N° 34
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 18 octobre 2001 Dépôt publié au Journal officiel du 19 octobre 2001 Annexe au procès-verbal de la séance du 23 octobre 2001 |
RAPPORT
de la commission d'enquête (1) sur les inondations de la Somme chargée d'établir les causes et les responsabilités de ces crues , d' évaluer les coûts et de prévenir les risques d'inondations , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 9 mai 2001,
TOME II : AUDITIONS
Président
M. Marcel DENEUX
Rapporteur
M. Pierre MARTIN
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Biwer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Guy Branger, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courteau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Ambroise Dupont, Hilaire Flandre, Philippe François, François Gerbaud, Paul Girod, Georges Gruillot, Claude Haut, Pierre Martin, Jacques Oudin, Jean-François Picheral, Paul Raoult, Charles Revet, Henri Torre.
Voir les numéros :
Sénat : 278 , 305 , 306 et T.A 85 (2000-2001)
Risques naturels. |
1. Audition de M. François Bordry, président de Voies navigables de France et de M. Gilles Leblanc, directeur régional pour l'Ile-de-France (29 mai 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. François Bordry, président de Voies navigables de France (VNF) et M. Gilles Leblanc, directeur régional pour l'Ile-de-France.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. François Bordry et Gilles Leblanc .
M. François Bordry - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis très impressionné d'être la première personne auditionnée par votre commission d'enquête sur les inondations dans la Somme.
Je dois dire que nous avons attaché beaucoup d'attention aux malheurs des populations locales et que nous suivons la situation de très près depuis le début.
Je voudrais commencer par vous expliquer l'organisation, qui est extrêmement compliquée, de la gestion des cours d'eau en France et de la gestion des différents problèmes de l'eau, pour que vous compreniez que les services de l'Etat, qui sont à la disposition de VNF mais qui, en même temps, gèrent un certain nombre de fonctions régaliennes au titre de l'Etat, sont souvent les mêmes personnes qui agissent à des titres différents.
VNF est un établissement public relativement nouveau. Il a été créé en 1991 pour remplacer l'Office national de la navigation, qui ne gérait pas le réseau, mais le transport réglementé, avec les bourses d'affrètement et le tour de rôle des mariniers. C'est à cet établissement public, hérité de l'ancien, que l'Etat a confié son réseau, qu'il gérait auparavant lui-même avec les services de l'équipement, qu'il s'agisse de services de navigation autonomes sur les grands bassins ou d'éléments de navigation au sein même des directions départementales de l'équipement.
VNF gère 6.700 km du réseau navigable appartenant à l'Etat et n'intervient donc pas sur les voies d'eau non-navigables, qui sont de la compétence du ministère de l'environnement.
VNF est un établissement public sous tutelle du ministère des transports, puisque c'est essentiellement au titre des transports que les voies d'eau ont été aménagées pour la navigation.
Les lois de décentralisation de 1982 autorisent les régions, de plein droit, à prendre la gestion des voies d'eau de leur territoire, ce qui a été fait dans un certain nombre d'endroits. Cela concerne au total 1.100 km, dont la Somme, puisque la région a revendiqué la gestion de la Somme pour la confier ensuite au département de la Somme.
De la même manière, la Charente, sur une grande partie, a aussi été confiée au département. L'ensemble du réseau breton -le canal de Nantes à Brest, la Mayenne, la Vilaine, le Blavet et toute une série de voies d'eau, ainsi que la Sèvre niortaise- a été pris en charge par la région Bretagne et par la région Pays de Loire, qui les ont souvent confiés aux DDE des départements dans ces régions.
Enfin, pour l'anecdote, l'Etat a conservé la gestion directe d'un certain nombre de voies d'eau, soit 700 km environ, qui sont de petits morceaux sur lesquels VNF n'est pas compétent.
Grosso modo, VNF est quand même compétent pour l'essentiel du réseau navigable appartenant à l'Etat, dans la mesure où les collectivités locales n'en ont pas pris la gestion. Il existe encore une autre voie d'eau qui a été prise en gestion par les collectivités locales, mais cela remonte à une période plus ancienne : il s'agit du canal du Nivernais qui, en 1970-1971, a été pris en charge par le département de la Nièvre.
Ce qui complique les choses, c'est que l'établissement public a été créé pour l'essentiel à partir du personnel de l'ancien Office de la navigation, mais c'est un personnel réduit. Nous sommes au total 300 à 350 sous statut de VNF.
En revanche, l'Etat a mis au point un système qui a fait les preuves de son fonctionnement en mettant à disposition de l'établissement public des services qui gèrent et entretiennent et exploitent les voies d'eau pour le compte de l'établissement public.
Toutefois, VNF a pour mission de gérer et d'exploiter le réseau de navigation et les ports ou de confier ceux-ci en concessions, de réaliser éventuellement des infrastructures nouvelles, de s'occuper du domaine public qui va avec -cela représente à peu près 80.000 hectares- d'élaborer les statistiques et de favoriser l'animation sur les voies d'eau, ce qui a également permis de développer le tourisme fluvial, avec l'appui de l'établissement public.
L'établissement public, dont les fonctionnaires sont payés par l'Etat, n'a pas reçu mission de s'occuper des inondations. Les services de l'Etat, qui sont en même temps des directions régionales de VNF, exercent, par contre, des missions régaliennes sous l'autorité du préfet, en particulier la mission de police de l'eau et de la navigation, et participent à l'annonce des crues.
Tout ceci est fait par les mêmes services et les mêmes fonctionnaires, sous l'autorité du même directeur régional, mais pour le compte des ministères concernés et des préfets, ce qui explique la complexité du sujet.
Cinq mille cinq cents agents de l'Etat sont mis à disposition de VNF dans 17 représentations locales et 9 grandes directions régionales ou inter régionales.
L'établissement public a reçu mission d'entretenir et de développer le réseau et le transport de marchandises, mais non d'intervenir sur la gestion ou sur la prévention des crues. D'ailleurs, l'établissement n'en a pas les moyens financiers.
Ce n'est pas pour cela que l'on n'est pas insensible aux inondations, notamment dans la Somme. La Somme est canalisée sur une bonne partie de sa distance mais, en amont, forme le canal du Nord sur une partie de sa longueur.
Le canal du Nord, qui est géré par VNF, canalise la Somme sur une vingtaine ou une trentaine de km, puis retourne vers son débouché naturel et, quand la Somme s'infléchit vers l'Ouest, elle est abandonnée par le canal, qui continue à remonter vers le Nord pour rejoindre le canal de Dunkerque à Valenciennes, les grands canaux du Nord et le réseau rhénan.
Le canal est alimenté par la Somme et par des affluents ou d'anciens affluents de la Somme court-circuités par le canal, qui sont venus alimenter le canal lui-même, et restituent à la Somme ce qui vient de l'amont.
Le canal du Nord a son propre système d'alimentation ; c'est un canal à double bief de partage, dont un point haut se situe au Sud de la Somme et l'autre au Nord, la partie entre les deux constituant la Somme canalisée.
Ce canal n'a pas été conçu pour effectuer des transferts d'eau, que ce soit des autres bassins vers la Somme ou de la Somme vers d'autres bassins.
Très peu de voies d'eau ont été conçues pour ce type d'opérations. Il existe l'Ourcq, qui appartient à la ville de Paris, qui est à la fois un vecteur de navigation et un vecteur de transport d'eau, puisque la raison pour laquelle elle a été aménagée au départ a été l'approvisionnement en eau potable de la ville de Paris. C'est une rivière complètement aménagée et détournée de son cours naturel : au lieu de se jeter dans la Marne, elle se jette dans le bassin de l'arsenal et dans le canal de Saint-Denis.
Autre canal qui n'a pas été conçu pour cela, mais qui sert souvent à aider les transferts d'eau et à soulager les crues à certains endroits : le canal de Dunkerque à Valenciennes.
Dans ce territoire complètement plat du Nord-Pas-de-Calais, quand les crues du côté de l'Escaut, au Sud du département du Nord, sont trop fortes, le canal à grand gabarit, qui arrive à supporter la charge d'eau supplémentaire, est sollicité pour transférer de l'eau sur le bassin de la Deule et de la Lys et du bassin de la Deule et de la Lys jusqu'au wateringue de Dunkerque, avec un rejet en mer par pompage, puisque l'arrivée du canal est plus basse que les marées hautes.
Ce système de transfert d'eau a été réalisé en novembre et décembre dernier. Le canal est utilisé avec une procédure qui implique le préfet quand on décide de transférer de l'eau d'un bassin sur l'autre pour soulager les crues et les transférer vers un autre bassin.
En revanche, le canal du Nord lui-même n'a jamais été conçu pour cela. Si on a réussi, à partir du 26 avril, à prendre un peu de l'eau de la Somme et à la renvoyer vers les bassins de l'Oise et vers le Nord, jusqu'à l'Escaut, c'est par pompage. Il a fallu installer des systèmes qui ont permis, je crois, de transférer 80 m 3 par seconde pour un coût de 5 millions de francs dont, probablement, VNF aura la charge.
La décision a été prise par l'Etat et mise en place par nos services, que ce soit au titre de l'Etat ou de VNF. Je crains que la facture ne nous incombe ensuite, mais il faut bien que quelqu'un la prenne en charge.
Ceci a d'ailleurs posé des problèmes de navigation, puisque les pompages qui ne pouvaient passer par les écluses ont entraîné des courants qui ont réduit le nombre d'heures de navigation et pénalisé beaucoup de transporteurs. Certains ont dû passer par le canal de Saint-Quentin, quand le gabarit le permettait, et ont ainsi perdu une journée de navigation ; d'autres ont dû perdre une journée ou sont restés bloqués à certaines écluses, au point que le prochain conseil de VNF, fin juin, prévoira d'indemniser les bateliers coincés par ce canal.
En termes de gestion de la crue, c'est marginalement que des installations non prévues pour cela ont pu servir à soulager modestement la Somme et à pomper vers d'autres bassins un peu d'eau de la Somme et de ses affluents. C'est un sujet dont on pourra reparler pour l'avenir, à propos de l'organisation des crues en France et du rôle que VNF pourrait éventuellement jouer à ce sujet.
Il est clair que, pour le moment, VNF n'a pas reçu de missions à ce sujet ; en outre, il n'en a pas la capacité financière, puisqu'il a à peine celle de restaurer le réseau à des fins de navigation.
Cependant, les services de l'Etat mis à disposition de VNF sur certains bassins ont des compétences évidentes en termes de gestion hydraulique.
Il est donc possible qu'à l'avenir, si l'Etat le souhaite, ces services, pour le compte de VNF ou directement, puissent agir comme maître d'ouvrage délégué ou comme maître d'oeuvre, à condition que les mécanismes financiers et le cadre juridique le prévoient, notamment sur le bassin de la Seine, ou encore dans le Nord-Pas-de-Calais, le Rhône, le bassin de la Saône, la Moselle, le Rhin, la Meuse.
Je voudrais attirer votre attention sur le risque d'inondations sur les bassins versants de Seine ou de l'Oise où, précisément, VNF a tenu à être partenaire de la charte signée le 8 janvier dernier par l'entente Aisne-Oise avec l'Etat, concernant l'annonce des crues et l'élaboration de plans de prévention des risques, qui sont des missions de l'Etat, la restauration de champ d'expansion des crues et la construction de digues de protection.
Cette charte comporte également un chapitre important relatif à l'aménagement de l'Oise, proposé par VNF et par l'Etat aux collectivités locales, qui prévoit la modernisation de l'ensemble des 7 barrages à l'aval de Compiègne, la fiabilisation du barrage d'Andrésy, qui tient le premier bief du confluent de l'Oise, et le dragage de l'Oise à l'aval de Creil.
Le plan de financement entre l'Etat, les régions Ile-de-France et Picardie, VNF, l'Agence de l'eau Seine-Normandie et la Communauté européenne est en train d'être finalisé. Nous sommes très intéressés, notamment par la reconstruction des barrages, qui sont de vieux barrages à aiguille extrêmement dangereux. Il faut, je crois, 40 personnes, pour une semaine, si l'on veut abaisser les barrages.
Vous savez que les barrages de navigation ne sont pas des barrages de retenue d'eau écrêteurs de crues. Cela n'a rien à voir avec les grands barrages sur la Loire ou les barrages en amont de la Seine, qui sont faits pour écrêter et retenir les eaux.
Les barrages de navigation sont faits pour maintenir un plan d'eau, permettent de passer les bateaux et aussi de prélever de l'eau potable. A Paris, plus de 40 % de l'eau potable provient de la Seine, de la Marne et de leurs affluents. Sans le barrage de Suresnes, on ne pourrait, 6 ou 8 mois par an, pomper d'eau potable pour Paris.
En cas de crues, les barrages sont faits pour être abaissés afin que la rivière retrouve son écoulement naturel. Quand la crue n'est pas trop importante, ou en fonction du niveau d'eau, c'est par la gestion du barrage que l'on maintient le plan d'eau au niveau souhaité.
Il est évident que l'amélioration et la reconstruction des barrages de l'Oise permettront une meilleure gestion et une optimisation de la ligne d'eau sur la rivière, ainsi qu'une amélioration du traitement des crues moyennes. On pourra agir plus vite sur l'ensemble des barrages et gérer plus finement la rivière ; en revanche, en cas de grande crue, les barrages sont abaissés. L'eau doit passer et ces barrages n'apportent alors aucune protection.
En tout cas, VNF participe pleinement et participera à son comité de pilotage. Il est naturel pour VNF d'y participer. C'est un enjeu très important pour les collectivités locales.
Un des problèmes tient à la structuration des efforts des collectivités locales pour des investissements qui sont très lourds. Le « Moniteur des Travaux Publics » vient de publier une étude faite par un bureau d'études, le BCOM, qui évoque 520 millions de francs de travaux pour l'aménagement de la Meuse, alors que l'établissement public d'aménagement de la Meuse vit avec un budget de fonctionnement extrêmement faible.
La capacité de maîtrise d'ouvrage est évidemment un peu faible et laisse entier le problème du financement, étant entendu -mais c'est une approche assez nouvelle- qu'il faudra, pour réussir à aménager et à régler les problèmes de la Meuse, qui a eu des crues considérables en 1993 et 1995, tenir compte à la fois de l'intérêt économique pour la navigation, de l'amélioration des barrages et de la modernisation de la rivière. Si l'on ne compte que sur le transport de fret ou sur le développement de la plaisance sur la Meuse, il est évident qu'on n'arrive même pas à financer 10 % du programme d'aménagement.
Il faut donc trouver des financements pour améliorer la gestion des crues et de l'eau, et il faudra solliciter tous les gens concernés. La voie d'eau est polyvalente, et la polyvalence de l'eau fait que l'on ne peut charger un seul responsable ou un seul gestionnaire de l'ensemble des frais.
Nous pouvons bien entendu, avec Gilles Leblanc, expliquer les problèmes du canal de la Somme et l'interaction entre le canal du Nord et celui de la Somme de façon plus précise, et répondre à vos questions.
M. le Président - Merci.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Il faudrait que nous rentrions dans les problèmes de la Somme.
Personne n'était préparé à ces inondations, d'où l'effet de surprise. Pourriez-vous nous donner quelques explications sur la « rumeur d'Abbeville » ? Quels sont les liens entre le bassin de la Somme et celui de la Seine ? Y a-t-il une concertation au niveau de la gestion de ces flux ?
Ce sont les interrogations auxquelles il faut commencer à répondre...
M. Gilles Leblanc - S'agissant de la surprise, je crois que l'on est forcé de prendre en considération le fait que, depuis le 15 septembre, à l'échelle de l'ensemble du secteur placé sous ma responsabilité, la situation de pluviosité était exceptionnelle. Depuis début mars, le nombre de crues et la saturation des sols était excessivement délicate et la tension extrême en termes de gestion hydraulique.
Il n'est pas possible de dire que l'on a été surpris par une situation dont on connaissait la gravité, que ce soit en aval ou en amont des bassins. Sur l'Yonne, on a connu une crue centennale et quatre crues décennales en l'espace de 3 mois !
Il s'est agit d'une situation exceptionnelle après plusieurs mois de saturation des sols très importante, et beaucoup plus sur cette partie du territoire national que sur l'autre partie. Vous avez demandé à avoir toutes les données météorologiques : la situation est claire.
On ne peut qualifier la situation de totalement surprenante. Elle n'a pas eu de caractère de brutalité. Il ne s'est pas agit, tout d'un coup, d'un déversement majeur, mais bien d'un phénomène lent et continu, qui a saturé les sols.
Sur la question des communications, il est clair que les canaux réalisés aux XIXème et XXème siècle ont quelques liaisons hydrauliques. Il faut les prendre en considération. Je vous laisserai les trois schémas de fonctionnement hydrologique en situation de sécheresse, en situation normale, en situation de forte pluviosité et en situation de crise.
Il y a trois liens physiques entre le bassin de la Seine et celui de la Somme : une rigole de l'Oise et du Noirieux, qui permet d'alimenter, en période de sécheresse et en période normale, le bief de partage du canal de Saint-Quentin, entre le canal de la Somme et le bassin de l'Escaut.
Cette rigole permet, par construction, de prendre l'eau très en amont de l'Oise, sur le territoire communal de Valencours, dans l'Aisne. Cette rigole est une rigole d'approvisionnement en période de sécheresse, très peu utilisée en période normale, et qui a été -je suis formel- fermée le 15 novembre 2000.
C'est le premier point de liaison, très en amont du bassin.
Le deuxième est conçu pour les périodes de sécheresse et fait que l'eau peut être pompée dans l'Oise pour alimenter, entre Chauny et Noyon, le canal latéral à l'Oise.
L'eau peut être relevée par des pompes installées sur le canal du Nord pour approvisionner le bief de partage entre le bassin de l'Oise et le bassin de la Somme.
Un troisième lien est possible et a été utilisé en période de fortes pluviosités et de situation catastrophique. Ce lien permet de renvoyer de l'eau du canal du Nord vers le bassin de l'Oise. C'est le scénario qui permet d'utiliser à l'envers l'escalier que constituent les écluses du canal du Nord et alléger ainsi la pression.
C'est, en termes de liens, les seuls qui existent, qui sont conçus et suivis de manière réglementée et contrôlée.
Durant la période critique, la rigole de l'Oise et du Noirieux ne versait évidemment pas de l'eau de l'Oise, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne versait rien, puisqu'elle récupérait les eaux de ruissellement du bassin de la Somme au moment d'arriver sur ce secteur, l'Escaut débordant et arrivant dans ce bief de partage durant cette période.
Il est clair qu'il n'y avait aucun pompage de remontée d'eau du bassin de l'Oise -on n'était pas en période de sécheresse- vers le bassin de la Somme.
Il est clair aussi qu'on a fait fonctionner très tôt, durant la période de crise, le dispositif permettant de renvoyer un peu d'eau du bassin de la Somme vers le bassin de l'Oise et, alors qu'on était en sortie de la grande crise constatée parallèlement sur l'Aisne, puisqu'on était en grande alerte jusqu'au 25 avril, on a pris les dispositions opérationnelles à partir du 24, mises en oeuvre le 26 après-midi, pour augmenter les pompages en vallée de l'Oise.
Ceci n'a pas aggravé la situation sur l'Aisne, ni sur l'Oise. Il est donc clair, pour répondre à la dernière partie de la question, que les autorités responsables se concertent sur les flux, puisqu'on doit à la fois respecter la loi pêche et la loi sur l'eau, sous l'autorité du préfet de région.
Sur la gestion quantitative et qualitative de l'eau, la préoccupation a été double, d'une part en termes de gestion de la pénurie et de la sécheresse sur la Somme et, d'autre part, en termes de maintien des débits d'étiage, malgré la nécessité d'approvisionnement des canaux, qui est toujours pour mon service un sujet de forte préoccupation.
Si l'on regarde sur les 15 dernières années, on s'aperçoit qu'il est difficile de gérer le système hydraulique du bassin de la Somme et de préserver, avec la quantité de pompages industriels et agricoles qui existent, les débits de réserve de la loi pêche et ceux que l'on utilise depuis 1992, qui sont la valeur du débit moyen journalier. Depuis vingt ans, on a des difficultés à tenir les débits d'étiage sur ce secteur.
S'agissant de la gestion de la crue, il existe une relativement bonne connaissance de la nature des formations souterraines et de la façon dont les cours d'eau ont été aménagés en fond de vallée au cours des deux derniers siècles.
Il existe de même une relative bonne connaissance de la perméabilité du sous-sol crayeux où se trouve installée la majeure partie du bassin, et un assez bon suivi des quantités d'eau infiltrée année par année dans cette masse crayeuse.
Je voudrais relire devant vous la phrase du SAGE (schéma d'aménagement et de gestion des eaux) : « La forte artificialisation du réseau hydrographique, dont la plupart des éléments s'avèrent canalisés, et la présence de nombreux ouvrages -vannes, écluses, etc- facilitent la gestion des écoulements et le contrôle des débits superficiels ».
Cette phrase est juste sur le fond, mais le SAGE, dans la phrase suivante, dit aussi que « les crues que l'on peut connaître sur ce secteur ne peuvent survenir que dans deux cas de figure : sur les cours d'eau non-canalisés dont le sous-sol présente une perméabilité » -c'est le cas du bassin de la Sambre et de la Lys moyenne- « mais aussi à l'occasion des remontées de nappes en période de forte pluviosité, à la suite de plusieurs années humides ». On se trouve donc bien dans le phénomène caractérisé dans le SAGE de ce secteur.
M. le Président - Un rapport public de la Cour des Comptes de 1999 émet quelques critiques sur la manière dont tout cela est géré. Avez-vous un point de vue là-dessus ? Qu'a-t-on fait à la suite de ce rapport ? Ces critiques sont-elles fondées ?
M. Gilles Leblanc - Dans les critiques, il y a quatre éléments différents qui ont été notés. Le premier est un élément sur la méconnaissance du risque d'inondation. Je pense qu'il n'est pas totalement avéré que les risques d'inondations soient méconnus.
Je le dis avec une certaine gravité, car il se trouve que, dans ma carrière administrative, j'ai été en poste dans différents départements dans lesquels les questions hydrauliques étaient importantes, dont Nîmes, où j'ai eu à connaître un certain nombre de phénomènes.
Le constat est toujours à peu près le même. On s'aperçoit, dans les travaux des missions d'évaluation, que la connaissance scientifique et la mémoire existent dans un milieu qui n'est pas qu'un milieu de spécialistes, mais que cette connaissance n'est pas forcément partagée par les habitants et, singulièrement, pas par les habitants qui se sont implantés récemment.
C'est pourquoi la recommandation de la Cour des Comptes est correctement formulée : il importe que les études de risques soient formellement portées à la connaissance des pouvoirs publics lors de l'élaboration des documents d'urbanisme. Il importe aussi d'accélérer -mais c'est toujours trop long- les plans de prévention des risques d'inondations pour qu'ils soient prescrits, élaborés, soumis à enquête publique et rendus opposables.
L'idée que la connaissance du risque serait faible est une idée qui, localement, à chaque fois, s'avère fausse, parce on retrouve toujours une connaissance et une mémoire du risque plus fortes que ce que l'on pouvait croire en première analyse.
La Cour aborde aussi la question de la vulnérabilité des populations. Il me semble -et je parle avec mon expérience professionnelle- que les populations implantées récemment sont plus vulnérables parce qu'elles ne connaissent pas le risque ou qu'elles n'en ont pas une mémoire ancestrale. De temps en temps, le risque a également pu leur être caché, de manière pour le coup beaucoup plus critiquable, et elles découvrent le phénomène de crue lorsqu'il se produit.
On s'aperçoit que la réaction est assez différente dans un secteur connu pour ses risques, où même le fonctionnement social a intégré l'occurrence des crues. C'est par exemple le cas de la vallée de la Garonne, parce que la vie s'est formée sur cette habitude ou cette acceptation d'un risque naturel, dans une situation naturelle.
C'est aussi le cas dans la vallée de la Saône ou de certains endroits du Gard. La ville de Sommières connaît ainsi des inondations terribles mais, en même temps, la population sait gérer cette situation. Les services publics et les populations sont assez entraînés.
Il existe des secteurs où l'idée du risque est plus occultée, avec des populations plus récentes d'implantation. C'est le cas, par exemple, de la Camargue, où certains villages, avec les couches d'implantation des années 1930, 1950, 1970, ignorent qu'il s'agit d'une zone humide et sont étonnés lorsqu'il y a de l'eau en Camargue.
La vulnérabilité des populations dépend de leur conscience, de leurs connaissances, mais aussi de la capacité des pouvoirs publics à prévoir des plans de secours et des exercices, comme on le fait pour le feu, tout simplement parce qu'on ne peut pas empêcher le phénomène naturel.
S'agissant de la complexité administrative, ce que dit la Cour est juste, et il est vrai qu'on a un certain nombre de niveaux administratifs : l'Europe, l'Etat, les régions, les départements, les communes, les groupements de communes, les ententes, etc.
Tout cela peut paraître un peu compliqué. Il me semble que VNF s'appuie sur des services opérationnels organisés par bassin, qui travaillent à l'échelle des bassins, au niveau financier, avec les agences de l'eau, mais aussi à des échelles intermédiaires, avec l'institution des grands barrages en région Ile-de-France, qui est aussi une structure et une organisation intermédiaire sur le fond.
On est également amenés à travailler avec toutes les organisations que les collectivités locales ont mises en oeuvre dans le domaine de l'eau pour la gestion de l'eau potable, avec les syndicats de communes -le CIAP pour Paris et la petite couronne, les syndicats de communes d'approvisionnement ailleurs.
Cela peut être compliqué. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement le sujet. Si je prends l'exemple de l'Oise-Aisne, qui concerne la région Picardie, j'ai eu le sentiment personnel que le travail qui a été fait sous l'autorité du préfet de région Ile-de-France, du président Woimant et, aujourd'hui, du président Marini, a permis que l'ensemble de ceux qui s'occupent de ce sujet comprennent bien leurs responsabilités respectives.
Je crois que la pire des situations, pour VNF, serait que toutes les parties cherchent à justifier qu'elles ne font rien en reportant la faute sur l'autre.
M. le Président - Considérez-vous que la bonne entente entre Aisne et Oise a porté plus de fruits que dans la Somme ?
Quel jugement portez-vous sur la politique du département de la Somme sur ce fleuve ?
M. Gilles Leblanc - Je crois qu'il faut relativiser. L'entente interdépartementale Oise-Aisne, si ma mémoire est bonne, a dû être créée en 1965. La clarification des responsabilités pour permettre à chacun de savoir réellement ce qu'il engageait de manière opérationnelle a été signée le 8 janvier 2001. Il y a donc forcément eu un temps de maturation. Je suis optimiste dans le travail que l'on fait avec l'entente Oise-Aisne, car l'Etat a engagé un programme de modernisation de ses centres d'annonce de crues.
L'entente a clarifié ce qu'elle faisait sur ces bassins. Telle ou telle commune peut refuser de faire un bassin, mais politiquement, cela a été clarifié. Ce que pouvait faire VNF a été clarifié et ce que pouvait faire l'Agence de l'eau également.
J'ai vraiment le sentiment, en tant qu'opérationnel, que lorsque chacun a les idées claires sur ce qu'il doit faire et sur ce que font les autres, cela va mieux que lorsqu'on fait de grandes réunions où chacun cherche à justifier son inaction en affirmant que c'est la faute des autres, mais je ne pense pas que l'on soit sur la même échelle, ni sur le même problème, et je ne puis donc faire de comparaison par rapport à la Somme.
M. le Rapporteur - Vous dites que, compte tenu de la pluviosité exceptionnelle et de la saturation des sols, on connaissait cette situation depuis un certain temps, mais quelles informations a-t-on divulgué auprès de population ? Est-ce que l'alerte a été donnée ?
M. le Président - Vous nous avez dit que les concertations existent. Est-ce qu'elles existent aussi avec BRGM, qui mesure les nappes ?
M. le Rapporteur - Dans la Somme, il n'y a pas de mémoire des inondations car, de mémoire d'homme, personne ne peut en témoigner, d'où une inadaptation au sujet, avec les conséquences que l'on connaît. En la circonstance, comment faire ?
M. Michel Souplet - Quand nous sommes allés dans le bassin de la Somme, on nous a dit -et c'est vrai : « De mémoire d'homme, on n'a jamais vu cela ! ». Par contre, on nous a expliqué qu'en 1840, on avait jugé utile de creuser un canal parallèle au canal de la Somme pour délester en cas de risques.
Le colonel commandant le génie nous a expliqué sur un plan que l'on retrouvait dans la nature deux digues construites au XVIIIème siècle, qui étaient des bassins de rétention. Nous supposons donc qu'il y a certainement eu, dans l'histoire, des périodes difficiles et délicates. Est-ce que vous retrouvez cela quelque part dans vos archives ?
M. Hilaire Flandre - Je ne suis ni ingénieur, ni spécialement compétent : je suis seulement paysan.
Est-ce que vous n'êtes pas plus préoccupés de votre obligation de maintenir un certain tirant d'eau et un certain niveau d'étiage des cours d'eau, au détriment des travaux d'entretien et de dragage, et au risque d'un retard dans les décisions prises de baisser les barrages ?
Je suis des Ardennes : cela expliquera un certain nombre de choses !
M. François Bordry - La mission de VNF vise à l'entretien du chenal de navigation et non au dragage de l'ensemble de la rivière.
C'est un sujet pour lequel nous avons dépensé à peu près 54 millions de francs l'année dernière, dont 17 sur le bassin de la Seine -notre plus gros client en besoins de dragage de rivières- et 10 millions sur le bassin du Nord-Pas-de-Calais.
Ces dragages sont faits pour assurer un tirant d'eau permettant le passage de la navigation et permettre aussi d'avoir un chenal susceptible d'évacuer l'eau en cas de crue.
Je ne suis pas sûr que nous avons des moyens suffisants pour assurer partout le chenal de navigation à la profondeur réglementaire, car il faudrait doubler les crédits, et l'on ne peut le faire.
En revanche, là où nous entretenons le chenal, c'est un avantage pour la circulation des eaux de crues, car on enlève les embâcles et on drague le fond du chenal.
D'ailleurs, la charte qui a été signée prévoit d'améliorer le dragage sur l'Oise pour faciliter la gestion des crues.
M. Hilaire Flandre - Il existait autrefois une tolérance dans l'utilisation des granulats accumulés en bordure de rivière et dans les courbes. Je suis en bordure de l'Aisne : la quantité de graviers qui ont atterri là après les crues est considérable. Autrefois, on les utilisait pour les chemins ruraux ; c'est maintenant interdit, mais cela reste dans la rivière. Une mesure de bon sens ne serait-elle pas d'autoriser les communes, sans en faire un usage financier ou commercial, à enlever tout ce qui empêche l'écoulement normal de l'eau ?
M. Gilles Leblanc - La question est effectivement délicate, mais on est dans un cadre législatif régulé, vous le savez bien.
On est peut-être passé d'un excès dans lequel la démarche d'artificialisation était la pensée dominante, entre 1970 et le courant des années 1990, qui s'est traduite dans les lois et dans les règlements, chacun pensant qu'il fallait plutôt laisser faire la nature.
Il est clair qu'aujourd'hui, l'extraction de matériaux nécessite une autorisation. C'est vous qui légiférez. Cela s'appelle une autorisation de carrière. Il est sûr que c'est un problème. Je le vois sur l'ensemble du bassin que je gère. On estime à peu près le dépôt de matériaux 2,5 fois supérieur au dépôt d'une saison de crue habituelle.
On est aujourd'hui à des niveaux de dragage relativement importants. Faut-il draguer encore plus ? Peut-être... Se posent des problèmes techniques, financiers et, dans certains secteurs, d'appréciation. Les obligations de VNF, qui a hérité des obligations de l'Etat en termes de navigation, concernent juste le dragage du chenal. Le législateur de l'époque avait eu une approche utilitariste du dragage. Le dragage qui est dû est celui du chenal en tant que tel, et non l'enlèvement de tous les dépôts.
C'est la réalité du code d'aujourd'hui sur le fond. Ceci ne veut pas dire que l'on fait strictement un rectangle de navigation. On en fait un peu plus de temps en temps, avec des plaintes, et l'on essaye de justifier le fait que l'intérêt et le fonctionnement hydrologique facilitent le débit.
Il est évident qu'entre Creil et Conflans, aujourd'hui, il y a entre 60 et 80 cm de sédiments de plus qu'en 1975. VNF respecte ses obligations, mais il faudrait peut-être en faire un peu plus.
M. François Bordry - VNF a dix ans d'existence. La législation sur l'utilisation des boues de dragage ou des granulats a évolué dans les toutes premières années de VNF, à un moment où l'établissement public n'avait pas pris tout son poids, après 20 ou 25 ans de déclin de la voie d'eau et des services de navigation, qui n'avaient pas tellement droit à la parole, n'ayant plus beaucoup de moyens, dans un contexte de déclin du transport fluvial.
VNF a aujourd'hui plus de poids. On est probablement allé un peu trop loin. Il est vrai qu'il y a des endroits où l'abus était manifeste. Je pense à la Loire, où la ligne d'eau a baissé de 1,50 m dans beaucoup d'endroits, du fait d'une surexploitation des granulats.
Cela nous pose maintenant des problèmes, mais le cadre législatif est ce qu'il est. On a par ailleurs des difficultés à trouver des terrains de dépôt pour un certain nombre de boues de dragage qui ne sont pas aussi facilement valorisables que les granulats, et qui sont parfois polluées.
M. le Président - Il me reste à vous remercier, Monsieur le Président, à la fois d'être venu, et pour le style direct que vous avez employé pour répondre à nos questions.
Nous nous permettrons, si vous le voulez bien, de vous demander d'autres explications.
M. Roland Courteau - Ma question ne concerne pas VNF, mais vous savez que dans l'Aube, nous avons subi des inondations gravissimes en 1999.
VNF, pour protéger ses canaux dans les zones inondables, a construit des digues très hautes et très solides.
Le problème de ces digues, c'est qu'elles barrent l'écoulement naturel du fleuve, constituant de véritables barrages qui accumulent des millions de m 3 d'eau, jusqu'au moment où elles cèdent, noyant les villages en aval.
Or, que s'est-il passé à l'issue de ces inondations ? VNF a reconstruit des digues plus hautes encore. Il n'y a pas que VNF : la SNCF, en parallèle, a fait la même chose.
Ma question est la suivante : ne faudrait-il pas, avant de reconstruire des digues, écouter les populations locales et les élus, et voir ce qui peut être fait pour limiter les dégâts ?
On sait que le risque zéro, dans les zones inondables, n'existe pas, mais essayons de limiter la casse !
M. François Bordry - La situation est différente de celle de la Somme. Il s'agit de crues torrentielles provoquées par de gros orages, qui disparaissent aussi vite, mais en ayant fait beaucoup de dégâts. Ces crues ont provoqué 40 millions de francs de dégâts, alors que l'ensemble de la grande tempête de Noël de la même année, pour ce qui concerne le réseau de VNF, avait provoqué à peine plus de dégâts sur la France entière.
Tout d'abord, la digue n'a pas été reconstruite plus haut. Cet aménagement date de Vauban et de Riquet, au XVIIème siècle. On l'a effectivement reconstruite de manière à ce que le canal continue à fonctionner et ne soit pas interrompu, mais une étude a été lancée sous l'autorité du préfet, avec la participation de l'ensemble des opérateurs, pour définir la hauteur des directions et l'aménagement nécessaire afin de tenir compte des crues qui ont eu lieu. On a repris les cotes précédentes.
On a bien dit que l'on se conformerait aux résultats de l'étude, qui devra dire quels sont les aménagements nécessaires pour réduire les risques. La situation est toutefois différente dans la Somme.
Je vais remettre à vos services un certain nombre de textes précisant les missions de VNF et les limites de celles-ci, ainsi que la charte dont j'ai parlé. Je reste à votre disposition pour tout document complémentaire.
M. Gilles Leblanc - Je voulais ajouter qu'on a peut-être un problème d'organisation de notre mémoire collective, mais mon expérience personnelle montre qu'assez souvent, on a parfaitement connaissance, dans les archives départementales, de choses qui se sont passées deux, trois ou cinq siècles auparavant.
Ainsi, la catastrophe qui a eu lieu à Nîmes est loin d'être la plus importante et la plus dramatique des deux mille dernières années, et l'on connaît très précisément une dizaine de phénomènes qui se sont déroulés dans cette ville et qui sont de même ampleur.
Avait-on les éléments d'archives qui permettaient de décrire à l'avance le phénomène dans la Somme ? Bien évidemment non. On savait que les sols étaient saturés et dans une situation excessivement difficile. Si on avait eu le scénario de la catastrophe, on l'aurait peut-être mieux utilisé que ce que l'on a fait.
Il faut donc séparer la connaissance scientifique et la connaissance historique. Un géographe avait fait une étude au XVIIIème siècle sur la vallée de la Somme, indiquant un certain nombre de choses qui sont plus que des indices, sur des éléments très précis recueillis par un travail de fourmi au niveau des archives, etc.
C'est souvent un problème d'organisation de la connaissance pour que les choses soient connues des décideurs et, à travers eux, des populations.
Vous évoquez la mémoire humaine. Quand j'étais en service dans le Gard, le ministère de l'environnement, vu les catastrophes qu'a connues ce département, avait donné pas mal de crédits d'études et de recherches. En particulier, on nous avait demandé de faire un travail avec le CNRS sur un système d'information géographique, afin de pouvoir mener le recensement des archives communales, départementales, etc., en matière de crues. Ce système a dû coûter une dizaine de millions de francs, ce qui n'est pas négligeable.
Il faut prendre garde au fait que la mémoire humaine peut s'effacer et qu'elle s'inscrit dans une échelle temps insuffisante par rapport à des phénomènes d'occurrence relativement lente. Je crois que ce serait une erreur de dire que le phénomène sur la Somme -je ne crois pas qu'il ait été quantifié scientifiquement parlant- ne s'est jamais produit, mais quelle est son occurrence ? Est-ce un phénomène bicentenaire, quadri-centenaire, millénaire, bimillénaire ? On n'a pas cette quantification.
Par contre, c'est un phénomène qui était déjà caractérisé, y compris dans des demandes publiques, puisque le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) était très clair sur la description de ce phénomène. Il est clair aussi qu'on n'en a pas une mémoire humaine.
M. Jean-François Picheral - Si l'on a bien compris, vous êtes responsable de la navigabilité du canal du Nord. Nous voudrions savoir comment vous avez vécu ces mois de mars et d'avril en tant que gestionnaire du canal du Nord.
Nous avons entendu beaucoup d'élus qui se sont plaints d'écluses, de navigabilité, pendant cette période. J'aimerais que vous puissiez clarifier ces moments, qui ont dû être difficiles pour vous, mais qui l'ont été aussi pour les élus et la population.
M. Gilles Leblanc - Je suis responsable de 17 départements, du département de l'Yonne jusqu'au département de l'Eure, en passant par les Ardennes et un certain nombre d'autres départements.
La situation hydrologique a été très difficile sur beaucoup de secteurs en même temps, ce qui n'efface rien à la gravité de la situation dans la Somme.
M. Hilaire Flandre - C'est une boutade, mais je dirais que les crues datent sans doute de l'époque où l'on a commencé à creuser un canal et à construire des bassins de rétention ! La mémoire de l'homme étant ainsi faite qu'on oublie très vite les catastrophes lorsqu'elles sont passées, je ne suis pas sûr que l'entretien de ces ouvrages, jugé nécessaire à l'époque, a été poursuivi dans le temps. Cela n'incrimine en rien vos services.
M. Gilles Leblanc - Je ne crois pas que cette analyse soit juste. Les ouvrages anciens montrent des situations catastrophiques en vallée de Somme avant la période napoléonienne, qui a été la période d'aménagement des canaux en fond de vallées !
Ces canaux ont été réalisés avec une double préoccupation, celle de concevoir des ouvrages permettant d'irriguer l'économie et de faire fonctionner correctement ce secteur. Le système hydrographique napoléonien, et qui a été recopié dans les années 1950, au moment de la construction du canal du Nord, est d'un fonctionnement très économe en période de sécheresse et neutre en période d'inondations, même si le SAGE souligne que le fait d'avoir aménagé des canaux en fond de vallées permet de mieux gérer les inondations superficielles -et je pense que c'est vrai.
Par contre, l'aménagement des canaux est parfaitement neutre dans le phénomène d'un massif calcaire gorgé d'eau et d'une inondation de nappe. Le système des canaux est donc hors sujet.
M. le Rapporteur - Je reviens sur la question que j'ai posée : compte tenu des connaissances que vous aviez de la situation et de l'évolution prévisible dès décembre, quelles informations ont été divulguées, ou quelles informations auraient dû être divulguées ? Quelles décisions ont été prises ou quelles décisions auraient dû être prises ?
Vous nous dites qu'à partir du 24 -je pense que vous voulez parler du 24 mars- on a pompé dans le canal du Nord pour gagner en quelque sorte 4 m 3 . Or, le 24 mars, si mes souvenirs sont exacts, Fontaine-sur-Somme était déjà inondée, car cela a commencé le 21 !
M. Gilles Leblanc - Les bulletins hydrographiques sont adressés systématiquement à l'ensemble des pouvoirs publics responsables, sur la situation, la pluviosité, la concentration des nappes, etc. Je n'ai pas connaissance de divergences sur l'analyse de ces bulletins.
Ces bulletins indiquent les précipitations et les hauteurs d'eau cumulées, qui ne sont pas forcément une interprétation complètement directe.
M. le Président - Dans la pratique, qui sont vos destinataires ?
M. Gilles Leblanc - Le Gouvernement, les préfets, les agences de l'eau et les instances dirigeantes des agences de l'eau, ainsi que l'ensemble des acteurs responsables. Lorsqu'il existe une structure « collectivités locales », type entente interdépartementale Oise-Aisne, celle-ci est destinatrice des bulletins. Lorsqu'il existe une collectivité locale gestionnaire et un maître d'ouvrage gestionnaire, ils sont systématiquement destinataires.
M. le Président - En l'occurrence, donc, le conseil général de la Somme vraisemblablement ?
M. Gilles Leblanc - Oui, bien sûr. Je n'ai pas fait de vérification personnelle, mais c'est une évidence.
M. le Rapporteur - Si une décision est à prendre, qui va aider à la prise de décision ?
M. Gilles Leblanc - Tout d'abord, permettez-moi de répondre à la deuxième question que vous avez posée sur les dispositions opérationnelles. On a été amenés à faire fonctionner le système de pompage destiné à ramener de l'eau de l'Oise dans le bief de partage en cas de sécheresse. Les pompes, fonctionnant à l'envers, ont fonctionné relativement tôt, à une date antérieure à celle que vous avez citée -je ne l'ai plus en tête.
La date que j'ai formulée tout à l'heure était celle du 26 avril, qui est une date très postérieure. La situation était déjà très mauvaise. C'est la date à laquelle on a mis en place un système renforcé qui ne nous a pas semblé, selon les appréciations du préfet coordonnateur de bassins, du préfet de région Picardie et du Préfet de la Somme, contradictoire avec l'ensemble des initiatives qui pouvaient être prises pour alléger au maximum la pression en tête de bassin, au moment précis où on est passés de la situation de grande alerte à la situation de très grande alerte.
On a donc pris le risque -risque partagé entre les différents gestionnaires- de renvoyer de l'eau sur l'Oise en plus grande quantité à partir du 26 avril.
M. le Rapporteur - Qui aide les autorités à la prise de décision ?
M. le Président - ... Et, dans les mois précédents, qui a été alerté à temps qu'il y avait un risque, et qui n'a pas bougé ?
M. Gilles Leblanc - J'ai un peu de mal à répondre à cette question. Il est évident que les inondations dans l'Eure, en Bretagne, dans l'Aisne, etc., on en avait déjà énormément. La presse était pleine de la situation hydrographique, qui aurait pu être catastrophique en termes de vies humaines dans beaucoup d'endroits du bassin de la Seine.
Même sur la région Ile-de-France, on est passé à côté d'une catastrophe majeure. On a eu la chance de faire passer une crue de Marne, une crue de l'Yonne, une crue de Marne, une crue de Seine, etc. On a enchaîné le nombre de passages de crues avec une quantité et des débits d'eau considérables. On a dû dépasser les 92 jours de débit de la Seine supérieurs à 1000 m 3 /seconde, ce qui n'avait jamais été enregistré !
On était donc -et on est toujours- dans une situation-limite du point de vue hydrographique, avec un bassin et des sols complètement saturés, qui n'ont aucune capacité d'absorption d'un phénomène quel qu'il soit, même encore aujourd'hui, alors qu'il fait beau !
M. Michel Souplet - J'aimerais couper les ailes à certains « canards ». J'habite le bord de l'Oise. On est souvent inondé. A chaque fois, on nous dit que c'est à cause de Paris. A chaque fois, je réponds que l'on ne peut imaginer un instant laisser noyer Paris. Si le métro était noyé, vous vous rendez compte de la catastrophe que cela pourrait être !
J'aimerais savoir quelle est la politique de gestion des eaux qui est conduite pour protéger Paris. C'est un impératif ! Cette année, on est tombé sur une conjonction d'événements importants : les nappes étaient pleines, tous les sols calcaires étaient gorgés d'eau et cela continuait de tomber. J'aimerais simplement, s'il y a quelque part un document, le connaître. Comment envisage-t-on la protection de Paris en particulier, ou des grands sites ? Je ne vous demande pas de répondre tout de suite, mais j'aimerais couper les ailes à la rumeur qui veut que c'est à cause de Paris qu'il y a des inondations dans le Nord. Ce n'est pas vrai !
M. Gilles Leblanc - D'un point de vue strictement physique, pour assurer la protection d'un centre urbain quel qu'il soit, il faut travailler sur l'amont : la vallée de l'Oise est en aval de Paris. Je pourrais raisonner de la même façon sur la protection de Soissons. A chaque fois, c'est un raisonnement sur l'amont.
C'est une absurdité de penser qu'il y a un rapport entre Paris et la Somme, et c'est pareil pour l'Oise...
M. Michel Souplet - ... Encore que l'on nous dise : « L'Oise est en aval de Paris, mais lorsqu'il y a des risques pour Paris, on arrête quand même l'Oise pour permettre de débiter davantage d'eau venant de la Seine » !
M. Gilles Leblanc - Sans m'étendre sur les systèmes, la région Ile-de-France n'est pas si bien protégée que cela. L'institution des grands barrages, dont certains considèrent qu'ils font du lobbying pour leurs propres intérêts, estime que la facture d'inondations type 1910 -et on connaît des inondations supérieures à celles de 1910- serait considérable.
Les dispositions en amont sont relativement faibles. Certains barrages-réservoirs, malgré leurs noms, ont une capacité de stockage limitée. Durant les six derniers mois, il a fallu artificiellement maintenir ce que certains riverains considèrent comme des « crues » à un débit important, pour pouvoir se redonner une capacité de rétention et prendre le coup suivant.
Il faut ensuite avoir une capacité de gestion opérationnelle pour libérer la capacité de réserve.
Deux ou trois secteurs en amont servent de « laminoirs de crues » : le secteur de La Bassée, en limite de l'Aube et de la Seine-et-Marne, est un secteur de zone humide qui peut permettre d'éviter l'onde de choc d'une crue brutale sur la région Ile-de-France, mais les études des plans de prévention des risques inondation (PPRI) de la région Ile-de-France relatives aux crues de 1910 montrent une partie du Val-de-Marne, toute la boucle Nord des Hauts-de-Seine et beaucoup de quartiers parisiens qui ont les pieds dans l'eau.
Les PPRI de la région Ile-de-France sont en train de se mettre en place, et on ne sait pas dire que l'on est capable d'empêcher une situation catastrophique à Paris.
En tant que gestionnaire de la rivière, je sais dire que cela commence à ne pas être très bon quand on a 1.000 m 3 /seconde et qu'on est à 3 m 80 de haut ; à 4 m 50, je sais dire ce qu'il faut faire ; à 4 m 70, je sais dire que le RER C en aura pour six mois d'arrêt et quelques milliards, qu'à 7 m 10, on a tels dégâts et, à 8 m 30, tels autres dégâts. Je sais le dire. Dire que l'on sait protéger est une absurdité. On n'a pas de système de protection absolue.
M. le Président - Monsieur Leblanc, nous vous remercions.