41. Audition de MM. René Beaumont, député, président de l'Institution Saône-Doubs, Pascal Popelin, président de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine, Jean-Louis Rizzoli, ingénieur en chef au sein de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine et Daniel Berthery, directeur de l'Entente Oise-Aisne, de (18 juillet 2001).
M. Marcel Deneux, Président - Nous avons tenu à procéder à des auditions groupées, étant donnée la similitude de vos responsabilités. Pourriez-vous tout d'abord vous présenter ?
M. Daniel Berthery - Je suis le directeur de l'Entente Oise-Aisne, depuis un an et demi.
M. le Président - Il s'agit précisément de la partie de la Picardie que ne recouvre pas la Somme.
M. Pascal Popelin - J'exerce les fonctions de président de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine.
M. Jean-Louis Rizzoli - Je suis Ingénieur en chef au sein de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine.
M. René Beaumont - Je suis député, président du conseil général de Saône-et-Loire et président fondateur du syndicat mixte Saône-Doubs.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. René Beaumont, Pascal Popelin, Jean-louis Rizzoli et Daniel Berthery.
M. René Beaumont - Je me suis demandé pour quelles raisons vous m'aviez fait l'honneur de m'inviter, en ma qualité de président fondateur du syndicat mixte Saône-Doubs. Il me semble que vos motivations tiennent au fait que la démarche initiée au niveau du bassin de la Saône et du Doubs, il y a une douzaine d'années, apparaît révélatrice des mesures qui devront être mises en oeuvre pour la Somme.
Ne disposant d'aucune expertise relative à la Somme, je me contenterai donc de vous présenter les mesures mises en oeuvre pour notre bassin et leurs résultats.
La vallée de la Saône dispose d'une expérience des crues établie. Les inondations y sont, en effet, chroniques, puisque nous nous situons sur une rupture de pente, avec le Doubs descendant de manière très abrupte de la montagne et déversant ses eaux dans la plaine de Saône. Cette dernière recueille également les eaux de la fonte des neiges d'un autre massif, les Vosges. Jules César, déjà, décrivait les inondations qu'il avait observées dans la plaine de Saône et notamment à Macon. Notre plaine faiblement pentue constitue donc un vase d'expansion naturel pour toutes les inondations.
Si nous étions accoutumés aux crues, nous n'étions pas habitués à leur fréquence. L'année 1983 s'est avérée particulièrement fatidique de ce point de vue, puisqu'elle a vu trois inondations successives de décembre 1982 à mi-janvier 1983, trois semaines en mars 1983 et 4 semaines en juin 1983.
La situation était particulièrement critique, puisque les rues les plus basses de Macon et de Châlon étaient envahies par un mètre d'eau et que le nombre des sinistrés était tout à fait conséquent. Comme d'habitude, de nombreuses rumeurs ont circulé à cette époque. La Saône se jetant dans le Rhône au Sud de Lyon, cette ville a été accusée de ces inondations, au motif qu'elle aurait cherché à protéger son métro en ayant recours aux barrages en amont de Lyon. D'autres causes ont également été évoquées : l'agriculture, le drainage, le curage des rivières et divers ouvrages. Certaines de ses causes apparaissaient effectivement comme des facteurs aggravants des crues, mais certainement pas comme leur cause principale. Enfin, certains ont avancé des explications de fond plus pertinentes touchant à la construction, l'urbanisation, le remblaiement, l'endiguement ou encore l'imperméabilisation des sols.
Toutes ces théories se mêlant dans l'esprit des habitants, les rumeurs ont continué à s'amplifier et ont accentué le sentiment des sinistrés d'être les éternelles victimes de ces crues. Il est indéniable que les habitants du haut du bassin sont rarement inondés, tout comme il est évident que les crues que nous subissons proviennent de leurs terres.
Certains élus de terrain ont donc pris conscience du fait que seule une politique globale menée au niveau du bassin permettrait de régler les problèmes. Cet aspect m'apparaît tout à fait essentiel. Le Département constitue certainement un acteur majeur, mais le Conseil général de Saône-et-Loire a rapidement pris conscience du fait qu'il ne pouvait agir seul. L'eau de nos crues provient, en effet, de la Suisse, du Jura et des Vosges. Notre bassin couvre 30.000 km 2 , quatre régions, neuf départements et environ 2.560.000 habitants. Or le comportement des uns peut parfaitement provoquer l'inondation des autres. Afin de faire émerger la conscience d'une solidarité nécessaire, nous avons bénéficié d'un événement relativement anecdotique. En 1983, les quatre départements systématiquement sinistrés ont été inondés, à savoir le Rhône, l'Ain, la Côte-d'Or et la Saône-et-Loire.
Comme d'habitude, les cinq autres départements n'ont pratiquement pas été touchés, à l'exception de la ville de Montbéliard. Les usines Peugeot y ont été particulièrement sinistrées, un parking entier de véhicules neufs ayant été submergé. Les incidences politiques et économiques de cet événement ont été tout à fait importantes. Une forte mobilisation a rassemblé les habitants de Sochaux et de Montbéliard. Cet événement a donc favorisé la prise de conscience d'une nécessaire solidarité au niveau du bassin, qui s'imposait non seulement en matière de gestion du risque d'inondation, mais également dans la perspective de traiter les problèmes écologiques de ressources en eau et de qualité des eaux.
Trois ans ont été nécessaires pour créer le syndicat mixte, mais il fédère l'ensemble du bassin : les neuf départements concernés, les quatre régions, l'ensemble des collectivités importantes (la communauté urbaine de Lyon, Besançon, la communauté urbaine de Sochaux - Montbéliard, etc.)
Toutes les collectivités y sont adhérentes, soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire d'une collectivité urbaine. Les syndicats compétents dans la gestion de l'eau y sont également associés et reçoivent le compte-rendu de toutes nos délibérations et tous nos documents. La communication constitue, en effet, une dimension essentielle de notre démarche.
Si nous n'avons eu aucun problème pour impliquer les départements dans ce projet, nous avons rencontré davantage de difficultés pour associer les régions à ce syndicat. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour saluer le sens de l'initiative de l'un de vos collègues, qui exerce également les fonctions de vice-président de l'Institution Saône-Doubs, Georges Gruillot, ancien président du Conseil général du Doubs. Grâce à lui, à Louis de Brossia et au Conseil général de Saône-et-Loire, le syndicat mixte a pu voir le jour. S'agissant des départements, seul celui du Rhône a fait preuve de quelques réticences, somme toute assez logiques. En revanche, nous avons fait face à une inertie plus importante de la part des régions, tant pour les associer à cette démarche que pour les impliquer dans nos projets actuels. Leur contribution financière à notre syndicat est pourtant tout à fait conséquente.
Créé en 1991, le syndicat mixte s'est attelé pour l'instant à un travail d'études, dont le coût s'est élevé à 25 millions de francs pour l'ensemble du bassin. En effet, il nous a semblé indispensable de disposer d'une connaissance parfaite du bassin avant d'agir.
Nous sommes également parvenus à définir un plan de gestion du Val-de-Saône, dans le cadre duquel un plan de vocation des sols a été élaboré. Un tel travail peut paraître simple, mais il s'avère en réalité extrêmement ardu et fastidieux. Les dix années écoulées ont, en effet, été largement consacrées à l'élaboration du plan de vocation des sols. Le syndicat mixte a également contribué à définir une cohérence des travaux à l'échelle de notre bassin. Même si nous ne disposons pas de pouvoir réglementaire, notre expertise technique est reconnue de tous et nous travaillons en partenariat avec les DIREN et l'Agence de l'eau. Cette dernière nous apporte d'ailleurs une contribution financière tout à fait significative. En conséquence, bon nombre de nos préconisations sont relayées dans les mesures adoptées par les préfets et les DIREN, de telle sorte que prévaut la cohérence des travaux et que les aménagements des uns ne se traduisent pas par des inondations pour d'autres. Ce n'était pas le cas auparavant, chacun menant jusqu'à présent des politiques autonomes et non coordonnées.
Désormais, nous disposons d'une modélisation informatique de l'ensemble du bassin, qui nous permet de simuler l'impact de travaux ou de crues. L'état d'esprit a totalement changé en dix ans et le sentiment de la solidarité s'est développé au niveau du bassin pour tous les enjeux relatifs à l'eau. Désormais, tous les projets sont envisagés de manière collective et concertée, avec d'ailleurs le soutien de l'Etat. Ce dernier participe, en effet, au plan de gestion du Val-de-Saône, élaboré par le syndicat.
Dans le cadre des plans de vocation des sols, nous avons défini les sols destinés à l'agriculture, notamment des céréales et en particulier du maïs. Nous avons même obtenu dans certains secteurs une réduction des zones plantées, ainsi qu'un gel total des labourages des prairies naturelles. Je peux vous assurer qu'il n'est pas simple de parvenir à négocier sur le terrain de tels compromis.
Nous avons donc défini différents types de zones : des zones à vocation prairiale naturelle, des zones à enjeu écologique majeur, notamment les espaces humides, des zones importantes en termes de ressources en eau puisque nous disposons, en effet, de puits de captage qui approvisionnent plus de 2 500 000 habitants à partir du Val-de-Saône et des zones à vocation urbaine ou industrielle pour lesquelles des zones de compensation sont systématiquement prévues.
Notre objectif étant la cohérence des politiques, notre syndicat mixte s'avère relativement long à mobiliser étant donné le nombre des acteurs qui y participent. Mais l'expérience nous a enseigné que l'expertise technique permettait de faire tomber bien des obstacles politiques. Bien que mes opinions politiques soient connues, j'ai ainsi été reconduit dans mes fonctions de président du syndicat, il y a trois semaine, avec 35 voix sur 37, les deux autres suffrages étant des abstentions. Cette absence de clivages politiques se révèle tout à fait encourageante et je m'efforce d'éviter toute politisation de la gestion de ce syndicat. Une telle démarche serait effectivement contraire aux objectifs de solidarité.
Les 25 millions de francs d'études ont été financés par les régions, les départements, l'Agence de l'eau et parfois l'Etat de manière indirecte. Ces études ont porté sur des sujets aussi divers que la protection des lieux habités, les questions d'environnement ou la protection des ressources en eaux.
Des travaux de protection de lieux habités viennent d'être initiés. Deux cent trente villes et villages sont concernés par ces travaux, parmi lesquels Macon, Châlon, Lyon, Besançon, Montbéliard, etc. Chacune de ces communes compte au minimum une vingtaine de maisons régulièrement inondées. Ces travaux nous sont apparus comme absolument prioritaires. Des digues de proximité immédiate seront donc aménagées autour des lieux habités. Ce dispositif laisse le maximum d'espace possible aux champs d'expansion des eaux au moment des crues, ce qui n'est pas le cas lorsque les digues sont situées au bord de la rivière et que l'expansion s'effectue alors en amont ou en aval, pénalisant d'autres riverains. Il est loin d'être évident de faire comprendre aux agriculteurs du secteur que les digues en bord des rivières ne sont plus adaptées. Ils avaient pris l'habitude de ces digues, qui protégeaient non seulement les habitations, mais également les champs très fertiles en bordure de la rivière. La semaine dernière, j'ai participé à une réunion très tendue dans une petite commune avec les agriculteurs locaux, principalement des gros céréaliers. Ces derniers ne cachaient pas leur mécontentement lorsque nous leur avons annoncé que les digues en bord de rivière devaient être abaissées. Ces digues ont encore vocation à protéger leurs champs face aux petites crues, mais certainement pas à contenir les eaux des crues décennales ou plus importantes encore. Il n'est pas évident de faire comprendre la nécessité de la solidarité, lorsque l'on annonce à des agriculteurs que leurs champs serviront à recueillir l'expansion des eaux tous les dix ou vingt ans.
Huit ans ont été nécessaires pour mettre en oeuvre cette démarche au niveau de la Saône et deux à quatre ans au niveau de ses affluents, le traitement du Doubs s'étant révélé relativement délicat.
Le plan de gestion de la Saône devrait se traduire par un contrat de vallée inondable, signé avec l'Etat. Il est en cours d'élaboration et devrait être signé avec le ministère de l'Environnement au cours du mois de septembre prochain. Il sera également cosigné par le ministère des Transports et de l'Equipement. En vertu de ce contrat, nous nous engageons à réaliser les travaux prévus dans le plan de gestion de la Saône. Si nous sommes impuissants face aux phénomènes naturels, le contrat aura pour objectif de ne pas aggraver ces phénomènes par l'intervention humaine et de mettre en oeuvre des mesures de protection qui ne soient pas pénalisantes pour les habitants de l'amont ou de l'aval. Il s'agira également d'améliorer la qualité des eaux par des rachats, par les collectivités locales, de terrains en zone inondable et en zone de puits de captage, dans la perspective de préservation des prairies naturelles et de développement d'une agriculture respectueuse de l'environnement et de la nappe phréatique.
Cette politique se concrétise également par d'autres contrats :
- un programme Saône-Rhin qui est un programme de compensation de la non-réalisation du canal Rhin - Rhône. Si la compensation s'avère minime, ce programme nous permettra tout de même de réaliser des travaux.
- des contrats de rivières, au nombre de cinq, sont actuellement engagés dans huit bassins différents. Ils comprennent systématiquement un dispositif d'annonce des crues.
Il est fondamental d'avertir les populations avant les inondations, pour leur permettre de prendre les mesures qui s'imposent pour protéger leurs biens, d'autant plus que de nouvelles crues sont probables dans la Somme.
Il me semble qu'une rationalisation des travaux dans la Somme pourra être conduite. Mais ces aménagements ne pourront pas régler tous les problèmes. Il me paraît donc indispensable de mettre en place les dispositifs d'alerte efficaces, d'autant plus que nous disposons aujourd'hui des moyens techniques de le faire. Informés, les riverains sont susceptibles de prendre d'eux-mêmes les initiatives en vue de réduire les dommages, notamment en matière de biens mobiliers et de prendre les précautions nécessaires.
M. Pascal Popelin - L'Institution interdépartementale des barrages réservoirs de la Seine est appelée plus couramment les « Grands Lacs de Seine ». Il s'agit d'un établissement public administratif, regroupant les départements de Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.
Cette structure est administrée par un conseil de vingt-quatre membres, issus des conseils généraux à raison de douez administrateurs pour Paris et quatre administrateurs pour les autres départements. Cette répartition s'effectue au prorata des contributions respectives au budget de l'Institution. J'exerce les fonctions de président de cette organisme depuis le 18 mai 2001, après en avoir été le vice-président depuis le mois de juin 1998.
Créée en 1969 à la suite de la réforme administrative de la région parisienne, l'Institution a repris la double mission assignée à l'ancien département de la Seine, à savoir de diminuer les effets des crues de la Seine et de ses principaux affluents et d'assurer les niveaux d'étiage pour garantir l'alimentation régulière en eau de la région parisienne et pour préserver les ressources écologiques de ses cours d'eau.
Dans cette perspective, l'Institution a construit et gère les grands barrages réservoirs, situés dans la vallée de l'Yonne. Un barrage traditionnel de vallée est situé à Panecière. Le lac Marne est à proximité de Château-sur-Ile-Saint-Dizier. Les lacs Seine et Aube, quant à eux, sont localisés dans la région de Troyes.
Dans le cadre de cette structure, une réflexion est menée de manière permanente sur l'aménagement existant et sur son amélioration, avec la construction éventuelle de nouveaux ouvrages. Pour l'heure, l'Institution est susceptible de stocker en amont du bassin jusqu'à 830 millions de m 3 d'eau à raison de 170 millions de m 3 dans le lac Aube, 350 millions de m 3 dans le lac Marne, 205 millions de m 3 dans le lac Seine et 80 millions de m 3 pour Panecière.
Ces aménagements ont naturellement une influence sur chacun des axes de la Marne et de la Seine, en amont de Paris. Ils ont également un impact sur le lit de la Seine, en aval de Paris, au niveau de sa confluence avec la Marne jusqu'à la confluence entre la Seine et l'Oise. Au-delà de Conflans-Sainte-Honorine, leur impact est considéré comme quasiment nul. Ils constituent donc des ouvrages de bassin, dont l'influence est plus vaste que le périmètre de la composition administrative de l'Institution.
Les objectifs de soutien des étiages et d'écrètement des crues sont rapidement apparus comme potentiellement contradictoires. En effet, cette contradiction s'est fait jour dès les premiers projets de barrages réservoirs datant d'après les grandes crues de 1910 et 1924 et d'après la sécheresse de 1921. Toutefois, l'exploitation a permis de démontrer qu'il était possible d'obtenir des résultats significatifs concurremment sur ces deux plans. En effet, les étiages les plus durement ressentis ont lieu en été et en automne, alors que les crues les plus dommageables se produisent en hiver et au printemps.
Les modalités d'exploitation de chaque ouvrage résultent de l'application d'un règlement d'eau, arrêté par le préfet dont dépend le lieu d'implantation de l'ouvrage. Il est adopté après consultation des organismes de bassin et à la suite d'une enquête publique, portant sur l'ensemble des communes riveraines et influencées par les effets des ouvrages. Les règlements d'eau prévoient un remplissage théorique et progressif des lacs réservoirs pendant l'hiver et le printemps et leur vidange pendant l'été et l'automne. Les volumes disponibles pour l'écrètement des crues sont donc décroissants de décembre à juin. En l'absence de crue, l'exploitation quotidienne des ouvrages est assurée en se fondant sur une courbe d'objectifs de remplissage, établie sur la base d'études statistiques d'hydrologie de la rivière. Cette courbe d'objectifs permet d'agir avec un maximum d'impact sur les grandes crues de l'hiver et de remplir à 90 % les ouvrages, neuf années sur dix. Lors d'une crue importante, l'Institution est tenue de limiter le débit de la rivière à l'aval des ouvrages à des valeurs seuils dites « débits de référence ». Pour satisfaire à cette exigence, les prélèvements en rivière doivent être augmentés. Ceci se traduit donc par un sur-stockage par rapport au remplissage théorique. Lors de la décrue, des restitutions en rivières sont alors effectuées en respectant un débit de référence plus faible, pour ne pas prolonger la crue.
Nous savons que les crues du bassin de la Seine en amont de Paris sont lentes et répétitives. Elles ont généralement lieu de décembre à mars. Elles se révèlent relativement prévisibles en raison de leur décalage temporel important par rapport à l'événement pluviométrique qui en est à l'origine. Un travail conséquent reste encore à réaliser en matière de prévention, de protection et d'information des populations. Il ne s'agit pas, certes, des missions premières de l'Institution, mais nous avons mené une étude tout à fait importante, relative à une éventuelle crue majeure de la Seine et à ses risques. Cette étude a été mise à la disposition de nos différents partenaires : l'Etat, la RATP, la SNCF, les services d'assainissement et de distribution de l'eau, etc. Cette étude fait la lumière sur les améliorations nécessaires pour éviter qu'une crue importante ne se traduise par des dommages catastrophiques, qui seraient d'ailleurs essentiellement économiques.
S'agissant de la crue de 2001, son débit s'avérait relativement peu important, pour ce qui nous concerne (1.520 m 3 /seconde au regard de 2400 m 3 /seconde en 1910). Elle a été longue, 55 jours, et relativement tardive dans la saison. Face à ces crues, nos ouvrages ont joué leur rôle, puisqu'ils ont assuré la protection des villes de Troyes et de Saint-Dizier. Pour Paris et la région parisienne, nos ouvrages ont permis un écrètement de l'ordre de trente centimètres en moyenne, grâce à un remplissage des lacs réservoirs jusqu'à 97 %.
En revanche, nos ouvrages n'ont pas eu d'influence au-delà de la confluence avec l'Oise. Tel n'est pas leur rôle d'ailleurs. S'agissant de la « rumeur d'Abbeville », il me paraît difficile d'en expliquer les origines. Je ne peux que m'en étonner et souligner le fait qu'elle est sans lien avec le champ d'intervention de notre institution. Elle m'apparaît totalement infondée. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé le rapport interministériel remis au Gouvernement le 6 juin 2001.
M. le Président - Je vous remercie de votre exposé. Nous allons continuer à suivre le cours de la Seine, avec l'audition de M. Berthery. L'Entente Oise-Aisne intervient précisément à partir de Conflans-Sainte-Honorine ?
M. Daniel Berthery - Exactement, le bassin Oise-Aisne se développe à partir de la confluence entre l'Oise et la Seine, à hauteur de Conflans-Sainte-Honorine. L'Oise trouve sa source en Belgique, l'Aisne dans le département de la Meuse. Il s'agit d'un bassin de 17.000 km 2 , qui s'étend sur six départements et quatre régions. Il compte 5.500 kilomètres de rivières. Le risque d'inondation y est important, puisque sur les 63.000 hectares inondables, 5.800 hectares se situent en zones urbaines. L'Entente a pour vocation de les protéger. Les crues de référence sont celles de décembre 1993 et de janvier-février 1995, en raison de leur ampleur, de leur durée et des dommages qu'elles ont occasionnés. Il s'agissait de crues d'hiver. Toutefois, la crue de mars 2001 s'est révélée sérieuse, même si nous n'avons pas atteint les niveaux de 1993 et 1995 (40 cm au-dessous de ces crues, à la hauteur d'une de nos stations de mesure), puisqu'elle a été recensée comme la cinquième plus importante crue du siècle. Les inondations de 1993 et 1995 avaient conduit à une déclaration de catastrophe naturelle et avaient occasionné des dégâts difficilement évaluables, chiffrés en milliards de francs. En mars 2001, les dommages se sont révélés bien moindres, en dépit de nombreuses routes coupées et de multiples maisons inondées.
Le chiffre de quarante centimètres apparaît donc déterminant, d'autant plus qu'il correspond à la hauteur d'eau maximale susceptible d'être écrètée grâce au programme d'aménagement à l'échelle de l'ensemble du bassin, que nous avons pour projet de conduire.
Concernant l'historique de l'Entente Oise-Aisne, il s'agit d'une institution de coopération interdépartementale ancienne, puisqu'elle a été créée en 1968 à la suite d'inondations de printemps ayant occasionné des dommages agricoles conséquents. Elle regroupe les six conseils généraux concernés et elle est présidée par M. Philippe Marini, sénateur-maire de Compiègne, depuis le 10 mai dernier.
Jusqu'en 1990, l'Entente a tenté de réaliser des barrages sur le modèle du dispositif adopté pour la Seine. Une dizaine de sites ont fait l'objet d'études dans cette perspective et des terrains ont même été acquis. Dix ans ont été nécessaires pour que l'Entente prenne conscience que le modèle adopté pour la Seine n'était pas transposable dans notre bassin, pour des raisons environnementales et foncières. Pendant toute cette période, l'Entente menait également des actions très appréciées des collectivités locales : l'entretien et la restauration des rivières. L'organisme continue d'ailleurs chaque année à mener un programme d'aide aux collectivités locales dans cette mission. Elle est également responsable de l'entretien des rivières domaniales non navigables.
Les crues de 1993 et 1995, dont la fréquence est d'environ quatre-vingt ans, ont donné une nouvelle actualité à l'Entente et aux enjeux liés à aménagement du territoire face aux inondations. Le rapport commandé par le Premier ministre à l'ingénieur Jean Benglas et remis en novembre 1996 a ouvert de nouvelles perspectives à l'Entente et aux projets d'aménagements, après l'abandon des projets de grands barrages réservoirs. Ce rapport avait pour objet la coordination de tous les acteurs de la lutte contre les inondations. Il formulait des préconisations en matière de services d'annonce des crues, d'amélioration de la prévision, de connaissance du fonctionnement du bassin, d'amélioration de la prévention et d'efficacité de l'action à l'échelle du bassin.
Ce rapport a été perçu par tous comme un document de qualité. En matière de réduction du risque, il prônait l'écrètement des crues au moyen d'aménagements dits de sur-stockage. Ces recommandations ont inspiré non seulement l'action de l'Etat, mais également celle de l'Entente. Ces recommandations se sont, d'ailleurs, concrétisées par la charte signée le 8 janvier 2001 entre les partenaires gestionnaires du risque.
Suite à ce rapport, il a été décidé que l'Entente devait se renforcer et constituer ses propres services. En effet, jusqu'en 1998, l'Agence de l'eau assurait son secrétariat. En 1998, l'Entente a donc recruté un agent, puis un deuxième en 1999. Cette équipe reste encore très modeste, puisque ses effectifs sont pour l'instant au nombre de cinq. Une sixième personne devrait bientôt nous rejoindre. Cette équipe aura pour mandat d'assurer la maîtrise d'ouvrage des équipements de sur-stockage.
Les statuts de l'Entente ont été révisés afin de doter l'Institution d'une plus grande capacité de décision et d'action. Un fond commun alimente son budget. Chaque département ne contribue pas de manière identique, mais cette mise en commun des moyens est révélatrice d'une solidarité interne du bassin. La Meuse, par exemple, y contribue à hauteur de 4,73 %, et l'Oise à hauteur de 30 %. La charte signée cette année témoigne également de cette solidarité, qui ne se limite pas au bassin, puisque ce document a été signé par l'ensemble des préfets concernés. Cette charte atteste donc de l'implication affirmée de l'Etat et de sa volonté d'assumer ses missions en matière d'alerte, de la prévision des crues et de prévention à travers les plans d'occupations des sols.
L'Agence de l'eau est également signataire, puisqu'elle est compétente en matière de préservation des champs d'expansion et de protection de la qualité des milieux. Cette charte est co-signée par Voies Navigables de France, qui est responsable de la gestion des voies navigables. Cette structure a, en effet, un rôle évident à jouer dans la gestion du risque, essentiellement pour les petites crues.
L'objectif prioritaire de cette charte réside dans la réalisation des aménagements de sur-stockage dont l'Entente serait le maître d'ouvrage sur l'ensemble du bassin. Une enveloppe de 177 millions de francs a été affectée à ce projet. Elle est, d'ailleurs, prévue par les contrats de plan entre l'Etat et les régions.
Depuis sa création, l'Entente a déjà réalisé de nombreuses études, mais la plupart d'entre elles concernaient des projets de barrages. En 1996, le changement d'orientation de l'Entente a donc imposé d'engager de nouvelles études, dans l'optique des recommandations du rapport de M. Benglas.
Quand je suis entré en fonction l'année dernière, ces études avaient simplement été lancées. Disposant désormais d'une connaissance satisfaisante des enjeux, nous pouvons commencer à élaborer une stratégie globale d'aménagement du bassin. La stratégie d'aménagement ne saurait se limiter à la construction d'aires de sur-stockage dans une perspective de rétention des crues. Elle doit également poursuivre les travaux de protection localisée dans les zones d'urbanisation tel qu'élever les endiguements, abaisser les seuils et réduire les bouchons hydrauliques qui se forment parfois en pleine agglomération du fait de ponts mal conçus.
Toutefois, les travaux de protection localisée ne sauraient se substituer aux aménagements de rétention des crues. Il est nécessaire de mener ces deux volets conjointement. Très rapidement, dès 1993, les collectivités locales ont compris la nécessité de réaliser des travaux de protection localisée et ont conduit des politiques en ce sens, dès lors qu'elles en avaient les moyens. En revanche, les travaux relatifs à la rétention des crues ont été différés, dans la mesure où ils s'avéraient plus complexes et ne revêtaient pas un caractère de proximité pour les communes. Les travaux les plus importants n'ont donc pas encore été commencés. L'heure est venue de nous y atteler, d'autant plus que nous disposons maintenant des éléments nécessaires à leur réalisation.
Parallèlement au schéma d'aménagement, des études de faisabilité ont également été engagées grâce à la pression exercée par les sinistrés. Ces études concernent certains secteurs spécifiques, parmi lesquels l'aval de Compiègne. Elles ont permis d'identifier d'anciens champs d'expansion des crues, dont la fonction naturelle avait été bouleversée par la construction d'infrastructures routières ou d'autres aménagements. Nous avons donc la volonté de mettre en oeuvre un projet de reconquête des champs naturels d'expansion des crues. Nous espérons commencer les premiers travaux dès l'année prochaine. Le temps est venu d'agir : nous ne pouvons plus attendre de disposer de la totalité des informations face à l'urgence de ces questions et à la pression croissante des populations. A l'heure actuelle, notre connaissance des enjeux liées à la gestion de l'eau apparaît suffisante pour envisager d'initier des projets s'inscrivant dans le schéma d'ensemble d'aménagement du bassin.
Une des principales difficultés que nous rencontrons réside dans notre capacité à faire admettre la notion de déphasage. La possibilité de retarder une crue constitue un enjeu fondamental. Le risque est, en effet, accru lorsque les pics de crue de deux cours d'eau sont concomitants. Ce problème s'est ainsi posé en 1995, puisque les crues de l'Aisne et de l'Oise étaient concomitantes. Il est donc tout à fait essentiel de synchroniser l'impact des différents aménagements pour ne pas accroître le risque hydraulique lié à la concomitance des crues. Notre politique d'aménagement concerne essentiellement l'Aisne, dont le volume de crue s'avère nettement plus considérable que celui de l'Oise. L'Aisne amont représente, en effet, 40 % des volumes de grandes crues. Or l'objectif de nos politiques réside précisément dans l'écrètement des grandes crues.
Le schéma d'aménagement nous a imposé une stratégie tout à fait nouvelle. Jusqu'à présent, les politiques s'étaient concentrées sur la vallée de l'Oise moyenne. Or le schéma a prouvé qu'il était nécessaire d'étendre cette action bien plus en amont, dans les départements de la Meuse, de la Marne et dans les Ardennes. Si le Conseil général des Ardennes est parfaitement conscient de ces problématiques, les deux autres départements sont encore quelque peu réticents vis-à-vis de ces politiques d'aménagement, en particulier la Meuse.
L'Entente ne limite pas son action à ces politiques d'aménagement, mais elle contribue également à l'amélioration des outils de prévision de l'Etat en ce qui concerne les modèles d'écoulement et les modèles pluies-débits.
Les premiers étant élaborés, nous nous concentrons désormais sur les seconds, qui permettent d'anticiper davantage encore les inondations dès lors que la pluviométrie de la zone des hauts bassins est connue. Ces outils, déjà largement avancés, s'annoncent très prometteurs et doteront les stations des villes en amont des bassins d'un service d'annonce des crues, dont elles ne disposent pas pour l'heure.
M. le Président - Je vous remercie de votre présentation.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Les propos de M. René Beaumont, selon lesquels « la conduite des uns peut provoquer l'inondation des autres » démontrent l'importance que revêt la solidarité. Si les structures qui nous ont été présentées sont révélatrices de l'émergence d'une solidarité à l'échelle des bassins, une forme de solidarité est-elle également organisée entre les différents bassins ? Les mesures d'écrètement des crues et de protections contre les inondations ne se traduisent-elles pas par des transferts ? Si tel est le cas, comment ces transferts sont-ils opérés et qui est habilité à en prendre la décision et à les contrôler ?
M. René Beaumont - Le bassin de la Saône et du Doubs représente à lui seul tout le quart Est de la France. Le Rhône constitue notre unique point de contact avec les bassins voisins, à hauteur de Lyon au niveau du confluent de la Saône. Un différend nous avait opposés aux rhodaniens qui se révèlent pour l'heure totalement désorganisés, face à ces questions. Nous avions ainsi été accusés d'être responsables des inondations en Camargue. Le préfet de Rhône-Alpes avait tout de même eu l'intelligence de reconnaître que ces inondations ne résultaient pas du fait que le bassin du Doubs et de l'Aisne était organisé, mais bien du fait que le bassin rhodanien ne l'était pas. Les digues de la Camargue n'avaient, en effet, pas été modifiées depuis une centaine d'années.
Nous avions étudié les possibilités de transfert, en particulier du Doubs dans le Rhin, mais cette hypothèse tout à fait utopique a rapidement été écartée. Elle s'avérait par trop préjudiciable au Rhin et excessivement onéreuse. Nous avions également envisagé de mettre en place des bassins de rétention, mais cette possibilité s'avérerait tout à fait inefficace, les seules zones qui auraient été adaptées étant des zones de fort peuplement. Le modèle adopté pour la Seine n'est donc pas transposable dans notre bassin.
M. le Rapporteur - Comment cette solidarité avec d'autres bassins s'organise-t-elle pour le bassin Aisne-Oise ?
M. le Président - Quel est le débit de l'Oise à Venay et à Conflans ?
M. Daniel Berthery - Le débit doit avoisiner les 750 millions de m 3 pendant un épisode de crues de quinze jours. Mais je n'ai plus en mémoire les chiffres en m 3 /seconde.
M. le Président - Ma question était en rapport avec la rumeur selon laquelle la préservation de Paris aurait conduit à inonder la Somme. Lorsque vous citez le chiffre quarante centimètres de hauteur de crues en moins grâce aux aménagements réalisés, je me suis demandé ce qu'aurait changé à votre situation le fait que vous transfériez dix m 3/ seconde d'eau supplémentaire ?
M. Daniel Berthery - Les quarante centimètres gagnés ne résultent nullement de travaux quelconques, puisque nous n'avons encore réalisé aucun aménagement. Ce chiffre constitue seulement un indicateur du différentiel entre les crues catastrophiques de 1995 et les inondations de mars 2001, tout à fait importantes, mais moins dommageables.
Le débit de l'Oise doit s'établir autour de 150 m 3 /seconde à l'amont. A ce chiffre, il faut donc ajouter au minimum 250 m 3 /seconde pour l'Aisne, de telle sorte que le débit de l'Oise aval doit se chiffrer approximativement à 400 m 3 /seconde.
M. Hilaire Flandre - Des exposés tout à fait intéressants que nous avons recueillis, il me semble qu'il faut retenir une leçon : chaque cours d'eau a ses spécificités tant en termes de débit, que de vitesses des crues et des décrues. La pertinence de notre action est donc conditionnée par une parfaite connaissance de l'ensemble de l'économie de la rivière. Malgré l'impatience des sinistrés de la Somme, il nous faut tout d'abord disposer d'une telle connaissance de la rivière et résister à la tentation de l'action pour l'action, même si ce discours peut paraître décevant.
S'agissant de la Meuse, nous avons été confrontés au même problème. Il nous a d'abord été nécessaire d'entreprendre différentes études, afin de modéliser les débits et de pouvoir mettre en place une procédure d'alerte. La plupart des travaux entrepris revêtaient un caractère essentiellement psychologique, qu'il s'agisse des aménagements opérés sur un barrage ou du dragage de la Meuse. Nous avons eu la chance qu'aucune inondation ne se produise depuis 1995. La population en crédite les travaux réalisés, mais nous savons pertinemment que ces travaux n'étaient pas en mesure de prévenir des crues significatives. En 1995, nous avions pu observer des crues atteignant jusqu'à trois mètres en zone habitée à Charleville. Or la raison de ces inondations est bien connue : à Charleville, des habitations ont été construites dans le lit même de la Meuse.
M. Pascal Popelin - Le problème est identique à Paris.
M. le Président - S'agissant de la Seine, comment les grands lacs sont-ils vidangés ? Recourez-vous au pompage ou à un système par gravitation ?
M. Pascal Popelin - Nous avons recours à un système gravitaire.
M. Hilaire Flandre - Les grands lacs ont deux objets : d'une part, le soutien de l'étiage de la Seine pendant l'été, la lutte contre les crues, d'autre part.
Cette dernière fonction impose de largement vider les grands lacs à l'entrée de l'hiver, afin d'accroître leur capacité de stockage.
M. le Président - Les structures du relief permettent-elles partout de ne pas recourir au pompage ?
M. Hilaire Flandre - Il s'agit d'un relief relativement plat.
M. Jean-Louis Rizzoli - Nous avons sélectionné des canaux qui permettaient de faire jouer une altitude suffisante pour que l'eau circule par gravitation.
M. Jean-François Picheral - Que répondez-vous face à la rumeur qui impute à la Seine une responsabilité dans les inondations de la Somme, par le biais du canal du Nord ?
M. Pascal Popelin - Cette rumeur est totalement infondée. Il suffit pour s'en convaincre d'observer une carte. Au moment des crues de la Somme, les grands lacs étaient dans une période de stockage, même s'il a été procédé à quelques relâchés d'eau, pour revenir au niveau théorique de remplissage. Ceci étant, l'eau relâchée doit nécessairement transiter par la région amont de Paris, puis par la capitale elle-même avant d'atteindre le bassin de la Somme. Cette théorie est donc tout à fait fumeuse, puisque le moyen qui serait censé protéger Paris implique nécessairement de l'inonder au préalable. Par ailleurs, de quels moyens disposons-nous pour déverser cette eau ? Ne disposant pas de pompe, je ne vois pas d'autre moyen de le faire que de recourir à des brouettes ! Le canal du Nord constitue le point de communication entre le bassin de la Seine et celui de la Somme. Il s'agit d'un point de communication extrêmement ténu en termes de débit. Qui plus est, notre institution n'intervient plus sur la Seine au-delà de la confluence avec l'Oise. En consultant une carte, le simple bon sens conduit à considérer cette rumeur comme d'une stupidité absolue. Les personnes qui ont contribué à l'accréditer ne peuvent qu'être considérées comme peu sérieuses.
M. Jean-François Picheral - Vos propos traduisent très clairement la vérité et je me félicite que tout ceci soit consigné par écrit.
M. le Président - Tous ceux qui sont informés de ces questions savent pertinemment que cette théorie était absurde. Le seul véritable débat porte sur trois points de communication entre le canal du Nord et la Somme. A partir du canal du Nord, il est possible d'envoyer de l'eau, non par vers Paris, mais vers Conflans-Sainte-Honorine. Le 23 avril seulement, cinq pompes ont été activées : les quatre existantes et une cinquième pompe hollandaise. Ceci correspondait à un débit entre 4 et 8 m 3 par seconde, qui a été transféré du bassin de la Somme vers celui de l'Oise. Ces mesures de pompage auraient pu être mises en oeuvre plus précocement. Pour des raisons techniques, il a été décidé de ne pas le faire. Je comprends parfaitement ce choix de protéger Paris.
M. Pascal Popelin - Il ne s'agissait nullement de protéger Paris, mais Conflans-Sainte-Honorine.
M. le Président - Dans l'esprit des habitants d'Abbeville, Paris et Conflans - Sainte-Honorine se confondent.
M. Pascal Popelin - Cette zone est en aval de Paris. J'ignore si Conflans-Sainte-Honorine a été considérée comme une ville éminemment importante en raison de la personnalité de ses deux anciens maires.
M. le Président - En toute hypothèse, les débits qui auraient pu être transférés s'avéraient extrêmement faibles, entre 4 et 8 m 3 /seconde).
M. Pascal Popelin - L'absurdité de cette rumeur nous a tout d'abord fait sourire. Mais sa persistance a fini pour nous mettre en colère.
M. Paul Raoult - S'agissant du premier exposé, j'ai été intéressé par les études menées en lien avec le plan de vocation des sols. Comment ces études ont-elles été conduites au regard de la complexité de ces dossiers et de l'organisation du droit du sol en France ?
Dans ma propre région, j'assiste à la disparition de milliers d'hectares de bocages et à la transformation accélérée des prairies en champs de maïs, qui amplifient les phénomènes de ruissellement et de sédimentation dans les rivières, facteurs d'aggravation des inondations. D'un point de vue législatif ou réglementaire, j'ai le sentiment que nous ne disposons pas des outils nécessaires pour contrer ces phénomènes et que nous sommes contraints de faire confiance à la bonne volonté des uns et des autres !
M. le Président - Aujourd'hui, nous savons qu'il n'existe qu'une seule réponse à ce problème : l'augmentation du revenu des éleveurs.
M. René Beaumont - L'élaboration de ce plan de vocation des sols a nécessité d'y consacrer beaucoup de temps et d'énergie. Le bassin a été divisé en quinze secteurs, qui ont été traités l'un après l'autre. D'interminables réunions ont été organisées dans chaque commune. L'intérêt d'un syndicat mixte était d'y associer toutes les tendances politiques et tous les groupes d'intérêts. Ont donc été associés à ce processus, les principales associations écologistes, les élus et toutes les chambres d'agriculture et de commerce.
Un véritable Parlement en miniature du bassin a pu ainsi se constituer, même si le débat n'a pas été excessivement politisé, les élus ayant eu le bon sens de se poser en arbitres des conflits d'intérêts.
Nous ne disposons certes pas d'un pouvoir réglementaire, mais le plan de gestion a été approuvé par l'ensemble des collectivités locales composant le syndicat mixte. Il a également été approuvé par l'Etat, par l'intermédiaire de l'ensemble des ministères concernés. Il servira de base au contrat environnemental et il sera donc opposable aux tiers. Ce résultat a été obtenu par la concertation sur le terrain et a exigé que chacun des agriculteurs et des édiles concernés y soit associé. Ceci a donc nécessité d'y consacrer un temps considérable. Nous sommes parvenus à réduire les surfaces labourées d'un millier d'hectares à l'échelle du bassin. Ceci peut paraître modeste, mais ceci est tout de même préférable à leur augmentation. Qui plus est, l'expansion des surfaces labourées a été gelée, ce qui est loin d'être négligeable. Un état d'esprit est né : dès qu'une charrue se rend dans une prairie dans le col de Saône, nous en sommes immédiatement avertis par la population. Je vous donnerai un exemplaire de ce document. Cela vous permettra de constater à quel point la détermination de la vocation des sols a été effectuée de manière détaillée. Un tel plan demande qu'on y consacre au moins dix ans.
Selon moi, la politique à adopter dans le bassin de la Somme doit, certes, reposer sur la conduite rapide de quelques travaux à vocation essentiellement psychologique pour rassurer les populations. Mais il ne faut pas abuser de ce type de travaux, parce qu'il est nécessaire de disposer d'une connaissance scientifique et technique des enjeux hydrauliques du bassin avant d'agir. Faute d'une telle expertise, ces travaux risquent de conduire à une véritable catastrophe.
M. Paul Raoult - Ce plan se traduit-il dans les Schémas de cohérence territoriale (SCOT) ?
M. René Beaumont - Il se traduit effectivement dans les SCOT. Nous en discutons, d'ailleurs, actuellement avec les représentants de Châlon.
M. le Président - A moyen terme, il s'agira d'un outil d'intervention efficace à la disposition du Conseil général. Mais tout ceci arrive un peu tard.
M. René Beaumont - Ce dispositif a été approuvé par toutes les chambres d'agricultures.
M. le Président - Mais le Middle Ouest qui s'est créé dans la vallée de l'Ain s'avère tout à fait exceptionnel.
M. Pascal Popelin - Je tiens également à insister sur la nécessité de se donner du temps pour procéder à des études de fond, avant de passer en phase de réalisation. Nous travaillons actuellement sur un nouveau projet, dans la perspective d'écrèter plus efficacement encore la Seine, juste avant la confluence avec l'Yonne, rivière quasiment impossible à réguler. La seule solution résiderait dans la construction de grands barrages, fort onéreux et peu en phase avec les préoccupations actuelles de nos concitoyens en matière d'environnement. De ce fait, la seule possibilité alternative consiste à mettre en place des systèmes de sur-stockage. Pour un tel projet, les études et le travail de concertation sont prévues jusqu'à 2005-2006. Ces études devraient coûter environ 25 millions de francs. Or nous travaillons sur ce projet depuis déjà deux ans. Il ne sera donc pas possible de dire si ce projet sera réalisé avant d'avoir obtenu le résultat de ces études. Le travail d'étude peut paraître long et onéreux, mais il est nécessaire au regard d'un projet dont le coût devrait s'élever à 1,5 milliard de francs.
M. le Président - S'agissant de la Seine, quel est le degré d'informatisation et de centralisation des informations ?
M. Jean-Louis Rizzoli - L'information relative à l'eau est très parcellisée. L'annonce des crues et la gestion des stations relèvent de la responsabilité de la DIREN Ile-de-France. Dans la gestion de nos ouvrages, nous disposons tout de même d'outils similaires à ceux de la DIREN, ce qui nous permet, d'ailleurs, de comparer nos résultats.
M. le Président - Vous intervenez sur les cours d'eau. Vous intéressez-vous également aux études du sous-sol et de la nappe phréatique ?
M. Jean-Louis Rizzoli - Nous ne nous sommes pas véritablement intéressés à ces questions, qui n'étaient pas pertinentes pour les ouvrages existants. Nous savons tout de même que les nappes soutiennent les étiages. De ce fait, des connaissances en hydrogéologie s'imposent, mais uniquement en période de soutien d'étiage. Pendant les périodes de crues, nous sommes confrontés à des crues de nappes, analogues à celles observées dans la Somme, que nous ne sommes pas toujours en mesure d'expliquer de manière satisfaisante. Les études qui vont être menées dans la zone précédant la confluence avec l'Yonne auront également pour objet de clarifier cette question.
M. le Président - Exploitez-vous déjà des mesures piézométriques ?
M. Jean-Louis Rizzoli - Non, les quatre années d'études permettront précisément de mettre en place ce type de mesures. Pour l'instant, les piézomètres existants concernent principalement les sources. Ils ne nous permettent donc pas de disposer de données au moment des crues. Nous commencerons donc à en installer d'autres dès l'année prochaine.
M. le Président - Seront-ils installés dans tous les départements concernés ?
M. Jean-Louis Rizzoli - Ils ne seront installés que dans la zone dite à basset, qui constitue une vaste zone d'expansion des crues.
M. le rapporteur - Il est indéniable que des transferts sont opérés. Qui a la responsabilité d'en prendre la décision ? Comment ces décisions sont-elles contrôlées ?
En Picardie, les inondations ont toujours commencé dans l'Oise. Or il y a eu des quantités d'eau équivalentes dans l'Oise et dans la Somme au moment des crues. Ces dernières ont-elles été mieux gérées dans l'Oise ?
M. Daniel Berthery - Dans l'Oise, les crues de mars 2001 ont été tout à fait importantes, puisqu'il s'agit de la cinquième plus importante crue du siècle.
Pour le bassin de l'Aisne-Oise, il existe deux points de communication par les canaux se greffant sur le réseau hydrographique et la rigole du le Noirrieu.
La gestion de ces couloirs de liaison et de leurs ouvrages revient à Voies Navigables de France, qui en est le maître d'ouvrage.
M. le Président - Ne demandez-vous donc jamais à VNF d'intervenir et d'effectuer d'éventuels transferts ?
M. Daniel Berthery - Non.
Nous avons souhaité que VNF soit signataire d'une charte de gestion du risque d'inondation, parce qu'il existe sur l'Oise aval des ouvrages de navigation très anciens, dont la modernisation et l'automatisation permettraient d'améliorer la situation des riverains lors de faibles crues, au moyen d'abaissements anticipés. Le financement de ces mesures n'est d'ailleurs pas totalement finalisé, mais ce projet est très important, puisque les petites crues sont les plus fréquentes et donc les plus problématiques pour les riverains.
S'agissant de la « rumeur d'Abbeville », je tiens à vous faire part de mon témoignage. Bien avant les inondations de la Somme, une rumeur analogue courait également dans le bassin de l'Oise, selon laquelle les inondations de 1995 auraient été liées à une volonté de protéger Paris. Cette théorie était aussi peu réaliste que pour la Somme.
En revanche, le point de confluence est conditionné par certains aménagements effectués sur la Seine, en particulier les manoeuvres réalisées au niveau des barrages de Nouval et d'Andresy. Le niveau de la Seine affecte donc l'écoulement de l'Oise et le niveau de remontée des eaux.
M. le Président - Pourriez-vous nous préciser de combien de kilomètres il s'agirait ?
M. René Berthery - Nous avons procédé à des simulations, pour établir quel serait l'écoulement de l'Oise avec un niveau de la Seine plus élevé que celui de 1993, qui était relativement bas. Si ce niveau était analogue à celui de 1910, la remontée des eaux se ferait jusqu'à Trèves.
Nous sommes donc tout à fait attentifs au niveau de remplissage des barrages de la Seine, cet élément étant susceptible d'aggraver les inondations dans le Val d'Oise. La rumeur qui a circulé dans le Val d'Oise s'explique peut-être par ce phénomène de remontée des eaux, auquel un caractère intentionnel et malveillant a été attribué.
La modernisation des barrages de Nouval et d'Andresy est prévue par VNF, de même que celle des sept barrages de l'Oise. Nous attendons de ces travaux une meilleure harmonisation de la gestion de l'eau.
M. le Président - Ces travaux tiennent-ils également compte du projet de canal Seine Nord, qui sera bientôt rendu public ?
M. René Berthery - Ce projet n'est pas véritablement pris en compte. S'agissant de la partie à l'aval de ce canal, VNF a formulé des propositions de voies dites voies avales, en lien avec la modernisation et la reconstruction des barrages. Mais ceci ne s'étend pas au-delà de Creil. S'agissant des fuseaux intermédiaires de ce canal, le projet n'est pas suffisamment défini pour qu'il puisse être pris en compte. S'agissant d'un projet d'aussi longue haleine, puisqu'on évoque l'horizon 2020, il est difficile de le synchroniser avec notre projet à beaucoup plus court terme.
M. le Président - Ce projet modifiera tout de même les étiages dans ces bassins. Il est donc nécessaire de l'anticiper.
M. Jean-François Picheral - Dans l'immédiat, il n'y a aucun rapport entre la Somme et vous.
M. le Président - VNF commande les couloirs de liaison.
M. Jean-François Picheral - Il me semble que nous devrions revoir en audition VNF.
M. le Président - Nous leur avons écrit pour obtenir des précisions, mais de toute évidence les débits en question sont trop faibles pour avoir un véritable impact contrairement à ce qu'a prétendu la rumeur.
M. le Rapporteur - Une personne reçue en audition m'a affirmé que certains réservoirs de la Seine étaient d'une dimension pharaonique, en particulier celui de la Marne, et que leur masse était susceptible d'exercer une pression sur les nappes phréatiques. Cette théorie vous paraît-elle crédible, pour expliquer les phénomènes de crues de nappes ?
M. Jean-Louis Rizzoli - Les réservoirs sont situés sur des zones étanches.
M. le Président - Comment pouvez-vous le garantir ?
M. Pascal Popelin - La géologie nous permet d'être certains que nous ne déversons aucune eau dans la nappe phréatique.
M. le Président - Comment pouvez-vous le mesurer ? Ces mesures sont-elles précises à 20 % près ?
M. Jean-Louis Rizzoli - Des mesures des débits sont effectuées à l'entrée comme à la sortie des canaux. D'un point de vue scientifique, ces mesures sont tout à fait fiables et s'avèrent, d'ailleurs, indispensables pour garantir la sécurité des ouvrages.
M. Jean-Guy Branger - Avant de réaliser ces retenues tout à fait conséquentes, j'imagine que des études géologiques ont été effectuées. De tels aménagements n'auraient pas été viables s'ils ne situaient pas au-dessus d'une couche d'argile.
M. Jean-Louis Rizzoli - Il ne faut pas oublier que la hauteur d'eau y est très faible. Ces ouvrages ne constituent pas les plus grands d'Europe parce que la hauteur d'eau ne s'y élève en moyenne qu'à huit mètres. Cette hauteur est incomparable avec la masse d'eau observée pour des barrages comme ceux d'EDF qui peuvent avoir des profondeurs de soixante mètres.
M. Pascal Popelin - Ces ouvrages ont été construits entre 1945 et 1990. Leur longévité prouve leur fiabilité.
Ceci constitue d'ailleurs un handicap pour nous : la localisation de ces ouvrages a été déterminée par la faisabilité géologique de telles retenues à ces endroits précis. Autant nous sommes performants en matière de soutien d'étiage, autant notre niveau d'intervention face aux crues en région parisienne est restreint. En effet, nous ne pouvons écrèter au maximum que 30 ou 40 centimètres de crue. S'agissant de cette mission de prévention des crues, il aurait été souhaitable que ces ouvrages soient situés plus à proximité des quatre département de la Couronne de Paris. Mais la géologie ne l'a pas permis. C'est pourquoi précisément nous devons recourir à d'autres systèmes de protection que les grands lacs, notamment à la confluence de l'Yonne et de la Seine.
M. Hilaire Flandre - Vous avez souligné le fait que les grands lacs n'étaient plus dans l'air du temps.
M. Pascal Popelin - Je parlais des grands barrages en vallée.
M. Hilaire Flandre - Vous avez réalisé sur le plateau de Langre, des châteaux d'eau pour approvisionner la Seine. Je ne suis pas persuadé que les populations concernées soient satisfaites de ce choix, notamment sur le plan financier. L'eau devient une denrée précieuse. Elle est souvent produite dans les régions les plus pauvres (plateau de Langre, Morvan, plateau de Millevaches). L'eau du plateau de Langre sert désormais à approvisionner Paris, sans que cela ait favorisé le développement économique de ce plateau. Il aurait été beaucoup plus rentable de produire de l'eau minérale que de l'eau potable. Ceci constitue, selon moi, un problème général d'aménagement du territoire.
M. le Président - Ces choix reposaient sur l'idée que l'eau était gratuite, étant donnée ses origines. Il faut espérer qu'un jour soit envisagée la nécessité d'instaurer des échanges de bons procédés et des mécanismes de solidarité entre les zones urbaines et rurales.
M. Paul Raoult - La situation est encore pire que celle que vous décrivez. Les zones productrices d'eau paient à l'Agence de l'eau une taxe jusqu'à trois ou quatre fois plus élevée que les autres, sous prétexte qu'elles sont situées sur un champ captant.
M. Hilaire Flandre - Le législateur devra se saisir de ce débat.
M. Pascal Popelin - Je tiens tout de même à préciser que nous ne volons pas l'eau, nous la stockons, puisqu'il s'agit d'eau d'écoulement. L'Institution a accordé une attention toute particulière aux relations avec les collectivités locales dans lesquelles ces ouvrages ont été construits. Des projets d'aménagement et de développement économique sont nés de cette collaboration. S'agissant des ouvrages dont nous sommes responsables, les populations locales et leurs élus ne se plaignent nullement de leur impact économique et touristique, ni de notre contribution financière aux projets d'aménagement et de développement. Pour le seul département de l'Aube, 30 millions de francs ont ainsi été apportés depuis 1987, date de signature des conventions relatives à la réalisation du barrage. Ces fonds ont été mis à la disposition du Conseil général et nous attendons qu'il nous soumette ses projets.
M. le Président - Je vous remercie de vos témoignages, qui contribueront à enrichir notre rapport.