IV. UNE GESTION INADAPTÉE
A. UNE GESTION CONFINÉE DANS LE PROVISOIRE
1. Le fonds de réserve : la gestion sous contrainte
a) Des instruments financiers restreints
(1) Des règles fixées par le Gouvernement
L'article R. 135-21 du code de la
sécurité
sociale pris en application des articles L. 135-1 à
L. 135-6 prévoit que "
les disponibilités du fonds
de réserve peuvent faire l'objet de placements dans des conditions
définies par le ministre chargé de l'Economie et des Finances
après avis du conseil d'administration. Le produit des placements est
affecté au fonds de réserve
".
Aujourd'hui, il appartient donc au Gouvernement de fixer les instruments
financiers à la disposition du fonds de réserve après avis
consultatif du conseil d'administration du FSV.
Cette décision prend la forme d'une simple lettre du ministre de
l'Economie et des Finances adressée au président du conseil
d'administration du FSV.
(2) Des instruments initialement très limités
Le cadre
défini à ce jour permet au fonds de réserve d'effectuer
des opérations d'achats de titres, d'une part, et des opérations
de pensions livrées, d'autre part.
Le 7 décembre 1999, le ministre de l'Economie et des Finances avait
autorisé le fonds à acquérir les valeurs de l'Etat ou
garanties par ce dernier, de même que des titres émis par des
établissements nationaux de maturité résiduelle
inférieure ou égale à deux ans. Etait par ailleurs
autorisée la prise en pension des titres d'Etat garantis par lui ou
d'établissements publics nationaux de maturité inférieure
ou égale à quinze ans.
(3) Des instruments de court terme élargis en juillet 2000
Une
nouvelle lettre en date du 19 juillet 2000 confirme la nature des valeurs
autorisées tout en portant la maturité des achats à
trente ans.
L'évolution du fonds rend de plus en plus inadéquat le
caractère restrictif de cette liste.
Ainsi que le constate la Direction du Trésor dans une note en date du
5 juin 2000 "
les annonces qui seront faites dans les prochaines
semaines concernant les conditions d'attribution des licences de l'UMTS et le
versement de l'essentiel des recettes ainsi perçues au fonds de
réserve ne manqueront pas de relancer ces interrogations (concernant la
gestion du fonds de réserve) alors même que les attentes en
matière d'information sur le fonctionnement futur du fonds et sa
politique d'investissement sont croissantes
".
b) Les contraintes d'une gestion transitoire
(1) L'impossibilité d'un recours à des instruments diversifiés
L'absence de création d'un fonds de réserve
autonome
doté de réels moyens de gestion empêche le recours à
des instruments financiers suffisamment diversifiés pour garantir une
rentabilité optimale des actifs du fonds.
Ainsi, dans la note précitée, la Direction souligne à
juste titre que cette rentabilité optimale suppose une gestion attentive
des risques et des outils d'analyse dont le fonds ne dispose pas :
"
En effet, toute extension du champ de placement à de nouveaux
produits, quand bien même ils présenteraient un risque de
contrepartie faible (obligations foncières, parts
privilégiées de fonds communs de créances,
émetteurs notés AAA par au moins deux agences, etc.),
nécessiterait que le FSV développe des outils d'analyse
crédit et voit ses moyens de gestion renforcés
".
Pour la même raison, la Direction du Trésor exclut tous les autres
supports :
"
Il ne paraît pas non plus souhaitable, pendant la
période transitoire, d'élargir le champ des placements aux
actions. En effet, même s'il est souhaitable que le fonds de
réserve soit investi pour partie en actions à partir de 2001, le
FSV n'a pas développé les compétences techniques
nécessaires à la gestion d'actions
".
(2) L'impossibilité d'engager le fonds sur le long terme
La
création sans cesse repoussée d'un établissement public
introduit en elle-même une difficulté supplémentaire dans
la gestion du fonds.
Dans l'attente d'une création retardée de trois mois en trois
mois, les autorités du FSV ne peuvent exercer la plénitude de
leurs compétences sans engager le fonds de réserve sur une plus
longue période, et donc sans obérer les marges de manoeuvre des
autorités nouvelles qui auront en charge le fonds, et sans engendrer des
coûts d'ajustement en cas de modification des orientations du fonds.
Cet inconvénient ne serait pas à déplorer si le
Gouvernement n'avait de cesse de faire des annonces qu'il ne tient pas...
(3) Le fonds de réserve assujetti à l'impôt sur les sociétés
L'absence de création porte sur un autre
problème.
A l'instar d'autres personnes morales de droit public (collectivités
locales, établissements publics), donc du FSV dont il fait juridiquement
partie, le fonds de réserve des retraites est soumis à
l'impôt sur les sociétés, pour les opérations
financières qu'il réalise.
Soulevée par le FSV, cette question est parfaitement connue du
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, qui rappelle, le 9 mai
2000, que
" les placements sont soumis à
prélèvement fiscal selon les mêmes règles que la
première section du FSV (taux minorés de 10 % et 24 %
d'impôt sur les sociétés) "
et concède que
" ce pourcentage élevé risque de priver le fonds de
sommes importantes à mesure que le montant des placements
s'accroît ".
En effet, la mission même du fonds de réserve (à la
différence du FSV) est d'accumuler des produits financiers
eux-mêmes générant des intérêts.
Ainsi, en 1999, le fonds de réserve a réalisé
7 millions de francs de produits financiers et doit donc, à ce
titre, au Trésor public 700.000 francs d'imposition.
Ce montant modeste est allègrement dépassé en 2000 puisque
les actifs du fonds ont généré près de
200 millions de produits financiers, et, à ce titre, le fonds a
acquitté 20 millions de francs d'impôt sur les
sociétés.
En l'état du droit, le fonds de réserve, dont les produits
financiers s'élèveraient en prévision dans la loi de
financement pour 2001 à 1,4 milliard de francs, acquitterait
140 millions de francs d'impôt sur les sociétés.
A l'extrême, le fonds qui est appelé, d'après le plan de
financement du Premier ministre, à générer
330 milliards de francs de produits financiers sur la période
2000-2020 devrait, au titre de l'impôt sur les sociétés,
plus de 30 milliards de francs. Ainsi, aujourd'hui, les
1.000 milliards de francs s'entendent -précision de taille-
" avant impôt "
!
Imposition des produits financiers du fonds de réserve
en millions de francs
|
Produits financiers |
Imposition |
1999 |
7 |
0,700 |
2000 |
200 |
20 |
2001 |
1,4 |
140 |
TOTAL 1999/2001 |
1.607 |
160,7 |
Source : commission des Affaires sociales
Ce
constat affligeant renforce la nécessité de la création
d'une structure juridique distincte du FSV et exonérée
d'impôt sur les sociétés.
Par le refus de créer un établissement public, le Gouvernement
confine le fonds de réserve, dont l'horizon est supérieur
à vingt ans, dans des placements à court terme, inférieurs
à deux ans.
Cet immense paradoxe constitue la négation même d'un fonds de
réserve ainsi que le souligne la Direction du Budget dans une note en
date du 1
er
décembre 1999 :
" du strict
point de vue financier le choix de l'horizon de placement influe sur le type de
placement choisi. La diversité des placements des réserves
accumulées dans le fonds de réserve des retraites sera d'autant
plus grande, et donc le rendement espéré plus
élevé, que l'horizon de placement sera long et connu par avance
par les gestionnaires du fonds de réserve des retraites ".
2. Des résultats pour l'instant préservés par la compétence des services du fonds et surtout par une situation financière atypique
a) La Direction du FSV : le souci de préserver le fonds de réserve
Malgré les contraintes qui s'imposaient à elle, la Direction du FSV est parvenue à préserver la gestion du fonds de réserve.
(1) Maintenir le rendement des actifs sans engager le fonds à long terme
Dans le souci évoqué plus haut de ne pas obérer les marges de manoeuvre de l'hypothétique établissement public, le FSV va placer la totalité des sommes du fonds sur un horizon de deux ans maximum.
Répartition des actifs du fonds de réserve au 15 février 2001
en millions de francs
|
31/12/1999 |
31/12/2000 |
au 15/02/2001 |
PENSIONS |
2.007 |
6.408 |
1.068 |
ACHATS ( en valeur d'achat ) |
|
|
|
BTAN 12/03/01 |
|
2.057 |
2.057 |
BTAN 12/07/01 |
|
5.497 |
6.690 |
BTAN 12/10/01 |
|
4.364 |
6.606 |
BTAN 12/01/02 |
|
2.409 |
3.247 |
BTF 08/03/01 |
|
|
651 |
BTF 29/03/01 |
|
|
649 |
TOTAL |
2.007 |
20.735 |
20.968 |
Source : FSV
Cette concentration des placements du fonds à court terme se heurtera
néanmoins à certaines limites.
En effet, la Direction du FSV souhaite instamment que la gestion du fonds de
réserve ne soit pas la cause de perturbations sur les marchés
monétaires et obligataires.
(2) Préserver la neutralité du fonds
Ainsi,
les volumes quotidiens des achats ont été limités (entre
50 et 100 millions d'euros sur un même titre) de manière
à n'interférer en aucune mesure sur la courbe des taux et sur la
liquidité du marché.
Les dirigeants du fonds ont fait part de cette intention
80(
*
)
:
"
S'agissant des achats, compte tenu de l'importance des sommes
à investir et compte tenu des conditions de maturité
fixées (deux ans maximum pour l'exercice 2000), le fonds a fait
porter ses choix sur toute la gamme des valeurs d'Etat de zéro à
deux ans. Le volume et la liquidité de ces valeurs sont beaucoup
plus élevés que pour ceux des titres garantis par l'Etat ou
titres émis par les établissements publics
".
Mais là encore, une telle politique a une limite que ces dirigeants
admettent très volontiers. 1.000 milliards de francs ne sont pas
manipulables sur le court terme et
le fonds détient
déjà 5 % de la dette de l'Etat sur certains titres...
Cette gestion corsetée ne peut perdurer sauf à risquer des
contre-performances financières ainsi que des interférences
déséquilibrantes sur les marchés financiers.
(3) Le choix de la concurrence
Pour
réaliser ces placements, les gestionnaires du fonds de réserve
ont choisi de ne favoriser aucun acteur financier.
Aussi, recourent-ils à l'ensemble des acteurs dont le savoir-faire est
reconnu sur la place de Paris, tant pour les prises en pension que pour les
achats de titre.
Achats
par banque de BTF au 15/02/2001
Source FSV
Achats par banque de BTAN au 15/02/2001
Source FSV
Il est hautement souhaitable que le caractère concurrentiel de la gestion du fonds soit préservé 81( * ) .
b) Des résultats préservés à court terme par une situation atypique des marchés monétaires et obligataires
L'élargissement de la maturité des titres auquel
le
fonds est autorisé à recourir depuis juillet 2000 pouvait
contribuer à desserrer légèrement cette contrainte
même si les incertitudes pesant sur le statut du fonds ne rendaient pas
optimal le recours à ces titres, d'autant que le FSV n'est pas
autorisé à procéder à la vente de titres avant leur
terme.
Le conseil d'administration du FSV
82(
*
)
a donc de lui-même
souhaité limiter les achats du premier semestre 2001 à des titres
de maturité résiduelle inférieure à trois ans.
Du fait de la situation actuelle des marchés monétaires et
obligataires, ce recours systématique au court terme n'a pas
été pénalisant.
En effet, la courbe des taux financiers est aujourd'hui plate,
c'est-à-dire que les marchés financiers n'accordent aucune prime
de blocage.
Dans ces conditions où le court terme est aussi bien
rémunéré que le long terme, le fonds de réserve
place ses liquidités à un taux d'intérêt d'environ
5 %.
Mais, comme l'indiquent les deux courbes des taux présentées
ci-après, une telle gestion aurait, l'année dernière,
engendré un manque à gagner entre 1,5 à 2,5 points,
les taux longs étant alors supérieurs aux taux courts (6 contre
3,2 à 4,4).
Comparaison des courbes des taux 2000 et 2001
Mais une
telle situation, due probablement à une anticipation d'une baisse des
taux par la Banque centrale européenne, ne devrait normalement pas
perdurer.
Les outils à disposition du fonds doivent donc de toute manière
être élargis, et l'horizon de ce dernier dégagé.
B. LE DANGER DES OBJECTIFS INTERMÉDIAIRES
Mettre
en place un instrument chargé de faire face à une
échéance qui se situe à l'horizon 2020 implique une
vigilance extrême quant au risque de détournement qui peuvent
surgir à tout moment avant cette échéance.
Le risque est naturellement d'autant plus grand que le fonds de réserve
n'est pas constitué en une
entité autonome doté d'une
mission univoque.
Si le fonds se voit imposer des objectifs intermédiaires -notamment
quant à la nature de ses placements et aux modalités de sa
gestion-, il y a fort à parier qu'il ne sera pas à même de
remplir son objectif final : garantir la pérennité de nos
régimes de retraite par répartition.
De ce point de vue, l'expérience des toutes premières
années du fonds de réserve permet déjà de mesurer
la nature des risques encourus.
1. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité : assurer à court terme le financement des trente-cinq heures
La
Commission des comptes de la sécurité sociale et
l'annexe
f
de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001 prévoyaient un
versement en 2000 de
2,9 milliards de francs, à titre d'acompte sur l'excédent
prévisionnel de la CNAVTS pour son exercice 2000.
Interrogée sur ce point, la Direction du FSV indiquait qu'au
15 février 2001, ce versement n'avait pas été mis en
oeuvre.
Ainsi que l'explique une note de la Direction de la Sécurité
sociale en date du 15 mai 2000, le
" reversement de la CNAVTS en fin
d'année
(est)
à articuler avec le dossier de financement
du FOREC (partage en trésorerie jusqu'en décembre 2000 des
exonérations de cotisations non financées)
".
Cette position est éclairée le 23 novembre 2000 par une note
de la Direction de la Sécurité sociale qui propose de faire
effectuer les deux versements dus au titre de l'excédent de la CNAVTS
sous réserve qu'un acompte de CSG soit encaissé car
"
à défaut, l'ACOSS dépasserait en l'état
de sa prévision le plafond de 20 milliards de francs et
approcherait le seuil de 29 milliards de francs qui constitue en
l'état actuel des textes le plafond de recours à
l'emprunt
".
Comme le démontre son profil de trésorerie, l'ACOSS
83(
*
)
est en situation tendue en fin
d'année.
Souligné par notre collègue, Charles Descours dans son
rapport
84(
*
)
, la
non-création du FOREC a aussi pour conséquence de laisser
à l'ACOSS la charge de trésorerie des trente-cinq heures.
Ce financement des trente-cinq heures pesant sur la trésorerie de
celle-ci, et en fin d'année lui faisant approcher le découvert
maximal autorisé par la loi, " l'articulation " entre
financement du fonds de réserve et des trente-cinq heures n'a pu
être réalisée.
L'avance de 2,9 milliards de francs devrait être reportée
sur l'excédent CNAVTS 2000 constaté et versé fin 2001.
Mais ce retard de versement entraîne une perte d'une année de
produits financiers.
De telles considérations expliquent peut-être la volonté du
ministère de l'Emploi et de la Solidarité de ne pas faire toute
la transparence nécessaire en créant un établissement
public et d'exclure les partenaires sociaux, révélée par
une note de la Direction du Trésor en date du 28 novembre 2000 :
" Les débats du projet de loi de financement de la
sécurité sociale 2001 à l'Assemblée nationale et au
Sénat ont mis en évidence une forte demande pour la
création d'un établissement public ad hoc pour le fonds de
réserve des retraites. Les parlementaires partagent également le
souci d'une association des partenaires sociaux au dispositif. Sur ce dernier
point, les discussions avec les services du ministère de l'Emploi et de
la Solidarité ont jusqu'à présent montré une
divergence sur l'objectif : le ministre de l'Emploi et de la
Solidarité semble souhaiter en effet limiter au maximum l'implication
des partenaires sociaux ".
2. Le ministère des Finances et l'optimisation de la dette de l'Etat
a) Un problème de financement
Par une
note en date du 5 juin 2000
85(
*
)
, la Direction du Trésor
appelle l'attention du ministre sur les conséquences de la politique
budgétaire et fiscale du Gouvernement pour l'attractivité de la
dette française.
"
La dette publique française apparaît actuellement en
perte de vitesse sur les marchés du fait des initiatives prises ou
annoncées outre-Rhin (réforme fiscale, discipline
budgétaire en faveur de la réduction des déficits, mise
aux enchères des licences UMTS et rachats de dette) en faveur du
marché des Bund, qui donnent le sentiment au marché -notamment
dans le monde anglo-saxon- qu'un véritable " cercle vertueux "
de la dette s'est enclenché en Allemagne, sans équivalent en
France
".
Et d'ajouter :
"
Le spread
86(
*
)
France-Allemagne s'est
élargi sur l'ensemble de la courbe de plusieurs points de base depuis le
début du mois de mai ; ce mouvement s'est
accéléré ces derniers jours sur les titres à
dix ans et, fait sans précédent dans la période
récente, un spread en notre défaveur est apparu sur le
cinq ans avec l'Allemagne ainsi que sur les dix ans avec les
Pays-Bas
".
b) Le fonds de réserve peut-il servir un objectif intermédiaire ?
Devant
cette dégradation des conditions du financement de l'Etat
français, la Direction du Trésor recommande une annonce sur la
réduction du programme de financement et le lancement d'un programme de
rachat de dette.
Ainsi que le suggère la Direction du Trésor "
cette
annonce pourrait utilement être mise en relation avec l'annonce des
décisions du Gouvernement quant à l'utilisation des recettes
tirées de l'attribution des licences UMTS
".
Les difficultés rencontrées par l'Etat dans les conditions de son
financement trouvaient une réponse partielle dans le fonds de
réserve des retraites. La Direction du Trésor, proposant des
modifications de l'horizon des outils financiers mis à la disposition du
fonds de réserve
87(
*
)
prétend que sa
recommandation "
devrait contribuer à accroître la demande
pour les titres français et resserrer ainsi l'écart de taux entre
les titres français et allemands dont l'évolution récente
est particulièrement préoccupante
.
Et cette Direction d'ajouter "
En outre, dès lors qu'elles
seront investies en titres publics, les sommes placées dans le fonds de
réserve des retraites viendront réduire la dette publique brute
au sens de la comptabilité nationale
".
Personne ne saurait naturellement rester indifférent aux
impératifs d'une bonne gestion de la dette publique mais cette
préoccupation ne doit pas interférer avec la mission du fonds de
réserve sauf à dériver progressivement vers d'autres
préoccupations tout aussi estimables que pourraient être, par
exemple, l'aménagement du territoire ou le soutien de l'emploi.
De fait, la Direction du Trésor se montre réservée quand
il s'agit d'orienter le placement du fonds de réserver vers des
"
placements éthiques ou socialement responsables
".
Le
danger des objectifs intermédiaires :
les placements
éthiques ou socialement responsables
Le
27 septembre 2000, dans sa séance consacrée au fonds de
réserve, le Conseil d'orientation des retraites ne s'est pas
prononcé sur une politique précise de placement des fonds mais
"
certains de ses membres ont cependant insisté sur la
nécessité que soient fixés, en cas de placement en
actions, des critères éthiques, environnementaux ou sociaux
susceptibles de guider les choix
".
Le Conseil a demandé à la Direction du Trésor des
éléments complémentaires sur le recours à ce type
de placement. La Direction du Trésor livre des analyses
éclairantes.
Les investissements " éthiques " ou " socialement
responsables " existent depuis de nombreuses années aux Etats-Unis
mais également au Royaume-Uni, en Suisse et au Canada, et consistent
à intégrer aux décisions d'investissements financiers des
critères sociaux ou environnementaux.
Les règles de sélection demeurent très
hétérogènes, s'appuyant souvent sur les lignes directrices
affichées par des organisations internationales (OCDE, World Bank, OIT)
relatives aux droits de l'Homme, à l'environnement.
Aux Etats-Unis, par exemple, un filtrage est exercé par ces fonds visant
à exclure des secteurs d'activité comme le tabac, l'alcool, les
ventes d'armes et les jeux d'argent.
1/ Un risque financier
La Direction du Trésor fait état des mésaventures du fonds
de réserve du Québec dont la gestion est confiée à
la Caisse de dépôt et placement du Québec :
"
La Caisse de dépôt a le pouvoir d'investir les
réserves dans des placements diversifiés. Cependant, la loi
fixant le montant de la Caisse l'oblige également à contribuer au
développement économique du Québec et aux besoins de
financement du secteur public. Cela a conduit le régime des rentes du
Québec à des investissements qui ont été vivement
critiqués par le passé parce que semblant répondre
à des pressions politiques. Ces investissements ont par la suite
entraîné des pertes élevées pour le fonds de
réserve du Québec
".
La Direction du Trésor conclut ainsi "
il apparaît qu'un
double objectif pour le fonds de réserve peut être source de
problèmes importants
".
2/ Un surcoût de gestion
Il est en outre noté que "
l'éventuel placement d'une
partie des actifs du fonds dans des investissements socialement responsables
pourrait entraîner un coût supplémentaire de
gestion
".
C. UNE GESTION INOPÉRANTE EN L'ABSENCE DE TOUTE RÉFORME DES RÉGIMES DE RETRAITE
Le
constat fait par le
ministère des Finances
dans une note commune
aux directions du Budget, de la Prévision et du Trésor en date du
10 mai 2000, est sans équivoque.
" Parce qu'il permet d'anticiper les ajustements et de les
étaler dans le temps, le fonds est un instrument au service de la
consolidation des régimes de retraite. Mais compte tenu de sa date de
mise en place, il ne peut par lui-même régler aucune des
difficultés que vont devoir affronter les régimes de retraite. Il
ne doit donc pas être perçu comme une solution permettant aux
régimes de passer le cap des premières décennies en
faisant l'économie des nécessaires mesures de consolidation, mais
au contraire comme un levier pour accroître l'incitation à la
réforme et son efficacité. "
Cette nécessité de réformer les retraites n'est pas la
seule obligation d'équilibrer les régimes de retraite ;
optimiser la gestion du fonds suppose que les modalités de cette
réforme soient connues.
1. En l'absence de réforme, l'horizon de gestion du fonds est calé sur 2019-2020
Comme le
souligne le FSV
88(
*
)
,
" les recettes et dépenses du fonds de réserve sont
fixées par des dispositions d'origine législative. Or, si
à ce jour les premières ont bien été
précisées, il n'en va pas de même pour les secondes qui
n'ont fait l'objet d'aucune disposition particulière, et rien ne permet
en conséquence d'estimer les emplois futurs du fonds de réserve.
" En l'attente, un travail en cours d'optimisation à moyen terme du
portefeuille est actuellement réalisé en supposant qu'aucun
décaissement ne serait effectué jusqu'en 2019,
conformément à la déclaration faite par le Premier
ministre en mars 2000 et au projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001, dans sa version initiale
présentée au Conseil d'administration des caisses nationales de
sécurité sociale, avant son examen par le Conseil
d'Etat. "
Fonder la gestion du fonds sur ce seul objectif temporel suppose de rendre
disponible la totalité des fonds pour 2019 ou 2020.
Or, dans l'optique énoncée par le Gouvernement d'un objectif de
" lissage " des déficits entre 2020 et 2040, le fonds de
réserve devrait raisonnablement être conduit à rendre
disponible seulement une petite fraction de ces fonds en 2020 ou 2021.
Ainsi, le reste des fonds doit pouvoir faire l'objet d'une optimisation
à plus long terme, car plus la durée de placement est
étendue, plus les risques encourus sont faibles et la rentabilité
espérée est élevée.
Ceci est d'autant plus vrai que le fonds est vraisemblablement appelé
à convertir une partie de ses ressources en actions, support à la
plus forte rentabilité et dont la volatilité peut être
compensée par la durée sur laquelle ces investissements seront
réalisés. Mais pour recourir à de tels supports, le rythme
du décaissement et donc la réforme des retraites doivent
être connus.
Comme l'indique le ministère des Finances "
En dépit de
la volatilité de leur rendement, les actions devront constituer une part
significative de l'investissement du fonds de réserve des retraites.
Cette part devra être déterminée au vu de la chronologie et
de l'ampleur des décaissements anticipés
".
Or, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, interrogée sur
ce point
89(
*
)
, n'a pas
semblé, dans sa réponse, accorder toute l'importance
nécessaire à cette question : "
Le Gouvernement
ayant pris l'engagement que les montants mis en réserve dans le cadre du
fonds demeureront indisponibles jusqu'en 2020, le fonds de réserve est
destiné à être un fonds de lissage pour lisser les besoins
de financement prévisibles après 2020.
L'évolution des
réserves dépendra du rythme et des critères de
décaissement des réserves, sur lesquels il serait
prématuré de statuer ".
2. Un fonds de réserve cantonné au rôle de " tirelire "
Les
dispositions actuelles n'attribuent au fonds de réserve aucun passif
identifié comme tel. Toutefois, le FSV dispose de simulations permettant
de calculer, selon la méthode d'optimisation des moindres carrés,
d'une part, la cotisation d'équilibre, d'autre part, le montant du fonds
de réserve nécessaire au financement de l'assurance vieillesse du
régime général de sécurité sociale à
l'horizon d'équilibre.
Cependant, le FSV
90(
*
)
convient lui-même que :
" de telles simulations
présentent un intérêt limité en l'absence de
connaissances précises sur les modalités de mise en oeuvre de la
réforme des retraites et l'évolution des dépenses
correspondantes. En effet, l'accumulation des actifs au sein du
fonds de
réserve et les décaissements futurs seront vraisemblablement
liés aux besoins des régimes.
En l'absence de réforme des régimes de retraite et des
règles de décaissement du fonds, les gestionnaires du fonds de
réserve ne savent en réalité ni le montant des
déficits que celui-ci a vocation à combler, ni les dates
d'intervention des versements, ni les régimes concernés
-même s'il ne semble pas crédible d'écarter tel ou tel
régime de base
91(
*
)
. "
Fondé sur des hypothèses aussi frustres, le fonds de
réserve ne saurait être comparé aux fonds dont certains
pays industrialisés se sont dotés.
Créé à la va-vite, constituant une simple ligne
budgétaire d'un autre fonds, abondé en fonction des aléas
budgétaires et politiques, géré à court terme dans
l'absence de toute visibilité, le fonds de réserve n'est autre
qu'une tirelire où le Gouvernement a amassé les quelques fruits
de la croissance qu'il n'a pas consommés.
Construire un fonds de réserve sur lequel appuyer les régimes de
retraite par répartition relève d'une autre ambition, celle de
réellement s'attaquer aux réformes susceptibles de garantir,
demain, les retraites des Français.