11. Audition de Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement (6 juin 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous accueillons Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. Nous voulons parler avec elle de la manière dont son ministère a vécu cette crise et quelles conséquences elle en tire. Je souhaite que vous nous fassiez un cours exposé et que vous acceptiez de répondre à quelques questions. J'accueille également vos collaborateurs.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement - Je vous présente M. Christophe Chassande qui suit, dans mon cabinet, les questions d'eau et d'agriculture et qui a donc été en première ligne sur la question des inondations de la Somme. Mme Marie Gramont est ma conseillère pour les questions parlementaires. Mme Christine Fanbourg rédige pour sa part un travail personnel sur les commissions d'enquête. Je lui ai donc proposé de se joindre à nous pour parfaire ses connaissances en la matière.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Christophe Chassande, Mmes Marie Gramont et Christine Fanbourg .
Mme Dominique Voynet - Je me présente devant vous bien volontiers pour contribuer au travail que vous avez engagé afin de comprendre et de tirer toutes les leçons des inondations qui ont touché le département de la Somme. Ces crues exceptionnelles ont entraîné une grande détresse pour un nombre important de nos concitoyens : 130 communes inondées, près de 3.000 habitations touchées dont plus de 700 ont dû être évacuées et plus de 1.100 personnes qui ont dû quitter leur logement. L'impact a été d'autant plus grand que personne n'avait prévu un phénomène d'une telle ampleur. Comme vous, je comprends et je partage la détresse des personnes qui ont été touchées pendant une longue période par ces événements. Ces personnes, aujourd'hui encore, ne savent pas toujours quand et dans quelles conditions elles pourront regagner leurs habitations.
L'Etat n'a pas ménagé ses efforts pour venir en aide aux sinistrés tout au long de la crise. La présence constante de personnels de l'Etat, civils et militaires, a été appréciée par les populations, et a permis d'assurer les secours d'urgence dans un premier temps, puis d'intervenir pour accélérer l'évacuation de l'eau, dans un second temps. L'Etat a rapidement dégagé des crédits de première urgence. Il s'est engagé dans le relogement provisoire des personnes qui ont dû quitter leur domicile, soit en mettant à disposition des mobil homes, soit en trouvant des solutions de relogement dans des gîtes ruraux par exemple. L'Etat a pris également l'engagement d'assurer pour les personnes évacuées la gratuité de l'ensemble de ces logements provisoires ; enfin des crédits ont été mis en place pour aider les collectivités locales à réparer les dommages subis sur les ouvrages publics non assurés.
L'Etat a donc pleinement joué son rôle dans la gestion de la crise, mais le ministère de l'Environnement n'a ni les moyens, ni les compétences pour intervenir activement dans la gestion d'une situation de crise qui incombe pour l'essentiel au ministère de l'Intérieur et à celui de la Défense. En revanche, le ministère de l'Environnement intervient dès qu'il s'agit d'expliquer pourquoi ces crues se sont produites, d'en tirer toutes les conséquences pour éviter la répétition de la catastrophe, de clarifier les compétences des uns et des autres dans le domaine de l'entretien et l'aménagement des cours d'eau. Il intervient également afin de définir les mesures nécessaires pour améliorer dans l'avenir la prévention des inondations. C'est pourquoi, j'ai lancé avec MM. Jean-Claude Gayssot et Jean Glavany, le 13 avril dernier, une mission interministérielle d'expertise sur les inondations de la Somme, conduite par un inspecteur de l'Inspection générale de l'environnement, M. Lefroux. Il m'a remis hier ses conclusions provisoires et je m'appuierai sur celles-ci dans la suite de mon développement. Je n'ai qu'un exemplaire papier de ce document, mais vous disposerez bien sûr dans les 24 heures d'une version informatique. Ce n'est encore qu'un rapport d'étape, mais il me paraît déjà apporter beaucoup d'éléments et je crois utile que vous puissiez bénéficier de ce travail.
Revenons tout d'abord sur les causes qui permettent d'expliquer l'ampleur du phénomène. Il apparaît clairement que la cause première et principale est le caractère tout à fait exceptionnel des précipitations. Ainsi, le cumul des pluies d'octobre 2000 à avril 2001 a atteint un niveau jamais égalé depuis plus d'un siècle. Ces précipitations sont en outre intervenues après une période de pluie supérieure à la normale, d'octobre 1999 à septembre 2000, qui avait déjà entraîné un niveau élevé des nappes phréatiques. Enfin, les précipitations du mois de mars ont elles aussi été exceptionnelles puisqu'il est tombé plus de trois fois la quantité normale de pluie à Abbeville.
Tout cela a rechargé de manière spectaculaire les nappes, dont certaines sont remontées de plus de quinze mètres par rapport à la situation de 1998. La Somme constitue le drain de cette nappe, le débit de la Somme étant directement lié au niveau des nappes. Ainsi, cette montée exceptionnelle, jamais constatée jusqu'alors, a entraîné les débits de la Somme. Il s'agit de phénomènes de crues très différents de ceux qu'ont pu connaître la Bretagne cet hiver ou encore l'Aude en novembre 1999.
Toutefois, la pluie n'explique pas tout. La faible pente de la rivière rend son écoulement particulièrement sensible à tout obstacle. En outre, la Somme canalisée étant légèrement surélevée par rapport au fond de vallée, toute faiblesse dans les berges ou les digues peut contribuer à aggraver les débordements et inondations. Le rapport d'expertise met essentiellement en évidence le défaut d'entretien du contre fossé, constitué par l'ancien cours naturel de la Somme, ainsi que des nombreux fossés latéraux et affluents. Ces cours d'eau qui assuraient autrefois un véritable drainage des eaux et l'évacuation des eaux excédentaires ont été progressivement abandonnés et laissés sans entretien. Ils n'ont donc pas pu jouer leur rôle dans l'évacuation des eaux de la crue de certaines zones inondées. Ce constat pose la question des compétences pour l'entretien et la gestion des différents cours d'eau concernés.
La Somme est une rivière domaniale. La compétence pour son aménagement et sa gestion, qui appartenait autrefois à l'Etat, a été transférée à la région en 1992 ; la région en a concédé la gestion au département à la même date. En revanche, les affluents et la plupart des fossés latéraux sont propriété de leurs riverains. Il s'agit de cours d'eau non domaniaux, chaque propriétaire étant chargé de l'entretien du tronçon qui lui appartient. Certains propriétaires se sont regroupés en associations syndicales, une vingtaine ont été créées. Sept syndicats intercommunaux ont également été créés pour intervenir en substitution des propriétaires défaillants. Globalement, l'ensemble de ces structures a eu une activité très limitée et l'entretien n'a pas été correctement assuré.
Je suis convaincue que seule la mise en place d'une structure publique qui prendrait en charge de manière active l'entretien de ces ouvrages permettra une amélioration de la situation. La mise en place d'un syndicat mixte à l'échelle du bassin et de plusieurs à l'échelle des sous-bassins regroupant les collectivités concernées, voire les associations syndicales existantes, serait à mon sens une bonne solution. Le préfet aura des entretiens dans ce sens avec les responsables locaux dès cette semaine. En outre, ce document d'étape va être présenté dans les meilleurs délais aux élus locaux.
Par ailleurs, le rapport remarque que les syndicats les moins actifs se trouvent dans les zones davantage concernées par les inondations. Il y a donc bien un défaut d'entretien dans certaines zones.
Ce rapport établit donc de la façon la plus nette que c'est l'eau du bassin de la Somme qui s'est écoulée dans la Somme, contrairement aux allégations fantaisistes qui ont pu être faites à un certain moment de la crise. L'ampleur de ces inondations a surpris tout le monde. Il convient désormais d'en tirer les leçons et de préparer l'avenir. Cela se fera de manière cohérente, avec l'ensemble de la politique conduite par le ministère dans le domaine de la prévention des risques.
Concernant la politique de prévention des risques du ministère, le premier axe de cette politique est de limiter les implantations nouvelles en zone inondable et d'assurer l'information préventive des populations concernées par les risques d'inondation afin de limiter les dommages lorsque les crues surviennent. Il est en effet illusoire de croire que des ouvrages de stockage ou de protection rapprochée protègent de manière absolue. S'agissant de la Somme, on ne peut pas exclure, compte tenu du niveau élevé de la nappe phréatique, que surviennent de nouvelles inondations, si l'hiver prochain est très humide, quels que soient les travaux engagés d'ici là. La spirale, ouvrage de protection, construction nouvelle dans les zones ainsi protégées, conduit à une aggravation des dommages lors d'événements extrêmes. Il convient d'y mettre fin.
En outre, l'accélération des écoulements pour protéger un lieu donné provoque souvent une aggravation des débordements en aval.
Les deux outils correspondant à cette politique sont d'une part les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et d'autre part, les réseaux d'annonce de crues. Concernant les plans de prévention des risques, j'ai fortement renforcé les moyens qui y sont consacrés depuis 1997 : mon ministère y consacrait 30 millions de francs en 1997, il y consacre 110 millions de francs en 2001. Plus de 2.700 plans de prévention des risques d'inondation ont ainsi été élaborés. L'objectif est de mettre en place 5.000 plans de prévention des risques d'ici l'an 2005 et donc de poursuivre au même rythme, dans les années à venir, la mise en place de ces documents.
J'ai également assuré un développement et une modernisation des réseaux d'annonce de crues en y consacrant 53 millions de francs en 2001 contre 38 millions de francs à mon arrivée au ministère. Pour ce qui concerne la Somme, l'élaboration des plans de prévention des risques a été prescrite pour l'ensemble des communes touchées. Les moyens seront renforcés pour permettre leur élaboration rapide.
La question de l'annonce de crue est, elle, plus spécifique : la nature même du phénomène présenté précédemment est très différente des situations pour lesquelles nos services d'annonce de crues sont organisés. Les informations disponibles dans ce cadre sont apparues peu pertinentes puisque ce qui importe le plus concerne le niveau des nappes phréatiques et non celui des précipitations quotidiennes. Je prévois donc la mise en place d'un outil adapté permettant de suivre à la fois le niveau des nappes, le débit des cours d'eau et la pluviométrie afin de pouvoir assurer une prévision des risques de crues adaptée à la situation particulière de ce système hydraulique. Un premier outil relativement rustique sera mis en place dès les mois d'automne pour être opérationnel dès l'hiver prochain. Il sera ensuite affiné.
Bien entendu, cette priorité à la maîtrise des nouvelles urbanisations d'une part et à la prévision des crues d'autre part n'exclut pas la nécessité de travaux de protection pour les zones déjà bâties et de travaux d'entretien des rivières pour améliorer les écoulements ou préserver les zones d'expansion des crues. Au niveau national, plus de 1,7 milliard de francs ont été attribués entre 1994 et 2000 par l'Etat pour réaliser ou subventionner de tels travaux. Cet effort est encore amplifié dans les contrats de plan inter-régions 2000-2006. J'ai décidé, pour 2001, d'augmenter de 40 millions de francs les crédits consacrés aux travaux de protection rapprochée des lieux. En 2001, les crédits consacrés par mon ministère aux travaux liés à la prévention atteignent ainsi 290 millions de francs. Mon ministère intervient donc activement dans ces domaines, mais uniquement en soutien financier des maîtres d'ouvrage compétents pour l'entretien et l'aménagement des rivières. Cela suppose donc que des programmes soient établis par ces maîtres d'ouvrage et donc, en premier lieu, que ces maîtres d'ouvrage existent. Cela nous renvoie à la nécessité d'une structuration des collectivités pour assurer la maîtrise d'ouvrage des parties non domaniales.
Sur la base de tous ces éléments, je proposerai au Comité interministériel à l'aménagement et au développement du territoire (CIADT) au mois de juillet prochain de prendre plusieurs décisions relatives à la prévention des inondations dans la Somme. Il s'agira tout d'abord de participer à l'effort des collectivités territoriales maîtres d'ouvrage dans la réalisation des travaux d'urgence, permettant d'améliorer les écoulements, de consolider certaines berges et certaines digues pour améliorer la protection des populations. Je souhaite également que soient précisées les incitations qui pourront être mises en place pour aider les personnes dont les habitations ont été le plus endommagées à pouvoir se reloger hors de la zone inondable. Il s'agira enfin de donner un mandat au préfet pour établir rapidement, en liaison avec les collectivités territoriales, un programme global de travaux de prévention des inondations sur le bassin de la Somme.
Plus généralement, et au-delà du cas particulier de la Somme, j'envisage plusieurs actions pour renforcer la politique de lutte contre les inondations : le premier axe d'action consiste à améliorer la connaissance des zones inondables et de renforcer les incitations à la définition de stratégies globales de prévention par bassin. Il sera demandé au préfet coordonnateur de bassin, ainsi qu'au préfet de région plus particulièrement concerné, de mobiliser les services de l'Etat compétents, les organismes publics, scientifiques et universitaires pour rassembler les connaissances disponibles pour chaque bassin. Ils définiront les moyens permettant d'en améliorer la diffusion auprès de l'ensemble des acteurs publics et privés concernés conformément aux recommandations du rapport établi par M. le député Eric Doligé. Cette diffusion pourra faire largement appel aux nouvelles technologies de communication.
En outre, le ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire et les agences de l'eau encourageront, par des aides financières, la réalisation, sous la maîtrise d'ouvrage des groupements de collectivités locales constitués à l'échelle du bassin, des études nécessaires pour mieux connaître, à l'échelle de chaque bassin fluvial, les mécanismes de formation des crues. Enfin, il s'agira également d'identifier les stratégies les mieux adaptées, à l'instar des études engagées ces dernières années sur la Loire, la Seine, le Rhône, la Meuse et l'Oise. Le deuxième axe porte sur l'amélioration de l'annonce des crues et de l'alerte des populations situées en zone inondable, le long des grandes vallées fluviales. Il s'agit en particulier de compléter la couverture du territoire par de nouveaux radars hydrométéorologiques pour assurer une meilleure prévision des crues liées à des phénomènes de météorologie et par la création d'un Centre technique national d'appui au service de l'annonce des crues rassemblant des experts en météorologie rattachés à mon ministère.
Enfin, le projet de loi sur l'eau qui sera adopté en Conseil des ministres avant la fin du mois, comporte plusieurs mesures destinées à renforcer l'efficacité des capacités d'intervention des collectivités locales et des agences de l'eau dans le domaine de la prévention des inondations. Il ouvre la possibilité d'instituer au profit des collectivités locales, sur des zones non constructibles naturellement inondables, des servitudes indemnisables visant à permettre une rétention temporaire des eaux excédentaires en période de crues pour retarder et réduire la submersion des bâtiments construits en zones exposées. Il élargit les possibilités de décentralisation de la gestion des cours d'eau domaniaux au profit des départements et des institutions interdépartementales pour permettre à ces autorités locales de maîtriser de façon plus complète les actions de gestion des bassins. Il prévoit la création de redevances sur les nouveaux aménagements provoquant des réductions importantes des surfaces modérément inondables. Les agences pourraient également apporter leur concours financier aux actions publiques ou privées ayant pour objectif d'accroître les capacités de rétention des eaux des champs d'expansion des crues et de réduire les effets de l'imperméabilisation de sols par des grands aménagements urbains. Il permet enfin à l'Etat d'utiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs alimenté par une contribution des sociétés d'assurance sur les surprimes perçues auprès des assurés pour assurer l'indemnisation des dommages provoqués par les catastrophes naturelles et compléter les moyens utilisés par les agences de l'eau pour financer les actions entreprises en matière de prévention.
Tels sont les éléments d'information que je suis en mesure de vous fournir à ce jour. Nous continuons bien sûr à travailler pour approfondir votre compréhension des événements et nous préparons pour le CIADT du 9 juillet un ensemble de mesures qui permettront de répondre à l'attente des populations.
M. le Président - Je vous remercie. Vous avez répondu en grande partie à nos attentes sur des points qu'il nous fallait préciser, mais je voudrais vous rappeler que la mission de notre Commission d'enquête porte en particulier sur les causes et les responsabilités. Or en matière de causes, voire de responsabilités administratives, nous avons encore quelques questions à vous poser.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Nous avons beaucoup regretté que vous n'ayez pu venir dans la Somme. En effet, au-delà du réconfort que vous auriez pu apporter aux populations, la situation étant exceptionnelle, nous pensions que vous auriez souhaité la voir.
Par ailleurs, vous avez dit qu'il n'y a pas dans la Somme de structures pour annoncer les crues. Nous sommes, à ce propos, restés un peu sur notre faim. Les auditions que nous avons eues nous démontrent que les annonces ont été faites par Météo France, mais qu'il y a une différence entre l'annonce et la prévision. Nous avons appris que les bulletins régionaux d'alerte météorologique, transmis à Lille n'ont pas été répercutés dans la Somme. On aurait peut-être pu, à la lumière de ces informations, prévoir une crue importante qui aurait suscité des réactions différentes.
M. le Président - Pourquoi le territoire du département de la Somme n'est-il pas inscrit dans le maillage mis en place par votre ministère il y a six ans, de prévision d'inondations ?
Mme Dominique Voynet - Il m'est difficile rétrospectivement de reconstituer le raisonnement qui a conduit il y a six ans à ce que soient retenus de façon prioritaire un certain nombre d'équipements. La priorité de nos plans est avant tout la préservation des vies humaines et donc la possibilité en cas de crues torrentielles de mettre à l'abri les habitants des zones dangereuses. J'ai inauguré récemment un radar météo à Bollène qui correspond tout à fait à cette commande traditionnelle. Nous ne sommes cependant pas équipés pour donner une évaluation quantitative. Ainsi, le rapport d'étape insiste sur le fait que le risque d'une inondation était sorti de la mémoire collective dans la Somme. Or, on retrouve dans les interrogatoires des populations de nombreux témoignages d'inondations de caves qui interviennent pratiquement chaque hiver ou chaque automne en Picardie. En revanche, la crue la plus importante depuis pratiquement un siècle est datée de l'hiver 1994-1995 et elle n'avait pas non plus été anticipée.
M. Claude Lefrou a bien reconstitué les épisodes : le préfet de la Somme a adressé le 12 février une lettre de sensibilisation de pré-alerte aux 52 maires des arrondissements des villes d'Amiens, d'Abbeville et de Péronne en leur demandant de prévenir les habitants des zones les plus exposées. Puis, les événements ponctuels n'ont pas donné l'aspect d'une véritable crise jusqu'au 23 mars. Les interventions des sapeurs pompiers ont en effet été, jusqu'à cette date, inférieures à 20 par jour pour l'ensemble du département. Ainsi, c'est seulement à la fin du mois de mars, que les autorités administratives et opérationnelles définissent le phénomène comme une réelle catastrophe départementale. Le dispositif monte alors en puissance avec l'intervention des services de l'Etat.
M François Gerbaud - Vous avez dit que l'on a pu constater que la nappe phréatique est montée de 15 mètres par rapport à 1998. Or, on nous a dit que l'on ne mesure les nappes que lorsqu'elles baissent. Quelle est donc la procédure exacte ?
M. le Président - Quelles sont les liaisons inter-services avec le BRGM ? Qui s'occupe de la coordination entre les différentes informations ?
M. le Rapporteur - En 1994, la nappe phréatique avait augmenté de 14 mètres et nous avions des crues à Limeux. Mais nous avons appris cela suite à une convocation des agents du BRGM. Aucune information préalable ne nous avait été donnée. En avril 1997, les informations sont arrivées par anticipation et nous précisaient l'utilisation limitée de l'eau.
Mme Dominique Voynet - Il serait intéressant, si vous en avez le temps, qu'une délégation de la Commission d'enquête vienne visiter les installations de la direction de l'eau au ministère. En effet, nous suivons un nombre de cours d'eau considérable. Il est vrai que nous sommes bien mieux armés pour suivre la hauteur des cours d'eau grâce aux jaugeurs que pour suivre l'évolution des nappes. L'idée des missions interministérielles de l'eau est bien de mettre ces informations en cohérence. Nous avons l'intention de poursuivre ce travail. Sur certaines zones où la mesure des nappes est un phénomène ancien, où les systèmes hydrologiques sont simples, nous n'avons pas de difficulté à suivre les évolutions. A l'inverse, la complexité du système d'eau dans le bassin de la Somme m'a frappée. Toutes les évaluations de l'impact de la pluviométrie sur la hauteur des nappes y sont alors assez grossières.
Dans le bureau qui jouxte le mien, je reçois tous les messages d'alerte. Hélas, je constate le brouillage complet de ces messages en raison de leur nombre. Nous n'avons pas de précision quant à la gravité de ces messages d'alerte. Or quand l'alerte devient-elle plus pressante ? Quand devons-nous prévenir les maires ?
Nous travaillons donc sur ce point, mais je ne suis pas certaine que ce travail réponde à votre demande : dans la Somme, l'eau est montée progressivement et personne n'a jamais été capable de se projeter dans l'avenir.
M. le Président - Il s'agit en effet d'un système hydraulique très compliqué qui est un système hydraulique de pays plat. En Seine maritime, on retrouve le même. Or depuis un siècle, il ne s'est rien passé dans cette région car les fossés sont maintenus en état et l'eau retourne régulièrement à la mer.
Mme Dominique Voynet - Je me suis en effet demandé si l'entretien des fossés a été correctement assuré. Le rapport dit que le contre fossé est dans un très mauvais état et qu'il a même été « pour partie confisqué par les propriétaires privés pour l'alimentation et l'évacuation d'étangs ». On se rend donc compte que l'on a besoin en priorité d'une organisation territoriale permettant de lancer un programme d'entretien du système hydraulique. Le département doit faire des propositions à l'Etat qui pourra ensuite répondre, mais ce dernier n'a pas légitimité pour prendre tout en main.
M. Jean-Guy Branger - Si l'état des canaux avait été bon, nous aurions eu moins d'ennuis.
Mme Dominique Voynet - Le rapport est assez disert sur le mauvais entretien des cours d'eau, sur le mauvais entretien des affluents de la Somme, sur le fait que la plupart des associations inactives se trouvent dans les secteurs sensibles aux inondations. Il insiste sur le fait que la partie la mieux entretenue est le canal maritime. Le contre fossé du canal maritime a été curé il y a cinq ans avec en plus une restauration des portes d'évacuation à la mer. On n'a donc pas le sentiment que les problèmes se posent dans ce secteur. Il s'agit plutôt d'un défaut général d'entretien.
M. Ambroise Dupont - Les associations syndicales qui prennent en charge cet entretien ont fixé des cotisations trop élevées en rapport du revenu agricole. Or, il existe un autre usage qui est celui de zones inondées en permanence où l'on ne prend pas en compte l'entretien des canaux.
Le rapport d'étape précise-t-il si un bon entretien aurait suffi à éliminer cette pluviosité exceptionnelle ? Ce n'est pas certain. Si ces années de pluviosité continuent, nous allons nous retrouver dans cette situation de façon récurrente, sauf si nous éliminons mieux les eaux en surface. Pensez-vous que le réchauffement de la planète est la cause de cette pluviométrie exceptionnelle ?
Mme Dominique Voynet - M. Lefrou insiste énormément sur le fait que l'alimentation de la rivière est assurée à 80 % par la nappe, ce qui permet d'assurer les débits tout au long de l'année. Par voie de conséquence, il insiste sur l'importance de la climatologie des années antérieures quant à la formation de la nappe. Je ne sais ce qu'il faut dire à la population : il n'est pas question d'affoler les habitants, ni de sous-estimer les risques. Cependant, compte tenu du niveau très élevé des nappes, il n'est pas exclu que les inondations se reproduisent si la pluviosité est forte en automne. Il paraît évident que même si nous mettons en place des stratégies très déterminées d'entretien des cours d'eau et de protection des zones habitées, nous n'aurons pas une efficacité imparable en automne.
Un bon entretien aurait-il suffi ? Il aurait limité le phénomène, mais personne ne peut assurer que l'on aurait échappé entièrement aux inondations. Le plaidoyer de M. Lefrou est assez insistant sur la nécessité de donner des moyens pour l'entretien de ces cours d'eau.
Enfin, il faudrait être bien audacieux pour affirmer que ces inondations sont dues au réchauffement climatique ; cependant, la répétition dans les pays tempérés de phénomènes climatiques exceptionnels peut tout de même nous interpeller sérieusement.
M. Jean-François Picheral - Depuis le début de nos travaux, il s'agit de la première fois que nous insistons autant sur l'entretien des canaux et des voies navigables. Nous avions évoqué cette question lors de notre premier voyage à Amiens et le Conseil Général nous avait dit qu'il investissait 10 millions de francs par an. Il faudrait donc savoir à quoi ces 10 millions de francs ont servi.
M. le Président - Nous poserons cette question à Amiens.
Mme Dominique Voynet - Je ne mets pas en doute la parole du département. Il me paraît clair que ces millions ont été investis prioritairement sur les canaux, sur la partie maritime, sur les ouvrages et non sur l'entretien du chevelu ou des affluents.
M. Hilaire Flandre - Il est évident que le rapport que vous évoquez (comme d'ailleurs celui que nous établirons) ne saurait être une accumulation de certitudes. Personne ne peut être persuadé de détenir toute la vérité. Toutefois, je pense tout de même que le manque d'entretien du bassin concerné est un point important. Nous pouvons nous interroger sur des intérêts contradictoires qui ont pu se manifester entre ceux qui souhaitaient que le bassin reste sec et ceux qui préfèrent le voir humide. La nécessité d'entretien va un peu à l'encontre de l'idée souvent développée sur le maintien des zones humides. Selon moi, il faut aussi savoir de temps en temps évacuer l'excès d'eau dans les zones considérées.
En outre, vous venez d'évoquer le renouvellement des phénomènes exceptionnels. Au regard de l'histoire, je ne suis pas sûr que ces événements soient si exceptionnels. Dans la mémoire des habitants, on retrouve des cas d'inondations.
Enfin, vous avez évoqué l'obligation d'être plus sévère sur l'urbanisation des zones à risque, donc inondables. Mais, si l'on élimine toutes les zones qui ont été un jour ou l'autre inondées, nous pouvons rayer l'ensemble de notre territoire. Toute la vallée de la Meuse serait par exemple rayée de la carte.
Mme Dominique Voynet - Si vous espérez que je montre du doigt tout usager de zone humide, surtout en Picardie, vous ne devez pas compter sur moi. Personne ne souhaite être déraisonnable. Votre discours sur l'urbanisation correspond au discours tenu par tous les élus locaux dès qu'on leur demande de tirer des conséquences à long terme de l'événement dramatique qu'ils viennent de vivre. Je ne dis pas que nous pourrons déplacer toutes les constructions situées dans des zones inondables, cependant je plaide pour que l'on prenne conscience du fait que, lorsque l'on réalise des équipements de protection de zones habitées, ce n'est pas pour justifier l'intensification de l'urbanisation dans ces zones, mais pour protéger ceux qui ont eu le malheur d'être historiquement à cet endroit. Je plaide également pour une cohérence et une solidarité à l'échelle des bassins. En effet, un maire qui réalise imprudemment des opérations visant à accélérer l'écoulement de l'eau en amont d'une rivière sans prendre en compte les conséquences pour les personnes habitant en aval me paraît adopter une attitude irresponsable. A l'échelle de chaque commune, on doit avoir conscience des conséquences que des constructions peuvent entraîner sur d'autres. Je ne désignerai pas ici du doigt certains membres du Sénat, mais il se trouve que l'un des premiers gestes officiels que j'ai été amenée à faire consistait en l'inauguration d'une magnifique station d'épuration dans le département du Doubs et l'un de vos collègues n'a pas trouvé de meilleur endroit pour sa station d'épuration qu'une zone inondable ! L'Etat l'a autorisé à installer sa station sur ce site, mais lui a demandé en échange de réserver une zone importante permettant l'expansion des crues. Cela me paraît être une décision juste.
On pourrait également imaginer une évolution des systèmes d'indemnisation. En effet, dans certains endroits, l'inondation est devenue rituelle. On mobilise les primes d'assurance, les aides publiques et l'on attend la prochaine crue. Si je mets de côté certaines zones touristiques, on pourrait imaginer un système d'indemnisation dégressif dans le temps qui incite au financement des équipements de protection pour mettre à l'abri les installations les plus sensibles au moins, comme cela s'est fait dans le bassin de la Loire par exemple où deux usines ont été déplacées.
M. Michel Souplet - Qu'avez-vous l'intention de faire dans les quatre mois qui viennent pour que le même phénomène ne se reproduise pas dès l'automne prochain ? Je crois que l'on va faire sauter les bouchons, aménager des pompes provisoires, etc. Ainsi, on va essayer de faciliter l'écoulement. Or il faut utiliser pour ce faire toute la période estivale. Cependant, à la fin de l'année, si l'eau coule mieux, elle va tout de même arriver à Saint-Valéry. A-t-on prévu quelque chose sur ce site ?
Mme Dominique Voynet - Je ne crois pas avoir dit que nous allions accomplir dans l'urgence des actions qui préviendront les risques de reproduction des inondations. Concrètement, dans l'urgence, des infrastructures qui pouvaient freiner l'écoulement des eaux ont été supprimées. Il s'agit d'une mesure d'urgence qui ne porte que sur une toute petite partie du problème de l'écoulement : une grande partie de l'eau se trouve dans les nappes et nous n'avons pas les moyens de l'aider à s'écouler.
Par ailleurs, je vous ai annoncé que nous allions nous doter d'un système un peu rustique de mesure du phénomène pour tenter d'alerter au maximum les populations. Cependant, nous n'aurons pas terminé l'élaboration des 108 plans de prévention des risques que nous avons prescrits le 24 avril. Nous ne disposerons pas non plus d'un dispositif de surveillance et d'alerte face au risque d'inondation qui soit complètement opérationnel et assez fin pour répondre à vos préoccupations.
Quant à la politique de réduction de la vulnérabilité, il s'agit d'un programme engagé sur plusieurs années. Je ne sais pas encore comment nous allons travailler. Nous attendions le rapport d'étape de la mission afin de connaître les axes prioritaires : nous travaillerons à la fois sur le logement, les entreprises, le transport, etc. Un plan d'action sera sans doute proposé à la contractualisation entre l'Etat, la région et le département. Nous savons d'ores et déjà que certains logements devront être reconstruits ailleurs, soit pour des motifs objectifs de dangerosité, soit pour des motifs plus subjectifs -j'ai bien noté que M. Lefrou était attentif à cette dimension: quand des personnes sont durement traumatisées par les événements, il faut éventuellement savoir leur proposer des alternatives au retour à la maison si les travaux sont trop conséquents. Tous ces points demandent bien sûr une réflexion et des négociations qui sont à peine ébauchées à cette heure.
M. le Président - Puis-je vous demander que nous soyons des destinataires privilégiés de ce rapport ? Quand rendrez-vous public ce rapport ?
Mme Dominique Voynet - Ce rapport est public. Je l'ai eu hier en main et nous l'avons immédiatement envoyé au préfet. Vous l'aurez dans les prochaines 24 heures.
M. le Rapporteur - Vos propos sont assez paradoxaux. Vous nous parlez de l'amont, de l'aval et de la solidarité. Or vous savez très bien qu'il faut des contraintes pour permettre la solidarité et, dès qu'il y a des contraintes dans ce pays, on se mobilise contre tout ce qui est proposé et l'on n'agit plus. Tel est le cas dans les marais : on y trouve depuis longtemps des habitats de loisirs que les préfets promettent depuis dix ans de faire démolir ; or tous ces habitats de loisirs sont encore en état. Il est donc bien facile d'énoncer la règle du jeu si elle n'est finalement pas appliquée ou du moins si les moyens nécessaires à son application ne sont pas donnés.
Par ailleurs, qui va diffuser l'information sur les zones où l'on ne pourra plus habiter ? En effet, depuis plusieurs jours, les habitants reprennent possession de leurs maisons parce que l'eau a disparu. Il est inenvisageable de leur demander dans quelque temps de repartir alors que des travaux auront déjà été entrepris !
Mme Dominique Voynet - Pour avoir été souvent la victime d'allégations visant à faire de moi une méchante femme qui inventait semaine après semaine des contraintes insupportables pour les élus locaux, je peux vous dire que j'essaie au mieux d'utiliser l'incitation et la dissuasion, les encouragements et les interdictions. Ainsi, dans ce domaine comme dans d'autres, nous devons allier l'éducation, la formation et la prise de conscience des élus locaux, mais aussi des habitants au sens large. Il est très difficile pour le maire d'une petite commune de résister à l'un de ses administrés qui veut construire en zone inondable. Beaucoup de volonté politique, de ténacité et une certaine imperméabilité à la critique sont nécessaires pour surmonter ces difficultés. En fait, en pratique, dès l'arrivée d'une catastrophe, les maires se tournent vers le Gouvernement.
Concernant la délocalisation des habitations, le rapport propose à la cellule de crise de la préfecture de formaliser un dispositif de constat d'habitabilité des habitations. On touche là à la question de la sécurité. Cependant, les critères de choix ne sont pas uniquement techniques : les préférences des sinistrés comptent également. Ainsi, on sera tenté de proposer un nouveau logement à une personne très âgée dont la maison est sinistrée, même si le coût en est un peu supérieur. Elaborer un ensemble de règles précises sera évidemment difficile, mais nous réussirons à arrêter des règles de bon sens, commune par commune.
M. le Président - Je vous remercie de votre présence et de celle de vos collaborateurs.