 % du produit
intérieur brut, soit pour la France, environ 1 000 milliards de
prélèvements en plus.
Si l'on ajoute à cela les rapports déformés sur la
situation réelle du chômage que l'iFRAP a dénoncés
à plusieurs reprises, etc., on doit conclure que l'information
statistique n'est plus neutre, mais orientée, qu'elle est devenue
peut-être un moyen de propagande.
C'est pourquoi je crois fermement, comme les auteurs du rapport du
Sénat, que l'information statistique doit cesser d'être un
monopole.
Parmi les solutions proposées par REXECODE, je pencherai donc fortement
pour des solutions qui donnent au Sénat des moyens d'enquête
propres et pour ne laisser aux administrations que la fonction de collecte de
l'information statistique, le traitement de cette information étant
l'affaire d'entreprises privées, comme cela se pratique dans la plupart
des pays avancés.
Mais j'irai plus loin ; je regardais un tableau sur le poids des
organismes privés et publics en matière d'information statistique
et constatais que le rapport des effectifs est à peu près de
l'ordre de 1 à 100. Or, la liberté en matière
d'information statistique provient de la diversité.
Il serait important d'obtenir que le ministère des finances confirme que
les textes qui permettent de donner à des associations, pour des motifs
d'intérêt général, exemptent bien les donations au
profit d'organismes faisant de la recherche économique et sociale, que
ceci appartient bien à la catégorie prévue dans le Code
qui parle de « recherche à caractère
scientifique ».
M. MABILLE.- Merci Monsieur ZIMMERN. Je crois que vous avez ouvert un certain
nombre de fronts. Merci d'avoir respecter votre temps de parole puisque cela
permettra aux représentants de l'administration de tenter d'y
répondre.
Nous allons maintenant évoquer les réponses de l'administration
sur la question de l'information.
Je ne sais pas si M. CHAMPSAUR va répondre tour de suite aux questions,
d'information, propagande, etc., mais il aura sans doute sur le rôle
public de l'information beaucoup de choses à nous dire.
Le rôle de l'INSEE et du système statistique public :
situation actuelle et perspectives d'évolution.
M. CHAMPSAUR.- Je ne vais certainement pas répondre à tout ce que
je viens d'entendre, faute de temps. Je relèverai seulement que,
notamment dans le cas de M. ZIMMERN, certains des termes employés
peuvent prêter à confusion.
En un mot, M. ZIMMERN a parlé de statistiques alors qu'en fait il
réclame la subvention des activités d'étude ; il ne
faut pas confondre.
Je parlerai non seulement du rôle de l'INSEE, mais plus largement de
celui du système statistique public.
En effet, une part très importante de l'information statistique sur les
administrations publiques est produite par les services statistiques des
ministères.
Avant d'aborder des questions précises, je voudrais faire deux remarques
de portée générale. Cela me permettra d'ailleurs de
revenir sur les histoires de monopole.
Les deux rapports du Sénat, qui sont à l'origine du colloque de
ce matin, utilisent comme référence l'exemple américain et
sont remplis de comparaisons entre la France et les USA. Compte tenu de la
qualité de l'information publiée aux USA sur les administrations
publiques, il est tout fait naturel que la situation américaine serve de
référence en la matière. Les deux rapports sont d'ailleurs
remarquablement bien documentés sur la situation américaine.
Par contre, les comparaisons entre la France et les Etats-Unis dans le domaine
de l'information proprement statistique, m'ont paru parfois moins approfondies
et peuvent conduire le lecteur non averti à des malentendus. La lecture
des deux rapports donne, en effet, l'impression que l'organisation et la gamme
des productions des systèmes américain et français sont
assez différentes. Tel n'est pas le cas.
Quand on compare les systèmes statistiques des pays de l'O.C.D.E., le
système français est très proche des systèmes
britannique et américain, en tout cas beaucoup plus que ne le sont les
systèmes des autres pays européens.
Il y a à cette situation une très bonne raison. Quand l'INSEE a
été créé dans l'immédiat après guerre
et quand le système statistique français s'est construit dans les
années qui ont suivi, la stratégie retenue a été
-et est toujours- de s'inspirer du système américain parce qu'il
est considéré comme le meilleur, notamment en matière de
statistique économique.
Ainsi, la France a fait le choix d'un système décentralisé
par domaines avec des services statistiques ministériels, comme aux USA.
La plupart des pays d'Europe continentale ont effectué d'autres choix,
optant soit pour une organisation complètement centralisée, comme
dans les petits pays d'Europe du Nord, soit pour une organisation
décentralisée sur une base géographique, comme en
Allemagne, en Suisse ou, dans une moindre mesure, en Italie.
Je suis convaincu que ce choix était et est toujours le meilleur pour
notre pays.
L'INSEE encourage autant qu'il le peut le renforcement des capacités de
statistique et d'étude des grand ministères. Cela a notamment
été le cas à l'éducation nationale avec la DEP,
devenue direction de la programmation et du développement (DPD),
à l'emploi avec la création de la direction de l'animation de la
recherche, des études et des statistiques (DARES), à
l'environnement avec l'Institut français de l'environnement (IFEN), aux
Affaires sociales avec la création récente de la direction de la
recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques
(DREES).
Dans les domaines correspondants, des progrès importants ont
été faits ou sont en cours.
Il ne faut pas oublier les services statistiques plus anciennement
établis tels que ceux de l'agriculture, de l'industrie ou de
l'équipement.
Le temps me manque pour illustrer concrètement la variété
de l'information statistique produite et diffusée par ces services.
J'invite simplement ceux d'entre vous qui s'intéresseraient par exemple
à l'éducation, à la justice ou bien aux questions
sociales, à se mettre en relation avec les services correspondants afin
de prendre connaissance de l'éventail de leurs prestations et je suis
certain que vous serez agréablement surpris.
Je ne suis donc pas favorable à l'une des propositions formulées
dans le rapport de REXECODE consistant à créer une sorte
d'agence, éventuellement au sein de l'INSEE, ayant pour mission de
rassembler, diffuser des informations concernant l'activité, en
particulier les résultats et les moyens, des diverses administrations
publiques.
Je pense en effet probable qu'une telle centralisation serait contre-productive
quant à la quantité, la qualité et la pertinence de
l'information en question. Cette information se prête très mal
à normalisation et agrégation car on ne décrit pas du tout
de la même façon l'activité de l'éducation
nationale, celle de la justice ou bien celle de la protection sociale.
Ma deuxième remarque générale porte sur la distinction
entre information statistique et autres informations. S'agissant d'information
sur les administrations publiques telle que M. DELAFOSSE la décrivait
tout à l'heure, l'objectif est de mieux connaître leur
fonctionnement et d'en apprécier la performance. L'information
proprement statistique y contribue, mais est loin de suffire et, en outre, elle
en dépend dans une large mesure.
L'écart entre une information disponible sur une administration
américaine et sur son homologue française résulte assez
peu de l'information statistique et beaucoup plus de ce que l'administration
américaine est dotée d'un système d'information de gestion
plus sophistiqué et plus proche de celui d'une entreprise, avec ce que
cela implique d'indicateurs de coût ou de performance, et ce n'est
évidemment pas sans rapport avec la réforme de l'ordonnance de
1959 et avec les modalités de gestion et de contrôle des
administrations publiques.
J'en viens maintenant à deux questions plus précises : les
finances publiques et l'emploi public. Sur les finances publiques, je ne
parlerai que de comptabilité nationale.
Le traitement des finances publiques en comptabilité nationale est
totalement déterminé par des règlements européens
très détaillés auxquels l'INSEE se conforme strictement.
Cela vaut, bien sûr, pour les concepts et les méthodes, mais aussi
pour les conditions de diffusion liées aux obligations de notification.
Toute l'information correspondante est complètement explicitée et
sa publication est soumise aux mêmes règles internationales, en
particulier de calendrier pré-annoncé, que celles qui
s'appliquent à la diffusion de tous les indicateurs économiques
importants.
Traditionnellement, cette information était essentiellement annuelle.
Les principales institutions européennes, Conseil économique et
financier (à la suite notamment d'une initiative du ministre des
finances français, sous la forme d'un mémorandum sur la
statistique de la zone euro), la Commission, la Banque centrale
européenne, ont souhaité que ce dispositif soit étendu
à la comptabilité nationale trimestrielle. Le dispositif
réglementaire correspondant est prêt et devrait être
complètement adopté d'ici la fin de l'année.
Un premier règlement couvre les principales recettes des administrations
publiques (impôts et cotisations sociales) et une partie des prestations
sociales.
Les données non corrigées des variations saisonnières
reçues par Eurostat posent de sérieux problèmes
d'interprétation et ne sont pas encore diffusées à ma
connaissance. L'INSEE produit et diffuse depuis longtemps les indicateurs
définis par ce règlement, y compris sous forme d'indicateurs
désaisonnalisés. Nous étions donc en avance sur
l'application de ce règlement.
Un deuxième règlement est en cours d'adoption. Il a pour objet
d'étendre la comptabilité trimestrielle à tous les autres
postes notamment de dépenses avec le calcul d'un solde trimestriel des
administrations publiques.
Un troisième règlement porte sur les comptes financiers des
administrations publiques et devrait être adopté d'ici la fin de
l'année.
Ces deux règlements posent des problèmes de mise en oeuvre
à beaucoup de pays. Il ne faut pas s'attendre à une diffusion
systématique de comptes trimestriels complets des administrations
publiques avant 2005.
En France, la mise en oeuvre de ces deux règlements nécessitera
un effort important. Une mission du MINEFI se met en place pour coordonner ce
travail. Je n'en dis pas plus car Jean BASSERES abordera la question.
J'en viens maintenant à l'emploi public.
L'information sur l'emploi public est souvent critiquée pour ses
délais, son manque d'homogénéité, voire de
transparence. Elle est pourtant abondante et détaillée.
L'étude réalisée par REXECODE pour le Sénat,
très critique dans d'autres domaines, délivre un jugement
nuancé en matière d'effectifs. En bref, l'information annuelle
à caractère structurel est plus riche et plus
détaillée pour la France que pour le Royaume-Uni et les USA. Par
contre, l'information synthétique infra-annuelle à
caractère conjoncturel est plus développée au Royaume-Uni
et surtout aux USA qu'en France.
Cependant, il faut reconnaître que le système d'information
français sur les agents des services publics est relativement disparate
du fait de la très grande diversité des situations juridiques et
statutaires. C'est pourquoi l'Observatoire de l'emploi public (OEP) a
accordé la priorité à l'amélioration de la
transparence, qui passe par une clarification des concepts. L'INSEE vient de
mettre au point un tableau de synthèse de l'emploi public pour l'OEP. Ce
tableau de synthèse est disponible dès maintenant et accompagnera
dorénavant les publications annuelles de l'INSEE sur l'emploi
public ; il permettra en particulier d'articuler complètement
emploi public et emploi privé et les zones frontières.
Parallèlement, l'OEP a entrepris d'expliciter de façon
détaillée le passage des effectifs budgétaires aux
effectifs réels dans la fonction publique d'Etat. Il est d'ailleurs tout
à fait normal qu'il y ait un écart puisqu'il y a des vacances de
poste. Ce travail difficile est réalisé par la direction
générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP),
avec l'aide des services gestionnaires de chaque ministère.
Au-delà, l'objectif est d'améliorer la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences dans la fonction
publique, deuxième grand axe de travail de l'OEP.
Pour conclure, il convient de revenir sur la question de délai de mise
à disposition de cette information. Le tableau de synthèse dont
j'ai parlé porte sur les effectifs de fin décembre 1998.
L'actualisation de fin décembre 1999 sera disponible à la fin de
cette année.
Pouvons-nous faire mieux ? Certainement, mais la réponse ne
dépend pas uniquement de l'INSEE, je pense notamment aux administrations
de sécurité sociale. En outre, nous serons confrontés
à un arbitrage délicat entre fraîcheur et qualité
des données. Sur les collectivités territoriales, l'INSEE
réalise une enquête en cours de rénovation. En
régime permanent, elle fournira des résultats plus rapidement
à l'automne de l'année n+1.
Sur la fonction publique d'Etat, l'INSEE exploite principalement le fichier de
paye transmis par la direction générale de la comptabilité
publique (DGCP), source très riche mais incomplète. Elle ne
couvre ni le ministère de la défense ni de nombreux
établissements publics. Si les effectifs concernés ne
représentent qu'un cinquième du champ de l'Etat, ils sont
malheureusement assez variables. L'INSEE réalise donc tous les deux ans
une enquête complémentaire extrêmement complexe à
exploiter et coûteuse en temps. En ce moment l'exercice est rendu encore
plus délicat par la professionnalisation des armées et le
développement des emplois aidés. Au total, les choix à
effectuer dépendront des besoins exprimés notamment dans le cadre
des instances de concertation, OEP et conseil national de l'information
statistique (CNIS).
M. MABILLE.- Merci, Monsieur CHAMPSAUR. Je passe maintenant la parole à
Jean BASSERES sur le rôle de la DGCP.
Le rôle de la Direction générale de la
comptabilité publique : situation actuelle et perspectives
d'évolution.
M. BASSERES.- Je suis très content d'être parmi vous aujourd'hui
puisque ce sera notamment l'occasion pour moi de vous parler d'une direction
qui n'est pas toujours très bien identifiée dans l'appareil
public et particulièrement d'une mission qui, elle, est souvent
complètement méconnue.
Je commencerai mon intervention en rappelant ce qu'est le rôle de la
Direction générale de la comptabilité publique, avant
d'évoquer quelques perspectives d'évolution, notamment au regard
de certaines suggestions faites ce matin.
Notre rôle est double. Il porte d'abord sur
l'information
budgétaire et comptable relative à l'Etat et aux
collectivités locales
. Nous avons par ailleurs un rôle
d'élaboration des comptes nationaux sur lequel je serai plus rapide
puisque Paul CHAMPSAUR en a déjà parlé.
En termes d'information budgétaire et comptable pour l'Etat d'abord,
nous éditons chaque année les résultats de fin de gestion
dans un document qui s'appelle le compte général de
l'administration des finances. Annexé à la loi de
règlement ce document a vu ses délais de production sensiblement
se réduire au cours des dernières années. Nous
confectionnons par ailleurs une série de restitutions infra-annuelles
que je mentionne rapidement puisqu'elles sont évoquées dans le
rapport que vous avez pu lire. La première d'entre elles est une
restitution hebdomadaire : la situation hebdomadaire sur
l'évolution de l'exécution budgétaire en recettes,
dépenses et en trésorerie, que l'on appelle la SH, qui est
transmise aux autorités de l'exécutif et, depuis l'an dernier,
aux commissions des finances des assemblées parlementaires.
Nous établissons également un certain nombre de situations
mensuelles dont la vocation est d'informer le grand public sur la situation des
finances de l'Etat : la situation mensuelle budgétaire, la SROT, la
SMOT, la TSOT, termes qui sont explicités dans le rapport.
Et, je n'évoquerai pas ici, faute de temps, les publications
spécifiques relatives aux délais de paiement, aux flux financiers
européens ou à la dette publique, ni les situations
particulières réalisées à l'intention des
ministères, sur leurs dépenses et leurs recettes sauf pour noter,
s'agissant des recettes et des dépenses, que ces situations mensuelles
sont adressées aux assemblées parlementaires. Au total,
l'information ne manque pas.
Bien sûr, ces publications sont perfectibles, le rapport de REXECODE y
fait allusion notamment en termes de calendrier. Nous souhaitons faire des
efforts dans les mois qui viennent. Le fait que le ministère des
finances mette sur internet désormais l'essentiel de ses publications
facilite leur prise de connaissance. Je précise, notamment pour M.
DIDIER, qu'il ne faut pas s'étonner que certaines séries en
début d'année soient un peu tardives puisqu'il faut d'abord
clôturer les comptes avant de pouvoir intégrer le résultat
de la clôture dans les séries qui suivent.
Je voudrais insister un peu plus sur un volet peu abordé jusqu'à
présent, qui est le secteur local, secteur très significatif en
termes de finances publiques. J'ai le sentiment qu'en la matière la DGCP
a fait des efforts importants et que nous offrons au final des productions
assez riches.
Nous disposons d'abord d'un suivi conjoncturel très précis :
nous sortons au 30 septembre et au 31 décembre, des analyses
conjoncturelles de la situation des collectivités locales, de
manière exhaustive pour les départements et les régions,
sur la base d'un échantillon pour les communes. Ces notes
conjoncturelles sont bien sûr publiées et mises en ligne sur le
site du MINEFI.
Nous éditons des comptes exhaustifs et définitifs en ayant comme
souci de les présenter par strate de communes, strate notamment
démographique, ce qui facilite les comparaisons. Nous publions ces
données définitives en n+1 par rapport à l'année de
référence.
A côté de ces données définitives
agrégées, nous accomplissons un travail important de mise en
ligne de données individuelles des comptes des collectivités
locales : régions, départements et communes de plus de 10
000 habitants. Chacun peut accéder aux comptes de ces
collectivités. Nous avons travaillé avec l'Association des Maires
de France qui nous a donné son accord pour que, très
prochainement, cette mise en ligne soit étendue aux communes de plus de
3 500 habitants, ce qui sera une progression forte dans l'accession directe
à ces données.
Je précise -cela répond aux demandes exprimées ce matin-
que nos bases de données sont gratuites et librement accessibles aux
chercheurs et aux universités qui travaillent
régulièrement avec nous sur l'exploitation de ces comptes. On
n'est donc pas dans une logique que j'ai cru déceler dans certaines
interventions, selon laquelle il y aurait une rétention de
l'administration, une volonté pour certains de
« propagande », mais j'imagine que le terme a
dépassé leur pensée. En tout cas nos bases de
données sont ouvertes, chacun peut les consulter et j'invite ceux qui
sont dans la salle à essayer de le faire pour qu'ils en soient
pleinement convaincus.
Second rôle de la DGCP :
les comptes nationaux
. Je serai bref
puisque Paul CHAMPSAUR en a parlé. C'est la DGCP qui élabore les
comptes des administrations publiques, c'est-à-dire des administrations
publiques centrales, Etat et organismes divers d'administration centrale,
administrations publiques locales, (collectivités locales et
établissements publics locaux non marchands), et sécurité
sociale.
Je voudrais compléter les propos de M. CHAMPSAUR par trois observations
très rapides sur ce volet.
- Premièrement pour redire que les règles appliquées par
les comptables nationaux sont des règles précises et
européennes, récemment affirmées dans un règlement
intitulé le SEC 95.
- Deuxième observation, parce qu'il y a là beaucoup d'erreurs
commises : il y a des différences de nature entre les règles
de la comptabilité de l'Etat ou des collectivités locales et les
règles de la comptabilité nationale. Ce n'est pas le même
champ, il n'y a pas de raison que les règles soient les mêmes. Ce
que nous devons faire et nous avons commencé à le faire cette
année dans les comptes de l'Etat pour 2000, c'est élaborer des
tableaux de correspondance expliquant les conditions de passage d'un solde
budgétaire à un solde comptable et à un besoin de
financement. Il est très important d'indiquer qu'il est normal que les
chiffres ne soient pas les mêmes puisque les champs décrits et les
méthodes utilisées diffèrent. Notre travail, en tant
qu'administration, c'est précisément d'expliciter les
règles de passage.
- Troisième observation, cela répond à une demande du
rapport de REXECODE : j'annonce clairement que nous allons publier, d'ici
à la fin de l'année 2001, quatre notes méthodologiques
pour préciser les conditions d'élaboration des comptes des
administrations publiques, en liaison étroite avec l'INSEE. Ces notes
seront bien entendu mises en ligne sur Internet.
Voilà rapidement notre rôle.
Quelques mots sur les perspectives d'évolution. Je voudrais insister sur
trois séries d'évolutions qui me paraissent déterminantes
pour les prochaines années.
Première série d'évolutions :
l'amélioration de la pertinence de nos restitutions budgétaires
et comptables
. C'est un point décisif et, bien sûr, un point
qui va être très directement influencé par la
réforme de l'ordonnance de 1959 qui devrait introduire deux
progrès majeurs.
Le premier, c'est de permettre d'enrichir le suivi comptable patrimonial de
l'Etat. Nous avons commencé à faire des efforts importants en
1999 et 2000, l'objectif étant qu'à l'horizon 2005 nous ayons des
comptes qui soient élaborés selon les standards de la
comptabilité dite d'exercice.
Le second progrès, qui a été abordé notamment par
M. DELAFOSSE à propos de la réforme de l'ordonnance de 1959,
c'est la mise en place d'une budgétisation orientée vers les
résultats avec détermination de programmes, d'indicateurs et
d'instruments d'analyse des résultats et des coûts. On aura
là, me semble-t-il, la réponse à beaucoup de critiques
exprimées sur le fait que la dépense publique n'est pas
analysée en termes suffisamment pertinents.
Lorsque nous aurons réalisé tous les outils techniques -
là je rejoins M. DIDIER, c'est un travail indispensable- nous
aurons un suivi de la dépense publique qui sera parfaitement comparable
à ce qui se fait de mieux à l'étranger.
Je vous affirme que le ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie est pleinement engagé dans cette démarche d'un
point de vue conceptuel mais également pratique. M. DELAFOSSE y a
fait allusion, nous avons un outil informatique en cours
d'expérimentation, qui s'appelle l'outil ACCORD. Il va permettre de
suivre la dépense au plan central selon des critères d'analyse
très enrichis, dans la perspective du développement de meilleurs
outils d'analyse des coûts.
Cet effort d'enrichissement doit être aussi étendu au secteur
local. Nous devons, d'une part, poursuivre le travail de modernisation des
comptabilités. Nous l'avons fait pour les communes, cela reste encore
à faire pour les départements et les régions. Même
si les travaux et les expériences en cours me paraissent prometteurs,
nous devons poursuivre ce travail et améliorer les restitutions
financières.
Je pense à deux sujets importants :
- Définir une approche qui fait défaut aujourd'hui de
consolidation des comptes des collectivités locales. C'est un chantier
complexe mais prioritaire pour la DGCP.
- Nous devons travailler à l'amélioration de nos restitutions
financières sur le secteur local notamment en matière de suivi
fonctionnel des dépenses publiques, en matière de communication
des données financières par typologie, ou encore de
réalisation de monographies thématiques.
Deuxième série d'évolutions : l'optimisation des
conditions de centralisation et de restitution des comptes publics
. On
n'est pas encore capable d'imaginer une consolidation des comptes publics du
point de vue comptable, mais on peut d'ores et déjà travailler
à l'enrichissement des modalités de collecte.
Je voudrais réinsister sur trois initiatives importantes.
La première initiative concerne les comptes sociaux : il s'agit de
la création d'une mission comptable relative aux organismes de
sécurité sociale qui va travailler à une centralisation
infra-annuelle des comptes de la sécurité sociale. Ce qui
constituera un gros progrès par rapport à la situation actuelle.
La DGCP jouera aux côtés des services du Ministère
chargé des affaires sociales un rôle dans cette évolution.
Deuxième initiative : nous travaillons à la DGCP à la
création d'une centrale des bilans pour les établissements
publics nationaux.
Enfin, troisième initiative : en matière de secteur local,
nous allons accélérer la centralisation des comptes
définitifs et améliorer la mise à disposition de ces
comptes au profit du plus grand nombre.
D'une manière générale, je suis favorable à ce que
l'on puisse développer -c'est un projet que nous avons- des
enquêtes de qualité auprès des destinataires de nos
restitutions comptables, pour savoir ce qu'ils en pensent, ce qui est
finalement une approche assez nouvelle.
Troisième série d'évolutions
ou plus exactement
perspective d'évolutions que Paul CHAMPSAUR a indiquée et qui
m'apparaît essentielle :
nous nous sommes engagés dans le cadre
européen dans un dispositif d'élaboration de comptes trimestriels
des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale
.
Notre objectif est d'y arriver d'ici 2005, nous y travaillons activement avec
l'INSEE et la direction de la prévision. Tout cela va nécessiter
beaucoup de travail, mais lorsque nous serons au bout, nous aurons
répondu, je crois, à une demande forte notamment exprimée
dans le rapport de REXECODE.
Donc au total, j'ai le sentiment que nous avons des projets qui devraient
répondre à une partie des préoccupations exprimées,
sans doute pas à toutes, comme l'indiquait le sénateur BOURDIN.
Je voudrais pour finir, moi aussi marquer un désaccord avec une des
propositions qui est formulée, qui est celle visant à
créer un institut, ou une agence, qui pourrait être d'ailleurs
rattaché ou pas à la DGCP pour travailler sur les comptes
publics.
Je suis réservé parce que je ne comprends pas très bien
à quoi cela sert, je n'ai pas compris la finalité de cette
création.
Par ailleurs, je crois qu'il y a un risque à séparer la
production de l'information et sa diffusion, notamment un domaine comme celui
des collectivités locales. C'est une force de gérer à la
fois les comptes des comptables et les conditions de restitution de
l'information. Séparer les deux, c'est prendre le risque d'assurer une
moins bonne coordination.
Enfin, si le reproche était celui de l'indépendance, je ne suis
pas convaincu. D'abord parce que les comptables publics ont une
indépendance garantie et que la certification à venir des comptes
de la Cour des Comptes ne pourra aller que dans ce sens. Je ne vois donc pas de
pression sur les comptables publics. A propos des comptables nationaux, ils ont
une méthodologie tellement précise et une tradition sur laquelle
Paul CHAMPSAUR est très vigilant, qu'un procès serait vraiment
une caricature complète.
Je ne vois donc pas très bien ce qu'apporterait une nouvelle structure.
Je vous le dis en termes directs, peut-être pour lancer le
débat puisqu'il est temps, je crois, d'aborder ce point de l'ordre
du jour.
M. MABILLE
.- Merci beaucoup, Jean BASSERES, pour cet exposé comme
toujours synthétique, très riche et fructueux.
Avant de passer la parole à la salle, je voudrais remercier tous les
intervenants pour la qualité des débats. Evidemment, on ne peut
pas tout aborder sur un tel sujet.
Dans les lignes de force de ce qui a été dit ce matin, on voit
bien qu'un mouvement est en marche dont on voit bien les
caractéristiques. En fait, on s'est insuffisamment interrogé sur
les raisons ; on pourra y revenir tout à l'heure, notamment avec le
Professeur FITOUSSI. Pourquoi une telle information ? Quel est
l'intérêt d'avoir une telle information sur les administrations
publiques ? Quelle sont les relations que cela peut avoir avec
l'action ?
C'est une de mes remarques concernant ce que vous dites sur les comptes
trimestriels au niveau européen : ne risque-t-on pas d'aller vers
un « court-termisme » de l'action politique par rapport au
marché, un peu comme on a pu le constater pour les entreprises aux
Etats-Unis, qui publient des comptes trimestriels et se retrouvent finalement
un peu trop sous la pression des marchés ?
Ce serait une de mes premières remarques un peu politique. Une bonne
information, ce n'est pas forcément trop d'informations et ce n'est
peut-être pas trop d'informations tout le temps. Comment
réagissez-vous à cette évolution ?
D'autres questions importantes ont également été
soulevées, qui sont la démarche de la réforme de
l'ordonnance, c'est-à-dire l'analyse par les coûts, qui doit aller
de pair avec ce que vous disiez, c'est-à-dire que le système
comptable de l'Etat doit accompagner cette tendance. Les administrations dans
leur ensemble sont en situation de responsabilité, ce sont elles qui
vont devoir
in fine
produire cet appareil statistique. J'imagine que la
pression politique, parce qu'il y a des conséquences en termes de
périmètre de l'Etat derrière tout cela, qui pourrait
s'exercer sur ces évolutions vous semble importante aussi.
M. CHAMPSAUR
.- Les raisons du mouvement en marche, il y en a
certainement beaucoup. Il y a des raisons politiques liées au
fonctionnement de notre démocratie, mais il y a une raison technique,
c'est-à-dire que les possibilités des technologies se sont
fortement accrues. Il est donc possible à moindre coût de faire
remonter une information plus riche et de meilleure qualité que ce
n'était le cas auparavant.
Tout à l'heure, M. DELAFOSSE a parlé de papier, il est clair que
derrière tout cela, il y a l'information plus ou moins
généralisée de la comptabilité, des systèmes
d'information, etc., et si l'on arrive à articuler les processus
d'informatisation, qui sont généraux et qui touchent
évidemment toutes les administrations, avec ces besoins d'information,
on peut faire beaucoup mieux maintenant qu'on ne le faisait avant. C'est un
élément, me semble-t-il, tout à fait important.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il faut que la gestion de
notre système d'information notamment statistique, soit
décentralisée.
Tout à l'heure, quelqu'un a évoqué la justice. Je pense
que le système d'information sur l'activité de la justice est en
train de s'améliorer. Il s'améliore d'ailleurs en deux
phases : une première phase qui n'est pas visible, consistant
à roder un certain nombre d'instruments en interne. Il y a une
deuxième phase nécessairement politique dans laquelle le ministre
décide un jour - je crois que c'est le cas actuellement- que l'on peut
publier régulièrement cette information qui était
auparavant interne.
Mais derrière, il y a un travail assez compliqué d'articulation
entre la fonction statistique et les systèmes d'information de gestion,
c'est-à-dire que, si au moment où l'on informatise, où
l'on dote en logiciels les diverses juridictions, on ne pense pas à la
restitution de l'information, c'est loupé.
Il est bien clair que cela ne peut pas être fait à l'INSEE.
Imaginer de donner à l'INSEE ou à une autre agence
centralisée la fonction consistant à aller améliorer le
système d'information sur la justice, est une vision irréaliste
du fonctionnement des institutions humaines. En tout cas, ce n'est pas celle
qui prévaut aux USA qui est la référence de ce matin. Aux
USA, le système d'information est décentralisé et c'est
d'abord la responsabilité de l'administration en charge d'un domaine de
fournir, d'une part, une information sur son activité et, d'autre part,
de produire l'information statistique par l'intermédiaire d'agences
spécialisées.
M. BASSERES
.- Je suis assez d'accord avec Michel DIDIER quand il dit que
le vrai problème de la comptabilité de l'Etat, ce n'est pas de
savoir comment on va valoriser des biens hors marché, comme Le Louvre.
Tout cela fait le délice de spécialistes, mais ce n'est pas un
sujet fonctionnellement intéressant.
Le sujet intéressant en termes de rénovation de la
comptabilité de l'Etat, à mon avis, c'est d'abord de savoir en
quoi elle sert à l'information publique. S'agissant par exemple de
l'évolution de la dette publique, je crois que la présenter en
droits constatés ou en encaissements-décaissements n'a pas la
même signification. La vraie signification économique et
financière, c'est bien les droits constatés qui la
délivrent.
Cela a également un intérêt pour les gestionnaires. C'est
un point très important. C'est cela qui fera que l'on réussira ou
pas la rénovation comptable. Cette fameuse comptabilité
rénovée servira à déterminer elle-même des
coûts, servira à alimenter des systèmes de
comptabilité analytique.
Je voudrais préciser de ce point de vue que je n'étais pas
là lors de la RCB, mais une des causes de son échec est sans
doute le fait que l'on avait dissocié l'analyse de la RCB de
l'allocation des moyens. La chance de la réforme de l'ordonnance de
1959, c'est que l'on mettra l'analyse des résultats et des coûts
au coeur du processus décisionnel d'allocation des moyens. Cela me
paraît un changement très important.
En contrepartie, vous avez raison, il est nécessaire que l'on
développe l'outil du système de gestion de l'information.
M. MABILLE.- M. le sénateur FREVILLE voulait intervenir.
M. FREVILLE
.- Monsieur le Président, puis-je me permettre de
donner le point de vue de l'utilisateur ? On a vu l'offre d'information
économique. En tant que parlementaire de base, je peux
représenter la demande.
Je prendrai deux exemples : celui de l'impôt sur les
sociétés où l'information n'existe pas tellement, et
l'exemple des dépenses fonctionnelles des collectivités locales.
Supposez qu'en tant que parlementaire, je souhaite connaître
l'évolution de l'impôt sur les sociétés. C'est quand
même l'impôt qui varie dans les plus grandes proportions. Comment
puis-je faire ? D'abord, l'information existe certainement sous forme de
catégories juridiques et alors je m'aperçois que si je prenais
dans les lignes des « Voies et moyens », la ligne
« Impôt sur les sociétés », je me
tromperais totalement sur le montant de cet impôt parce qu'il faut, bien
entendu, déduire des dépenses, des remboursements qui se trouvent
à un autre bout du budget et il faut, peut-être, tenir compte
également, dans une autre rubrique d'impositions de toutes natures, de
plusieurs dizaines de milliards d'impôts recouvrés par voie de
contentieux.
Voilà le premier problème auquel on est confronté :
on a une présentation juridique tout à fait inadaptée
à l'information concrète. Les chiffres donnés ainsi sont
inutilisables. Première remarque.
Deuxième remarque : supposez que je veuille maintenant
connaître, à partir des comptes de la Nation, qui paraissent
tardivement, le montant de l'impôt sur les sociétés. Il y a
quelques années, nous avions des tableaux de correspondance, que vous
décriviez tout à l'heure, dans les comptes de la Nation, qui
donnaient passage de la comptabilité publique à la
comptabilité nationale. Ces tableaux ont disparu ! On ne les
édite plus dans les comptes de la Nation ! Ils existent
certainement quelque part dans les tiroirs de l'INSEE ou de la
comptabilité publique, mais le parlementaire de base qui veut avoir
cette information très simple « quel est le montant de
l'impôt sur les sociétés ? » ne peut plus la
connaître ! Il y a donc un problème de connaissance de toutes
les méthodes de passage.
Naturellement, cela n'aura pas été amélioré par la
réforme de l'ordonnance organique parce que nous avons construit des
règles juridiques qui ne correspondent pas nécessairement
à toutes les obligations de la nomenclature européenne. Je ferme
cette parenthèse.
Il y a donc ici un manque flagrant de connaissance pour l'utilisateur de toutes
les règles qui servent à produire l'information statistique.
Je souhaiterais vivement que nous ayons des petits manuels, qui seraient
à la disposition de tout le monde, qui expliqueraient comment utiliser
cette information qui existe. Ce n'est pas rétention de l'information
parce que tout existe et quand on connaît la méthode, on arrive
à le faire, c'est mon cas, mais je comprends très bien que
quelqu'un qui voudrait utiliser cette information ne soit pas capable
aujourd'hui de le faire.
Voilà le premier exemple quand l'information existe mais n'est pas
utilisable.
Il y a aussi l'information qui n'existe pas ou qui n'existe plus.
M. BASSERES a bien expliqué toutes les améliorations
très fortes dans le secteur public local, mais si je veux
répondre à une question simple, que font aujourd'hui les
collectivités locales, fonction par fonction ?, je ne le peux pas
parce que lorsqu'on construit la M 14, on ne s'est pas posé cette
question, même si on essaye d'améliorer la situation parce que
tout le monde s'est rendu compte de la difficulté.
On a maintenant sur les collectivités locales une excellente information
sur leurs modes de gestion financière, sur leur dettes, etc., mais la
question simple de savoir combien les collectivités locales donnent pour
l'enseignement, combien elles donnent pour la culture, etc, on ne peut pas y
répondre actuellement parce qu'on n'a peut-être pas, dans la
construction de notre système comptable, pensé à demander
aux utilisateurs initialement quels étaient leurs besoins.
M. BASSERES
.- Le point de vue des utilisateurs est toujours très
important. Je remercie M. le sénateur de nous le donner.
Concernant l'analyse fonctionnelle, il est vrai que l'on publiait jusqu'en 1996
les analyses fonctionnelles des comptes des collectivités locales,
publication que l'on a interrompue depuis 1996 pour des raisons essentiellement
techniques : on a changé la nomenclature, on a eu des
problèmes techniques de centralisation et on a une difficulté
dans le secteur local car le nombre de collectivités locales n'est pas
neutre, et pose un problème technique de centralisation de l'ensemble
des comptes.
Cela dit, pour répondre directement à M. le sénateur, j'ai
bon espoir qu'à la fin de cette année, on reprenne -c'est
d'ailleurs une demande du rapport REXECODE- la publication de certaines
statistiques sur les analyses fonctionnelles. Il est vrai qu'on n'a
peut-être pas initialement assez intégré cet
élément. Je ne peux que rejoindre M. le sénateur sur ce
point.
Sur l'impôt sur les sociétés, l'essentiel a
été dit, toutes les informations existent. On est là
typiquement dans un problème de présentation avec des approches
juridiques ou économiques. Il faut que l'on puisse imaginer une nouvelle
présentation.
Pour les comptes de la Nation, je vivais avec une idée sans doute fausse
que ces tableaux de correspondance étaient toujours dans les documents.
En tout cas, ils existent, il faut qu'ils y soient.
M. MABILLE
.- Sur l'impôt sur les sociétés (IS), je
ne suis pas certain qu'il y ait beaucoup d'autres pays européens dans
lesquels on va pouvoir avoir début juillet les informations statistiques
sur l'acompte du mois de juin, qui nous donnera une première tendance du
comportement de provision des entreprises dans une période
conjoncturelle un peu difficile. Cela permettra d'avoir une évaluation,
de savoir s'il y aura ou non des moins-values fiscales importantes cette
année. Je ne sais pas s'il y a d'autres pays européens qui
donnent autant d'informations. C'est en tout cas une information
précieuse que l'on attend tous.
M. BASSERES
.- Je n'ai pas de référentiels sur l'IS. Paul
peut-être ?
M. CHAMPSAUR
.- Non, je ne suis pas capable de comparer. D'une
façon générale, l'information infra-annuelle disponible en
Europe -je raisonne sur la comptabilité nationale- n'est pas très
riche. J'y ai fait allusion tout à l'heure. C'est pourquoi le projet de
mise en place d'une comptabilité trimestrielle des finances publiques
est un projet très sérieux, qui va demander un très gros
effort à beaucoup de pays.
Pour résumer, nous ne sommes certainement pas exemplaires
vis-à-vis des pays anglo-saxons, mais nous ne sommes certainement pas en
retard vis-à-vis de l'Europe sur ces questions. Des pays comme
l'Allemagne, qui ont un système beaucoup plus décentralisé
que le nôtre, ont inévitablement de moins bonnes connaissances de
l'état de leurs finances publiques en cours d'année.
M. MABILLE
.- Justement, ne va-t-il pas y avoir des résistances
politiques sur cette information trimestrielle parce que cela peut avoir
une influence sur l'action et sur les popularités des gouvernements ?
M. CHAMPSAUR
.- Ce n'est pas simple... Tout à l'heure, vous avez
parlé du risque de « court-termisme ». En
matière de finances publiques trimestrielles, on court effectivement ce
risque parce que les données en question sont très difficiles
à traiter. On sait très bien que si les données ne sont
pas corrigées des variations saisonnières, d'un certain nombre
d'aléas, il est difficile d'en faire quelque chose.
Comme je l'ai expliqué précédemment, les données
qui se prêtent le plus facilement à des traitements de ce type
sont déjà publiées. C'est le premier règlement dont
j'ai expliqué que la France l'appliquait par anticipation parce qu'il y
a un certain nombre de recettes, comme la TVA, ou des cotisations sociales, qui
se prêtent assez bien à un suivi infra-annuel.
Il est clair qu'il y a un certain nombre de recettes qui sont très
localisées dans l'année, d'une part, et, d'autre part, un certain
nombre de dépenses qui sont très erratiques. On retrouve cela
d'ailleurs dans la comptabilité d'entreprise. A l'INSEE, on a l'habitude
depuis quelques temps de suivre les comptes trimestriels des grandes
entreprises et les comptes annuels. Il y a des postes pour lesquels cela se
raccorde bien et des postes pour lesquels cela ne se raccorde pas du
tout ! Si vous voulez prévoir ce que raconteront les comptes
consolidés d'une grande entreprise au niveau annuel, à partir de
l'information donnée par des comptes trimestriels, sur certains postes,
cela ne fonctionne pas du tout !
On aura des difficultés de ce type en matière de finances
publiques. Il y a donc effectivement un risque de
« court-termisme », c'est-à-dire qu'on donne une
information mais tellement difficile à interpréter qu'elle peut
induire des erreurs.
M. MABILLE
.- D'autres personnes demandent la parole.
M. BLIN
.- Je serais tenté de poser une question à nos
éminents interlocuteurs concernant un domaine qui paraît plus
simple, moins obscur, moins fermé que celui des comptes publics de
l'Etat. C'est le problème des sociétés
nationalisées. M. CHAMPSAUR en a dit un mot tout à l'heure.
C'est un problème, à mon avis, plus simple parce que si
l'administration obéit à des lois qui n'ont rien à voir
avec celles du marché, ces sociétés-là -je pense
par exemple, entre autres, à EDF ou à la SNCF- répondent
dans une certaine mesure à des impératifs économiques
auxquels elles doivent se soumettre.
Or, j'ai le sentiment que l'enjeu est lourd. Pour ne prendre qu'un exemple, que
tout le monde connaît, la dette de la SNCF est accablante, l'enjeu est
sensible à l'opinion moyenne. Le TGV est un instrument brillant qui
satisfait une population fière de son réseau ferroviaire, mais
combien de Français s'interrogent sur les comptes de la SNCF ?
Encore un petit exemple et ce sera le seul que je prendrai dans le domaine
politique : cela fait deux fois que je demande au ministre des transports
de bien vouloir me dire s'il est possible de connaître les comptes
particuliers du TGV. Je sais bien quels sont les problèmes qu'il
affronte, mais tout de même, voilà un train qui rapporte beaucoup,
même s'il a coûté beaucoup à mettre en route !
Il sera long à amortir, mais quelle réussite
financière ! Quel rôle joue cette réussite
financière dans les comptes actuels de la SNCF ? Je n'arrive pas
à le savoir, dans le temps même où l'on tend la main aux
collectivités locales, aux conseils régionaux pour aider à
la survie de lignes beaucoup moins intéressantes. Bref, voilà un
exemple simple, à la portée de tout le monde.
Avez-vous en ces matières des lumières satisfaisantes ou vous
heurtez-vous à des difficultés d'approche que l'on connaît
dans d'autres domaines ? Elles me paraissent plus transparentes, plus
accessibles et plus sensibles à l'opinion moyenne que ces obscures
méditations qui passent très au-dessus j'ose à peine dire
du parlementaire moyen.
M. BASSERES
.- Pour ce qui est de la direction générale de
la comptabilité publique, nos relations avec les entreprises publiques,
d'un point de vue comptable, sont assez limitées. On n'a qu'une question
à se poser, qui n'est pas simple : comment valoriser la
participation de l'Etat dans ses comptes ? C'est un sujet sur lequel la
réflexion théorique est assez importante. On a commencé
à y travailler ces dernières années.
Pour ce qui est des comptes de la SNCF, ils sont élaborés selon
les règles de l'art. Ce sont des comptes tenus selon le plan comptable
général et, sauf à dire une bêtise, certifiés.
Ce que vous évoquez sur le TGV est un problème qui montre que
l'Etat n'est pas seul confronté à cette difficulté de
disposer d'une bonne comptabilité analytique. La question que vous posez
relève de l'exploitation de la comptabilité analytique de la
SNCF ; y a-t-il dans sa comptabilité analytique de quoi isoler les
ressources et les charges liées au TGV ? Je n'ai pas la
réponse, mais ce sont les seuls commentaires techniques que je peux
faire.
M. CHAMPSAUR
.- Le problème que vous citez est très
réel notamment quand on veut ouvrir les secteurs correspondants à
la concurrence, puisque l'on doit à ce moment-là distinguer dans
les activités des entreprises celles qui sont soumises à
concurrence et les autres, et avoir une comptabilité qui permette
d'assurer un minimum d'homogénéité. Ces problèmes
ne sont pas encore complètement résolus en France.
M. MABILLE
.- Y a-t-il une question dans la salle ?
M. Alain MATHIEU
.- Je voudrais souligner deux caractéristiques de
notre pays qui font que l'information statistique sur les administrations est
très difficile.
La première, c'est que nous avons beaucoup plus de fonctionnaires que
les autres pays occidentaux, plus de 50 % de plus, le double des Anglais.
La deuxième, c'est que les syndicats de la fonction publique sont
beaucoup plus importants que dans les autres pays. M. CHAMPSAUR a signé
il y a un peu plus d'un an un rapport qui voulait faire une modification de
l'organisation du ministère des finances. Bien entendu, il n'a pas pu
être appliqué car les syndicats s'y sont opposés.
Il y a donc des enjeux considérables qui sont la défense des
privilèges des fonctionnaires, de la faible productivité, qui
font qu'il y a une opposition à la transparence dans les comptes des
administrations. Il faut souligner ce point. C'est ce qui fait qu'il sera
toujours difficile d'obtenir une véritable information sur
l'administration sauf si le monopole de l'Etat sur cette information est
supprimé, notamment si le Parlement fait ce qu'il faut pour faire
pression sur les administrations et contrôle réellement cette
information.
M. MABILLE
.- C'est un sujet déjà abordé par
M. ZIMMERN.
S'il n'y a plus de question dans la salle, nous allons pouvoir clore cette
première partie de la matinée, en remerciant tout le monde.
Je vais proposer immédiatement que les participants de la
deuxième table ronde nous rejoignent pour parler du modèle
français par rapport aux modèles étrangers en
matière d'information économique.
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* *