II. UNE COMPLEXITÉ CROISSANTE DES TÂCHES NÉCESSITANT UNE VÉRITABLE ÉVALUATION
A. DES OBLIGATIONS DE SERVICE DEVENUES INADAPTÉES
1. L'obsolescence de la définition du service
Parmi toutes les tâches que doivent assurer les universitaires dans le cadre des missions de l'enseignement supérieur, seul le service d'enseignement fait l'objet d'une obligation statutaire quantifiée.
a) Seul le service assuré en présence des étudiants est pris en compte
La
définition des obligations de service dans l'enseignement
supérieur pose problème, et mériterait être
revue.
En effet, un universitaire n'est astreint, d'après la
réglementation en vigueur, qu'à une seule obligation :
dispenser, dans le cadre de l'année universitaire, un service
d'enseignement en présence des étudiants de 128 heures de
cours, ou 192 heures de travaux dirigés, ou 288 heures de travaux
pratiques
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)
.
Ces obligations sont similaires pour tous les personnels de statut
universitaire, sous la réserve que les professeurs ont vocation
prioritaire à assurer leur service sous forme de cours. En revanche,
les personnels du second degré affecté à l'enseignement
supérieur sont soumis à un service d'enseignement double de celui
des universitaires (384 heures de travaux dirigés) du fait qu'ils ne
sont pas soumis à une obligation de recherche.
C'est ce seul critère qui, en droit, peut être
apprécié pour savoir si un enseignant a accompli normalement ses
obligations de service. Il est extrêmement frustre et source
d'incompréhension pour le monde extérieur dans la mesure
où il n'évalue d'aucune façon les temps des charges
annexes (temps de préparation des cours, lui même très
variable, temps d'examen et de contrôle des connaissances) et ne tient
nul compte des conditions réelles de délivrance des enseignements
(devant quelques étudiants ou plusieurs centaines, devant un auditoire
de premier cycle ou un petit groupe sélectionné). Chercher
à le préciser en termes d'obligation juridique serait cependant
une tâche absurde en raison de la variété des situations.
En revanche, les autres activités des enseignants-chercheurs ne sont
aucunement prises en compte, ni les travaux de recherche, ni les tâches
dites administratives qui se complexifient dans l'université de masse.
b) La multiplication des missions de l'enseignement supérieur et des tâches des universitaires
Il est
indéniable que les missions de l'enseignement supérieur, et donc
des universitaires, se sont considérablement élargies.
Dans son rapport précité, M. Éric Espéret rappelle
que, aux termes du décret du 6 juin 1984, les missions des
enseignants-chercheurs consistent dans l'enseignement et la recherche. Mais le
service public de l'enseignement supérieur lui-même se voit
confier
des missions plus larges, qui ne sont pas prises en compte dans la
définition du service statutaire
, si bien que «
les
difficultés rencontrées proviennent donc plutôt de
l'ampleur que prennent actuellement certaines missions, ainsi que de
l'évolution (technique, sociale) des tâches effectuées dans
le cadre de ces missions
», même si le statut permet des
aménagements de service, des décharges de service en particulier
ou encore un dispositif de primes
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)
.
Pourtant, «
cette situation est de plus en plus mal ressentie par
les intéressés, qui ont le sentiment de sacrifier leur
carrière quand ils acceptent de prendre des responsabilités dans
leur établissement
», le CNU continuant à
n'accorder d'importance qu'aux seuls critères scientifiques.
Or, les enseignants-chercheurs doivent assumer de nouvelles tâches, dont
le président de l'université de Poitiers dresse la liste,
impressionnante : relations internationales ; contribution des
établissements au développement local ; valorisation de la
recherche ; expertise ; évaluation des formations, de la
recherche ou des établissements ; rôle culturel des
universités. Il note que «
les enseignants sont ainsi
appelés à travailler différemment, de manière plus
ouverte et en collaboration avec de nombreux intervenants qui n'appartiennent
pas au monde universitaire. Cela leur demande un investissement important en
temps et en compétences au-delà de leurs activités
habituelles de recherche et d'enseignement
».
Un
message d'internaute : le poids des charges administratives
dans l'enseignement supérieur
«
Maître de conférences en sciences
humaines depuis déjà 4 ans, je ne regrette pas cette profession
(intérêt et diversité du travail, liberté,
recherche) mais je me pose de plus en plus de questions sur notre rôle.
Je voudrais notamment soulever un point concernant une partie de notre travail,
à savoir ses aspects administratifs.
En effet, je trouve anormal que nous ayons à effectuer tout un travail
administratif concernant aussi bien les enseignements que les activités
de recherche. Comme beaucoup de mes collègues, je perds un temps fou en
réunion, courrier, téléphone pour des tâches de
gestion et d'organisation qui pourraient, pour l'essentiel, être
assurées par des personnels administratifs. J'en ai vraiment assez de
perdre du temps à bâtir des emplois du temps, réparer des
PC ou bien gérer telle ou telle salle. Mais, si on ne le fait pas,
personne ne le fera et la machine ne tournera pas.
Alors, on a beau parler de diminution de service, il faudrait d'abord effectuer
notre métier d'enseignant et de chercheur sans avoir à être
submergé de charges administratives pour lesquelles nous n'avons ni
formation et, surtout, ni reconnaissance
».
Il convient en outre de souligner que les formations tendent à se
professionnaliser, ce qui conduit les universitaires à rechercher et
organiser des stages pour leurs étudiants, et à
s'intéresser à leur insertion professionnelle. Sans compter les
conséquences de l'introduction des nouvelles technologies de
l'information et de la communication.
Votre rapporteur considère qu'un véritable cercle vicieux,
dangereux pour l'avenir même du statut universitaire, s'enclenche en ce
domaine.
Très souvent, cette multiplication des tâches s'opère au
détriment de l'activité de recherche de façon non
souhaitée par beaucoup, mais elle constitue pour certains une
justification à abandonner toute activité de chercheur. De plus,
nombre de ces tâches dites administratives pourrait utilement être
réalisées par des personnels administratifs non enseignants
pourvu qu'ils aient la qualification et une connaissance du milieu
universitaire suffisantes
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*
)
.
Les équipes pédagogiques et de direction des
universités et des UFR sont dramatiquement dépourvues en
personnels non enseignants. Or il est absurde, du seul point de vue d'une
allocation efficace des ressources de la Nation, de faire remplir certaines
fonctions administratives ou techniques par des universitaires ayant un
avantage comparatif dans l'accomplissement d'activités de recherche et
rémunérés par l'Etat à un niveau
supérieur.
Or si les universitaires s'investissent trop dans ces
activités, c'est le fondement même de leur
spécificité, de leur double statut d'enseignant et de chercheur
qui s'effondrera. En effet comment justifier un service d'enseignement
inférieur de moitié à celui des agrégés du
second degré affectés dans l'université lorsque
l'activité de recherche n'est pas effective ? Prétexter de
la lourdeur et de la complexité croissantes des autres tâches
(pourtant bien réelles) ne suffit pas.