Fonds de réserve pour les retraites
Alain VASSELLE
Rapport d'information fait au nom de la commission des Affaires sociales
Rapport au format Acrobat ( 243 Ko )Table des matières
-
AVANT-PROPOS
- I. UNE TRANSPARENCE NÉCESSAIRE
-
II. LA CONSTRUCTION SUR DES HYPOTHÈSES
AMBIGUËS
-
A. DES HYPOTHÈSES MACRO-ÉCONOMIQUES À
VOCATION PÉDAGOGIQUE
- 1. Des hypothèses optimistes...
- 2. ... dont la finalité est de démontrer aux partenaires sociaux que le retour de la croissance ne résoudra pas seul la question des retraites
- 3. Une volonté de pédagogie qui se contredit et aboutit à afficher que le fonds de réserve résout à lui seul la moitié du problème des retraites
- B. DES HYPOTHÈSES QUI LAISSENT DE CÔTÉ LA MOITIÉ DE LA QUESTION DES RETRAITES
- C. DES HYPOTHÈSES QUI SUPPOSENT UNE DÉGRADATION DU NIVEAU DE VIE DES PERSONNES ÂGÉES
-
A. DES HYPOTHÈSES MACRO-ÉCONOMIQUES À
VOCATION PÉDAGOGIQUE
-
III. LE FINANCEMENT EXSANGUE
- A. LE RETARD DANS LE PLAN DE FINANCEMENT : LES ENGAGEMENTS NON TENUS
- B. LES RESSOURCES DU FSV PONCTIONNÉES
- C. LES EXCÉDENTS DE LA CNAVTS ENTAMÉS
- D. LES RESSOURCES ALTERNATIVES INCERTAINES
- E. UNE ORGANISATION JURIDIQUE QUI FAIT PESER DES INCERTITUDES SUR LES PRODUITS FINANCIERS
- F. LE REVERS DU FONDS DE RÉSERVE : LA CONSTITUTION SIMULTANÉE D'UN DÉFICIT DE MÊME TAILLE
-
IV. UNE GESTION INADAPTÉE
-
A. UNE GESTION CONFINÉE DANS LE PROVISOIRE
- 1. Le fonds de réserve : la gestion sous contrainte
- 2. Des résultats pour l'instant préservés par la compétence des services du fonds et surtout par une situation financière atypique
- B. LE DANGER DES OBJECTIFS INTERMÉDIAIRES
- C. UNE GESTION INOPÉRANTE EN L'ABSENCE DE TOUTE RÉFORME DES RÉGIMES DE RETRAITE
-
A. UNE GESTION CONFINÉE DANS LE PROVISOIRE
- CONCLUSION
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
" Mon père avait retenu quelques
" meubles " : une commode, deux tables, et plusieurs fagots de
morceaux de bois poli qui, selon le brocanteur, devaient permettre de
reconstituer six chaises. Il y avait aussi un petit canapé qui perdait
ses entrailles comme un cheval de toréador, trois sommiers
crevés, des paillasses à moitié vides, un bahut qui
n'avait plus ses étagères, une gargoulette qui
représentait assez schématiquement un coq et divers ustensiles de
ménage que la rouille appareillait.
" Puis on fit les comptes. Après une sorte de méditation, le
brocanteur regarda fixement mon père et dit :
" - ça fait cinquante francs ! "
Marcel Pagnol, La gloire de mon père
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le 21 mars 2000, le Premier ministre dévoilait les projets du
Gouvernement sur la question des retraites.
A cette occasion, il rappelait à l'attention de l'opinion publique le
fonds de réserve des retraites créé deux ans auparavant et
désormais voué, dans l'attente d'une réforme remise
à plus tard, à jouer un rôle éminent, voire
exclusif, pour garantir l'avenir des retraites par répartition.
Pour crédibiliser un fonds qui, ne disposant que de 2 milliards de
francs, demeurait très largement à l'état conceptuel, le
Premier ministre se livra à une longue description des ressources
pressenties pour l'abonder : excédents de la CNAVTS,
excédents du FSV, excédents de C3S, produit de la taxe de
2 % sur les revenus du capital, don de la Caisse des dépôts
et consignations, parts sociales des caisses d'épargne, etc.
L'addition de cette longue énumération aboutit à un
chiffre rond et très symbolique : mille milliards de francs.
Nombreux furent ceux qui, trouvant les ressources envisagées trop
hétéroclites, doutèrent de l'évaluation,
c'est-à-dire de l'aptitude du fonds de réserve à
rassembler d'ici 2020 les mille milliards de francs annoncés.
Pour sa part, le Conseil d'Orientation des retraites jugea, le
27 septembre 2000, les ressources actuelles d'alimentation du fonds de
réserve "
incertaines et trop aléatoires
".
De telles critiques ne désarmèrent pas le Gouvernement qui opta
pour la tactique du brocanteur de Marcel Pagnol : sans rabattre sur les
mille milliards de francs, il compléta la liste des recettes avec le
produit de la vente des licences UMTS.
La bouffée d'oxygène que devait apporter au fonds de
réserve le produit de licences UMTS s'est toutefois brutalement
raréfiée, deux candidats, seulement, au lieu des quatre attendus,
ayant participé aux attributions.
Mais infiniment plus grave, depuis mars 2000, date de la déclaration du
Premier ministre, la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001 puis les récentes annonces sur les modalités de
financement de la future allocation personnalisée à l'autonomie
(APA) ont bouleversé le plan de financement du fonds de réserve.
Aussi, votre commission des Affaires sociales a-t-elle décidé,
dans le cadre de ses investigations sur les fonds sociaux, d'analyser la
situation actuelle et les perspectives du fonds de réserve.
Chargé de cette mission, votre rapporteur a opéré selon
l'usage par voie de questionnaires adressés au Gouvernement et au Fonds
de solidarité vieillesse mais également, en vertu des
prérogatives dont disposent les rapporteurs des lois de financement de
la sécurité sociale, au moyen d'un contrôle "
sur
pièces et sur place
" tant au ministère de l'Emploi et
de la Solidarité qu'au ministère de l'Economie et des Finances.
Les éléments recueillis à cette occasion sont apparus
à votre rapporteur suffisamment importants et inquiétants quant
aux perspectives financières du fonds de réserve, qu'il a tenu
à en saisir sans délai Mme Yannick Moreau, présidente
du Conseil d'Orientation des Retraites (COR), instance dans laquelle il a
l'honneur, avec deux autres collègues, de représenter le
Sénat.
Par une note en dix points, votre rapporteur a ainsi souhaité que les
membres de ce Conseil soient pleinement informés afin qu'un débat
s'engage sans retard au sein de cette instance qui associe les partenaires
sociaux à la réflexion sur l'avenir des retraites.
Le Gouvernement, par l'intermédiaire de Mme Ségolène
Royal
1(
*
)
a fait grief à votre rapporteur
de
" faire état d'un rapport qui n'a pas été
encore communiqué au Gouvernement
" .
De fait, votre rapporteur n'avait pas cru devoir transmettre au Gouvernement
copie des correspondances qu'il adresse à la présidente du
Conseil d'orientation des retraites au sein duquel siègent au demeurant
quatre représentants de l'Etat.
Le présent rapport, adopté par la commission des Affaires
sociales, pouvant désormais lui être adressé, il appartient
au Gouvernement d'y "
répondre point par point
" selon
le souhait formulé par la ministre déléguée
à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes handicapées.
I. UNE TRANSPARENCE NÉCESSAIRE
" Dans un contexte très particulier,
marqué
par l'affaire dite de la " cagnotte ", votre rapporteur
général s'était rendu, en février 2000, à
l'Agence comptable centrale du trésor (ACCT), afin notamment de
contrôler les opérations effectuées au cours de la
période complémentaire. Cette année, il a souhaité
renouveler cet exercice d'examen des opérations de fin d'exercice et a
procédé à cet effet à une visite de l'agence
précitée, le 6 février dernier.
" Ce type de démarche mérite, en effet, d'être
régulièrement renouvelé, tant il est vrai
qu'au-delà des nécessaires réformes des textes, en cours
s'agissant de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, la
réalité de l'exercice du pouvoir budgétaire du Parlement
ne pourra s'enraciner qu'à la condition que les parlementaires
eux-mêmes fassent un usage régulier des prérogatives qui
leur sont reconnues. "
Si votre commission des Affaires sociales avait eu la moindre hésitation
à faire usage des prérogatives qui sont les siennes, les
considérations, en forme d'invitation, du rapporteur
général de la commission des Finances de l'Assemblée
nationale auraient levé ses dernières réticences.
A. DÉMARCHE INITIALE : L'ENVOI DES QUESTIONNAIRES
Lors de
sa séance du 30 janvier 2001, la commission des Affaires sociales a
annoncé que, dans le cadre des activités de contrôle de
l'application de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001, les trois rapporteurs de cette loi (équilibres
généraux et assurance maladie, assurance vieillesse, famille)
consacreraient leurs investigations en priorité aux " fonds
sociaux ".
Aussi une série de questionnaires relatif au fonds de réserve des
retraites fut établi et adressé à la ministre de l'Emploi
et de la Solidarité ainsi qu'au fonds de solidarité vieillesse
(FSV).
1. Questionnaire à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité
Le
5 février 2001, un questionnaire de 44 questions fut
adressé à la Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et
de la Solidarité. Jusqu'à cette date, hormis l'hypothèse
énoncée par le Premier ministre le 21 mars 2000 que la somme
de mille milliards de francs serait atteinte en 2020, les tenants et les
aboutissants du fonds de réserve restaient obscurs.
Ces interrogations restées jusque-là sans réponse
justifiaient l'envoi d'un questionnaire abordant les thèmes
suivants :
- l'évaluation des déficits des régimes de retraite
à couvrir entre 2020 et 2040 ;
- la prise en compte ou non des régimes publics ou
spéciaux ;
- l'évaluation détaillée des ressources du fonds de
réserve d'ici 2020 ;
- le traitement des déficits des régimes de retraite
antérieurs à 2020 ;
- le fonctionnement du fonds de réserve à compter de 2020.
Ces questions, par leur nombre et leur variété, avaient vocation
à couvrir l'ensemble des interrogations que suscite le fonds de
réserve.
Les réponses de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité en
date du 8 mars 2001, qui sont jointes en annexe au présent rapport,
n'ont pas été en mesure d'éclairer véritablement
les enjeux du fonds de réserve que seules les notes remises par les
administrations et les réponses apportées par le fonds de
solidarité vieillesse ont pu, en définitive, clarifier.
2. Démarche auprès du FSV
Conformément à la démarche qui l'avait
conduit
l'année dernière, lors du contrôle de l'exécution de
la loi de financement pour 2000, à s'adresser aux organismes
gestionnaires des différentes branches de la sécurité
sociale
2(
*
)
, votre rapporteur s'est tourné
vers le fonds de solidarité vieillesse afin que cet organisme, dont
dépend le fonds de réserve, fournisse des éléments
d'information relatifs à la gestion de ce dernier.
Lors de son audition du 22 février 2001, le directeur du FSV a
remis des réponses très détaillées au questionnaire
qui lui avait été adressé.
Ce questionnaire, composé de 21 questions, aborde les aspects de la
gestion du fonds de réserve, tant son actif que son passif ainsi que des
questions relatives à son fonctionnement.
Les réponses apportées par la Direction du Fonds de
solidarité vieillesse ont fait apparaître que des informations
importantes avaient été portées à la connaissance
de son Conseil d'administration lors de sa séance du
14 décembre 2000.
Le président de ce conseil, M. Michel Laroque, fut saisi par un
courrier en date du 2 mars 2001 et a transmis les documents
demandés, notamment ceux faisant état des projections à
long terme du fonds de réserve des retraites.
B. LE CONTRÔLE SUR PIÈCES ET SUR PLACE : UNE MOISSON INÉGALE
Accompagné de M. Charles Descours, rapporteur des
lois
de financement de la sécurité sociale (équilibre
généraux), votre rapporteur s'est rendu le 8 mars 2001 au
ministère de l'Emploi et de la Solidarité puis au
ministère de l'Economie et des finances.
Comme le rapporteur général de la commission des Finances de
l'Assemblée nationale, votre rapporteur considère que le
Parlement doit faire un usage régulier des prérogatives qui sont
les siennes. Dès lors que le recours aux contrôles sur
"
pièces et sur place
" devient habituel, il n'est pas
souhaitable que ces contrôles prennent la forme de " coups de
main " opérés dans les lignes de l'Administration.
Aussi, votre rapporteur avait tenu, par principe et par courtoisie, à
avertir tant les ministres que les directeurs d'administration de son
déplacement sur place et à donner à ces derniers le temps
nécessaire pour préparer une copie des notes et documents ayant
trait au fonds de réserve des retraites.
De même a-t-il considéré que son rôle n'était
pas de s'emparer de notes pour les publier mais de s'appuyer sur elles pour
développer les analyses qui composent le présent rapport.
Il estime, comme le rapporteur général de la commission des
Finances de l'Assemblée nationale que les " services de
l'Etat " sont demandeurs de transparence et, avant cela même,
respectueux des lois de la République qui leur impose une information
complète du Parlement.
Il lui semble spécieux, à ce titre, de prétendre que
l'Administration cessera de produire des notes si elles sait que le Parlement
est susceptible d'en obtenir communication. Des affaires récentes, comme
celle de l'exercice de la tutelle sur le Crédit Lyonnais, montre que
l'Administration doit pouvoir faire preuve, pour s'exonérer de sa propre
responsabilité, de sa diligence et de l'information complète
fournie au ministre.
1. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité refuse de jouer le jeu
Le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, appelé à
remettre les notes de deux directions, la Direction de la
Sécurité sociale (DSS) et la Direction de la recherche des
études économiques et de la statistique (DREES), n'a livré
en tout et pour tout que six notes.
Un courrier adressé le même jour à la ministre de l'Emploi
et de la Solidarité fait état des difficultés
rencontrées.
" En application de l'article 2 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1997, nous nous sommes rendus, ce jour,
à la Direction de la Sécurité sociale pour un
contrôle sur pièces et sur place sur le fonds de réserve
des retraites créé par la loi de financement pour 1999. Nous
avions tenu à vous aviser de ce contrôle par lettre du 2 mars
dernier.
" Les prérogatives que nous avons mises en oeuvre sont clairement
exprimées par la loi dont nous nous permettons de vous rappeler les
termes : " Les membres du Parlement qui ont la charge de
présenter, au nom de la commission compétente, le rapport sur les
projets de loi de financement de la sécurité sociale suivent et
contrôlent, sur pièces et sur place, l'application de ces lois
auprès des administrations de l'Etat et des établissements
publics compétents. Réserve faite des informations couvertes par
le secret médical ou le secret de la défense nationale, tous les
renseignements d'ordre financier et administratif de nature à faciliter
leur mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités
à se faire communiquer tout document de quelque nature que ce
soit. "
" Pourtant, M. Pierre-Louis Bras, Directeur de la Sécurité
sociale, a fait état, lors de ce contrôle, des instructions qu'il
avait reçues de votre part quant à la nature des documents de
service qu'il était habilité à nous communiquer, limitant
ainsi cette communication à six notes, s'échelonnant entre le
19 novembre 1999 et le 23 novembre 2000.
" Ces instructions comportaient trois restrictions qui sont, pour les deux
premières, inacceptables et pour la troisième, inopérante.
" Vous avez, en effet, considéré qu'aucun document
" préparatoire " à une décision du Gouvernement
ne pouvait entrer dans le champ des investigations du Parlement.
" Cette restriction ne repose tout d'abord sur aucune disposition relative
aux prérogatives des rapporteurs des lois de financement. De fait, les
dispositions précitées ne réservent que le cas des
informations couvertes par le secret médical et le secret de la
défense nationale.
" Nous aurions été prêts à prendre en
considération ce point de vue si le fonds de réserve des
retraites avait relevé d'un projet envisagé confidentiellement
par le Gouvernement. Or, comme il a été rappelé, ce fonds
de réserve a été créé par la loi de
financement pour 1999 et développé par les lois de financement
pour 2000 et 2001.
" Faut-il rappeler en outre que le rapport annexé à
l'article premier de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001, tel qu'approuvé et amendé par le Parlement,
dispose : " au total, le fonds de réserve devrait disposer
d'environ 1.000 milliards de francs en 2020 (...). Cette somme correspond
à la moitié des déficits prévisionnels des
régimes de retraite entre 2020 et 2040. "
" Il ne s'agit donc pas de révéler les mesures que le
Gouvernement compte prendre mais de savoir si les mesures qu'il a prises,
s'agissant notamment des ponctions réalisées sur le FSV, dont les
excédents alimentent le fonds de réserve, les difficultés
rencontrées par exemple quant à la vente des licences UMTS ou
encore les projections dont dispose l'administration sont en cohérence
avec l'objectif proposé au Parlement.
" C'est à ce titre que le Parlement a approuvé le fonds de
réserve et il est légitime qu'il puisse connaître les
fondements de cet objectif et savoir si le plan de marche prévu est
à même d'être respecté.
" En réalité, prétendre faire échapper au
contrôle parlementaire, tout dossier ou organisme susceptible de faire
l'objet d'une décision future du Gouvernement, reviendrait à
cantonner cette procédure à des dossiers définitivement
clos (les abattoirs de la Villette, par exemple), transformant ainsi en
" archéologues " les rapporteurs de la commission des Affaires
sociales qui sont pourtant chargés d'éclairer sur des choix
l'assemblée qui les désigne.
" Cette première restriction est donc inacceptable.
" Vous avez considéré, en second lieu, que tout document de
service comportant des " appréciations personnelles "
échappait également aux investigations des rapporteurs. Cette
restriction nous apparaît surprenante.
" S'il s'agit de l'appréciation que porte l'Administration sur tel
problème, telle urgence, s'il s'agit pour elle d'inventorier les
solutions possibles au vu des données objectives qu'elle est
chargée de rassembler, ces notes entrent pleinement dans le
périmètre visé par l'article 2 de la loi de financement
pour 1997.
" S'il s'agit en revanche de considérations strictement politiques,
ou d'appréciations " personnelles " propres au
rédacteur, cela pose le problème d'une confusion entre le
rôle du Cabinet et celui de l'Administration. Cette situation,
fâcheuse d'un point de vue institutionnel, ne saurait être en tout
état de cause, utilisée pour s'opposer à l'exercice par le
Parlement de ses prérogatives.
" Enfin, vous avez considéré que le champ des investigations
des rapporteurs se limitait à l'application des lois de financement de
la sécurité sociale. Nous partageons parfaitement ce point de
vue : le fonds de réserve des retraites figurant dans les lois de
financement de la sécurité sociale pour 1999, 2000 et 2001, notre
mission se situe pleinement dans le cadre du " suivi et du contrôle
sur pièces et sur place de l'application des lois de financement ".
" Toujours sur instructions, M. Pierre-Louis Bras, Directeur de la
Sécurité sociale, a en outre refusé de nous communiquer la
liste chronologique des documents émis par sa Direction. De sorte que,
non seulement, le Gouvernement avance une interprétation inacceptable
des prérogatives du Parlement mais entend également être le
seul juge de l'application qu'il fait de ces restrictions.
" Nous observons en outre que les réponses écrites au
questionnaire que nous vous avons adressé le 1
er
janvier
2001, établi sur la base des mêmes prérogatives, a
reçu une réponse de votre part montrant que le Gouvernement
accepte de communiquer au Parlement les informations auxquelles ce dernier a
droit, à condition toutefois d'en sélectionner la teneur.
" Cette attitude tranche singulièrement avec le discours tenu par
le Gouvernement à l'occasion de la réforme de la loi organique
relative aux lois de finances, dans lequel tient une place de choix le souci
d'une parfaite transparence et d'un renforcement des prérogatives de
contrôle du Parlement.
" Aussi, nous vous demandons de reconsidérer les instructions que
vous avez adressées à M. le Directeur de la
Sécurité sociale qui ne sont pas fondées en droit et qui
traduisent aujourd'hui un double langage de la part du Gouvernement ".
Cette lettre n'a pas reçu de réponse à ce jour.
En revanche, interrogée le 29 mars 2001,
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée
à la Famille, à l'Enfance et aux Handicapés,
déclarait
3(
*
)
: "
Vous
prétendez que le ministère de l'Emploi et de la Solidarité
n'a pas fait diligence pour vous ouvrir ses dossiers contrairement au
ministère des Finances. Le ministère de l'Emploi et de la
Solidarité ne dispose peut être pas de tous les moyens techniques
dont bénéficie le ministère des Finances (...).
Sachez toutefois que Mme Guigou avait donné des instructions
très claires pour que tous les documents vous soient
communiqués
".
Le premier argument, tenant à l'insuffisance des moyens techniques de la
Direction de la Sécurité sociale, est peu contestable mais
totalement inopérant dans le cas d'espèce sauf si cette
référence à l'insuffisance des " moyens
techniques " vise la photocopieuse du service : votre rapporteur ne
demandait en effet que les copies de notes existantes.
L'affirmation de l'existence d'"
instructions très
claires
" données par la ministre de l'Emploi et de la
Solidarité constitue en revanche une très grave accusation
contre le directeur de la Sécurité Sociales, qui aurait trahi les
instructions expresses de son ministre, et tenté de faire obstruction
à l'exercice par le Parlement de ses prérogatives, accusations
dont on comprend mal qu'elles soient restée sans sanction...
Votre rapporteur n'est en réalité pas dupe de ce double langage.
Il déplore d'avoir dû se livrer à un travail fastidieux de
reconstitution des notes manquantes du ministère de l'Emploi et de la
Solidarité au travers des notes communiquées par le
ministère de l'Economie et des Finances qui, pour sa part, a choisi la
transparence.
2. Le choix de la transparence par le ministère de l'Economie et des Finances.
Le
nombre et la qualité des documents remis par le ministère de
l'Economie et des Finances ont permis à votre rapporteur de pallier les
défaillances du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Sollicités, les directeurs du Budget, du Trésor et de la
Prévision ont chacun communiqués les notes rédigées
par leurs services sur le fonds de réserve des retraites.
La Direction du Budget a remis plusieurs notes relatives à la
création du fonds de réserve et aux enjeux budgétaires de
celui-ci.
La Direction du Trésor, pour sa part, a concentré son attention
sur les aspects relatifs à la gestion, aux placements et aux
disponibilités du fonds de réserve.
La Direction de la Prévision a communiqué de nombreuses
études sur les perspectives à long terme du fonds de
réserve ainsi que des éléments de cadrage financier.
Eu égard à leur singularité, deux documents doivent
être signalés :
• une " maquette " de référence sur le
fonds de réserve, cosignée par ces trois directions et qui,
à ce titre, aborde l'ensemble des questions relatives au fonds de
réserve ;
• une note de synthèse relatant l'état des travaux
d'un groupe interministériel présidé par M. Olivier
Davanne et qui, outre les services du ministère de l'Economie et des
finances, comprenait des représentants du Commissariat du Plan ainsi que
ceux de la Direction de la Sécurité sociale.
Le compte rendu des travaux de ce groupe apporte un éclairage utile sur
certaines positions du ministère de l'Emploi et de la Solidarité,
positions qui, jusque-là, n'avaient pas été
dévoilées.
La qualité des entretiens qui ont accompagné, en tant que de
besoin, la remise de ces documents a permis d'éclairer votre rapporteur
sur des points complémentaires.
II. LA CONSTRUCTION SUR DES HYPOTHÈSES AMBIGUËS
Avec la
création d'un fonds de réserve par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, le Gouvernement affichait que
l'avenir des régimes de retraite par répartition figurait au
nombre de ses préoccupations et que, dans l'attente d'une réforme
concertée, il ne demeurait pas inactif.
Devant l'Assemblée nationale le 27 octobre 1998, Mme Martine Aubry
justifiait de son souci d'assurer "
la pérennisation de nos
régimes de retraite : en mettant en place un fonds de
réserve qui complétera les ressources de notre système de
retraite lorsque son besoin de financement augmentera brutalement à
partir de 2005
(sic)
.
"
4(
*
)
.
Contrairement à cette annonce, le renvoi aux conclusions du rapport de
Jean-Michel Charpin
5(
*
)
pour la définition
d'un " passif " au fonds de réserve ne sera pas finalement
retenu.
Dans sa déclaration du 21 mars 2000
6(
*
)
, le Premier ministre, tout en prenant ses distances
avec le rapport du Commissaire général du Plan, annonçait
les deux axes de sa politique en matière de retraite : la
prolongation de la concertation par le biais d'un conseil d'orientation des
retraites (COR) et le renforcement du fonds de réserve dont les tenants
et les aboutissants semblaient enfin dévoilés.
Or, un an après, les ambiguïtés persistent :
hypothèses économiques valant démonstration par l'absurde,
absence de débat sur le niveau de vie des personnes âgées,
impasse sur la question des régimes de retraite publics sont autant de
points sur lesquels le débat n'a finalement pas eu lieu.
*
* *
A. DES HYPOTHÈSES MACRO-ÉCONOMIQUES À VOCATION PÉDAGOGIQUE
1. Des hypothèses optimistes...
Dans son
discours du 21 mars 2000, le Premier ministre insistait sur la
nécessité de replacer la question des retraites dans "
un
contexte de croissance nouveau
".
Un an plus tard, cet optimisme ne se dément pas comme en témoigne
la réponse de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité au
questionnaire de votre rapporteur
7(
*
)
.
"
La perspective d'un retour au plein emploi dans la décennie
est devenue crédible. C'est pourquoi le Gouvernement fonde ses
prévisions sur l'hypothèse suivante : une baisse du
chômage au cours de la décennie qui permettrait d'atteindre un
taux de chômage de 7 % en 2005 et de 4,5 % à partir de
2010
".
Le choix d'un tel optimisme surprend l'observateur car des mesures
destinées à garantir les régimes de retraite devraient
être fondées sur des hypothèses prudentes.
En effet, l'histoire économique de notre pays incite à cette
prudence. A la fin des années 1980, un rythme de croissance
élevé avait permis une décrue significative du
chômage qui passait alors d'environ 11 % à moins de 9 %.
En 1993, quatre ans plus tard, le taux de chômage était
remonté à plus de 12 %.
Il ne s'agit pas de rentrer ici dans un débat de spécialistes qui
concerne les relations entre cycles économiques, croissance et emploi.
Et il serait vain de prétendre, aujourd'hui affirmer, quel sera le taux
de chômage dans dix ans. Tout au plus peut-on noter que
spontanément, le Commissariat du Plan avait retenu deux scénarii
l'un à 9 %, l'autre à 6 %.
De même, une étude de M. Patrick Artus en date du
9 février 2001
8(
*
)
suggère
qu'aujourd'hui "
l'inadaptation des qualifications entre les
chômeurs et les besoins d'emplois des entreprises est si grande que les
flux du marché du travail ne réagissent plus aux tensions sur ce
marché,
(...)
le chômage effectif est peut-être
proche du chômage structurel
".
Si, en effet, le chômage a baissé récemment dans des
proportions importantes, il semble probable que cette décrue ne puisse
se poursuivre aussi rapidement.
Pourquoi, dès lors, le choix d'une telle hypothèse ?
2. ... dont la finalité est de démontrer aux partenaires sociaux que le retour de la croissance ne résoudra pas seul la question des retraites
La
raison du choix de telles hypothèses n'est simplement pas de nature
économique.
Quiconque a pour objectif d'évaluer une recette ou une dépense
future cherchera à fonder cette évaluation sur des
hypothèses vraisemblables.
Or, le Gouvernement a choisi un autre objectif pour sa présentation du
fonds de réserve.
En effet, dans la lettre de mission que lui adressait le Premier ministre le
29 mai 1998, M. Jean-Michel Charpin, Commissaire
général du Plan, se voyait assigner l'objectif
"
d'élaborer un diagnostic aussi partagé que possible par
les partenaires sociaux et les gestionnaires des différents
régimes
".
9(
*
)
Or, très rapidement, les syndicats de salariés ont pris leurs
distances avec les perpectives de chômage à long terme de 9 %
et 6 %, élaborées par le Commissariat du Plan. Ainsi, la
Confédération générale du travail (CGT)
préconisait d'adosser les perspectives des retraites sur un taux de
chômage de 3 %. Force ouvrière (FO), en guise de conclusion
ou d'avertissement, déclarait "
ce que nous avons combattu avec
succès en novembre-décembre 1995, nous ne saurions l'accepter en
1999 ; c'est cela l'indépendance syndicale
".
Devant la position des partenaires sociaux, le Gouvernement fait le choix d'une
démarche " pédagogique " qui lui permette de
démontrer à ses interlocuteurs qu'un retour à ce qu'il
considère comme le " plein emploi ", soit un taux de
chômage de 4,5 % à l'horizon 2010, ne suffira pas à
lui seul à résoudre les problèmes financiers des
régimes par répartition.
En effet, un mois avant sa déclaration du 21 mars 2000, le Premier
ministre demande au ministère de l'Economie et des Finances une
étude sur les ressources mobilisables pour abonder le Fonds de
réserve.
La note de la Direction de la Prévision en date du
17 février 2000 résume ainsi le contexte de la
demande : "
pour montrer aux partenaires sociaux que le retour de
la croissance ne suffira pas à lui seul à dissiper les
problèmes financiers futurs du système de retraite
(
le
Premier ministre
)
juge opportun de privilégier des
hypothèses macro-économiques optimistes
".
Ainsi, sont décidées les hypothèses sur lesquelles sera
fondé le plan de financement du fonds de réserve.
Pourtant la ministre de l'Emploi et de la Solidarité déclare dans
un communiqué de presse du 26 mars 2001
10(
*
)
: "
ce scénario
(du fonds de
réserve)
repose sur un taux de chômage ramené à
4,5 % en 2020
(sic)
; les résultats de la politique
économique menée par le Gouvernement depuis 1997 en
matière de lutte contre le chômage confirme la
crédibilité de cette prévision "
.
Ainsi est-on passé d'un scénario " par l'absurde ", qui
avait une vocation pédagogique à l'endroit des partenaires
sociaux, à " une prévision crédible ".
3. Une volonté de pédagogie qui se contredit et aboutit à afficher que le fonds de réserve résout à lui seul la moitié du problème des retraites
a) Des ressources exagérées, des dépenses minorées
Dans la
note précitée du 17 février 2000, la Direction de la
Prévision, sous la rubrique
" les limites de ce
schéma ",
commente le choix de ces hypothèses
" pédagogiques ".
"
Un scénario macro-économique aussi favorable aboutit
cependant à afficher un montant des excédents supérieur
à ceux qui seraient effectivement disponibles pour le fonds de
réserve
".
Et cette note ajoute que cette surévaluation touche "
en
particulier les comptes du fonds de solidarité vieillesse, qui
représentent une part importante des abondements du fonds, et sont
très sensibles à la situation sur le marché du
travail
".
Si les hypothèses présentées par le Premier ministre
tendaient à démontrer aux partenaires sociaux qu'un retour de la
croissance n'éliminait pas la nécessité d'une
réforme, elles aboutissent paradoxalement à gonfler les recettes
disponibles et donc à minorer tant l'effort nécessaire pour
constituer un fonds de réserve, que l'ampleur des déficits des
régimes qu'il faudra couvrir.
Dans ces conditions, le Gouvernement se trouve devant un dilemme : minorer
les recettes évaluées par un scénario artificiel afin de
conserver quelque crédibilité à son objectif
pédagogique, ou, à l'inverse, présenter en l'état
les perspectives rassurantes d'un fonds de réserve constitué sans
effort et couvrant
" la moitié des déficits des
régimes de retraite entre 2020 et 2040 ",
avec pour
conséquence de renforcer les partenaires sociaux dans leur conviction
que l'urgence n'est pas de mise sur la question des retraites.
b) Le choix d'une philosophie optimiste
Le
Gouvernement a choisi cette seconde possibilité : c'est ainsi que
les ministres successifs de l'Emploi et de la Solidarité n'ont eu de
cesse de répéter que le fonds de réserve disposera en 2020
de 1.000 milliards de francs et que "
cette somme correspond
à la moitié des déficits prévisionnels des
régimes de retraite entre 2020 et 2040
".
Il résulte de cette affirmation que les besoins financiers des
régimes de retraite, entre 2020 et 2040, se chiffrent à
2.000 milliards de francs, puisqu'un fonds de réserve doté
de 1.000 milliards couvrirait la moitié de ces déficits.
Cette déclaration est confirmée et précisée par la
ministre de l'Emploi et de la Solidarité
11(
*
)
qui ajoute même que "
par prudence, les
ministres ont évoqué la moitié alors que l'on pourrait
avancer un taux de 60 %
".
En réalité, cette déclaration repose sur une habile
ambiguïté : le fonds de réserve dont les ressources
sont surévaluées par le " scénario
pédagogique " ne traite pas la question des déficits des
régimes publics.
B. DES HYPOTHÈSES QUI LAISSENT DE CÔTÉ LA MOITIÉ DE LA QUESTION DES RETRAITES
1. Une ambiguïté sédative qui ignore les régimes publics
La
ministre de l'Emploi et de la Solidarité précise ainsi la
signification des hypothèses du fonds de réserve
12(
*
)
:
" Le déficit des régimes éligibles selon la loi au
fonds de réserve des retraites entre 2020 et 2040 peut être
estimé, en valeur actualisée 2020, à environ
1.700 milliards de francs. C'est en cela qu'un fonds de réserve de
1.000 milliards de francs correspond à la moitié du
déficit prévisionnel des régimes de retraite entre 2020 et
2040. "
La ministre précise
" l'actuel fonds de réserve est
dédié au régime général des salariés
et aux régimes de non-salariés dits " alignés "
ORGANIC et CANCAVA ".
Les sommes accumulées au sein du fonds de réserve ne concernent
donc que trois régimes et excluent ainsi tout un pan de la gestion des
retraites (constitué par les régimes publics), sans doute le plus
problématique puisqu'aucune réforme n'y a encore eu lieu.
Pour les seuls régimes de fonctionnaires, la ministre de l'Emploi et de
la Solidarité annonce, toujours dans l'hypothèse
" pédagogique " d'un taux de chômage de 4,5 %, des
déficits de l'ordre de 5.000 milliards de francs entre 2020 et 2040.
Déficits cumulés des régimes de fonctionnaires
(2020/2040) en milliards de francs
|
2020 |
2025 |
2030 |
2035 |
2040 |
Fonction publique Etat |
- 120 |
- 740 |
- 1.470 |
- 2.350 |
- 3.380 |
Fonction publique Etat, collectivités locales et hôpitaux |
- 170 |
- 1.050 |
- 2.090 |
- 3.330 |
- 4.780 |
Source : d'après le ministère de
l'Emploi et
de la Solidarité
En outre, ces calculs n'incluent pas les régimes " dits
spéciaux " d'un certain nombre d'entreprises publiques (SNCF, RATP,
Charbonnages de France, etc.) qui, à l'instar des régimes de la
fonction publique, ne se sont pas réformés et sont, de ce fait,
destinés à connaître des déficits importants dans
les prochaines années.
A la lumière de ces masses financières, la somme de 1.000
milliards annoncée au fonds de réserve apparaît peu
conséquente.
La ministre de l'Emploi et de la Solidarité ajoute néanmoins
" comme l'a annoncé le Premier ministre, les autres
régimes de base de l'assurance vieillesse pourront le devenir
(éligibles au fonds) après intervention de leur
réforme "
13(
*
)
.
2. Sans valeur juridique réelle, l'exclusion du fonds des régimes publics a pour objet de les inciter à se réformer
a) Le débat entre ministères
L'ouverture du fonds aux régimes publics est l'un des
sujets
les plus âpres du dialogue entre le ministère de l'Economie, des
Finances et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Une note de la Direction de la Prévision en date du 21 janvier 2000
résume l'état de ce débat :
" Le champ du fonds peut rester circonscrit au périmètre
législatif actuel (régime général et
alignés) ou s'étendre à tous les régimes de base.
Le cabinet du ministre de l'Emploi et de la Solidarité sera sans doute
favorable à la première option, en arguant du fait qu'il est
prévu de verser l'excédent de la CNAV au fonds et que les
partenaires sociaux s'inquiéteraient que cette ressource puisse profiter
à tous les régimes. "
Et la note de poursuivre :
" Mais le fait qu'on alimente le fonds
par des ressources " universelles " (prélèvement sur
les revenus du capital, ressources du FSV, caisses d'épargne, voire
excédents potentiels des branches maladie ou famille) plaide
plutôt pour la seconde solution ".
Pour le ministère de l'Economie et des Finances, la nature des
ressources du fonds de réserve, étant universelle, entraîne
l'ouverture du bénéfice de ce fonds à tous les
régimes de base : l'équité et la
constitutionnalité juridique du fonds sont à ce prix.
La question soulevée est sérieuse : est-il juridiquement
possible et même simplement logique d'exclure d'un fonds financé
largement par l'impôt une part importante des Français ? La
réponse est négative.
b) Un principe consensuel mais dénué de véritable portée juridique : le fonds doit être réservé aux régimes s'étant réformés
Selon le
groupe de travail interministériel présidé par
M. Olivier Davanne, le 2 février 2000
" un principe
général est que le bénéfice du fonds semble devoir
être réservé aux régimes s'étant
réformés ".
En outre, selon le compte rendu des débats de ce même
groupe
14(
*
)
,
" la Direction de la
Sécurité sociale indique que si les régimes publics
devaient devenir bénéficiaires du fonds avec un certain
décalage temporel, il serait nécessaire que les sommes
précédemment encaissées par le fonds restent
cantonnées au bénéfice du régime
général et des régimes alignés ".
Une telle proposition aboutit à introduire un " coût "
au temps passé. En effet, plus ces régimes tardent à se
réformer, moins la partie du fonds de réserve dont ils pourront
être bénéficiaires sera importante.
Il ne semble pas que cette condition n'ait jamais fait l'objet d'un
débat avec les partenaires sociaux représentant ces
régimes.
Toutefois, au regard des arguments avancés par le ministère de
l'Economie et des Finances, à savoir l'inéquité et surtout
l'inconstitutionnalité à réserver un fonds abondé
par des ressources universelles à quelques régimes, ces
restrictions " pédagogiques " ou " incitatives "
à la réforme des régimes publics ne sauraient
présenter de portée crédible.
En revanche, une question essentielle est laissée de côté
par le Premier ministre : si les régimes publics ne peuvent
être écartés du fonds, quelles ressources viendront
compléter celui-ci afin qu'il demeure en mesure de jouer le rôle
de "lissage " que le Gouvernement prétend lui assigner ?
C. DES HYPOTHÈSES QUI SUPPOSENT UNE DÉGRADATION DU NIVEAU DE VIE DES PERSONNES ÂGÉES
1. Des indexations qui ne sont pas favorables au niveau de vie des retraités et des titulaires du minimum vieillesse
a) Les pensions de retraite
L'équilibre des projections sur lesquelles s'appuie le
Premier ministre repose sur une évolution des pensions de retraite sur
les prix.
Cette mesure que le candidat Lionel Jospin dénonçait
auprès du Président de l'Union française des
retraités par une lettre en date du 27 mai 1997, promettant alors
" l'alignement de l'évolution des pensions de retraites sur
celle des salaires "
permet d'afficher des excédents plus
élevés de la CNAVTS sur la période 2000-2007, dont le
Gouvernement attend 100 milliards de francs pour le fonds de
réserve, puis de réduire ensuite le montant des déficits
à couvrir.
Cette projection n'est pas neutre pour les retraités. Comme le constate
M. Patrick Artus
15(
*
)
, directeur des Etudes de
la Caisse des dépôts et consignations,
" la non-indexation
des retraites sur l'évolution des salaires réels des actifs, qui
prive les retraites de l'accroissement tendanciel de la productivité du
travail, n'est pas tenable ".
Ainsi, les retraités dont les pensions sont indexées sur ces
seuls prix voient leur pouvoir d'achat stagner alors que le pouvoir d'achat des
actifs augmente de cet accroissement tendanciel de la productivité du
travail.
Sur le temps d'une retraite, qui dépasse à présent en
moyenne une dizaine d'années, le pouvoir d'achat de la pension se
dégrade par rapport au pouvoir d'achat des actifs.
b) Le minimum vieillesse
Ce
minimum social est destiné aux personnes âgées dont les
revenus sont faibles ou inexistants
16(
*
)
.
Le minimum vieillesse constitue environ la moitié des dépenses
" Allocations et majorations " des comptes du Fonds de
solidarité vieillesse (18,7 milliards en 1999).
A terme, le minimum vieillesse sera la dépense essentielle de cette
partie du fonds de solidarité vieillesse
17(
*
)
.
Le Gouvernement fonde ses espoirs d'excédents des comptes du FSV sur la
baisse du nombre de titulaires du minimum vieillesse.
Comme le rappelle le communiqué de presse du ministère de
l'Emploi et de la Solidarité
18(
*
)
,
" les excédents du FSV, qui constituent la première
source de financement du fonds de réserve des retraites,
résultent des dynamiques structurelles des recettes (CSG pour
l'essentiel, qui bénéficie de la croissance économique) et
des dépenses notamment minimum vieillesse ".
Cette réponse, qui omet habilement le changement de
périmètre des missions du FSV, met le doigt sur un point
important. Comme le confirme le FSV
19(
*
)
lui-même
" les dépenses du minimum vieillesse (...)
baissent de 5,5 % l'an entre 2001 et 2005, puis de 5 % l'an entre
2006 et 2010 et remontent d'un demi-point à chaque période de
cinq ans (après 2010) ".
Si le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse diminue, les
économies qui peuvent être réalisées gonflent les
excédents mobilisables. Toutefois ceux-ci dépendent encore d'un
autre facteur : quelle sera la revalorisation annuelle de ce minimum
social ?
Une simple indexation sur les prix pose la question du pouvoir d'achat du
minimum vieillesse : cette indexation exclut les
bénéficiaires de ce minimum de l'accroissement tendanciel de la
productivité. Et une telle conséquence se pose avec une
acuité accrue pour les titulaires de revenus déjà
très modestes...
Les administrations ont entretenu un débat fluctuant entre indexation
sur l'indice des prix (ministère de l'Economie et des Finances) et
revalorisation sur les prix majorés de 1 % (groupe de travail
interministériel précité).
Les conséquences de chacune de ces indexations sont décrites par
la Direction de la Prévision dans une note du 21 janvier 2000
" Le scénario utilisé par le groupe de travail
interministériel et présenté ici retient une
évolution plus dynamique du minimum vieillesse, en revalorisant la
prestation au-delà de l'inflation ; le cumul des excédents
du FSV en 2020 est ainsi de 284 milliards de francs (hors
intérêts) contre 375 milliards de francs ".
Force est de constater qu'une évolution "
plus
dynamique
" du minimum vieillesse n'est pas cohérente avec le
plan de financement établi en mars 2000 qui fait apparaître un
cumul des excédents du FSV versés au fonds de réserve de
310 milliards de francs (hors intérêts) (
voir
ci-après
).
2. La gestion par " coup de pouce " dégrade fortement les projections et rend impossible la lisibilité nécessaire à la gestion du fonds
La loi
du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraites et à la sauvegarde
de la protection sociale a modifié les modalités de
revalorisation des pensions. Ce mécanisme mis en place en 1993
était provisoire et ne prenait effet en 1994 que pour une durée
de cinq ans. Un nouveau régime d'indexation des pensions devait donc
être décidé en 1999.
L'hypothèse sur laquelle se fonde le Premier ministre le 21 mars
2000 pour tracer les perspectives d'un fonds de réserve destiné
à garantir la pérennité des régimes de retraite est
celle d'une indexation des pensions sur les prix.
Le Gouvernement n'inscrit pas pour autant ce principe dans la loi
20(
*
)
.
Bien au contraire, dès septembre 2000, il annonce une revalorisation des
pensions supérieure aux prix. Cette revalorisation s'est
également appliquée au minimum vieillesse.
Dès lors, le plan de financement du fonds de réserve n'est plus
tenu. Dans une note en date du 2 février 2001, la Direction de la
Prévision rappelle que
" la revalorisation des
pensions "
figure parmi les
" incertitudes
importantes "
pesant
" sur les sommes qui pourront être
in fine accumulées au sein du fonds de réserve ".
La note poursuit en indiquant que
" par rapport aux montants
prévus dans les annonces du Premier ministre du 21 mars 2000 (...) les
montants des excédents de la CNAV versés au fonds de
réserve seraient moindres sur toute la période 2001-2004,
d'environ 20 milliards de francs en cumulé. Cela est dû en
partie à des revalorisations récentes des pensions
supérieures à celles qui avaient été retenues dans
les projections sous-jacentes aux annonces du Premier ministre ".
Et la note d'insister :
" le facteur essentiel est en fait le
rythme de revalorisation des pensions : si les pensions évoluent
plus vite que les prix, le montant des " excédents "
attribuable au fonds de réserve diminuera de manière
conséquente ".
Le Gouvernement pratique ainsi un double langage qui consiste à
rassurer, sans prendre à bras le corps la question de la réforme
des régimes, en minorant les déficits sur le long terme par des
indexations sévères, qui sont immédiatement contredites
par des revalorisations destinées à faire
" participer
les retraités aux fruits de la croissance "
.
III. LE FINANCEMENT EXSANGUE
Le
Premier ministre, dans sa déclaration
21(
*
)
du 21 mars 2000, a justifié la
création du fonds de réserve "
par la volonté de
préparer l'avenir
".
Cet objectif ne pouvait à l'évidence être atteint par le
seul versement initial constitué par un produit de 2 milliards de
francs de C3S en 1999.
Aussi, le Premier ministre a-t-il présenté "
un objectif
ambitieux mais réaliste : accumuler 1.000 milliards de francs
en 2020
".
Pour parvenir à ce montant, le Premier ministre entend mobiliser les
ressources suivantes :
Ressources |
Cumul Flux annuels |
Excédent CNAV |
100 |
Excédent C3S et FSV |
400 |
Prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine |
150 |
Produits des parts sociales Caisse Epargne + versement CDC |
20 |
Sous-total |
670 |
Produits Financiers |
330 |
Total estimé en 2020 |
1.000 |
Source : Premier ministre, 21 mars 2000, documents de
presse.
Les excédents de C3S et du FSV représentent à eux seuls
60 % des ressources affectées du fonds de réserve (hors
produits financiers).
Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité le reconnaît
bien volontiers : "
les excédents du fonds de
solidarité vieillesse (...) constituent la première source de
financement du fonds de réserve des retraites
"
22(
*
)
.
Constitué pour moitié par les " excédents
vieillesse " (FSV, C3S, CNAV), voire pour les trois quarts si l'on prend
en compte les produits financiers que ces sommes portées au fonds
doivent produire, le fonds de réserve se trouve donc affecté par
toute mesure modifiant les missions ou les finances de la CNAV, du FSV ainsi
que la répartition de C3S.
Ainsi que l'observe le ministère :
" Le chiffrage est
principalement fragilisé par la difficulté de projeter les
dépenses de solidarité prises en charge par le FSV et par
l'absence de financement du déficit du fonds d'allégement de
charges (NB : c'est-à-dire le FOREC) ".
Ou encore, comme le souligne le Conseil d'orientation des retraites lors de sa
séance du 27 septembre 2000, "
les ressources actuelles
d'alimentation du fonds restent incertaines et trop aléatoires car
reposant pour l'essentiel sur des hypothèses d'excédents
tributaires soit de la croissance économique, soit de choix
gouvernementaux
".
En proie à un " effet de dominos " à chaque fois que le
Gouvernement modifie le périmètre du FSV, revalorise les pensions
de retraite au-delà des prix, le fonds de réserve est-il en
mesure de rassembler ces 1.000 milliards de francs en 2020 ?
Par ailleurs, ces 1.000 milliards de francs annoncés
proviendront-ils bien des sources de financements annoncées par le
Premier ministre le 21 mars 2000 ?
Si de très fortes incertitudes pèsent aujourd'hui sur la
première question, il est en revanche possible dès aujourd'hui de
répondre par la négative à la seconde.
A. LE RETARD DANS LE PLAN DE FINANCEMENT : LES ENGAGEMENTS NON TENUS
1. Le flou initial
Le
Gouvernement, qui s'est engagé sur la somme de 1.000 milliards de
francs à terme, est demeuré extrêmement flou sur
l'échéancier des versements.
Tout au plus s'est-il contenté d'indiquer qu'à la fin 2000 les
ressources du fonds pourraient atteindre "
un objectif de 20 à
25 milliards de francs
".
Un plan de financement sur 20 ans a également été
divulgué, sans qu'il soit communiqué des objectifs année
par année.
Estimation du total des ressources
(en milliards de francs)
2000 |
2005 |
2010 |
2015 |
2020 |
20 |
170 |
400 |
670 |
1.000 |
Source : Premier ministre, document de presse 21 mars
2000
Sur la période 2000-2005, le fonds devrait accumuler 170 milliards
de francs, soit un total annuel compris entre 30 et 40 milliards de
francs, selon que l'année 2005 soit ou non incluse dans cet
intervalle.
2. Le financement du fonds de réserve structurellement inférieur aux prévisions
Le
Conseil d'orientation des retraites a été institué par le
Gouvernement afin d'"
apprécier les conditions requises pour
assurer la viabilité financière à terme des
régimes
"
23(
*
)
.
Se saisissant de la question du fonds de réserve le 27 septembre 2000,
le Conseil d'orientation des retraites déclarait "
à
raison d'un abondement annuel de 30 à 35 milliards de francs et
partant d'une hypothèse d'un taux de rendement des placements de
4 %, les réserves cumulées atteindront 1.000 milliards
de francs en 2020 "
.
Ce plan de marche aujourd'hui apparaît compromis.
a) Des chiffres éloquents
A partir
des annonces du Premier ministre du 21 mars 2000, il est possible de
reconstituer en linéaire sur les exercices 2000-2005 les sommes devant
abonder le fonds de réserve.
La question de l'intervalle à retenir est laissée en suspens.
Cette interrogation de prime abord anodine soulève pourtant en soi une
difficulté statistique : les 170 milliards de francs
seront-ils atteints début 2005 ou fin 2005
24(
*
)
. De cette réponse dépend une
année de versement. En l'absence de précision, force est de
considérer deux hypothèses.
Plan
de financement du fonds de réserve 2000-2005
Objectif atteint fin
2005
en milliards de francs
|
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Premier ministre 21 mars 2000 |
20,0 |
50,0 |
80,0 |
120,0 |
150,0 |
170,0 |
Conseil Orientation des retraites |
32,5 |
65,0 |
97,5 |
130,0 |
162,5 |
195,0 |
Loi de financement Sécurité sociale 2001 |
23,2 |
55,0 |
|
|
|
|
Ministère Emploi et Solidarité 26 mars 2001 |
20,0 |
40,0 |
65,0 |
|
|
|
FSV 25( * ) |
20,7 |
38,7 |
|
|
|
|
Source : commission des Affaires sociales
Objectif atteint début 2005
|
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
|
Premier ministre 21 mars 2000 |
20,0 |
57,5 |
95,0 |
132,5 |
170,0 |
|
Conseil Orientation des retraites |
32,5 |
65,0 |
97,5 |
130,0 |
162,5 |
|
Loi de financement Sécurité sociale 2001 |
23,2 |
55,0 |
|
|
|
|
Ministère Emploi et Solidarité 27 mars 2001 |
20,0 |
40,0 |
65,0 |
|
|
|
FSV 2 |
20,7 |
38,7 |
|
|
|
|
Source : commission des Affaires sociales
Selon les deux interprétations retenues, en l'état actuel des
choses, un déficit de ressources du fonds de réserve sera
constaté au 31 décembre 2001.
A cette date, par rapport aux abondements jugés nécessaires par
le Conseil d'orientation des retraites, le retard approche les
30 milliards de francs. L'écart entre les prévisions du
Gouvernement, selon l'hypothèse retenue, oscille entre 12 et
20 milliards de francs (cf. tableau).
b) Des réponses trahissant l'attitude du Gouvernement à l'égard du fonds
Dans un
communiqué de presse
26(
*
)
, la ministre de
l'Emploi et de la Solidarité déclare " (...)
ce
scénario correspond à environ 40 milliards de francs de
réserve cumulés fin 2001 et 65 milliards de francs fin
2002 ; rien ne permet de penser que ces objectifs ne seront pas
atteints
".
Renonçant ainsi à l'objectif affiché en loi de financement
de la sécurité sociale pour 2001 (soit 55 milliards de
francs), la ministre n'en affiche pas moins de nouvelles projections pour
2002 : 65 milliards de francs.
Cette estimation de 65 milliards pour trois années (2000-2001-2002)
représente, en linéaire, des flux de ressources de l'ordre de 20
ou 21 milliards de francs par an. Ces montants sont de 10 à
15 milliards de francs inférieurs aux exigences posées par
le COR. Au début 2005, sur la base de ces flux, le fonds aurait
encaissé 100 milliards de francs et fin 2005, 120 milliards de
francs. Même en étirant les intervalles au maximum (six
années d'abondement : 2000-2005) le Gouvernement n'atteint pas les
170 milliards de francs (retard entre 50 et 70 milliards de francs).
Certes, il est tentant de prétendre, comme ne manquera pas de le faire
le Gouvernement, qu'un décalage au démarrage n'est pas
significatif dès lors que l'objectif se situe dans le long terme.
Un tel raisonnement fait d'abord peu de cas du principe sur lequel repose un
fonds de réserve, c'est-à-dire l'accumulation de produits
financiers. De fait, ceux-ci doivent représenter le tiers des actifs du
fonds en 2020.
Aussi le respect scrupuleux d'un échéancier est-il fondamental
car
le retard ne se rattrape jamais.
Est-il convenable ensuite que le Gouvernement obère les marges de
manoeuvre financière de ses successeurs en renvoyant sur ceux-ci les
efforts qu'il n'a pas faits ? A ce titre, une telle question est
paradoxale puisque le Gouvernement crée un fonds ayant pour objet de
répartir équitablement sur plusieurs générations la
charge des retraites, alors que lui-même repousse à plus tard la
charge de l'abonder !
Enfin, la nature même des ressources du fonds de réserve et la
conjoncture économique rendent extrêmement peu crédible le
rattrapage de ce retard. En effet, le Gouvernement a abondé le fonds
avec des ressources exceptionnelles (don de la CDC, parts sociales de Caisse
d'épargne) et les excédents de la CNAVTS gonflés par le
niveau exceptionnel de la croissance et une situation démographique
favorable mais transitoire.
D'ici quelques années, la CNAV va enregistrer des déficits
croissants ; est-il crédible que le retard pris dans une
conjoncture extrêmement propice à la constitution de
réserves soit rattrapé dans une période de " vache
maigre " ?
Au total, la crédibilité d'un fonds de réserve repose
sur le respect quasi mécanique d'un plan de marche. Si la philosophie
d'un tel fonds se limite à " mettre de côté quand on
peut " alors il est sûr que d'autres priorités, d'autres
urgences, d'autres besoins apparaîtront année après
année et seront autant de bonnes raisons pour les gouvernements
successifs de se soustraire à leurs obligations de garantir le long
terme.
Avec une franchise brutale, la Direction de la Prévision dans une note
du 17 février 2000 ne dit pas autre chose : "
Un des
intérêts du fonds de réserve, en termes de gestion des
finances publiques, est d'éviter que les excédents sociaux ne
soient dilapidés en supplément de dépenses
".
De fait, les premiers mois du fonds de réserve des retraites illustre
parfaitement la dérive que l'on pouvait craindre.
A peine séchée l'encre du plan de financement du 21 mars 2000, le
Gouvernement s'est employé à ponctionner les ressources
destinées à garantir l'avenir des retraites.
B. LES RESSOURCES DU FSV PONCTIONNÉES
1. Une pierre angulaire à la dimension mal définie
Dans les
projections sur lesquelles s'appuie le Premier ministre le 21 mars 2000,
les excédents du FSV sont appelés à jouer un rôle
déterminant dans le financement du fonds.
Les notes communiquées par le ministère de l'Emploi et de la
Solidarité d'une part et le ministère de l'Economie et des
Finances d'autre part, laissent perplexes sur la réelle cohérence
de ce financement.
a) Un montant compris entre 300 et 350 milliards de francs en cumulé sur la période 2000-2020
Le
1
er
février 2000, le groupe de travail
interministériel présidé par Olivier Davanne
27(
*
)
concluait que les excédents du FSV
représenteraient
" 338 milliards de francs en cumulé
sur la période 2000-2020
", mais que pour chiffrer ces
excédents, l'hypothèse retenue était celle d'une
indexation du minimum vieillesse sur l'indice des prix majorée de
1 %.
En effet, une revalorisation
28(
*
)
moins
favorable pouvait difficilement être considérée comme
crédible.
Sachant que les excédents de C3S pourraient générer de
l'ordre de 90 milliards de francs
29(
*
)
, le
total excédent FSV et excédent C3S dépasseraient
même légèrement les annonces du Premier ministre
évaluées pour ces deux produits à 400 milliards de
francs.
b) La disponibilité incertaine des excédents du FSV
Cette
note
30(
*
)
constate pourtant immédiatement
que :
" la mobilisation de cet excédent ne semble pas poser
de problèmes particuliers. La Direction de la Sécurité
sociale estime cependant difficile de mettre en réserve plus des deux
tiers de celui-ci ".
Sur un montant d'excédents évalué à 338 milliards
de francs, le montant mobilisable selon la Direction de la
Sécurité sociale ne serait donc que de 225 milliards de francs.
Dans cette configuration d'une mobilisation de 225 milliards de francs
d'excédents du FSV, les montants d'excédents FSV-C3S
(315 milliards de francs) seraient significativement inférieurs aux
annonces du Premier ministre du 21 mars 2000 (400 milliards de
francs).
Quel montant de FSV-C3S disponible ?
|
FSV |
C3S |
Total |
Annonce Premier ministre du 21 mars 2000 |
- |
- |
400 |
Groupe de travail interministériel et Direction Sécurité sociale |
225 |
90 |
315 |
Votre
rapporteur ne disposant pas de la note du ministère de l'Emploi et de la
Solidarité évoquée par le groupe de travail
précité, les raisons lui restent inconnues pour lesquelles la
Direction de la Sécurité sociale estime, contrairement à
l'annonce du Premier ministre, que seuls deux tiers des excédents du FSV
sont susceptibles d'être mobilisés pour abonder le fonds de
réserve.
Trois hypothèses peuvent toutefois être avancées pour
justifier cette position :
• le ministère de l'Emploi et de la Solidarité entend
revaloriser le minimum vieillesse à un taux supérieur à
l'hypothèse retenue par le groupe de travail (prix
+ 1 %) ;
• il prévoit d'affecter une partie des fonds du FSV à
d'autres usages que la prise en charge des déficits des régimes
de retraites de base ;
• il souhaite conserver une part de ces ressources pour couvrir
partiellement les déficits que les régimes de retraites
connaîtront avant 2020
31(
*
)
.
De ces trois hypothèses, la seconde est confirmée par les faits
intervenus depuis le début de l'année 2000, sans exclure pourtant
les deux autres...
2. L'utilisation des excédents du FSV à des usages alternatifs
" Les chiffres présentés supposent que les excédents soient parfaitement mobilisables pour le fonds et qu'en particulier aucun autre usage ne soit trouvé ou aucune autre dépense engagée. Il n'existe donc aucune certitude quant à la possibilité d'abonder effectivement le fonds de réserve par les excédents identifiés ci-dessus ".
Direction de la Prévision, note du 17 février 2000.
La
raison d'être du fonds de réserve des retraites annoncée
par la Direction de la Prévision doit être rappelée
ici : le fonds de réserve doit empêcher que les
excédents sociaux soient " dilapidés " en
supplément de dépenses.
Pourtant, très rapidement, le Gouvernement va utiliser les ressources de
la branche vieillesse pour le financement des mesures phares de sa
législature, notamment pour le financement des trente-cinq heures.
En effet, la Direction de la Prévision, dans une note toute
récente du 2 février 2001, rappelle que
" les principales
incertitudes sur le montant des ressources qui seront affectées au fonds
de réserve tiennent (...) aux excédents prévisionnels du
FSV et de la C3S qui seront effectivement affectés au fonds de
réserve pour les retraites. Ceux-ci devraient représenter
60 % des sommes attribuées au fonds de réserve selon les
annonces du Premier ministre. Or ces excédents semblent gagés en
grande partie, car ils pourraient également servir au remboursement pour
le compte de l'Etat des sommes dues au titre du contentieux AGIRC/ARRCO,
à financer le FOREC
32(
*
)
, le BAPSA
ou les dépenses liées à la modernisation de la prise en
charge de la dépendance des personnes âgées...
".
Ce triptyque constitué par le financement des trente-cinq heures de
l'allocation personnalisée à l'autonomie et de la dette
AGIRC-ARRCO, répond à la question posée ici
précédemment. La totalité des excédents du FSV ne
peut être mobilisée car une grande partie de ces excédents
prévisionnels sont destinés à d'autres fins.
a) Le financement des trente-cinq heures : du constat à l'évaluation
Les fortes critiques lancées par les rapporteurs de la commission des Affaires sociales du Sénat contre les " tuyauteries " de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 sont étayées par les constats de l'administration.
(1) Le constat
Dans une
note du 9 mai 2000, soit moins de deux mois après la
déclaration du Premier ministre, la Direction de la
Sécurité sociale constate :
" le résultat du
FSV dans les années à venir dépend largement de la part du
financement du FOREC mise à la charge du FSV
"
.
La Direction de la Prévision constate pour sa part dans une note en date
du 2 février 2001 que, parmi les incertitudes les plus importantes
pesant sur les sommes qui pourront être
in fine
accumulées
au sein du fonds de réserve, figure
" la captation des
excédents de la CNAV et du FSV à d'autres fins "
et
notamment
" le FOREC ".
La recommandation de sanctuarisation des excédents sociaux n'est pas
suivie. Les fonds devant servir à la sauvegarde des retraites par
répartition sont consommés pour financer la réduction du
temps de travail.
Le 21 mars 2000, le Premier ministre indiquait
33(
*
)
: "
Dans ma déclaration de
politique générale devant le Parlement, le 19 juin 1997, j'ai
affirmé la volonté de défendre les retraites des
Français, et pour cela, de garantir les régimes par
répartition
".
Le détournement des fonds de la branche vieillesse constitue une
singulière façon de garantir les retraites par
répartition.
(2) L'évaluation
L'évaluation de ce détournement au profit des
trente-cinq heures doit être reconstituée.
•
Les indices donnés par l'administration
Le 21 janvier 2000, une note de la Direction de la Prévision indique
"
le FSV participe à hauteur de 5,5 milliards de francs
à la RTT en 2000 et sa contribution atteint 12 milliards de francs en
2002. A partir de cette date, il reverse en effet l'ensemble de ses droits
alcools. A l'horizon 2020, le FSV a donc contribué pour 244 milliards de
francs au financement de la RTT, montant cumulé hors
intérêt
".
Le transfert des droits sur les alcools est ainsi identifié comme une
perte de 244 milliards de francs à l'horizon 2020.
La même note ajoute
" dans l'hypothèse où la part
de RTT prise en charge par l'Etat reste stable sur toute la période, il
conviendra de trouver d'autres sources de financement pour un montant de
135 milliards de francs en 2020, montant cumulé hors
intérêt ".
Votre rapporteur interprète cette nouvelle constatation ainsi : si
la part des dépenses de trente-cinq heures prise en charge par le budget
de l'Etat n'augmente pas, la part du financement des trente-cinq heures prise
en charge par le FSV devra augmenter, creusant un nouveau manque à
percevoir pour le fonds de réserve de 135 milliards de francs en
2020.
Cette constatation, faite début 2000 par la Direction de la
Prévision, c'est-à-dire en amont des cadrages de la loi de
financement pour 2001, identifie une perte de 135 milliards de francs sur
dix-neuf ans (2001-2020).
La loi de financement pour 2001 va dans le sens de cette interprétation.
•
La participation du FSV au financement des 35 heures
L'énigme des 135 milliards de francs
Ayant identifié un nouveau besoin de financement pour les trente-cinq
heures, le Gouvernement procède à un montage financier permettant
de le combler.
Comme le démontre le schéma suivant et via la Caisse nationale
d'assurance maladie (CNAM), le Gouvernement transfère une part de CSG
affectée au FSV vers le FOREC.
Cette part de CSG (0,15 point, soit 7,5 milliards de francs en 2001),
compense le produit des droits tabacs (7,1 milliards de francs) que la
CNAM cède en même temps au financement des trente-cinq heures.
Source : commission des Affaires sociales
Or, sur
la période 2001-2020, le prélèvement de 7,1 milliards
de francs par an pendant 19 ans aboutit exactement à la somme de
135 milliards de francs, soit le besoin de financement identifié
par le ministère des Finances.
Il était certes difficile d'afficher politiquement, après le
détournement des droits alcools, une nouvelle ponction directe sur le
FSV. Ainsi, par l'entremise de la CNAM, branche structurellement
déficitaire et par là incapable d'une telle contribution sur ses
ressources, le FSV devait assurer à partir de 2001 une tranche
supplémentaire du financement des trente-cinq heures.
•
Cumul de prélèvement
Retracer l'ensemble des ponctions dues au financement des trente-cinq heures
suppose un calcul supplémentaire.
L'absence d'indication sur le dynamisme annuel du produit sur les alcools
oblige à retenir l'évaluation du ministère des Finances,
soit 244 milliards de francs sur la période 2000-2020.
En revanche, comme le confirme la ministre de l'Emploi et de la
Solidarité
34(
*
)
, la CSG qui
" bénéficie de la croissance économique "
est une ressource dynamique... La confiscation est donc elle aussi
dynamique !
Le FSV
35(
*
)
, s'appuyant sur des
hypothèses pourtant moins favorables que le Gouvernement, estime
à 2 % la croissance annuelle de la CSG qui lui est affectée,
sur la période 2001-2020.
Sous cette hypothèse, le prélèvement de 7 milliards
de francs doit croître de 2 % chaque année.
On peut donc estimer à 167 milliards et non à 135 milliards
de francs, sur la période 2001-2020, le montant de CSG retiré au
FSV et donc au fonds de réserve.
Prélèvement sur le FSV
au titre du
financement
des trente-cinq heures
en milliards de francs
Droits alcools |
- 244* |
Part de CSG |
- 167 |
Total |
- 411 |
Source : commission des Affaires
sociales
Source : * Direction de la Prévision
Les différentes estimations des excédents du FSV
Dans
deux notes différentes, les 14 et 21 janvier 2000, la direction de la
prévision évalue des excédents du FSV successivement
à 411 et 375 milliards de francs.
Votre rapporteur, pour sa part, a souhaité se rapprocher de
l'évaluation la plus crédible et la plus récente de
l'état des excédents du FSV.
En effet, le 14 décembre 2000, le FSV examinait des projections à
long terme du fonds de réserve.
Ces projections, établies par le fonds lui même, retenait les
hypothèses suivantes:
• un scénario comparable au scénario 2 du rapport Charpin
(taux de chômage ramené à 6 %)
• le périmètre du FSV était actualisé en
fonction de la loi de financement de la sécurité sociale pour
2001 en instance de promulgation et inclut les transferts au profit
du FOREC, la reprise de la dette AGIRC ARRCO ainsi que la captation des
excédents de la CNAF
• Il n'inclut pas en revanche la ponction CSG en faveur de l'APA
annoncé qu'en mars 2001
Ainsi, en prenant en compte cette dernière ponction, les
excédents disponibles selon le FSV seraient évalué
aujourd'hui à 207 milliards de francs à l'horizon 2020.
Votre rapporteur a considéré que l'ensemble des excédents
du FSV sont affectés au fonds de réserve, ainsi que l'article
L-135-6 du code de la sécurité sociale en dispose, et comme le
laisse entendre la déclaration du Premier ministre.
En conséquence, et selon cette convention, le montant des
excédents prévisionnel du FSV serait composé des 400
milliards annoncés et minorés du produit anticipé de C3S
(90 milliards), soit 310 milliards de francs à l'horizon 2020.
C'est à cet excédent que votre rapporteur applique les
différentes mesures affectant le FSV (montant des
prélèvements partiellement annoncés par les CNAF).
Mais les ponctions sur les excédents du FSV ne s'arrêtent pas
à la seule question des trente-cinq heures.
b) L'allocation personnalisée à l'autonomie : une menace supplémentaire
Lors de
sa conférence de presse le 13 février 2001, la ministre de
l'Emploi et de la Solidarité a annoncé la mise en place d'une
allocation personnalisée à l'autonomie (APA) destinée
à se substituer à l'actuelle prestation spécifique
dépendance (PSD).
Le document remis à la presse le 13 février prévoit un
financement "
de 5 milliards de francs environ par l'affectation d'un
point de CSG actuellement affectée à la sécurité
sociale (FSV)
"
36(
*
)
.
Cette mesure nouvelle, dont le financement est dénoncé comme
" un détournement de l'objet social du FSV
37(
*
)
",
va ponctionner de 5 milliards de
francs en 2002 les recettes du FSV.
Ce prélèvement de CSG au profit du nouveau fonds
" ad
hoc "
créé pour centraliser les ressources
destinées à financer l'APA, augmentera à un rythme de
2 % par an
38(
*
)
.
Par ailleurs, le Gouvernement reconnaît lui-même
39(
*
)
que
" le coût en régime de
croisière de la prestation devrait atteindre environ 23 milliards
de francs ",
soit 4 à 5 milliards de plus que ce que le
schéma financier actuel prévoit.
Il ajoute qu'"
un bilan financier sera effectué fin 2003 pour
adapter, le cas échéant, les modalités de financement les
années suivantes en fonction de l'évolution des
dépenses
".
Comme la délégation CGT-FO le dénonce avec vigueur
"
les perspectives de financement au-delà de 2003 pourraient
rendre les régimes de retraite et le FSV premiers contributeurs du
financement de l'allocation.
"
40(
*
)
Etant donné les perspectives des régimes de retraite, en
réalité seul le FSV serait en mesure d'assumer le financement de
l'APA pour une nouvelle tranche de 5 milliards de francs.
Dans une note en date du 2 février 2001, la Direction de la
Prévision s'inquiétait de la propension du Gouvernement à
affecter la même ressource à plusieurs dépenses, en
constatant que les "
excédents prévisionnels du FSV et de
la C3S qui seront effectivement affectés au fonds de réserve
(...) semblent gagés en grande partie
".
Dans le dossier de presse précité, la ministre de l'Emploi et de
la Solidarité justifie sa ponction sur le FSV en ces termes :
"
L'affectation d'une partie des ressources du FSV au financement de
l'APA obéit à la prise en compte de l'évolution des
besoins sociaux : le FSV a été créé pour
assurer le financement des avantages de retraite relevant de la
solidarité. Ces derniers sont aujourd'hui peu dynamiques, du fait de
l'amélioration de la situation des personnes âgées. Ainsi,
chaque année, le niveau des allocataires du minimum vieillesse
diminue.
"
Cette justification est identique à l'argument avancé par la
ministre de l'Emploi et de la Solidarité
41(
*
)
, afin de rassurer sur la capacité du FSV
à enregistrer les excédents nécessaires à
l'alimentation du fonds de réserve.
" Les excédents du FSV, qui constituent la première
source de financement du fonds de réserve des retraites,
résultent des dynamiques structurellement différentes des
recettes (CSG pour l'essentiel, qui bénéficie de la croissance
économique) et des dépenses (notamment minimum vieillesse dont le
nombre d'allocataires diminue régulièrement) ".
Si le FSV est amené à dégager des excédents du fait
de la diminution du nombre des allocataires du minimum vieillesse
42(
*
)
, ces excédents ne sont toutefois pas
multipliables à l'infini, contrairement à ce que suggère
la rhétorique du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Le manque à gagner des intérêts financiers
Le 21
janvier 2000, une note de la direction de la Prévision indique que
"
le FSV participe à la hauteur de 5,5 milliards de francs
à la RTT en 2000 et sa contribution atteint 12 milliards de francs en
2002. A partir de cette date, il reverse en effet l'ensemble de ses droits
alcools. A l'horizon 2020, le FSV a donc contribué pour 244 milliards de
francs au financement de la RTT, montant cumulé hors
intérêt
".
S'agissant d'un fonds dont l'objet même est d'accumuler des produits
financiers pendant une période d'au moins vingt ans, votre rapporteur a
souhaité estimer le manque à gagner en de tels produits
financiers qu'entraîne la disparition des flux des ressources qui
auraient dû abonder le fonds.
Plusieurs méthodes sont techniquement possibles pour calculer ces
produits financiers sur la période 2000-2020.
Mais, afin d'éviter toute contestation, votre rapporteur retiendra ici
un calcul très simple qui s'appuie sur les projections du Gouvernement.
Dans son annonce du 21 mars 2000, le Premier ministre propose un plan de
financement fondé sur 670 milliards de francs qui doivent
générer eux même 330 milliards de produits financiers.
Selon cette hypothèse fondée sur un taux d'intérêt
de 4 %, les flux de ressources génèrent un montant de produits
financiers égal à la moitié de ces flux.
Ainsi, les sommes prélevées sur les excédents du fonds de
solidarité vieillesse destinés au fonds de réserve
auraient pu générer, sur le modèle du plan de financement
Gouvernemental, des montants de cet ordre :
en milliards de francs
Flux 2000-2020 Produits financiers 2020
Trente-cinq heures - 411 - 205
APA - 115 - 57
AGIRC-ARRCO - 14 - 7
TOTAL
-
540
-
269
L'ampleur des masses financières concernées soit, au total,
près de 800 milliards de francs, montre l'impact
considérable des décisions prises aujourd'hui par le
Gouvernement.
c) La dette de l'Etat à l'égard des régimes de retraite AGIRC-ARRRCO
Par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement entendait faire prendre en charge sa dette ancienne à l'égard des régimes de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.
Le
règlement du contentieux des périodes Fonds national de l'emploi
(FNE)
entre les régimes de retraite complémentaire et
l'Etat.
Un
contentieux opposait depuis 1984 les régimes de retraite
complémentaire ARRCO et AGIRC à l'Etat au sujet du financement
des droits de retraite attribués par ces régimes, pour les
périodes pendant lesquelles les salariés sont indemnisés
au titre du Fonds national de l'emploi ou des autres allocations du
régime de solidarité.
L'Etat s'était engagé en 1984 à rembourser à ces
régimes la charge des allocations correspondant aux point
attribués selon ces modalités.
Si l'inscription des points au profit des préretraités a bien
été effectuée par les régimes, les factures
adressées à l'Etat à ce titre étaient
restées impayées.
Constatant l'absence de contribution de l'Etat, les partenaires sociaux avaient
décidé, pour faire pression, de subordonner l'attribution de
nouveaux droits à compter du 1
er
juillet 1996 à son
engagement explicite de les financer.
Depuis 1998, les rencontres s'étaient multipliées entre les
représentants des régimes et le cabinet de Martine Aubry. Le 23
mars 2000, une convention conclue entre l'Etat, d'une part, l'ARRCO et l'AGIRC,
d'autre part, précise les modalités de règlement du
contentieux.
Le remboursement au titre des cotisations antérieures se monte à
2,025 milliards de francs en faveur de l'AGIRC et 7,425 milliards de
francs en faveur de l'ARRCO. Par ailleurs, les pouvoirs publics prennent en
charge, à partir du 1
er
janvier 1999, 70 % des
cotisations aux régimes complémentaires relatives aux
périodes de préretraite ou de chômage, cotisations
calculées sur la base du salaire de la dernière année
d'activité.
La liquidation de la dette se fera sur plusieurs années, ce qui pose la
question de son impact sur le FSV.
Malgré l'opposition du Sénat, le Gouvernement a maintenu ce
montage qui soulage le budget de l'Etat mais qui alourdit les dépenses
du FSV
43(
*
)
.
Si le Conseil constitutionnel a censuré cet article du projet de loi de
financement, le Gouvernement l'a néanmoins réintroduit dans le
projet de loi de modernisation sociale
44(
*
)
.
En sus des difficultés comptables qu'il présente
45(
*
)
, l'adoption de ce dispositif aboutirait à
transférer une charge de 14 milliards de francs au FSV sur la
période, hors intérêts financiers (20 milliards de francs
intérêts financiers compris).
Les
conséquences comptables de la prise en charge de la dette
AGIRC-ARRCO par le FSV
Par une
lettre en date du 30 novembre 2000, le directeur du FSV alertait le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité sur les
conséquences comptables de cette mise à la charge du fonds de la
dette contractée par l'Etat envers les régimes AGIRC-ARRCO.
" J'ai l'honneur d'appeler votre attention sur les conséquences
comptables de la prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse
des validations, pour la retraite complémentaire, des périodes de
chômage et de préretraite indemnisées par l'Etat.
" L'article 22 du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 prévoit en effet que le FSV
finance, dans des conditions prévues par la convention du 23 mars 2000
entre l'Etat, d'une part, l'AGIRC et l'ARRCO, d'autre part :
" - les cotisations dues à compter du 1
er
janvier
1999 au titre des périodes de perception de l'ASS, des PRP et des
ASFNE ; la charge annuelle correspondante peut être estimée
à 2,2 milliards de francs ;
" - le remboursement des sommes dues antérieurement au
1
er
janvier 1999, pour la validation des périodes de
perception de ces allocations ; le montant total de la dette est
fixé, dans la convention du 23 mars 2000 précitée,
à 9.450 millions de francs en 2000.
" En application de la convention conclue avec l'Etat, les régimes
complémentaires ont procédé, dans leurs comptes de
l'année 1999, à l'inscription au bilan de la créance au
titre des exercices antérieurs à 1999 et ont
intégré, dans leur compte de résultat 1999, les
cotisations à recevoir au titre des périodes indemnisées
au cours de cet exercice.
" Ainsi, au titre de chaque exercice postérieur à 1999, les
régimes complémentaires seront amenés à constater
dans leur compte de résultat un produit correspondant aux cotisations
dues par le FSV au titre des périodes indemnisées au cours de
l'exercice considéré.
" En conséquence, la constatation des créances des
régimes complémentaires de retraite dans les comptes du FSV,
selon des écritures " miroirs " à celles de l'AGIRC et
de l'ARRCO, devrait amener notre établissement à constater, au
titre de l'exercice 2000, une charge estimée à
13,3 milliards de francs.
" Ce montant correspond, d'une part, à la dette au titre des
exercices antérieurs à 1999, soit 9,45 milliards de francs,
minorée du versement de l'Etat de 0,65 milliard de francs intervenu
à l'été 2000, et, d'autre part, aux cotisations dues par
le FSV au titre des périodes indemnisées en 1999 et 2000, soit
environ 4,5 milliards de francs.
" Pour les exercices postérieurs à l'année 2000, le
FSV constaterait chaque année une charge correspondant aux validations
des périodes d'ASS et de préretraite indemnisées au cours
de l'exercice, selon des modalités similaires à celles d'ores et
déjà appliquées pour la retraite de base.
" La constatation de ces dettes conduirait néanmoins à
rendre négatifs les capitaux propres de la section de solidarité
du FSV dès l'exercice 2000. En effet, les fonds propres de
l'établissement s'élèvent, à fin 1999, à
8.637 millions de francs. Ils s'établiraient autour de
- 4,3 milliards de francs à fin 2000 et de
- 6 milliards de francs à fin 2001.
" L'obligation d'équilibre financier prévue à
l'article L. 135-3 du code de la sécurité sociale ne serait plus
remplie.
"
Dans ce contexte, toute dotation de la section des opérations
de solidarité du FSV au fonds de réserve devrait être
écartée, dans l'attente de la reconstitution des capitaux propres
de cette section.
" Dans la perspective du prochain conseil d'administration du FSV, qui
devrait se tenir le 14 décembre 2000, je vous serais très
obligé de me faire savoir si vous partagez cette analyse et, le cas
échéant, vos précisions sur la traduction comptable des
engagements pris par le FSV au titre de l'article 22 du PLFSS pour 2000.
" En effet, si cette interprétation des textes en vigueur se
confirme, et en accord avec le président du conseil d'administration du
fonds, je serais contraint de proposer au conseil d'administration de constater
l'intégralité des créances des régimes
complémentaires vis-à-vis du FSV.
" Sur les deux exercices 2000 et 2001, les créances des
régimes complémentaires atteignent 15 milliards de
francs.
Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité pour sa part estime
que l'article qui transfère à la charge du fonds cette dette, se
contente de fixer un échéancier et, seules doivent être
prises en compte, à ce titre, les sommes qui seront effectivement
déboursées dans l'année.
La règle des droits constatés suppose que, soient imputées
sur l'année " n " les charges dont la contrepartie est
certaine, même si le décaissement intervient lors d'exercices
ultérieurs.
La position du ministère de l'Emploi et de la Solidarité n'est en
conséquence pas tenable.
Les charges dues par l'Etat au titre des années antérieures
à 1999 sont réelles et constatées. Comme le rappelle le
directeur du FSV, les organismes AGIRC-ARRCO ont déjà inclus dans
leurs comptes ces créances. Il n'y a donc pas de raison de
prévoir un dispositif spécial aboutissant à introduire,
dans des comptes en droits constatés, des éléments
évalués selon le principe encaissement/décaissement, au
rythme fixé par la convention.
Alors que l'article L. 135-3-4 CSS dispose que les recettes et les
dépenses du fonds sont équilibrées, une telle
interprétation a pour objet de contourner l'obligation
d'équilibre du FSV et pour conséquence d'introduire un
sérieux problème d'insincérité budgétaire.
Le fonds de réserve fait bien évidemment les frais de cette
manipulation comptable comme l'indique le directeur.
3. Les excédents de la CNAF déjà annexés
Par les
transfert évoqués précédemment (financement des
trente-cinq heures et prise en charge de la dette de l'Etat AGIRC-ARRCO),
le
Gouvernement a dégradé les comptes du FSV de plus de 540
milliards sur la période 2000-2020.
Les comptes de ce dernier ne disposent d'ailleurs pas d'une telle somme puisque
les excédents qu'ils étaient susceptibles de réaliser
entre 2000 et 2020 étaient initialement estimés à un peu
plus de 300 milliards de francs.
a) Une double ponction
Aussi, le Gouvernement a-t-il entrepris, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, d'annexer au FSV les excédents de la branche famille selon deux mécanismes : transfert des charges et prélèvement sur recettes.
(1) 375 milliards de francs prélevés par l'affectation à la CNAF d'une charge indue
L'article 22 de la loi de financement de la
sécurité
sociale pour 2001 modifie tout d'abord le périmètre des
interventions du FSV en confiant à la branche famille l'une des missions
essentielles de ce fonds : la prise en charge des majorations de pension
de retraite pour les assurés ayant élevé des
enfants
46(
*
)
.
Cette charge de 17 milliards de francs en 2000, dépassant à
terme les 20 milliards de francs par an, sera progressivement
transférée à la CNAF, par tranche annuelle de 15 %,
et allégera ainsi les comptes du FSV au détriment de la branche
famille de 375 milliards de francs sur la période 2001-2020.
(2) 40 milliards de francs cédés par la CNAF au titre d'une perte de recettes
Malgré les premiers prélèvements
réalisés à son profit sur la branche famille,
l'équilibre des comptes du FSV à terme n'était pas
rétabli.
Par cette même loi de financement, les 13 % du produit de la taxe de
2 % sur les revenus du capital que cette branche détenait encore
sont transférés au FSV.
Un rapide calcul permet de déterminer l'étendue de la perte pour
cette branche à l'horizon 2020.
Dans les projections sur lesquelles s'appuie le Premier ministre, la taxe de
2 % sur les revenus du capital est attribuée pour 50 % au
fonds de réserve des retraites, pour lequel ces 50 % doivent
générer un montant de 150 milliards de francs sur la
période 2000-2020.
Ainsi, en reprenant les hypothèses du Premier ministre, 13 % de
cette même taxe renfloueront le FSV de 39 milliards de francs sur la
même période au détriment, encore une fois, de la branche
famille.
Produit de 2 % sur les revenus du capital 2001-2020
en milliards de francs
|
Taux |
Total cumulé |
Part affectée au fonds de réserve par le Premier ministre |
50 % |
150 |
Part retirée à la CNAF pour équilibrer le FSV |
13 % |
39 |
Source : commission des Affaires sociales
Cette
double ponction opérée par la branche famille apparaît
totalement déraisonnable, notamment si on la compare aux
prévisions d'excédents de cette branche.
En effet, selon une note de la Direction de la Prévision en date du
21 janvier 2000, elle estime ces excédents, sous l'hypothèse
d'une croissance des prestations familiales calée sur le PIB, à
162 milliards de francs en cumulé en 2020.
Ce qui voudrait dire que les dépenses nouvelles mises à la charge
de la branche famille et les prélèvements opérés
sur ses recettes conduiraient à mettre cette branche en déficit.
Or chacun se souviendra que les difficultés financières de la
branche, il y a moins de quatre ans, avaient conduit le Gouvernement à
remettre en cause l'universalité des prestations familiales.
Le rapport annexé à l'article premier de la loi de financement de
la sécurité sociale pour 1998
47(
*
)
indiquait ainsi "
le Gouvernement souhaite
mettre davantage de
justice dans les transferts financiers vers les familles, avec le souci d'une
appréhension globale de la politique familiale et la volonté de
restaurer l'équilibre financier, gravement compromis aujourd'hui, de la
branche famille
".
Aussi, les ponctions opérées par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 non seulement privent la branche
famille des moyens d'une politique ambitieuse -faut-il rappeler que les enfants
nés aujourd'hui seront les cotisants de 2020-2040, période du
choc démographique annoncée ?- mais encore risquent de
servir de prétexte à des remises en cause fondamentales au titre
de la restauration des équilibres " gravement compromis ".
b) Un apport pourtant insuffisant
L'évolution du périmètre du FSV en loi de financement de la sécurité sociale laissait à ce fonds un léger déficit, de 10 milliards de francs.
Transfert et compensation sur le FSV
en loi de
financement de
la sécurité sociale pour 2001
en milliards de francs
Trente-cinq heures |
411 |
Transfert à la CNAF de la charge des majorations de pensions |
375 |
Dette AGIRC ARRCO |
14 |
Part du produit de 2 % sur les revenus du capital précédemment affectée à la CNAV |
40 |
Etat des prélèvements programmés fin 2000 |
425 |
Etat des compensations programmées fin 2000 |
415 |
Source : commission des Affaires sociales
Mais, ces transferts ne comprennent pas la partie de CSG cédée par le FSV au profit du nouveau fonds devant financer l'APA, telle qu'annoncée en mars 2001, et qui représente, sur la période 2001-2020, 115 milliards de francs. 48( * )
Transfert et compensation en mars 2001
Trente-cinq heures |
411 |
Transfert majorations de pensions |
375 |
Dette AGIRC-ARRCO |
14 |
Part produit 2 % |
40 |
APA |
115 |
|
|
Total prélèvement |
540 |
Total compensation |
415 |
Source : commission des Affaires sociales
Le
FSV : pierre angulaire du financement ou plaque tournante des
prélèvements ?
Source : commission des Affaires sociales
C'est donc désormais une illusion de prétendre que les excédents du FSV financent le fonds de réserve. Ces excédents (310 milliards de francs) ont été préemptés, et au-delà pour financer les trente-cinq heures.
Prélèvements et compensations : le fonds
de
réserve est perdant
(cumulé 2020)
Montants en milliards de francs
Source : commission des Affaires sociales
Ces
excédents de la branche famille mobilisés (415 milliards de
francs) qui transitent désormais par le FSV :
- complètent ainsi le financement des trente-cinq heures
(100 milliards de francs) ;
- financent l'APA et la dette AGIRC-ARRCO (130 millions de
francs) ;
- et pour le solde contribuent au fonds de réserve sous la rubrique
" excédent du FSV ".
Ou encore, sur une masse d'excédents de 725 milliards de francs,
constitués majoritairement par les excédents de la CNAF
intégrés au FSV, 185 milliards de francs, soit environ le
quart, aboutissent en définitive au fonds de réserve pour les
retraites.
Les pertes en ligne dans l'usine à gaz sont si élevées
qu'à l'évidence la finalité première de cette
tuyauterie ne peut être d'abonder le fonds de réserve.
C. LES EXCÉDENTS DE LA CNAVTS ENTAMÉS
Dans le
plan de financement annoncé par le Premier ministre le 21 mars
2000, les excédents du régime général d'assurance
vieillesse (CNAV) tiennent également une place significative.
Ce plan prévoit en effet que d'ici 2020, la CNAV doit verser
100 milliards de francs d'excédents au fonds de réserve.
Ce montant correspond à 15 % des ressources du fonds (hors produits
financiers).
En effet, la CNAV sera en déficit d'ici 2009. Les 100 milliards de
francs auront donc été versés avant cette date.
Concentrés sur le début de la période, ces versements
doivent générer des produits financiers substantiels à
l'horizon 2020.
1. Des évaluations divergentes, dont la plus optimiste est majorée par le Gouvernement
L'ensemble des administrations ne s'accordent pas sur le montant des excédents que la CNAVTS est susceptible de fournir au fonds de réserve.
a) Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité : 30 milliards de francs sous l'hypothèse d'un chômage à 6 %
Le
ministère de l'Emploi et de la Solidarité n'a
réalisé aucune projection sur la base d'un taux de chômage
ramené à 4,5 %, dont, pourtant, la
" crédibilité " est affirmée par Mme Elisabeth
Guigou
49(
*
)
.
Selon une note de la Direction de la Sécurité sociale en date du
19 novembre 1999, sous la perspective d'un taux de chômage de
6 % et d'une stricte indexation sur les prix des pensions de retraite, la
CNAV ne serait susceptible de verser au fonds que 26,5 milliards de francs.
Cette évaluation est proche de celle examinée par le
FSV
50(
*
)
le 14 décembre 2000, qui
évalue à 30 milliards les excédents de la CNAV
mobilisables pour le fonds de réserve à l'horizon 2020.
b) Le ministère des Finances : 85 milliards de francs sous l'hypothèse d'un chômage à 4,5 %
Le
ministère des Finances a réalisé quant à lui une
évaluation des excédents mobilisables de la CNAV sur le fondement
du scénario gouvernemental d'un retour à un taux de chômage
de 4,5 %.
Dans cette perspective, la Direction de la Prévision en janvier 2000
estime que 85 milliards de francs pourraient être
transférés de la CNAV au fonds de réserve sur la
période 2000-2020.
Cette hypothèse très favorable suppose un versement de
6,4 milliards de francs au titre de l'exercice 2001, 13,6 milliards
pour 2002 puis des montants de l'ordre de 14 milliards de francs
(15,6 milliards en 2004) annuels jusqu'en 2008.
c) L'hypothèse favorable est " majorée " par le Premier ministre
Le
Premier ministre a majoré de 15 milliards de francs la projection du
ministère des Finances (100 milliards de francs au lieu de
85 milliards de francs).
Le souci d'afficher un " chiffre rond ", de 100 milliards de
francs et au total de 1.000 milliards de francs, afin de rendre les objectifs
du fonds plus lisibles aux yeux des Français, explique probablement ce
" coup de pouce ".
2. Des évaluations immédiatement démenties par une indexation des pensions supérieure aux prix
Force
est de constater que la réalisation de projection sur la base d'une
stricte indexation des pensions sur les prix, démentie dans
l'année, n'est pas crédible.
Six mois après avoir établi ces prévisions, le
Gouvernement s'en écarte par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001 au titre de la participation des
retraites aux fruits de la croissance.
Dans une note du 2 février 2001, la Direction de la
Prévision constate qu'une "
différence notable
réside dans le montant des excédents de la CNAV versés au
fonds de réserve
".
Cette note ajoute par ailleurs que ces excédents seraient moindres
"
sur toute la période 2001-2004 d'environ 20 milliards de
francs en cumulé
" et impute ce déficit
"
à des revalorisations récentes des pensions
supérieures à celles qui auraient été retenues dans
les projections sous-jacentes aux annonces du Premier ministre
".
Le constat de la Direction de la Prévision dans la note
précitée du 2 février 2001 est sans appel :
"
si les pensions évoluent plus vite que les prix, le montant
des " excédents " attribuables au fonds de réserve
diminuera de manière conséquente
".
D. LES RESSOURCES ALTERNATIVES INCERTAINES
La
réflexion conduite par les administrations sur les moyens mobilisables
susceptibles d'assurer, partiellement, demain, le comblement des
déficits des régimes de retraite a dépassé le
périmètre des ressources destinées à l'assurance
vieillesse (FSV, CNAV).
Cet exercice d'identification mené par l'Administration elle-même
avait pour vocation initiale la constitution d'un fonds de réserve
beaucoup plus conséquent et mobilisant l'ensemble des excédents
de la sécurité sociale.
Cette initiative a fait long feu : le ministère de l'Emploi et de
la Solidarité s'est opposé à une telle perspective.
Or, deux ans après l'établissement de cette liste, l'essentiel de
ces ressources alternatives n'est plus mobilisable.
1. Les incertitudes du produit de la cession des licences UMTS
a) Un manque de prudence évident
Pour avoir voulu régler le problème des retraites sans effort, le Gouvernement a commis des erreurs qui auraient pourtant pu être évitées.
(1) Histoire d'une bulle ordinaire
Le 11
mai 2000, M. Jean-Michel Hubert, président de l'Autorité de
régulation des télécommunications
51(
*
)
, déclarait :
"
Le 7 mars 2000, nous avons transmis notre proposition au Gouvernement
en vue de sélectionner les quatre opérateurs de
télécoms mobiles de
3
ème
génération. Ce texte comportait le
texte de l'appel à candidatures, fondé sur une méthode de
soumission comparative.
" Il devrait être publié par le Gouvernement, mais le
résultat des enchères britanniques et les perspectives
d'enchères allemandes l'ont conduit à s'interroger sur
l'équilibre financier de ces attributions
".
Cette proposition, transmise par l'ART au ministre de l'Economie et des
Finances
52(
*
)
, prévoyait une
sélection fondée sur " la soumission comparative ",
c'est-à-dire prenant en compte des critères en termes
d'aménagement du territoire et de service public, cette procédure
devant rapporter sur quinze ans une somme de 9 milliards de francs.
Cette procédure, ainsi que l'a indiqué M. Hubert, ne satisfait
pas le nouveau ministre de l'Economie et des Finances, M. Laurent Fabius, la
procédure des enchères ayant notamment permis au Gouvernement
britannique de récolter des montants bien supérieurs.
Le Gouvernement français cherche alors à concilier ses objectifs
de service public et ses intérêts financiers, en augmentant le
prix global des licences de 9 à 130 milliards de francs, sans pour
autant modifier les obligations dont est assortie la délivrance de ces
autorisations d'exploitation.
Comparaison des obligations assorties à l'attribution de licences
|
Royaume-Uni |
France |
Mode d'attribution |
Enchères |
Soumission comparative |
Durée d'attribution |
20 ans |
15 ans |
Cessibles durant la période |
oui |
non |
Obligation de couverture du territoire |
faibles |
importantes |
Source : commission des Affaires sociales
Cette modification acquise, le prix des licences en France figure parmi les
plus élevés des Etats ayant choisi de sélectionner leurs
candidats par soumission comparative. A titre d'exemple, l'Espagne ne
réclamait que 846 millions de francs par licence. L'Italie qui a
procédé à une double sélection
53(
*
)
a fixé un prix de 15,8 milliards de
francs par licences, soit moitié moins que la France.
Les licences UMTS en Europe : état des lieux
montants en millions de francs
|
Procédure |
Nombre de licences |
Montant global |
Prix par licence |
Date |
Allemagne |
enchères |
6 |
332.000 |
55.000 |
août-00 |
Autriche |
enchères |
6 |
5.450 |
908 |
nov-00 |
Espagne |
soumission comparative |
4 |
3.380 |
846 |
mars-00 |
Finlande |
soumission comparative |
4 |
0 |
0 |
mars-99 |
France |
soumission comparative |
4 |
130.000 |
32.500 |
juin-00 |
Italie |
à deux tours |
5 |
79.250 |
15.850 |
oct-00 |
Norvège |
soumission comparative |
4 |
655 |
163,75 |
nov-00 |
Pays-Bas |
enchères |
5 |
17.550 |
3.510 |
juil-00 |
Portugal |
soumission comparative |
4 |
2.620 |
655 |
déc-00 |
Royaume Uni |
enchères |
5 |
252.175 |
50.400 |
avr-00 |
Suède |
soumission comparative |
4 |
0 |
0 |
janv-01 |
Suisse |
enchères |
4 |
884 |
221 |
déc-00 |
Source : commission des Affaires sociales
Or, au moment où l'ART remet sa proposition au Gouvernement, le
7 mars 2000, la capitalisation boursière des trois
opérateurs de téléphonie mobile
54(
*
)
, candidats à l'attribution d'une licence,
atteint un niveau record.
Dans les trois mois qui séparent la remise de cette proposition des
annonces du ministre de l'Economie et des Finances devant l'Assemblée
nationale le 6 juin 2000, la capitalisation de ces entreprises a fondu de
moitié.
Evolution du cours de l'action des trois entreprises de
téléphonie mobile candidates à l'attribution d'une licence
Source : commission des Affaires sociales
Cette forte symétrie à la hausse, puis à la baisse, n'a pas inquiété le Gouvernement sur les difficultés pour ces opérateurs, en cas de retournement des marchés boursiers, à financer l'acquisition de licences à un prix que le Président directeur général de l'une de ces sociétés 55( * ) qualifie de " très élevé ".
(2) Une affectation précipitée
Le
Gouvernement n'a pas souhaité attendre la remise des dossiers de
candidatures auprès de l'ART pour annoncer l'affectation des produits
d'éventuelles attributions.
Dès le 6 juin 2000, le ministre de l'Economie et des Finances
dévoilait devant l'Assemblée nationale l'usage devant être
fait de ces ressources budgétaires exceptionnelles. Il est vrai que
cette déclaration répondait à un impérieux besoin
d'annonces à destination des marchés financiers
56(
*
)
.
Alors même que les dossiers n'étaient toujours pas
déposés, le Gouvernement a concrétisé ces annonces
dans les lois de financement de la sécurité sociale et dans la
loi de finances pour 2001.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001
prévoit qu'en 2001, le fonds de réserve recevra
18,5 milliards de francs au titre des produits UMTS.
Dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur
57(
*
)
, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité
confirme que, sur la base de la souscription de quatre opérateurs, les
affectations au fonds de réserve de produits UMTS devaient être de
18,5 milliards de francs en 2001 et de 18,5 milliards de francs en
2002.
L'article 36 de la loi de finances pour 2001 fixe la règle de
répartition du produit de ces licences mais en instaurant un
mécanisme de préemption en faveur de la dette.
(3) Une répartition complexe au détriment des retraites
La loi
de finances dispose en effet qu'en 2001 et 2002, 14 milliards de francs
seront attribués à la Caisse d'amortissement de la dette publique
(CADEP). Le reliquat du produit des licences sera versé au fonds de
réserve.
Or, si avec la cession de quatre licences, le montant des produits
s'élevait en 2001 et 2002 à 32,5 milliards de francs par an,
avec seulement deux licences attribuées, le produit passe de
32,5 milliards de francs à 16,25 milliards de francs en 2001
et en 2002.
Si, dans le cas d'une distribution de quatre licences, le reliquat
affecté au fonds de réserve s'élevait bien à
18,5 milliards de francs (32,5 - 14) dès lors que seules deux
licences sont acquises par des opérateurs, le montant versé au
fonds de réserve tombe de 18,5 à 2,25 milliards de francs
(16,25 - 14).
Au total, le fonds de réserve devait bénéficier en
2001et 2002 de 57 % du produit des licences UMTS. Cette part tombe
désormais à moins 14 %.
A contrario
, la part
affectée à l'amortissement de la dette de l'Etat, initialement de
43 %, est multipliée par deux.
Or, le fonds de réserve a besoin de ces fonds pour tenir son plan de
financement, d'autant plus que des sommes importantes versées en tout
début de période génèrent d'importants produits
financiers. Se trouve posée légitimement la question d'une
modification des règles posées par la loi de finances pour
2001.
(4) La réponse du Gouvernement : une forme d'autisme
Interrogé le 2 février 2001
58(
*
)
sur la perspective d'une modification de la loi de
finances pour 2001 permettant qu'un montant garanti du produit de ces licences
soit affecté au fonds de réserve, le Gouvernement, par
l'intermédiaire du ministre délégué à la
Ville, a tenu la réponse suivante :
"
M. Alain Vasselle (...)
Or, nous savons bien que, du fait
du désengagement d'un certain nombre de partenaires, le produit des
licences ne sera pas au rendez-vous.
" Ma question est la suivante : Monsieur le ministre, le Gouvernement
compte-t-il modifier la loi de finances pour rétablir l'équilibre
initial entre l'amortissement de la dette publique et l'abondement du fonds de
réserve ?
"
M. Claude Bartolone, ministre délégué
à la ville
. Monsieur le sénateur, vous interrogez le
Gouvernement sur les régimes de retraite.
Puisqu'il s'agit de
questions d'actualité, je vais essayer de répondre à
l'actualité
.
" La première priorité du Gouvernement est de
préserver l'avenir des régimes de retraite par
répartition. Nos concitoyens y sont attachés et ces
régimes ont assuré, depuis cinquante ans, la
sécurité des retraites après une vie de travail.
" Les résultats obtenus par le Gouvernement ont permis
d'améliorer la situation et de nous donner du temps pour négocier
avec les partenaires sociaux afin d'éviter les problèmes que vous
avez pu connaître en soutenant le gouvernement Juppé qui, en
mettant des millions de salariés dans la rue, a retardé toute
évolution de ce dossier.
"
Mais nous nous préoccupons aujourd'hui exclusivement, puisque
nous parlons d'actualité, des retraites complémentaires et non
bien entendu des régimes de base. Il faut être bien clair sur ce
point
.
" Il n'y a pas non plus d'inquiétude à avoir sur la
pérennité de la liquidation des retraites complémentaires
de ceux qui sont déjà à la retraite ou qui y parviendront
d'ici au 31 mars 2001. Ces pensions ne subiront aucune modification, elles
continueront d'être versées comme elles le sont aujourd'hui.
" En revanche, puisque vous me posez cette question, ce qui est en cause,
c'est le niveau des retraites complémentaires de ceux qui partiront
après le 31 mars prochain avant soixante-cinq ans, et le maintien
ou non des prestations que prélève actuellement l'UNEDIC pour le
compte de ce qu'on appelle l'association pour la structure financière,
l'ASF.
" Sur ces deux questions, je ne peux que constater la compétence
première des partenaires sociaux, qui disposent d'une large autonomie
conventionnelle dans ce domaine. Je note que les négociations n'ont pas
abouti à ce jour et que
le MEDEF semble en porter la
responsabilité. Je pense que c'était à lui, dans un
premier temps, compte tenu de l'urgence, que vous auriez dû poser votre
question
! "
Votre rapporteur s'interroge encore sur les raisons pour lesquelles il aurait
dû, selon M. Claude Bartolone, consulter le MEDEF sur l'adaptation
en loi de finances de la clef de répartition des produits des licences
UMTS entre le fonds de réserve des retraites et l'amortissement de la
dette publique. Il observe en outre qu'il n'appartient pas au Gouvernement de
déterminer, lorsqu'il répond au Parlement, ce qui
relèverait ou non de l'" actualité ".
Prenant acte de la réponse manifestement " hors sujet " du
Gouvernement, votre rapporteur a tenté sa chance une seconde fois dans
les mêmes termes
59(
*
)
.
La réponse de Mme Ségolène Royal, ministre
délégué à la Famille à l'Enfance et aux
Personnes handicapées, pour être différente de la
digression de son collègue chargé de la Ville, ne répond
pas davantage à la question :
"
M. Alain Vasselle (...)
Ma question, Madame la ministre, sera
celle que j'avais posée en février dernier à M. Bartolone
et à laquelle il n'a pas daigné répondre :
entendez-vous demander la modification de la loi de finances pour 2001, afin de
prendre en compte ce nouveau manque à gagner ?
"
Mme Royal, ministre déléguée à la
famille et à l'enfance
. Je vous présente les excuses de Mme
Guigou, retenue au Parlement européen.
"
Vous faites état d'un rapport qui n'a pas encore
été communiqué au Gouvernement, ce qui ne me facilite pas
la tâche de vous répondre
. Je le regrette mais ne doute pas un
instant que vous aurez la courtoisie de le transmettre au Gouvernement dans les
jours qui viennent (...)
" Quant aux engagements pris en mars dernier par le Premier ministre, ils
seront tenus : le fonds de réserve sera doté de
65 milliards avant la fin de 2002 et l'abandon de la vente des licences
UMTS ne remet pas en cause ses ressources.
" Enfin, le Gouvernement s'est engagé à présenter un
texte législatif faisant du fonds de réserve pour les retraites
un organisme autonome où les partenaires auront toute leur place et
où, en conséquence, régnera toute la transparence
requise. "
Votre rapporteur n'entendait certainement pas contrevenir à la
courtoisie en interrogeant le Gouvernement sur un rapport non publié et
non encore soumis à la commission des Affaires sociales.
Il n'avait pas davantage considéré qu'un double de ses
correspondances avec Mme Yannick Moreau, présidente du Conseil
d'orientation des retraites, -car tel est le document auquel se
réfère en réalité la ministre- devait être
systématiquement adressé au Gouvernement. Ce dernier, au
demeurant, est fort bien représenté au sein du COR (quatre
représentants de l'Etat y siègent).
La question de votre rapporteur avait un objet précis et était
identique à celle qu'il avait posée deux mois auparavant, soit
bien avant la mission de contrôle sur le fonds de réserve et
a
fortiori
le courrier adressé au COR le 22 mars 2001.
Aussi, la " tâche de lui répondre " ne semblait pas
hors de portée de Mme Ségolène Royal.
b) Un discours ambigu :sur la prise en compte des licences UMTS
(1) le produit des licences compris dans les 1.000 milliards du fonds
Lors de
sa présentation du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001, la ministre de l'Emploi et de la
Solidarité
60(
*
)
déclarait :
"
Le fonds de réserve, créé en 1998, s'est vu
affecter des ressources nouvelles dès 1999 avec les excédents de
la CNAV et du fonds de solidarité vieillesse, la moitié du
prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine, les
contributions des caisses d'épargne et de la Caisse des
dépôts et consignations
auxquels s'ajoute la majeure partie des
produits de la vente des licences de téléphonie mobile de
troisième génération
(...). Le fonds de réserve
disposera ainsi de 50 milliards de francs à la fin de
l'année prochaine. Les ressources du fonds s'accroissent donc
conformément aux engagements pris par le Gouvernement. Avec les sources
de financement actuelles, le fonds de réserve devrait disposer de 1.000
milliards de francs en 2020 dont 300 milliards d'intérêts
financiers
".
Cette déclaration inclut le produit de la cession des UMTS dans les
ressources du fonds de réserve, sans pour autant majorer le montant
final dont le fonds sera doté en 2020, c'est-à-dire 1.000
milliards de francs.
Comment pourrait-il en être autrement quand l'attribution de ces licences
vient compenser les retards importants pris dans l'abondement du fonds de
réserve, du fait des ponctions réalisées sur les
ressources énumérées par le Premier ministre le 21 mars
2000 ?
Ainsi, le fonds devait rassembler entre 30 et 35 milliards de francs par an
pour atteindre ces 1.000 milliards, comme l'a rappelé le Conseil
d'orientation des retraites
61(
*
)
.
Or, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 fixe,
en prévision, le niveau du fonds de réserve.
Impact
de l'UMTS sur les ressources
du fonds de réserve en
2001
(prévision initiale)
en milliards de francs
|
Hors UMTS |
Avec UMTS |
Flux en 2001 |
13,2 |
31,7 |
Solde fin 2001 |
36,5 |
55 |
Source : commission des Affaires sociales
Ainsi, hors licences UMTS, la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001 ne prévoit qu'un abondement de 13 milliards de francs,
soit presque trois fois moins que le montant nécessaire.
Ce n'est que par l'intermédiaire du produit de ces licences qu'une somme
de 31 milliards de francs pouvait effectivement être
mobilisée.
Le produit de ces licences, s'il n'avait pas été inclus
initialement parce que le 21 mars 2000 le Premier ministre ignorait le montant
qu'il pouvait en espérer, fait partie intégrale du plan de
financement, dès la loi de financement de la sécurité
sociale, avec pour mission d'en colmater les brèches.
(2) Les licences UMTS ne sont plus comprises dans les 1.000 milliards de francs
Le
Gouvernement, devant le constat des pertes de recettes causées par le
retrait de deux candidats, semble modifier la position retenue lors du
débat sur la loi de financement, par la ministre de l'Emploi et de la
Solidarité.
En effet, le 26 mars 2001
62(
*
)
, celle-ci
confirmait que les licences UMTS n'étaient pas comprises dans le plan de
1.000 milliards de francs en ces termes "
le fait que seulement
deux licences UMTS puissent être attribuées en 2001 ne compromet
nullement l'objectif : les financements prévus pour atteindre
l'objectif annoncé en mars 2000 par le Premier ministre ne comprenaient
pas le produit de la vente des licences UMTS. Ces recettes viendront donc en
surplus
".
Il n'avait pourtant jamais été question de surplus lors de son
discours devant le Sénat ; mais comme le suggère l'heureuse
formule de Georges Orwell
63(
*
)
"
On ne
sait jamais de quoi hier sera fait !
".
Cette gestion du produit des licences UMTS est à l'image de l'ensemble
du fonds de réserve.
Les Français ne doivent pas se préoccuper des
" moyens " car la " fin " est garantie par le Premier
ministre : le fonds de réserve aura ses
1.000 milliards
64(
*
)
de francs.
c) Chiffrage de la perte de recettes
Dans une
note en date du 2 février 2001, la Direction de la Prévision
chiffre la perte de recettes : "
L'affectation prévue du
produit de la cession de quatre licences de téléphonie mobile de
troisième génération (UMTS) aurait augmenté le
montant des fonds accumulés dans le FRR d'environ 160 milliards
de francs en 2020.
" Toute licence non attribuée entraînerait une baisse des
sommes accumulées dans le fonds en 2020 d'environ 55 milliards de
francs
".
La perte de recettes, du double fait du retrait de deux candidats
présumés et du mécanisme de préemption
instauré par la loi de finances en faveur de la Caisse d'amortissement
de la dette publique (CADEP), se concrétise par un abondement au fonds
de réserve, et en l'état de la procédure, à
2,248 milliards
65(
*
)
de francs pour chacune
des années 2001 et 2002 au lieu des deux fois 18,5 milliards de
francs attendus.
2. Les ressources des privatisations non mobilisables
a) Une possibilité sous réserve des objectifs de la stratégie industrielle du Gouvernement
Dans sa
déclaration du 21 mars 2000, le Premier ministre avait ouvert une
perspective : "
Le principe d'une alimentation du fonds de
réserve par des ressources tirées de la gestion du patrimoine
industriel et financier de l'Etat mérite d'être soigneusement
étudié. Les actifs publics sont bien sûr le patrimoine de
la Nation tout entière.
"
Toutefois, ce Gouvernement a toujours privilégié une
stratégie de développement industriel visant à renforcer
les entreprises publiques dans la compétition mondiale. C'est d'ailleurs
ce qui a permis à ce patrimoine d'acquérir une valeur importante.
Il faut donc s'assurer que ces entreprises puissent continuer à
bénéficier des capitaux nécessaires à leur
développement.
"
C'est pourquoi nous devons concilier nos exigences de
stratégie industrielle avec la possibilité de contribuer à
long terme à la solution du problème des retraites.
"
Dès cette date, le Premier ministre avait évoqué la
possibilité de compléter le fonds de réserve avec des
ressources issues des dividendes de ces entreprises.
Cette possibilité a été très tôt
évoquée par les administrations, mais présente selon elles
des difficultés très importantes.
b) Une disponibilité entravée par un triple obstacle
(1) Un besoin structurel de financement du secteur public
Ce point
est soulevé par les trois directions du ministère de l'Economie
et des Finances, dans une note commune du 10 mai 2000.
"
Pour dégager des disponibilités financières
permettant d'affecter le produit de privatisations au fonds de réserve
pour les retraites, il faudrait à la fois décider de nouvelles
cessions d'entreprises publiques au secteur privé, et financer les
besoins récurrents de recapitalisation des entreprises publiques
directement par le budget de l'Etat.
" Comme le montre le budget prévisionnel du compte d'affectation
spéciale (CAS) pour 2000, le produit des privatisations et cessions de
participations de l'Etat doit être affecté aux besoins en capitaux
des entreprises publiques structurellement déficitaires (...). Les
besoins récurrents (...) sont de l'ordre de 20 milliards de francs
par an, ce qui suppose déjà que des décisions difficiles
soient prises pour assurer l'équilibre financier du CAS
. "
(2) Des actifs inadéquats pour le passif du fonds de réserve
Le
ministère des Finances poursuit.
"
La valeur patrimoniale des actifs détenus par l'Etat est
très difficile à estimer, à l'exception des entreprises
déjà cotées. La valorisation est en effet souvent
dépendante des liens économiques et financiers qui demeurent
entre l'entreprise et l'Etat : obligations statutaires, engagements de
retraites apurés ou non, reprise ou non par l'Etat d'engagements lourds
hors bilan. Sous ces réserves, les estimations courantes de la valeur de
ce patrimoine aboutissent à un montant d'un peu plus de
1.000 milliards de francs dont les deux tiers sont
représentés par EDF et France Télécom.
" L'affectation d'actions d'entreprises publiques au FRR (fonds de
réserve des retraites) aboutit en fait à une privatisation
différée car, dans l'hypothèse d'un fonds de lissage, le
FRR est destiné, à échéance plus ou moins
lointaine, à céder ses actifs.
" L'affectation des revenus de certaines entreprises publiques au FRR
priverait en outre le CAS de ressources, et créerait une charge durable
pour le budget de l'Etat.
" Enfin, l'actif représenté par des entreprises publiques
est peu diversifié et peut être considéré comme plus
risqué qu'un actif réparti sur l'ensemble du marché. De
plus, compte tenu des obligations de service public afférentes à
certaines de ces entreprises et, à moins d'une identification claire
sous forme de subventions publiques, du coût de ces obligations, la
rentabilité de ces actifs est en moyenne probablement inférieure
à celle d'un portefeuille diversifié. Cet actif n'offre donc pas
les meilleures caractéristiques pour figurer au portefeuille d'un fonds
de réserve. "
L'inscription à l'actif du fonds de titres, pour certains
spéculatifs
66(
*
)
et peu liquides pour
d'autres, est en effet hasardeuse.
(3) Un problème de statut
Comme
l'indique en outre le ministère de l'Economie, des Finances et de
l'Industrie, "
affecter ces titres au fonds de réserve suppose
une privatisation totale à terme qui pourrait être entravée
par des questions statutaires ou soumises à des aléas
politiques
".
Bien plus donc qu'un simple problème de stratégie industrielle,
la cession des entreprises publiques ne peut simplement pas répondre au
problème financier structurel et massif posé aux régimes
de retraite.
E. UNE ORGANISATION JURIDIQUE QUI FAIT PESER DES INCERTITUDES SUR LES PRODUITS FINANCIERS
Sans anticiper les développements consacrés à la gestion du fonds de réserve 67( * ) , deux éléments doivent être constatés ici, car ils sont de nature à peser fortement sur les montants finalement susceptibles d'être accumulés au sein du fonds de réserve.
1. La rentabilité des actifs du fonds : une variable déterminante
Dans le
plan de financement du Premier ministre publié le 21 mars 2000, le fonds
de réserve devra avoir accumulé 330 milliards de francs de
produits financiers sur la période 2000-2020 pour que les
1.000 milliards de francs soient atteints.
Ce montant représente un tiers des actifs du fonds.
Ressources du fonds de réserve en 2020
Source commission des Affaires sociales
Le
Premier ministre cale cette prévision sur une rentabilité des
actifs de 4 % par an.
Ainsi que le constate la Direction de la Prévision le
2 février 2001, les produits financiers susceptibles d'être
accumulés par le Fonds sont très sensibles à la variable
financière car
" un point de rendement inférieur
(3 %) "
à l'hypothèse initiale
" priverait
le fonds de 100 milliards de francs ".
2. Une configuration juridique probablement incapable d'assurer ce rendement de 4 % sur le long terme
Ainsi
que le souligne la note précitée,
" l'organisation
institutionnelle provisoire du fonds de réserve des retraites ne permet
pas un placement optimal des réserves "
, ce qui constitue
" une incertitude importante "
sur le rendement du placement
et donc
" sur les sommes qui pourront être in fine
accumulées au sein du fonds "
.
Cet avertissement est le dernier en date
68(
*
)
d'une longue série entamée voilà trois ans.
Dès le 8 octobre 1998, une note de la Direction de la Prévision
constatait
" le FSV n'apparaît absolument pas outillé pour
gérer, de manière professionnelle, le placement d'un fonds de
plusieurs milliards de francs sur les marchés financiers ".
Des critiques avaient déjà été portées par
votre rapporteur
sur le manque de visibilité
qui caractérisait la gestion du fonds à long terme
69(
*
)
.
" Votre rapporteur rappelle que le fonds de réserve actuel ne
constitue qu'une section du FSV.
" Certes, le décret 99-898 du 22 octobre 1999 a
précisé les statuts de chacune des sections, a
séparé leurs documents comptables et leurs trésoreries.
" Il n'empêche que le fonds de réserve des retraites, qui
sera appelé à gérer plus de 55 milliards avant la fin
de l'année 2001, ne dispose pas de la personnalité juridique et
demeure géré par l'équipe restreinte du FSV qui compte
moins de 10 personnes.
" A l'occasion de la Commission des comptes de la sécurité
sociale, le Gouvernement a présenté un pré-projet de loi
de financement qui procédait à la création d'un
établissement public.
" De fait, Mme Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la
Solidarité, avait déclaré dès le 12 novembre 1998
" pourquoi avoir inscrit le fonds de réserve au FSV ? Tout
simplement parce que c'est pour nous une position transitoire ".
" Le projet final ne souffle plus mot de cette question. M. Didier
Migaud, rapporteur général de la commission des Finances de
l'Assemblée nationale, note pourtant dans son rapport
70(
*
)
que "
la réussite de la mission du
fonds de réserve sera difficile tant que certaines conditions ne seront
pas remplies : le fonds de réserve doit disposer d'une
véritable structure distincte (...), les dirigeants du fonds doivent
être clairement identifiés
".
A l'occasion du vote de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001, le Sénat avait adopté un amendement ayant pour
objet la création d'un établissement public.
Or, le Gouvernement avait demandé le retrait de cet amendement, Mme
Dominique Gillot déclarant :
" Le Gouvernement
s'engage
donc à conduire ces travaux dans les meilleurs
délais et
à introduire les dispositions législatives
nécessaires dans le projet de loi de modernisation sociale
qui sera
présenté au Parlement au mois de janvier prochain. Cela vous
laisse deux mois pour vous associer à cette
réflexion "
.
71(
*
)
Le Sénat n'avait pas considéré cet engagement du
Gouvernement comme crédible. De fait, le projet de loi de modernisation
sociale déposé le 24 mai 2000 a été adopté
par l'Assemblée nationale le 11 janvier 2001 sans que le Gouvernement ne
prenne l'initiative d'un amendement relatif au fonds de réserve. Or,
l'avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2001, tel que soumis à l'avis du Conseil d'administration des caisses de
sécurité sociale comportait, en septembre 2000, un dispositif
complet qui a été retiré en définitive du projet de
loi déposé.
A nouveau, le Gouvernement, par la voix du ministre de l'Emploi et de la
Solidarité, a déclaré, le 26 mars 2001
72(
*
)
:
" Le Gouvernement confirme qu'il
entend constituer le fonds de réserve en organisme autonome où
les partenaires sociaux auront toute leur place. A cet effet, un projet de
texte législatif sera très prochainement présenté
au Parlement ".
Le nombre de projets de loi annoncés comme imminent à de
multiples reprises mais jamais déposés
73(
*
)
autorise toutefois une forme de scepticisme quant
à la perspective de mise en place rapide d'un statut juridiquement
transparent et financièrement efficace pour le fonds de réserve.
Il semble, en définitive, qu'un projet comportant diverses mesures
sociales et incluant le fonds de réserve sera déposé avant
fin avril.
F. LE REVERS DU FONDS DE RÉSERVE : LA CONSTITUTION SIMULTANÉE D'UN DÉFICIT DE MÊME TAILLE
1. Des déficits occultés
a) Un déficit compris entre 600 et 900 milliards de francs
Selon
les administrations, le déficit prévisionnel cumulé de la
CNAV en 2000 varie entre 600 et 900 millions de francs.
Interrogé par la commission des Affaires sociales, M. Jean-Luc
Cazettes
74(
*
)
, président de la CNAVTS,
prévoyait que, selon les hypothèses du Gouvernement d'un taux de
chômage ramené à 4,5 %,
" le déficit
cumulé de cette caisse atteindrait 600 milliards de francs en
2020 ".
Cette estimation ne semble d'ailleurs pas prendre en compte
les frais financiers qu'engendrerait, pour la branche vieillesse,
l'accumulation d'un tel déficit sur la période 2010-2020.
La Direction de la Prévision, le 21 janvier 2000, évalue ce
déficit à 779 milliards de francs avec un taux de
chômage ramené à 6 %.
Le FSV
75(
*
)
a validé un calcul comprenant
en sus les frais financiers liés au financement de ce déficit, et
a estimé ce dernier en cumulé, à 920 milliards de
francs pour la seule CNAVTS
76(
*
)
, sur la
période 2010-2020 selon l'hypothèse d'un taux de chômage
ramené à 6 %.
b) Un déficit sur lequel l'Administration attire l'attention du Gouvernement de manière récurrente
Dans une
note du 17 février 2000, la Direction de la Prévision pose cette
incontournable condition pour constituer un fonds de réserve :
" Outre le caractère très favorable du scénario
macro-économique, la réalisation de cet objectif suppose
évidemment qu'avant 2020, les besoins de financement des
différents régimes soient satisfaits ".
Toute la cohérence du fonds de réserve repose sur cette
condition. Pour qu'il soit financé, mais également pour qu'il
représente, comme le prétend le Gouvernement,
" la
moitié des déficits des régimes de retraite
77(
*
)
entre 2020 et 2040 "
, il est
indispensable que les déficits de la période 2001-2020 soient
effacés, et, qu'en quelque sorte, les régimes de retraites
" repartent avec les compteurs à zéro ".
Ainsi que le suggère la Direction de la Prévision dans la note
précitée du 17 février 2000,
" dans
l'hypothèse où ils ne sont pas utilisés pour alimenter
directement le fonds de réserve, ces excédents potentiels (des
régimes sociaux) devraient au moins faire l'objet d'un recyclage
permettant de retarder l'apparition des déficits au sein des
régimes de retraite ".
Négligeant cet avertissement, le Gouvernement refuse de dévoiler
ses intentions sur le comblement de ces déficits.
2. L'absence de réponse du Gouvernement
a) Un mutisme prolongé...
Interrogé à plusieurs reprises, le Gouvernement n'entend pas aborder ce préalable délicat et se réfugie dans des généralités faisant office de réponses " tout terrain ".
Des réponses " tout terrain " à des questions précises
Question :
Réponse (voir n° 29, p. 92) :
" Compte tenu
des échéances auxquelles apparaîtront les premiers besoins
de financement, le Gouvernement a décidé d'engager une large
concertation sur la réforme de l'ensemble des régimes de base de
retraite, en s'appuyant notamment sur les travaux du Conseil d'orientation des
retraites, afin de déterminer les mesures appropriées à
mettre en oeuvre ".
b) ... lourd de conséquences pour les régimes de retraite
Si rien
n'est fait, la CNAV va enregistrer des déficits croissants dont
l'estimation a été révélée plus haut.
Pour que le fonds de réserve puisse être constitué et jouer
son rôle, il faut que les régimes soient mis à
l'équilibre en 2020.
Or, l'équilibre de ce régime peut être obtenu par des
mesures affectant l'une des trois variables des retraites :
- durée de cotisations,
- taux de cotisation,
- rendement des pensions.
La durée de cotisations des salariés du privé a
déjà fait l'objet d'une augmentation, passant progressivement de
37,5 ans à 40 ans. Cette réforme a
épargné les régimes publics.
Le Premier ministre a déjà indiqué, dans son discours du
21 mars 2000, qu'il ne lui
" semblait pas nécessaire
d'envisager, pour les assurés du régime général, un
allongement supplémentaire de la durée de cotisation "
.
Cette solution est donc
a priori
écartée.
Il n'est guère envisageable de dégrader davantage le rendement
des pensions qui sont déjà alignées sur les prix dans les
projections du Gouvernement. De fait, ce dernier s'écarte de cette
indexation en accordant des " coups de pouce " successifs.
Il ne reste plus guère alors qu'une possibilité :
l'augmentation des taux de cotisations. C'est en quelque sorte cette piste
là que préconise le Premier ministre en déclarant
" le déficit doit être relativisé car il ne
représente que trois points et demi de cotisation "
.
Cette estimation, établie dans le cadre d'un scénario reposant
sur un taux de 4,5 % de chômage, est présentée de
manière anodine par le Premier ministre ; cette hausse de
3 points et demi représente en réalité une hausse de
25 % des cotisations de retraite
78(
*
)
. Elle
serait, de surcroît, de 4 points dans un scénario plus
réaliste retenant un taux de chômage de 6 %.
Cette question apparaît donc cruciale et exige une réponse avant
même l'échéance de 2020.
Elle dément l'affirmation du Premier ministre selon laquelle
"
nous avons le temps
"
79(
*
)
et
justifie à elle seule l'urgence d'une réforme avant même
que le fonds de réserve des retraites -à condition qu'il soit
lui-même crédible- puisse remplir son office.
IV. UNE GESTION INADAPTÉE
A. UNE GESTION CONFINÉE DANS LE PROVISOIRE
1. Le fonds de réserve : la gestion sous contrainte
a) Des instruments financiers restreints
(1) Des règles fixées par le Gouvernement
L'article R. 135-21 du code de la
sécurité
sociale pris en application des articles L. 135-1 à
L. 135-6 prévoit que "
les disponibilités du fonds
de réserve peuvent faire l'objet de placements dans des conditions
définies par le ministre chargé de l'Economie et des Finances
après avis du conseil d'administration. Le produit des placements est
affecté au fonds de réserve
".
Aujourd'hui, il appartient donc au Gouvernement de fixer les instruments
financiers à la disposition du fonds de réserve après avis
consultatif du conseil d'administration du FSV.
Cette décision prend la forme d'une simple lettre du ministre de
l'Economie et des Finances adressée au président du conseil
d'administration du FSV.
(2) Des instruments initialement très limités
Le cadre
défini à ce jour permet au fonds de réserve d'effectuer
des opérations d'achats de titres, d'une part, et des opérations
de pensions livrées, d'autre part.
Le 7 décembre 1999, le ministre de l'Economie et des Finances avait
autorisé le fonds à acquérir les valeurs de l'Etat ou
garanties par ce dernier, de même que des titres émis par des
établissements nationaux de maturité résiduelle
inférieure ou égale à deux ans. Etait par ailleurs
autorisée la prise en pension des titres d'Etat garantis par lui ou
d'établissements publics nationaux de maturité inférieure
ou égale à quinze ans.
(3) Des instruments de court terme élargis en juillet 2000
Une
nouvelle lettre en date du 19 juillet 2000 confirme la nature des valeurs
autorisées tout en portant la maturité des achats à
trente ans.
L'évolution du fonds rend de plus en plus inadéquat le
caractère restrictif de cette liste.
Ainsi que le constate la Direction du Trésor dans une note en date du
5 juin 2000 "
les annonces qui seront faites dans les prochaines
semaines concernant les conditions d'attribution des licences de l'UMTS et le
versement de l'essentiel des recettes ainsi perçues au fonds de
réserve ne manqueront pas de relancer ces interrogations (concernant la
gestion du fonds de réserve) alors même que les attentes en
matière d'information sur le fonctionnement futur du fonds et sa
politique d'investissement sont croissantes
".
b) Les contraintes d'une gestion transitoire
(1) L'impossibilité d'un recours à des instruments diversifiés
L'absence de création d'un fonds de réserve
autonome
doté de réels moyens de gestion empêche le recours à
des instruments financiers suffisamment diversifiés pour garantir une
rentabilité optimale des actifs du fonds.
Ainsi, dans la note précitée, la Direction souligne à
juste titre que cette rentabilité optimale suppose une gestion attentive
des risques et des outils d'analyse dont le fonds ne dispose pas :
"
En effet, toute extension du champ de placement à de nouveaux
produits, quand bien même ils présenteraient un risque de
contrepartie faible (obligations foncières, parts
privilégiées de fonds communs de créances,
émetteurs notés AAA par au moins deux agences, etc.),
nécessiterait que le FSV développe des outils d'analyse
crédit et voit ses moyens de gestion renforcés
".
Pour la même raison, la Direction du Trésor exclut tous les autres
supports :
"
Il ne paraît pas non plus souhaitable, pendant la
période transitoire, d'élargir le champ des placements aux
actions. En effet, même s'il est souhaitable que le fonds de
réserve soit investi pour partie en actions à partir de 2001, le
FSV n'a pas développé les compétences techniques
nécessaires à la gestion d'actions
".
(2) L'impossibilité d'engager le fonds sur le long terme
La
création sans cesse repoussée d'un établissement public
introduit en elle-même une difficulté supplémentaire dans
la gestion du fonds.
Dans l'attente d'une création retardée de trois mois en trois
mois, les autorités du FSV ne peuvent exercer la plénitude de
leurs compétences sans engager le fonds de réserve sur une plus
longue période, et donc sans obérer les marges de manoeuvre des
autorités nouvelles qui auront en charge le fonds, et sans engendrer des
coûts d'ajustement en cas de modification des orientations du fonds.
Cet inconvénient ne serait pas à déplorer si le
Gouvernement n'avait de cesse de faire des annonces qu'il ne tient pas...
(3) Le fonds de réserve assujetti à l'impôt sur les sociétés
L'absence de création porte sur un autre
problème.
A l'instar d'autres personnes morales de droit public (collectivités
locales, établissements publics), donc du FSV dont il fait juridiquement
partie, le fonds de réserve des retraites est soumis à
l'impôt sur les sociétés, pour les opérations
financières qu'il réalise.
Soulevée par le FSV, cette question est parfaitement connue du
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, qui rappelle, le 9 mai
2000, que
" les placements sont soumis à
prélèvement fiscal selon les mêmes règles que la
première section du FSV (taux minorés de 10 % et 24 %
d'impôt sur les sociétés) "
et concède que
" ce pourcentage élevé risque de priver le fonds de
sommes importantes à mesure que le montant des placements
s'accroît ".
En effet, la mission même du fonds de réserve (à la
différence du FSV) est d'accumuler des produits financiers
eux-mêmes générant des intérêts.
Ainsi, en 1999, le fonds de réserve a réalisé
7 millions de francs de produits financiers et doit donc, à ce
titre, au Trésor public 700.000 francs d'imposition.
Ce montant modeste est allègrement dépassé en 2000 puisque
les actifs du fonds ont généré près de
200 millions de produits financiers, et, à ce titre, le fonds a
acquitté 20 millions de francs d'impôt sur les
sociétés.
En l'état du droit, le fonds de réserve, dont les produits
financiers s'élèveraient en prévision dans la loi de
financement pour 2001 à 1,4 milliard de francs, acquitterait
140 millions de francs d'impôt sur les sociétés.
A l'extrême, le fonds qui est appelé, d'après le plan de
financement du Premier ministre, à générer
330 milliards de francs de produits financiers sur la période
2000-2020 devrait, au titre de l'impôt sur les sociétés,
plus de 30 milliards de francs. Ainsi, aujourd'hui, les
1.000 milliards de francs s'entendent -précision de taille-
" avant impôt "
!
Imposition des produits financiers du fonds de réserve
en millions de francs
|
Produits financiers |
Imposition |
1999 |
7 |
0,700 |
2000 |
200 |
20 |
2001 |
1,4 |
140 |
TOTAL 1999/2001 |
1.607 |
160,7 |
Source : commission des Affaires sociales
Ce
constat affligeant renforce la nécessité de la création
d'une structure juridique distincte du FSV et exonérée
d'impôt sur les sociétés.
Par le refus de créer un établissement public, le Gouvernement
confine le fonds de réserve, dont l'horizon est supérieur
à vingt ans, dans des placements à court terme, inférieurs
à deux ans.
Cet immense paradoxe constitue la négation même d'un fonds de
réserve ainsi que le souligne la Direction du Budget dans une note en
date du 1
er
décembre 1999 :
" du strict
point de vue financier le choix de l'horizon de placement influe sur le type de
placement choisi. La diversité des placements des réserves
accumulées dans le fonds de réserve des retraites sera d'autant
plus grande, et donc le rendement espéré plus
élevé, que l'horizon de placement sera long et connu par avance
par les gestionnaires du fonds de réserve des retraites ".
2. Des résultats pour l'instant préservés par la compétence des services du fonds et surtout par une situation financière atypique
a) La Direction du FSV : le souci de préserver le fonds de réserve
Malgré les contraintes qui s'imposaient à elle, la Direction du FSV est parvenue à préserver la gestion du fonds de réserve.
(1) Maintenir le rendement des actifs sans engager le fonds à long terme
Dans le souci évoqué plus haut de ne pas obérer les marges de manoeuvre de l'hypothétique établissement public, le FSV va placer la totalité des sommes du fonds sur un horizon de deux ans maximum.
Répartition des actifs du fonds de réserve au 15 février 2001
en millions de francs
|
31/12/1999 |
31/12/2000 |
au 15/02/2001 |
PENSIONS |
2.007 |
6.408 |
1.068 |
ACHATS ( en valeur d'achat ) |
|
|
|
BTAN 12/03/01 |
|
2.057 |
2.057 |
BTAN 12/07/01 |
|
5.497 |
6.690 |
BTAN 12/10/01 |
|
4.364 |
6.606 |
BTAN 12/01/02 |
|
2.409 |
3.247 |
BTF 08/03/01 |
|
|
651 |
BTF 29/03/01 |
|
|
649 |
TOTAL |
2.007 |
20.735 |
20.968 |
Source : FSV
Cette concentration des placements du fonds à court terme se heurtera
néanmoins à certaines limites.
En effet, la Direction du FSV souhaite instamment que la gestion du fonds de
réserve ne soit pas la cause de perturbations sur les marchés
monétaires et obligataires.
(2) Préserver la neutralité du fonds
Ainsi,
les volumes quotidiens des achats ont été limités (entre
50 et 100 millions d'euros sur un même titre) de manière
à n'interférer en aucune mesure sur la courbe des taux et sur la
liquidité du marché.
Les dirigeants du fonds ont fait part de cette intention
80(
*
)
:
"
S'agissant des achats, compte tenu de l'importance des sommes
à investir et compte tenu des conditions de maturité
fixées (deux ans maximum pour l'exercice 2000), le fonds a fait
porter ses choix sur toute la gamme des valeurs d'Etat de zéro à
deux ans. Le volume et la liquidité de ces valeurs sont beaucoup
plus élevés que pour ceux des titres garantis par l'Etat ou
titres émis par les établissements publics
".
Mais là encore, une telle politique a une limite que ces dirigeants
admettent très volontiers. 1.000 milliards de francs ne sont pas
manipulables sur le court terme et
le fonds détient
déjà 5 % de la dette de l'Etat sur certains titres...
Cette gestion corsetée ne peut perdurer sauf à risquer des
contre-performances financières ainsi que des interférences
déséquilibrantes sur les marchés financiers.
(3) Le choix de la concurrence
Pour
réaliser ces placements, les gestionnaires du fonds de réserve
ont choisi de ne favoriser aucun acteur financier.
Aussi, recourent-ils à l'ensemble des acteurs dont le savoir-faire est
reconnu sur la place de Paris, tant pour les prises en pension que pour les
achats de titre.
Achats
par banque de BTF au 15/02/2001
Source FSV
Achats par banque de BTAN au 15/02/2001
Source FSV
Il est hautement souhaitable que le caractère concurrentiel de la gestion du fonds soit préservé 81( * ) .
b) Des résultats préservés à court terme par une situation atypique des marchés monétaires et obligataires
L'élargissement de la maturité des titres auquel
le
fonds est autorisé à recourir depuis juillet 2000 pouvait
contribuer à desserrer légèrement cette contrainte
même si les incertitudes pesant sur le statut du fonds ne rendaient pas
optimal le recours à ces titres, d'autant que le FSV n'est pas
autorisé à procéder à la vente de titres avant leur
terme.
Le conseil d'administration du FSV
82(
*
)
a donc
de lui-même souhaité limiter les achats du premier semestre 2001
à des titres de maturité résiduelle inférieure
à trois ans.
Du fait de la situation actuelle des marchés monétaires et
obligataires, ce recours systématique au court terme n'a pas
été pénalisant.
En effet, la courbe des taux financiers est aujourd'hui plate,
c'est-à-dire que les marchés financiers n'accordent aucune prime
de blocage.
Dans ces conditions où le court terme est aussi bien
rémunéré que le long terme, le fonds de réserve
place ses liquidités à un taux d'intérêt d'environ
5 %.
Mais, comme l'indiquent les deux courbes des taux présentées
ci-après, une telle gestion aurait, l'année dernière,
engendré un manque à gagner entre 1,5 à 2,5 points,
les taux longs étant alors supérieurs aux taux courts (6 contre
3,2 à 4,4).
Comparaison des courbes des taux 2000 et 2001
Mais une
telle situation, due probablement à une anticipation d'une baisse des
taux par la Banque centrale européenne, ne devrait normalement pas
perdurer.
Les outils à disposition du fonds doivent donc de toute manière
être élargis, et l'horizon de ce dernier dégagé.
B. LE DANGER DES OBJECTIFS INTERMÉDIAIRES
Mettre
en place un instrument chargé de faire face à une
échéance qui se situe à l'horizon 2020 implique une
vigilance extrême quant au risque de détournement qui peuvent
surgir à tout moment avant cette échéance.
Le risque est naturellement d'autant plus grand que le fonds de réserve
n'est pas constitué en une
entité autonome doté d'une
mission univoque.
Si le fonds se voit imposer des objectifs intermédiaires -notamment
quant à la nature de ses placements et aux modalités de sa
gestion-, il y a fort à parier qu'il ne sera pas à même de
remplir son objectif final : garantir la pérennité de nos
régimes de retraite par répartition.
De ce point de vue, l'expérience des toutes premières
années du fonds de réserve permet déjà de mesurer
la nature des risques encourus.
1. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité : assurer à court terme le financement des trente-cinq heures
La
Commission des comptes de la sécurité sociale et
l'annexe
f
de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001 prévoyaient un
versement en 2000 de
2,9 milliards de francs, à titre d'acompte sur l'excédent
prévisionnel de la CNAVTS pour son exercice 2000.
Interrogée sur ce point, la Direction du FSV indiquait qu'au
15 février 2001, ce versement n'avait pas été mis en
oeuvre.
Ainsi que l'explique une note de la Direction de la Sécurité
sociale en date du 15 mai 2000, le
" reversement de la CNAVTS en fin
d'année
(est)
à articuler avec le dossier de financement
du FOREC (partage en trésorerie jusqu'en décembre 2000 des
exonérations de cotisations non financées)
".
Cette position est éclairée le 23 novembre 2000 par une note
de la Direction de la Sécurité sociale qui propose de faire
effectuer les deux versements dus au titre de l'excédent de la CNAVTS
sous réserve qu'un acompte de CSG soit encaissé car
"
à défaut, l'ACOSS dépasserait en l'état
de sa prévision le plafond de 20 milliards de francs et
approcherait le seuil de 29 milliards de francs qui constitue en
l'état actuel des textes le plafond de recours à
l'emprunt
".
Comme le démontre son profil de trésorerie, l'ACOSS
83(
*
)
est en situation tendue en fin d'année.
Souligné par notre collègue, Charles Descours dans son
rapport
84(
*
)
, la non-création du FOREC a
aussi pour conséquence de laisser à l'ACOSS la charge de
trésorerie des trente-cinq heures.
Ce financement des trente-cinq heures pesant sur la trésorerie de
celle-ci, et en fin d'année lui faisant approcher le découvert
maximal autorisé par la loi, " l'articulation " entre
financement du fonds de réserve et des trente-cinq heures n'a pu
être réalisée.
L'avance de 2,9 milliards de francs devrait être reportée
sur l'excédent CNAVTS 2000 constaté et versé fin 2001.
Mais ce retard de versement entraîne une perte d'une année de
produits financiers.
De telles considérations expliquent peut-être la volonté du
ministère de l'Emploi et de la Solidarité de ne pas faire toute
la transparence nécessaire en créant un établissement
public et d'exclure les partenaires sociaux, révélée par
une note de la Direction du Trésor en date du 28 novembre 2000 :
" Les débats du projet de loi de financement de la
sécurité sociale 2001 à l'Assemblée nationale et au
Sénat ont mis en évidence une forte demande pour la
création d'un établissement public ad hoc pour le fonds de
réserve des retraites. Les parlementaires partagent également le
souci d'une association des partenaires sociaux au dispositif. Sur ce dernier
point, les discussions avec les services du ministère de l'Emploi et de
la Solidarité ont jusqu'à présent montré une
divergence sur l'objectif : le ministre de l'Emploi et de la
Solidarité semble souhaiter en effet limiter au maximum l'implication
des partenaires sociaux ".
2. Le ministère des Finances et l'optimisation de la dette de l'Etat
a) Un problème de financement
Par une
note en date du 5 juin 2000
85(
*
)
, la
Direction du Trésor appelle l'attention du ministre sur les
conséquences de la politique budgétaire et fiscale du
Gouvernement pour l'attractivité de la dette française.
"
La dette publique française apparaît actuellement en
perte de vitesse sur les marchés du fait des initiatives prises ou
annoncées outre-Rhin (réforme fiscale, discipline
budgétaire en faveur de la réduction des déficits, mise
aux enchères des licences UMTS et rachats de dette) en faveur du
marché des Bund, qui donnent le sentiment au marché -notamment
dans le monde anglo-saxon- qu'un véritable " cercle vertueux "
de la dette s'est enclenché en Allemagne, sans équivalent en
France
".
Et d'ajouter :
"
Le spread
86(
*
)
France-Allemagne
s'est élargi sur l'ensemble de la courbe de plusieurs points de base
depuis le début du mois de mai ; ce mouvement s'est
accéléré ces derniers jours sur les titres à
dix ans et, fait sans précédent dans la période
récente, un spread en notre défaveur est apparu sur le
cinq ans avec l'Allemagne ainsi que sur les dix ans avec les
Pays-Bas
".
b) Le fonds de réserve peut-il servir un objectif intermédiaire ?
Devant
cette dégradation des conditions du financement de l'Etat
français, la Direction du Trésor recommande une annonce sur la
réduction du programme de financement et le lancement d'un programme de
rachat de dette.
Ainsi que le suggère la Direction du Trésor "
cette
annonce pourrait utilement être mise en relation avec l'annonce des
décisions du Gouvernement quant à l'utilisation des recettes
tirées de l'attribution des licences UMTS
".
Les difficultés rencontrées par l'Etat dans les conditions de son
financement trouvaient une réponse partielle dans le fonds de
réserve des retraites. La Direction du Trésor, proposant des
modifications de l'horizon des outils financiers mis à la disposition du
fonds de réserve
87(
*
)
prétend que
sa recommandation "
devrait contribuer à accroître la
demande pour les titres français et resserrer ainsi l'écart de
taux entre les titres français et allemands dont l'évolution
récente est particulièrement préoccupante
.
Et cette Direction d'ajouter "
En outre, dès lors qu'elles
seront investies en titres publics, les sommes placées dans le fonds de
réserve des retraites viendront réduire la dette publique brute
au sens de la comptabilité nationale
".
Personne ne saurait naturellement rester indifférent aux
impératifs d'une bonne gestion de la dette publique mais cette
préoccupation ne doit pas interférer avec la mission du fonds de
réserve sauf à dériver progressivement vers d'autres
préoccupations tout aussi estimables que pourraient être, par
exemple, l'aménagement du territoire ou le soutien de l'emploi.
De fait, la Direction du Trésor se montre réservée quand
il s'agit d'orienter le placement du fonds de réserver vers des
"
placements éthiques ou socialement responsables
".
Le
danger des objectifs intermédiaires :
les placements
éthiques ou socialement responsables
Le
27 septembre 2000, dans sa séance consacrée au fonds de
réserve, le Conseil d'orientation des retraites ne s'est pas
prononcé sur une politique précise de placement des fonds mais
"
certains de ses membres ont cependant insisté sur la
nécessité que soient fixés, en cas de placement en
actions, des critères éthiques, environnementaux ou sociaux
susceptibles de guider les choix
".
Le Conseil a demandé à la Direction du Trésor des
éléments complémentaires sur le recours à ce type
de placement. La Direction du Trésor livre des analyses
éclairantes.
Les investissements " éthiques " ou " socialement
responsables " existent depuis de nombreuses années aux Etats-Unis
mais également au Royaume-Uni, en Suisse et au Canada, et consistent
à intégrer aux décisions d'investissements financiers des
critères sociaux ou environnementaux.
Les règles de sélection demeurent très
hétérogènes, s'appuyant souvent sur les lignes directrices
affichées par des organisations internationales (OCDE, World Bank, OIT)
relatives aux droits de l'Homme, à l'environnement.
Aux Etats-Unis, par exemple, un filtrage est exercé par ces fonds visant
à exclure des secteurs d'activité comme le tabac, l'alcool, les
ventes d'armes et les jeux d'argent.
1/ Un risque financier
La Direction du Trésor fait état des mésaventures du fonds
de réserve du Québec dont la gestion est confiée à
la Caisse de dépôt et placement du Québec :
"
La Caisse de dépôt a le pouvoir d'investir les
réserves dans des placements diversifiés. Cependant, la loi
fixant le montant de la Caisse l'oblige également à contribuer au
développement économique du Québec et aux besoins de
financement du secteur public. Cela a conduit le régime des rentes du
Québec à des investissements qui ont été vivement
critiqués par le passé parce que semblant répondre
à des pressions politiques. Ces investissements ont par la suite
entraîné des pertes élevées pour le fonds de
réserve du Québec
".
La Direction du Trésor conclut ainsi "
il apparaît qu'un
double objectif pour le fonds de réserve peut être source de
problèmes importants
".
2/ Un surcoût de gestion
Il est en outre noté que "
l'éventuel placement d'une
partie des actifs du fonds dans des investissements socialement responsables
pourrait entraîner un coût supplémentaire de
gestion
".
C. UNE GESTION INOPÉRANTE EN L'ABSENCE DE TOUTE RÉFORME DES RÉGIMES DE RETRAITE
Le
constat fait par le
ministère des Finances
dans une note commune
aux directions du Budget, de la Prévision et du Trésor en date du
10 mai 2000, est sans équivoque.
" Parce qu'il permet d'anticiper les ajustements et de les
étaler dans le temps, le fonds est un instrument au service de la
consolidation des régimes de retraite. Mais compte tenu de sa date de
mise en place, il ne peut par lui-même régler aucune des
difficultés que vont devoir affronter les régimes de retraite. Il
ne doit donc pas être perçu comme une solution permettant aux
régimes de passer le cap des premières décennies en
faisant l'économie des nécessaires mesures de consolidation, mais
au contraire comme un levier pour accroître l'incitation à la
réforme et son efficacité. "
Cette nécessité de réformer les retraites n'est pas la
seule obligation d'équilibrer les régimes de retraite ;
optimiser la gestion du fonds suppose que les modalités de cette
réforme soient connues.
1. En l'absence de réforme, l'horizon de gestion du fonds est calé sur 2019-2020
Comme le
souligne le FSV
88(
*
)
,
" les recettes et
dépenses du fonds de réserve sont fixées par des
dispositions d'origine législative. Or, si à ce jour les
premières ont bien été précisées, il n'en va
pas de même pour les secondes qui n'ont fait l'objet d'aucune disposition
particulière, et rien ne permet en conséquence d'estimer les
emplois futurs du fonds de réserve.
" En l'attente, un travail en cours d'optimisation à moyen terme du
portefeuille est actuellement réalisé en supposant qu'aucun
décaissement ne serait effectué jusqu'en 2019,
conformément à la déclaration faite par le Premier
ministre en mars 2000 et au projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001, dans sa version initiale
présentée au Conseil d'administration des caisses nationales de
sécurité sociale, avant son examen par le Conseil
d'Etat. "
Fonder la gestion du fonds sur ce seul objectif temporel suppose de rendre
disponible la totalité des fonds pour 2019 ou 2020.
Or, dans l'optique énoncée par le Gouvernement d'un objectif de
" lissage " des déficits entre 2020 et 2040, le fonds de
réserve devrait raisonnablement être conduit à rendre
disponible seulement une petite fraction de ces fonds en 2020 ou 2021.
Ainsi, le reste des fonds doit pouvoir faire l'objet d'une optimisation
à plus long terme, car plus la durée de placement est
étendue, plus les risques encourus sont faibles et la rentabilité
espérée est élevée.
Ceci est d'autant plus vrai que le fonds est vraisemblablement appelé
à convertir une partie de ses ressources en actions, support à la
plus forte rentabilité et dont la volatilité peut être
compensée par la durée sur laquelle ces investissements seront
réalisés. Mais pour recourir à de tels supports, le rythme
du décaissement et donc la réforme des retraites doivent
être connus.
Comme l'indique le ministère des Finances "
En dépit de
la volatilité de leur rendement, les actions devront constituer une part
significative de l'investissement du fonds de réserve des retraites.
Cette part devra être déterminée au vu de la chronologie et
de l'ampleur des décaissements anticipés
".
Or, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, interrogée sur
ce point
89(
*
)
, n'a pas semblé, dans sa
réponse, accorder toute l'importance nécessaire à cette
question : "
Le Gouvernement ayant pris l'engagement que les
montants mis en réserve dans le cadre du fonds demeureront indisponibles
jusqu'en 2020, le fonds de réserve est destiné à
être un fonds de lissage pour lisser les besoins de financement
prévisibles après 2020.
L'évolution des réserves
dépendra du rythme et des critères de décaissement des
réserves, sur lesquels il serait prématuré de
statuer ".
2. Un fonds de réserve cantonné au rôle de " tirelire "
Les
dispositions actuelles n'attribuent au fonds de réserve aucun passif
identifié comme tel. Toutefois, le FSV dispose de simulations permettant
de calculer, selon la méthode d'optimisation des moindres carrés,
d'une part, la cotisation d'équilibre, d'autre part, le montant du fonds
de réserve nécessaire au financement de l'assurance vieillesse du
régime général de sécurité sociale à
l'horizon d'équilibre.
Cependant, le FSV
90(
*
)
convient lui-même
que :
" de telles simulations présentent un
intérêt limité en l'absence de connaissances
précises sur les modalités de mise en oeuvre de la réforme
des retraites et l'évolution des dépenses correspondantes. En
effet, l'accumulation des actifs au sein du
fonds de réserve et
les décaissements futurs seront vraisemblablement liés aux
besoins des régimes.
En l'absence de réforme des régimes de retraite et des
règles de décaissement du fonds, les gestionnaires du fonds de
réserve ne savent en réalité ni le montant des
déficits que celui-ci a vocation à combler, ni les dates
d'intervention des versements, ni les régimes concernés
-même s'il ne semble pas crédible d'écarter tel ou tel
régime de base
91(
*
)
. "
Fondé sur des hypothèses aussi frustres, le fonds de
réserve ne saurait être comparé aux fonds dont certains
pays industrialisés se sont dotés.
Créé à la va-vite, constituant une simple ligne
budgétaire d'un autre fonds, abondé en fonction des aléas
budgétaires et politiques, géré à court terme dans
l'absence de toute visibilité, le fonds de réserve n'est autre
qu'une tirelire où le Gouvernement a amassé les quelques fruits
de la croissance qu'il n'a pas consommés.
Construire un fonds de réserve sur lequel appuyer les régimes de
retraite par répartition relève d'une autre ambition, celle de
réellement s'attaquer aux réformes susceptibles de garantir,
demain, les retraites des Français.
CONCLUSION
A
l'issue d'une analyse nécessairement fouillée d'une
réalité très mouvante puisque le fonds de réserve
est d'abord un discours avant d'être une échéance, votre
rapporteur rappellera, en guise de conclusion, les principales observations qui
ponctuent le présent rapport
.
En présentant un fonds de réserve construit sur
l'hypothèse d'un taux de chômage de 4,5 % en 2020, le Gouvernement
retenait un "
scénario pédagogique
" :
convaincre les partenaires sociaux que, même en retenant des
hypothèses extrêmement favorables, une réforme des
retraites était inéluctable.
Un an plus tard, ce scénario pédagogique est devenu, dans
l'esprit du Gouvernement, une "
prévision
crédible
" qui permet de rassurer les Français avec un
fonds de réserve aux recettes gonflées et aux
échéances dédramatisées.
Il apparaît en outre que ce scénario repose sur une
hypothèse de stricte indexation sur les prix de l'évolution des
pensions. Or, ce scénario se révèle irréaliste
dès sa première année d'application puisque le
Gouvernement a choisi de donner un "
coup de pouce
" pour
faire participer les retraités aux fruits de la croissance.
Dès la deuxième année de son existence, le
fonds de réserve est en retard sur son plan de marche. Fin 2001, il
manque plus de quinze milliards de francs par rapport à la somme
affichée en loi de financement pour la sécurité sociale du
fait, notamment, des produits des licences UMTS dont le fonds ne recevra en
définitive que la portion congrue. Or, pour un fonds de réserve,
le retard ne se rattrape jamais sauf à considérer un tel
instrument comme une sorte de livret A " où l'on met de
côté quand on peut ".
Plus grave encore, à peine séchée l'encre du
plan de financement du fonds de réserve en mars 2000, le Gouvernement
s'est employé à ... assécher sa première
ressource : les excédents du fonds de solidarité
vieillesse : financement des trente-cinq heures, prise en charge de la
dette de l'Etat à l'égard de l'AGIRC-ARRCO, financement de
l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Au total, ce sont
540 milliards de francs en cumulé 2020 qui ont été
prélevés sur le FSV. Selon les hypothèses du Premier
ministre, ces ressources auraient généré en outre
250 milliards de francs de produits financiers.
Aujourd'hui, ce ne sont plus les excédents du FSV qui sont
susceptibles de financer le fonds de réserve : ce sont en
réalité les excédents de la branche Famille captés
par le FSV en contrepartie partielle des ponctions qu'il a subies. Ainsi, par
transfert de charges (majoration des pensions pour enfants) et
prélèvement sur recettes (13 % de la taxe de 2 % sur
les produits du capital), la branche Famille alimente le FSV à hauteur
de 415 milliards de francs en cumulé 2020.
Mais en définitive, sur 725 milliards de francs
d'excédents confondus du FSV (310 milliards de francs) et de la
branche Famille (415 milliards de francs), seul un quart
(185 milliards de francs) est susceptible d'alimenter le fonds de
réserve, compte tenu du prélèvement de 540 milliards
de francs opéré pour financer les trente-cinq heures, la dette de
l'Etat à l'égard de l'AGIRC-ARRCO et l'APA.
Enfin, le fonds de réserve vit aujourd'hui sous l'empire
d'un immense paradoxe : l'horizon de ses placements est actuellement de
deux ans sous forme de bons du Trésor alors qu'il doit faire face
à une échéance à 20 ans. Cette situation est
due notamment à l'absence d'une structure autonome dotée d'une
mission univoque.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le jeudi 19 avril 2001, sous la
présidence
de M. Jean Delaneau, président, la commission a entendu une
communication de M. Alain Vasselle
, rapporteur des lois de
financement de la sécurité sociale sur les
résultats de
sa mission de contrôle
sur pièces et place sur le
fonds de
réserve des retraites
.
Puis la commission a entendu une
communication
de
M. Alain
Vasselle, rapporteur des lois de financement de la sécurité
sociale
, sur les résultats de sa
mission de contrôle sur
pièces et sur place sur le fonds de réserve des retraites
.
M. Alain Vasselle, rapporteur,
a exposé les grandes lignes de son
rapport (cf. exposé général).
M. Charles Descours
a souligné que les mouvements financiers
touchant les organismes de la sécurité sociale constituaient
indéniablement un problème d'affichage. Il a insisté sur
l'importance du constat fait par le ministère de l'économie et
des finances sur la disponibilité des recettes de privatisation des
entreprises publiques.
Enfin, à l'instar de M. Jacques Machet, il a déploré que
les ressources de la branche famille soient ainsi l'objet d'une telle
confiscation.
La commission a approuvé les conclusions présentées par
M. Alain Vasselle
et a autorisé leur publication sous la forme d'un
rapport d'information.
1
Mme Ségolène
Royal,
Questions au Gouvernement, séance du 29 mars 2001, Journal Officiel
Débats Sénat - p. 898.
2
Cf. commission des Affaires sociales, rapport d'information
n° 356, 1999-2000.
3
Sénat, réponse à M. Alain Vasselle,
jeudi 29 mars 2001, questions d'actualité au Gouvernement, journal
officiel p. 898
4
JO Débats AN - 2
e
Séance du 27
octobre 1998, p.7368.
5
Rapport de M. Jean-Michel Charpin, Commissariat
général du Plan
L'avenir de nos retraites
(avril 1999).
6
Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur
l'avenir des retraites (Hôtel Matignon, le 21 mars 2000).
7
Cf. annexe.
8
Flash, Caisse des dépôts et consignations.
9
Rapport précité de M. Jean-Michel Charpin.
10
26 mars 2001, communiqué du ministère de l'Emploi
et de la Solidarité, " Financement du fonds de réserve des
retraites ".
11
Réponse au questionnaire de votre rapporteur, cf.
annexe.
12
Source : réponse au questionnaire
précité.
13
Source : réponse au questionnaire
précité.
14
Groupe interministériel présidé par M.
Olivier Davanne.
15
Patrick Artus, " Retraites : sortons de la
confusion ", La Tribune, 28 février 2001.
16
Inférieur à 44.914 francs annuel au
1
er
janvier.2001.
17
En raison du transfert à la CNAF des majorations de
pension pour enfants, cf. III-B-3.
18
26 mars 2001 " Financement du fonds de réserve des
retraites ".
19
FSV, Conseil d'administration du 14 décembre 2000,
point 12.2.
20
Cf. Alain Vasselle, rapport sur le projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 2001, n° 67 (2000-2001), tome
III, assurance vieillesse, p. 39.
21
Déclaration précitée.
22
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité,
communiqué de presse du 26 mars 2001.
23
Lionel Jospin, 29 mai 2000, Discours d'installation du
Conseil d'orientation des retraites.
24
La même question se pose pour l'échéance de
2020 : s'agit-il de début ou de fin 2020 ?
25
Source : réponse du FSV au questionnaire de votre
rapporteur, cf. annexe.
26
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité,
26 mars 2001 " financement du Fonds de réserve ".
27
Synthèse des travaux du groupe interadministratif sur le
fonds de réserve, 1
er
février 2000, note figurant
parmi les documents remis par la Direction de la Prévision.
28
Cf. II-C.
29
Direction de la Prévision, 21 janvier 2000, sous
réserve qu'ils ne soient pas affectés au comblement des
déficits de la CNAVTS, cf. III-F-2.
30
Note précitée de la Direction de la
Prévision se référant au groupe de travail
interministériel.
31
Cf. plus bas, III-F.
32
Fonds de financement des trente-cinq heures.
33
Déclaration précitée.
34
Communiqué de presse du 26 mars 2001 : financement du
fonds de réserve des retraites.
35
Source FSV, documents examinés par le conseil
d'administration du FSV le 14 décembre 2000.
36
Document de presse, présentation de l'allocation
personnalisée à l'autonomie.
37
Conseil d'administration de la CNAV, 1
er
mars 2001,
délégation des employeurs.
38
Même hypothèse de croissance de CSG selon le FSV.
39
Dossier de presse APA, 13 février 2001.
40
Conseil d'administration de la CNAVTS, 1
er
mars 2001.
41
Ministère de l'Emploi et de la Solidarité,
communiqué de presse du 26 mars 2001.
42
Cf. II-C-1.b.
43
Cf. M. Alain Vasselle, rapport sur le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001, n° 67
(2000-2001), tome III, pages 42 et suivantes
.
44
Projet de loi de modernisation sociale, article 11 bis
nouveau.
45
C
f. encadré : Les conséquences
comptables de la prise en charge de la dette AGIRC, ARRCO pas le FSV.
46
Cf. Jean-Louis Lorrain, Financement de la
sécurité sociale 2001, Tome II, Famille, p. 25-26,
rapport n° 67.
47
Rapport du Gouvernement sur les orientations de la politique de
santé et de sécurité sociale et les objectifs qui
déterminent les conditions générales de l'équilibre
financier.
48
Cf. III-B-2-b.
49
Cf. communiqué du 26 mars 2000.
50
Conseil d'administration du FSV, 14 décembre 2000, point
12-2.
51
Point presse, 11 mai 2000, à l'occasion de la publication
n° 11 de la lettre de l'ART.
52
Alors M. Christian Sautter.
53
Etude des dossiers, puis enchères, pour les candidats
sélectionnés.
54
Suez-Lyonnaise présentait un mobile différent.
55
M. Jean-Marie Messier, cité in La Tribune du
26 janvier 2001.
56
Cf. La contrainte financière.
57
Questionnaire précité cf. annexe.
58
Question d'actualité d'Alain Vasselle au Gouvernement, 2
février 2001, JO Débats Sénat.
59
Sénat, question d'actualité, séance du 29
mars 2001, JO, p. 898.
60
Mme Elisabeth Guigou, JO Débats Sénat,
séance du 14 novembre 2000, p. 5987.
61
Cf. plus haut, III-A-2.
62
Communiqué de presse du 26 mars 2001, financement du fonds
de réserve des retraites.
63
Georges Orwell, 1984.
64
Cf. avant-propos " la stratégie du brocanteur ".
65
Source FSV, réponse au questionnaire, annexes.
66
Comme le suggère l'évolution de France
Télécom.
67
Cf. ci-dessous IV.
68
Février 2001.
69
M. Alain Vasselle, rapport sur le projet de financement
de la sécurité sociale pour 2001, n° 67 (2000-2001), Tome
II, Assurance vieillesse.
70
Rapport général sur le projet de loi de finances
pour 2001 (n° 2624 - tome I), p. 155 et suivantes.
71
JO Débats Sénat, séance du 16 novembre 2000
p. 6140
72
Communiqué de presse du 26 mars 2001, " Fonds de
réserve des retraites ".
73
Cf. notamment le projet de loi relatif au droit des malades et
à la modernisation du système de santé annoncé
depuis septembre 1999 ou le projet de loi révisant les lois dites
" bioéthiques " attendu depuis juillet 1999.
74
Audition par la commission des Affaires sociales, 24 octobre 2000.
75
Conseil d'administration du FSV, 14 décembre 2000.
76
Ce qui exclut tous les autres régimes.
77
Cf. II-B.
78
Selon M. Jean-Luc Cazettes, audition par la commission des
Affaires sociales le 24 octobre 2000.
79
Entretien au journal Le Parisien 24 avril 1999.
80
Réponse au questionnaire, 22 février 2001.
81
Cf. encadré : la concurrence indispensable
82
Conseil d'administration du FSV du 14/12/2000.
83
Banque de la sécurité sociale où est
tenue la trésorerie de la CNAVTS.
84
" Le fonds de financement des trente-cinq heures :
un déficit structurel, une existence virtuelle, une menace réelle
sur les comptes de la sécurité sociale ".
85
Soit un jour avant l'annonce du 6 juin par
M. Laurent Fabius.
86
Différentiel de taux d'intérêt.
87
Cf. IV-A-1.
88
Réponse au questionnaire précité.
89
Cf. réponse au questionnaire précité
90
Réponse au questionnaire.
91
Cf. II-B-2.