B. DES PROGRÈS DOIVENT ÊTRE RECHERCHÉS
Comment
progresser vers une information économique plus satisfaisante ?
Cette question globale peut se décliner en deux interrogations :
comment améliorer la qualité de la production d'informations
économiques par le système public sous monopole ?
comment revivifier le débat public économique ?
1. Comment améliorer la qualité de la production d'informations économiques par le système public
A partir
du constat largement partagé d'une relation étroite entre le
niveau de qualité des informations économiques produites par le
système public et son organisation sous forme de monopole placé
dans la sphère gouvernementale, il pourrait être tentant de
supprimer ce monopole. On pourrait ainsi songer à constituer en agences
indépendantes les services à vocation statistique tel l'INSEE,
voire la Direction Générale de la Comptabilité Publique
(DGCP).
Sans récuser
a priori
cette solution, votre rapporteur est
conscient des difficultés qu'elle comporte. S'il est indispensable de
conférer davantage d'autonomie aux producteurs d'informations
économiques, il convient de prendre en considération des
données pratiques telles que les relations naturelles entre productions
statistiques et actions administratives.
Une bonne insertion des services
d'informations économiques dans les administrations paraît
plutôt le gage d'une information de qualité, comme l'ont
souligné Paul CHAMPSAUR, directeur général de l'INSEE, ou
Jean BASSÈRES, directeur général de la comptabilité
publique.
Pour autant, le
statu quo
ne saurait être
privilégié. Il convient assurément de progresser vers
davantage d'autonomie des producteurs publics d'informations
économiques. Il faut, dans ce cadre, progresser notamment vers plus de
transparence et de partage de leurs productions.
Aux yeux de votre rapporteur, cet objectif requiert d'abord
l'énoncé d'un ensemble de règles générales
constitutives d'une sorte de « code de bonnes pratiques »
ou, comme on voudra, de « charte des services publics d'information
économique »
. Les obligations de service public qu'ils
devraient respecter doivent être précisées, qu'il s'agisse
de la programmation, de l'explicitation ou de la livraison des données
produites. En même temps, des garanties doivent être
accordées à ces services en termes d'accès aux
données produites par les entités gestionnaires mais aussi de
protection contre les influences politiques. La réflexion à
laquelle invitent ces recommandations suppose sans doute de concevoir un statut
de l'information économique, variable selon les enjeux propres à
chaque catégorie d'informations. Une classification de ces
données pourrait être développée.
En tout cas, l'énoncé d'un « code de bonnes
pratiques » doit impliquer des acteurs extérieurs aux
administrations elles-mêmes
. L'expérience de la réforme
de l'ordonnance organique est, là aussi, probante. Sans l'implication
très forte du Parlement, les progrès que comporte la nouvelle loi
organique dans le domaine de l'information comptable n'auraient
été qu'hypothétiques. L'information statistique devra
faire l'objet d'une « normalisation » entreprise de
l'extérieur, en partenariat, c'est évident, avec les producteurs.
Votre rapporteur considère que la transparence et le partage des
productions d'informations économiques devront être un
élément fort de cette charte des services publics d'information
économique
. Pour assurer la transparence et le partage de
l'information économique produite par le système public, il
convient d'abord de veiller à ce que des règles adéquates
soient établies dans le cadre du « code de bonnes
pratiques » qu'il appelle de ses voeux. Elles devront concerner les
informations économiques brutes mais aussi les procédés
plus élaborés de production de ces informations.
On peut en citer un exemple particulièrement important, qui a trait
à l'information sur les administrations publiques. Votre rapporteur est
ainsi conduit à saluer l'effort de transparence réalisé
par la direction de la Prévision en matière de prévisions
fiscales et rappelé dans les termes suivants par M. Jean-Philippe
COTIS, directeur de la Prévision :
«
Cet effort de transparence, nous avons souhaité le
prolonger depuis l'automne dernier en organisant une séance plus
spécifiquement consacrée aux prévisions fiscales et aux
méthodes qui les sous-tendent. C'est un domaine où l'expertise
n'est pas très développée à l'extérieur du
ministère. Il est donc important que les économistes
extérieurs soient en mesure de mieux déchiffrer et, si
nécessaire, de mieux critiquer nos prévisions
. »
Il semble à votre rapporteur que cet effort devrait être
prolongé par un partage organisé du savoir-faire de la direction
de la Prévision, notamment en matière d'élucidation des
tendances des finances publiques
. Il existe d'ailleurs une convention entre
le Sénat et le ministère des finances garantissant un tel
partage. Malheureusement, sans qu'il ne l'ait formellement
dénoncée, le ministère des finances s'en est affranchi en
pratique. Il convient donc de reprendre cette question pour concevoir des
solutions ne frustrant pas la communauté nationale de l'accès
à un savoir-faire qui, comme l'a souvent rappelé notre
collègue Bernard ANGELS, rapporteur spécial des crédits du
ministère des finances, constitue un bien public par excellence.
Mais, au-delà de l'énoncé de règles, des mesures
supplémentaires s'imposent pour que les administrations productrices
d'informations économiques communiquent mieux avec leur
environnement
. Deux aspects devraient être développés.
Tout d'abord, il conviendrait qu'une
certification
des données
produites par ces administrations soit organisée
8(
*
)
. Cette recommandation s'inspire
directement de la solution sagement retenue dans le cadre de la réforme
de l'ordonnance organique avec la mission de certification des comptes de
l'Etat attribuée à la Cour des Comptes.
D'autre part, il importe de trouver les moyens d'une
rencontre plus
satisfaisante entre l'offre et la demande d'informations
économiques
. Le « code de bonnes pratiques »
souhaité par votre rapporteur devra comporter des règles
ad
hoc
; mais il faut également revitaliser les instances
où un tel dialogue peut se nouer.
Votre rapporteur considère
qu'au moment où les parlementaires ont souhaité poser des
exigences renforcées de pilotage des actions publiques par la
performance, il faut instaurer une instance de haut niveau destinée
à garantir l'accès démocratique aux données, et
à leurs conditions de production, qui fonderont l'appréciation
desdites performances
.
2. Comment revivifier le débat public économique ?
Votre
rapporteur a été très marqué par la tonalité
de plusieurs interventions d'où s'est dégagée
l'idée d'une certaine faiblesse du débat économique en
France.
Ainsi, M. Philippe LEFOURNIER a-t-il pu se demander si «
en
conservant la spécificité française - ce monopole de
l'INSEE -, on ne pourrait tout de même pas améliorer sa
contribution au débat
», ajoutant : «
Il
ne faudrait pas que l'on ait l'impression que l'INSEE ne travaille que pour le
gouvernement, mais que ce soit aussi la maison de tout le monde, la maison du
peuple.
»
Quant à lui, le directeur délégué du Conseil
d'analyse économique, Jean PISANI-FERRY, après avoir
estimé qu'on devrait «
avoir beaucoup d'admiration pour la
qualité du débat économique
américain
» et observé que beaucoup de
progrès avaient été réalisés en France, a
déploré que «
la culture économique reste peu
présente dans le débat français
».
De toute évidence, nous restons très éloignés du
modèle américain et, sans ambitionner de le transposer
littéralement, nous gagnerions à amplifier les efforts
réalisés au cours des vingt dernières années pour
en réunir les meilleurs aspects. Quels sont-ils ?
Le premier d'entre eux est, à l'évidence, le pluralisme de
l'expertise économique ; le second, l'existence au Congrès,
de services spécialisés d'analyse économique assurant au
Parlement une forte capacité autonome d'expertise
dans le domaine
macroéconomique, sectoriel ou d'évaluation des politiques
publiques.
S'agissant du premier volet, la France a sans doute beaucoup
progressé. Mais votre rapporteur souhaite que les instituts
indépendants, qui ont été l'une des incarnations majeures
de ces progrès, soient confortés
. A cet égard, il juge
pertinentes les recommandations du président de REXECODE, Michel DIDIER,
soulignant qu' «
un accès permanent des instituts
d'étude et de recherche indépendants aux administrations
financières devrait être organisé et officialisé,
c'est-à-dire que les questions que les chercheurs, les instituts
extérieurs à l'administration peuvent avoir à poser, tant
sur la préparation du budget, sur le contenu du budget, sur son
exécution, ces questions doivent être reconnues comme normales par
les administrations publiques. Cela suppose, à mon sens, que cela soit
organisé. Cela ne peut pas se faire uniquement par les relations
bilatérales ou personnelles qui peuvent s'établir entre
l'administration et telle ou telle personne extérieure.
».
Il souscrit également à sa suggestion selon laquelle
«
des études d'intérêt général
sur les administrations publiques devraient être initiées par
l'administration elle-même.
»
De la même manière, il partage l'insistance du Président de
l'OFCE, Jean-Paul FITOUSSI, pour que l'indépendance de son organisme
soit respectée et il ne peut qu'être sensible aux problèmes
de taille critique évoqués par lui.
Votre rapporteur estime qu'un grand nombre de difficultés
rencontrées par les acteurs de l'information économique pourront
être résolues dans le cadre de la « charte des services
publics d'information économique » qu'il convient
d'élaborer. Il milite, en outre, pour que soient garantis aux instituts
indépendants des financements stables, organisés de telle sorte
que leur indépendance n'en soit pas affectée.
En ce sens, il se félicite que le Sénat ait, depuis longtemps,
montré son soutien à ces organismes et souhaite vivement que
cette contribution soit maintenue, voire amplifiée
.
Notre Haute Assemblée ne peut pas, en effet, être
indifférente aux hommages qu'elle reçoit et votre rapporteur est
ainsi fier de pouvoir citer ici ceux qui ont été
décernés lors du colloque dont les débats sont ici
rapportés. Il remercie notamment le Président de l'OFCE,
Jean-Paul FITOUSSI, pour ses propos :
«
Si je disais que substantiellement, je suis très heureux
de me trouver en ce lieu, c'est que le Sénat a joué un rôle
majeur dans la crédibilité de l'OFCE. Un rôle majeur parce
qu'il lui a confié de nombreuses études. Je me souviens du
modèle multinational de l'économie mondiale, que ce modèle
est né ici, dans cette salle.
Cela montre bien que d'emblée, le Sénat a exprimé le
besoin d'études indépendantes et en même temps a
crédibilisé ces études indépendantes. C'est
essentiel. Je ne saurais trop me féliciter ex post de cette politique
qui consiste à privilégier sur toutes les autres études
que l'OFCE peut réaliser, les études pour les assemblées
parlementaires.
»
Il remercie également, en tant que président de la
délégation du Sénat pour la planification, Jean
PISANI-FERRY, d'avoir rappelé la contribution de cette
délégation en ces termes :
«
De la part du Parlement, il y a eu, notamment dans le cadre de
la délégation à la planification, une demande constante
mais plutôt centrée aussi sur les aspects
macro-économiques. Cela a contribué à nourrir des travaux
et des progrès dans les instituts auxquels il a été fait
appel.
»
Votre rapporteur en conclut que le Parlement peut et doit être un
point d'ancrage pour que progresse le débat public économique
dans notre pays
.
Ce faisant, le Parlement se rapprochera d'ailleurs naturellement des
standards américains, qui comportent la constitution d'une forte
expertise économique auprès du Congrès.
Le Président du Sénat, M. Christian PONCELET, a très
opportunément souhaité accélérer la
rénovation de l'institution sénatoriale. Elle devra sans nul
doute comporter un volet sur la capacité d'expertise économique,
au sens large
9(
*
)
, du
Sénat. Le débat est donc ouvert.
Votre rapporteur veut, à ce stade, rappeler deux des
caractéristiques importantes du système placé dans
l'orbite du Congrès américain :
La première est qu'avec le
General Accounting Office
(
GAO
), qui est formellement une agence du Congrès, celui-ci
dispose d'un « chien de garde »
(«
watchdog
» en américain) en matière
d'audit et d'évaluation dont l'objectif est de satisfaire les besoins de
son client. A cet égard, il apparaît que l'équivalent
national du GAO, la Cour des comptes, ne peut pas offrir les mêmes
services, dans les mêmes conditions. C'est, en tout cas, semble-t-il,
tout le sens de la décision du Conseil constitutionnel relative à
la loi organique sur les lois de finances du
1
er
août 2001. Il semble que, dans notre ordre
constitutionnel, la nature juridictionnelle de la Cour des comptes, et
l'indépendance indispensable qui s'y attache, interdisent de lui
conférer pleinement un rôle analogue à celui du GAO. Cette
donnée doit être prise en considération.
La seconde est que le Congrès, pour asseoir sa compétence, s'est
doté d'organismes propres, concentrant d'importants moyens
indépendants, spécialisés et au service de l'ensemble de
l'institution parlementaire.
Votre rapporteur s'interroge sur la transposabilité de toutes ces
caractéristiques à la situation française. Il souscrit aux
nuances mises en évidence par Philippe MARINI, rapporteur
général de notre commission des finances. Il est bien vrai que la
nature du régime politique doit être prise en compte et
qu'«
en régime présidentiel, les pouvoirs publics
étant indépendants, en quelque sorte, les uns des autres, en tout
cas le législatif étant indépendant de l'exécutif,
il est normal et légitime que le législatif, pour aller au bout
de ses missions, soit doté de l'arsenal le plus complet d'informations
économiques sous sa maîtrise exclusive
. »
Inversement, «
dans le système parlementaire, les choses
sont évidemment plus complexes
... ».
Ainsi, il serait probablement inutile, voire utopique, et en tout cas fort
coûteux, de dupliquer les administrations gouvernementales auprès
du Parlement, et de doter celui-ci en propre de moyens aussi
considérables que ceux du Congrès.
Votre rapporteur ajoute que la perspective de services d'expertise communs
à l'Assemblée nationale et au Sénat, sans être
a
priori
récusable se heurterait sans doute aux
caractéristiques du bicamérisme à la française.
En revanche, votre rapporteur considère que les autres traits de
l'organisation du Congrès peuvent utilement servir de
références. Il en va ainsi de l'existence de services
spécialisés, indépendants (cette condition est
déjà largement remplie compte tenu de l'obligation de
neutralité politique imposée aux fonctionnaires parlementaires)
et transversaux, c'est-à-dire capables de répondre aux demandes
des différentes composantes d'une assemblée parlementaire.
Enfin, une augmentation des moyens d'études doit intervenir. Sur ce
point, votre rapporteur considère que, si les moyens propres du
Parlement doivent être renforcés, il faut également, pour
reprendre la suggestion de notre collègue Philippe MARINI
«
avoir de l'argent pour payer les experts et mettre à
disposition gratuitement leurs travaux
»
.
En bref, pour
reprendre une image propre au développement des entreprises, la
croissance interne ne doit pas occulter l'importance des partenariats.
Votre délégation en est particulièrement consciente, elle
qui, grâce à la compétence générale qui lui a
donnée la loi et à la liberté que lui donne une
activité qui n'est pas directement soumise aux contraintes de
l'actualité législative, s'efforce de mobiliser les expertises
extérieures au service du Sénat.
SÉNAT