ÉLÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES
Après avoir évalué le poids de l'automobile dans l'économie du pays, nous allons à présent aborder les études coûts - bénéfices liées à l'automobile : quelles sont les méthodologies utilisées ? Quels sont leurs résultats ? Comment expliquer les écarts qui apparaissent d'un rapport à l'autre ?
Cette troisième partie présente les diverses méthodologies existantes, les difficultés de valorisation monétaires rencontrées et les études retenues. Son objectif est d'orienter la compréhension du lecteur pour les deux parties suivantes que sont l'analyse des coûts et l'analyse des bénéfices liés au secteur automobile.
Les efforts de monétarisation des coûts externes sont nombreux et posent des problèmes spécifiques. En effet, une des premières conclusions qui ressort d'une lecture des études existantes est la variabilité importante des résultats obtenus. D'autres conclusions frappantes sont l'importance du contexte dans lequel ces études ont été menées (statut des auteurs, environnement médiatique, etc.) et le manque de précision quant aux méthodes utilisées.
Une des premières causes de différence tient aux effets négatifs considérés. Ceux-ci ne sont pas identiques d'une étude à l'autre, certaines études prenant une approche très large incluant tant des coûts monétaires directs que des coûts sociaux tels les dommages liés aux accidents ou les nuisances dues au bruit, tandis que d'autres sont plus restrictives et s'en tiennent à des facteurs de coûts pour lesquels des méthodologies solides d'évaluation ont été développées.
Une fois les effets négatifs identifiés, leur valorisation n'en est pas moins simplifiée, ne serait ce que pour identifier précisément les caractéristiques des dommages : nature (ex : changement climatique lié à l'émission anthropogénique de gaz carbonique), ampleur (ex : difficulté à évaluer les effets du bruit à travers le stress généré, le déséquilibre mental ou les maladies cardiovasculaires induites -- d'autant plus que la perception de la gêne peut être variable d'un individu à l'autre), identification des liens causes - effets (ex : influence du milieu de propagation - rural, urbain, position géographique), valorisation (ex : combinaison difficile de l'éthique, de l'économique et du socio-économique pour l'évaluation de variables comme la vie humaine d'autant plus que le contexte joue un rôle essentiel comme l'état de la recherche scientifique, la sensibilité de la population).
Une troisième difficulté tient à l'ambivalence des coûts et investissements étudiés. En effet, les coûts peuvent être estimés dans une fourchette raisonnable mais se pose le problème des effets positifs ou négatifs induits par un investissement. Exemples : pots catalytiques qui réduisent les émissions polluantes mais augmentent la consommation et donc la dépendance énergétique, construction d'une nouvelle voie urbaine et développement du potentiel commercial que cela peut générer.
L'ensemble des définitions de coûts est présentée en annexe. On distingue traditionnellement les coûts internalisés (l'usager supporte directement tout ou partie du coût ou bénéfice que procure son propre déplacement) des autres coûts qui, comme les définit le rapport « Imputations des charges d'infrastructures routières pour l'année 1997 » du Conseil général des ponts et chaussées, « ne sont pas (ou insuffisamment) internalisés et concernent en particulier les coûts liés à la gêne subie :
- soit par la collectivité (ou/et les riverains) qui les prend en charge (cas du bruit, de la pollution locale et régionale, de l'effet de serre, dégradation des sites, monuments et habitations),
- soit conjointement par la collectivité et l'usager (insécurité routière...),
- soit par les usagers (gêne mutuelle subie à certaines heures et périodes de l'année sur les axes et secteurs saturés). »
Par ailleurs les coûts à différencier sont nombreux : ils peuvent être directs, indirects, internes ou externes. Les coûts que nous avons identifiés à travers les diverses études analysées sont liés aux infrastructures (investissements, entretien, exploitation), à l'environnement (pollution de l'air, effet de serre, bruit), à la sécurité (accidents), à la congestion et à d'autres facteurs (dégradation de l'environnement, coûts urbains, aménagement du territoire, consommation d'espace, coûts de la dépendance énergétique, coût de rebut) .
I. ÉLÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES GÉNÉRAUX SELON LA COMMISSION EUROPÉENNE, « VERS UNE TARIFICATION ÉQUITABLE ET EFFICACE DES TRANSPORTS... » LIVRE VERT, 1995
Valeur monétaire des coûts externes : Dans une économie de marché, la valeur des biens et des services est généralement chiffrée sur la base de leur valeur marchande. Ce prix de marché reflète ce que les consommateurs ou producteurs sont prêts à payer, c'est-à-dire ce que le produit vaut pour eux. Pour les coûts externes, il n'y a pas de marché et la détermination de leur valeur monétaire est extrêmement difficile. Les économistes ont mis au point et utilisé plusieurs méthodes différentes pour mesurer les coûts externes dans les transports.
Méthode de la fonction des dommages / réponse proportionnelle à la dose : Cette méthode tente d'établir une relation, fondée sur des bases scientifiques, entre la pression observable exercée sur l'environnement (émission de particules, bruit, etc.) et l'impact observable (augmentation du taux de morbidité ou de mortalité, etc.). Ce dernier facteur est le seul à être évalué en termes monétaires. Cette méthode semble intéressante parce qu'elle se fonde sur des données scientifiques établies, mais elle limite l'évaluation monétaire aux coûts visibles sur le marché (coût d'hospitalisation, productivité de la main-d'oeuvre, etc.). La méthode présente donc le très sérieux inconvénient de ne pas pouvoir déterminer combien les gens sont prêts à dépenser pour réduire le risque de dommage en cas d'incertitude scientifique (approche prudente). Dans la pratique, la méthode amènera donc souvent à sous-estimer les coûts sociaux d'une externalité donnée. Par ailleurs, elle peut s'indiquer tout particulièrement dans les cas où les gens n'ont pas conscience de la proportionnalité de la réponse à la dose et n'ont donc probablement pas de préférence bien établie.
Méthode des coûts de prévention : Cette méthode souvent utilisée prend le coût des mesures prises pour réduire les externalités comme valeur approximative de ces dernières. Elle se fonde sur l'idée que, dans une démocratie parlementaire, les gens expriment leurs préférences non seulement sur le marché, mais aussi pendant les élections. Le principal avantage de cette méthode réside dans le fait que les coûts de prévention sont relativement faciles à calculer étant donné que le coût des technologies aval (convertisseurs catalytiques, etc.) ou d'autres moyens de défense (double vitrage à isolation phonique, etc.) est généralement bien connu. La méthode présente aussi deux grands inconvénients. Le premier et le plus important réside dans le fait que ceux qui veulent établir les priorités politiques ne peuvent pas soumettre différentes options politiques à une analyse coûts - avantages préalable puisque ces avantages ne peuvent se manifester qu'après coup, quand les décisions politiques ont été prises. Par ailleurs, étant donné les caractéristiques des processus politiques dans un système démocratique, il y aura nécessairement un certain intervalle entre la réorientation des préférences des gens et la réorientation des décisions politiques. D'autre part, le processus démocratique ne capturera normalement que des préférences agrégées (« davantage de qualité environnementale » plutôt que « réduction de 40% des émissions de particules »).
Méthode hédoniste : Cette méthode consiste à rechercher un marché où des biens ou des facteurs de production sont échangés pour observer l'incidence des paramètres environnementaux sur les prix qui y sont pratiqués (marchés dits de substitution). Les méthodes « hédonistes » le plus couramment utilisées observent les valeurs des biens immeubles (prix des maisons, par exemple) ou les salaires pour estimer la valeur monétaire des coûts externes. Cette méthode, souvent utilisée pour estimer le coût du bruit des transports, se fonde sur une logique claire. Comme les gens préfèrent ne pas habiter à proximité d'une route ou d'un aéroport bruyant, le prix des maisons tend à y être quelque peu inférieur à ce qu'il aurait été au même endroit, mais sans le bruit. La comparaison du prix d'une maison située en un lieu bruyant avec celui d'une maison située dans un environnement identique, ou à tout le moins similaire, mais calme, donne une évaluation implicite du coût économique du bruit. Il est évident que la méthode hédoniste ne permet d'évaluer le coût que des seuls impacts dont les gens ont conscience. Elle postule en outre l'existence de possibilités aisées d'équilibrage entre tous les paramètres. Ces diverses raisons, et d'autres encore, donnent à croire que la méthode hédoniste tendra souvent à sous-estimer l'importance des coûts externes en cause. D'autres méthodes (celle par exemple des coûts de déplacement) adoptent une méthodologie semblable à celle de la méthode hédoniste, mais elles sont moins applicables au problème spécifique des externalités des transports.
Méthode des préférences déclarées : Cette méthode est la plus proche de ce que l'on pourrait idéalement souhaiter du point de vue économique, à savoir une expression des préférences en termes monétaires sur un marché. Cette méthode fait normalement appel à des entrevues ou questionnaires écrits pour quantifier l'atteinte que les citoyens jugent avoir été portée à leur bien-être par leur exposition à une dose donnée d'externalités.
Dans les études qui visent à déterminer la disposition à payer, les intéressés sont invités à préciser ce qu'ils sont disposés à payer pour ne plus être victimes d'un niveau donné d'externalités (par exemple le bruit du trafic). Dans les études qui portent sur la disposition à accepter, les intéressés sont de même invités à préciser la compensation financière à la détérioration de leur environnement qu'ils devraient obtenir pour se trouver aussi bien qu'avant.
Les deux procédures n'arrivent pas nécessairement à la même valeur monétaire. Le choix entre les deux méthodes à opérer dans un cas particulier dépend dans une large mesure du rôle des droits de propriété existants. Si l'on estime que les gens ont droit à un environnement propre, calme et sûr, il conviendrait d'accorder une compensation à ceux dont la qualité de l'environnement est mise à mal par le comportement d'autres. Dans un tel cas, la méthode de la disposition à accepter semble être la plus appropriée. Si, en revanche, l'environnement est déjà altéré et que tout tourne autour de la question de savoir de combien la pression qu'il subit doit être réduite, la méthode de la disposition à payer semble devenir la plus adéquate. Il importe aussi de ne pas perdre de vue que la disposition à payer est fonction de la capacité de payer (revenus) et que cette relation est moins forte dans le cas de la disposition à accepter. Le choix de la méthode d'évaluation peut influer profondément sur la détermination de la valeur monétaire.
En règle générale, la méthode des préférences déclarées tend à attribuer aux coûts externes une valeur monétaire plus élevée que les autres méthodes parce qu'elle prend en compte beaucoup plus d'éléments de la valeur économique.
Un exemple permet d'illustrer le propos. La plupart des pays attribuent une valeur monétaire à une vie statistique pour évaluer le coût des mesures prises pour améliorer la sécurité du trafic. Ces valeurs varient toutefois considérablement d'un pays à l'autre. Il est intéressant de constater que dans les pays qui adoptent la méthode de la disposition à payer en tenant compte par exemple du coût de la douleur et des souffrances des parents, la valeur monétaire tend à être deux fois plus élevée que dans les pays qui se limitent à des facteurs facilement mesurables tels que les dommages physiques ou la valeur de la production perdue. Dans les faits, les pays qui optent pour la méthode de la disposition à payer chiffrent à 1,3 million d'écus en moyenne le coût d'un accident mortel de la circulation. S'il y avait donc un « marché » de la sécurité du trafic, le prix de marché serait très vraisemblablement proche de cette valeur globale, une valeur qui inclut l'élément « qualité de la vie ».
L'un des inconvénients des méthodes de la disposition à payer ou de la disposition à accepter tient au fait qu'elle rend, du fait de l'ampleur du travail à réaliser sur le terrain, les études plus chères que celles qui sont réalisées par d'autres méthodes et que l'on tente donc de transposer à d'autres études ou à d'autres lieux les résultats d'une estimation des avantages faite dans d'autres circonstances. Par ailleurs, les entrevues et les questionnaires doivent être conçus avec soin de façon à minimiser le risque de réponse stratégique ou l'apparition d'autres différences entre les préférences déclarées et les préférences réelles. En dépit de ces inconvénients, la méthode des préférences déclarées doit à sa nature globalisante et au fait même qu'elle se fonde directement sur les préférences d'être, d'un point de vue économique, sans doute la meilleure méthode d'évaluation des coûts ou avantages externes. Il est vraisemblable aussi qu'elle soit la seule méthode qui permette en principe de chiffrer en termes monétaires la valeur que les gens accordent à la simple existence d'un patrimoine collectif rare ou à la possibilité de continuer à en profiter à l'avenir. Sa validité est maintenant acceptée par tous (cf. conclusions d'un comité d'économistes de haut niveau récemment créé par la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine) et un guide d'utilisation de cette méthode est désormais disponible.