42. Audition de M. Guy Chevillotte, délégué régional de la Compagnie des experts agréés (18 juillet 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Guy Chevillotte, qui est délégué régional de la Compagnie des experts agréés.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Guy Chevillotte.
Monsieur Chevillotte, vous nous expliquerez en quoi consiste le rôle des experts agréés auprès des compagnies d'assurance.
M. Guy Chevillotte - Quel est le rôle d'un expert agréé ? Comment la profession d'expert agréé est-elle organisée ?
Par le biais de leur organisme fédérateur nommé Assemblée plénière des compagnies d'assurance, ces dernières ont souhaité, il y a une trentaine d'années, repérer, parmi les experts en activité, ceux qui étaient susceptibles de recueillir l'unanimité. L'Assemblée plénière a mis au point un système de label, consistant en un examen à double niveau qui débouche sur la délivrance d'un agrément.
Les experts travaillant pour les compagnies d'assurance et ayant obtenu ce label ont décidé de se réunir au sein d'un syndicat qui s'appelle la Compagnie des experts agréés. Cet organisme fait ainsi référence à des experts disposant d'un agrément délivré par l'Assemblée plénière des compagnies d'assurance.
D'autres experts sont réunis au sein de syndicats distincts qui ne disposent pas de cet agrément, la quasi-totalité des experts agréés s'étant regroupés au sein de la CEA.
Par qui et comment l'expert est-il choisi et rémunéré ?
La déontologie s'est aujourd'hui assouplie : nous avons de ce fait la possibilité de travailler pour n'importe quel organisme autre qu'une compagnie d'assurance. Toutefois, nous sommes essentiellement - voire exclusivement jusqu'au début des années 1990 - désignés par les compagnies d'assurance, afin d'estimer le préjudice relevant du contrat d'assurance dont nous sommes chargés. Ainsi, nous sommes encore essentiellement désignés et rémunérés par les assureurs.
Dans le cadre des conditions générales des contrats d'assurance français, il est prévu que chaque partie désigne son expert, puisque le droit français est profondément attaché au principe contradictoire. La compagnie nomme donc son expert, l'assuré ayant la possibilité d'en désigner un, dont les honoraires sont généralement couverts par le contrat d'assurance.
A cet égard, -et ce point vous intéresse directement- la loi de juillet 1982 instituant le régime des catastrophes naturelles vise exclusivement les dommages directs causés par les événements retenus comme catastrophe naturelle. A ce titre, même s'ils sont garantis par le contrat d'assurance sur lequel l'expert travaille, les honoraires de l'expert de l'assuré ne sont pas pris en charge par l'assureur, puisqu'ils sont considérés comme des dommages indirects. Au regard des dernières informations dont je dispose, je crois d'ailleurs que dans la Somme, le Conseil général aurait décidé de prendre en charge les honoraires des experts désigné par les assurés, à la place des entreprises.
Les experts désignés par les assurés interviennent généralement sur les sinistres d'un montant minimal de 100.000 ou 150.000 francs. En tant qu'expert désigné par les compagnies d'assurance, je considère que leur intervention est profitable dans 99 % des cas, et ce pour deux raisons : d'une part leur présence traduit le caractère contradictoire de l'expertise entre les deux cocontractants -assureur et assuré ; d'autre part, elle rassure l'assuré, qui accueillera toujours plus facilement une information émanant de son propre expert que de celui désigné par la compagnie d'assurance.
Vous me demandez ensuite comment les experts agréés sont intervenus dans la Somme.
Notre intervention dans la Somme découle directement de nos fonctions. Nous sommes intervenus tout simplement parce que nous avons été désignés par les assureurs touchés par le sinistre.
De même, et pour les mêmes raisons, de nombreux sinistres sont réglés avec l'aide d'un expert désigné par l'assuré.
S'agissant des difficultés rencontrées par les experts, je serai tenté d'affirmer qu'elles sont de trois ordres distincts.
En premier lieu, les difficultés rencontrées sont d'ordre psychologique. En effet, et de manière évidente, un assuré est toujours traumatisé par un sinistre, a fortiori lorsque le sinistre consiste en des inondations frappant une partie importante -voire totale- de son patrimoine, comme cela fut le cas dans la Somme. Par conséquent, nous sommes toujours un peu inquiets lorsque nous établissons le premier contact avec l'assuré, parce que ce dernier est légèrement traumatisé, quelle que soit la nature du sinistre. Dans le cas de la Somme, ce constat s'est particulièrement vérifié.
En second lieu, nous rencontrons peut-être quelques difficultés sur le plan de la procédure au sens générique du terme, parce que l'événement a été extrêmement médiatisé. Or cette médiatisation a « pollué » quelque peu la relation que nous essayons toujours d'établir avec notre assuré ou avec son expert. Vous savez bien que de multiples intervenants se sont manifestés -collectivités locales, hommes politiques, associations de consommateurs, comités de défense. Tous ces acteurs sont venus compliquer légèrement les dossiers, parce que les assurés se tournaient de tous côtés pour tenter de glaner des renseignements. Ce phénomène a parfois rendu nos interventions un peu plus difficiles.
En troisième lieu, nous avons rencontré des difficultés techniques très importantes et difficiles à résoudre, alors qu'elles relèvent en principe de nos compétences.
En dépit de mes trente ans d'expérience dans le domaine de l'expertise, c'est pratiquement la première fois que je suis confronté à une inondation durant plusieurs semaine. Nous nous trouvons ainsi devant un problème technique nouveau. Nous avons couvert de nombreuses inondations, la première sur laquelle j'ai travaillé remontant à 1986, puisqu'il s'agissait de celle de la ville de Nîmes. Or c'est la première fois que nous assistons à une inondation touchant des bâtiments qui, pour certains, sont restés immergés sous plus d'un mètre d'eau pendant plusieurs semaines - six, sept ou huit semaines pour ceux qui ont été immergés le plus longtemps.
Quel bilan peut-on faire des inondations dans la Somme ?
Les deux premières difficultés -psychologiques et procédurales- sont quasiment réglées.
Nous sommes aujourd'hui confrontés aux difficultés techniques, puisque nous commençons à pouvoir travailler sur les dommages importants. Dans la majeure partie des cas, nous proposons à l'assuré ou à son expert d'attendre, parce qu'il est aujourd'hui trop tôt pour connaître les conséquences exactes que subira un bâtiment resté six semaines sous l'eau. En effet, même si un bâtiment peut être considéré comme sec parce que l'eau s'est retirée rapidement après plusieurs semaines d'immersion, le sol reste gorgé d'eau. Des dommages secondaires vont donc apparaître, provenant non plus de l'influence de l'eau sur la maçonnerie ou sur les fondations de la maison, mais de l'impact du retrait de l'eau et de l'abaissement de la nappe phréatique sous le sol d'implantation du bâtiment.
Sur ce plan, nous rencontrerons certainement des difficultés techniques, que nous maîtrisons parfaitement, puisqu'il s'agit d'un problème similaire à celui engendré par les catastrophes naturelles « sécheresse ». Ceux d'entre vous qui sont installés dans le Nord savent qu'un certain nombre d'arrêtés a été pris en ce sens depuis plus de dix ans. De ce fait, nous connaissons bien les difficultés liées aux mouvements du sol. Cependant, nous ignorons pour le moment la durée pendant laquelle le sol restera gorgé d'eau et le délai qu'il faudra respecter, avant de décider du sort du bâtiment.
Vous posez par ailleurs une question concernant l'appréciation que nous faisons de l'indemnisation des personnes sinistrées dans la Somme. Les indemnisations ne sont absolument pas achevées. Je viens de vous dire que pour les bâtiments, nous sommes enclins à reporter l'expertise, selon l'évolution des dégâts.
Globalement, nous avons travaillé sur le contenu, c'est-à-dire sur le mobilier. Dans ce domaine, les indemnisations ont déjà largement abouti.
En revanche, concernant tous les immeubles qui ont été noyés pendant plusieurs semaines, nous préférons aujourd'hui affirmer qu'il est « urgent d'attendre », parce que il n'est pas raisonnable de décider aujourd'hui de l'étendue des dommages qu'ils ont subis.
Nous rencontrons quelques problèmes au niveau de l'indemnisation des entreprises, plus particulièrement en matière de pertes d'exploitation, et ce pour deux raisons.
D'une part, dans ce domaine également, nous commençons seulement aujourd'hui à connaître l'environnement dans lequel nous travaillerons sur le plan du quantum. D'autre part, nous connaissons quelques soucis avec les entreprises qui n'ont pas pu travailler en raison d'une impossibilité d'accès aux locaux, alors même qu'elles n'ont pas subi d'inondation à proprement parler. Ce dommage pose un problème de garantie, puisque la garantie de perte d'exploitation assortissant les contrats d'assurance ne joue que lorsque la perte d'exploitation est la conséquence d'un dommage direct. Or une impossibilité d'accès - subie alors que l'entreprise n'a pas été inondée - n'ouvre en principe pas droit à la garantie de perte d'exploitation. Nous avons de ce fait quelques soucis, parce qu'il est naturellement difficile d'expliquer cette situation à l'assuré.
Concernant les collectivités locales, les difficultés que nous rencontrons sont liées au délai nécessaire pour mettre au point le dossier technique. En effet, comme vous le savez, dès lors qu'un sinistre présente une certaine importance, nous sommes contraints de recourir à la procédure d'appel d'offres, qui est assortie de délais inhérents à la dimension administrative de ce système. Ces dossiers sont donc longs à élaborer pour des raisons administratives, même s'ils ne posent, par ailleurs, pas d'autres problèmes que ceux rencontrés pour l'indemnisation des particuliers ou des entreprises.
Vous me demandez ensuite quelle est la proportion de population non-assurée par un contrat d'assurance dommages aux biens dans le cadre des inondations de la Somme. Je serai bien incapable de vous le dire, puisque nous intervenons essentiellement auprès de personnes assurées.
Si je me réfère à ce que nous constatons lorsque nous intervenons sur des sinistres qui atteignent un certain nombre de bâtiments voisins les uns des autres, je serai tenté d'affirmer que 5 à 10 % de personnes ne sont très certainement pas assurées, et que 15 à 20 % de personnes sont mal assurées, parce que tous les contrats d'assurance reposent sur une procédure déclarative. Or, dans un règlement de sinistre, nous enregistrons une fois sur cinq une insuffisance de couverture, au niveau de la somme garantie ou de la base des déclarations reçues par l'assureur pour fixer la prime. Nous rencontrons donc quelques difficultés de ce point de vue.
Quelles solutions peuvent être engagées pour limiter le nombre de personnes sans assurance ? Cette question recouvre un problème majeur. Je crois que c'est Winston Churchill qui a dit cette phrase : « un grand panneau d'assurance devrait être accroché au-dessus de la cheminée, dans toutes les salles de séjour ».
Il existe naturellement un problème d'information. Beaucoup de gens ne savent pas que l'assurance existe et qu'ils ont l'obligation d'être assurés.
Je pense que 90 % environ de la population française ignore actuellement les conséquences de la loi Quilliot, qui a rendu obligatoire la couverture de la responsabilité civile encourue en tant que locataire. Ces dispositions sont en effet relativement récentes.
L'assurance en dommages de ses propres biens n'étant pas obligatoire, le budget qu'elle est censée engager est certainement relégué au second plan, derrière d'autres postes de dépense pouvant paraître plus essentiels aux yeux des personnes concernées. Ce constat rejoint ainsi le deuxième aspect du problème posé par la non-assurance, en l'occurrence son aspect économique.
Un problème d'information existe. Toutefois, je pense que les personnes qui ne sont pas assurées aujourd'hui sont celles qui ne parviennent pas à se sensibiliser à certains problèmes. Je discutais tout à l'heure avec votre président d'une compagnie d'assurance dont l'un des membres interviendra plus tard et qui a mené récemment une campagne de publicité très importante : aujourd'hui, personne ne peut ignorer qu'une compagnie d'assurance nommée « Les mutuelles du Mans » fait de la publicité à la télévision. Dans ces conditions, je crois vraiment que les gens qui ne sont pas assurés ne sont pas du tout sensibilisés à ce problème. Je ne vois pas très bien ce que nous pouvons faire pour les sensibiliser.
Quelles solutions conviendrait-il de mettre en oeuvre pour améliorer le système d'indemnisation des catastrophes naturelles ?
Cette question présente un caractère fortement politique. Je resterai donc très prudent dans ma réponse. Globalement, je serai tenté de dire que le régime d'assurance mis en place pour les catastrophes naturelles fonctionne bien, depuis dix-neuf ans, malgré quelques petites réserves.
A ce titre, j'ai évoqué précédemment le problème des honoraires de l'expert de l'assuré non couverts par l'assurance. De même, certaines garanties annexes restent exclues du champ d'application de la loi. Néanmoins, je dirai que ces réserves se révèlent mineures. Je maintiens que le système fonctionne bien.
Sur le point de savoir si la modulation de la prime améliorerait le système d'indemnisation, je nuancerai ma réponse. Je dirai d'abord qu'un tel mécanisme ne contribuerait pas à améliorer le système, parce qu'il supprimerait le caractère mutuel de l'assurance.
Vous m'opposerez que le mécanisme existe déjà à travers l'instauration du bonus et du malus - je ne suis pas d'ailleurs pas sûr que ces deux concepts subsistent, pour des raisons européennes. De toute évidence, néanmoins, le fait qu'un assuré paye une prime d'un montant élevé au motif qu'il encourt un risque important semble tout à fait logique sur un plan économique.
Suivant ce raisonnement, peut-être devrions-nous aller jusqu'à permettre aux assureurs de refuser une garantie, lorsque le risque ne présente plus de caractère aléatoire. En effet, le fait d'implanter un bâtiment dans une zone inondable fait certainement disparaître le caractère aléatoire du sinistre. Or le contrat d'assurance est fondé sur le principe de l'aléa. Cette règle figure dans le code des Assurances. Dès lors, assurer un risque certain ne fait pas partie des hypothèses visées par le code des Assurances. Par conséquent, autoriser une personne à construire son bâtiment dans une telle zone et lui permettre de s'assurer contre les catastrophes naturelles - et notamment contre les inondations - pourrait, à l'extrême, être considéré comme contraire au code des Assurances.
En revanche, il est clair qu'à l'heure actuelle, toutes les zones inondables ne sont pas répertoriées.
Les maires ainsi que les autorités assistant le maire pour délivrer un permis de construire ne disposent pas forcément des informations nécessaires pour ce faire. Toutefois, les inondations de la Somme ne constituent tout de même pas un événement qui se reproduit tous les ans depuis cinquante ans. C'est un événement presque nouveau, hormis pour certaines zones dont on sait qu'elles sont inondables. A cet égard, les bâtiments anciens ne sont pratiquement jamais implantés dans des zones inondables. Les anciens savaient très bien où il était possible de construire un immeuble. Généralement récentes, les implantations de grande envergure et situées en zone rurale devraient dans ces conditions soit être interdites, soit être autorisées, sous condition que l'assuré assume les risques inhérents au lieu de construction.
Cette question relève de l'aménagement du territoire. Dans cette perspective, les autorités compétentes doivent accomplir un travail important de repérage et de recensement, afin de déterminer ce que recouvrent la notion de zone inondable ou non-inondable. En effet, une crue dramatique telle que celle de Vaison-la-Romaine n'a pas lieu tous les ans à cet endroit. En réalité, les risques s'aggravent dans certaines villes. Les événements survenus à Nîmes en 1986 illustrent parfaitement le problème : c'est l'urbanisation qui a causé l'inondation de cette ville. Dans les campagnes, la suppression des fossés ou des haies pour cause de remembrement a favorisé de manière certaine ce type d'événement.
Toutefois, les catastrophes naturelles sont également aggravées au niveau individuel. En effet, -et je ne porte aucun jugement sur cette attitude-, un agriculteur ne supporte plus aujourd'hui que quelques centaines de m 3 de ses champs soient systématiquement inondés pendant deux mois de l'année, alors qu'il sait pertinemment qu'il dispose de la technique permettant de parer ce phénomène ; dès lors, il pratique le drainage à outrance et charge en eau les exutoires qui sont prévus à cet effet mais pas adaptés à de telles quantités liquides ; de surcroît, il induit de ce fait une sécheresse, parce que l'eau est orientée dans les exutoires, au lieu d'imprégner progressivement le sol et d'alimenter ensuite la nappe phréatique.
M. Hilaire Flandre - La démonstration de ce phénomène exigerait d'être davantage scientifique ...
M. Guy Chevillotte - Depuis 1989, nous avons réglé dans le Nord de la France des sinistres « catastrophes naturelles » dues à la sécheresse. Or, depuis 1980, les agriculteurs drainent l'eau autant qu'ils le peuvent dans les champs. De ce fait, une nappe de drain se forme à soixante centimètres de profondeur, l'eau s'écoulant dans les exutoires au lieu de s'enfoncer dans le sol.
Je crois que je vous ai exposé tout ce que je souhaitais vous dire. Je suis donc maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Les assurances interviennent évidemment dans le cas d'une catastrophe telle que celle qui vient de se produire. Quel est, pour les assurances, le coût d'un tel événement ? En effet, la compagnie d'assurance ne semble pas supporter d'autres coûts que ceux liés aux frais de dossier, puisque il est admis que les sinistres sont financés par la surprime.
M. Guy Chevillotte - Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour vous répondre. Toutefois, j'entretiens certains contacts, puisque l'un de mes amis travaille au sein la Caisse centrale de réassurance. Or cet organisme collecte les surprimes « catastrophes naturelles » et la reverse aux assureurs en fonction des traités de réassurance existants. Je resterai prudent dans la mesure où il s'agit d'un domaine que je connais mal, mais vous pourrez interroger tout à l'heure le représentant des Mutuelles du Mans Assurances (MMA), qui vous répondra plus précisément que moi sur ce sujet.
Je ne pense pas que la Caisse centrale de réassurance rétrocède la totalité du coût d'un sinistre à la compagnie d'assurance. Je ne m'étendrai cependant pas davantage sur ce terrain.
Vous avez raison de souligner que la surprime a été en principe estimée en vue de faire face à l'indemnisation du nouveau sinistre défini dans la loi de juillet 1982. Toutefois, les arrêtés interministériels « catastrophe naturelle » ont tendance à se multiplier. Par suite, les dossiers relatifs à de tels événements se multiplient. Dès lors, le régime coûte de plus en plus cher.
Dans ces conditions, la surprime qui s'élevait en 1982 à 3 % a augmenté régulièrement, et vient de passer de 9 à 12 %, et ce pour deux raisons : d'une part, les conditions météorologiques présentent un caractère très particulier depuis une dizaine d'années; d'autre part, pour des raisons que je n'analyserai pas, les arrêtés « catastrophe naturelle » sont beaucoup plus nombreux aujourd'hui, ce régime spécifique d'assurance permettant de prendre en charge des dommages qui ne le sont pas dans le cadre d'un contrat d'assurance classique.
Ma réponse n'est pas très précise, parce que je manque d'informations en la matière.
M. Hilaire Flandre - Le fait que le système de rémunération des experts soit fixé par les compagnies d'assurance ne génère-t-il pas le risque que l'expertise penche en faveur de la compagnie au détriment de l'assuré ?
M. Guy Chevillotte - Je vous fournirai une double réponse, Monsieur.
Tout d'abord, pour des raisons historiques -et à mon sens totalement anti-économiques-, plus le sinistre est important, plus mes honoraires sont élevés. Je devrais donc avoir naturellement tendance à faire en sorte que le sinistre soit conséquent. Cela étant, de mon point de vue, ce système est complètement anti-économique, parce qu'il n'est absolument pas justifié.
Pour un dégât des eaux estimé à 10.000 francs, le problème ne se pose pas, parce que l'enjeu est tout à fait insignifiant. En revanche, dès qu'un sinistre présente une certaine importance, nous sommes confrontés à l'expert désigné par l'assuré. Dans ces conditions, nous sommes contraints de faire preuve d'une correction et d'une honnêteté minimales. Pour ma part, exerçant cette profession depuis trente ans, je m'entends extrêmement bien avec mes confrères qui remplissent la fonction d'expert de l'assuré ; je n'ai aucun souci avec eux, parce que nous parlons la même langue : pour lui comme pour moi, « une tuile est une tuile ».
M. Paul Raoult - En premier lieu, cette procédure fondée sur les arrêtés « catastrophe naturelle » ne provoque-t-elle pas une inflation desdits arrêtés, dans la mesure où les élus - toutes tendances confondues - promettent qu'ils obtiendront cette mesure, à chaque fois qu'un sinistre surgit quelque part.
Par ailleurs, le système ne conduit-il pas à déresponsabiliser à la fois les collectivités et les personnes, chacun se reposant sur la certitude de voir ses dommages couverts et d'obtenir une indemnisation satisfaisante ? J'exagère peut-être, mais le système n'engendre-t-il pas une telle déresponsabilisation ?
M. Guy Chevillotte - Sur le plan de l'inflation, vous avez parfaitement raison. Depuis 1982, j'ai réglé un certain nombre de dossiers. En tant qu'experts, nous avons réglé des dossiers que nous n'aurions pas traité si la loi de juillet 1982 n'avait pas été adoptée.
La dimension politique que vous évoquiez existe indiscutablement, le bon maire se devant d'obtenir très rapidement l'arrêté ministériel et le mauvais maire ne l'obtenant pas. Nous avons pu observer que dans la région Nord, et dans les Flandres en particulier, des arrêtés ministériels « catastrophe naturelle sécheresse » ont été pris il y a moins d'un an, pour des périodes comprises entre 1994 et 1998.
M. Jean-François Picheral - Le délai est toujours extrêmement long.
M. Guy Chevillotte - Quatre ans après la survenance des sinistres, un arrêté a été pris pour une commune qui n'avait visiblement fait l'objet d'aucun arrêté « catastrophe naturelle » sur le moment, alors que toutes les communes environnantes en avaient bénéficié.
Je crois que l'effet d'inflation dont vous parlez constitue la règle du jeu. A partir du moment où le législateur a souhaité établir un régime d'indemnisation qui n'existait pas, le dispositif mis en place fait surgir de nouveaux sinistres, et génère donc un coût. Cependant, je serai tout d'abord tenté de dire qu'en contrepartie de ce coût, l'assuré a payé une surprime. Par ailleurs, je suis convaincu de l'impact économique du dispositif : en effet, je sais parfaitement que tous les dossiers que j'ai réglé dans le cadre d'un arrêté « catastrophe naturelle sécheresse » dans la région du Nord ont représenté un chiffre d'affaires considérable pour les entreprises de la région.
Par conséquent, je pense qu'un circuit économique s'établit. De la même manière, lorsque l'assurance incendie a été instituée, une potentialité de sinistres a vu le jour.
Quant à l'éventuelle déresponsabilisation des acteurs, la réponse doit être nuancée également. Elle est la même que pour l'assurance incendie.
Déresponsabilise-t-on les gens lorsqu'on leur permet de s'assurer contre l'incendie ? Les gens sont-ils moins attentifs à ne pas laisser une bougie allumée ou à ne pas nettoyer un pantalon à l'aide de détachant à proximité d'un chauffe-eau, sous prétexte qu'ils sont assurés ? Non.
Un incendie s'avère toujours dramatique quand il détruit une maison. Par suite, même s'ils sont assurés, les gens font attention à ne pas déclencher un incendie.
M. Paul Raoult - Nous sommes dans l'hypothèse d'une catastrophe naturelle. Concrètement, cet événement conduit à se demander s'il existe des moyens de limiter les effets dévastateurs de la catastrophe. La procédure des arrêtés peut donc amener à se demander si les élus et la population se sentent moins mobilisés, dans la perspective de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la répétition d'une telle catastrophe.
M. Guy Chevillotte - Je suis d'accord avec vous, dans l'hypothèse où une personne dépose aujourd'hui une demande de permis de construire dans une zone inondable de la Somme. En effet, une telle attitude revient à se dire : « de toutes façons, s'il m'arrive quelque chose, je serai assuré ; le dommage que je subirai éventuellement n'aura donc pas de conséquences financières pour moi ». Nous en revenons à la question que j'ai soulevée tout à l'heure, c'est-à-dire à celle du repérage des Plans de Prévention des Risques (PPR) et des zones inondables. C'est le problème des permis de construire que l'on n'a évidemment plus le droit d'accorder aujourd'hui dans une zone de ce type.
M. Hilaire Flandre - Si ces catastrophes ne sont susceptibles de se reproduire que dans 100, 200 ou 300 ans, la question mérite d'être discutée.
M. Guy Chevillotte - Je suis tout à fait d'accord. Concernant la Somme, ces événements n'ont pas lieu tous les ans, sauf dans quelques zones très particulières où certaines personnes implantent des mobil homes, pour lesquels elles se font aujourd'hui indemniser, alors que le lieu où ces habitations sont installées est inondé presque tous les ans.
M. Jean-Guy Branger - La collectivité qui délivre un permis de construire tout en sachant que le terrain est inondable engage peut-être directement sa responsabilité. Je vous assure que j'ai constaté ce genre de pratiques et que la collectivité concernée a été condamnée à ce titre.
M. Paul Raoult - Les PPR clarifient tout de même les situations.
M. Guy Chevillotte - Certes, il doit être difficile pour un maire de résister à la pression. Je suis pourtant persuadé que le régime des catastrophes naturelles devrait être effectivement limité à des événements présentant un caractère catastrophique. Il me semble tout à fait normal que la Somme ait bénéficié d'un arrêté « catastrophe naturelle inondation ». Néanmoins, depuis dix ans, j'ai été le témoin de plusieurs arrêtés « catastrophe naturelle sécheresse » très discutables.
M. Hilaire Flandre - Ce constat résulte de la conjonction des intérêts des différents intervenants - compagnies d'assurance, assurés et collectivités locales, qui veulent atténuer les répercussions psychologiques de ces événements.
M. Guy Chevillotte - Les compagnies d'assurance n'y trouvent pas nécessairement intérêt - et je parle de cette question de manière tout à fait décontractée. Elles préfèreraient très certainement que la surprime se révèle complètement exagérée et ait été maintenue à 3 %, et qu'elles-mêmes n'aient jamais eu à indemniser des sinistres « catastrophe naturelle ». Si l'agent d'assurance doit annoncer à ses clients que la surprime « catastrophe naturelle » est passée de 3 à 9 %, ou de 9 à 12 %, l'assuré qui habite à Abbeville comprendra tout à fait les raisons de cette augmentation, tandis que celui qui habite dans un endroit qui n'a subi ni sécheresse, ni inondations considèrera que les assureurs n'existent que pour ponctionner de l'argent à leurs clients.
M. le Président - Je souhaiterais revenir sur un autre sujet que vous avez évoqué, en l'occurrence sur le délai qu'il faut laisser passer pour pouvoir clore les dossiers.
Sur le terrain, nous avons actuellement l'impression - je ne sais pas si c'est sous la pression des assurés ou des compagnies d'assurance - que des dossiers sont résolus relativement rapidement par un accord entre les parties. En tant qu'expert, vous conseillez d'attendre l'écoulement d'un certain laps de temps avant de traiter les dossiers, avec une clause permettant d'enclencher le traitement du dossier. Pendant combien de temps est-il possible d'attendre ainsi ?
M. Guy Chevillotte - L'attente est possible indéfiniment, à condition que le dossier reste activé de manière à ne pas encourir la prescription biennale. La prescription est biennale, les tribunaux se montrant très stricts sur la nécessité de prouver qu'aucun élément ne puisse, pendant deux ans, amener à considérer que la prescription est acquise. Je trouve tout à fait normal que les tribunaux ne soient absolument pas généreux avec les assureurs sur ce plan. Il faudrait donc qu'un dossier reste complètement fermé et inerte pendant deux ans pour que la prescription soit acquise.
M. le Président - Un courrier suffit-il à maintenir le dossier ouvert ?
M. Guy Chevillotte - Un courrier suffit. Quand nous proposons aux assurés de temporiser, ceux-ci sont les premiers d'accord, parce qu'ils trouvent cette attitude plus sage, et parce que leur expert leur a indiqué, le cas échéant, que la fermeture immédiate de leur dossier leur fait courir des risques. Les assurés acceptent parce qu'ils ont tout à fait conscience qu'ils sont aujourd'hui incapables de connaître exactement les conséquences réelles de leur sinistre, y compris dans les fondations de leur bâtiment.
A cet égard, je ne suis pas sûr que les assureurs qui ont aujourd'hui tendance à régler les dossiers importants de manière un peu rapide ne cherchent pas à le faire pour simplifier et réduire le dossier.
Cela étant, si vous acceptez aujourd'hui que votre dossier soit clos et que vous annoncez demain à votre assureur qu'en commençant les travaux, vous avez découvert des dommages plus importants que ceux qui ont été constatés, la réouverture du dossier ne sera pas difficile à obtenir. En effet, les assureurs savent très bien que pas un seul tribunal ne refuserait la réouverture du dossier pour des dommages qui ne pouvaient pas être constatés lorsque le dossier a été traité. Ce point ne pose pas de difficultés importantes.
M. le Président - Techniquement, ces dossiers présentent tout de même des caractéristiques particulières, au regard des autres expertises que vous réalisez.
M. Guy Chevillotte - Oui. Ces dossiers comportent une première inconnue, à savoir l'influence de l'immersion du bâtiment pendant une longue période. En outre, ils présentent une inconnue provisoire, qui n'est pas nouvelle mais qui nous amène à temporiser : celle-ci réside dans le fait que le sous-sol du bâtiment est encore gorgé d'eau en de très nombreux endroits. Dès lors, pour connaître les mouvements définitifs du bâtiment, le sol sur lequel ce dernier est assis doit avoir retrouvé un degré hydrométrique normal. Nous devons en effet être sûr que le bâtiment ne va pas continuer à bouger jusqu'à récupération de cette hydrométrie normale.
Au début de nos travaux, nous avons éprouvé quelques difficultés pour temporiser. Les gens avaient l'impression que la procédure avait déjà duré longtemps. Certes nous avons été confrontés à une impossibilité d'accès pendant de nombreuses semaines. Il n'était donc pas question de travailler dans ces conditions. Lorsque nous sommes enfin parvenus à accéder aux locaux qui avaient été inondés, les relations avec les assurés ont été légèrement tendues par la question des délais. Toutefois, nous ne rencontrons plus aucun problème avec les personnes auxquelles nous proposons aujourd'hui de temporiser, parce que nous n'avons pas de difficultés à leur expliquer que cette solution est la plus sage.
M. Hilaire Flandre - Ces perturbations n'empêchent pas d'indemniser certains assurés par ailleurs...
M. Guy Chevillotte - Je vous ai dit tout à l'heure que nous procédions généralement à toutes les indemnisations possibles - en particulier à l'indemnisation des biens mobiliers, tandis que nous temporisions sur les bâtiments - et en particulier sur les gros dommages bâtiments. Sur un immeuble qui aura été relativement peu atteint, parce que le dommage n'aura porté que sur le papier peint ou sur le revêtement de sol, nous pouvons indemniser l'assuré dès à présent. En revanche, sur un bâtiment dont le gros oeuvre a été endommagé, nous ne pouvons pas indemniser immédiatement.
M. le Rapporteur - Vous avez précisé que votre rôle consistait à estimer les dégâts. Une fois que vous avez procédé à cette estimation, vous informez la compagnie d'assurance du montant prévisionnel du sinistre. En retour, savez vous à quelle hauteur les assureurs indemnisent les dommages en cause ?
M. Guy Chevillotte - Tout à fait. Notre mission ne se limite pas à la fixation du montant d'un dommage. Au contraire, pour la quasi-totalité des assureurs qui nous font travailler, elle s'étend à la détermination de l'indemnité qu'ils supportent. En pratique, il est extrêmement rare qu'une compagnie d'assurance remette en cause un montant que nous avons arrêté.
D'ailleurs, dès qu'un sinistre présente une certaine importance -en l'occurrence dès que son montant s'élève à 300.000 francs, 500.000 francs ou un million de francs selon les assureurs-, nous procédons à la clôture du dossier- c'est-à-dire à la détermination du montant final de l'indemnité -en présence d'un inspecteur de la compagnie. Sur ce plan, la procédure varie considérablement d'une structure à une autre.
Certaines compagnies nous font totalement confiance pour des sommes qui sont parfois supérieures à un million de francs, dès lors que nous les informons que le dossier ne pose pas de problème particulier et peut être clos sans la présence d'un inspecteur. En revanche, l'inspecteur se déplacera, si nous souhaitons son intervention, au motif que le dossier pose un problème de garantie, et ce alors même que le dommage ne s'élèverait qu'à 200.000 francs.
D'autres compagnies fixent des plafonds plus bas que ceux évoqués précédemment : l'un de leurs inspecteurs sera présent et participera à la détermination de l'indemnité, même dans le cas de sinistres d'un montant peu élevé.
En toute hypothèse -sauf cas très spécifique-, le montant de l'indemnité n'est jamais remis en cause par l'assureur lorsqu'il a été arrêté par l'expert dans des conditions normales.
M. Jean-François Picheral - Au stade actuel des procédures, pensez-vous qu'un certain pourcentage d'habitations devra être détruit ? Pouvez-vous dès à présent vous prononcer sur ce point, ou ne faites-vous que l'envisager pour le moment, compte tenu de la complexité et de l'ampleur des dégâts ?
M. Guy Chevillotte - Je suis également très prudent sur ce plan. J'avais pris une position beaucoup plus nette il y a un mois et demi, lorsque j'ai commencé à être interpellé par différents médias.
En effet, la Fédération française des sociétés d'Assurance avait à l'époque estimé à hauteur de 300 millions de francs les dommages subis par 3.000 maisons, ce qui représentait un montant de 100.000 francs par sinistre ne correspondant évidemment pas à la réalité. Bénéficiant, il y a un mois et demi, d'une vision extrêmement réduite de la situation, j'avais jugé à cette époque que ce montant devait être doublé, voire triplé. L'impression que j'avais à ce moment-là semble totalement confirmée aujourd'hui. En effet, si l'expertise met en lumière un certain nombre de dossiers de moindre ampleur - 30.000 francs, 50.000 francs, 100.000 francs-, d'autres dossiers se révèleront beaucoup plus importants.
Or certains bâtiments ne pourront pas être réparés, même s'il est encore un peu tôt pour ce prononcer sur ce point, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure.
Ce processus posera d'ailleurs un autre problème : nous allons nous heurter à une question que nous évoquions précédemment, à savoir celle de la délivrance des permis de construire en zone inondable. Qu'adviendra-t-il dans l'hypothèse où la compagnie indemnisera l'assuré du prix de sa maison parce que cette dernière doit, d'un point de vue technique, être détruite, et alors que l'assuré n'obtiendra pas le permis de construire pour la rebâtir ? Il est admis que cet assuré sera en possession d'un terrain qui aura complètement perdu sa valeur.
J'évoque ce problème parce que nous sommes ici pour discuter de l'ensemble des questions qui peuvent se poser. Néanmoins, je ne suis absolument pas concerné par cette dimension de l'indemnisation, dans la mesure où le contrat d'assurance ne garantit pas du tout la dépréciation d'un terrain devenu inconstructible. L'assuré sera indemnisé de la valeur de reconstruction de son immeuble, alors que tout le monde saura à ce moment qu'il ne pourra pas le rebâtir au même endroit.
M. Jean-François Picheral - Pensez-vous que ces cas seront nombreux ?
M. Guy Chevillotte - Très certainement.
Je suis actuellement incapable de vous fournir un ordre de grandeur, que ce soit sous forme de chiffres bruts ou de pourcentages, puisqu'il s'agit bien de dossiers extrêmes. Nous savons aujourd'hui qu'un certain nombre de bâtiments devront être détruits. Une interrogation subsiste encore concernant de nombreux bâtiments, pour les raisons auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, à savoir la récupération par le terrain d'un degré hygrométrique normal, et par suite la fin des mouvements du terrain sous-jacent - et donc la fin des mouvements du bâtiment.
M. Jean-François Picheral - Il n'existe tout de même qu'un petit pourcentage de cas de cette espèce.
M. Guy Chevillotte - Oui, ces cas représentent un petit pourcentage.
M. le Président - Nous avons évoqué le chiffre de 5 %. Je ne sais plus qui a avancé ce chiffre, mais il me paraît très élevé.
M. Guy Chevillotte - Je dirais que ces cas représentent entre 1 et 5 % de l'ensemble des sinistres.
M. le Rapporteur - Je suis surpris par vos propos.
D'une part, sur le terrain, je n'ai pas du tout cette sensation concernant les habitations qui seront détruites, parce que tout le monde commence à réparer et reconstruire des maisons qui ont été complètement inondées pendant plus d'un mois.
D'autre part, concernant les préjudices et la clôture des expertises, j'ai rencontré des personnes qui se sont accordées avec leur assureur. Elles ont cependant précisé que cet accord était intervenu après la tenue de négociations. Les dossiers sont clos, mais seulement après une négociation. Ainsi, je peux citer quelques exemples d'indemnités attribuées dans un climat qui semble satisfaisant, avec une clause précisant que les dommages qui viendraient à être découverts ultérieurement seraient pris en charge par la compagnie d'assurance.
M. Guy Chevillotte - C'est ce que je vous disais tout à l'heure : Je pense en effet que si une personne souhaite clôturer le dossier à la condition de pouvoir émettre des réserves quant à l'accord qu'elle donne à l'assureur, la procédure ainsi organisée ne pose pas de difficulté particulière avec la compagnie d'assurance.
En revanche, je peux vous affirmer que pour un certain nombre de bâtiments, mes confrères et moi-même avons proposé d'attendre avant de procéder à l'expertise, et ce même si le sinistre est important, parce que nous sommes pour l'heure incapables de dire quels seront finalement les dommages. Cette solution est techniquement raisonnable et ne pose aucun problème avec les assurés, qui ont conscience qu'une expertise immédiate leur ferait courir le risque d'une indemnisation très partielle, voire d'une orientation erronée de l'expertise. En effet, un bâtiment peut aujourd'hui sembler réparable et ne plus l'être demain. Toutefois, le pourcentage de ces hypothèses n'est effectivement pas très élevé.
M. le Rapporteur - Vous avez affirmé tout à l'heure ne pas être concerné dans le cas de dommages subis par des personnes qui ne sont pas assurées. En tant que citoyen, cette position ne vous gêne-t-elle pas sur un plan moral ?
M. Guy Chevillotte - Si, absolument.
M. le Rapporteur - Précisément, dans la mesure où vous êtes au fait de toutes ces questions, n'avez-vous pas imaginé quelles solutions pourraient être proposées pour remédier à la carence d'assurance de la part de certaines personnes ?
M. Guy Chevillotte - La question ne doit pas nécessairement être posée aux assureurs, qui vous répondront : « mon métier consiste à offrir une prestation d'assurance et, de ce fait, une personne me paye une prime, en contrepartie de laquelle je donne une garantie ».
Il n'empêche que sur le plan de la citoyenneté, je vous rejoins complètement.
Pour régler ce problème de la non-assurance, deux solutions s'offrent à vous.
La première consiste à trouver des formules telles que les gens aient tous conscience de la nécessité de l'assurance et s'assurent de ce fait. A ce titre, nous avons évoqué la nécessité de l'information, même si elle existe déjà de manière conséquente. Nous avons également soulevé le problème économique qui existe à l'évidence lorsque certaines personnes ne payent plus leur prime en raison de difficultés, et ne sont plus assurées de ce fait. Par conséquent, la première solution consiste à informer les gens pour qu'ils prennent conscience de l'importance de la garantie et s'assurent.
Toutefois, si les gens, une fois informés, persistent néanmoins à ne pas s'assurer, la seconde et dernière solution consiste à trouver un système quelconque d'indemnisation de ces personnes. Dans cette hypothèse, nous serons alors confrontés au phénomène de déresponsabilisation auquel vous faisiez précédemment allusion.
M. Hilaire Flandre - Nous pourrions également mettre en place une obligation d'assurance.
M. Guy Chevillotte - Oui, mais il est difficile d'obliger les gens à s'assurer pour leurs propres biens. Cette solution met en effet en jeu la liberté des personnes, à moins d'opérer une retenue à la source sur leur salaire en vue de souscrire une assurance pour leur compte. Cette solution semble un peu extrême.
M. Hilaire Flandre - Je vous rassure : je ne suis pas favorable à l'assurance obligatoire. Cependant, les gens doivent sans doute être davantage prévenus que le régime « catastrophes naturelles » ne permet d'indemniser que les personnes qui sont assurées. Celui qui n'est pas assuré doit savoir qu'il prend non seulement un risque général pour ses biens - ce qui reste son problème, mais qu'il prend également le risque de ne pas être indemnisé dans le cas spécifique d'une catastrophe naturelle.
Le même raisonnement peut être tenu pour les calamités agricoles : les personnes qui n'ont pas souscrit au moins une assurance incendie et tempêtes perdent leur récolte.
M. Guy Chevillotte - Je crois que les gens ont conscience qu'ils ne seront pas indemnisés s'ils ne sont pas assurés. Vous évoquez un autre aspect du problème qui est tout à fait remarquable : en partant du principe qu'un certain pourcentage de la population ne sera de toute façon pas assuré, comment peut-on faire pour les indemniser ?
M. le rapporteur - Imaginez-vous ce qui se produira dans la Somme ? Les pouvoirs publics ont affirmé que la collectivité devait aider le plus rapidement possible les personnes qui n'étaient pas assurées, au motif que ces dernières n'avaient pas la capacité économique de s'assurer. Or, dans la mesure où je connais concrètement la situation, je peux vous garantir que ce postulat est totalement erroné : ceux qui ne s'assurent pas ne sont pas forcément ceux qui n'en ont pas les moyens. La population des non-assurés compte de nombreuses personnes qui ne veulent pas s'assurer. Or ces gens-là seront convenablement indemnisés. Dès lors, pourquoi s'assureraient-ils demain ? Et pourquoi les autres continueraient-ils de s'assurer ?
M. Guy Chevillotte - Dans le régime des catastrophes naturelles, les personnes non-assurées ne seront pas indemnisées.
M. le Rapporteur - Elles ne seront pas indemnisées dans le cadre du régime des catastrophes naturelles, mais le ministre a précisé que la solidarité nationale devrait jouer.
M. Jean-Guy Branger - Il est certain que certaines personnes ne veulent pas s'assurer. Je préside un office départemental d'HLM. Les occupants de ces habitations doivent s'assurer, la non-exécution de cette obligation constituant une cause de rupture de contrat. Je leur demande donc de s'assurer, et leur ai même adressé deux lettres de relance. Malgré cela, le pourcentage de non-assurés que je gère reste important. A l'évidence, ces personnes ne veulent pas s'assurer.
M. Guy Chevillotte - Savez-vous comment ces organismes procèdent aujourd'hui ? Ils souscrivent un contrat spécifique afin de garantir, pour le compte de leurs locataire, la responsabilité locative de ces derniers.
Nous nous orientons effectivement vers une déresponsabilisation. Or cette tendance est dramatique.
M. le Président - Monsieur Chevillotte, nous arrêtons maintenant cette discussion et je vous remercie.