D. LE RÔLE ÉMINENT DES AUDITIONS
Parmi les divers instruments d'information et de contrôle dont dispose le Congrès, il convient sans doute de s'attarder quelque peu sur les auditions ( hearings ).
Le déroulement de ces auditions est en effet sensiblement différent au Congrès des États-Unis de ce qu'il est dans les assemblées françaises :
- les commissions et sous-commissions peuvent auditionner des fonctionnaires (en pratique jusqu'à l'équivalent d'un sous-directeur) sans avoir à solliciter l'autorisation de leur hiérarchie, et sans que celle-ci puisse le cas échéant se substituer aux personnes convoquées ;
- la procédure d'audition est relativement formalisée , les personnes auditionnées devant souvent transmettre au préalable un témoignage écrit ( testimony ), qu'elles paraphrasent oralement au début de leur audition ; les personnes, autres que les fonctionnaires, auditionnées à la Chambre des Représentants devant également transmettre un curriculum vitae et la liste de tous les contrats et de toutes les subventions fédérales qu'ils ont reçus au cours des deux dernières années ; les parlementaires (et par délégation les staffers des commissions) disposant tous (par ordre d'ancienneté le plus souvent) de temps minima pour interroger les personnes auditionnées sous la forme de questions-réponses , etc.
- les auditions peuvent être déconcentrées, notamment dans les administrations concernées ( field auditions ). Elles peuvent aussi réunir plusieurs personnes aux points de vue opposés ( panel auditions ). Lors d'auditions relatives à Microsoft, Bill Gates fût ainsi directement confronté à ses plus vifs détracteurs et à ses principaux concurrents. Notons aussi que les auditions peuvent porter sur des faits instruits concomitamment dans le cadre de procédures judiciaires (ce qui n'est pas le cas des commissions d'enquête en France) ;
- le choix du nombre des auditions et des personnes invitées est pour l'essentiel du seul ressort du président de la commission ou de la sous-commission, qui peut ainsi multiplier les auditions pour freiner l'adoption d'un texte, ou bien n'auditionner que des personnes favorables au texte. Cependant, la minorité de la commission peut dans certains cas imposer des auditions complémentaires : à la Chambre, la minorité peut ainsi fixer l'ordre du jour d'une journée d'auditions ;
- mentir est un acte grave aux États-Unis, et mentir sous serment est un délit. Rappelons ainsi que le principal grief formulé à l'encontre du Président Clinton fut d'avoir menti et cherché à dissimuler des faits. On peut aussi rappeler que le bureau du Président des États-Unis est enregistré en permanence et que ce dernier ne peut en principe détruire aucun document, afin de faciliter d'éventuelles enquêtes, d'une part, de nourrir les archives nationales, d'autre part.
Il s'agit là à l'évidence d'une différence culturelle majeure entre les États-Unis et l'Europe, où le mensonge et la dissimulation peuvent être considérés en matière politique comme « des beaux-arts ».
Cette différence provient peut-être de ce que les États-Unis demeurent imprégnés de valeurs religieuses. Elle peut aussi résulter de ce que les Américains ont une vision de la politique moins cynique, ou plus naïve, que les Européens.
Quoi qu'il en soit, il en résulte que les personnes auditionnées ne peuvent guère mentir ou se dérober aux questions. Une telle attitude pourrait ainsi briser la carrière d'un fonctionnaire, alors que les commissions du Parlement français sont parfois traitées de manière presque désinvolte par certains fonctionnaires auditionnés.
- enfin, les auditions sont en principe ouvertes au public , à la presse, à la radio et aux chaînes de télévision , sauf exceptions visant notamment à sauvegarder la sécurité nationale ou l'honneur des personnes auditionnées.
Cette publicité incite les parlementaires à une posture agressive vis à vis des personnes auditionnées, notamment lorsqu'elles incarnent des administrations peu populaires.
Dans certains cas, les staffers des commissions consacrent ainsi non seulement beaucoup d'énergie à ciseler des questions précises, mais aussi à préparer les réponses probables des personnes auditionnées, ces trames de réponses permettant aux membres du Congrès d'identifier les tentatives de dissimulation.
Parallèlement, les personnes invitées préparent leurs auditions avec le plus grand soin, n'hésitant pas à s'entraîner lors de simulations.
Au total, les auditions constituent en principe un puissant moyen d'information et de contrôle. A titre d'exemple, les affaires du Watergate en 1973 et de l'Iran contra gate en 1987 furent ainsi largement révélées à l'occasion de l'audition par le Congrès de membres du cabinet du Président des États-Unis.
La publicité des auditions constitue également un puissant levier de communication pour les administrations ou les groupes d'intérêt invités à s'exprimer. Les économistes conviés aux auditions du Congrès en retirent notamment un certain prestige .
Cependant, la publicité et le formalisme des auditions présentent aussi certains inconvénients .
En premier lieu, nombre d'auditions se transforment en shows médiatiques , soit parce que les membres du Congrès se servent de l'audition de stars du sport ou du cinéma pour attirer l'attention du public sur certains sujets, soit parce qu'ils auditionnent des « victimes » individuelles pour donner à dessein un contenu émotionnel à leurs travaux.
Des commissions du Congrès ont ainsi pu auditionner, derrière un paravent, des personnes victimes de « persécutions » de la part de l'administration fiscale, ou bien « auditionner » des enfants de dix ans dont les parents avaient perdu le bénéfice de prestations sociales.
En outre, le rôle d'information de ces auditions est parfois limité.
Bien souvent, les membres du Congrès se sont forgés leur opinion au préalable dans le cadre de discussions informelles et la présentation préliminaire d'un témoignage transmis préalablement par écrit est assez fastidieuse : sauf lorsque les auditions présentent un intérêt polémique ou médiatique, l'assiduité des membres du Congrès est ainsi limitée, et les auditions sont hachées par les aller et retours des parlementaires vers l'hémicycle pour voter ou pour répondre à des demandes de quorum. En outre, les compte rendus d'auditions (annexés aux rapports des commissions) sont parfois des documents de travail d'une utilité modeste.