8. Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement (31 mai 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous accueillons M. Jean-Claude Gayssot. Je vous donne la parole, Monsieur le Ministre, pour un premier exposé introductif, puis nous vous poserons des questions.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je crois que cette Commission d'enquête est très utile, comme toutes les commissions. Elle me semble pouvoir jouer un rôle important afin que tous les éléments d'appréciation sur une situation donnée, en l'occurrence dramatique, soient fournis, mais surtout afin que ce retour d'expérience nous aide à mieux travailler à l'avenir.
Je voudrais tout d'abord signaler que je trouve stupide et dangereuse la rumeur de l'abandon du département de la Somme par Paris et par l'Etat. Elle est stupide, car il aurait fallu que nous puissions inverser les courants, faire fi de la topographie et méticuleusement organiser une catastrophe naturelle. Elle est dangereuse car nous ne pouvons laisser sans risque dégrader l'image des responsables publics.
Le Gouvernement a mandaté en avril une mission interministérielle d'expertise sur les crues du bassin de la Somme, qui devrait rendre son rapport avant l'été, afin de mieux comprendre ce qui s'est passé et comment les dispositifs de prévention et de protection ont fonctionné. Il est évident que si cette Mission relève des erreurs, nous en tirerons toutes les conséquences. Mais penser que pour préserver Paris, nous avons sciemment laissé inonder la Somme n'est pas sérieux.
J'en viens à la façon dont l'Etat s'est mis en ordre de marche, du moins en ce qui concerne mon ministère, pour apporter les réponses concrètes à une situation difficile et, pour beaucoup, inédite.
Nous avons dû faire face à deux situations distinctes. D'une part, nous avons dû gérer la crise en mettant en place les mesures d'urgence qui s'imposaient et préparer la gestion de ses conséquences une fois que la décrue sera totalement effective, ce qui a commencé mais n'est pas achevé sur toute la zone touchée. L'Etat a assumé ses responsabilités en mettant tout en oeuvre pour que les familles éprouvées par l'inondation soient rapidement relogées, lorsqu'elles le demandent, dans des conditions décentes et au plus près de leur logement d'origine. Je crois que Madame Marie-Noëlle Lienemann doit venir plus précisément faire le point sur ce sujet. Deux cent trois familles ont demandé à être relogées. 183 d'entre elles le seront en mobil homes, dans le système que nous avons mis en place. Soixante et un de ces habitats de fortune ont déjà été livrés. Le reste suit, bien que cela se fasse à un rythme moins soutenu que ce que j'avais espéré. La pression inattendue de la demande a en effet créé certaines difficultés d'approvisionnement, que nous gérons, et les prochaines livraisons s'étaleront entre le 11 juin et le 15 juillet.
Le Gouvernement a voulu que cet hébergement soit solidaire, qu'il soit effectué en logement social ou en mobil home. Il est gratuit et les charges sont assurées pour trois mois. Nous n'oublions pas que les 752 familles évacuées ont aussi pu trouver un hébergement de sauvegarde chez des amis, à l'hôtel ou dans des gîtes ruraux. Nous étudions l'aide que nous leur apporterons pour dédommager, au moins partiellement, ceux qui les ont hébergés. Je ne m'étendrai pas davantage sur cet effort exceptionnel, que Madame Lienemann abordera devant vous plus en détail.
L'intervention de nos services n'a pas uniquement porté sur l'habitat. La mobilisation a été constante depuis fin janvier pour colmater des brèches sur les berges, contenir les débordements, limiter l'érosion et rechercher les douze sites d'accueil pour les premiers mobil homes, en collaboration avec les élus locaux. La maîtrise d'oeuvre pour la viabilisation des terrains a été assurée en une semaine en passant par l'installation d'un pont provisoire, dit pont Baylet, à proximité de la commune de Pont-Rémi, pour éviter que la population fasse un détour de 50 km environ.
Les agents de l'Equipement, qu'ils soient de la DDE ou des différents services de navigation, ont partout démontré une réactivité réelle et exemplaire à laquelle j'ai eu l'occasion de rendre hommage. Cette mobilisation va se poursuivre et s'accentuer puisqu'une centaine d'agents d'autres directions départementales ont répondu positivement à la sollicitation qui leur a été faite de prêter main forte pour la réparation des ouvrages dans la Somme, dès la décrue.
Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans parler de l'avenir.
Nous allons devoir définir une règle de conduite pour l'avenir des zones sinistrées, et notamment examiner dans quelles conditions pourra se faire le maintien des populations dans des secteurs qui viennent de démontrer une certaine dangerosité. Les collectivités locales devront en ces matières prendre des décisions de bonne gestion publique. Elles pourront s'appuyer sur les conclusions de la Mission interministérielle d'expertise et sur tous les travaux des commissions d'enquête.
La Mission interministérielle doit en effet analyser le phénomène de crue et les causes qui ont pu en aggraver les conséquences afin de proposer des améliorations à apporter en matière de prévention et de protection. La prévention du risque d'inondation, avec ce phénomène très particulier de la crue de nappe, devra faire partie des priorités de l'action publique dès le retour à la normale.
Les collectivités locales devront aussi, après la décrue, apprécier l'ampleur des besoins pour la prévention du retour du risque et la réparation des effets de l'inondation. Vous le savez, M. le Premier ministre, Lionel Jospin, a déjà annoncé que l'Etat les aidera. M. le Préfet de Région, Préfet du département de la Somme sera mandaté à cet effet.
Nous devons enfin préserver l'attractivité touristique du département pour ne pas qu'il pâtisse de l'image des inondations. C'est pourquoi, Mme Michelle Demessine, Secrétaire d'Etat au Tourisme a réuni le 15 mai les représentants du Conseil général et des professionnels pour définir les mesures les plus appropriées que l'Etat aidera, y compris financièrement, à mettre en oeuvre.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire avant de répondre à toutes les questions que vous souhaitez me poser.
M. le Président - Monsieur le Ministre, je vous remercie pour cet exposé liminaire qui fait bien le point de la situation passée et actuelle. Nous allons passer au jeu des questions.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le Ministre, après les auditions que nous avons déjà organisées, nous avons ressenti un certain trouble concernant les informations données par Météo France. Il nous a été annoncé qu'il n'y avait pas de service d'annonce de crues dans le département de la Somme. Les informations relatives à ces annonces de crues se trouvaient au CIRCOSC, à Lille. Nous voudrions savoir où elles sont allées par la suite.
M. Le Président - Nous avons l'impression que l'information circule mal entre le CIRCOSC et les populations concernées.
M. Jean-Claude Gayssot - Le CIRCOSC ne relève pas de mon ministère, au contraire de la Météo. Le service d'annonce des crues est rattaché au ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire. Ces services d'annonce ont été créés pour suivre les cours d'eau sur lesquels existent des risques significatifs de crues classiques. Ils visent à anticiper les phénomènes de brusques débordements de cours d'eau immédiatement liés à des précipitations ou à des événements comme les fontes de neige. Ce type de risques majeurs n'étant pas caractéristique, aux yeux des spécialistes, de la Somme, ce service n'a donc pas été mis en place.
Une mission interministérielle a été créée au mois d'avril pour analyser le phénomène de la crue, évaluer l'efficacité des dispositifs de protection et de prévention mis en place et proposer aux pouvoirs publics les améliorations nécessaires. Il ne m'appartient pas, à cette heure-ci, de dire si les dispositifs existants ont bien fonctionné.
Sans attendre les conclusions de cette mission, nous savons déjà que la crue de la Somme est en fait une crue de nappe. La nappe est remontée sur l'ensemble du lit majeur en raison de la saturation des sols, du fait des pluviométries exceptionnelles en mars - trois fois supérieures à la normale - et en avril - deux fois supérieures à la normale. La crue est apparue progressivement, au contraire d'une crue classique et brusque, et avec un décalage dans le temps entre les précipitations et les résurgences. Les systèmes et modèles existants qui contrôlent les cours d'eau et réagissent avec une visibilité de quelques jours sont donc inopérants par rapport à ce problème. Cette difficulté d'anticipation a pu créer, légitimement, des incompréhensions de la part des personnes concernées. Dès qu'il est apparu que l'eau ne disparaîtrait pas rapidement, la préfecture et les services de l'Etat ont fait face immédiatement à la situation et à ses conséquences.
M. le Rapporteur - Je m'excuse d'insister, mais le service Météo dépend bien de votre Ministère. Or il avait établi un pronostic alarmiste. A partir de ce moment, il aurait paru, me semble-t-il, tout à fait normal que l'on suive la situation de près afin de voir si l'alerte allait arriver là où elle le devait.
M. Jean-Claude Gayssot - J'ai bien compris votre remarque. J'essayais d'expliquer qu'il s'agissait d'une crue de nappe avec un décalage entre la pluviométrie et la résurgence qui remonte par la nappe. Cela ne veut pas dire qu'il ne faudra pas à l'avenir doter la Somme d'un dispositif d'annonce des crues particulier.
Je voudrais ajouter une chose. Chaque fois qu'une commission d'enquête est constituée, elle relève un problème de coordination des services. Je suis sûr que Madame Dominique Voynet, de qui relève la politique de l'eau, vous a confirmé que des améliorations étaient dans ce domaine nécessaires.
Nous avions une situation de pluviométrie exceptionnelle dans toute la France, excepté en Corse et dans une partie des Alpes-Maritimes. Météo France a joué son rôle d'alerte mais ce n'est pas ce service qui doit indiquer la marche à suivre par la suite.
M. Jean-François Picheral - Il faudrait, vu la spécificité du contexte des nappes phréatiques et de la pluviométrie de la Somme, qu'il y ait un service d'annonces des crues. Il faut créer un tel service, propre à ce département. L'expertise le dira, mais nous sommes tous d'accord pour demander que ce soit la première démarche entreprise. La population y verra peut être quelque chose de positif pour l'avenir immédiat, puisque des difficultés sont encore prévues pour septembre et octobre.
M. Jean-Claude Gayssot - Je suis de votre avis. Je proposerai à Madame Dominique Voynet de faire évaluer la mission de ces services pour mieux tenir compte de la réalité de ce type de crues, en particulier dans la Somme. Nous ne pouvons laisser les choses en l'état.
M. le Président - A l'occasion de cette affaire, Monsieur le Ministre, les limites de la décentralisation apparaissent clairement. Les populations concernées n'ont pas encore toutes pris conscience qu'en matière d'inondation, l'Etat a de moins en moins de responsabilités, qu'il y a eu délégation aux régions et aux départements. Ne croyez-vous pas que la décentralisation a confié à des communes des compétences qu'elles ne sont pas bien en mesure d'assumer ? Nous constatons que la crue a été prise en compte progressivement. Mais l'on a toujours l'impression que c'est au moment où l'armée a pris les choses en main, c'est-à-dire au moment où aux moyens de la DDE ont été ajoutés ceux du Génie militaire, que la décrue a évolué. Des moyens matériels ont-ils fait défaut ? L'arrivée de l'armée marque un virage.
M. Jean-Claude Gayssot - Monsieur le Président, vous soulevez deux questions. Les DDE sont mises à disposition des communes pour l'exercice de leurs compétences, sous la responsabilité de ces communes. Nos services ont instruction de ne pas profiter de leur mise à disposition pour outrepasser leur rôle. En revanche, lorsqu'il y a des décisions qui pourraient manifestement paraître illégales, nous veillons à ce que les hiérarchies des DDE préviennent la collectivité locale que la DDE n'est plus en mesure d'assurer correctement sa mission. L'Etat ne s'est pas désengagé, mais il agit en soutien des collectivités locales pour l'exercice de leurs compétences. Je n'ai pas connaissance que, dans le cas de la Somme, le système de responsabilité du maire sous le contrôle de légalité des préfets n'ait pas correctement fonctionné, compte tenu des analyses de risques disponibles.
Quant à l'armée, elle a effectivement pleinement joué son rôle. Mais ce n'est pas elle qui a fait reculer les eaux. Il a fallu mettre en place des moyens d'urgence. Les populations ont noté l'effet des barrages de sacs de sable qui ont été mis en place par l'armée, mais aussi, je tiens à le souligner, par la DDE. Cependant, au début de la crue, rien ne pouvait être fait. L'efficacité de ce genre d'intervention n'était pas alors évidente. De plus, il y a eu une conjugaison de phénomènes, comme c'est souvent le cas dans ces situations, avec de forts coefficients de marées.
M. le Rapporteur - En 1987, il y avait déjà eu une crue, comme en 1994, en 1997 et enfin en 2001. Le phénomène n'est donc pas nouveau. Des études ont certainement été menées à ces occasions et j'ai devant moi un courrier adressé par le sous-préfet d'Abbeville au maire d'une commune fortement inondée. Il y déclarait ceci : « Du côté des marais et des étangs, même si les pluies cessent, le niveau d'eau monte. Cela est plus particulièrement marquant dans les habitations proches des étangs. L'eau a monté depuis le début des précipitations de près de 50 cm. J'ai envoyé un courrier aux services compétents signalant l'urgence d'agrandir la buse de la rivière du Doit, proche du passage à niveau d'Abbeville. C'est l'une des actions à mener à l'heure actuelle. En effet, toutes les eaux de la vallée passent par cette buse de 1,50 mètre de diamètre. Cela freine le débit et, de plus, s'il y a une grande marée, l'eau monte facilement de 20 cm en une journée. L'agrandissement est urgent. » Voilà l'information qui avait été envoyée à un moment donné. Aujourd'hui, cette action est menée en urgence puisqu'il est apparu, en réunissant la DDE et le Génie militaire, que le problème soulevé constituait un facteur aggravant de l'inondation. Mais, cette information date du 21 janvier 1994 !
M. Jean-Claude Gayssot - Monsieur le Rapporteur, je me demandais si vous mentionneriez la date de ce courrier et je vous aurais posé la question si cela n'avait pas été le cas. Cette lettre prouve que, depuis 1994, des éléments et des conseils avaient été donnés. La Mission d'enquête dira si nous avons tardé à les prendre en considération ou non. Votre document est de ce point de vue tout à fait précieux. Moi-même, je n'ai eu connaissance de ce document que tout à fait récemment. La Mission d'enquête a, entre autres, pour rôle de décider si nous avons tardé à prendre des décisions après des inondations qui avaient déjà eu lieu.
Cet élément pose le problème de la décentralisation et de la coordination. Les affluents de la Somme sont pour certains privés, communaux pour d'autres. La Somme relève de la région, qui l'a concédée au département. Je suis convaincu que les inondations de la Somme vont conduire à une réflexion sur la cohérence de l'intervention publique. Je crois qu'il faut veiller à ce que les responsables publics aillent jusqu'au bout dans la rigueur.
Certaines questions vont aussi se poser. Des gens veulent habiter près de l'eau, c'est une réalité. D'autres habitent près de l'eau mais n'ont pas toujours les moyens d'entretenir les berges. Il faut en tirer des leçons pour l'avenir. Un grand débat public serait peut-être utile pour que tous les intérêts s'expriment et que les bonnes décisions se prennent. J'ai mis en place dans le domaine des transports, que ce soit maritime, aérien ou routier, ce que l'on appelle le bureau d'enquête accident. Il permet de rendre les retours d'expérience les plus efficaces possibles. Je me demande s'il ne serait pas utile de créer un bureau d'enquêtes catastrophes naturelles de telle sorte qu'une recommandation qui avait été faite il y plus de huit ans ne reste pas lettre morte.
M. le Président - Vous avez dit, Monsieur le Ministre, qu'il y avait deux catégories de problèmes : la gestion de la crise et la gestion des conséquences de la crise. En ce qui concerne les conséquences de la crise, ne pensez-vous pas qu'une étude devrait être faite pour savoir à quel moment les routes inondées pourront être remises en service normal ? Les fondations ayant été rendues vulnérables, ne faudrait-il pas un délai avant de les remettre dans le flux de circulation normale, notamment pour les poids lourds ?
M. le Rapporteur - Pour compléter la question de Monsieur le Président, je voudrais ajouter que, dans certaines communes, les populations s'inquiètent du passage des poids lourds. Elles ont l'impression que les infiltrations d'eau ont pu causer un manque de stabilité qui pourrait être accentué par le passage des poids lourds.
M. Jean-Claude Gayssot - Nos services se sont penchés sur la question et nous avons été conscients, avant même la décrue, que de tels problèmes pouvaient se poser. La DDE n'a pas constaté de désordre sur les routes laissées en circulation ou remises en circulation récemment. La circulation des poids lourds ne semble pas être un facteur de risque aggravant pour les constructions riveraines. Les mouvements de nappes constituent un danger plus important. J'ai demandé que la DDE surveille, en étroite relation avec les maires, l'état des constructions riveraines et prenne les dispositions d'exploitation nécessaires.
Je tiens aussi à rappeler que l'économie locale sort de deux mois de paralysie. Il ne faut pas ralentir sans une raison assurée le redémarrage de l'activité des entreprises. Par ailleurs, le trafic local est important sur les axes considérés, qui sont exclusivement départementaux. Le pouvoir de police pour prendre des arrêtés dans ce domaine est de la compétence du maire de l'agglomération et du Conseil général hors agglomération. La circulation des poids lourds est déjà interdite à Abbeville, sauf pour la déviation locale, et la déviation des poids lourds en transit est assurée par l'A 16.
La DDE est mobilisée pour une surveillance étroite du réseau routier et nous prendrons toutes les mesures qui s'avèreraient nécessaires en la matière.
M. le Président - Pour prolonger cette question, je souhaiterais souligner la fragilité d'un des ouvrages de l'A 16, puisque la circulation a été déviée. Qui est responsable pour l'avenir et quelles dispositions seront prises ?
M. Jean-Claude Gayssot - La direction des routes de mes services est actuellement en alerte sur cette question. La priorité est donnée au rétablissement de la circulation. S'agit-il d'un ouvrage concédé ?
M. le Président - C'est un ouvrage fragilisé dont la conception est récente. Il a été mis en place il y a six ou sept ans sur une base qui avait été très fragilisée puisque le remblai atteignait dix mètres de hauteur.
M. Jean-Claude Gayssot - Je vous confirme que nous travaillons sur cette question afin de définir les dispositions nécessaires à la consolidation et au renforcement de ces ouvrages.
M. le Président - Je pense qu'il ne vous a pas échappé que durant le week-end de l'Ascension, il y a eu des embouteillages terribles sur cette partie de l'autoroute. Or le week-end de la Pentecôte interviendra bientôt, à la fin de la semaine.
M. Jean-Claude Gayssot - Je profite de cette remarque pour vous dire que toutes les propositions visant à réduire l'insécurité routière durant ce week-end de grandes mutations seront les bienvenues.
M. le Rapporteur - Dans certains secteurs de la Somme, la décrue a commencé ; dans d'autres, l'eau a disparu ; enfin, certains secteurs sont encore inondés. Dans ceux où l'eau s'est retirée, la reconquête des habitations par les habitants sinistrés a commencé. Dans ces zones, une question se pose désormais : va-t-on laisser les habitants réhabiliter leur maison ou bien va-t-on leur demander d'aller habiter ailleurs ? Quand pourrons-nous avoir des certitudes sur le sujet ? Il faudrait le savoir car de nouveaux permis de construire devront être accordés à ces gens. L'espoir de voir l'eau disparaître a rendu euphoriques quelques personnes mais de nouveaux problèmes se posent, notamment au niveau sanitaire.
M. Jean-Claude Gayssot - Dans mon introduction, j'ai dit que nous allions poursuivre le mouvement. La réhabilitation ne peut se faire sans un travail de remise en état. Nous sommes en train d'étudier, avec la Mission d'enquête interministérielle, si certains secteurs sont désormais inhabitables. Vous avez raison, Monsieur le Rapporteur, il faut faire les choses de la meilleure manière. Les décisions que nous prenons aujourd'hui risquent d'être lourdes de conséquences. Certaines personnes veulent revenir dans leurs anciennes habitations, d'autres non. Je suis allé sur le terrain et j'ai entendu les deux versions.
Un minimum de garanties doit être apporté concernant le niveau du risque. Le Préfet a prescrit des plans de prévention des risques avec des interdictions de permis de construire. Tout cela va prendre du temps. Je pense qu'il faudra faire beaucoup de pédagogie. Une réflexion est à engager pour tous ceux qui ne pourront pas revenir dans leur maison. Mais si vous le permettez, Madame Marie-Noëlle Lienemann répondra mieux à ces questions. Un travail a été engagé sur la visibilité des zones constructibles, non constructibles ou constructibles dans certaines conditions. Il y a aussi un problème de légalité. Le retour dans une maison d'habitation ne peut être interdit légalement, sauf s'il y a un arrêté de péril.
M. le Président - Nous poserons des questions plus précises à Madameme Lienemann sur les mobil homes et les parcs de mobil homes.
Les possibilités pour les communes concernées de retrouver des terrains constructibles lorsque les disponibilités foncières sont faibles constituent un autre problème. Ne croyez-vous pas qu'il nous faudrait un nouveau dispositif d'expropriation rapide en cas de risque majeur ? Nous n'avons pas d'arsenal législatif pour les problèmes que posent les maires au sujet de l'expropriation dans les 15 jours qui suivent et des terrains à bâtir. Seriez-vous opposé à ce que nous fassions des propositions de texte permettant, en cas de situation exceptionnelle, d'avoir des procédures particulières ?
M. Jean-Claude Gayssot - Pour compléter ma réponse à la question précédente, je voudrais dire que, bien sûr, ce sont les maires qui peuvent décider de prendre un arrêté de péril mais, actuellement, se met en place une aide d'experts aux maires avec des bureaux d'études. Nous avons besoin de l'aide la plus scientifique possible
Si nous possédions des mobil homes de réserve, la situation se débloquerait plus rapidement. J'ai avancé la proposition des mobil homes après avoir discuté avec tous les intéressés. Au début, la solidarité de famille et de voisins a joué à plein. Mais dans la mesure où les inondations ont continué, il n'était plus possible de s'en remettre à cette seule solidarité.
En ce qui concerne l'extension dans certaines conditions des procédures d'expropriation, je voudrais dire deux choses. Le dispositif mis en place par la loi Barnier de 1995 permet d'exproprier les biens dans certaines circonstances : un risque prévisible de mouvements de terrain, d'avalanches, de crues torrentielles, et des risques qui menacent gravement des vies humaines, lorsqu'une évacuation complète est impossible. L'expropriation se fait, en outre, sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation. Telles sont les règles fixées par la loi. Toutefois, les descriptions de dispositif montrent que les inondations de la Somme, lentes et progressives, ne répondent pas aux deux premiers critères et n'entrent pas dans le champ du texte. L'extension de la loi Barnier, actuellement limitée aux crues torrentielles et aux situations pouvant mettre en cause des vies humaines, doit effectivement être appréciée. Il faut en mesurer les conséquences.
M. le Rapporteur - Comme vous l'avez rappelé, nous avons géré l'urgence, mais je crois que maintenant le problème va être de gérer l'impatience des habitants. Au fur et à mesure que l'eau s'en va, l'espoir renaît. Si nous n'avons pas immédiatement de solution à apporter à ceux qui veulent rentrer chez eux, nous connaîtrons des moments difficiles.
Il est bien sûr possible d'utiliser des mobil homes. J'étais à Fontaine-sur-Somme lorsque vous êtes venu inaugurer sept mobil homes. Je sais donc que vous aviez annoncé que nous en aurions dix par jour dès le lendemain. Ce n'est pas le cas, mais cela va se faire. Je comprends qu'il y ait des problèmes à ce sujet. En la matière, les décisions des personnes sont à géométrie variable. Quand l'eau était présente, des mobil homes étaient réclamés. Maintenant que l'eau se retire, les habitants sont moins sûrs de vouloir habiter dans un mobil home.
Concernant les mobil homes, vous aviez dit que c'était une situation provisoire mais durable. J'avais ajouté que cette situation était celle de l'après-guerre quand on a installé les Churchill, c'est-à-dire les baraquements en bois. Il s'agissait d'un habitat provisoire, mais des gens habitent encore dans ces baraquements à Abbeville de nos jours. Est-ce qu'un « après mobil home » a été imaginé ? Allons-nous faire en sorte qu'il s'agisse véritablement d'une solution provisoire comme nous l'avons souhaité ou alors est-ce que cette situation va devenir durable, sachant que les gens qui habitent dans les mobil homes se sont certainement habitués à ne plus payer de charges et de loyers ? Ce sont des réactions que nous avons rencontrées sur le terrain, de la part de gens qui se sont retrouvés confrontés à cette situation.
M. Jean-Claude Gayssot - Je me souviens de votre question, et de ma réponse, lors de ma venue. Je considère que cela ne peut pas être une situation durable. Lorsque j'ai utilisé les termes de « provisoire et durable », c'était pour préciser que cette situation allait durer plus de quelques jours. Je crois qu'il ne faut pas se retrouver dans la situation d'après-guerre que vous avez dénoncée. Quant à votre remarque concernant le loyer, ces gens n'y gagnent pas. Il faut considérer leur situation, qui est extrêmement difficile.
En ce qui concerne la gestion de l'impatience, je suis pour une aide maximum. Actuellement, les services de la DDE, en relation étroite avec les maires, travaillent sur un recensement des terrains susceptibles de permettre la reconstruction de logements. Ces terrains seront proposés aux services HLM, que ce soit pour le locatif ou l'accession, mais aussi aux promoteurs privés. La recherche des terrains s'étend aux communes voisines, voire limitrophes, des communes touchées par le sinistre. Cela posera de nouvelles questions.
M. le Président - Dépeupler une commune au profit d'une autre avec l'aide active des pouvoir publics posera des problèmes locaux difficiles. Je souhaiterais que vos services réfléchissent à la possibilité de transformer les terrains viabilisés pour l'accueil des mobil homes en zones de construction par la suite. Il ne faudrait pas que lorsque les mobil homes seront enlevés, les installations soient détruites.
M. Jean-Claude Gayssot - La viabilisation que nous effectuons pour les mobil homes ne correspond pas forcément à ce qui doit être fait pour les constructions durables.
Toutes les dispositions seront prises dans le cadre de la législation actuelle afin d'accélérer la révision des documents d'urbanisme lorsque cela s'avèrera nécessaire. Mais il n'est pas souhaitable de réduire le délai d'élaboration des plans d'urbanisme. Le temps de travail sur les projets, les expertises, les consultations, l'enquête publique n'est pas seulement du temps perdu. C'est le temps pour prendre de bonnes décisions. En ce qui concerne les mobil homes, effectivement, les terrains ont été choisis en fonction des endroits libres et à proximité des maisons qui avaient été abandonnées. Je ne sais pas aujourd'hui si ce sont ces terrains qui correspondront aux constructions nouvelles. Certains terrains peuvent être durablement urbanisés. D'autres ont été mis à disposition par les agriculteurs pour une situation donnée. Nous devons, avec les habitants des mobil homes, gérer la durée dans le provisoire. Chaque fois qu'ils pourront rentrer chez eux sans risque, nous les y aiderons. Mais nous n'éviterons pas de dire à certains qu'ils ne peuvent plus habiter dans leur ancienne maison sans risque.
M. le Rapporteur - L'émotion qu'ont suscitée ces inondations est au même niveau pour moi que pour M. le Ministre. J'ai vécu cela en direct. Je vous posais la question concernant les avantages pour les habitants des mobil homes car je vois fleurir certaines émotions de la part de nos concitoyens. Des commentaires se font dans nos villages ; il y a d'un côté les sinistrés et de l'autre les non sinistrés. Les sinistrés bénéficient de la solidarité totale des uns et des autres pour l'alimentation, les chèques de la cellule remis par le Trésor, etc. Mais cela fait évoluer le jugement des non sinistrés. Il faudra trouver un équilibre entre les uns et les autres.
M. Jean-Claude Gayssot - Nous devons tout d'abord avoir un souci humain. Nous sommes dans une situation de catastrophe naturelle avec des sinistrés et il est de la responsabilité des pouvoirs publics de s'engager. Il faut souligner l'engagement des pouvoirs publics, mais aussi celui des élus locaux et des populations. Nous avons assisté, à l'échelle de la France, à un véritable élan de solidarité. Des questions nous ont été posées, en ce qui concerne l'Oise, sur une situation de risque d'effondrement. Tous disaient qu'il fallait agir de la même façon que dans la Somme. Du point de vue de l'intervention publique, nous n'avons pas fait ce choix.
D'autre part, au-delà des habitants, il faut également s'intéresser aux collectivités concernées. Pour ce qui est des équipements publics, il appartient aux collectivités compétentes de dresser l'état des dommages, de proposer des mesures de remise en état et de rechercher l'aide d'autres collectivités publiques. Le Premier ministre a déjà annoncé qu'il y aurait une aide exceptionnelle de l'Etat pour aider à la mise en oeuvre de ce programme, dans les formes et les limites que le Préfet aura négociées avec les collectivités locales.
M. le Président - Je voudrais profiter de votre présence pour vous dire qu'avant de vous recevoir, nous avons auditionné des spécialistes de la gestion de ce système hydraulique qui se situe en amont de la Seine. Un de nos collègues a fait une réflexion que je voudrais relayer. Si vous preniez une décision plus rapide pour la construction d'un canal Seine-Nord, ce système hydraulique compliqué serait géré autrement et le problème serait en partie réglé. Si ce canal existait, une rumeur telle que celle d'Abbeville ne pourrait exister dans quinze ans, et cela grâce à vous. Quand prendrez-vous cette décision ?
M. Jean-Claude Gayssot - Nous discutons actuellement des schémas de services. Les confirmations, modifications et propositions des régions remontent au niveau central au cours de l'été. Nous commençons, dès à présent, à partir de ces remontées, à travailler sur tous les éléments de cohérence. Toutefois, dès lors qu'il s'agit de transports, plusieurs régions sont concernées. Parfois même toute l'Europe est concernée. En l'occurrence, pour le canal Seine-Nord, il me paraîtrait incompréhensible que nous ayons déjà dans le cadre du contrat de plan décidé des extrémités, Dunkerque, Escaut et Oise aval, et que nous ne prenions pas la décision pour la partie centrale assez rapidement. Voilà mon état d'esprit, mais je ne peux pas vous donner de date précise. La gestion du consensus sur le tracé sera le problème principal auquel nous serons confrontés.
M. le Président - Nous avons bien entendu votre réponse, mais je tiens à signaler que dans 23 jours, nous serons en été. Je vous remercie, Monsieur le Ministre, ainsi que vos collaborateurs, d'être venus jusqu'à nous.