TABLE RONDE N° 2 :
LE MODÈLE AMÉRICAIN
D'INFORMATION ÉCONOMIQUE
PEUT-IL ÊTRE TRANSPOSÉ EN
FRANCE ?
M.
BOURDIN
.- Madame la Présidente Marie-Claude BEAUDEAU, mes chers
collègues, Mesdames, Messieurs, permettez-moi tout d'abord de remercier
les intervenants de la première table ronde pour la qualité de
leurs interventions et aussi pour la franchise avec laquelle ils se sont
exprimés.
Comme l'a indiqué M. MABILLE, notre seconde table ronde est
consacrée à l'information économique d'une manière
générale.
A titre introductif, il peut sembler intéressant de rappeler l'exemple
des Etats-Unis qui, ainsi que cela a été souligné à
plusieurs reprises, font souvent figure de modèle en la matière
et auxquels personnellement j'ai consacré un rapport devant la
délégation du Sénat pour la planification.
En particulier, on considère souvent comme des modèles les
offices du Congrès comme le «
General Accounting
Office
» (GAO), qui effectue des contrôles et des audits
d'administrations publiques à la demande des parlementaires, le
«
Congressional Budget Office
» (CBO) qui
réalise des évaluations du coût de toutes les dispositions
législatives en discussion.
Les Etats-Unis se caractérisent par la volonté des
administrations de rendre des comptes, par la sincérité des
données budgétaires, par une grande transparence de
l'information, par le pluralisme des analyses dans tous les domaines et par
l'importance de la contre-expertise indépendante.
Ces performances s'expliquent par un ensemble d'institutions et de bonnes
pratiques qui se renforcent mutuellement.
On peut tout d'abord souligner les garanties apportées à
l'exercice de la liberté d'accès aux documents administratifs,
à l'information du public sur ses droits, des délais de
réponse resserrés pour les administrations, des sanctions
disciplinaires et pénales contre les fonctionnaires
récalcitrants.
Un autre élément important est l'accessibilité des
économistes publics dont les numéros de téléphone
sont largement diffusés et à qui il est demandé de
répondre systématiquement aux questions méthodologiques
émanant d'experts indépendants ou de journalistes.
Il convient également de signaler les modalités de publication
des principales statistiques économiques et sociales, diffusées
sous la seule autorité des services statistiques compétents et
qui ne peuvent être commentées par des responsables politiques
dans l'heure qui suit leur publication.
Par contraste, on peut regretter en France le manque de transparence des
ministères français et l'absence de contre-expertise
indépendante des administrations dans des domaines aussi essentiels que
l'éducation, la fiscalité ou l'évaluation des politiques
publiques, ce qui nuit à la qualité des débats
économiques et sociaux.
J'ai été amené à présenter dans mon rapport
sur l'information économique aux Etats-Unis plus de trente propositions.
Ces propositions ont pour seul objectif de favoriser l'émergence d'un
débat.
L'une d'elles est de compléter la loi du 17 juillet 1978 relative
à l'accès aux documents administratifs, par des dispositions
prévoyant l'accès aux documents administratifs via le
réseau internet. Je me réjouis qu'une telle disposition figure
maintenant dans le projet de loi relatif à la société de
l'information, récemment présenté par le Gouvernement.
Parmi les autres propositions, j'en retiendrai trois.
Tout d'abord le renforcement des moyens des organismes indépendants
conduisant des études économiques appliquées à la
décision publique.
Ensuite la diffusion aux chercheurs indépendants des fichiers de
données fiscales et sociales anonymes nécessaires à
l'évaluation des politiques publiques dont dispose le MINEFI.
Enfin, l'accroissement de la contribution scientifique de la Banque de France
au débat public.
Encore une fois, ces propositions ont pour seul objectif de favoriser
l'émergence d'un débat.
Monsieur MABILLE, je vous rends la parole.
M. MABILLE
.- Merci, Monsieur BOURDIN.
Nous allons démarrer tout de suite. Je passe donc la parole aux uns et
autres dans l'ordre prévu.
Monsieur PISANI-FERRY, vous êtes président du Conseil d'analyse
économique, qui est quelque part un peu une copie de son
équivalent américain bien connu, avec cette
caractéristique toujours bien française que l'on est plus
nombreux en France qu'aux Etats-Unis quand on anime un conseil de politique
économique. Mais vous allez nous expliquer pourquoi la tradition
française, de ce point de vue-là, est respectée !
L'expérience du Conseil d'Analyse Economique
M. PISANI-FERRY
.- Si j'appartenais à l'équivalent du Conseil
américain, je serais de l'autre côté de la table avec les
administrations puisque le «
Council economic
advice
» fait partie du Gouvernement, ce que n'est pas le Conseil
d'analyse économique, qui est un organisme pluraliste d'experts
indépendants rassemblés par le Premier ministre.
Je voudrais dire quelques mots sur ma vision de l'expérience
américaine, puis je parlerai de notre situation, notamment du Conseil
d'analyse économique, des progrès que nous pouvons faire et de
certaines de vos propositions.
Je trouve évidemment le rapport que vous avez fait très
intéressant et enrichissant. Nous continuons à avoir beaucoup
à apprendre de l'expérience américaine et même si
nous avons fait en France, il me semble, sur une ou deux décennies, des
progrès évidents, il nous en reste un certain nombre à
faire.
Je me limiterai à ce qui concerne le débat économique en
me fondant sur mon expérience au Conseil d'analyse économique,
mais aussi sur mes expériences antérieures, notamment comme
directeur du CEPII, et au ministère des finances.
On peut avoir beaucoup d'admiration pour la qualité du débat
économique américain.
Il est réactif, capable de se saisir de sujets très rapidement.
Il est inventif dans la manière de traiter les sujets. Il est vif dans
la critique et dans l'échange des points de vue.
Il est rigoureux du fait que, derrière des opinions, ce sont souvent des
méthodologies et des analyses très fouillées qui se
confrontent. Il est en interaction constante avec la décision.
A l'arrivée, il produit des propositions qui sont souvent
opérationnelles, et surtout, une structuration de la discussion.
Je voudrais en prendre deux exemples. D'abord sur un point que j'ai
étudié récemment, qui est un peu latéral par
rapport au thème d'aujourd'hui : le débat sur l'architecture
financière internationale.
La manière dont la communauté des économistes
américains s'est saisie de ce sujet, le rythme auquel elle a produit des
propositions au fur et à mesure que la crise se développait et
que les institutions internationales et les gouvernements du G7 se posaient des
questions, ont témoigné d'une capacité absolument sans
équivalent dans le monde et notamment en Europe, de participer à
la réflexion, d'influencer la décision, de fournir des
propositions. A l'évidence, cela a été un facteur
d'influence des Etats-Unis, en dehors de toute considération de pouvoir.
Cette capacité à nourrir le débat intellectuel sur des
sujets d'actualité participe du leadership américain.
Je crois que la France, au sein de l'Union européenne, pour ne pas
parler de son influence plus large, aurait des leçons à tirer de
cette expérience. La capacité à produire des idées
et des analyses est un facteur d'influence internationale important, parfois
décisif.
Deuxième exemple qui rejoint un débat français
récent : les questions relatives à la fiscalité et
à l'équivalent américain de la prime pour l'emploi.
Je me suis amusé à regarder la taille de la bibliographie d'un
survey
américain sur ce sujet. Il fait six pages de travaux
recensés qui ne portent pas tous spécifiquement sur ce point,
mais qui indiquent la richesse des évaluations auxquelles donnent lieu
des propositions de mesures fiscales. Ces évaluations émanent
très largement d'universitaires, de centres indépendants ;
elles sont extrêmement fouillées et reposent sur des techniques
très fines, notamment des techniques d'expérimentation
contrôlée, qui permettent d'avoir sur des sujets de types fiscaux
des instruments d'analyse et d'évaluation pointus. Ces analyses
contribuent à nourrir la discussion sur l'efficacité de ces
politiques et contribuent
in fine
à la renforcer.
Pourquoi cette situation aux Etats-Unis ? Je crois que vous recensez bien
un certain nombre de facteurs dans votre rapport : la qualité de la
formation et de la profession des économistes, la demande. Ce point est
très important et vous le soulignez aussi dans le rapport :
l'existence d'une demande de la part des décideurs à
l'égard de cette évaluation externe et leur capacité
à intégrer les conclusions de cette recherche, auxquelles
parvient la communauté des économistes est un facteur puissant de
stimulation de la réflexion pour la décision.
Il y a aussi une question de mobilité des personnes. La culture de
l'expertise et de la décision sont deux cultures différentes. Il
importe de les réunir. Elles sont réunies ici en la personne de
Jean-Philippe COTIS, mais il peut y avoir d'autres formes de réunion qui
passent par le fait que des gens vont plus facilement de la recherche vers la
décision et, éventuellement, retournent à la recherche
nourris de l'expérience de la décision.
C'est un point sur lequel notre tradition est clairement différente de
celle des Etats-Unis, et nous avons à apprendre de leur
expérience.
Cela ne doit pas nous cacher les défauts du système
américain. Les économistes américains ont leur
naïveté. Ils ont aussi leur intérêt propre et les
débats sont parfois dominés par une économie de la
notoriété qui n'est pas toujours la plus efficace du point de vue
de la décision. Les sujets auxquels s'intéressent les
économistes sont souvent des sujets sur lesquels ils peuvent se faire
connaître, formuler des propositions éventuellement provocantes,
et cela ne correspond pas toujours exactement à la hiérarchie de
l'utilité sociale de la recherche.
Il ne faut donc pas être naïf non plus à l'égard de
l'expérience américaine.
En ce qui concerne la situation française, je disais que nous avons fait
des progrès sensibles sur la longue durée. Vous rappelez le
rapport LENOIR, qui avait donné naissance à l'OFCE, au CEPII,
à l'IRES, à REXECODE. La création de ces organismes
à été un progrès important.
Nous avons fait des progrès aussi dans le décloisonnement entre
la recherche et l'administration. Nous avons fait des progrès en
matière de connaissance. J'ai été très
frappé, lorsque j'ai récemment fait un travail sur l'emploi, de
noter à quel point, en une dizaine d'années (notamment à
l'aide de bases de données que l'INSEE a constituées et sur
lesquelles un certain nombre de chercheurs ont pu travailler), nous avons fait
des progrès considérables dans la connaissance des questions
d'emploi, de salaire, de déterminants de l'emploi à partir de
l'exploitation de données individuelles. C'est un point sur lequel
aujourd'hui on ne peut plus parler de ces questions comme on parlait il y a dix
ans, car on était alors dans un certain vide de la connaissance. Il y
avait des opinions générales qui s'opposaient, et pas de moyen de
trancher par des analyses empiriques. Aujourd'hui, on a beaucoup plus la
possibilité de le faire. Des progrès sensibles ont donc
été accomplis.
Quelles sont les difficultés qui nous restent ? Je crois d'abord que
l'effort qui avait été lancé s'était centré
sur la prévision et plus généralement sur l'analyse
macro-économique. Il a abouti là-dessus, c'est-à-dire
qu'en matière de prévision, nous sommes totalement sortis de la
situation de quasi-monopole qui prévalait au moment du rapport LENOIR,
en matière d'analyse macroéconomique également.
En revanche, l'accent n'avait pas du tout été mis à
l'époque sur des questions comme celles que vous mettez en avant, des
questions plus structurelles, d'évaluation de politiques publiques, de
réforme structurelle, de politique fiscale, de dépenses publiques.
Il me semble effectivement qu'il y a aujourd'hui un déséquilibre
entre les sujets sur lesquels l'accent a été mis, et des
résultats ont été obtenus, et d'autres sur lesquels on a
moins mis l'accent.
Deuxième facteur : la demande n'est pas toujours très
exigeante. La demande d'expertise indépendante est probablement un peu
plus faible qu'elle n'est ailleurs, notamment aux Etats-Unis, ou dans les
institutions européennes qui sont grandes consommatrices d'études
externes dans la mesure même où leurs capacités internes
sont faibles. En France, la capacité interne des administrations est
grande, les études et les évaluations qu'elles produisent sont de
grande qualité. Un peu mécaniquement, cela réduit la
demande d'évaluations externes, en tout cas de la part du Gouvernement.
De la part du Parlement, il y a eu, notamment dans le cadre de la
délégation à la planification, une demande constante mais
plutôt centrée aussi sur les aspects macro-économiques.
Cela a contribué à nourrir des travaux et des progrès dans
les instituts auxquels il a été fait appel.
Mais on pourrait aussi imaginer une intensification de cette demande notamment
sur des sujets de types fiscaux.
Enfin, la culture économique reste peu présente dans le
débat français et l'anti-économisme reste vif. On a assez
facilement une politisation du débat qui ne facilite pas toujours
l'intervention des économistes, qui entretiennent entre eux un
débat qui ne recouvre souvent pas exactement, voire pas du tout, le
débat politique tel qu'il est spontanément posé.
Je dirai quelques mots sur l'expérience du Conseil d'analyse
économique. Nous avons eu une production très substantielle en
quantité. Sur la qualité, ce n'est peut-être pas à
moi d'en juger. Je dirai simplement qu'elle me semble avoir été
assez généralement appréciée.
Ce qui est intéressant, c'est de savoir pourquoi l'on a réussi
à produire 33 rapports sur des sujets très variés dans une
période de quatre ans avec un staff technique très réduit.
Premier facteur, la demande politique a été nette. Cela a
été un élément très important de motivation
des économistes qui ont travaillé dans le cadre du CAE.
L'implication du Premier ministre est personnelle et forte. Il a pris
vis-à-vis du Conseil d'analyse économique une posture de
recherche, de dialogue, d'interrogation. Cela a fortement stimulé les
membres du Conseil que d'avoir un Premier ministre qui les écoutait et
qui souhaitait dialoguer avec eux. Je l'ai même trouvé parfois
méritant d'écouter des propos qui avaient un certain
caractère technique, par rapport auxquels un homme en charge de la gamme
des sujets que traite un Premier ministre peut avoir parfois un peu de mal
à se situer.
Je crois qu'un deuxième facteur, l'orientation des travaux, a
été important. Il y a une volonté d'application, de
recommandation ; il y a aussi, me semble-t-il, une volonté dans les
travaux du CAE d'une manière générale, d'essayer de poser
précisément les termes du débat. Souvent, l'apport en
termes de problématique, de clarification du pourquoi d'une question, a
été aussi grand, voire éventuellement plus grand, que
l'apport plus précis en termes de recommandation, sachant que la
recommandation pose toujours la question de savoir quelle est à un
moment donné la décision qui doit être prise, quelle est la
question exacte qui se pose, en fonction du contexte politique et des
contraintes propres à la décision publique.
En revanche, le cadrage des éléments de la problématique
sur des grands sujets est un élément qui me semble très
utile dans le débat public et auquel le CAE a contribué.
Troisième élément : le débat. Le postulat de
départ du Conseil d'analyse économique, c'est que la
vérité sort du débat et non pas du consensus. Cela a
été à l'évidence influencé par les
polémiques qu'il y avait eu sur la pensée unique dans les
années 1990. La volonté était que les économistes,
qui ont des avis divers, puissent discuter entre eux, que la discussion soit
sérieuse, rigoureuse. Mais l'idée était, et est toujours,
que c'est du constat de l'existence ou pas d'un débat sur telle ou telle
question, de l'existence ou pas d'un accord, plutôt que de la
volonté d'aboutir à un consensus, que peut émerger la
vérité et l'information du politique. Je crois que cela a
été un pari réussi.
Enfin dernier facteur : l'interaction entre la recherche et
l'administration. Les rapports sont en général
rédigés par des chercheurs très souvent universitaires, en
tout cas indépendants, mais avec un appui important de l'administration
économique. Cette collaboration a été fructueuse,
c'est-à-dire que les seuls experts, dans un certain nombre de cas,
n'auraient pas pu mobiliser toute l'information ou le détail d'analyse
qui figure dans les rapports, tandis que l'administration ne pouvait pas, sur
un certain nombre de sujets, prendre des positions comme peuvent le faire des
experts indépendants.
Il me semble donc qu'il y a là quelques éléments positifs
dont on peut tirer des leçons.
Je conclus sur quelques progrès que nous pouvons faire.
Je vous confierai que j'ai un peu de scepticisme à l'égard de
l'idée que vous avancez qu'il nous faudrait reproduire
l'expérience des institutions de type OFCE, IRES, REXECODE, reproduire
le modèle qui a bien réussi il y a vingt ans.
Premièrement parce que ces centres existent. Pour paraphraser
François MAURIAC, nous aimons beaucoup Jean-Paul FITOUSSI, mais ce n'est
pas pour cela que l'on voudrait en avoir deux ! Les instituts existent et
apportent beaucoup tels qu'ils sont.
Deuxièmement et surtout, le risque à multiplier les organismes de
ce type serait d'éloigner encore l'université de la politique
économique et de la décision publique. Or, il y a toute une
recherche importante dans l'université qui peut avoir des applications.
Il faut éviter de multiplier les écrans qui renverraient la
recherche universitaire du côté de ce qui n'a pas d'application et
aboutirait à ce que la recherche susceptible d'application soit le
monopole d'un certain type d'organismes. Au contraire, il faut essayer de
rapprocher l'université. Cela peut passer par des passerelles, mais
plutôt que d'avoir des chercheurs labellisés comme contribuant
à la décision, par rapport à des chercheurs universitaires
qui n'y contribueraient pas, il faut plus penser en termes de mobilité
et de capacité à certains moments de faire venir des
universitaires plus près de la décision.
Troisièmement, je crois que le financement privé est moins
impossible que vous ne semblez le suggérer. Il est vrai que ce n'est pas
dans la tradition française. Il n'y a rien de très fondamental
qui interdise que des financements privés puissent progressivement se
développer, même si nous restons dans une culture beaucoup plus
dominée par le financement public que la culture américaine.
Voila donc quelques éléments de scepticisme par rapport à
cette proposition spécifique.
Ce qui peut être utile, c'est de renforcer la demande et d'essayer de
structurer une offre par la stabilité de la demande. Un certain nombre
de laboratoires universitaires devraient être susceptibles de
déboucher sur des travaux plus opérationnels à condition
de faire face à une demande suffisamment structurée et permanente.
Pourquoi ne pas faire un petit appel à la discipline des politiques en
termes de meilleure explicitation des fondements économiques et des
choix qu'ils font ? C'est évidemment difficile. Le marché
politique ne s'y prête pas nécessairement, mais ce serait un
progrès notable.
Accroître la mobilité entre les milieux de la recherche et les
milieux de la décision serait très positif.
Il faut aussi que nous ayons, parallèlement aux débats entre
économistes, plus de débats avec les non-économistes
puisque la coupure entre les deux mondes est un facteur de risques dans le
contexte français où la culture économique est peu
répandue.
Dernier point : vous avez -c'est très naturel- centré votre
analyse et vos propositions sur la France. Je crois qu'il y a un besoin
considérable en matière européenne, notamment dans la zone
euro. Nous sommes en phase de constitution d'une zone ayant une certaine
identité économique, mais nous souffrons d'un retard
considérable à la fois de l'information - y compris statistique,
sur certains points - et du débat qui doit nous préoccuper
particulièrement, parce que la qualité de l'information et de
l'analyse seront des éléments importants du succès qu'aura
cette construction.
Je crois donc que, d'une certaine manière, l'expérience
américaine mériterait d'être transposée à la
problématique « zone euro » pour savoir si
précisément, avec les différents institutions, par rapport
aux préoccupations de politique économique qui sont celles de la
zone euro, nous avons constitué en Europe le réseau d'analyse,
d'information, d'expertise nécessaire à la qualité de la
politique économique.
M. MABILLE
.- Merci, vous avez ouvert une perspective dont on pourra
débattre tout à l'heure. Je ne sais pas s'il peut y avoir deux
Jean-Paul FITOUSSI, mais il y en a un ici ce matin ! Je lui passe donc la
parole.
Les instituts indépendants ont-ils atteint la masse critique ?
M. FITOUSSI
.- Comme toujours, je suis très heureux de participer aux
réunions qui sont impulsées par le Sénat et ce pour
plusieurs raisons qui ne sont pas étrangères au sujet dont je
dois débattre, qui est le sujet de la taille critique des instituts
indépendants.
Je voudrais d'abord souligner les qualités du rapport du Sénat
sur l'information économique et sur le modèle américain.
Ce rapport me semble remarquable à plusieurs égards. S'il
souligne les mérites du système américain, il en dit en
même temps les conditions de possibilité, conditions qui sont
à la fois constitutionnelles, culturelles mais aussi financières.
Et il en dit en même temps les particularités et les limites. Le
problème, par exemple, que posent les
Think Tanks
américains, c'est celui de leur indépendance : sont-ils
vraiment indépendants ou sont-ils des instruments ? On trouve les
deux, de sorte qu'il est difficile de reconnaître ses petits.
Comment aborder la question de la taille critique des instituts
indépendants ? Evidemment j'ai à l'esprit le modèle de
l'OFCE. Je partirai de l'exigence première, de la raison d'être de
ses institutions. La raison d'être, c'est précisément
l'indépendance, qui participe de leur mission même, autrement
elles ne serviraient pas à l'animation du débat public en
économie.
Mais quelles sont les conditions de cette indépendance ? Le rapport
LENOIR avait énoncé un certain nombre de conditions qui me
semblent toujours valides aujourd'hui, mais qui demandent probablement à
être un peu abondées ou en tout cas interprétées
dans un contexte de mutations structurelles rapides.
Ces conditions sont d'une façon ou d'une autre, directe ou indirecte,
liées à la notion de taille critique. Il n'est d'ailleurs pas
étonnant que cette condition fut la première du rapport LENOIR.
Ce rapport disait qu'un organisme de prévision doit compter au moins 20
chercheurs et que, s'il doit faire en même temps des analyses
économiques, il devrait compter au moins 50 chercheurs. C'est la taille
qu'avait définie le rapport LENOIR.
Cette taille critique ne s'apprécie pas seulement par rapport au nombre
mais aussi par rapport à d'autres exigences.
La première est celle de la rigueur de l'indépendance, mais aussi
de la crédibilité qui impose toute une série de conditions
parce que l'indépendance impose de se mettre dans une posture critique,
au sens constructif du terme et non pas de critique systématique, et
dans un contexte où la posture critique n'est pas tout à fait
habituelle, où l'on a l'impression que les experts doivent tous parler
d'une même voix, cette exigence de critique implique qu'on s'expose
soi-même à la critique, qu'il y a nécessité
d'être soi-même critiqué. D'où l'exigence de
pluralisme. On ne peut pas critiquer sans être critiqué.
C'est ainsi que cette exposition à la critique impose le contrôle
des pairs, donc impose un certain mode de fonctionnement.
Ce mode de fonctionnement implique d'abord d'asseoir la
crédibilité sur la rigueur, c'est-à-dire d'avoir une
reconnaissance à l'échelle internationale. Par exemple, une des
clefs de construction de l'OFCE, c'est cette recherche de reconnaissance
internationale, qui se décline en plusieurs points : d'abord ce que
j'appelle la double contrainte de production des chercheurs, qui doivent
produire pour l'institution, pour l'OFCE, mais doivent aussi produire pour la
communauté scientifique. Ils doivent s'exposer à la critique de
leurs pairs, ils doivent être incités à se mesurer avec
leurs pairs. Et cela implique d'abord un effort considérable qui n'est
pas sans lien avec le nombre, la taille critique puisque ces chercheurs
doivent, en fait, faire deux versions du même travail, une version
suffisamment lisible pour s'adresser à l'ensemble des décideurs,
et une version scientifique qui est admise selon les canons de la
communauté scientifique.
Il faut aussi favoriser les travaux communs entre les membres des
Think
Tanks,
donc favoriser entre les centres français et étrangers
des relations et des recherches communes, ce qui permet d'établir la
crédibilité et il faut que l'on fasse venir ces recherches
communes dans le pays. L'OFCE avait créé un groupe international
de politique économique qui était composée des meilleurs
experts dans le domaine de la macro-économie, en particulier un prix
Nobel américain et notre espoir de prix Nobel français, M.
MALINVAUD.
Nous avons aussi tenté à l'OFCE de créer un réseau
de « chercheurs étrangers associés », mais de
chercheurs étrangers de grande qualité. Ces chercheurs
étrangers associés de grande qualité, c'est un peu faute
de ne pas pouvoir attirer, compte tenu des rémunérations que nos
institutions peuvent donner, ce que vous soulignez d'ailleurs dans votre
rapport, de façon permanente des chercheurs étrangers en France.
Mais cela a quand même un effet important de signalisation à
l'échelle internationale et de crédibilité à
l'échelle nationale.
Voilà donc une première condition qui implique que
l'équipe soit suffisamment nombreuse ; cette contrainte de
production et de reconnaissance internationale, ce double niveau de travail
impliquent un nombre suffisant.
Ensuite, il faut évidemment un ancrage européen qui implique des
collaborations très étroites entre différents centres
européens. Très vite, l'OFCE a constitué un réseau,
et même une association d'instituts européens, parmi les plus
réputés d'Europe, qui réalisent des études communes
- dont une d'ailleurs a été faite pour le Sénat- pour la
Commission et le Parlement européen.
Enfin, sur le point de l'indépendance, l'un des éléments
moteurs de cette indépendance fut la politique d'emblée
décidée à l'OFCE, de privilégier les relations avec
les assemblées parlementaires.
Si je disais que substantiellement, je suis très heureux de me trouver
en ce lieu, c'est que le Sénat a joué un rôle majeur dans
la crédibilité de l'OFCE. Un rôle majeur parce qu'il lui a
confié de nombreuses études. Je me souviens, Jean s'en souvient
aussi parce que nous avons réalisé ensemble le modèle
Mimosa, le modèle multinational de l'économie mondiale, que ce
modèle est né ici, dans cette salle.
Cela montre bien que d'emblée, le Sénat a exprimé le
besoin d'études indépendantes et en même temps a
crédibilisé ces études indépendantes. C'est
essentiel. Je ne saurais trop me féliciter
ex post
de cette
politique qui consiste à privilégier sur toutes les autres
études que l'OFCE peut réaliser, les études pour les
assemblées parlementaires.
L'indépendance est aussi une question de pluralisme, qui joue aussi sur
la taille critique. Le pluralisme doit être organisé à
l'intérieur même de l'institution, ce qui implique la
pluralité des méthodes utilisées, que l'on abandonne les
guerres de religion entre méthodes. Par exemple, il y a eu une guerre de
religion qui a fait rage dans les années 1980, modèle ou pas
modèle, et nous avons décidé de faire des modèles
puis sans modèles. Nous avons donc fait coexister une pluralité
d'approches, donc une concurrence entre les différentes approches et une
critique réciproque des différentes approches, ce qui a permis la
fécondation. Mais là aussi, cela a une implication sur la taille
critique.
Enfin, aujourd'hui, la zone euro, est un objet de recherche nouveau à la
fois théorique et empirique. Nous manquons de données, comme l'a
rappelé Jean PISANI tout à l'heure, mais nous manquons aussi de
recul sur les mécanismes de politique économique, qui modifient
structurellement les conditions d'exercice des politiques nationales dans la
zone. Cela implique que l'on puisse faire des instituts, qui existent
aujourd'hui, des lieux européens.
En d'autres termes, je crois que la notion de réseau est
dépassée, nous sommes tous dans des réseaux. Il ne suffit
plus de faire des réseaux européens, il faut faire des lieux
européens, c'est-à-dire des lieux où l'on pense l'Europe,
avec une monnaie unique qui pose des problèmes spécifiques
à la fois d'information statistique et de conceptualisation. Il faut
donc créer ces lieux européens. Cette création a
évidemment aussi une implication pour la taille critique car si je
disais que la notion de réseau est un peu dépassée, c'est
parce que cette notion est une transition. Elle fait perdre beaucoup de temps.
Il y a une productivité qui est faible compte tenu des
déplacements, des rencontres, des contraintes d'agenda, etc., alors
qu'un lieu qui recruterait en Europe, mais pas seulement -il faut créer
des lieux européens globalisés- pourrait être beaucoup plus
utile pour le débat public français mais aussi européen,
qu'un réseau qui serait plus formel que substantiel.
L'implication de cet objet nouveau pour la taille critique est importante. A
l'OFCE, nous ne l'avons pas complètement résolue. Nous avons
atteint la taille critique du rapport LENOIR, pas tout à fait, nous
sommes à 45, mais il faut le dire, le souligner, nous ne pouvons le
faire que parce que nous sous-payons les chargés d'étude. C'est
reconnu dans votre rapport. Cela a un avantage et un inconvénient.
L'inconvénient, c'est que nous sommes en permanence en situation
d'embauche. Le taux de rotation est considérable. Comme l'OFCE donne une
grande visibilité à ceux qui y travaillent, ils reçoivent
au bout d'un, deux ou trois ans des propositions d'embauches importantes.
L'OFCE a d'ailleurs essaimé partout. C'est à la fois un avantage
et un inconvénient. Il serait utile de réduire le taux de
rotation davantage que de le supprimer. J'aimerais que l'ancienneté
moyenne à l'OFCE soit supérieure à trois ans, qu'on puisse
arriver à cinq ans. Mais en aucun cas je ne souhaiterai que cette
rotation ne s'effectue plus parce que c'est aussi une garantie de pluralisme,
d'adaptation aux problèmes nouveaux.
Il faudrait pouvoir aujourd'hui créer un institut indépendant qui
procède à la fois à des prévisions, à des
analyses de politique économique et à des études
micro-économiques, comme nous le faisons, avec une taille d'environ 60
personnes. Il faut dire qu'une augmentation de 20 %, ce n'est pas trop
compte tenu des mutations qui se sont produites et de la naissance d'un objet
de recherche nouveau.
M. MABILLE
.- Merci, je ne demanderai pas au Professeur FITOUSSI quel
serait le prix d'équilibre pour que le taux de rotation passe de trois
à cinq ans, mais je suis sûr qu'il a une idée !
Je passe maintenant la parole à Philippe LEFOURNIER, sur une question
à laquelle je ne sais pas très bien comment répondre
moi-même.
Les journalistes ont-ils accès à toutes les sources
d'information ?
M. LEFOURNIER
.- Merci. Monsieur le Président, je vous avoue que je
ne sens pas non plus cette question. J'y ai réfléchi, le sujet de
la table ronde est très intéressant et le sujet
général de la matinée aussi, mais « les
journalistes ont-ils accès à toutes les sources d'information
? », je ne vois pas.
Il me semble que le journaliste moderne, disons la génération qui
est née avec l'Expansion il y a plus d'un quart de siècle, ce
sont des gens qui n'ont plus du tout ce côté balzacien, qui ont
une bonne formation économique et qui se sont normalisés. Je ne
vois donc pas là de spécificité, donc je ne sais pas
répondre à votre question, sauf si elle insinue que le
journalisme a un côté investigateur et doit chercher des
informations que le public n'aurait pas. Là, je crois qu'il y a un
risque. On a parlé d'indépendance à l'instant. Ce risque,
c'est que le journaliste qui recueille ce trésor, puisse être
à ce moment-là manipulé. Je ne crois donc pas que ce soit
un modèle de comportement. La demande du journaliste est normale, il y a
la demande normale d'un économiste banalisé.
Je vais donc parler de l'offre qui se trouve en face, ce qui va nous ramener au
sujet principal.
Il y a le modèle américain sur lequel le Sénat a
élaboré ce rapport très documenté et le
modèle français qui est, ce n'est pas douteux, le modèle
étatique. Il faudra peut-être dire un mot du modèle
allemand qui a servi d'inspiration au pluralisme recommandé par le
rapport LENOIR.
Sur le modèle américain que beaucoup couvrent de fleurs, ce qui
me frappe, par exemple, dans les réunions récentes des
économistes américains auxquelles j'ai participé, ce sont
les critiques sur le système : la dégradation de la
qualité des statistiques, le fait qu'elles sont révisées
très souvent, qu'elles ne sont pas fiables, tout cela par manque de
crédits.
Evidemment, dans le modèle américain, c'est l'initiative
privée qui prend le relais.
Pour citer quelques exemples : le «
Conference
board
» qui produit des indicateurs avancés, ou l'indice
de la confiance des consommateurs américains qui fait baisser ou monter
les marchés. Il est intéressant de voir que le
«
Conference board
» à l'heure actuelle a
bâti un réseau d'indicateurs avancés y compris sur la
France, l'Euroland, pour nous donner une vue du paysage qui est le nôtre,
celui de la zone euro. Evidemment, on a accès à ces
données en payant. A travers tout cela, il y a le problème du
coût de la statistique, du financement. Il y a bien d'autres instruments
que ceux du «
Conference board
», il y a
l'Université de Michigan sur la confiance, il y a le NAPM, qui est
l'indice des acheteurs, très précieux pour donner une idée
de ce qui se passe au coeur de l'industrie et maintenant dans les services.
Récemment le NAPM a fait baisser Wall Street. Là-encore,
signalons une tentative qui va dans le sens de la marchandisation :
REUTERS a construit un indicateur des achats pour l'ensemble de la zone euro,
qui est intéressant, qui donne une vue du paysage conjoncturel en
Europe. Mais c'est toujours les mêmes contraintes : pour avoir les
chiffres, il faut payer.
Cela m'amène au modèle français qui est tout le contraire,
qui est public et gratuit, avec le monopole de l'INSEE. Est-ce mal ?
L'idée de transposer le modèle américain en France
est-elle valable ? Il ne me semble pas.
Prenons l'exemple des enquêtes de conjoncture. L'INSEE -c'est bien connu-
fait tous nos indices, mais concernant les enquêtes de conjoncture, nos
collègues américains sont très étonnés que
ce soit l'administration française qui dise ce que les entreprises
voient en termes de production, de prix, d'investissement, etc. En Angleterre,
c'est le patronat qui fait l'enquête de conjoncture. En Italie
également. En Allemagne, c'est l'IFO, institut indépendant
basé à Munich. En France, c'est donc l'INSEE. Je ne vois pas du
tout en quoi c'est gênant et si l'on compare toutes ces enquêtes,
les enquêtes de l'INSEE sont les meilleures dans tous les domaines. Si
vous prenez, par exemple, les enquêtes européennes faites à
Bruxelles, j'avoue que le retravail que fait l'INSEE de ces enquêtes
donne satisfaction à l'utilisateur banal que je suis. Donc je ne vois
pas
a priori
de transposition nécessaire du modèle
américain.
Je prends un autre exemple : les prix. On a beaucoup fait l'éloge,
surtout dans le cas de la nouvelle économie aux Etats-Unis, d'indices de
prix dits hédoniques, qui permettaient de tenir compte de
l'amélioration extraordinaire des potentiels des machines. Il en
résultait donc une baisse de prix encore plus forte que celle qu'on
croyait, donc une croissance en volume de la production plus importante.
L'Allemagne ne le fait pas, mais la France a choisi d'avancer dans cette voie.
Je ne crois donc pas qu'on puisse lui imputer un retard méthodologique
par rapport aux Américains. Les Français sont donc parmi les
meilleurs, sinon les meilleurs.
Si je prends la combinaison des indicateurs de conjoncture dans les comptes
trimestriels, c'est une tâche très intéressante et utile
pour le prévisionniste, cela m'amène aux budgets
économiques. Là également, il y a un monopole puisque
c'est la direction de la prévision (DP) qui fait les budgets
économiques pour l'Etat, mais on doit observer une tendance à la
concurrence. Il y a une concurrence dans les débats organisés par
la DP entre les comptes officiels et ceux qui sont mis sur la table par les
différents instituts, donc l'OFCE, et je peux témoigner qu'il y a
aussi des journalistes puisque le centre de Prévision de l'Expansion est
membre de ce groupe technique de la Commission économique de la Nation
où il y a comparaison, voire confrontation. On retrouve donc là
une idée de pluralisme.
Cela m'amène au troisième modèle, le modèle
allemand. On a beaucoup parlé du rapport LENOIR ce matin. Il faut
rappeler que c'était sous Raymond BARRE, en référence au
pluralisme des instituts allemands.
On a mis en place en France un certain nombre d'instituts, dont l'OFCE, dont
REXECODE présent ici à travers Michel DIDIER. On peut tout de
même regretter qu'en ce qui concerne les syndicats et contrairement
à ce qui se passe en Allemagne, où il y a des instituts patronaux
et l'institut des syndicats à Cologne, l'IRES ne joue pas le rôle
souhaité dans le débat français.
Mon voisin a beaucoup parlé du débat. Je voulais en parler aussi
puisque vous vous êtes adressé au journaliste. C'est à la
base évidemment de la connaissance. Je me demande si en conservant la
spécificité française -ce monopole de l'INSEE-, on ne
pourrait tout de même pas améliorer sa contribution au
débat. Il ne faudrait pas que l'on ait l'impression que l'INSEE ne
travaille que pour le gouvernement mais que ce soit aussi la maison de tout le
monde, la maison du peuple.
Ne pourrait-on réfléchir à l'idée qu'il puisse y
avoir une saisine de l'INSEE par le peuple ? M. PISANI-FERRY a cité
des cas de débats récents sur l'emploi, avec les licenciements
annoncés. Y a-t-il eu vraiment un débat de qualité
à l'échelle nationale sachant que ces mesures annoncées se
faisaient sur un fond de création d'emplois absolument record ?
N'aurait-on pas pu avoir quelque chose sur la table pour nous faire
réfléchir ?
Je prends un autre exemple sur les conséquences de la mondialisation. Il
y a eu un rapport dans cette maison il y a plusieurs années, mais depuis
alimente-t-on vraiment ce débat public sur des sujets aussi importants
pour le faire mûrir exactement comme M. PISANI-FERRY l'a souhaité
en rappelant que la vérité doit sortir du débat ?
C'est donc une proposition que je fais. Serait-il imaginable qu'on fasse
travailler l'INSEE sur des contrats, des demandes venant du public, venant
aussi des entreprises ? Car c'est peut-être parfois une faiblesse de
voir que des études très sophistiquées ne sont pas
très utilisables pour les entreprises, pour les secteurs productifs. On
pourrait imaginer que des entreprises demandent aux chercheurs et aux
statisticiens publics de se pencher sur des problèmes qui les concernent.
Je termine sur les lacunes de ce système, mais l'orateur suivant va
évidemment en parler.
Il serait commode d'avoir l'état des recettes fiscales, effet cagnotte
mis à part. La TVA, c'est bien commode pour savoir comment va la
consommation. Ce matin même, on a parlé de l'impôt sur les
sociétés, pour l'investissement, cela nous renseignerait
peut-être. Pourrait-on disposer rapidement de ces sources très
précieuses pour le diagnostic conjoncturel ? Voilà le
souhait que je formule.
Je dirai en terminant que l'on ne s'intéresse pas seulement aux flux,
mais évidemment aux stocks, c'est-à-dire aux bilans. Là
encore, les entreprises sont très concernées. Quelle est la
productivité du secteur des entreprises, sa
compétitivité ? Financièrement, sur la dette, ce ne
sont pas seulement les flux qui comptent, mais aussi les stocks, y compris de
dettes, y compris concernant l'Etat afin que l'on parvienne à des
décisions rationnelles et aussi à des choix démocratiques
dans la transparence.
M. MABILLE
.- Merci beaucoup. Je suis assez d'accord avec Philippe
LEFOURNIER, ce n'est pas à nous, journalistes, de répondre
à la question, mais finalement à l'administration de dire si
l'accès aux sources d'information est disponible. Je vais donc passer
maintenant la parole à trois représentants de l'administration en
commençant par le directeur général des impôts,
sachant que l'information statistique, fiscale, est devenue une donnée
importante. Sur la TVA, on a quand même maintenant des données
mensuelles, pas forcément suffisamment fiables, mais
intéressantes. Sur l'impôt sur les sociétés, on a
encore un peu de retard, on pourrait peut-être améliorer les
délais. Je poserai aussi la question sur tout ce qui est relatif aux
revenus, aux patrimoines car je trouve que la direction générale
des impôts manque peut-être un peu de réactivité dans
l'analyse des fichiers fiscaux, mais je sais qu'elle va
s'améliorer !
La communication d'informations fiscales au Parlement et aux organismes de
conjoncture.
M. VILLEROY DE GALHAU
.- Merci, j'ai cru noter que vous m'adressiez plus de
questions qu'aux autres orateurs. Je voudrais protester en leur nom contre ce
déséquilibre !
M. MABILLE
.- C'est le respect que j'ai pour la fonction !
M. VILLEROY DE GALHAU
.- En tout cas, je ne voudrais pas répondre
aux questions que vous posez aux journalistes ; ce serait une attaque
insupportable contre la liberté de la presse...
Je suis heureux de participer à ce débat ce matin au Sénat
sur un sujet qui est essentiel -nous sommes tous d'accord là-dessus-,
qui est peu traité en France, et qui est fort bien éclairé
par le rapport du sénateur BOURDIN ;
Je partage à titre personnel bon nombre des remarques faites par les
trois intervenants précédents et en particulier ce que disait
Jean PISANI-FERRY sur la faiblesse de la culture économique en France.
C'est un arrière-fond complexe, difficile à traiter, mais qui
pèse sur notre débat sur la transparence de l'information.
J'ai un peu honte de parler après d'aussi éminents
économistes parce que je vais effectivement traiter un sujet de bien
moindre portée : l'information publique en matière fiscale.
Je le ferai dans une optique assez pratique puisque vous me posez des questions
pratiques : quelles sont les informations disponibles ? Il se trouve que
le sujet de l'impôt focalise en général un certain nombre
de passions et d'interrogations. Les quelques indications pratiques que je peux
donner vont donc peut-être vous intéresser.
Je me réfère d'abord à ce que Paul CHAMPSAUR disait ce
matin dans la première table ronde sur les responsabilités de
chacun à l'intérieur de l'administration. La direction
générale des impôts, en tant qu'une des directions du
ministère des finances, n'a traditionnellement pas en tant que telle de
mission autonome d'information statistique fiscale auprès du public, du
Parlement ou des organismes de conjoncture. C'est donc la situation de
départ.
Cela dit, il nous a paru important de progresser dans le sens de la
transparence. Un certain nombre de choses ont changé ces
dernières années, évolutions qui ne sont d'ailleurs pas
toujours assez connues, me semble-t-il.
Je commencerai en relevant l'appréciation que le Conseil des
impôts portait dans son rapport publié l'an dernier sur
l'impôt sur le revenu. Je souligne que le Conseil des impôts, qui
est plutôt dans l'orbite de la Cour des comptes, est un organisme
à ce titre suffisamment indépendant de l'administration, qui ne
passe pas pour être « béni-oui-oui »
vis-à-vis de son action. «
Depuis plusieurs années,
la direction générale des impôts diffuse plus largement
qu'auparavant ses données. Initialement, les statistiques dont elle
dispose sont des sous-produits de son informatique de gestion, données
brutes qui ne sont pas traitées pour une diffusion externe, mais afin de
répondre au nombre croissant de demandes portant sur les statistiques
communales, des produits de diffusion standards ont été
constitués. En outre, afin de toucher un plus large public, des
statistiques fiscales agrégées sont aussi diffusées par
l'intermédiaire de l'INSEE.
»
C'est cette appréciation externe que je voudrais illustrer et
concrétiser dans la suite de mon propos. Je dis tout de suite que
l'effort de transparence que l'administration fiscale fait a deux limites, qui
demeureront.
- La première qui n'est pas nécessairement la plus importante,
mais qu'il me paraît quand même utile de rappeler, y compris ici
dans l'enceinte du Sénat qui attache un grand prix à cette
question, c'est la maîtrise des coûts publics. Elle est liée
à la remarque du Conseil des impôts sur le fait que nous avons
avant tout une informatique de gestion : les retraitements imposés
pour passer de l'informatique de gestion à l'information statistique
sont donc lourds et importants.
- D'autant que -et cette deuxième limite est à l'évidence
plus importante que la première- la protection de la vie privée
doit être absolue. L'information fiscale est évidemment une
information ultra sensible du point de vue de nos concitoyens.
Je rappelle les règles du statut statistique et fiscal qui s'appliquent
à nous et qui sont très précisément
codifiées.
• Première condition : nous ne pouvons, bien sûr,
communiquer que des données agrégées, qui ne peuvent
être communiquées que si elles comportent plus de trois
entités, onze entités en matière de fiscalité des
personnes.
• Deuxième condition : il ne faut pas qu'il y ait
d'élément dominant dans les données
agrégées, un élément dominant étant
défini par le fait qu'il représente plus de 85 % du montant
agrégé.
Ce sont des règles indispensables pour protéger le secret fiscal,
qui est une valeur fondamentale de notre démocratie, mais qui, par
rapport aux retraitements dont je parlais, entraîne des
conséquences assez lourdes.
Sous réserve de ces deux limites, nous avons deux types d'actions
importantes : il y a un certain nombre de publications
générales et il y a de plus en plus -c'est un
« marché » en forte expansion- un certain nombre de
travaux spécifiques que nous faisons à la demande de clients.
I - Sur les
publications générales
, nous avons d'abord un
document qui s'intitule le Répertoire permanent des statistiques, qui
est public, dont nous pouvons peut-être améliorer la
présentation, mais auquel je renvoie les plus intéressés
d'entre vous.
Je voudrais surtout souligner l'existence de quatre documents en publication
générale.
Premièrement, nous publions nos principaux résultats. C'est tout
à fait important sur le plan de la culture administrative : la
vision traditionnelle est celle de l'administration qui n'a de compte à
rendre à personne, comme une boîte noire. C'est une vision
totalement dépassée. Une administration doit rendre des comptes
sur ses principaux résultats.
Cela suppose un certain nombre de conditions, et d'abord qu'elle puisse
s'appuyer sur un système de contrôle de gestion y compris au
niveau décentralisé, qui suivent ces principaux résultats.
Nous l'avons mis en place à la DGI, c'est une petite avance par rapport
à d'autres administrations de l'Etat depuis le milieu des années
1990.
Cela suppose ensuite que l'on en rende compte à la presse, et vous
savez, Monsieur MABILLE, que cela a lieu tous les ans depuis l'an dernier.
C'est donc une forme de présentation des résultats, un peu comme
le fait une entreprise à propos de ses comptes annuels.
Enfin, cela suppose que nous ayons un rapport d'activité annuel. J'ai
ici l'exemplaire 1999 ; l'exemplaire 2000 devrait être publié
le mois prochain. Ce rapport comporte désormais une annexe statistique
qui vise non seulement un certain nombre d'informations internes sur nos
ressources, nos crédits, etc., mais surtout beaucoup d'informations sur
le rendement du contrôle fiscal, le contentieux, y compris par
impôt. Ce document est d'ores et déjà en ligne sur le site
internet du MINEFI.
Voilà en ce qui concerne nos résultats.
Il y a une deuxième publication qui concerne la
« matière première ».
Il est vrai que nous avons plus mis l'accent sur la publication de nos
résultats en tant qu'administration ayant une mission et peut-être
travaillé un peu trop discrètement sur tout ce que nous savons
sur notre matière première, c'est-à-dire le revenu qui
entre dans nos « chaînes de production », et
l'impôt sur le revenu qui en sort.
Il y a à cet égard un document dont je regrette
périodiquement qu'il ne soit pas plus connu, qui s'appelle l'annuaire
statistique de la direction générale des impôts, qui est
fort peu diffusé à l'extérieur de la DGI. Cette situation
doit changer parce que très souvent les questions que l'on nous pose ont
leur réponse dans ce document qui est public, mais trop peu connu.
Je ne vais pas vous faire la lecture exhaustive des 265 pages, mais je prends,
par exemple, la page 195 sur l'impôt de solidarité sur la fortune,
sujet qui intéresse toujours : on y voit le détail,
département par département, du nombre de contribuables
imposés, du montant des droits payés, donc de la cote moyenne.
Vous apprendrez, par exemple - ce qui n'est pas une immense surprise, mais les
chiffres sont une confirmation intéressante- que la direction que nous
appelons chez nous Paris-Ouest, c'est-à-dire les arrondissements de
l'ouest parisien, représente plus de 10 % des contribuables
à l'impôt de solidarité sur la fortune, avec 22.000
contribuables. En sens inverse, la malheureuse Lozère n'a que 82
assujettis à l'ISF, juste devant la Guyane !
Vous pourrez apprendre aussi ailleurs -je dois dire que cela a
été une de mes surprises en préparant ce colloque- que
dans la direction de Paris Centre qui, comme son nom l'indique, est quand
même assez loin du paysage rural, il y a 26 assujettis aux
bénéfices agricoles. Nous allons creuser ce mystère !
Je cite des anecdotes, mais c'est une mine d'informations.
Nous étudions depuis quelques semaines la mise en ligne de cet annuaire
parce que je crois qu'il faut passer la surmultipliée en termes
d'utilisation.
Le colloque est l'occasion d'accélérer la décision :
je suis heureux d'annoncer ce matin que, d'ici à la fin de cette
année, l'annuaire statistique fiscal sera mis en ligne, donc consultable
sur le site internet du ministère, y compris avec le rapport 2000 qui
devrait sortir cet été.
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, nous avons ce que nous
appelons, l'état 1921 qui est aujourd'hui sur CD-Rom. Nous allons aussi
voir comment le mettre en ligne. C'est une série d'informations au plan
national et local non seulement sur l'impôt, mais sur les tranches de
revenus.
Dernier élément que je mentionne à propos des
publications générales, en répondant directement à
M. LEFOURNIER : la France publie dorénavant une situation mensuelle
de toutes les recettes budgétaires y compris impôt par
impôt. Par rapport aux questions que vous posiez sur la TVA ou l'IS, on a
donc maintenant des informations très précises. D'ailleurs, par
comparaison avec les autres pays de l'Union européenne, voire aux
Etats-Unis, nous sommes plutôt dans une situation plus favorable que
ceux-ci à cet égard.
II - Je voudrais parler ensuite des initiatives à l'égard de
clients plus spécifiques
. Je ne citerai pas toutes les
catégories de clients potentiels, mais trois d'entre elles : le
Parlement, les instituts économiques et les chercheurs, et le Conseil
des impôts.
Premier client : le Parlement, avec trois exemples :
- La mise en place depuis 1998 d'un observatoire des délocalisations.
C'est un sujet très sensible, sur lequel nous n'avons pas de perfection
statistique parce qu'il est très difficile à suivre, mais dont
les résultats sont dorénavant, année après
année, communiqués au Parlement puis publiés.
- Le bureau en charge à la DGI des statistiques dit « Bureau M
2 » dans notre jargon, a fait à la demande de la commission
des finances de l'Assemblée nationale, début 2001, un certain
nombre de simulations sur l'impôt sur le revenu. C'est un type de travaux
appelé à se développer.
- Enfin, la DGI participe de plus en plus chaque année à
l'élaboration des « bleus » budgétaires. Pour
chaque mesure fiscale, il y a dorénavant un certain nombre de chiffrages
élaborés à partir de ces statistiques.
Le deuxième « client » en forte croissance ce
sont les instituts et les chercheurs. Là encore, je vais me contenter de
citer des exemples, dont certains sont brillamment représentés
ici : le Conseil d'analyse économique : nous avons dans le
cadre du rapport récent sur les inégalités, transmis un
certain nombre de données qui ont permis de construire le rapport.
L'OFCE a un travail en cours sur l'impôt sur le revenu. Et nous avons,
à la demande de chercheurs du CNRS, récemment communiqué
un certain nombre de données sur le patrimoine.
Le Conseil des impôts en troisième lieu : cela peut
apparaître comme un média plus traditionnel mais pour ceux qui
étudient attentivement les rapports du Conseil des impôts, vous
aurez peut-être noté que dans ses derniers rapports, le Conseil
des impôts a beaucoup développé l'annexe statistique. Je
cite le rapport de l'an dernier sur l'imposition des revenus ou celui de cette
année sur la TVA.
Vous me permettrez ici de faire un lien entre ce qui a été dit
précédemment sur le débat économique en France et
le sujet de l'information fiscale.
Je crois que le Conseil des impôts a aujourd'hui une visibilité un
peu trop faible, sans doute moins forte qu'il y a quelques années. Or,
c'est un lieu d'expertise ouverte, dépassionnée,
indépendante sur un sujet qui est souvent très difficile à
traiter parce que souvent passionnel, qui est le sujet de l'impôt et de
la politique fiscale.
Si je dois émettre un souhait, c'est que l'influence des rapports du
Conseil des impôts, dans le débat politique et médiatique,
puisse croître dans les prochaines années.
*
* *
Je
termine par deux remarques brèves.
La première est que je partage tout ce qui a été dit
précédemment sur les nombreux avantages du modèle
américain. Mais ne l'idéalisons pas à l'excès.
J'en donne deux illustrations :
- Premièrement, la publication mensuelle en France sur la situation
budgétaire n'a pas forcément un équivalent aussi
précis dans les autres pays. En tous cas, les Etats-Unis n'ont pas
d'avance par rapport à nous là-dessus.
- Par ailleurs, dans le débat récent et tout à fait
essentiel sur la politique fiscale aux Etats-Unis et la projection à dix
ans du plan du Président BUSH, il m'a semblé, comme à
vous, qu'il y avait un certain nombre de marges d'incertitude sur les
simulations et sur les fondements chiffrés de la décision.
L'ampleur en était au moins égale à l'incertitude qui
entoure parfois la prévision des mesures de nos lois de finances et de
nos choix de politique fiscale. Je le dis par euphémisme.
Ma deuxième remarque de conclusion qui s'applique à
nous-mêmes, c'est qu'incontestablement, nous fassions mieux
connaître ce que nous faisons déjà. Le cas particulier dont
nous traitons ce matin -pardon de le dire comme un fonctionnaire ayant
déjà un peu d'ancienneté- est peut-être une
illustration d'un problème plus général :
l'administration pèche en matière de communication souvent par
excès de vertu, de modestie, de rigueur, voire parfois
d'auto-flagellation. En général, la communication est en avance
sur la réalité. Dans l'administration, c'est parfois le
contraire.
Nous avons fait des grands progrès -en tout cas, si je prends le cas de
la direction générale des impôts- sur la publication de nos
résultats. Je crois beaucoup à cette exigence de rendre des
comptes : nous le faisons.
Nous avons fait de grands progrès sur l'affichage de notre
stratégie. Nous sommes une des rares administrations à avoir un
contrat d'objectif et de moyens. Le sénateur MARINI y sera sensible car
c'est une préfiguration de la réforme de l'ordonnance de 1959 et
du pilotage par objectif auquel il s'est beaucoup attaché.
Nous avons à mieux faire connaître les chiffres dont nous
disposons sur notre matière première et notre processus de
production.
Je remercie donc beaucoup le Sénat de m'avoir donné l'occasion de
le faire ce matin.
M. MABILLE
.- Merci. Je crois que tout le monde aura
apprécié le «
coming out
» de la
direction générale des impôts, qui a pris un peu plus de
temps que prévu parce qu'effectivement j'avais posé quelques
questions subsidiaires et je m'en excuse.
Je vais vous demander, Jean-Philippe COTIS, d'essayer en revanche de tenir vos
dix minutes parce que le temps passe.
Le rôle de la direction de la Prévision dans l'information
économique : situation actuelle et perspectives d'évolution.
M. COTIS
.- Je suis très honoré de cette invitation à
participer à un débat important, sur la base de rapports
d'excellente qualité.
La question posée est celle du rôle de la direction de la
Prévision dans l'information économique. Mes propos seront
modestes parce que nous ne sommes qu'un tout petit rouage dans ce vaste
débat.
Avant de parler du rôle de la DP dans l'information économique, il
est peut-être utile de revenir brièvement sur son rôle au
sein de l'administration économique.
Que fait la direction de la Prévision ?
Elle a deux types de missions : elle fait des prévisions et de
l'analyse conjoncturelle, ce qui représente, en gros, un tiers de ses
activités. Pour le reste, elle joue un rôle de bureau d'analyse
conseil au sein du ministère. Elle apporte son expertise
économique sur beaucoup de sujets où le MINEFI est appelé
à intervenir ou à donner son avis. Cela va de la réforme
de la politique agricole commune à la lutte contre l'effet de serre, en
passant par des sujets aussi divers que les choix d'infrastructures publiques,
l'ouverture des secteurs à réseau, le marché du travail,
les problèmes de politique sociale, fiscale ou budgétaire. La
liste n'est pas exhaustive.
Evidemment, la contribution de la DP à l'information économique
n'est pas la même selon qu'on considère ses activités de
prévision et ses activités de conseil.
La mission de prévision comporte, « par essence »,
un important élément de publicité et de transparence. Nous
apportons là une contribution substantielle à l'information
économique, sous des formes diverses, que nous avons cherché
à améliorer.
En revanche, notre mission d'expertise-conseil est tournée en
priorité vers le ministre des finances, avec tous les impératifs
de discrétion qui s'attachent à cet exercice. Dans ces domaines
d'expertise économique générale, notre mandat n'est donc
pas orienté en priorité vers l'information du public. C'est une
différence notable, par exemple, avec l'INSEE.
Cette mission d'expertise-conseil nous amène cependant à
entretenir un dialogue nourri avec les milieux universitaires et à avoir
avec eux des échanges d'informations très fructueux.
Je vais maintenant revenir successivement sur ces trois domaines : la
prévision, l'expertise conseil et les échanges avec la
communauté universitaire, pour essayer de voir ce que nous apportons
à l'information économique.
En matière de prévision, notre contribution à
l'information économique est, je l'espère, relativement bien
connue, même si je n'en suis pas tout à fait sûr. Nous
publions deux prévisions par an, en mars et en septembre, qui sont
accompagnées d'un rapport économique et financier (REF) qui
explicite en grand détail le pourquoi et le comment de ces
prévisions.
Nous avons ressenti le besoin il y a trois ans de moderniser ce rapport pour le
rapprocher de documents à fort contenu analytique tel que le rapport du
«
Council of economic advisers
» américain.
Nous l'avons fait modestement.
Et c'est pourquoi je voudrais faire un peu de publicité pour ma maison
et pour ce rapport. On y trouve maintenant des annexes statistiques qui
rassemblent, sur une petite centaine de pages, des séries longues de
vingt, trente ou cinquante ans, sur toute une gamme de sujets touchant à
la macroéconomie et aux finances publiques. On a là un ensemble
d'informations bien regroupées qui n'est pas disponible ailleurs,
à l'heure actuelle, en France. On trouve également dans ce
rapport des études thématiques de quinze à vingt pages sur
des sujets importants, comme la nouvelle économie, l'analyse
économique de la politique budgétaire, les asymétries
économiques au sein de la zone euro, et de manière
régulière, l'impact redistributif de la politique fiscale en
France ainsi que son évolution d'une année sur l'autre. Nous y
publions également des
post mortem
qui analysent les erreurs de
prévisions passées et des simulations
économétriques qui étayent les points saillants de nos
prévisions.
Cette rénovation a suscité une surcroît de travail
très important au cours des trois dernières années.
Nonobstant cela, cet effort me semble être passé un peu
inaperçu. Je ne suis pas sûr que ce rapport soit très lu
par les parlementaires et leurs collaborateurs. En tout cas, nous n'en avons eu
que très peu d'échos. En même temps, les évolutions
récentes sont encourageantes puisque l'on va nous appeler, dans le cadre
de la refonte de l'ordonnance organique, à faire pour le REF ce que nous
faisons déjà largement depuis trois ans, mais un peu dans
l'anonymat.
En tant que représentant de l'administration économique, il me
semble important que nos efforts de modernisation trouvent un écho, sous
forme de remarques et de critiques constructives. Elles nous aideront à
faire évoluer ces produits.
Parmi nos autres contributions à l'information économique, je
signalerai également nos notes de conjoncture internationale qui sont
publiées en même temps que la note de conjoncture de l'INSEE, les
documents d'orientation budgétaire et les programmes de stabilité
que nous élaborons en collaboration avec la direction du budget.
Dans le cadre de la Commission économique nationale, nous confrontons de
manière systématique nos prévisions avec l'ensemble de la
profession. Les résultats de ces comparaisons et confrontations font
l'objet d'une très large publicité et les hypothèses
macro-économiques associées au projet de loi de finances font
l'objet d'une transparence toute particulière.
Cet effort de transparence, nous avons souhaité le prolonger depuis
l'automne dernier en organisant une séance plus spécifiquement
consacrée aux prévisions fiscales et aux méthodes qui les
sous-tendent. C'est un domaine où l'expertise n'est pas très
développée à l'extérieur du ministère. Il
est donc important que les économistes extérieurs soient en
mesure de mieux déchiffrer et si nécessaire, de mieux critiquer
nos prévisions.
S'agissant du domaine des études et de l'expertise, nous publions
occasionnellement, sous des formes diverses, les résultats de certains
de nos travaux. On les retrouve dans les notes bleues du Ministère,
ainsi que sous la forme de documents de travail publics de la direction de la
Prévision. On en retrouve aussi beaucoup dans les publications du CAE,
qui, de ce point de vue, a joué un rôle très utile pour
externaliser un certain nombre de travaux de l'administration
économique. On les trouve aussi dans de nombreuses revues
économiques, où les membres de la DP sont sollicités
souvent à titre individuel, à titre d'expert, mais où ils
contribuent à diffuser des travaux faits à la DP.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur les relations que nous
entretenons avec le monde universitaire. Nous recrutons beaucoup de jeunes
universitaires pour des contrats de trois ou quatre ans. Ces jeunes nous
apportent beaucoup. Ils contribuent, avec d'autres, à assurer des liens
étroits avec la recherche appliquée en économie. Nous
hébergeons de très longue date un séminaire
d'économie appliquée qui est ouvert au public. Et nous publions
une revue d'économie appliquée, « Economie et
Prévision » qui est, je crois, l'une des bonnes revues
françaises. Elle fait appel à de nombreuses collaborations avec
le monde universitaire et contribue à développer un interface
actif entre le monde de la recherche appliquée et l'administration.
Nous recherchons également le contact avec des praticiens ; c'est
le cas du séminaire que nous co-animons avec le Conseil de la
concurrence, qui rassemble des avocats, des magistrats et des
économistes pour essayer de mieux comprendre un certain nombre de
problèmes de politique de concurrence compliqués dans lesquels la
pluridisciplinarité est utile.
Voilà très brièvement ce que je voulais dire.
Nous essayons d'être présents dans l'information
économiques tout en respectant les contraintes de discrétion qui
s'attachent à certaines de nos missions. C'est donc un équilibre
un peu compliqué à trouver, mais que nous essayons de trouver
malgré tout.
M. MABILLE
.- Merci, je passe tout de suite la parole à M. PATAT
sur le même sujet concernant la Banque de France.
Le rôle de la Banque de France dans l'information
économique : situation actuelle et perspectives d'évolution.
M. PATAT
.- Je suis très heureux et je remercie beaucoup les
responsables de cette manifestation de m'avoir invité sur un sujet
absolument essentiel suite au remarquable rapport qui a été
produit et je dis en toute sincérité, même si je ne suis
pas entièrement d'accord sur tout, que c'est un travail
considérable et tout à fait intéressant.
En ce qui concerne le rôle de la Banque de France dans l'information
économique, je ferai d'abord quelques rappels.
La Banque de France est une Banque centrale et, en tant que telle, elle a quand
même quelques impératifs de confidentialité dans la
préparation de la politique monétaire ou dans les informations
dont elle peut disposer dans le cadre de ses missions de contrôle
bancaire.
Mais la Banque de France bénéficie d'atouts qui lui permettent
d'aller peut-être au-delà de ses consoeurs dans l'information
économique : elle est très profondément
implantée dans le tissu économique social de la Nation, par son
réseau de comptoirs très dense, ce qui, par ailleurs, n'est pas
forcément l'optimum en termes de gestion budgétaire, mais qui lui
donne un contact très précieux avec la vie économique
nationale.
Par ailleurs, la Banque a connu deux très profondes mutations :
l'indépendance et la création de l'euro et son insertion dans
l'euro-système. Cela a sensiblement élargi son champ
d'investigation et d'intervention.
Dans quel cadre la Banque utilise-elle, élabore-t-elle et analyse-t-elle
l'information économique et monétaire ? Dans le cadre de
trois missions.
Première mission : la préparation des décisions de
politique monétaire qui se font maintenant dans le cadre du Conseil des
Gouverneurs de la BCE, auquel le Gouverneur de la Banque de France participe
pleinement et pour lequel il doit avoir une information statistique, analytique
et synthétique extrêmement approfondie non seulement sur la
France, mais sur l'Europe et sur le reste du monde également.
Deuxième rôle, c'est ce que j'appellerai le message de la Banque
au plan interne comme au plan international.
- Au plan interne, le rôle de la Banque est de veiller à la
stabilité des prix et, à ce titre, elle est appelée
à intervenir et donner une opinion, qui n'est pas forcément
toujours appréciée, sur tous les domaines, qu'ils soient
économiques ou structurels, qui lui paraissent de nature à
compromettre la stabilité des prix. C'est pour cela qu'on peut
l'entendre exprimer ce qu'elle a à dire sur des sujets très
divers tels que le potentiel de production, les finances publiques, la
productivité, les coûts salariaux, l'investissement ou les marges
des entreprises.
- Sur le plan international, la Banque de France est, au titre de Banque
centrale de la France, membre d'organismes internationaux très
importants. Je suis d'accord avec Jean PISANI-FERRY qui disait que sur le plan
international, ce sont les idées qui contribuent à assurer
l'efficacité de notre participation à ces instances. Là,
également, c'est une mission très importante.
J'ajouterai que la Banque a un rôle un peu plus spécifique qui
l'amène à s'intéresser davantage aux pays en
développement puisqu'elle assure la comptabilisation des accords de
consolidation du Club de Paris et qu'elle a un rôle assez éminent
dans la zone franc par ses relations avec les Banques centrales des pays
africains de cette zone.
La troisième mission est la contribution au renom scientifique de la
Banque, à l'information des acteurs économiques par des travaux
de haut niveau ou des documents pédagogiques. Nous pensons toujours
également au renom de la Place de Paris dans ce domaine.
On ne fait absolument aucune rétention d'information sur toutes les
statistiques et enquêtes que nous élaborons nous-mêmes,
qu'il s'agisse de statistiques monétaires, financières, des
enquêtes de conjoncture, des enquêtes sur le coût du
crédit, ou des travaux sectoriels.
Je voudrais faire quelques remarques.
On s'accorde à reconnaître que nous avons un
«
know-how
» reconnu pour mettre au point des
concepts très pertinents. Le biais français consistant à
vouloir avoir toujours un cadre bien bouclé est dans ce domaine assez
productif. Nous avons été, il me semble, assez bons pour
concevoir des concepts financiers donnant un cadre d'analyse très
pertinent. Je pense au Tableau des financements et des placements qui donne une
vue exhaustive et simplifiée des placements et des financements dont
bénéficie l'économie, à tel point que les autres
Banques centrales de l'Euro-système vont l'adopter et la Banque centrale
européenne envisage d'en construire un au plan européen.
Nous serons un « bien public » assez riche, je pense
à nos enquêtes de conjoncture qui paraissent quinze jours environ
après la fin du mois, dans lesquelles on donne des informations assez
détaillées sur le plan sectoriel.
Je vais citer aussi nos statistiques de balance des paiements, que nous
établissons mensuellement. Elles sont trimestrielles aux Etats-Unis et
au Royaume Uni. Nous avons récemment également avancé la
disponibilité de ces statistiques avec des indicateurs avancés.
Nous publions aussi des données très détaillés sur
les placements financiers et les financements et, par ailleurs, nous rendons
aux banques un service très particulier avec la centralisation des
risques, la cotation des grandes entreprises.
En ce qui concerne les analyses et les études, elles prennent un tour
très divers. Je mettrai l'accent sur les prévisions. Nous faisons
des prévisions économiques à la Banque de France
maintenant dans le cadre des prévisions d'ensemble de
l'euro-système. Il y a trois exercices de prévision sur les prix
par an, deux sur l'ensemble de l'économie.
Je crois qu'on se compare là assez favorablement à ce que fait la
FED. Ces prévisions sont maintenant publiées avec des fourchettes
que certains peuvent trouver assez larges, mais il y a là un exercice de
transparence intéressant.
S'agissant de la Banque de France, elle a pris la décision de publier
des prévisions de croissance trimestrielle du PIB, qu'elle tire de ses
enquêtes de conjoncture, c'est-à-dire de ce que lui disent les
chefs d'entreprises. Nous les publions en même temps que les
enquêtes de conjoncture.
La communication de l'ensemble de ces études peut prendre des formes
très variées. Il y a le Bulletin mensuel pour ce qui est de la
voix de la Banque et il y a les notes d'études et de recherches pour ce
qui est des travaux plus personnels, mais qui sont de plus en plus
«
policy oriented
», c'est-à-dire devant
aider à la décision.
J'insiste aussi sur l'éditorial du Bulletin qui est devenu, depuis
environ deux ans, vraiment, la voix du message de la Banque.
J'insiste également sur notre site internet auquel nous attachons
beaucoup d'importance. Il est d'ailleurs en cours de rénovation.
A cet égard, il y a quelques passages sévères, et pas
vraiment justifiés, dans le rapport sur le site internet de la Banque.
Il y a également les conférences et auditions des responsables de
la Banque. Vous savez que le Gouverneur vient très fréquemment
devant la commission des finances du Sénat, comme devant celle de
l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne l'euro-système, nous avons fait un compte des
comparutions des membres de l'état-major de l'euro-système devant
le Parlement européen et des membres de l'état-major de la FED.
Pour l'année 2000, nous avons trouvé autant de comparutions du
Président, en Europe et aux Etats-Unis, un peu moins de comparutions des
membres du board américain que des membres du board de l'Europe mais
plus de comparutions de «
high officers
» en
Amérique que pour l'euro-système. Au total, c'est 13 pour la FED
et 10 pour l'euro-système. Donc pour l'instant, on n'est donc pas encore
dans le cadre d'une comparaison déshonorante.
Nous avons également des supports beaucoup plus informels, que nous
diffusons dans les conférences, les réunions, les colloques.
M. MABILLE
.- Il ne faut pas oublier les fameux graphiques de
M. TRICHET !
M. PATAT
.- Les graphiques du Gouverneur ! J'allais
évidemment les mentionner !
En conclusion, quels sont les perspectives et les problèmes ?
Nous sommes un Etat centralisé et il n'est pas anormal que sur la
réflexion économique et la statistique, l'Etat joue un grand
rôle. Ce n'est pas tout à fait la même chose aux Etats-Unis,
Etat éminemment décentralisé.
Il y a également des spécificités françaises en
matière économique.
La première, c'est la tendance à considérer l'obligation
en statistique comme superfétatoire ; nous avons donc toujours
beaucoup plus de mal -je crois beaucoup plus en France que dans d'autres pays-
à pouvoir obtenir l'information de base qui est malheureusement
nécessaire pour faire les statistiques. Les statistiques, tout le monde
les attend et les utilise et, naturellement ce sont elles qui font vivre les
marchés.
Par ailleurs, je partage entièrement ce qui a été dit sur
la culture économique française, qui n'est peut-être pas au
même niveau que dans d'autres pays, ce qui n'empêche pas d'avoir
souvent des opinions très critiques et très définitives,
parfois d'autant plus définitives que la connaissance est superficielle.
Nous sommes bien conscients que la responsabilité de cette situation
n'incombe pas uniquement aux agents économiques. C'est partagé.
Cela veut dire que du côté de ceux qui offrent l'information, tant
sur le plan de la statistique que des études, il y a des efforts
supplémentaires de pédagogie à faire.
Mais nous devons d'abord être conscients du fait que l'on ne peut pas
tout diffuser. Nous sommes sous l'oeil permanent des marchés et tout ce
qui peut être diffusé, et qui n'est pas vraiment
étayé, ou dont l'origine est un peu confuse, peut être
très contreproductif.
Je vais donner deux exemples.
Il y a eu une réunion qui rassemble des agents de recherche à la
Banque des règlements internationaux, et qui portait sur la gestion des
banques ; on a évoqué à cette occasion l'incidence du
nouvel accord de Bâle sur un certain nombre de comportements bancaires et
financiers. L'agent de la Banque de France était présent ;
c'était un chercheur -avec donc un papier personnel- qui a
évoqué le fait que l'accord de Bâle pouvait peut-être
ne pas être dans tous les cas anticyclique, en tout cas qu'il ne pouvait
pas forcément toujours remédier aux dommages d'un cycle de
crédit ou d'activités défavorables. La BRI a mis cela sur
son site internet et cela a été repris par un journaliste qui a
fait un encart : « La Banque de France contre le futur accord de
Bâle », ce qui était évidemment inexact.
Par ailleurs -c'est moins dommageable-, je disais tous à l'heure que
nous publions des prévisions issues de notre enquête de
conjoncture et je remarque que, désormais, dans tous les messages, de
REUTER ou autres, c'est uniquement la prévision qui est citée, et
pas l'enquête. C'est cela qui fait l'intérêt de
l'information pour les média.
Par ailleurs, nous avons une rareté de la ressource en
économistes. Les chiffres cités dans le rapport du Sénat
me paraissent très optimistes, le marché est quand même
assez étroit et je vous garantis que la Banque n'est pas un organisme
où l'on surpaie les économistes. Par conséquent, nous
avons beaucoup de mal à en recruter et nous en avons assez peu, d'autant
plus que, si je prends la direction générale des études et
des relations internationales, que vous nous avez fait l'honneur de citer dans
votre rapport, la moitié du travail des économistes, c'est aussi
du travail de statisticien, qui est très lourd. Par conséquent,
on est amené à sélectionner et à privilégier
les travaux «
policy oriented
».
Nous sommes indépendants, nous sommes dans l'euro-système ;
il y a donc un corps de doctrine à préserver. Il doit donc y
avoir une distinction bien nette entre ce qui est voix de la banque et
expression plus libre.
Je pense que nous allons vers plus de diffusions, plus d'avancées vers
le public et que dans ce domaine nous sommes capables de ratisser très
large. Je donnerai l'exemple de la campagne que nous faisons actuellement pour
l'euro-fiduciaire aussi bien à Paris qu'en province avec le relais de
nos comptoirs.
M. MABILLE
.- Merci beaucoup. Nous n'avons malheureusement plus le temps
de nous lancer dans un grand débat sur l'indépendance, le
national, l'européen, etc, mais je vais peut-être prendre quelques
questions de la salle puis conclure avec Philippe MARINI.
Un intervenant.- Bonjour, Jérôme
GUILLEMONT
,
société ASTEROP. ASTEROP a pour activité de diffuser et
d'analyser des données statistiques sur le Net, en particulier. Je
voulais revenir sur l'utilisation de l'internet pour la diffusion de
l'information publique.
En effet, tout à l'heure, j'ai été très heureux
d'entendre les réflexions de M. PATAT et de M. VILLEROY DE GALHAU sur ce
sujet puisque vous avez annoncé que vous alliez améliorer vos
sites internet ou diffuser une information complémentaire sur le net. Je
souhaitais savoir quelle est la position des autres intervenants en
matière d'utilisation de l'internet pour diffuser l'information
publique. Merci.
M. MABILLE
.- C'est une question un peu large...
Y a-t-il une autre question ?
Une intervenante.- Je suis
Hélène PERRIN
de
l'
IFRAP
. Je voudrais soulever un point qui n'a pas été
abordé, qui est l'inégalité face à l'information
statistique qui provient notamment de l'INSEE car j'ai entendu que
l'information était publique, donc gratuite. En fait, ce n'est pas tout
à fait le cas. Si vous provenez d'un ministère ou d'une
institution publique, l'information est gratuite, mais pour le secteur
privé, cette information est payante et souvent assez
chère ; cela limite l'accès à l'information.
M. MABILLE
.- Deux réponses : une sur le prix de
l'information, peut-être Jean-Paul FITOUSSI ?
M. FITOUSSI
.- C'est une vraie question. La question de faire payer les
statistiques de l'INSEE doit être débattue. C'est une question de
démocratie, surtout lorsque ces statistiques peuvent être
disponibles sur un site. On pourrait imaginer que lorsqu'elles sont
publiées sur papier, il y a un coût de production
supplémentaire.
Un organisme comme l'OCFE met tout ce qu'il produit sur son site, donc
finalement fournit gratuitement l'information. On comprend mal que l'INSEE ne
le fasse pas ou en tout cas que les règles qui précisent cela ne
soient pas très claires.
M. MABILLE
.- Malheureusement, on ne peut pas répondre à sa
place. On va donc laisser ce débat ouvert.
Sur l'utilisation d'internet, vous avez tous dit les uns et les autres qu'on
peut y trouver beaucoup de choses, notamment sur le site du MINEFI. On parlait
même de sources d'information pour les journalistes. Internet est
aujourd'hui une source où l'on peut trouver beaucoup de choses.
Je passe la parole à Philippe MARINI pour une conclusion de l'ensemble
de cette matinée.
M. MARINI
.- Je ne voudrais pas que l'auteur de la première
question soit frustré et je pense que M. PATAT peut prendre ses
coordonnées pour lui répondre directement car j'ai l'impression
que cela nécessite quelques développements.
Je voudrais remercier particulièrement notre collègue Joël
BOURDIN qui, en sa qualité de président de la
délégation pour la planification, nous a saisis d'un travail
extrêmement intéressant permettant de se faire enfin une
idée globale et cohérente sur le système d'information
économique américain.
Lorsque nous faisons de telles comparaisons -un certain nombre d'entre vous
l'ont dit ce matin- il ne faut, bien sûr, pas oublier le contexte
institutionnel dans lequel on se trouve. Il est très différent en
régime présidentiel et en régime parlementaire.
En régime présidentiel, les pouvoirs publics étant
indépendants, en quelque sorte, les uns des autres, en tout cas le
législatif étant indépendant de l'exécutif, il est
normal et légitime que le législatif, pour aller au bout de ses
missions, soit doté de l'arsenal le plus complet d'informations
économiques sous sa maîtrise exclusive.
Dans le système parlementaire, les choses sont évidemment plus
complexes et nécessairement un peu ambiguës, mais dans les exemples
qui nous ont été donnés par l'intermédiaire du
rapport de Joël BOURDIN, nous voyons bien comment se déroule le
dialogue des experts placés d'un côté auprès du
Président des Etats-Unis et de son Cabinet et, de l'autre, auprès
du Congrès.
Il faut bien réaliser que si les responsabilités sont
différentes, le dialogue existe à un large degré et que
bien souvent des positions sont élaborées par consensus technique
quant à la matière elle-même, quant aux données,
même si ces positions redeviennent libres lorsqu'elles sont prises sous
la responsabilité soit du Président soit des Commissions du
Congrès.
Pour en venir à notre situation spécifique
franco-française, cette matinée a montré qu'il y a
abondance -peut-être même surabondance- d'informations
économiques dans notre pays.
Vous savez que je ne suis pas un thuriféraire de l'actuel Premier
ministre -ce n'est un secret pour personne-, mais il est au moins une chose que
je trouve intéressante dans l'organisation actuelle, c'est le Conseil
d'analyse économique. Je voudrais le dire car même si, bien
entendu, un Premier ministre prend ses positions en vertu des options
politiques qui sont les siennes, que je ne partage pas en l'occurrence, chacun
le sait, le fait de faire dialoguer dans une telle instance des
économistes dont chacun a sa stature, ses travaux, son
expérience, est une très bonne chose pour éclairer le
pouvoir politique. J'espère du point de vue du pouvoir exécutif
en France que cette expérience durera.
Par ailleurs, quand on regarde tout ce qui nous a été dit :
surabondance, pluralité, pluralisme, oui, cela existe en France, mais ce
qui fait sans doute défaut, c'est la commodité d'accès et
la réelle mise en concurrence des sources dans l'intérêt du
Parlement.
Je vais me situer à présent du point de vue du Parlement dans le
cadre qui est en train de s'inscrire dans la loi organique.
Philippe AUBERGER a évoqué ce point. Il est tout à fait
essentiel. J'ai bien dit « qui est en train de s'inscrire »
car j'ai tout lieu de penser que demain nous allons clore le débat en ce
qui concerne la loi organique. Je peux dire sans trop de risque - je
l'espère - de me tromper que l'approche de l'Assemblée nationale,
l'approche du ministère de l'économie et des finances, l'approche
du Sénat, en ce qui concerne la réécriture de l'ordonnance
organique du 2 janvier 1959 sur les lois de finances, ont
débouché sur un texte commun qui n'est la propriété
de personne, sauf celle de la République, puisque ce texte n'est
appelé à s'appliquer véritablement qu'à partir de
2005-2006 dans une configuration que, naturellement, personne ne peut imaginer
aujourd'hui de son point de vue partisan ou sectoriel.
Je pense que nous avons fait oeuvre utile, et cela pour plusieurs raisons et
l'information économique et son pluralisme sont bien au coeur de cette
réforme.
- Première raison : nous allons dans le sens de plus de
transparence. Nous visons des décisions prises consciemment dans un
processus rationnel et avec une expression susceptible d'être
diffusée, popularisée, vulgarisée de telle sorte que
l'opinion publique puisse être partie prenante dans le débat des
finances publiques.
- En deuxième lieu et pour illustrer mon propos, nous avons
tâché d'effectuer une avancée dans le sens de la
globalisation des données relatives aux finances publiques,
c'est-à-dire les finances de l'Etat, les finances des organismes sociaux
et, le cas échéant, les finances consolidées des
administrations territoriales. L'un des acquis de cette réforme, parmi
d'autres, mais je le cite parce qu'il est à mon sens emblématique
et important, ce sera la possibilité, en facteur commun, à
l'automne, des deux débats (loi de financement de la
sécurité sociale, loi de finances initiale), de tenir en
présence du Premier ministre dans chaque assemblée, un
débat sur le prélèvement obligatoire, globalement, par
l'analyse en grandes masses des impositions de toutes natures et en faisant
apparaître l'affectation de ces ressources issues du
prélèvement obligatoire. Facteur commun à la discussion de
l'un et l'autre document, de la loi de financement de la Sécurité
sociale et de la loi de finances initiale, c'est-à-dire des deux lois de
finances publiques car aujourd'hui on ne peut plus dire que la loi de finances
de l'Etat est le lieu où se globalisent toutes les informations sur les
recettes, les dépenses et le solde.
- En troisième lieu, nous avons insisté sur la permanence des
méthodes comptables, l'instrument comptable, l'appareil statistique qui
y contribue, le choix des méthodes, ce sont des sujets absolument
cruciaux. Sujets qui conditionnent la crédibilité internationale
de la France, il faut en être conscient Dans le cadre de nos engagements
européens dans l'arène internationale, pour
bénéficier de la meilleure cotation possible de notre dette sur
les marchés financiers, il faut travailler comme le fait aujourd'hui
tout groupe d'entreprises dans le cadre de la permanence des méthodes et
plus jamais, à partir de 2005-2006 (vous voyez que d'ici là les
turpitudes sont encore possibles !), on ne devra voir des épisodes
comme celui de 1999-2000 avec, ainsi que la Cour des comptes l'a bien
montré, l'arbitraire de l'imputation des recettes, des dépenses
et l'arbitraire des méthodes utilisées tant pour estimer les
recettes en cours d'année que pour les affecter à l'exercice ou
à l'exercice suivant.
Permanence des méthodes, rigueur, exigence, tout cela naturellement sera
très difficile à supporter, mais dès lors qu'on le veut,
que c'est l'intérêt de la France en Europe et dans le monde, je
pense qu'on le fera réellement.
- En quatrième lieu et enfin : revalorisation des moyens de
contrôle du Parlement.
Chacune des chambres du Parlement, chacune des commissions des finances
disposera d'un arsenal d'informations beaucoup plus large. Le Parlement
s'habituera à raisonner en termes de stocks et non plus seulement de
flux. L'un d'entre vous l'a dit tout à l'heure. C'est à la
vérité l'un des aspects essentiels de la réforme. La
comptabilité patrimoniale deviendra une réalité et un
élément du débat sur les finances publiques.
Bien sûr, le Parlement, s'il veut exercer tout son rôle, devra
s'organiser. Je pense que cela dépend de lui. Il appartient au Parlement
de mettre en concurrence les sources d'informations économiques. Pour
cela, il faut quelques moyens. Ces moyens, en simplifiant les choses
grossièrement, se situent à trois niveaux.
1) Des moyens en expertise, c'est-à-dire avoir de l'argent pour payer
les experts et pour mettre à disposition gratuitement leurs travaux
parce que j'ai bien entendu la question de tout à l'heure. Si vous
abordez les sites des assemblées parlementaires, vous trouvez beaucoup
de travaux d'origine INSEE d'accès libre et gratuit. Il suffit donc
finalement pour diffuser librement et gratuitement l'information qu'elle soit
absorbée par l'appareil parlementaire qui restitue - c'est sa fonction -
de façon libre et gratuite. Il est vrai qu'il faut y consacrer de
l'argent. Si l'on doit faire travailler des professionnels, cela coûte.
Il y aura des questions d'arbitrage à faire au sein de nos
assemblées parlementaires, il y a des choses que l'on paye qui sont sans
doute moins utiles que cela. Je n'en dirai pas plus, mais je crois que c'est le
propre de toute institution que de devoir se remettre en cause en fonction de
la réalité des choses. Sinon on est inférieur à sa
tâche et on n'exécute pas correctement son mandat.
2) Ensuite, il faut naturellement aux assemblées parlementaires et aux
commissions des finances, en particulier, des moyens en personnel. Il est clair
que la commission des finances devrait en avoir deux ou trois fois plus. En
général, je dis qu'il y a trop de fonctionnaires et trop
d'emplois publics, mais il est clair que le rapporteur spécial des
crédits de l'éducation nationale, qui a le plus gros budget de
dépenses de l'Etat, qui a un tiers d'administrateur, il peut faire ce
qu'il peut, mais cela n'ira pas très loin ! Je ne dis pas qu'il lui
faut toute la Cour des comptes mais s'il avait déjà un
administrateur plein, ce serait pas mal, s'il en avait deux, ce serait
raisonnable, s'il y en avait un pour l'enseignement primaire et un pour
l'enseignement supérieur, cela permettrait de faire des choses.
La commission des finances, c'est un peu un « commando »,
mais pour que ce « commando » soit efficace, il faut que
ses membres, c'est-à-dire les responsables politiques, les
députés ou les sénateurs, prennent cette tâche au
sérieux.
Je crois que nous le faisons mais il faut savoir pratiquer l'autocritique. Ce
n'est peut-être pas encore tout à fait suffisant.
Donc, dans le cadre de la réforme, avec la nouvelle loi organique, non
seulement il faudra plus d'argent pour payer des experts, non seulement il
faudra faire des arbitrages internes - après tout, je crois que l'on
doit pouvoir le faire à dépense globale inchangée - pour
avoir plus d'administrateurs dans les secteurs pertinents et importants, en
particulier les commissions des finances.
3) En troisième lieu, il faudra que les parlementaires s'habituent
davantage, et en plus grand nombre, à considérer que l'honneur de
leur mandat, c'est dans, bien sûr, leur circonscription et leur
département que cela se déroule, mais c'est aussi en
exerçant leur tâche de contrôle du gouvernement, de
proposition et d'action.
Tout cela suppose, bien entendu, de pouvoir travailler sur une matière
vive qui, dans nos domaines, est l'information économique.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je ne peux
pas citer chacun des contributeurs. Je voudrais les remercier tout
particulièrement de ce qu'il nous ont dit.
J'ai isolé un point dans l'intervention de M. COTIS. Je voudrais lui
répondre qu'en ce qui concerne le Rapport économique, social et
financier, il est lu et très régulièrement cité
dans nos rapports budgétaires. Lors de la réforme de l'ordonnance
organique, son statut a été revalorisé. C'est une
idée que nous, parlementaires, avons imposée. Nous sommes les
utilisateurs privilégiés de ce rapport. Nous serions sensibles,
lorsque les choses se mettront en place dans le cadre de la nouvelle loi
organique, à être associés à sa modernisation, donc
à son reformatage et, à la résolution d'un certain nombre
de problèmes de méthode. Et peut-être aussi voudrions-nous
que dans la diffusion de cette information économique publique, on
prenne soin au langage, c'est-à-dire que l'on parle en faisant l'effort
de s'adresser à tout le monde, n'est-ce pas ? Parce que le
« langage INSEE ou DP » nécessite souvent une
traduction, ni plus ni moins que le « langage DATAR » ou
d'autres langages administratifs, mais si l'on se place du point de vue du
parlementaire moyen et encore plus de l'opinion publique, il y a certainement
des progrès à faire. Je suis sûr que nous aurons tous
à coeur de les réaliser ensemble.
Merci de votre attention.
M. MABILLE
.- La séance est levée.
(Applaudissements.)
(La séance est levée à 13 heures 05.)
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