TABLE RONDE N° 1 :

COMMENT AMÉLIORER L'INFORMATION STATISTIQUE

SUR LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ?

Les propositions de REXECODE.

M. DIDIER.- L'étude qui nous a été demandée par la commission des finances du Sénat et la délégation pour la planification portait sur la comparaison de la situation française et de la situation d'autres grands pays en ce qui concerne l'information statistique sur les administrations publiques. Cette étude comportait essentiellement deux grandes parties. La principale était la comparaison domaine par domaine, sur l'emploi, sur le patrimoine, sur la dépense, les recettes, des informations disponibles en France, aux Etats-Unis, en Allemagne et au Royaume Uni. Et une deuxième partie comportait un peu plus de propositions pour faire évoluer les choses en tenant compte bien sûr des différences structurelles et institutionnelles qui peuvent exister entre les pays, même si fondamentalement les besoins restent les mêmes.

Je ne vais pas résumer la première partie car ce serait impossible en une dizaine minutes ; elle est très analytique. Je vais surtout me concentrer sur la deuxième, c'est-à-dire celle qui débouche sur quelques propositions d'évolution qui, elles, ont trait à notre pays.

Je rappellerai que, pour ce qui concerne la France, il y a eu des progrès aux cours des vingt-trente dernières années en matière d'information statistique sur les administrations publiques, mais force est de constater qu'il y a aussi des points sur lesquels non seulement il n'y a pas eu de progrès, mais peut-être même quelques retours en arrière ou un peu de régression dans la disponibilité de l'information.

Je n'en cite que quelques unes. Par exemple, il existait à une certaine époque une revue périodique mensuelle qui rendait compte très régulièrement de données sur les finances publiques. Cette revue qui s'appelait « Statistiques et études financières » a disparu il y a une vingtaine d'années et il est plus difficile maintenant d'accéder à des données régulières parce que cette revue n'existe plus.

Je citerai une anecdote. J'ai travaillé il y a quelques années dans une université américaine dont les bibliothèques sont généralement très bien fournies, et j'ai voulu chercher des données sur les finances publiques françaises. J'ai donc cherché dans tous les rayons. Plusieurs milliers de revues étaient référencées et disponibles, en accès libre jour et nuit comme d'habitude dans les universités américaines. J'ai trouvé effectivement une revue sur les finances publiques françaises qui était « Statistiques et études financières ». L'ennui, c'est que cette revue était interrompue depuis le début des années 1980. Depuis cette époque, on ne trouve donc plus rien dans cette université, ou beaucoup plus difficilement qu'avant.

D'autres exemples pourraient être donnés. On ne connaît pas la dépense publique par mission, ou par programme d'intervention, mais c'est un des objets de la réforme actuelle. L'information sur la manière dont les calculs budgétaires sont effectués est extrêmement difficile d'accès pour les instituts indépendants hors l'administration. Il n'y a pas véritablement de calendrier prévisionnel précis annoncé à l'avance en matière de diffusion des informations sur les finances publiques, soit en cours d'année soit en fin d'année (finances publiques d'ailleurs signifiant l'Etat mais pas simplement, il y a aussi les collectivités locales, la Sécurité sociale). En matière de données rétrospectives sur les comptes publics, sur l'équilibre et les données des finances publiques, une initiative a été prise il y a un peu plus de vingt ans, par le ministère des Finances pour donner à l'appui des documents budgétaires des séries passées d'informations. Ce dossier statistique sur les finances publiques passées n'a absolument pas bougé depuis une vingtaine d'années, aucune initiative nouvelle n'a été prise. Il ne comporte de toute façon que quelques pages avec les grands équilibres. A titre de comparaison, l'administration américaine annexe chaque année au projet de budget un document de 280 pages, qui fournit une information rétrospective large, continue et détaillée sur les finances publiques américaines, ceci depuis 1934. Je n'insiste pas, on sait tous que le système d'information sur les coûts et les résultats de l'action publique est évidemment un des aspects à la fois souhaitable pour l'avenir, mais aujourd'hui mal renseigné et enfin naturellement il faut toujours un minimum d'interprétation pour les données. Il faut donc une documentation pour y accéder, les comprendre, les analyser. Cela aussi manque aujourd'hui dans notre système d'information sur les finances publiques.

Sur ces constats qui résument très brièvement les éléments de comparaisons internationales que l'on a pu faire, il semble maintenant souhaitable de les faire évoluer pour l'avenir. C'est dans ce sens qu'un certain nombre de propositions ont été formulées dans le rapport.

Ces propositions, je les résume très brièvement pour lancer le débat. Elles tournent autour de quelques pistes, sans épuiser bien entendu le sujet.

Premièrement, il me semble qu'une revue mensuelle de statistiques sur les finances publiques devrait être recréée afin de rendre compte rapidement, régulièrement et de façon documentée de l'évolution des données quantitatives et des comptes de l'Etat, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Cette revue devrait comporter des séries longues, rétrospectives et des études de comparaison internationale. La comparaison avec les autres est une référence tout à fait essentielle, à laquelle nous devons penser. Bien sûr, cette revue devrait être accessible sur internet, ainsi que les séries de statistiques rétrospectives sur les comptes nationaux. Mais là je n'évoque qu'un aspect, qui est l'aspect un peu comptable, c'est-à-dire les résultats en termes comptables des recettes et des dépenses publiques.

Deuxièmement, un calendrier prévisionnel de diffusion des résultats financiers des administrations publiques tant en cours d'année qu'en fin d'année, devrait être annoncé et respecté.

Troisièmement, un accès permanent des instituts d'étude et de recherche indépendants aux administrations financières devrait être organisé et officialisé, c'est-à-dire que les questions que les chercheurs, les instituts extérieurs à l'administration peuvent avoir à poser, tant sur la préparation du budget, sur le contenu du budget, sur son exécution, ces questions doivent être reconnues comme normales par les administrations publiques. Cela suppose, à mon sens, que cela soit organisé. Cela ne peut pas se faire uniquement par les relations bilatérales ou personnelles qui peuvent s'établir entre l'administration et telle ou telle personne extérieure. Il y a d'ailleurs un exemple qui fonctionne, qui peut sûrement être amélioré, qui est l'organisation des relations entre le public en général et la presse. Les administrations se sont dotées de bureaux de presse et un journalise sait à qui s'adresser quand il a besoin d'information. Au moins, cette relation entre l'extérieur et l'interne des administrations publiques, est organisée.

Je ne crois pas qu'il existe la même chose pour ce qui concerne l'accès des chercheurs ou des instituts aux administrations, notamment aux administrations décideuses, la direction du Budget, la direction du Trésor mais aussi celles qui détiennent de l'information, comme la direction de la comptabilité publique dont la mission principale n'est pas, à la différence de l'INSEE, d'être en permanence tournée vers la diffusion d'informations vers le public.

Quatrième observation : des études d'intérêt général sur les administrations publiques devraient être initiées par l'administration elle même. Je dis cela mais il ne faut pas se faire d'illusions ! Je lisais dans un des rapports, celui sur la comparaison avec les Etats-Unis, une audition d'un ministre de l'économie et des finances à la commission des finances du Sénat, qui se plaignait du fait que l'université en France devrait faire beaucoup d'études comparatives entre la France et l'étranger sur la situation des administrations publiques. Mais il ne suffit pas de le souhaiter. L'état des choses aujourd'hui ne le permet pas ! Il faut un minimum d'accès et probablement aussi un minimum d'encouragement. Une formule du type « National Science Foundation », c'est-à-dire des programmes de recherche, en confiant des projets à des instances extérieures notamment universitaires, avec des financements -il ne faut pas se leurrer, s'il n'y en a pas, il ne se passera pas grand-chose- serait une formule possible et d'ailleurs assez peu coûteuse, pouvant déboucher sur un vrai débat, des comparaisons, sur des points de vue éventuellement différents sur le système des administrations publiques en France et à l'étranger, sur leur coût, leur rendement, etc. Je mentionne au passage qu'une question doit tout de même être résolue, c'est qu'il y a un peu de difficulté à faire coexister des études ou des recherches conduites par des organismes privés et par des organismes publics, les organismes publics ayant naturellement tendance à facturer leurs prestations au coût marginal, les organismes privés ne le pouvant évidemment pas. Il y a donc un problème d'organisation de la concurrence dans la recherche et dans les études qui n'est pas bien réglé aujourd'hui. Je ne sais pas s'il y a des solutions mais il faudrait en trouver si l'on voulait encourager les études de cette nature et leur réalisation de façon pluraliste.

Dernière point qui est le point essentiel : celui de la collecte et de la diffusion des données. La fonction de collecte et de diffusion des données sur les administrations publiques devrait être, à mon sens, explicitement créée et mise en oeuvre avec une autonomie suffisante par rapport aux tâches de gestion administrative courante.

L'histoire de l'information économique et statistique, c'est assez largement une certaine autonomisation progressive de l'information statistique publique. Longtemps, l'information statistique a été un sous-produit de la collecte de l'information de gestion de l'administration. Progressivement, dans le domaine économique et social, l'information pour le public a pris son autonomie.

Une étape supplémentaire devrait être franchie aujourd'hui, dans deux domaines : d'abord le domaine comptable, sur la comptabilité financière et la comptabilité de gestion de l'Etat et -pourquoi pas- de l'ensemble des administrations publiques, puis sur les données à caractère statistique, c'est-à-dire essentiellement sur les résultats et les moyens des administrations publiques, notamment les moyens physiques (emploi, bâtiments, matériels).

La fonction comptable et financière est aujourd'hui bien sûr remplie par la direction de la comptabilité publique. Sa mission principale est tout de même d'établir les comptes de l'Etat, plus que de réunir des données à finalité plus statistique. Je pense qu'un certain nombre de progrès comptables sont possibles -certains sont évoqués dans les rapports- sur la comptabilité de l'Etat. Personnellement, je ne suis pas très soucieux du problème de la manière de comptabiliser un certain nombre de biens publics qui, de toute façon, sont des biens qui ne seront pas mis sur le marché. Ce n'est donc pas le problème fondamental que la comptabilité publique -au sens global- a à traiter.

Le problème, c'est comment collecter une information qui améliore la gestion de l'Etat ? En particulier, par exemple, pour ce qui concerne le patrimoine, il y a des problèmes comptables, bien sûr, c'est bien d'avoir un bilan de l'Etat, mais c'est surtout important de savoir comment intégrer des informations patrimoniales au niveau des décideurs décentralisés, dans des décisions d'optimisation de leur gestion. C'est cela le problème essentiel et c'est par rapport à cela que l'information doit s'organiser.

Pour ce qui concerne les statistiques, je pense que l'Institut national de la statistique et des études économiques qui a montré une très grande compétence dans le domaine des statistiques d'entreprises et des ménages, a jusqu'ici moins investi dans le domaine des statistiques sur les administrations publiques.

Il me semble aujourd'hui, vu l'importance du secteur public, vu sa diversité, vu le fait qu'il y a plusieurs milliers d'unités administratives, comme il y a des millions de ménages et des millions d'entreprises, cela nécessite qu'une fonction statistique de collecte et de diffusion de l'information sur les administrations publiques soit autonomisée et reconnue en tant que telle, qu'un programme de collecte et de diffusion de l'information statistique sur les administrations publiques soit connu et que ce programme soit élaboré autant que possible avec des partenaires hors l'administration afin de tenter de faire s'exprimer une demande externe à l'administration.

Il y a donc là des investissements possibles, à notre portée, mais qui naturellement nécessiteront des coûts, cela va de soi.

Plusieurs hypothèses sont possibles quant à l'organisation de ces fonctions statistiques et d'information publique. On peut imaginer des choses nouvelles mais il me semble -c'est même à mon sens la seule solution- que le mieux est de s'appuyer sur les grandes administrations qui ont déjà à la fois une très grande expérience et compétence en la matière, c'est-à-dire la direction de la comptabilité publique et l'INSEE.

Je terminerai par quelques mots sur les enjeux de la réforme budgétaire qui est en cours.

L'un des points rappelés dans le rapport qui a été élaboré pour le Sénat par Rexecode, pour la commission des finances et la délégation de la planification, c'est l'histoire de la rationalisation des choix budgétaires en France (RCB) il y a une trentaine d'années. Certaines personnes qui sont dans cette salle ont vécu cette période. Au fond, l'inspiration de la RCB est assez proche de la nouvelle réforme de la procédure budgétaire. C'est un peu cela qu'on remet aujourd'hui sur le tapis, mais il faut se rappeler que la première expérience a échoué. A mon sens, l'une des causes de l'échec de la première expérience de RCB a été que le système d'information n'a pas suivi, c'est-à-dire qu'on a conçu une autre manière de regarder la dépense publique, de mettre en rapport des programmes, des résultats de programmes, des coûts et des moyens engagés pour leur réalisation, mais c'est un bouleversement complet du système d'information qu'il faut envisager à partir du moment où l'on veut se gérer ainsi. Ce qui est une très bonne orientation. Or, le système d'information n'a pas suivi dans les années 1970, de sorte qu'à la fin des années 1970, il y avait un décalage tel qu'il a fallu revenir au système ancien de comptabilité générale avec le système que l'on connaît encore aujourd'hui.

Ce qui n'a pas suivi non plus, c'est tout ce qui était informations statistiques sur les résultats de l'administration publique.

Il faut faire très attention. Si la première réforme n'a pas réussi, cela a été « demi-mal » en ce sens qu'on a pu finalement, rien n'étant changé sur le plan organique des finances publiques, sortir « sur la pointe des pieds », c'est-à-dire que l'on a abandonné progressivement un certain nombre de choses et on est revenu à la méthode classique. La réforme budgétaire actuelle change beaucoup de choses parce que nous serons dans un autre système organique et si d'aventure le système d'information ne suivait pas à l'avenir, nous nous trouverions dans une difficulté majeure car nous aurions quand même à appliquer la réforme budgétaire sans en avoir les moyens.

Voilà quelques unes des observations que nous avons formulées à l'issue de notre rapport.

M. MABILLE.- Merci beaucoup. Je passe la parole à Philippe AUBERGER qui a une contrainte de temps. Il veut nous parler de la réforme de l'ordonnance.

L'information statistique sur les administrations publiques, condition de succès de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ?

M. AUBERGER.- Monsieur le Président, comme vous venez de le dire, j'ai effectivement une contrainte de temps, ce qui va m'obliger à vous quitter tout à l'heure parce que nous avons deux textes actuellement en navette, dont précisément d'ailleurs le texte sur l'ordonnance de 1959.

Cela dit, je voudrais dire d'abord que même si mon propos n'est pas tout à fait complet, on pourra se reporter avantageusement au rapport sur l'efficacité de la dépense publique, rapport du groupe de travail présidé par M. FABIUS, à l'époque Président de l'Assemblée nationale, qui m'avait demandé de faire un exposé sur les différents thèmes que je vais aborder de façon plus elliptique ce matin.

Je pense que c'est d'autant plus intéressant, que, comme vous l'avez dit tout à l'heure, la réforme de l'ordonnance 1959 est une réforme actuellement « transpartisane », mais qu'on pourrait appeler également de « transfonctionnelle ». Un des atouts de cette réforme est le fait que le Président de l'Assemblée nationale, qui l'avait initiée en 1998, est devenu ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, donc n'était pas en situation de refuser ou de laisser son administration refuser une réforme qu'il avait lui-même initiée. C'est important et cela le sera d'autant plus en matière d'information économique et financière puisque l'essentiel de cette information est détenu par un certain nombre de directions ou de services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ; de ce fait, la rétention sera sans doute plus difficile dès lors que M. FABIUS avait avalisé en quelque sorte dans ce groupe de travail un certain nombre d'éléments.

Je m'en tiendrai pour limiter mon propos à la partie macro-économique et financière, c'est-à-dire essentiellement l'économie générale et les recettes. Je n'aborderai pas le volet des dépenses pour deux raisons : d'une part, parce que ce volet des dépenses va être considérablement modifié par la définition des missions et des programmes que nous ne connaissons pas. Il est donc difficile de l'anticiper. D'autre part, je pense qu'il y a un certain nombre d'autres intervenants qui parleront abondamment de ce sujet. Cela risquerait donc d'être redondant.

En ce qui concerne l'information macro-économique et financière, le point le plus important, c'est de savoir que nos assemblées disposent pour l'examen de la loi de finances, peut-être un peu moins pour le contrôle de l'exécution, de beaucoup d'informations, même de trop d'informations. Si l'on fait le poids de l'ensemble des documents qui nous sont donnés à l'occasion de l'examen de la loi de finances, il y en a certainement plusieurs dizaines de kilos ! Personne n'est donc en mesure de les exploiter correctement et utilement dans leur intégralité.

Ce n'est donc pas un problème de volume d'informations, c'est un problème essentiellement de cohérence.

J'aurais aimé d'ailleurs que dans la réforme de l'ordonnance, on accepte ce principe de cohérence. Cela n'a pas été possible pour différentes raisons, mais on a quand même retenu le principe de sincérité qui n'est pas équivalent, mais qui va dans le même sens, c'est-à-dire un certain souci qu'il n'y ait pas des propositions divergentes en ce qui concerne, par exemple, l'économie générale et l'évolution des recettes.

Pour être concret, je crois qu'il faut analyser quatre points.

Le premier point important, aussi bien au moment de l'examen de la loi de finances, c'est-à-dire à l'automne, que pendant l'exécution de la loi de finances, c'est de pouvoir suivre l'ensemble des hypothèses économiques et de savoir quel est leur degré de crédibilité, de fiabilité.

Pour cela, on dispose essentiellement des hypothèses annoncées par le ministre, c'est-à-dire celles élaborées à Bercy, mais actuellement il faut reconnaître que nous n'avons pas l'équivalent de ce qui existe aux Etats-Unis, c'est-à-dire le « joint economic comity » qui est commun aux deux assemblées, qui est lui très étoffé, qui établit lui-même des modèles et des prévisions économiques, qui a donc un rôle très critique vis-à-vis de l'administration américaine. Nous n'avons pas du tout cet appareil et nous manquons d'éléments pour critiquer correctement les hypothèses qui nous sont fournies par le Gouvernement.

C'est si vrai que dans le rapport qui nous a été fourni pour le débat d'orientation budgétaire, qui date à l'Assemblée du début du mois de juin et au Sénat d'une dizaine de jours, il était encore affiché une croissance économique pour 2001 de 2,9 %, pour 2002, des prévisions à 3 % alors que je crois savoir que l'INSEE travaille actuellement plutôt sur une hypothèse de 2,4 % ou 2,5 % pour cette année et que plus personne ne peut raisonnablement encore tabler sur des chiffres aussi hauts. Mais nous n'avions pas l'appareil critique et le rapporteur général, mon successeur à l'Assemblée nationale, n'a exercé aucune critique sur cet élément-là. Or, c'était quand même un élément fondamental du débat.

Le deuxième point concerne l'estimation des recettes. Là également, -et on l'a vu dans l'affaire de la cagnotte notamment- nous sommes actuellement entièrement dépendants des prévisions faites par le ministère de l'économie dans ce domaine. Aussi bien au moment de l'élaboration de la loi de finances, notamment sur l'aspect de la cohérence entre les hypothèses économiques et les hypothèses en matière de recettes, qu'en ce qui concerne le cours de l'exécution. Actuellement, par exemple, nous sommes hors d'état de dire si, compte tenu d'une prévision à 2,4-2,5 % qui paraît plus raisonnable pour 2001, nous serons avec des moins-values fiscales qui seront de 15 milliards comme l'affiche le Gouvernement ou de 30 à 40 milliards comme on peut plutôt l'escompter. Il y donc là une lacune très importante qu'il conviendrait de combler.

Nous devrions donc avoir accès, d'une part, aux méthodes de calcul de l'administration et d'autre part, le cas échéant, utiliser des modèles et des hypothèses pour pouvoir faire d'autres simulations qui donneraient d'autres résultats et qui permettraient de discuter valablement de ce qui nous est fourni.

Troisième point : nous avons également de fortes lacunes en ce qui concerne l'estimation d'ensemble des comptes publics. Michel DIDIER y a déjà fait allusion. Il faut absolument obtenir une consolidation des comptes de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales à la fois en exécution et surtout en prévision.

La réforme de l'ordonnance de 1959 va amener des évolutions substantielles puisqu'il a été décidé, par exemple, qu'il y aurait un débat annuel sur l'évolution de l'ensemble des prélèvements obligatoires et de leur affectation, ce qui n'existait pas jusqu'à présent, et qui obligera à mettre en cohérence -ce qui est très important et ce qui n'a jamais été obtenu jusqu'à présent- les recettes qui figurent au budget de l'Etat et les recettes qui figurent ou qui devraient figurer dans les projets de lois de financement de la sécurité sociale.

On ne peut pas avoir une évaluation correcte de l'ensemble des prélèvements obligatoires si l'on ne fait pas cette consolidation. Or, actuellement, elle n'est pas faite et l'on voit des sommes qui se baladent d'une loi à l'autre, ou qui vont dans le FOREC, que l'on ne retrouve ni dans l'une ni dans l'autre. On manque donc complètement d'une vue d'ensemble. Or je rappelle que le FOREC, c'est plus de 90 milliards, c'est appelé à aller jusqu'à 110-120 milliards de francs. Ce ne sont donc pas des sommes négligeables et qui doivent se trouver ainsi dans la nature.

Il y a également le problème du solde des comptes publics. C'est évidemment un point fondamental. Il y a surtout le problème de la coordination entre l'ensemble de ces comptes publics et les prévisions triennales qui sont fournies à Bruxelles dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Actuellement -cela rejoint une critique faite par Michel DIDIER- il y a une déconnexion, un découplage du calendrier en ce qui concerne l'examen de la loi de finances et du calendrier de la programmation triennale envoyée à Bruxelles puisque celle-ci est envoyée soit fin décembre soit courant janvier, avec d'ailleurs des problèmes de raccordement parce que les données des comptes publics, vues par la comptabilité nationale et par EUROSTAT, ne sont pas exactement similaires. En décembre ou janvier, ces prévisions sont simplement portées à la connaissance des commissions des deux assemblées, ne donnent pas lieu à un débat public alors qu'après on s'y réfère, notamment dans le débat d'orientation budgétaire.

Dans la proposition actuelle de réforme de l'ordonnance de 1959, si elle est définitivement votée dans les jours qui viennent, il est prévu que cette programmation triennale figure en annexe à la loi de finances. Il devrait donc y avoir une certaine cohérence entre ces prévisions triennales et les prévisions de la loi de finances.

Le quatrième point que je voudrais brièvement aborder, c'est le problème de l'examen, en cours de discussion, des différents amendements sur les dispositions fiscales. Actuellement, les assemblées ne disposent d'aucun élément pour pouvoir correctement évaluer l'effet tant mécanique et financier que, le cas échéant, psychologique de ces mesures. Cela peut avoir une incidence très importante.

Je prends un seul exemple récent : la prime pour l'emploi qui a été votée après différents avatars au mois de février. Pour qu'elle soit appliquée, elle supposait que les personnes intéressées - d'après les statistiques, il y aurait environ 10 millions de personnes intéressées, dont 7 à 8 millions ne sont pas imposables- devraient faire une déclaration d'impôt sur le revenu pour pouvoir bénéficier de la prime à l'emploi. Il est donc certain que la première année, il y aura beaucoup de personnes qui, n'étant pas imposables, n'auront pas fait leur déclaration et, de ce fait, ne pourront pas bénéficier du « premier tour » de la prime pour l'emploi. On nous a donc annoncé des chiffres de 8 milliards pour la première année, de 24 milliards à terme. Le Parlement est hors d'état de discuter de ces chiffres. Il y a donc là une lacune. Il faut que nous puissions avoir accès aux banques de données de Bercy pour pouvoir voir quelles sont les méthodes utilisées, les hypothèses et discuter de l'incidence.

Voilà, Monsieur le Président, les quelques réflexions que je voulais faire.

Je voudrais dire que le Parlement, à l'heure actuelle, a un pouvoir certain, celui de voter, mais si on vote différentes mesures sans être correctement informé de l'incidence de celles-ci, la validité de ces votes est compromise. Or l'information est largement détenue actuellement par le pouvoir exécutif. C'est donc véritablement un pouvoir d'information ou de rétention de l'information et le problème que nous traitons, c'est donc un problème de rapport entre l'exécutif et le législatif et il faut dire que la Constitution de 1958 et l'ordonnance du 2 janvier 1959, dans son état primitif, étaient en faveur du Gouvernement et pas du Parlement. Dans ces conditions, les rapports de force étaient très déséquilibrés. Donc l'information était plus souvent retenue.

Ce que de la nouvelle mouture de l'ordonnance vise à faire, c'est de mieux établir les pouvoirs du Parlement. Donc des progrès en matière d'information devraient en résulter.

M. MABILLE.- Merci, Monsieur AUBERGER. On verra au cours du débat si ces progrès viendront en leur temps.

Je passe la parole maintenant à François DELAFOSSE. La Cour des Comptes qui vient de remettre son rapport sur l'exécution du budget 2000. C'est donc en pleine actualité qu'il va pouvoir nous faire part du point de vue de la Cour.

Le rôle de la Cour des comptes

M. DELAFOSSE.-

Je voudrais d'abord rappeler que de la Cour n'est pas un producteur de données, c'est un utilisateur de données, dont elle fait deux choses : des travaux de vérification sur les comptes et un travail de commentaire, de diffusion d'informations.

La matière première de la Cour, son matériau de base, ce n'est pas la statistique, c'est la matière comptable, celle qui provient pour l'essentiel des services de M. BASSERES et du réseau des comptables publics.

Par ailleurs, la Cour travaille sur des comptes annuels, travaille ex post sur les comptes arrêtés. Donc, a priori, elle n'intervient pas dans la période infra-annuelle.

Cependant, sa mission de contrôle et, au-delà de sa mission de vérification de la régularité comptable, procédurale, juridique, sa mission d'appréciation des gestions publiques ainsi que la demande des destinataires de ces informations, c'est-à-dire le Parlement et la demande sociale en général, tout cela l'a conduite à se préoccuper des systèmes d'information dans leur ensemble, au-delà des systèmes d'information comptable stricto sensu , et cela l'a conduite à prendre en compte, d'abord l'horizon pluriannuel car, pour apprécier des politiques publiques, il faut dépasser le cadre de l'annualité. Il n'est pas nécessaire de développer des exemples, on pense aux programmes d'armement, aux applications et à la mise en oeuvre de politiques d'orientation telle que celle de la sécurité publique et de la police. Ensuite, la Cour est également amenée à prendre en compte les périodes infra-annuelles lorsqu'elle se préoccupe, par exemple, de la régulation de la dépense, des modifications en cours d'année du volume et de la répartition des crédits ou lorsqu'elle se penche sur l'articulation entre opérations de trésorerie et opérations budgétaires ou encore et plus spécifiquement lorsqu'elle regarde de près ces périodes très sensibles que sont les mois de décembre à fin janvier, où se situent des questions d'imputation de telles ou telles opérations, en recettes comme en dépenses, d'un exercice sur l'autre.

C'est donc l'ensemble des systèmes d'information qui nous concerne.

Je ne prétendrai pas être exhaustif dans une intervention aussi brève ; je laisserai donc de côté un certain nombre de lacunes bien connues. Je me permets pour le dernier état de la question, à nos yeux, de renvoyer au rapport déposé avant-hier, que citait Philippe MABILLE, sur l'exécution des lois de finances 2000.

Je n'évoquerai pas la comptabilité patrimoniale ni les problèmes de comptabilisation de la dette de l'Etat. Je me contenterai de pointer deux séries de problèmes qui révèlent beaucoup de défaillances : d'une part, la connaissance des coûts et, d'autre part, la mesure de l'activité des administrations publiques et plus encore celle de leurs résultats.

Lacune de l'information en ce qui concerne la connaissance des coûts, M. DIDIER y a fait allusion en disant que c'était bien connu. Je voudrais quand même revenir sur certains points parce que la question est très actuelle compte tenu de la réforme de la loi organique.

Je pointerai deux insuffisances : celle qui concerne les comptabilités de gestion et la comptabilité analytique et celle qui concerne le suivi des emplois publics.

Comptabilité de gestion : si on se reporte au règlement général sur la comptabilité publique (texte de 1962), ce règlement prévoyait une articulation entre la comptabilité générale de l'Etat et les comptabilités de gestion des ministères. Quarante ans plus tard, nous constatons que ces comptabilités de gestion des ministères, sont diverses et généralement lacunaires. Diversité qui s'explique de nombreuses façons, d'abord par les caractéristiques propres à chaque ministère.

Si on prend le système d'information de l'éducation nationale, on trouve qu'il a une forte connotation « gestion des personnel », ce qui n'a rien d'étonnant.

Le système d'information comptable de gestion de la défense est marqué par l'importance relative des dépenses en capital, plus forte que dans d'autres ministères.

La diversité s'explique aussi par l'environnement de l'activité propre à chaque ministère.

Je citerai à ce propos un exemple : la direction générale de l'aviation civile. La mise en place d'une comptabilité analytique s'est imposée sous une pression extérieure, c'est-à-dire suite au constat de l'incapacité dans laquelle se trouvait la direction générale de l'aviation civile de justifier vis-à-vis des compagnies aériennes, le montant des redevances pour service rendu en fonction des dépenses réellement effectuées. Il y avait là une contrainte exogène qui a obligé le service à monter une comptabilité analytique.

Puis on constate que l'histoire est propre à chaque ministère. La plus grande importance de leurs moyens a conduit à des systèmes d'information plus ou moins développés.

Nous en arrivons donc à une situation marquée par des lacunes notables :

- Pas d'unification des systèmes d'information comptable et budgétaire entre les ministères. Tout cela reste un ensemble éclaté.

- Pas d'application unique à l'intérieur même de la sphère comptable entre le comptable qui paie, l'ordonnateur et le contrôleur financier. Cette remarque vaut pour l'échelon central davantage que pour les échelons déconcentrés où la situation est meilleure.

- Pas de connexion entre les systèmes locaux et les systèmes centraux d'information des ministères à l'exception notable de l'Agence comptable centrale du Trésor où sont centralisées les données de tous les postes comptables de la direction générale de la comptabilité publique. Pour le système des ministères, il y a nette séparation entre niveau central et niveau déconcentré, avec circulation des informations le plus souvent sur support papier, ce qui implique des ressaisies fort lourdes à l'échelon local notamment.

Dernière considération : ce système privilégie la comptabilité de caisse, en encaissement-décaissement, au détriment de la comptabilité générale et, par voie de conséquence, au détriment de la comptabilité de gestion.

Bien sûr, on trouve au stade de l'autorisation budgétaire, de la loi de finances, une clef de passage entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité de gestion, qui sont les fameux codes économiques, issus du système de la comptabilité nationale et qui permettent de passer à une présentation en termes de comptabilité de gestion.

Seulement, il n'y a pas de suivi au niveau de l'exécution et c'est seulement une fois par an, en fin d'année, que les opérations du système comptabilisé selon la grille juridique de la comptabilité budgétaire sont rebasculées suivant les codes économiques.

En dépit de relances régulières et méritoires pour progresser sur ce plan des comptabilités de gestion, je pense à 1981, à 1987, plus récemment à la période qui démarre en 1995, on se trouve toujours devant un système éclaté.

Bien sûr, le système ACCORD qui est dans une phase de préparation active, et qui est un système interministériel et c'est son première intérêt, devrait permettre de mettre sur les rails un dispositif intégré de comptabilité globale réunissant tous les aspects que j'évoquais.

C'est donc une première série de lacunes sans doute connues, mais je souhaitais les rappeler.

Deuxième série de lacunes : carence de la comptabilité des emplois. Là je ne développerai pas parce que la Cour, dans les deux rapports publics particuliers qu'elle a consacrés, pour l'instant -il y en aura d'autres- à la fonction publique de l'Etat pointent cette carence et ce paradoxe qui veut qu'au-delà d'autorisations budgétaires très détaillées par ministère, par chapitre, qui donnent des autorisations d'emplois déclinées par corps et par grade de façon extrêmement précise, le suivi de la comptabilité des emplois ne soit pas normalisé. Là-encore, on a des systèmes d'information très différents suivant les ministères. Il est frappant d'ailleurs que le règlement général sur la comptabilité publique de 1962 ignore cette notion d'emploi budgétaire.

Cette carence, dont nous avons analysé les conséquences, rend bien entendu difficile, voire impossible, une gestion rationnelle et prévisionnelle des emplois publics. En dépit d'orientations nouvelles annoncées après notre premier rapport public particulier sur la fonction publique, nous devons bien constater que le mouvement est lent à se créer.

Je prends un exemple : celui de l'éducation nationale et ce que nous en disons dans notre rapport sur la fonction publique d'avril dernier.

Dans toutes les académies contrôlées par la Cour -il s'agit de la gestion des personnels enseignants du secondaire (480.000 personnes)- le dénombrement exact des enseignants à une date donnée et leur répartition en fonction de leur affectation ou de leur position administrative se sont révélés impossibles. Il y a des systèmes qui coexistent indépendamment les uns des autres mais la cohérence de l'ensemble n'est pas assurée ; cela se passe de commentaire.

Il résulte de ces séries de lacunes qu'il y a une chose impossible aujourd'hui, c'est l'évaluation en coût complet, par mission, des missions des administrations publiques, des missions des administration de l'Etat.

Les priorités me paraissent donc claires. La mise en place d'un système comptable qui permette de dégager des coûts complets par mission et par programme s'impose parce qu'il est bien évident que si cette évolution n'est pas concrétisée, il sera impossible, après la réforme organique d'apprécier les coûts si l'on en reste au système actuel de connaissance de ces coûts.

Autre série de lacunes sur lesquelles je serai plus bref, mais elles sont tout aussi graves, c'est lorsque l'on cherche à chiffrer l'activité de l'administration et à évaluer les résultats de cette activité.

La question se pose pour nous lorsque nous cherchons à réfléchir sur l'adéquation des missions et des moyens. On rencontre immédiatement deux séries d'incertitudes qui affectent un tel travail :

- Incertitudes sur la force de travail réellement disponible au-delà des emplois même physiquement connus. C'est la question du temps de travail dans l'administration. N'oublions pas qu'il a fallu une mission spéciale, celle confiée à mon collègue, M. ROCHÉ, pour dresser un état des lieux qui permette de mesurer la durée réelle du travail dans les diverses administrations, donc d'apprécier la force de travail disponible. Cela a fait ressortir une grande complexité des régimes et aussi des écarts très fréquents entre la règle affichée et la pratique constatée sur le terrain. Je renvoie aussi aux débats sur l'absentéisme des enseignants et ce que nous en disons dans notre dernier rapport sur la Fonction publique de l'Etat. « L'absentéisme inférieur à quinze jours n'est tout simplement pas recensé ». On peut polémiquer et s'échanger des pourcentages, si l'on occulte cette donnée de base, puisque ce sont les absences inférieures à quinze jours qui sont les plus fréquentes, on ne peut pas apprécier de façon sérieuse la force de travail disponible.

- Incertitude sur la charge de travail, l'activité des services. Par exemple, le flou et l'impossibilité d'avoir des séries statistiques suffisamment longues et fiables sur l'activité des juridictions de l'ordre judiciaire. On sait qu'elle a tendance à augmenter mais on constate que sur ce point le ministère de la justice est défaillant en ce qui concerne le choix d'indicateurs pertinents.

Incertitude encore plus grande lorsque l'on prétend mesurer les résultats. Là-encore, on ne peut que constater que les batteries d'indicateurs qui sont indispensables dans la perspective que j'évoquais tout à l'heure de réforme de la loi organique, sont encore, au mieux, embryonnaires. On constate des essais intéressants concernant le ministère de l'intérieur et l'activité de la police. Je renvoie là également à ce qui est dit dans notre dernier rapport sur l'exécution des lois de finances, à la synthèse concernant le ministère de l'intérieur. Mais cela n'est encore qu'un débat qui démarre et ces indicateurs ne sont pas validés.

Au total, la mise en rapport de coûts calculés analytiquement et de résultats des politiques publiques, nécessite encore des efforts considérables dans la perspective de ce droit budgétaire qui est en train de renouveler. Merci.

M. MABILLE.- Merci, Monsieur DELAFOSSE.

Monsieur ZIMMERN, je crois que le débat est bien lancé pour que vous puissiez intervenir.

L'information sur la fonction publique française est-elle satisfaisante ?

M. ZIMMERN.- Merci de me donner la parole et merci au sénateur BOURDIN et au président LAMBERT d'avoir demandé à l'iFRAP de participer à ce colloque. Il est en effet pour nous très important. Vous savez que l'information statistique est pour l'iFRAP, un instrument essentiel car nous existons depuis 1985 avec un objectif : l'étude des dysfonctionnements des services publics.

Dans ce contexte, le rapport qui nous a été présenté aujourd'hui notamment par Michel DIDIER, est un rapport remarquable pour nous, à la fois par l'étendue des sujets couverts et par leur précision.

Je me suis demandé d'ailleurs en lisant ce rapport, ce que l'iFRAP pourrait bien apporter autour de cette table. Je vais essayer de puiser cet apport dans l'originalité de l'iFRAP.

Quelle est cette originalité ? Je crois que nous sommes peut-être le seul institut de recherche français à n'avoir aucun argent public, ni sous forme de subvention, ni sous forme de donation. Nous sommes entièrement financés par le secteur privé, ce qui nous donne évidemment une liberté de parole que certains parfois nous reprochent.

Cela nous amène aussi à concentrer nos faibles moyens, puisque nous n'avons qu'une dizaine de chercheurs, à faire non pas des études horizontales, importantes, mais des études en profondeur.

C'est donc à partir de ces études que je vais chercher, non pas à élargir le rapport de REXECODE qui nous a été présenté, mais à apporter un certain nombre de témoignages ponctuels sur certains points que nous croyons fondamentaux.

Je voudrais d'abord vous parler de programmes qui, pour nous, sont très sensibles, très importants. Il s'agit des programmes sociaux.

A l'examen tant des programmes d'aide aux chômeurs que des programmes d'aide aux plus démunis, nous avons été sidérés de découvrir des programmes qui représentent des dizaines de milliards, et qui ne font l'objet d'aucun contrôle ou d'évaluation sérieux. Aucun contrôle d'évaluation, hors des auto-évaluations qui tournent à l'autosatisfaction.

J'ai une équipe d'enquêteurs qui va sur le terrain voir ce qui se passe sur ces programmes et leurs résultats nous laissent à penser qu'une grande partie de ces programmes ne sert qu'à justifier la bureaucratie qui vit de la distribution des aides de l'Etat.

Cela nous a conduits à nous pencher sur une nouvelle voie d'eau dans le navire de la dépense publique. Il s'agit des subventions aux associations.

Des chiffres publiés par le Conseil d'Etat à l'occasion de l'anniversaire de la loi de 1901, il ressort que les subventions publiques aux associations -hors facturation pour leurs services- représentent 130 milliards de francs. Par comparaison, les dons privés représentent 11 % et 89 % des ressources des associations (hors services) proviennent de l'argent public : Etat, collectivités locales ou sécurité sociale.

Ce chiffre est extrêmement élevé par rapport à ce que l'on trouve dans la plupart des grandes démocraties. Il s'agit, en fait, de l'utilisation de la loi de 1901 pour contourner les règles de la comptabilité publique et permettre de consommer l'argent public confortablement, à l'abri de tout contrôle ou de tout regard indiscret.

Il nous semble que pour limiter la corruption que ce système pervers entraîne, le Parlement devrait imposer à toute association subventionnée, au-delà d'un certain montant, d'avoir au moins la même transparence qu'une société privée, de publier ses comptes, l'origine de ses fonds et leurs emplois et de les déposer au greffe.

Mais à part cette voie d'eau, je crois que le rapport de M. Michel DIDIER et la synthèse présentée par le rapporteur de votre commission font excellemment le tour de l'insuffisance de l'information sur les administrations publiques.

Je voudrais alors m'attacher à un aspect complémentaire, qui est celui de l'information non pas « sur », mais « par » les administrations publiques, et évoquer rapidement les désinformations résultant du monopole de l'information statistique des administrations.

Je donnerai quelques exemples précis.

- Il y a quelques années, l'O.C.D.E. publie une étude sur la littéracy, c'est-à-dire la capacité des enfants à comprendre des phrases simples. Au dernier moment, la France fait retirer ces chiffres en raison de son très mauvais classement.

- La création et le développement des entreprises sont au coeur de l'emploi et du chômage. La démographie des entreprises et des facteurs qui l'affectent devrait être au centre des études statistiques. Or, il n'existe aucune publication annuelle sur la démographie des entreprises. Il est impossible de simplement connaître le parc d'entreprises sur une longue période.

L'entreprise reste l'un des enfants les plus pauvres de l'enquête statistique.

Ce désintérêt pour l'entreprise est d'ailleurs confirmé par un rapport de la plus haute autorité en matière économique et sociale puisqu'il conseille le Gouvernement. J'ai cité le Conseil d'analyse économique. Dans le rapport « Plein emploi » de septembre 2000, dès l'introduction, il est clairement expliqué que l'entreprise ne sera pas examinée comme un facteur explicatif du chômage.

Un autre rapport sur la réduction du chômage explique que le chômage provient de chocs, mais à aucun moment ne sont envisagés les chocs qui depuis trente ans s'abattent sur l'entreprise et pourraient expliquer le peu d'enthousiasme pour l'embauche.

- Enfin, je ne puis qu'être troublé de voir le même Conseil d'analyse économique, sous la plume de son président, publier une information scientifiquement fausse : « Les prélèvements obligatoires, quand on ajoute les contributions volontaires de santé et de retraite, seraient sensiblement les mêmes en France et aux Etats-Unis. » En fait, les chiffres montrent que l'écart est de plus de 10 % du produit intérieur brut, soit pour la France, environ 1 000 milliards de prélèvements en plus.

Si l'on ajoute à cela les rapports déformés sur la situation réelle du chômage que l'iFRAP a dénoncés à plusieurs reprises, etc., on doit conclure que l'information statistique n'est plus neutre, mais orientée, qu'elle est devenue peut-être un moyen de propagande.

C'est pourquoi je crois fermement, comme les auteurs du rapport du Sénat, que l'information statistique doit cesser d'être un monopole.

Parmi les solutions proposées par REXECODE, je pencherai donc fortement pour des solutions qui donnent au Sénat des moyens d'enquête propres et pour ne laisser aux administrations que la fonction de collecte de l'information statistique, le traitement de cette information étant l'affaire d'entreprises privées, comme cela se pratique dans la plupart des pays avancés.

Mais j'irai plus loin ; je regardais un tableau sur le poids des organismes privés et publics en matière d'information statistique et constatais que le rapport des effectifs est à peu près de l'ordre de 1 à 100. Or, la liberté en matière d'information statistique provient de la diversité.

Il serait important d'obtenir que le ministère des finances confirme que les textes qui permettent de donner à des associations, pour des motifs d'intérêt général, exemptent bien les donations au profit d'organismes faisant de la recherche économique et sociale, que ceci appartient bien à la catégorie prévue dans le Code qui parle de « recherche à caractère scientifique ».

M. MABILLE.- Merci Monsieur ZIMMERN. Je crois que vous avez ouvert un certain nombre de fronts. Merci d'avoir respecter votre temps de parole puisque cela permettra aux représentants de l'administration de tenter d'y répondre.

Nous allons maintenant évoquer les réponses de l'administration sur la question de l'information.

Je ne sais pas si M. CHAMPSAUR va répondre tour de suite aux questions, d'information, propagande, etc., mais il aura sans doute sur le rôle public de l'information beaucoup de choses à nous dire.

Le rôle de l'INSEE et du système statistique public : situation actuelle et perspectives d'évolution.

M. CHAMPSAUR.- Je ne vais certainement pas répondre à tout ce que je viens d'entendre, faute de temps. Je relèverai seulement que, notamment dans le cas de M. ZIMMERN, certains des termes employés peuvent prêter à confusion.

En un mot, M. ZIMMERN a parlé de statistiques alors qu'en fait il réclame la subvention des activités d'étude ; il ne faut pas confondre.

Je parlerai non seulement du rôle de l'INSEE, mais plus largement de celui du système statistique public.

En effet, une part très importante de l'information statistique sur les administrations publiques est produite par les services statistiques des ministères.

Avant d'aborder des questions précises, je voudrais faire deux remarques de portée générale. Cela me permettra d'ailleurs de revenir sur les histoires de monopole.

Les deux rapports du Sénat, qui sont à l'origine du colloque de ce matin, utilisent comme référence l'exemple américain et sont remplis de comparaisons entre la France et les USA. Compte tenu de la qualité de l'information publiée aux USA sur les administrations publiques, il est tout fait naturel que la situation américaine serve de référence en la matière. Les deux rapports sont d'ailleurs remarquablement bien documentés sur la situation américaine.

Par contre, les comparaisons entre la France et les Etats-Unis dans le domaine de l'information proprement statistique, m'ont paru parfois moins approfondies et peuvent conduire le lecteur non averti à des malentendus. La lecture des deux rapports donne, en effet, l'impression que l'organisation et la gamme des productions des systèmes américain et français sont assez différentes. Tel n'est pas le cas.

Quand on compare les systèmes statistiques des pays de l'O.C.D.E., le système français est très proche des systèmes britannique et américain, en tout cas beaucoup plus que ne le sont les systèmes des autres pays européens.

Il y a à cette situation une très bonne raison. Quand l'INSEE a été créé dans l'immédiat après guerre et quand le système statistique français s'est construit dans les années qui ont suivi, la stratégie retenue a été -et est toujours- de s'inspirer du système américain parce qu'il est considéré comme le meilleur, notamment en matière de statistique économique.

Ainsi, la France a fait le choix d'un système décentralisé par domaines avec des services statistiques ministériels, comme aux USA. La plupart des pays d'Europe continentale ont effectué d'autres choix, optant soit pour une organisation complètement centralisée, comme dans les petits pays d'Europe du Nord, soit pour une organisation décentralisée sur une base géographique, comme en Allemagne, en Suisse ou, dans une moindre mesure, en Italie.

Je suis convaincu que ce choix était et est toujours le meilleur pour notre pays.

L'INSEE encourage autant qu'il le peut le renforcement des capacités de statistique et d'étude des grand ministères. Cela a notamment été le cas à l'éducation nationale avec la DEP, devenue direction de la programmation et du développement (DPD), à l'emploi avec la création de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), à l'environnement avec l'Institut français de l'environnement (IFEN), aux Affaires sociales avec la création récente de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES).

Dans les domaines correspondants, des progrès importants ont été faits ou sont en cours.

Il ne faut pas oublier les services statistiques plus anciennement établis tels que ceux de l'agriculture, de l'industrie ou de l'équipement.

Le temps me manque pour illustrer concrètement la variété de l'information statistique produite et diffusée par ces services. J'invite simplement ceux d'entre vous qui s'intéresseraient par exemple à l'éducation, à la justice ou bien aux questions sociales, à se mettre en relation avec les services correspondants afin de prendre connaissance de l'éventail de leurs prestations et je suis certain que vous serez agréablement surpris.

Je ne suis donc pas favorable à l'une des propositions formulées dans le rapport de REXECODE consistant à créer une sorte d'agence, éventuellement au sein de l'INSEE, ayant pour mission de rassembler, diffuser des informations concernant l'activité, en particulier les résultats et les moyens, des diverses administrations publiques.

Je pense en effet probable qu'une telle centralisation serait contre-productive quant à la quantité, la qualité et la pertinence de l'information en question. Cette information se prête très mal à normalisation et agrégation car on ne décrit pas du tout de la même façon l'activité de l'éducation nationale, celle de la justice ou bien celle de la protection sociale.

Ma deuxième remarque générale porte sur la distinction entre information statistique et autres informations. S'agissant d'information sur les administrations publiques telle que M. DELAFOSSE la décrivait tout à l'heure, l'objectif est de mieux connaître leur fonctionnement et d'en apprécier la performance. L'information proprement statistique y contribue, mais est loin de suffire et, en outre, elle en dépend dans une large mesure.

L'écart entre une information disponible sur une administration américaine et sur son homologue française résulte assez peu de l'information statistique et beaucoup plus de ce que l'administration américaine est dotée d'un système d'information de gestion plus sophistiqué et plus proche de celui d'une entreprise, avec ce que cela implique d'indicateurs de coût ou de performance, et ce n'est évidemment pas sans rapport avec la réforme de l'ordonnance de 1959 et avec les modalités de gestion et de contrôle des administrations publiques.

J'en viens maintenant à deux questions plus précises : les finances publiques et l'emploi public. Sur les finances publiques, je ne parlerai que de comptabilité nationale.

Le traitement des finances publiques en comptabilité nationale est totalement déterminé par des règlements européens très détaillés auxquels l'INSEE se conforme strictement. Cela vaut, bien sûr, pour les concepts et les méthodes, mais aussi pour les conditions de diffusion liées aux obligations de notification. Toute l'information correspondante est complètement explicitée et sa publication est soumise aux mêmes règles internationales, en particulier de calendrier pré-annoncé, que celles qui s'appliquent à la diffusion de tous les indicateurs économiques importants.

Traditionnellement, cette information était essentiellement annuelle.

Les principales institutions européennes, Conseil économique et financier (à la suite notamment d'une initiative du ministre des finances français, sous la forme d'un mémorandum sur la statistique de la zone euro), la Commission, la Banque centrale européenne, ont souhaité que ce dispositif soit étendu à la comptabilité nationale trimestrielle. Le dispositif réglementaire correspondant est prêt et devrait être complètement adopté d'ici la fin de l'année.

Un premier règlement couvre les principales recettes des administrations publiques (impôts et cotisations sociales) et une partie des prestations sociales.

Les données non corrigées des variations saisonnières reçues par Eurostat posent de sérieux problèmes d'interprétation et ne sont pas encore diffusées à ma connaissance. L'INSEE produit et diffuse depuis longtemps les indicateurs définis par ce règlement, y compris sous forme d'indicateurs désaisonnalisés. Nous étions donc en avance sur l'application de ce règlement.

Un deuxième règlement est en cours d'adoption. Il a pour objet d'étendre la comptabilité trimestrielle à tous les autres postes notamment de dépenses avec le calcul d'un solde trimestriel des administrations publiques.

Un troisième règlement porte sur les comptes financiers des administrations publiques et devrait être adopté d'ici la fin de l'année.

Ces deux règlements posent des problèmes de mise en oeuvre à beaucoup de pays. Il ne faut pas s'attendre à une diffusion systématique de comptes trimestriels complets des administrations publiques avant 2005.

En France, la mise en oeuvre de ces deux règlements nécessitera un effort important. Une mission du MINEFI se met en place pour coordonner ce travail. Je n'en dis pas plus car Jean BASSERES abordera la question.

J'en viens maintenant à l'emploi public.

L'information sur l'emploi public est souvent critiquée pour ses délais, son manque d'homogénéité, voire de transparence. Elle est pourtant abondante et détaillée. L'étude réalisée par REXECODE pour le Sénat, très critique dans d'autres domaines, délivre un jugement nuancé en matière d'effectifs. En bref, l'information annuelle à caractère structurel est plus riche et plus détaillée pour la France que pour le Royaume-Uni et les USA. Par contre, l'information synthétique infra-annuelle à caractère conjoncturel est plus développée au Royaume-Uni et surtout aux USA qu'en France.

Cependant, il faut reconnaître que le système d'information français sur les agents des services publics est relativement disparate du fait de la très grande diversité des situations juridiques et statutaires. C'est pourquoi l'Observatoire de l'emploi public (OEP) a accordé la priorité à l'amélioration de la transparence, qui passe par une clarification des concepts. L'INSEE vient de mettre au point un tableau de synthèse de l'emploi public pour l'OEP. Ce tableau de synthèse est disponible dès maintenant et accompagnera dorénavant les publications annuelles de l'INSEE sur l'emploi public ; il permettra en particulier d'articuler complètement emploi public et emploi privé et les zones frontières.

Parallèlement, l'OEP a entrepris d'expliciter de façon détaillée le passage des effectifs budgétaires aux effectifs réels dans la fonction publique d'Etat. Il est d'ailleurs tout à fait normal qu'il y ait un écart puisqu'il y a des vacances de poste. Ce travail difficile est réalisé par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), avec l'aide des services gestionnaires de chaque ministère. Au-delà, l'objectif est d'améliorer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans la fonction publique, deuxième grand axe de travail de l'OEP.

Pour conclure, il convient de revenir sur la question de délai de mise à disposition de cette information. Le tableau de synthèse dont j'ai parlé porte sur les effectifs de fin décembre 1998. L'actualisation de fin décembre 1999 sera disponible à la fin de cette année.

Pouvons-nous faire mieux ? Certainement, mais la réponse ne dépend pas uniquement de l'INSEE, je pense notamment aux administrations de sécurité sociale. En outre, nous serons confrontés à un arbitrage délicat entre fraîcheur et qualité des données. Sur les collectivités territoriales, l'INSEE réalise une enquête en cours de rénovation. En régime permanent, elle fournira des résultats plus rapidement à l'automne de l'année n+1.

Sur la fonction publique d'Etat, l'INSEE exploite principalement le fichier de paye transmis par la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), source très riche mais incomplète. Elle ne couvre ni le ministère de la défense ni de nombreux établissements publics. Si les effectifs concernés ne représentent qu'un cinquième du champ de l'Etat, ils sont malheureusement assez variables. L'INSEE réalise donc tous les deux ans une enquête complémentaire extrêmement complexe à exploiter et coûteuse en temps. En ce moment l'exercice est rendu encore plus délicat par la professionnalisation des armées et le développement des emplois aidés. Au total, les choix à effectuer dépendront des besoins exprimés notamment dans le cadre des instances de concertation, OEP et conseil national de l'information statistique (CNIS).

M. MABILLE.- Merci, Monsieur CHAMPSAUR. Je passe maintenant la parole à Jean BASSERES sur le rôle de la DGCP.

Le rôle de la Direction générale de la comptabilité publique : situation actuelle et perspectives d'évolution.

M. BASSERES.- Je suis très content d'être parmi vous aujourd'hui puisque ce sera notamment l'occasion pour moi de vous parler d'une direction qui n'est pas toujours très bien identifiée dans l'appareil public et particulièrement d'une mission qui, elle, est souvent complètement méconnue.

Je commencerai mon intervention en rappelant ce qu'est le rôle de la Direction générale de la comptabilité publique, avant d'évoquer quelques perspectives d'évolution, notamment au regard de certaines suggestions faites ce matin.

Notre rôle est double. Il porte d'abord sur l'information budgétaire et comptable relative à l'Etat et aux collectivités locales . Nous avons par ailleurs un rôle d'élaboration des comptes nationaux sur lequel je serai plus rapide puisque Paul CHAMPSAUR en a déjà parlé.

En termes d'information budgétaire et comptable pour l'Etat d'abord, nous éditons chaque année les résultats de fin de gestion dans un document qui s'appelle le compte général de l'administration des finances. Annexé à la loi de règlement ce document a vu ses délais de production sensiblement se réduire au cours des dernières années. Nous confectionnons par ailleurs une série de restitutions infra-annuelles que je mentionne rapidement puisqu'elles sont évoquées dans le rapport que vous avez pu lire. La première d'entre elles est une restitution hebdomadaire : la situation hebdomadaire sur l'évolution de l'exécution budgétaire en recettes, dépenses et en trésorerie, que l'on appelle la SH, qui est transmise aux autorités de l'exécutif et, depuis l'an dernier, aux commissions des finances des assemblées parlementaires.

Nous établissons également un certain nombre de situations mensuelles dont la vocation est d'informer le grand public sur la situation des finances de l'Etat : la situation mensuelle budgétaire, la SROT, la SMOT, la TSOT, termes qui sont explicités dans le rapport.

Et, je n'évoquerai pas ici, faute de temps, les publications spécifiques relatives aux délais de paiement, aux flux financiers européens ou à la dette publique, ni les situations particulières réalisées à l'intention des ministères, sur leurs dépenses et leurs recettes sauf pour noter, s'agissant des recettes et des dépenses, que ces situations mensuelles sont adressées aux assemblées parlementaires. Au total, l'information ne manque pas.

Bien sûr, ces publications sont perfectibles, le rapport de REXECODE y fait allusion notamment en termes de calendrier. Nous souhaitons faire des efforts dans les mois qui viennent. Le fait que le ministère des finances mette sur internet désormais l'essentiel de ses publications facilite leur prise de connaissance. Je précise, notamment pour M. DIDIER, qu'il ne faut pas s'étonner que certaines séries en début d'année soient un peu tardives puisqu'il faut d'abord clôturer les comptes avant de pouvoir intégrer le résultat de la clôture dans les séries qui suivent.

Je voudrais insister un peu plus sur un volet peu abordé jusqu'à présent, qui est le secteur local, secteur très significatif en termes de finances publiques. J'ai le sentiment qu'en la matière la DGCP a fait des efforts importants et que nous offrons au final des productions assez riches.

Nous disposons d'abord d'un suivi conjoncturel très précis : nous sortons au 30 septembre et au 31 décembre, des analyses conjoncturelles de la situation des collectivités locales, de manière exhaustive pour les départements et les régions, sur la base d'un échantillon pour les communes. Ces notes conjoncturelles sont bien sûr publiées et mises en ligne sur le site du MINEFI.

Nous éditons des comptes exhaustifs et définitifs en ayant comme souci de les présenter par strate de communes, strate notamment démographique, ce qui facilite les comparaisons. Nous publions ces données définitives en n+1 par rapport à l'année de référence.

A côté de ces données définitives agrégées, nous accomplissons un travail important de mise en ligne de données individuelles des comptes des collectivités locales : régions, départements et communes de plus de 10 000 habitants. Chacun peut accéder aux comptes de ces collectivités. Nous avons travaillé avec l'Association des Maires de France qui nous a donné son accord pour que, très prochainement, cette mise en ligne soit étendue aux communes de plus de 3 500 habitants, ce qui sera une progression forte dans l'accession directe à ces données.

Je précise -cela répond aux demandes exprimées ce matin- que nos bases de données sont gratuites et librement accessibles aux chercheurs et aux universités qui travaillent régulièrement avec nous sur l'exploitation de ces comptes. On n'est donc pas dans une logique que j'ai cru déceler dans certaines interventions, selon laquelle il y aurait une rétention de l'administration, une volonté pour certains de « propagande », mais j'imagine que le terme a dépassé leur pensée. En tout cas nos bases de données sont ouvertes, chacun peut les consulter et j'invite ceux qui sont dans la salle à essayer de le faire pour qu'ils en soient pleinement convaincus.

Second rôle de la DGCP : les comptes nationaux . Je serai bref puisque Paul CHAMPSAUR en a parlé. C'est la DGCP qui élabore les comptes des administrations publiques, c'est-à-dire des administrations publiques centrales, Etat et organismes divers d'administration centrale, administrations publiques locales, (collectivités locales et établissements publics locaux non marchands), et sécurité sociale.

Je voudrais compléter les propos de M. CHAMPSAUR par trois observations très rapides sur ce volet.

- Premièrement pour redire que les règles appliquées par les comptables nationaux sont des règles précises et européennes, récemment affirmées dans un règlement intitulé le SEC 95.

- Deuxième observation, parce qu'il y a là beaucoup d'erreurs commises : il y a des différences de nature entre les règles de la comptabilité de l'Etat ou des collectivités locales et les règles de la comptabilité nationale. Ce n'est pas le même champ, il n'y a pas de raison que les règles soient les mêmes. Ce que nous devons faire et nous avons commencé à le faire cette année dans les comptes de l'Etat pour 2000, c'est élaborer des tableaux de correspondance expliquant les conditions de passage d'un solde budgétaire à un solde comptable et à un besoin de financement. Il est très important d'indiquer qu'il est normal que les chiffres ne soient pas les mêmes puisque les champs décrits et les méthodes utilisées diffèrent. Notre travail, en tant qu'administration, c'est précisément d'expliciter les règles de passage.

- Troisième observation, cela répond à une demande du rapport de REXECODE : j'annonce clairement que nous allons publier, d'ici à la fin de l'année 2001, quatre notes méthodologiques pour préciser les conditions d'élaboration des comptes des administrations publiques, en liaison étroite avec l'INSEE. Ces notes seront bien entendu mises en ligne sur Internet.

Voilà rapidement notre rôle.

Quelques mots sur les perspectives d'évolution. Je voudrais insister sur trois séries d'évolutions qui me paraissent déterminantes pour les prochaines années.

Première série d'évolutions : l'amélioration de la pertinence de nos restitutions budgétaires et comptables . C'est un point décisif et, bien sûr, un point qui va être très directement influencé par la réforme de l'ordonnance de 1959 qui devrait introduire deux progrès majeurs.

Le premier, c'est de permettre d'enrichir le suivi comptable patrimonial de l'Etat. Nous avons commencé à faire des efforts importants en 1999 et 2000, l'objectif étant qu'à l'horizon 2005 nous ayons des comptes qui soient élaborés selon les standards de la comptabilité dite d'exercice.

Le second progrès, qui a été abordé notamment par M. DELAFOSSE à propos de la réforme de l'ordonnance de 1959, c'est la mise en place d'une budgétisation orientée vers les résultats avec détermination de programmes, d'indicateurs et d'instruments d'analyse des résultats et des coûts. On aura là, me semble-t-il, la réponse à beaucoup de critiques exprimées sur le fait que la dépense publique n'est pas analysée en termes suffisamment pertinents.

Lorsque nous aurons réalisé tous les outils techniques - là je rejoins M. DIDIER, c'est un travail indispensable- nous aurons un suivi de la dépense publique qui sera parfaitement comparable à ce qui se fait de mieux à l'étranger.

Je vous affirme que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est pleinement engagé dans cette démarche d'un point de vue conceptuel mais également pratique. M. DELAFOSSE y a fait allusion, nous avons un outil informatique en cours d'expérimentation, qui s'appelle l'outil ACCORD. Il va permettre de suivre la dépense au plan central selon des critères d'analyse très enrichis, dans la perspective du développement de meilleurs outils d'analyse des coûts.

Cet effort d'enrichissement doit être aussi étendu au secteur local. Nous devons, d'une part, poursuivre le travail de modernisation des comptabilités. Nous l'avons fait pour les communes, cela reste encore à faire pour les départements et les régions. Même si les travaux et les expériences en cours me paraissent prometteurs, nous devons poursuivre ce travail et améliorer les restitutions financières.

Je pense à deux sujets importants :

- Définir une approche qui fait défaut aujourd'hui de consolidation des comptes des collectivités locales. C'est un chantier complexe mais prioritaire pour la DGCP.

- Nous devons travailler à l'amélioration de nos restitutions financières sur le secteur local notamment en matière de suivi fonctionnel des dépenses publiques, en matière de communication des données financières par typologie, ou encore de réalisation de monographies thématiques.

Deuxième série d'évolutions : l'optimisation des conditions de centralisation et de restitution des comptes publics . On n'est pas encore capable d'imaginer une consolidation des comptes publics du point de vue comptable, mais on peut d'ores et déjà travailler à l'enrichissement des modalités de collecte.

Je voudrais réinsister sur trois initiatives importantes.

La première initiative concerne les comptes sociaux : il s'agit de la création d'une mission comptable relative aux organismes de sécurité sociale qui va travailler à une centralisation infra-annuelle des comptes de la sécurité sociale. Ce qui constituera un gros progrès par rapport à la situation actuelle. La DGCP jouera aux côtés des services du Ministère chargé des affaires sociales un rôle dans cette évolution.

Deuxième initiative : nous travaillons à la DGCP à la création d'une centrale des bilans pour les établissements publics nationaux.

Enfin, troisième initiative : en matière de secteur local, nous allons accélérer la centralisation des comptes définitifs et améliorer la mise à disposition de ces comptes au profit du plus grand nombre.

D'une manière générale, je suis favorable à ce que l'on puisse développer -c'est un projet que nous avons- des enquêtes de qualité auprès des destinataires de nos restitutions comptables, pour savoir ce qu'ils en pensent, ce qui est finalement une approche assez nouvelle.

Troisième série d'évolutions ou plus exactement perspective d'évolutions que Paul CHAMPSAUR a indiquée et qui m'apparaît essentielle : nous nous sommes engagés dans le cadre européen dans un dispositif d'élaboration de comptes trimestriels des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale .

Notre objectif est d'y arriver d'ici 2005, nous y travaillons activement avec l'INSEE et la direction de la prévision. Tout cela va nécessiter beaucoup de travail, mais lorsque nous serons au bout, nous aurons répondu, je crois, à une demande forte notamment exprimée dans le rapport de REXECODE.

Donc au total, j'ai le sentiment que nous avons des projets qui devraient répondre à une partie des préoccupations exprimées, sans doute pas à toutes, comme l'indiquait le sénateur BOURDIN.

Je voudrais pour finir, moi aussi marquer un désaccord avec une des propositions qui est formulée, qui est celle visant à créer un institut, ou une agence, qui pourrait être d'ailleurs rattaché ou pas à la DGCP pour travailler sur les comptes publics.

Je suis réservé parce que je ne comprends pas très bien à quoi cela sert, je n'ai pas compris la finalité de cette création.

Par ailleurs, je crois qu'il y a un risque à séparer la production de l'information et sa diffusion, notamment un domaine comme celui des collectivités locales. C'est une force de gérer à la fois les comptes des comptables et les conditions de restitution de l'information. Séparer les deux, c'est prendre le risque d'assurer une moins bonne coordination.

Enfin, si le reproche était celui de l'indépendance, je ne suis pas convaincu. D'abord parce que les comptables publics ont une indépendance garantie et que la certification à venir des comptes de la Cour des Comptes ne pourra aller que dans ce sens. Je ne vois donc pas de pression sur les comptables publics. A propos des comptables nationaux, ils ont une méthodologie tellement précise et une tradition sur laquelle Paul CHAMPSAUR est très vigilant, qu'un procès serait vraiment une caricature complète.

Je ne vois donc pas très bien ce qu'apporterait une nouvelle structure. Je vous le dis en termes directs, peut-être pour lancer le débat puisqu'il est temps, je crois, d'aborder ce point de l'ordre du jour.

M. MABILLE .- Merci beaucoup, Jean BASSERES, pour cet exposé comme toujours synthétique, très riche et fructueux.

Avant de passer la parole à la salle, je voudrais remercier tous les intervenants pour la qualité des débats. Evidemment, on ne peut pas tout aborder sur un tel sujet.

Dans les lignes de force de ce qui a été dit ce matin, on voit bien qu'un mouvement est en marche dont on voit bien les caractéristiques. En fait, on s'est insuffisamment interrogé sur les raisons ; on pourra y revenir tout à l'heure, notamment avec le Professeur FITOUSSI. Pourquoi une telle information ? Quel est l'intérêt d'avoir une telle information sur les administrations publiques ? Quelle sont les relations que cela peut avoir avec l'action ?

C'est une de mes remarques concernant ce que vous dites sur les comptes trimestriels au niveau européen : ne risque-t-on pas d'aller vers un « court-termisme » de l'action politique par rapport au marché, un peu comme on a pu le constater pour les entreprises aux Etats-Unis, qui publient des comptes trimestriels et se retrouvent finalement un peu trop sous la pression des marchés ?

Ce serait une de mes premières remarques un peu politique. Une bonne information, ce n'est pas forcément trop d'informations et ce n'est peut-être pas trop d'informations tout le temps. Comment réagissez-vous à cette évolution ?

D'autres questions importantes ont également été soulevées, qui sont la démarche de la réforme de l'ordonnance, c'est-à-dire l'analyse par les coûts, qui doit aller de pair avec ce que vous disiez, c'est-à-dire que le système comptable de l'Etat doit accompagner cette tendance. Les administrations dans leur ensemble sont en situation de responsabilité, ce sont elles qui vont devoir in fine produire cet appareil statistique. J'imagine que la pression politique, parce qu'il y a des conséquences en termes de périmètre de l'Etat derrière tout cela, qui pourrait s'exercer sur ces évolutions vous semble importante aussi.

M. CHAMPSAUR .- Les raisons du mouvement en marche, il y en a certainement beaucoup. Il y a des raisons politiques liées au fonctionnement de notre démocratie, mais il y a une raison technique, c'est-à-dire que les possibilités des technologies se sont fortement accrues. Il est donc possible à moindre coût de faire remonter une information plus riche et de meilleure qualité que ce n'était le cas auparavant.

Tout à l'heure, M. DELAFOSSE a parlé de papier, il est clair que derrière tout cela, il y a l'information plus ou moins généralisée de la comptabilité, des systèmes d'information, etc., et si l'on arrive à articuler les processus d'informatisation, qui sont généraux et qui touchent évidemment toutes les administrations, avec ces besoins d'information, on peut faire beaucoup mieux maintenant qu'on ne le faisait avant. C'est un élément, me semble-t-il, tout à fait important.

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il faut que la gestion de notre système d'information notamment statistique, soit décentralisée.

Tout à l'heure, quelqu'un a évoqué la justice. Je pense que le système d'information sur l'activité de la justice est en train de s'améliorer. Il s'améliore d'ailleurs en deux phases : une première phase qui n'est pas visible, consistant à roder un certain nombre d'instruments en interne. Il y a une deuxième phase nécessairement politique dans laquelle le ministre décide un jour - je crois que c'est le cas actuellement- que l'on peut publier régulièrement cette information qui était auparavant interne.

Mais derrière, il y a un travail assez compliqué d'articulation entre la fonction statistique et les systèmes d'information de gestion, c'est-à-dire que, si au moment où l'on informatise, où l'on dote en logiciels les diverses juridictions, on ne pense pas à la restitution de l'information, c'est loupé.

Il est bien clair que cela ne peut pas être fait à l'INSEE. Imaginer de donner à l'INSEE ou à une autre agence centralisée la fonction consistant à aller améliorer le système d'information sur la justice, est une vision irréaliste du fonctionnement des institutions humaines. En tout cas, ce n'est pas celle qui prévaut aux USA qui est la référence de ce matin. Aux USA, le système d'information est décentralisé et c'est d'abord la responsabilité de l'administration en charge d'un domaine de fournir, d'une part, une information sur son activité et, d'autre part, de produire l'information statistique par l'intermédiaire d'agences spécialisées.

M. BASSERES .- Je suis assez d'accord avec Michel DIDIER quand il dit que le vrai problème de la comptabilité de l'Etat, ce n'est pas de savoir comment on va valoriser des biens hors marché, comme Le Louvre. Tout cela fait le délice de spécialistes, mais ce n'est pas un sujet fonctionnellement intéressant.

Le sujet intéressant en termes de rénovation de la comptabilité de l'Etat, à mon avis, c'est d'abord de savoir en quoi elle sert à l'information publique. S'agissant par exemple de l'évolution de la dette publique, je crois que la présenter en droits constatés ou en encaissements-décaissements n'a pas la même signification. La vraie signification économique et financière, c'est bien les droits constatés qui la délivrent.

Cela a également un intérêt pour les gestionnaires. C'est un point très important. C'est cela qui fera que l'on réussira ou pas la rénovation comptable. Cette fameuse comptabilité rénovée servira à déterminer elle-même des coûts, servira à alimenter des systèmes de comptabilité analytique.

Je voudrais préciser de ce point de vue que je n'étais pas là lors de la RCB, mais une des causes de son échec est sans doute le fait que l'on avait dissocié l'analyse de la RCB de l'allocation des moyens. La chance de la réforme de l'ordonnance de 1959, c'est que l'on mettra l'analyse des résultats et des coûts au coeur du processus décisionnel d'allocation des moyens. Cela me paraît un changement très important.

En contrepartie, vous avez raison, il est nécessaire que l'on développe l'outil du système de gestion de l'information.

M. MABILLE.- M. le sénateur FREVILLE voulait intervenir.

M. FREVILLE .- Monsieur le Président, puis-je me permettre de donner le point de vue de l'utilisateur ? On a vu l'offre d'information économique. En tant que parlementaire de base, je peux représenter la demande.

Je prendrai deux exemples : celui de l'impôt sur les sociétés où l'information n'existe pas tellement, et l'exemple des dépenses fonctionnelles des collectivités locales.

Supposez qu'en tant que parlementaire, je souhaite connaître l'évolution de l'impôt sur les sociétés. C'est quand même l'impôt qui varie dans les plus grandes proportions. Comment puis-je faire ? D'abord, l'information existe certainement sous forme de catégories juridiques et alors je m'aperçois que si je prenais dans les lignes des « Voies et moyens », la ligne « Impôt sur les sociétés », je me tromperais totalement sur le montant de cet impôt parce qu'il faut, bien entendu, déduire des dépenses, des remboursements qui se trouvent à un autre bout du budget et il faut, peut-être, tenir compte également, dans une autre rubrique d'impositions de toutes natures, de plusieurs dizaines de milliards d'impôts recouvrés par voie de contentieux.

Voilà le premier problème auquel on est confronté : on a une présentation juridique tout à fait inadaptée à l'information concrète. Les chiffres donnés ainsi sont inutilisables. Première remarque.

Deuxième remarque : supposez que je veuille maintenant connaître, à partir des comptes de la Nation, qui paraissent tardivement, le montant de l'impôt sur les sociétés. Il y a quelques années, nous avions des tableaux de correspondance, que vous décriviez tout à l'heure, dans les comptes de la Nation, qui donnaient passage de la comptabilité publique à la comptabilité nationale. Ces tableaux ont disparu ! On ne les édite plus dans les comptes de la Nation ! Ils existent certainement quelque part dans les tiroirs de l'INSEE ou de la comptabilité publique, mais le parlementaire de base qui veut avoir cette information très simple « quel est le montant de l'impôt sur les sociétés ? » ne peut plus la connaître ! Il y a donc un problème de connaissance de toutes les méthodes de passage.

Naturellement, cela n'aura pas été amélioré par la réforme de l'ordonnance organique parce que nous avons construit des règles juridiques qui ne correspondent pas nécessairement à toutes les obligations de la nomenclature européenne. Je ferme cette parenthèse.

Il y a donc ici un manque flagrant de connaissance pour l'utilisateur de toutes les règles qui servent à produire l'information statistique.

Je souhaiterais vivement que nous ayons des petits manuels, qui seraient à la disposition de tout le monde, qui expliqueraient comment utiliser cette information qui existe. Ce n'est pas rétention de l'information parce que tout existe et quand on connaît la méthode, on arrive à le faire, c'est mon cas, mais je comprends très bien que quelqu'un qui voudrait utiliser cette information ne soit pas capable aujourd'hui de le faire.

Voilà le premier exemple quand l'information existe mais n'est pas utilisable.

Il y a aussi l'information qui n'existe pas ou qui n'existe plus. M. BASSERES a bien expliqué toutes les améliorations très fortes dans le secteur public local, mais si je veux répondre à une question simple, que font aujourd'hui les collectivités locales, fonction par fonction ?, je ne le peux pas parce que lorsqu'on construit la M 14, on ne s'est pas posé cette question, même si on essaye d'améliorer la situation parce que tout le monde s'est rendu compte de la difficulté.

On a maintenant sur les collectivités locales une excellente information sur leurs modes de gestion financière, sur leur dettes, etc., mais la question simple de savoir combien les collectivités locales donnent pour l'enseignement, combien elles donnent pour la culture, etc, on ne peut pas y répondre actuellement parce qu'on n'a peut-être pas, dans la construction de notre système comptable, pensé à demander aux utilisateurs initialement quels étaient leurs besoins.

M. BASSERES .- Le point de vue des utilisateurs est toujours très important. Je remercie M. le sénateur de nous le donner.

Concernant l'analyse fonctionnelle, il est vrai que l'on publiait jusqu'en 1996 les analyses fonctionnelles des comptes des collectivités locales, publication que l'on a interrompue depuis 1996 pour des raisons essentiellement techniques : on a changé la nomenclature, on a eu des problèmes techniques de centralisation et on a une difficulté dans le secteur local car le nombre de collectivités locales n'est pas neutre, et pose un problème technique de centralisation de l'ensemble des comptes.

Cela dit, pour répondre directement à M. le sénateur, j'ai bon espoir qu'à la fin de cette année, on reprenne -c'est d'ailleurs une demande du rapport REXECODE- la publication de certaines statistiques sur les analyses fonctionnelles. Il est vrai qu'on n'a peut-être pas initialement assez intégré cet élément. Je ne peux que rejoindre M. le sénateur sur ce point.

Sur l'impôt sur les sociétés, l'essentiel a été dit, toutes les informations existent. On est là typiquement dans un problème de présentation avec des approches juridiques ou économiques. Il faut que l'on puisse imaginer une nouvelle présentation.

Pour les comptes de la Nation, je vivais avec une idée sans doute fausse que ces tableaux de correspondance étaient toujours dans les documents. En tout cas, ils existent, il faut qu'ils y soient.

M. MABILLE .- Sur l'impôt sur les sociétés (IS), je ne suis pas certain qu'il y ait beaucoup d'autres pays européens dans lesquels on va pouvoir avoir début juillet les informations statistiques sur l'acompte du mois de juin, qui nous donnera une première tendance du comportement de provision des entreprises dans une période conjoncturelle un peu difficile. Cela permettra d'avoir une évaluation, de savoir s'il y aura ou non des moins-values fiscales importantes cette année. Je ne sais pas s'il y a d'autres pays européens qui donnent autant d'informations. C'est en tout cas une information précieuse que l'on attend tous.

M. BASSERES .- Je n'ai pas de référentiels sur l'IS. Paul peut-être ?

M. CHAMPSAUR .- Non, je ne suis pas capable de comparer. D'une façon générale, l'information infra-annuelle disponible en Europe -je raisonne sur la comptabilité nationale- n'est pas très riche. J'y ai fait allusion tout à l'heure. C'est pourquoi le projet de mise en place d'une comptabilité trimestrielle des finances publiques est un projet très sérieux, qui va demander un très gros effort à beaucoup de pays.

Pour résumer, nous ne sommes certainement pas exemplaires vis-à-vis des pays anglo-saxons, mais nous ne sommes certainement pas en retard vis-à-vis de l'Europe sur ces questions. Des pays comme l'Allemagne, qui ont un système beaucoup plus décentralisé que le nôtre, ont inévitablement de moins bonnes connaissances de l'état de leurs finances publiques en cours d'année.

M. MABILLE .- Justement, ne va-t-il pas y avoir des résistances politiques sur cette information trimestrielle parce que cela peut avoir une influence sur l'action et sur les popularités des gouvernements ?

M. CHAMPSAUR .- Ce n'est pas simple... Tout à l'heure, vous avez parlé du risque de « court-termisme ». En matière de finances publiques trimestrielles, on court effectivement ce risque parce que les données en question sont très difficiles à traiter. On sait très bien que si les données ne sont pas corrigées des variations saisonnières, d'un certain nombre d'aléas, il est difficile d'en faire quelque chose.

Comme je l'ai expliqué précédemment, les données qui se prêtent le plus facilement à des traitements de ce type sont déjà publiées. C'est le premier règlement dont j'ai expliqué que la France l'appliquait par anticipation parce qu'il y a un certain nombre de recettes, comme la TVA, ou des cotisations sociales, qui se prêtent assez bien à un suivi infra-annuel.

Il est clair qu'il y a un certain nombre de recettes qui sont très localisées dans l'année, d'une part, et, d'autre part, un certain nombre de dépenses qui sont très erratiques. On retrouve cela d'ailleurs dans la comptabilité d'entreprise. A l'INSEE, on a l'habitude depuis quelques temps de suivre les comptes trimestriels des grandes entreprises et les comptes annuels. Il y a des postes pour lesquels cela se raccorde bien et des postes pour lesquels cela ne se raccorde pas du tout ! Si vous voulez prévoir ce que raconteront les comptes consolidés d'une grande entreprise au niveau annuel, à partir de l'information donnée par des comptes trimestriels, sur certains postes, cela ne fonctionne pas du tout !

On aura des difficultés de ce type en matière de finances publiques. Il y a donc effectivement un risque de « court-termisme », c'est-à-dire qu'on donne une information mais tellement difficile à interpréter qu'elle peut induire des erreurs.

M. MABILLE .- D'autres personnes demandent la parole.

M. BLIN .- Je serais tenté de poser une question à nos éminents interlocuteurs concernant un domaine qui paraît plus simple, moins obscur, moins fermé que celui des comptes publics de l'Etat. C'est le problème des sociétés nationalisées. M. CHAMPSAUR en a dit un mot tout à l'heure.

C'est un problème, à mon avis, plus simple parce que si l'administration obéit à des lois qui n'ont rien à voir avec celles du marché, ces sociétés-là -je pense par exemple, entre autres, à EDF ou à la SNCF- répondent dans une certaine mesure à des impératifs économiques auxquels elles doivent se soumettre.

Or, j'ai le sentiment que l'enjeu est lourd. Pour ne prendre qu'un exemple, que tout le monde connaît, la dette de la SNCF est accablante, l'enjeu est sensible à l'opinion moyenne. Le TGV est un instrument brillant qui satisfait une population fière de son réseau ferroviaire, mais combien de Français s'interrogent sur les comptes de la SNCF ?

Encore un petit exemple et ce sera le seul que je prendrai dans le domaine politique : cela fait deux fois que je demande au ministre des transports de bien vouloir me dire s'il est possible de connaître les comptes particuliers du TGV. Je sais bien quels sont les problèmes qu'il affronte, mais tout de même, voilà un train qui rapporte beaucoup, même s'il a coûté beaucoup à mettre en route ! Il sera long à amortir, mais quelle réussite financière ! Quel rôle joue cette réussite financière dans les comptes actuels de la SNCF ? Je n'arrive pas à le savoir, dans le temps même où l'on tend la main aux collectivités locales, aux conseils régionaux pour aider à la survie de lignes beaucoup moins intéressantes. Bref, voilà un exemple simple, à la portée de tout le monde.

Avez-vous en ces matières des lumières satisfaisantes ou vous heurtez-vous à des difficultés d'approche que l'on connaît dans d'autres domaines ? Elles me paraissent plus transparentes, plus accessibles et plus sensibles à l'opinion moyenne que ces obscures méditations qui passent très au-dessus j'ose à peine dire du parlementaire moyen.

M. BASSERES .- Pour ce qui est de la direction générale de la comptabilité publique, nos relations avec les entreprises publiques, d'un point de vue comptable, sont assez limitées. On n'a qu'une question à se poser, qui n'est pas simple : comment valoriser la participation de l'Etat dans ses comptes ? C'est un sujet sur lequel la réflexion théorique est assez importante. On a commencé à y travailler ces dernières années.

Pour ce qui est des comptes de la SNCF, ils sont élaborés selon les règles de l'art. Ce sont des comptes tenus selon le plan comptable général et, sauf à dire une bêtise, certifiés.

Ce que vous évoquez sur le TGV est un problème qui montre que l'Etat n'est pas seul confronté à cette difficulté de disposer d'une bonne comptabilité analytique. La question que vous posez relève de l'exploitation de la comptabilité analytique de la SNCF ; y a-t-il dans sa comptabilité analytique de quoi isoler les ressources et les charges liées au TGV ? Je n'ai pas la réponse, mais ce sont les seuls commentaires techniques que je peux faire.

M. CHAMPSAUR .- Le problème que vous citez est très réel notamment quand on veut ouvrir les secteurs correspondants à la concurrence, puisque l'on doit à ce moment-là distinguer dans les activités des entreprises celles qui sont soumises à concurrence et les autres, et avoir une comptabilité qui permette d'assurer un minimum d'homogénéité. Ces problèmes ne sont pas encore complètement résolus en France.

M. MABILLE .- Y a-t-il une question dans la salle ?

M. Alain MATHIEU .- Je voudrais souligner deux caractéristiques de notre pays qui font que l'information statistique sur les administrations est très difficile.

La première, c'est que nous avons beaucoup plus de fonctionnaires que les autres pays occidentaux, plus de 50 % de plus, le double des Anglais.

La deuxième, c'est que les syndicats de la fonction publique sont beaucoup plus importants que dans les autres pays. M. CHAMPSAUR a signé il y a un peu plus d'un an un rapport qui voulait faire une modification de l'organisation du ministère des finances. Bien entendu, il n'a pas pu être appliqué car les syndicats s'y sont opposés.

Il y a donc des enjeux considérables qui sont la défense des privilèges des fonctionnaires, de la faible productivité, qui font qu'il y a une opposition à la transparence dans les comptes des administrations. Il faut souligner ce point. C'est ce qui fait qu'il sera toujours difficile d'obtenir une véritable information sur l'administration sauf si le monopole de l'Etat sur cette information est supprimé, notamment si le Parlement fait ce qu'il faut pour faire pression sur les administrations et contrôle réellement cette information.

M. MABILLE .- C'est un sujet déjà abordé par M. ZIMMERN.

S'il n'y a plus de question dans la salle, nous allons pouvoir clore cette première partie de la matinée, en remerciant tout le monde.

Je vais proposer immédiatement que les participants de la deuxième table ronde nous rejoignent pour parler du modèle français par rapport aux modèles étrangers en matière d'information économique.

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